Les évolutions contemporaines de la jurisprudence multiplient les « grands arrêts » au risque d’introduire une certaine instabilité du droit et c’est la vénérable jurisprudence Entreprise Peyrot (TC, 8 juillet 1963, Société Entreprise Peyrot, Rec. p. 787) qui vient ainsi de disparaître des Grands arrêts de la jurisprudence administrative (M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé et B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, 19e éd., Dalloz, 2013, 1033 p.).
La société Autoroutes du Sud de la France (ASF) avait conclu avec Mme Rispal un contrat le 23 avril 1990 par lequel cette dernière s’engageait à concevoir une sculpture qui serait érigée sur une aire de l’autoroute A 89 dans l’hypothèse où ladite société en obtiendrait la concession. Bien qu’attributaire de cet ouvrage, en vertu d’un décret du 7 février 1992 (Décret du 7 février 1992 approuvant la convention passée entre l’État et la Société des autoroutes du Sud de la France pour la concession de la construction, de l’entretien et de l’exploitation d’autoroutes, JO p. 2128), ASF n’a pas souhaité faire réaliser cette œuvre d’art, dénommée « Les colosses arvernes », et en a informé sa cocontractante par un courrier du 7 juin 2005 en invoquant son incompatibilité avec le projet alternatif soutenu par le Conseil général de la Corrèze.
Mme Rispal a alors saisi le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de faire constater la résiliation de la convention et d’obtenir l’allocation de dommages et intérêts. Le juge de la mise en état va alors adopter une ordonnance écartant une exception d’incompétence (TGI Paris, ord., 12 janvier 2007, Rispal c. Autoroutes du Sud de la France, n° 06/10033) qui avait été auparavant opposée par ASF au motif que ce litige relevait du juge administratif. Cette société va alors porter le litige devant la Cour d’appel de Paris qui confirmera la solution du premier juge (CA Paris, 12 décembre 2007, Autoroutes du Sud de la France c. Rispal, n° 07/01731). En revanche, la Cour de cassation a cassé ce dernier arrêt en jugeant que les travaux en cause, accessoires à la réalisation d’une autoroute, relevaient des juridictions administratives (Cass. civ. 1ère, 17 février 2010, Autoroutes du Sud de la France c. Rispal, n° 08‑11.896, Bull. n° 43).
C’est alors que Mme Rispal saisit le Tribunal administratif de Paris. Toutefois, la demande de cette dernière y sera rejetée par jugement (TA Paris, 23 janvier 2013, Rispal c. Autoroutes du Sud de la France, n° 1109602/3-3) et la requérante en interjettera immédiatement appel auprès de la Cour administrative d’appel de Paris. Hélas, cette dernière va douter elle-même de sa propre compétence et, par un arrêt avant-dire droit du 23 octobre 2014 (CAA Paris, 23 octobre 2014, Rispal c. Autoroutes du Sud de la France, n° 13PA01105), va saisir par la voie préjudicielle le Tribunal des conflits de cette question en application de l’article 34 du décret du 26 octobre 1849.
Au regard de la jurisprudence classique du Tribunal des conflits l’objet semblait être clairement administratif : les travaux autoroutiers, même réalisés par une société privée concessionnaires, sont par nature des travaux publics réalisés pour le compte de l’État qui sont régis par le droit public (TC, 8 juillet 1963, Société Entreprise Peyrot, op. cit.) et la même solution est applicable aux travaux accessoires quand bien même un doute légitime pouvait être évoqué à ce titre.
Mais Mme Escaut, commissaire du Gouvernement, a cependant proposé au Tribunal des conflits de faire évoluer sa jurisprudence, pour l’avenir, et d’attribuer le jugement de l’espèce au juge judiciaire, le contrat litigieux ne portant pas, selon elle, sur une prestation accessoire à la construction autoroutière.
Cependant, le Tribunal ne suivra que partiellement ces propositions ; s’il est bien mis un terme à la jurisprudence Peyrot, à l’aide d’une modulation temporelle des effets du revirement opéré, le contentieux contractuel ici en cause a été attribué au juge administratif.
1°) La construction des autoroutes françaises a donné lieu à l’intervention du législateur qui, par une loi du 18 avril 1955 (Loi n° 55‑435 du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, JO p. 4023), en a défini le statut juridique et a prévu les moyens de leur réalisation eu égard aux moyens humains, matériels et juridiques requis (On trouve des textes similaires dans d’autres États comme le Federal Highway Act of 1956 aux États-Unis ou la Bundesfernstraßengesetz (BFStrG) du 6 août 1953 qui a permis, pour l’Allemagne, de prolonger les travaux entrepris avant guerre). Compte tenu de l’importance du réseau autoroutier pour l’État, celui-ci ne pouvait être réalisé qu’en vue de son incorporation à son domaine public (Article 2 de la loi du 18 avril 1955) sous son contrôle, et cela à l’image de la voirie nationale avant l’entrée en vigueur de l’article 18 de la loi n° 2004‑809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales qui en a transféré la plus grande part aux départements.
Toutefois, l’importance des travaux opérés et la charge financière induite, ont impliqué d’élaborer un régime spécial en permettant la concession de la construction puis l’exploitation de ces ouvrages auprès de sociétés d’économie mixte ayant la possibilité de faire acquitter par les futurs usagers des redevances à « titre temporaire » et exceptionnel (Article 4 de la loi du 18 avril 1955). Dans un premier temps, ce système a permis de rembourser les emprunts contractés puis, par la technique de l’« adossement », de financer le réseau autoroutier complémentaire. Il fut mis fin au recours à cette dernière technique de financement au regard des objections tant du Conseil d’État (CE, Assemblée générale, 16 septembre 1999, avis n° 362.908) que de la Cour des comptes (Cour des comptes, Rapport particulier sur la politique autoroutière française, 1999, 461 p.).
Néanmoins, les autoroutes auparavant concédées le demeurèrent et les sociétés autoroutières firent l’objet d’une privatisation d’abord partielle (Article 47 de la loi n° 96‑314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, JO p. 5707), avec introduction sur les marchés boursiers, puis totale qui fit même l’objet d’un contentieux devant le Conseil d’État (CE Sect., 27 septembre 2006, Bayrou et autres, obs. S. Ferrari cette revue <https://www.revuegeneraledudroit.eu/?p=158>).
Ces sociétés se trouvaient être, en réalité, un faux nez de l’État et agissaient telles des sociétés d’aménagements. Le recours à un tel procédé se justifiait pour permettre le paiement de redevances pour usage de la voirie à la charge des usagers (Cf. articles L.153‑1 et s. du code de la voirie routière) ce qui était prohibé depuis 1789 (Décret du 4 août 1789 ; loi du 30 juillet 1880 qui détermine le mode de rachat des concessions de ponts à péage, JO p. 8929) et qui a donné lieu à une consécration constitutionnelle au titre de la liberté d’aller et venir (CC, 12 juillet 1979, « Ponts à péages », n° 79‑109 DC).
C’est dans ce cadre que le Tribunal des conflits avait considéré que « la construction de routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l’État ; qu’elle est traditionnellement exécutée en régie directe ; que, par suite, les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour cette exécution sont soumis aux règles du droit public ; Considérant qu’il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour la construction d’autoroutes (…), sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l’État, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant (…) pour le compte de l’État, (…) nonobstant [l’éventuelle] qualité de personne morale de droit privé d’une telle société ; » (TC, 8 juillet 1963, Société Entreprise Peyrot, op. cit.). Ce faisant, la haute juridiction avait estimé que les travaux autoroutiers ne pouvaient être réalisés que pour le compte de l’État (Il est vrai que les rares ouvrages similaires envisagés alors qui ne l’étaient pas, étaient des ouvrages internationaux régis par des conventions ad hoc) et que, par voie de conséquence, il convenait d’unifier le régime juridique de tels travaux comme étant tous soumis au droit public, quand bien même c’est un concessionnaire, formellement de droit privé, qui était le cocontractant « administratif ».
Cette solution, de pure opportunité, présentait toutefois de sérieux inconvénients.
Pour le commissaire du Gouvernement Lasry, ceci se justifiait car l’État aurait conféré un mandat implicite aux concessionnaires (Cf. conclusions Lasry RDP 1963 p. 776), ce qui aurait été un fondement juridique solide au règlement de la question de compétence en ce sens, puisque ceux-ci auraient été réputés agir pour le compte de l’État. Le Tribunal des conflits n’a pas fait sienne cette solution mais a fondé la compétence administrative sur l’objet même du contrat : l’exécution de tels travaux ne peut être réalisée, eu égard à leur nature, que par l’État. Autrement dit, certains travaux ont une importance telle qu’ils ne peuvent être que le fait de l’État. On objectera que sous un angle technique, la maîtrise d’ouvrage privé peut parfaitement réaliser des projets similaires comme cela se pratique régulièrement à l’étranger y compris par des sociétés françaises.
Ensuite, le régime des contrats dépend de la nature des personnes qui en sont les parties et, le cas échéant, de son objet. La solution alors retenue par le Tribunal des conflits se situe donc en dehors de cette logique puisque seul l’objet du contrat est utile à la détermination de la compétence juridictionnelle.
Les contrats conclus entre personnes publiques sont normalement soumis au droit administratif (TC, 21 mars 1983, Union des assurances de Paris, Rec. p. 537), sauf dérogation législative spéciale, et hormis les contrats dont l’objet serait purement « commercial » (CE, 3 novembre 2003, Union des groupements d’achats public, Rec. p. 430).
Les contrats conclus entre personnes privées sont des contrats régis par le droit commun, sauf texte spécial (Cf. par exemple : article 88 de la loi n° 2010‑788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement JO p. 12905), sauf si l’une des personnes a agi pour le compte d’une personne publique (en vertu de la théorie du mandat) (TC, 12 novembre 1984, Société d’économie mixte du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, Rec. p. 666 ; CE Sect., 18 juin 1976, Culard, Rec. p. 320) ou que l’objet du contrat ne peut qu’être administratif par nature (ce qui n’était illustré que par la jurisprudence Peyrot qui se trouvait bien isolée).
Les contrats mixtes, conclus entre personnes publiques et personnes privées, sont régis par le droit commun (Y compris lorsque la personne publique a agi pour le compte d’une personne privée : cf. CE, 3 juin 2009, OPAC du Rhône du Rhône, Rec. p. 825)), sauf s’ils portent sur un objet qui relève du droit public (CE Sect., 20 avril 1956, Époux Bertin, Rec. p. 167) ou s’ils présentent une clause exorbitante qui ne serait admise qu’en droit administratif (CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, concl. L. Blum, Rec. p. 909).
Toutefois, on voit difficilement ce qui différenciait ab initio les relations juridiques de réalisation d’une opération de travail public pour le compte d’une société de droit privé suivant que les travaux soient autoroutiers ou non (Voir en ce sens : TC, 17 janvier 1972, SNCF c. Société Solon et Barrault, Rec. p. 944 ; CE Sect., 5 mai 1972, Société d’équipement de l’Indre c. Allain, Rec. p. 341). La solution rendue apparaissait donc fragile et isolée dès l’origine ce que la doctrine n’a pas hésité à critiquer (Ph. Terneyre, « Pourquoi les marchés de travaux des sociétés concessionnaires d’autoroutes conclu avec des entreprises privées devraient-ils relever « par nature » de la compétence de la juridiction administrative ? », RJEP 2011, comm. n° 29), seules des considérations d’opportunité la justifiait.
2°) L’évolution réalisée par la décision Rispal est à cet égard utile et pertinente.
Désormais, les contrats conclus entre personnes privés sont de droit privé, même lorsqu’ils portent sur « la construction, l’exploitation ou l’entretien » d’une autoroute. Ceci est intrinsèquement une bonne solution sur le plan juridique et en pratique.
En effet, l’exception induite par le Tribunal des conflits en 1963 n’a été que très modérément étendue au delà des sociétés de pur droit privé, ayant la qualité de concessionnaire autoroutier (CE Sect., 3 mars 1989, Société des autoroutes de la Région Rhône-Alpes, Rec. p. 69), puisque seules les sociétés chargées de la réalisation d’ouvrages exceptionnels (tunnels routiers et ponts) ayant des caractéristiques de maillage similaires à celles des autoroutes pouvaient en bénéficier (CA Paris, 2 décembre 1964, Société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc, obs. J.‑M. Auby JCP (G) 1965.II.14357 ; CE, 24 avril 1968, Société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont Blanc, Rec. p. 256).
Néanmoins, la jurisprudence avait peu à peu inclus dans cette exception, les travaux accessoires à la construction d’une autoroute soit en raison d’un lien fonctionnel (TC, 4 novembre 1966, Espinosa c. Société Escota, Rec. p. 553 ; CE, 23 décembre 2011, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, Rec. p. 1001), soit en raison d’une connexité physique (CE, 12 janvier 2011, Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, Rec. T. p. 844) ce qui n’est qu’une illustration du caractère « attractif » de la notion de travail public (Cass. civ. 1ère, 12 février 1923, S. 1923.I.104 ; TC, 30 juin 1930, Boyer et Jullian, Rec. p. 673). Un telle solution pouvait être transposée à l’ensemble des réalisations accessoires comme l’avait d’ailleurs jugé la Cour de cassation dans l’espèce Rispal (Cass. civ. 1ère, 17 février 2010, Autoroutes du Sud de la France c. Rispal, op. cit.).
Mais dans une décision récente (TC, 9 juillet 2012, Compagnie générale des eaux, Rec. T. p. 653), le juge des conflits avait estimé qu’en principe un concessionnaire était, dans ses relations avec des tiers n’ayant pas la qualité d’usagers, censé agir pour son propre compte et non pour celui de l’autorité concédante ; or cela prenait le contre-pied de la jurisprudence Peyrot.
Dès lors, maintenir cette exception jurisprudentielle aux règles de répartition des compétences entre les contrats soumis au droit privé et ceux soumis au droit administratif, ne pouvait se justifier que pour des motifs d’intérêt général ou procédural.
L’État a privatisé les sociétés concessionnaires d’autoroutes ; celles-ci voient leurs relations avec l’État régies par l’acte de concession, le contrôle direct se trouve donc très largement amoindri. De plus, la voirie nationale de 1963 et celle de 2015 ne sauraient être comparés : la décentralisation, et le transfert de l’essentiel du réseau national aux départements en 2004, a réduit celui-ci à sa portion congrue (Décret n° 2005‑1499 du 5 décembre 2005 relatif à la consistance du réseau routier national, JO p. 18807). Autrement dit, le rôle central de l’État en la matière a changé. Il n’y avait donc plus d’obstacle à un retour des contrats conclus entre les sociétés d’autoroute et les entrepreneurs vers le droit privé comme cela avait été le cas auparavant (Cf. la solution antérieure : CE, 20 décembre 1961, Société de l’autoroute Esterel Côte-d’Azur, Rec. p. 724).
L’évolution du droit de la commande publique, sous les auspices du droit européen, a également introduit pour les contrats ainsi souscrits par des entrepreneurs auprès des concessionnaires, des voies de recours ad hoc au titre du droit de la concurrence (Article 33 de l’ordonnance n° 2005‑649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, JO p. 10014) ; il n’y avait donc nulle obligation internationale qui ferait obstacle à un tel retour.
En réalité, comme la solution Peyrot ne se justifiait qu’en pure opportunité, c’est de manière similaire qu’elle disparaît.
Mais, si en 1963 la sécurité juridique n’était pas vraiment une préoccupation première du juge des conflits, le revirement opéré en 2015 prend directement en compte cela.
Le caractère soudain de ce retour à la solution d’origine aurait pu mettre en difficulté les parties à des contrats en cours dont les modalités de passation et les clauses ont été adoptées suivant les préceptes du droit public. En effet, la présence d’une clause illicite en droit privé peut conduire le juge à procéder à une requalification en contrat de droit public (CE, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, op. cit. ; CE Sect., 20 octobre 1950, Stein, Rec. p. 505) lorsque cela est possible. Or, lorsqu’un contrat est souscrit entre personnes privées, une telle requalification est impossible en l’absence de disposition législative spéciale.
Toutefois, au cas présent, la jurisprudence administrative veillant au maintien des prérogatives de contrôle et de sanction de l’administration dans de tels contrats, de telles clauses peuvent ne pas être prévues et la qualification rétroactive qui aurait été alors apportée serait de nature à bouleverser l’économie générale du contrat et leurs modalités d’exécution.
C’est ainsi que le Tribunal des conflits va, pour la première fois de manière prétorienne (Il avait déjà admis ce principe en ce qui concerne les effets d’une loi nouvelle sur les contrats : cf. TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance c. Mutuelle des architectes français), mettre en œuvre la modulation dans le temps des effets de son revirement. La Cour de cassation (Cass. Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00‑20.493) et le Conseil d’État (CE Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic travaux signalisation, Rec. p. 360) avaient déjà procédé à de telles modulations dans le temps pour d’importantes décisions (B. Seiller (dir), La rétroactivité des décisions du juge administratif, Economica, 2007, 192 p.).
Pour ce faire, le Tribunal des conflits va considérer que le cadre juridique contractuel doit normalement s’apprécier à la date à laquelle le contrat est conclu suivant ainsi sa jurisprudence antérieure (TC, 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance, Rec. p. 639).
Une telle solution ne peut qu’être très largement approuvée tant elle est respectueuse de la sécurité juridique et de la situation des tiers. On se souvient, en effet, que la jurisprudence Berkani (TC, 25 mars 1996, Berkani, concl. Martin Rec. p. 535) avait ainsi permis, en matière de contrat de travail des agents des services publics administratifs, d’appliquer aux situations individuelles antérieurement régies par le droit privé, les règles du droit administratif. Or ce dernier ne connaissait alors ni droit à transformation automatique de contrats de travail successifs en contrat unique à durée indéterminée, ni même possibilité de conclure directement un tel contrat ce qui avait mis à mal de multiples situations individuelles qui semblaient acquises et consolidées.
Ainsi, la nouvelle règle de répartition des compétences désormais consacrée ne pouvait être mise en œuvre dans le cadre de l’espèce ici en cause sauf à induire une requalification conséquente de tous les contrats similaires ; le Tribunal des conflits va ainsi de manière prétorienne n’appliquer la nouvelle jurisprudence qu’aux contrats postérieurs au 9 mars 2015.
Par conséquence, c’est à l’aune des principes de la jurisprudence Peyrot que la qualification du contrat en litige se devait être appréciée.
Le commissaire du Gouvernement, qui n’a pas été suivi sur ce point, a proposé de qualifier ce contrat de droit privé dans la mesure où l’œuvre d’art qui devait être réalisée n’est ni utile, ni indispensable au fonctionnement de l’ouvrage autoroutier et ne pouvait donc être qualifiée de construction accessoire à l’ouvrage routier.
Le Tribunal des conflits, mettant en œuvre la théorie de l’accessoire géographique (CE, 12 janvier 2011, Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France, op. cit.) apprécié au regard des obligations de réalisation d’équipements culturels imposées par l’autorité administrative (Arrêté du 18 juin 1980 et circulaire d’application du 7 mai 1982), confirmera ainsi la solution rendue par la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 17 février 2010, Autoroutes du Sud de la France c. Rispal, op. cit.) au profit de la compétence administrative marquant, par là même, l’ultime extension de la jurisprudence Peyrot avant que celle-ci n’entre au Panthéon des « grands arrêts » (J.‑L. Autin, « Les grands arrêts disparus », Actes du colloque de l’AFDA, RFDA 2007 p. 242).