La conquête du pouvoir politique a toujours comporté une « part d’ombre » d’importance variable suivant les régimes et les époques. Dans le cadre d’une démocratie moderne, pluraliste et transparente, celle-ci se doit d’être réduite quand bien même elle ne saurait être totalement exclue.
Mme A., journaliste, et la société éditrice de Médiapart, éditeur d’un journal online, ont sollicité de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politique (CNCCFP), la communication de multiples documents ayant trait à la campagne de M. Nicolas Sarkozy en vue de l’élection présidentielle de 2007.
En l’absence de toute réponse de cette autorité administrative indépendante (Loi n° 90‑55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques ; Ordonnance n° 2003‑1165 du 8 décembre 2003 portant simplifications administratives en matière électorale), ceux-ci ont saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande d’avis sur la communicabilité des pièces litigieuses conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 (Loi n° 78‑753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal).
Par deux avis des 7 juin 2012 (CADA, avis, n° 20122140) et 11 avril 2013 (CADA, avis, n° 20131038), la CADA va estimer qu’il devait être fait droit partiellement à cette demande mais qu’il était requis d’occulter certaines mentions relatives à l’identité de personnes tierces qui avaient la qualité de salariés du candidat ou de donateurs.
Le président de la CNCCFP va alors prendre une décision formelle de refus de communication, confirmant ainsi sa précédente décision tacite, qui sera soumise à la censure du Tribunal administratif de Paris.
Ce dernier va alors, dans un premier temps, adopter un jugement avant-dire droit (TA Paris, 31 janvier 2014, Mme A. et société éditrice de Médiapart, n° 12‑16457) aux termes duquel il a ordonné à la CNCCFP la communication des documents litigieux à son profit afin de pouvoir statuer sur le caractère diffusable des documents litigieux (Sur cette possibilité : CE Sect., 23 décembre 1988, Banque de France, Rec. p. 464).
Puis, dans un second temps, après production de ces pièces, le tribunal va annuler partiellement, par un second jugement (TA Paris, 3 juin 2014, Mme A. et société éditrice de Médiapart, n° 12‑16457), la décision du président de la CNCCFP en tant qu’elle portait sur des documents non confidentiels.
La CNCCFP va alors se pourvoir devant le Conseil d’État, un tel litige étant désormais jugé en premier et dernier ressort par les tribunaux administratifs (Les litiges relatifs à la communication de documents administratifs sont jugés en dernier ressort depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2003‑730 du 13 août 2013).
Si, sur le fond, la question du caractère partiellement communicable dans son principe de tels documents soulevait moins de difficultés, ce n’était que sous la réserve que la loi du 17 juillet 1978 soit bien applicable. Or, cette question préalable était ici essentielle et particulièrement complexe et justifiait, à elle seule, l’examen de cette affaire par l’Assemblée du contentieux au regard de la question de principe ainsi soulevée.
En effet, l’élection présidentielle est normalement régie par la loi organique prévue par l’article 6 de la Constitution du 4 octobre 1958 (Loi référendaire n° 62‑1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel) et se posait la problématique de savoir si la loi de 1978 était applicable en l’absence de dispositions organiques contraires ou si cette absence faisait obstacle à toute obligation de communication.
Le Conseil d’État suivra l’esprit de la loi de 1978 pour trancher l’ensemble de ces points de droit en retenant que celle-ci pose un cadre général applicable au régime de la communication des actes administratifs (Article 7 de la loi) pour l’ensemble des autorités publiques. Or, le législateur en qualifiant expressément la CNCCFP d’« autorité administrative indépendante » (Cf. ordonnance du 8 décembre 2003 précitée) n’a pas, en l’absence de dispositions spéciales (C’est le cas, par exemple, pour les assemblées parlementaires ou pour le Conseil d’État), entendu faire obstacle à l’application de cette loi. Toutefois, il était également requis d’en déterminer les modalités pratiques d’application.
1°) La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques constitue une autorité administrative bien que sa composition et ses procédures la rapproche d’une juridiction ce qu’elle n’est pourtant pas (CC, 31 juillet 1991, AN Paris 13e circ., n° 91‑1141 à 1144 AN).
Sur un plan organique, cette autorité administrative, qui n’était pas qualifiée d’« indépendante » à l’origine (Loi n° 90‑55 du 15 janvier 1990), s’est vue reconnaître cette qualité de la volonté expresse du législateur en 2003 (Article 7 de l’ordonnance n° 2003‑1165 du 8 décembre 2003).
Sa composition de 9 membres garantit son indépendance bien que leur nomination s’opère par décret (Formellement, la nomination des membres du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature s’opère par « décision » alors qu’il s’agit de décrets pour le Conseil supérieur des chambres régionales des comptes et le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel lorsque le Président de la République ou le Premier ministre sont compétents). En effet, celle-ci résulte d’une proposition exclusive des présidents de hautes juridictions (Le vice-président du Conseil d’État, le Premier président de la Cour de cassation et le Premier président de la Cour des comptes) parmi leurs membres en activité ou honoraires (trois membres du Conseil d’État, trois membres de la Cour de cassation et trois membres de la Cour des comptes) et après consultation des présidents des formations internes de ces organes juridictionnels (Le bureau, en ce qui concerne le Conseil d’État, et les présidents de chambre pour la Cour de cassation et la Cour des comptes). A l’image du Conseil constitutionnel (Article 36 de l’ordonnance organique n° 58‑1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel), la Commission est assistée de rapporteurs adjoints.
La Commission est destinataire de l’intégralité des comptes de campagne pour les élections politiques (Les élections administratives et indirectes ne sont pas concernées par la législation relative aux comptes de campagne) et se doit de contrôler ceux-ci. La procédure suivie est contradictoire (CE Sect., 2 octobre 1996, Élections municipales d’Annemasse, Rec. p. 366), bien qu’inquisitoriale, ce qui tend à la rapprocher son fonctionnement de celui des juridictions administratives et non d’une « simple » administration (Le principe du contradictoire (CE, 5 mai 1944, Veuve Trompier-Gravier) ne s’impose pas forcément tout au long d’une procédure administrative alors que la CNCCFP interagit avec les candidats et élus).
Dans ce cadre, elle peut approuver, sans réserve, un compte de campagne, réformer celui-ci ou le rejeter. En ces derniers cas, elle peut saisir le juge de l’élection (juge administratif ou Conseil constitutionnel suivant le cas) aux fins de voir prononcer l’inéligibilité de l’élu ayant méconnu la législation relative aux comptes de campagnes et au financement de la vie politique lorsque le manquement n’est pas de « bonne foi » (Articles L.52‑15 et L.118‑3 du code électoral).
On notera, qu’hormis les personnalités qualifiées, sa composition est similaire à celle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (Article 19 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) ou de la Commission des infractions fiscales (Article 2 du décret n° 2014‑1636 du 26 décembre 2014 relatif à la composition et au fonctionnement de la commission des infractions fiscales) qui se rapproche ainsi du « modèle » français d’autorité collégiale indépendante.
A partir du moment où la commission était qualifiée d’organe administratif, ses décisions revêtent logiquement la même nature, et les dispositions de la loi de 1978 lui étaient pleinement applicables et seul un texte spécial aurait pu faire obstacle à cette position de principe.
Néanmoins, en ce qui concerne les élections politiques nationales, c’est le Conseil constitutionnel qui se trouve être le juge de l’élection ce qui aurait pu justifier une solution différente. La contestation des comptes de campagne doit relever de la même juridiction que l’élection elle-même pour d’évidentes raison de connexité (Article L.52‑15 du code électoral ; CE, 1er avril 2005, Le Pen, Rec. p. 136) et, au cas présent, le contentieux de l’élection présidentielle relève normalement des sages de l’aile Montpensier du Palais Royal.
Toutefois, le Conseil d’État va ici analyser que la contestation de la communicabilité de tels documents et actes administratifs était détachable des opérations électorales. Par suite, rien ne faisait obstacle à la compétence administrative comme cela est déjà pratiqué, en la matière, à l’égard des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public (CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun, Rec. p. 220) : la mission est nécessairement administrative au regard de sa finalité.
La question n’était pour autant pas intégralement réglée par le seul règlement de la question de la compétence juridictionnelle qui était conditionnée à l’administrativité du litige.
2°) En effet, sur le fond, l’article 6 de la loi de 1978 prévoit que, par exception, le droit d’accès général aux documents administratifs qu’elle instaure ne s’applique par à certains documents en raison de leur forme (documents n’étant pas de nature administrative, avis des juridictions administratives), de leur auteur (Assemblées parlementaires, dossiers d’accréditations des établissements de santé) ou de leur contenu (secrets protégés par la loi, ordre public, etc.).
C’est donc un véritable vademecum que le Conseil d’État va dresser à l’égard des administrés, des partis politiques et de la Commission nationale des comptes de campagnes quant à l’accès à l’entier dossier constitué dans ce cadre.
En premier lieu, et suivant ici la solution de droit commun, seuls les documents « achevés » sont communicables sur le fondement de la loi de 1978 (Article 2 de la loi du 17 juillet 1978). Par voie de conséquence, les actes préparatoires, y compris des demandes adressées à un administré et leurs réponses (CE, 6 avril 2001, Ministre de l’Équipement, n° 215.070), ne peuvent être communiqués qu’après que la Commission ait approuvé, réformé ou rejetés lesdits comptes. Il n’est donc pas possible d’en obtenir communication à un stade antérieur, hormis pour le candidat lui-même, mais cela résulte de la procédure prévue par le code électoral (Article L.52‑15 du code électoral) et non de la loi du 17 juillet 1978 ou de celle du 12 avril 2000 (Article 24 de la loi n° 2000‑321 du 12 avril 2000).
Toutefois, rien n’interdit à la CNCCFP, ou au candidat, de les fournir volontairement mais il n’y sont cependant jamais tenus (CE, 24 juillet 1981, Cadon, Rec. p. 326) et la commission a pour pratique de ne jamais le faire si elle n’y est pas contrainte.
De plus, le recours aux juge de l’élection en la matière impliquant nécessairement l’utilisation de l’ensemble des documents préparatoires, le Conseil d’État diffère le moment où l’entier dossier devient communicable à la lecture de la décision du Conseil constitutionnel ou à l’expiration du délai de recours. Une telle communication prématurée pourrait compromettre le déroulement de la procédure juridictionnelle. On relèvera que cette solution est parfaitement transposable aux élections locales en y substituant le juge administratif au juge constitutionnel.
Ceci s’explique car les actes d’instruction de la commission ne préjugent nullement de la décision finale et qu’ils peuvent en outre porter sur des éléments fragmentaires. Leur exploitation politique ou journalistique est possible mais il est requis de pouvoir les mettre en perspective au regard de l’ensemble du dossier.
En deuxième lieu, si la communication de la décision de la commission nationale des comptes de campagne est possible lorsque celle-ci est adoptée (CADA, conseil, 19 mars 1992, n° 1992‑669), et ne soulève alors que peu de difficultés, la solution est différente pour les autres documents préparatoires et cela constitue l’autre point délicat du litige soumis au Conseil d’État (La CADA estime de tels documents communicables par son conseil du 19 mars 1992 qui est ici formellement consacré).
En effet, la loi de 1978 prévoit qu’il n’est pas possible à des tiers, y compris à des journalistes, d’accéder aux documents administratifs comportant des mentions relatives au comportement d’une personne lorsque cela pourrait lui porter préjudice. Or, parmi les mentions portées dans certains documents se trouve la liste nominative des personnes ayant apportés une importante contribution à la campagne de M. Sarkozy avec leur domiciliation complète.
Le Tribunal administratif de Paris avait enjoint la communication de ce document en en occultant l’identité de ces personnes (Sur cette possibilité : article 6 III de la loi de 1978) et le Conseil d’État a confirmé cette nécessité lorsque les mentions et documents sont divisibles.
Enfin, en troisième et dernier lieu, lorsque, par exception à la règle générale de libre accès, tempérée par la possibilité de biffage de mentions protégées, un document ne peut être communiqué celui-ci doit demeurer confidentiel. Ceci ne concernait ici que certains documents liés à des salariés employés dans le cadre de la campagne électorale de 2007.
Ainsi, l’exigence de transparence qui sied à une démocratie peut être garantie mais il convient de s’interroger sur les limites réelles de l’exercice. En effet, s’il est normal que les journalistes puissent vérifier les pratiques de tel ou tel candidat, il ne faut pas oublier que le combat pour la conquête du pouvoir est d’abord politique. Les abus commis en la matière par le passé, et amnistiés par le législateur en 1988 (Article 2 de la loi n° 88‑227 du 21 juillet 1988 portant amnistie), résultaient d’une absence de cadre normatif et de pratiques peu « éthiques » ; il ne faudrait pas que l’exigence généralisée de transparence implique un caractère peu sincère et artificiel des comptes au risque d’imposer leur réformation systématique par la CNCCFP dont ce n’est pas le rôle. Le financement par l’État de la vie publique implique un contrôle des partis et campagnes par celui-ci mais non une tutelle. C’est en réalité un nouvel équilibre qui doit être recherché, entre « part d’ombre » et transparence, le Conseil d’État y a contribué… en attendant que la presse et les partis politiques y contribuent également.