Contexte : Comme le rappelle cette décision rendue le 20 mars 2013, toute maladresse du chirurgien qui lèse un organe ou une partie du corps du patient est nécessairement fautive.
Litige : Le 23 mars 2006, un chirurgien pratique une lipo-aspiration sur une patiente qui sort le jour même de la clinique. Souffrant de douleurs abdominales, elle consulte rapidement son médecin généraliste. Celui-ci l’a fait hospitaliser et après la réalisation d’une opération d’urgence, la patiente décède le 28 mars. Son époux, en son nom propre et celui de sa fille mineure, ainsi que ses deux enfants majeurs recherchent la responsabilité du chirurgien et du médecin généraliste. La cour d’appel considère que le décès trouve sa cause dans l’établissement tardif du diagnostic et retient la responsabilité du médecin généraliste. Elle écarte toute faute du chirurgien en jugeant « qu’il n’était pas démontré que la hernie ombilicale était décelable lors de l’examen clinique préalable, qui s’était révélé normal, aucun facteur de risque n’étant évoqué, qu’à cet égard, compte tenu des circonstances, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir effectué de plus amples recherches, et que, même s’il n’était pas contestable que la plaie de l’intestin grêle résultait de l’acte chirurgical, il n’était pas davantage démontré que ce dernier n’avait pas été contraire aux règles de l’art ».
Solution : Après avoir énoncé que « l’atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n’impliquait pas, est fautive, en l’absence de preuve, qui lui incombe, d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l’aléa thérapeutique », la première chambre civile de la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel au visa des articles 1315 du Code civil et L. 1142-1, I du Code de la santé publique, en jugeant :
« qu’en constatant ainsi que l’intestin grêle avait été perforé lors d’une intervention consistant en l’exérèse de tissu graisseux, sans caractériser en quoi le chirurgien aurait fait la preuve de ce que la hernie ombilicale constituait une anomalie indécelable, rendant l’atteinte inévitable ou de ce que le risque de perforation et la contamination bactérienne subséquente, dont elle relevait, au demeurant, que, selon les experts, il s’agissait de la complication la plus grave de cette intervention, n’aurait pas été maîtrisable, la cour d’appel a violé le premier des textes susvisés et n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du second ».
Analyse : S’inscrivant dans le droit fil d’une jurisprudence désormais constante, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle ici que le chirurgien répond, sauf à établir qu’elle était inévitable ou inhérente à l’acte pratiqué, de toute atteinte à l’intégrité corporelle du patient qui lui cause un dommage s’ajoutant à sa pathologie initiale.
Une telle position a été inaugurée en 1997 dans une affaire où, à l’occasion de la section d’une côte réalisée avec costotome, un chirurgien avait blessé une artère sous-clavière entraînant une hémorragie massive et un désamorçage de la pompe cardiaque dont le patient est décédé. La Cour de cassation avait alors jugé que « la blessure de l’artère sous-clavière avait été le fait du chirurgien, de sorte que sa responsabilité était engagée » (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-19497 : Bull. I, n° 6 ; Gaz. Pal. 1997-1, p. 32, note J. Guigue ).
La Cour de cassation a ensuite précisé sa position en jugeant qu’en cas de lésion d’un organe, d’une artère ou encore d’un nerf lors d’une intervention chirurgicale qui n’impliquait pas une telle atteinte, « toute maladresse d’un praticien engage sa responsabilité et est, par-là même, exclusive de la notion de risque inhérent à un acte médical » (Cass. 1re civ., 30 sept. 1997, n° 95-16500 : Bull. I, n° 259, R. p. 276 ; JCP G 1998, I, 144, n° 21, obs. G. Viney ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. n° 373 ; Rev. dr. san. soc. 1998-288, obs. L. Dubouis ).
La faute apparaît ainsi déduite de la constatation d’une atteinte à l’intégrité corporelle qui n’aurait pas dû se produire : la perforation de l’intestin lors de la réalisation d’une coloscopie (Cass. 1re civ., 18 sept. 2008, n° 07-12170 : Bull. I, n° 205. V. égal. Cass. 1re civ., 28 mai 2009, n° 08-13.406), de lésion d’une artère (Cass. 1re civ., 28 sept. 2004, n° 02-19428) ou encore de la lésion du nerf tibial au cours d’une intervention de réparation chirurgicale de la rupture du tendon d’Achille (Cass. 1re civ., 18 sept. 2008, n° 07-13080 : Bull. I, n° 206). Cette solution concerne aussi le chirurgien-dentiste qui commet nécessairement une faute lorsqu’il provoque une fracture mandibulaire (Cass. 1re civ., 3 févr. 1998, n° 96-13329 : Bull. I, n° 46 ; Resp. civ. et assur. 1998, comm. 165, JCP G 1998, I, 187, n° 33, obs. G. Viney) ou lèse un nerf lingual lors de l’extraction d’une dent de sagesse (Cass. 1re civ., 23 mai 2000, n° 98-20440 : Bull. I, n° 153.- Cass. 1re civ., 17 janv. 2008, n° 06-20568 : Resp. civ. et assur. 2008, comm. 111, note Ch. Radé).
Après l’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, une appréciation aussi rigoureuse du geste chirurgical aurait pu être remis en cause puisque la victime peut être indemnisée, du moins lorsque son dommage atteint un certain seuil de gravité, au titre de la solidarité nationale (C. santé publ., art. L. 1142-1, II). Mais la Cour de cassation a maintenu sa position, considérant par exemple en cas de lésion dentaire lors de l’intubation du patient (Cass. 1re civ., 20 janv. 2011, n° 10-17357 : Bull. I, n° 14), de la lésion d’une artère (Cass. 1re civ., 17 juin 2010, n° 09-67671) ou d’un nerf (Cass. 1re civ. ? 28 mars 2008, n° 07-11879) ou encore en cas de perforation de l’œsophage (Cass. 1re civ., 1er déc. 2011, n° 10-25573), ou comme dans la présence affaire, de l’intestin en raison d’une imprécision du geste chirurgical (Cass. 1e civ., 21 févr. 2006, n° 04-20685), que les juges du fond ne peuvent écarter la responsabilité du praticien, sans constater la survenance d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé.
En reprochant ici, après avoir visé l’article 1315 du Code civil, aux juges du fond de ne pas avoir « caractériser en quoi le chirurgien aurait fait la preuve de ce que la hernie ombilicale constituait une anomalie indécelable, rendant l’atteinte inévitable ou de ce que le risque de perforation et la contamination bactérienne subséquente, (…), n’aurait pas été maîtrisable », la Cour de cassation entend faire peser sur le professionnel de santé la charge de la preuve des circonstances exclusives de toute faute, retenant ainsi une lecture singulière de l’article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique puisque le texte n’instaure aucune présomption légale de faute en cas de lésion d’un organe voisin de celui sur lequel le chirurgien est intervenu.