Par un arrêt d’Assemblée du 24 juin 2004, le Conseil d’Etat a reconnu comme légale la décision du médecin-chef du pôle Autonomie et santé du centre hospitalier universitaire de Reims, mettant fin à l’alimentation et l’hydratation artificielle de Vincent Lambert, en appliquant et en précisant les dispositions juridiques relatives à la fin de vie ou à l’arrêt de vie d’un patient en survie1.
L’affaire en cause est un drame humain car elle met en cause, d’une part, un individu dépendant qui n’a pas la possibilité, en raison de son état de vulnérabilité, de pouvoir choisir sa propre mort ou de manifester son consentement à l’arrêt des soins qui lui sont prodigués et, d’autre part, une famille divisée dans les actes dictés par leur propre amour et leurs représentations personnelles.
Le débat suscite des questionnements philosophiques, religieux et politiques non seulement sur la phase agonique de l’extrême fin de vie mais aussi sur la qualité de la vie telle qu’elle est définie dans la société et dans les convictions individuelles : l’aide active à mourir sera donc analysée par un prisme à géométrie variable, ontologique, holistique ou subjectif et personnel, en fonction de l’évolution des données médicales tout en étant la source d’un déplacement de l’interdit pour les « situations-limites » et ce d’autant plus que les procédures euthanasiques se généralisent progressivement dans les autres Etats2.
En outre, il s’agit juridiquement d’une rencontre de principes différents (comme le respect de la dignité humaine, de l’inviolabilité et de l’indisponibilité du corps humain, le droit à une prise en compte de la douleur et du consentement) dont la difficulté est la détermination du fondement matriciel qui orientera la politique d’accompagnement de fin de vie alors même que le coût économique (formation des médecins, évolution des pratiques médicales,…) doit être pris en compte tout en demeurant un sujet tabou en ce domaine3.
C’est dans ce contexte exacerbant les passions que le juge administratif a déterminé et précisé le cadre visant à permettre aux personnes de mourir dans la dignité et sans souffrance posé en partie dans la loi « Léonetti » du 22 avril 20054.
Il a été ainsi dessiné les contours de l’arrêt de la vie (I.) afin d’éviter l’acharnement thérapeutique dont le médecin reste le principal « gardien » (II.).
I. La nécessité de la fin d’un traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie
Le droit de mourir prend une dimension collective dès lors qu’il implique l’intervention d’un tiers et touche à l’un des piliers fondateurs d’une société –ne pas tuer illégitimement un être humain- (A.) ; toutefois le législateur français l’a aménagé afin de permettre que la mort puisse survenir dans la dignité et sans souffrance tout en s’inscrivant dans le droit des patients (B.).
A. Les frontières de l’interdit : avoir le droit de tuer autrui pour une mort douce
Derrière la pudeur juridique de la terminologie employée dans le mécanisme d’accompagnement vers la mort, c’est bien le fait de mettre fin à l’existence d’autrui dont il est question alors même qu’il est constant en droit français qu’une telle assistance n’est pas possible. En effet, depuis la loi n° 87‑1133 du 31 décembre 1987 il a été institué un délit de provocation au suicide suite à la parution d’un livre intitulé « Suicide mode d’emploi », afin d’interdire toute publicité en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés pour mettre fin à ses jours5.
Il s’agit là sans aucun doute d’une résurgence morale d’inspiration judéo-chrétienne qui tend à affirmer que toute vie, même imparfaite, aurait plus de valeur que la mort provoquée6 et qui a trouvé des échos en droit dans les interdictions matérielles d’une telle mise en œuvre comme les duels7. Cette assimilation à la « victoire du mal » pour le suicide en opposition à la « bonne mort », qui serait celle qui n’est pas prévisible, a évolué dans les sociétés contemporaines où la conception individualiste accepte difficilement qu’il existe un ostracisme latent pour ceux qui ne souhaitent plus vivre pour prôner la liberté de pouvoir choisir sa mort8. S’il n’a pas été élaboré immédiatement la nécessité de l’intervention de l’Etat, il a été envisagé progressivement que le désir mortifère s’inscrivait dans une logique de soulagement et de dignité, voire une exaltation parfois qualifiée de nihilisme voire de lâcheté9.
Dans cette conception paradoxale d’amélioration de la qualité de vie avec la certitude de mourir rapidement sans une dégradation psychique et/ou physique, une première étape importante fût franchie en 1999 avec un droit d’accès aux soins palliatifs pour des personnes atteintes d’une pathologie grave, évolutive, mettant enjeu le pronostic vital, en phase avancée ou terminale, quelque soit leur âge10.
Cependant, la finalité de ce dispositif demeurait l’instauration de droits des malades qui doivent pouvoir bénéficier de « soins actifs et continus, pratiqués par une équipe interdisciplinaire, en institution ou à domicile (pour) soulager la douleur, (…) apaiser la souffrance (même morale), (et) sauvegarder (leur) dignité (…) » (Articles L.1110‑2 et L.1110‑9 code de la santé publique).
En d’autres termes, les patients doivent pouvoir lutter contre les symptômes physiques tout en ce que qu’il leur soit apporté un soutien psychologique, spirituel et social ainsi qu’à leurs proches, ce qui n’est que l’expression implicite d’une dignité de la personne humaine jusqu’à la mort, consacrée notamment par la loi « Kouchner » du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé11.
Mais le principe est bien posé d’un accès aux soins et à la protection de la santé dans sa dimension curative (assurer des soins et leur continuité) et non préventive (assurer la prévention et la sécurité sanitaire) en faisant comme si l’issue fatale n’était pas connue : il s’agit donc d’un processus de médicalisation artificielle notamment contre la douleur et non d’un droit à mourir12. L’un des fondements de la société qui tend à ne pas donner un droit de tuer est ainsi respecté, mais corrélativement se pose ici la protection de la vulnérabilité dans un débat nécessairement passionnel, ainsi que le rapport à l’autonomie de la personne dont l’appréhension varie nécessairement d’un individu à un autre par son acceptation à la dépendance13. Dès lors, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie14 a modifié le droit positif pour permettre un « droit de laisser-mourir sans faire mourir » dans un contexte largement médiatisé de l’affaire Humbert qui avait été euthanasié sur sa demande par sa mère avec l’aide d’un médecin15. Il résulte désormais de cette strate de textes un droit consensuel qui pourrait être remis en cause par le droit européen et qui pose une forme d’« exception d’euthanasie » acceptable dans la société et qui pourrait même être étendue16.
B. Le consensualisme français sur l’euthanasie : permettre de mourir dans la dignité et sans souffrance
L’euthanasie passive est reconnue alors qu’elle n’est d’ailleurs pas explicitement mentionnée comme telle dans le code de la santé publique17. Il s’agit d’une alternative à une action qui consisterait à franchir l’interdit fondamental pour un médecin en injectant un produit mortel avec le consentement du patient18, qui est nommée pudiquement « suicide assisté », « meurtre par pitié ou sur demande de la victime », et qui demeure condamnable pénalement comme un fait donnant volontairement la mort à autrui19. Mais si dans les deux cas il s’agit d’une « mort douce », elle n’est envisageable que dans le cadre d’une interdiction de l’obstination déraisonnable (ou acharnement thérapeutique), que le patient soit en fin de vie ou non, et qui est une résonance de l’article 37 du code de déontologie médicale qui existait auparavant20. La Haute juridiction va d’ailleurs rappeler que cela implique que « toute personne doit recevoir les soins les plus appropriés à son état de santé, sans que les actes de prévention, d’investigation et de soins qui sont pratiqués lui fassent courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».
Ce mécanisme est conforme à la protection de la santé qui est un droit fondamental devant être mis en œuvre au bénéfice de toute personne par tous moyens disponibles et au droit à la dignité de la personne malade dans sa vie et jusqu’à la mort21.
C’est ainsi que dans l’affaire Lambert, le Conseil d’Etat a confirmé qu’une telle administration des fonctions nutritives constituait un traitement au sens de la Loi « Léonetti » du 22 avril 2005 et que dès lors la continuité de tels actes, étant donné la nature irréversibles des lésions cérébrales, l’absence de progrès depuis l’accident et la consolidation du pronostic fonctionnel, constituait une obstination déraisonnable, corroborée également par un faisceau d’indices de la volonté du patient22.
La question n’est pas nouvelle et avait déjà été évoquée lors du rapport sur la proposition de cette loi en affirmant qu’il était nécessaire, par voie de conséquence, de faire obstacle à une obstination déraisonnable en autorisant le médecin à décider de l’arrêter avec l’accord du patient, dont il pouvait avoir l’initiative de la demande ou après en avoir discuté avec la personne de confiance et les proches23.
Une argumentation différente de la Haute juridiction aurait sans doute conduit à une lecture restrictive de la loi tout en redéfinissant son champ d’application par une interprétation contraire à l’esprit du texte.
Le Conseil d’Etat n’a d’ailleurs pas manqué de citer les conclusions d’experts qui révélaient une dégradation de l’état de conscience depuis l’accident de M. Lambert. Il mentionne surtout un état clinique végétatif, sans toutefois aller jusqu’à poser un degré figé de capacité émotionnelle dans son raisonnement pour déterminer les possibilités relationnelles, laissant ainsi une appréciation subjective et non objective au corps médical, conformément aux observations du Conseil national de l’ordre des médecins24. La renonciation à pratiquer des actes médicaux pour guérir s’inscrit alors dans un processus alternatif de donner des soins qui auront alors comme finalité l’apaisement des souffrances d’un malade en fin de vie (doses massives de sédatifs, de calmants à la douleur) quand bien même la conséquence en serait un raccourcissement de la vie ou l’arrêt de son maintien artificiel25. Il y a donc une prise en compte de la douleur visant à anticiper cette décision26.
II. La décision médicale comme limite à l’obstination déraisonnable
L’accompagnement de la fin de vie peut aller jusqu’à la prise de décision de son arrêt par le médecin (A.). La finalité est, en réalité, le respect de la volonté du patient, si elle est exprimée, mais surtout cela permet d’inscrire la mort dans un processus d’évolution, sans que cela nécessite un acharnement thérapeutique (B.).
A. Une expression empirique de la volonté des malades en fin de vie
La vérification de la volonté en fin de vie est en réalité un corollaire au consentement libre et éclairé d’un individu aux soins médicaux qui lui sont prodigués. Il peut être retiré à tout moment et est reconnu comme un droit et surtout comme une liberté fondamentale, comme celui de consentir ou de ne pas subir (à) un traitement qui traduirait une obstination raisonnable27.
Ainsi, lorsque son expression ne souffre d’aucune difficulté, une personne peut refuser ou interrompre tout acte médicalisé et son choix doit être respecté, à la condition qu’elle reçoive toutes les informations requises sur les conséquences qui peuvent en découler, ce qui ne fait pas obstacle à la qualité et à la dignité de sa fin de vie par l’instauration de soins palliatifs28. En cas de contestation, notamment lorsque l’arrêt des soins met en jeu le pronostic vital, il peut être fait appel à un autre membre du corps médical et le patient devra réitérer sa décision après un délai raisonnable29.
Il y a donc réellement la reconnaissance pour une personne de participer aux décisions concernant sa propre santé, ce qui paraît logique puisque les questions d’intégrité morale et physique sont tirées de sa vie privée et familiale bien que la notion d’autonomie personnelle reflète une interprétation des garanties dans ce cadre30. En effet, il ne s’agit pas de pouvoir choisir sa mort de manière inconditionnelle car le droit à la vie est un droit absolu en application de l’article 2 de la Conv. EDH, ce qui permet de refuser à une personne la possibilité de mettre fin à ses jours avec assistance et de lui permettre d’y porter une atteinte irréversible31.
Il a été également affirmé qu’il en était de même sur le fondement de l’article 8 de la Conv. EDH, ce qui revient à dire que le droit à la vie privée et familiale, qui peut être susceptible de variations, ne peut pas obliger positivement un Etat à procurer à un patient les moyens de mourir alors même que les juridictions internes sont tenues d’en examiner concrètement la demande32. Le juge administratif dans le cadre d’un référé-liberté33 a donc rappelé les conditions de la compatibilité de la décision prise par un médecin pour interrompre, ou ne pas entreprendre, un traitement dans ce cadre, en toute impartialité34.
Cependant cet état intermédiaire, même équilibré, apparaît rapidement comme paradoxal car il ne s’agit pas de reconnaître la possibilité d’une injection létale par un médecin, ce qui irait à l’encontre de sa mission et de la législation en vigueur35. Or, si euthanasier pour éviter l’acharnement thérapeutique au nom de la dignité peut poser des complications lorsque la personne ne peut s’exprimer clairement, il n’existe pas de droit à mourir36.
Lorsque le consentement ne peut pas être formulé, comme c’est le cas dans l’affaire Lambert, une procédure collégiale (elle a été ici régulièrement tenue) est prévue par le code de déontologie médicale pour pouvoir limiter ou arrêter un traitement qui serait susceptible de mettre une vie en danger37. La collégialité joue un rôle essentiel ici et s’inscrit dans les bonnes pratiques médicales et hospitalières38 car elle évite et anticipe les éventuelles dérives et permet un consensus (et le juge souligne que les opinions peuvent être partagées) qui légitime le choix d’un glissement progressif vers la fin de vie39. Un tel processus prend également en compte la complexité de la décision médicale qui n’est pas toujours nécessairement prise au moment opportun, ce que des avis consultatifs peuvent pallier sans se substituer à la responsabilité décisionnaire du médecin en charge du patient40.
Ce dernier peut engager la procédure collégiale de sa propre initiative au vu des directives anticipées du patient, si elles existent et sont datées notamment de moins de 3 ans, ou des souhaits présentés par l’un des détenteurs de celles-ci (médecin traitant, dossier médical hospitalier,…) ou à la demande de la personne de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches et prend en compte leur avis41.
Il a été prévu que ce « testament de vie » écrit sans valeur comminatoire prévaut sur toutes les mesures d’investigation d’intervention ou de traitement prises par le médecin mais demeure sans valeur contraignante. Dès lors, le juge administratif a consolidé la prise en compte de la volonté en mentionnant qu’une importance particulière doit lui être accordée lorsqu’elle a été exprimée antérieurement « quels qu’en soient la forme et le sens » et qu’à défaut si elle demeurerait « inconnue », elle ne pourrait « être présumée comme consistant en un refus du patient d’être maintenu en vie » dans un état de conscience minimale ou végétatif. Or, tel n’est pas réellement le cas pour V. Lambert, puisqu’il a été établi par témoignages non contredits « qu’il ne souhaitait pas avant son accident vivre dans de telles conditions » et que le personnel soignant a constaté « des manifestations comportementales qui pouvaient être interprétées comme une opposition aux soins de toilette traduisant un refus de vie ».
Il s’agit du respect du choix d’un patient sur le devenir de son corps, sauf que cela ne constitue pas une alternative entre un « laissez mourir » ou « pouvoir vivre » en l’imposant aux autorités publiques, comme une sorte de créance sur un blanc-seing de la mort42. Mais il se dessine les contours d’un individualisme qui reste conforme à l’intérêt général, cristallisé par la dignité de la personne humaine, qui se distingue de manière traditionnelle avec le bien commun, lequel conserve néanmoins des connotations religieuses et morales43.
Ce n’est qu’ensuite, et donc à défaut, que la personne de confiance désignée le temps de l’hospitalisation peut suppléer la volonté d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable en pouvant remettre en cause tout avis non médical, sauf situation d’urgence ou impossibilité objective44.
B. « Nous mourons dès notre naissance, et nous naissons jusqu’à notre mort » (Heidegger)45
Le médecin peut ainsi décider de mettre fin à un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne à condition de prendre en compte l’avis de tiers (la personne de confiance, à défaut l’un des proches) et le cas échéant les directives anticipées46. C’est d’ailleurs une telle concertation qui a été soulignée dans la décision Lambert bien que l’opposition concomitante d’un demi-frère et de l’une de ses sœurs se soit également manifestée par la formulation d’un référé-liberté47. Il s’agit ainsi de dégager une position consensuelle en examinant la situation propre de chaque patient en étant guidé par la plus grande « bienfaisance » à son égard, comme l’a rappelé ici le juge administratif48.
Dans ce cadre, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme semblerait inapplicable car ses stipulations prohibent la torture, les peines et traitements inhumains et dégradants et ne vise que des actions positives (l’acte d’infliger la mort à quelqu’un) et non l’interdiction de donner la mort à un patient49. Toutefois il ne serait pas inenvisageable de transposer le champ d’application de ces notions à un patient en pauci-relationnel, le refus de la mort pouvant alors constituer une maltraitance ou permettre des conditions de vie avilissantes qui atteindraient un certain niveau de gravité50.
Il convient de souligner que le terme de « bienfaisance » n’est pas anodin puisqu’il révèle un axe éthique « téléologique » en relation avec le principe de non-malfaisance par opposition à une prise de position « déontologique » fondée sur le respect des personnes dans leur autonomie : cette affirmation vient donc tempérer le choix de la société de permettre aux individus de déterminer leur propre quiétude et de participer aux décisions les concernant tout en rappelant que « les médecins (détiennent) la connaissance de ce qui est le «bien» dans le domaine de la santé » (Article L.1111‑4 code de la santé publique ; Avis du comité consultatif national d’éthique n° 58 du 12 juin 1998 consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de soin ou de recherche). En d’autres termes, la décision elle-même dépendra du médecin chargé de la prise en charge, après concertationavec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant (deux si nécessaire) et sera communiquée aux personnes intéressées avec inscription dans leur dossier51. Il s’agit sans aucune mesure d’un contre-balancement aux critiques de la judiciarisation du pouvoir médical et d’une reconnaissance scientifique du corps médical dans son domaine sans que celui-ci soit exempt du contrôle du juge52.
Le malade inconscient n’a donc pas sa volonté nécessairement respectée car la représentation du consentement demeure ici assez atténuée, ce qui entre dans les nécessités tirées de l’intérêt général appliquées en matière de santé et parfois contestées (protection de la personne contre elle-même,…)53.
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs rappelé que si le médecin doit prendre une telle décision en fonction de son appréciation, ce n’est que dans le cadre prévu par la législation en vigueur et notamment par le respect de la procédure instaurée qui permet de limiter l’acharnement thérapeutique en suspendant ou en interdisant les actes « qui apparaissent inutiles ou disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, que le patient soit ou non en fin de vie », mais toujours en déterminant, eu égard aux circonstances particulières, si le traitement est injustifié ou non. La situation devra donc être examinée dans la singularité de chaque patient en tenant compte d’éléments non-médicaux ou médicaux sur une période suffisamment longue, conformément à la relation de confiance entre malade/médecin54.
En tout état de cause, la Haute juridiction rejette la systématisation qui consisterait à affirmer que la perte d’autonomie ou un état irréversible d’inconscience entre dans l’obstination déraisonnable, ce qui rappelle implicitement que les maladies et les handicaps sont inscrits comme caractéristiques du fonctionnement de l’espèce humaine et que la différence ne saurait entraînera la disparition organisée d’un être humain55.
Il demeure constant que lorsqu’une telle décision a été prise, même si la souffrance du patient ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral, le médecin doit mettre en œuvre les traitements, notamment antalgiques et sédatifs, permettant d’accompagner la personne selon les principes d’accompagnement de fin de vie (en dispensant les soins palliatifs et en sauvegardant la dignité du patient) en informant et en apportant le soutien nécessaire à l’entourage, sans provoquer délibérément la mort56.
Il s’agit indiscutablement d’un choix politique d’apporter une sérénité à l’approche de la mort et non la promesse d’une paix funeste57.
- Académie nationale de médecine, Rapport sur l’affaire Lambert du 22 avril 2014 ; CCNE, Avis n° 63 sur « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », 27 Janvier 2000 ; Article L.1111‑4 du code de la santé publique al. 5. [↩]
- CCNE, avis n°121, « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir », 30 juin 2013. [↩]
- CC, 12 août 2004, « Loi relative à l’assurance maladie », n° 2004‑504 DC, JO du 17 août 2004, p. 5 ; B. Feuillet, J. Testart, « Bioéthique : droits, valeurs, science », Constitutions 2011 p. 167. [↩]
- Loi n° 2005‑370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, JO du 23 avril 2005 p. 7089 ; S. Le Gac-Pech, « Pour une légalisation de l’euthanasie », AJ famille 2014 p. 117. [↩]
- Articles 223‑13 à 223‑15‑1 du code pénal ; TGI Paris, 11 avril 1995, JCP (G) 1996.II.22729. [↩]
- J. Moreau-David, « Approche historique du droit de la mort », D. 2000.266‑1. [↩]
- Cass. ch. réunies, 15 décembre 1837, S. 1838.I.5 ; Cass. crim., 23 janvier 1890, DP 1890.II.332. [↩]
- P. Ariès, Essai sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Age à nos jours, Seuil, 1975, p. 33. [↩]
- F. Nietzsche, Humain, trop humain, Livre de poche, 1995, voir II, § 88 Empêchement du suicide ; Par-delà le bien et le mal : prélude d’une philosophie de l’avenir, 10e éd., Livre de poche, 1991, voir IV, § 157. [↩]
- Loi n° 99‑477 du 7 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins palliatifs, JO du 10 juin 1999 p. 8487 ; désormais article L.1110‑9 du code de la santé publique. [↩]
- Loi n° 2002‑303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO du 5 mars 2002 p. 4118 ; article L.1110‑2 code de la santé publique. [↩]
- Alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article 16 du code civil ; CC, 27 juillet 1994, « Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal », n° 94‑343/344 DC ; CE Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Rec. p. 372. [↩]
- D. Sicard (dir.), Commission de réflexion sur la fin de vie en France, Rapport au président de la République, 18 février 2012 ; J. Leonetti, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2013. [↩]
- Loi n° 2005‑370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, op. cit. [↩]
- E. Alfandari, Ph. Pedrot, « La fin de vie et la loi du 22 avril 2005 », RDSS 2005 p. 751 ; J. Leonetti, Rapport au nom de la Mission d’information sur l’accompagnement et la fin de vie, n° 1708, déposé le 30 juin 2004. [↩]
- F. Vialla, « Fin de vie : poursuite du débat (citoyen) », JCP (G) 2014.40 ; « Démocratie (participative) et fin de vie : publication de l’ »avis citoyen » », D. 2014.22 ; V. proposition de loi n° 182 qui sera discutée au Sénat le 13 février 2014 ; voir toutefois les missions de l’Observatoire national de la fin de vie crée par décret n° 2010‑158 du 19 février 2010 témoignant sans doute d’une volonté de privilégier les pratiques d’accompagnement et non l’évolution vers des techniques d’assistance au suicide. [↩]
- C’est précisément ce que prévoit l’article 1er de la loi n° 2005‑370 du 22 avril 2005 qui autorise certes la suspension des soins lorsque les traitements deviennent inutiles, mais qui fait en même temps peser sur les médecins une obligation de « sauvegarder la dignité du mourant », notamment en lui offrant les secours des soins palliatifs ; articles L.1110‑ 5 al. 2 et L.1110‑10 du code de la santé publique. [↩]
- Académie nationale de médecine, Rapport sur l’affaire Lambert du 22 avril 2014. [↩]
- Articles 221‑1, 122‑4 du code penal et L.1110‑5 du code de la santé publique. [↩]
- Article R.4127‑37 du code de la santé publique. [↩]
- Articles L.1110‑1, L.1110‑2 et L.1110‑5 du code de la santé publique ; CAA Nantes, 30 juin 2010, Abdelhafid X. c. CH Nogent-le-Rotrou, n° 09NT02723 ; Cass. Civ. 1re, 16 mai 2006, RCA 2006, n° 7. [↩]
- Articles L.1110‑5 et L.1111‑10 du code de la santé publique. [↩]
- J. Léonetti, Rapport, au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2013, n° 970. [↩]
- Académie nationale de médecine, Rapport sur l’affaire Lambert du 22 avril 2014 ; Observations du Conseil national de l’Ordre des médecins en application de la demande avant dire droit de l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 14 février 2014. [↩]
- Articles L.1110‑9 et L.1110‑10 du code de la santé publique. [↩]
- Observations du Conseil national de l’Ordre des médecins en application de la demande avant dire droit de l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 14 février 2014. [↩]
- L. Cluzel-Métayer, « Le droit au consentement dans les lois des 2 janvier et 4 mars 2002 », RDSS 2012 p. 442 ; Article L.1111‑4 du code de la santé publique ; CE Ass., 14 février 2014, « Lambert I », n° 375081 ; TA Rennes, 18 juin 2012, Mme A. c. CHS Guillaune-Régnier, n° 1202373. [↩]
- Articles L.1111‑4 et L.1110‑10 du code de la santé publique. [↩]
- Article L.1111‑4 du code de la santé publique. [↩]
- Article 8 Conv. EDH ; Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02. [↩]
- Cour EDH, 29 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, op.cit. [↩]
- Cour EDH, 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, n° 31322/07 ; Cour EDH, 19 juillet 2012, Koch c. Allemagne, n° 497/09. [↩]
- Article L.521‑2 du code de justice administrative. [↩]
- Article 6 Conv. EDH. [↩]
- Académie nationale de médecine, Rapport sur l’affaire Lambert du 22 avril 2014 ; CCNE, Avis n° 63 sur « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », 27 janvier 2000. [↩]
- Cour EDH, 25 avril 2002, Pretty c. Royaume Uni, op. cit., § 61, note Ph. Malaurie Defrénois 2002 p. 1131 ; Cour EDH, 20 janvier 2011, Haas c. Suisse, n° 31322/07 ; Cour EDH, 19 juillet 2012, Koch c. Allemagne, n° 497/09 ; CE Ass., 14 février 2014, « Lambert I », n° 375081 ; Académie nationale de médecine, Rapport sur l’affaire Lambert du 22 avril 2014. [↩]
- Article L.1111‑4 du code de la santé publique al. 5. [↩]
- F. Savonitto, « Les recommandations de bonne pratique de la Haute autorité de santé », RFDA 2012 p. 471 ; CE, 12 janvier 2005, Kerkerian, n° 256001. [↩]
- Article L.1111‑9 du code de la santé publique ; J. Léonetti, Rapport, au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à renforcer les droits des patients en fin de vie, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 avril 2013, n° 970. [↩]
- Observations du Conseil national de l’Ordre des médecins en application de la demande avant dire droit de l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat du 14 février 2014. [↩]
- Articles L.1111‑11, R.1111‑19 et R.4127‑37 du code de la santé publique. [↩]
- Article L.1111-4 du code de la santé publique. [↩]
- Conseil d’Etat, Réflexions sur l’intérêt général, Rapport public, EDCE, n° 50 (1999), p. 245. [↩]
- Articles L.1111‑6 et L.1111‑12 du code de la santé publique. [↩]
- « La mort, en tant qu’elle est signifiée ou figurée, est une des données essentielles, ou plutôt existentielles, de la condition humaine, elle est intériorisée dès l’enfance, elle est agissante dans tout le cours de l’existence, on peut donc la considérer paradoxalement comme vitale, et comme un facteur de complexité » in M. Thévoz, L’esthétique du suicide, Collection « Paradoxe », 2003, p. 9-10. [↩]
- Article L.1111‑13 du code de la santé publique. [↩]
- TA Châlons-en-Champagne, 16 janvier 2014, M. Lambert, n° 1400029. [↩]
- Article L.1111‑6 du code de la santé publique. [↩]
- R. Schwartz, « conclusions sur Conseil d’Etat, 29 décembre 2000, Duffau », RDSS 2001 p. 282. [↩]
- J. Callewaert, « L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : une norme relativement absolue ou absolument relative », in Mélanges Eissen, Bruylant/ LGDJ, 1995, p. 13 et s. [↩]
- Article R.4127‑37 du code de la santé publique. [↩]
- F. Rome, « Peine de vie », D. 2014.137. [↩]
- Cour EDH, Grande Chambre, 18 janvier 2001, Chapman c. Royaume-Uni, n° 27238/95 ; D. Roman, « A corps défendant », D. 2007.1284 ; « Le respect de la volonté du malade : une obligation limitée ? », RDSS 2005 p. 423. [↩]
- Académie nationale de médecine, Rapport sur l’affaire Lambert du 22 avril 2014. [↩]
- CCNE, avis n° 120, Questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel, 25 avril 2013. [↩]
- Article R.4127‑37 et R.4127‑38 du code de la santé publique. [↩]
- J. Léonetti, proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 octobre 2004, n° 1882. [↩]
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