Par son arrêt SASP Red Star FC en date du 3 février 2016, le Conseil d’Etat a considéré qu’une fédération sportive dispose du pouvoir de réformer les décisions d’une ligue professionnelle qu’elle a créée, dès lors que ces décisions seraient contraires aux statuts de la fédération ou porteraient atteinte aux intérêts généraux dont elle a la charge (CE, 3 février 2016, SASP Red Star et autres, requête numéro 391929. Concl. Domino, AJDA, n°14, 25 avril 2016, p.802).
En l’espèce, par délibération en date du 21 mai 2015, le conseil d’administration de la Ligue professionnelle de football (LFP) avait décidé de modifier son règlement des compétitions pour limiter à deux, contre trois antérieurement, le nombre de relégations et d’accessions entre les compétitions de Ligue 1, plus haut niveau professionnel, et de Ligue 2 à partir de la saison 2015/2016. Il émet également le vœu d’une telle modification pour les accessions et les relégations entre les niveaux de Ligue 2 et de National.
Saisi par voie de référé-suspension par le Red Star, club évoluant en Ligue 2 et possiblement visé par cette réforme, le Conseil d’Etat avait rejeté le référé pour défaut d’urgence (CE, Ord., 14 août 2015, SASP Red Star FC, requête numéro 391931) en considérant que la condition d’urgence n’était pas remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il s’était fondé sur un raisonnement analogue à celui de l’arrêt Confédération nationale des radios libres (CE, Ord., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, requête numéro 228815. Concl. Touvet), raisonnement qu’il avait également appliqué à la chose sportive avec le Sporting club de Bastia, à propos d’une décision de la LFP d’infliger un retrait de points au classement (CE, 15 octobre 2008, Fédération française de football c/ Sporting club de Bastia, requête numéro 316312. Concl. Lenica).
Une telle immixtion du juge administratif dans le domaine sportif, notamment sur l’organisation des compétitions sportives n’est cependant pas chose rare. Par une décision de principe, le juge administratif s’est reconnu compétent pour statuer sur les litiges issus de l’organisation des compétitions sportives (CE, Sect., 22 novembre 1974, Fédération des industries françaises d’articles de sport, dit FIFAS, requête numéro 89828. Concl. Théry), étendant progressivement le champ des actes contrôlés et son degré de contrôle au fil de sa jurisprudence. Le recours désormais systématique au juge démontre la judiciarisation accrue du football. Pour autant, cette ardeur contentieuse trouve son explication dans les enjeux économiques inhérents à un club. Il convient de rappeler qu’une qualification en Ligue des champions permet d’obtenir 12 millions d’euros pour le seul fait d’y participer sans compter le produit financier de la billetterie et des droits télévisuels, tandis que le maintien en Ligue 1 engendre a minima une recette de 12 millions d’euros au regard de la seule répartition des droits télévisuels.
Le Conseil d’Etat ne développe pas de nouvelles pratiques mais confirme au regard des types de contentieux soulevés qu’il ne fait que reproduire son rôle joué dans la société civile au microcosme footballistique.
Au-delà de la problématique topique des conditions d’accession et de relégation, il est constaté une judiciarisation (DE SILVA, (I.), « La judiciarisation du football », Pouvoirs, n°101, avril 2002, p.105) accrue du football tant dans le cadre de l’organisation des instances sportives (I), qu’envers les sanctions prononcées à l’encontre des clubs de football professionnel (II).
I – Le Conseil d’Etat arbitre de paix de l’organisation des compétitions
Dans son arrêt du 3 février 2016, le Conseil d’Etat considère que le comité exécutif de la Fédération française de football n’excède pas ses pouvoirs en décidant de réformer la décision de la LFP modifiant le règlement des compétitions professionnelles, au motif d’une atteinte à l’intérêt supérieur du football.
Le Conseil d’Etat rappelle dans son considérant 10 « qu’il incombe à chaque fédération délégataire d’exercer cette mission, en mettant en œuvre les prérogatives de puissance publique qui lui ont été conférées pour son accomplissement, soit en définissant elle-même les règles relatives à l’organisation des compétitions pour la discipline sportive pour laquelle elle a reçu délégation, soit, dans le cas où elle a créé, en vertu de l’article L.132-1 du code du sport, une ligue professionnelle pour la représentation, la gestion et la coordination des activités sportives à caractère professionnel, en s’assurant que la ligue professionnelle fait usage des prérogatives qui lui sont subdéléguées, en vertu de l’article R.132-12, pour fixer les règles, régissant les compétitions qu’elle organise dans le respect de celles fixées par les statuts de la fédération et conformément à l’intérêt général de la discipline ». Or, ces conditions sont définies à l’article 5 de la convention entre la FFF et la LFP. Ainsi, en mettant en exergue l’intérêt supérieur du football, le Conseil d’Etat écarte l’argumentation de la Ligue et des clubs de Ligue 1 selon laquelle cette disposition conventionnelle serait contraire à l’article R.132-15 du Code du sport. En effet, ce dernier ne trouve son application que dans la contrariété aux statuts et règlements, et non pas à l’intérêt supérieur du football ou l’intérêt général de la fédération.
De plus, la Haute Juridiction confirme, qu’en vertu des articles L.131-1 et R.132-1 du Code du sport, les ligues ne sont pas directement titulaires des prérogatives de puissance publique déléguées par l’Etat aux fédérations (CE, Sect., 19 décembre 1980, Hechter, requête numéro 11320. Concl. Genevois. Rec. Lebon p.488). Elles ne sont que subdélégataires et se voient simplement confier une mission d’organisation d’un service public (CE, 9 juillet 2015, Football club des Girondins de Bordeaux, requête numéro 375542. Concl. Bourgeois-Machureau) comme l’avait affirmé le Conseil d’Etat en jugeant irrégulière et illicite la transaction par laquelle la LFP s’était engagée, en janvier 2014, à modifier son règlement pour permettre à l’AS Monaco de continuer à participer aux championnats professionnels sans être contrainte d’établir son siège sur le territoire français.
Au cours des années 1990, de nombreuses affaires éclatèrent au sujet de déficit budgétaires et de situations financières très dégradées de certains clubs professionnels malgré l’apport conséquent de deniers publics. La situation du club de football des Girondins de Bordeaux a été la plus médiatiquement exposée en raison de sa notoriété et de l’impact des dérives du football moderne, le club cumulant 300 millions de francs de déficit. A cette époque, l’équipe de Bordeaux fut rétrogradée en deuxième division au terme de la saison 1990/1991 en raison de ce déficit. Le juge administratif eut donc à se prononcer sur la nature des actes des fédérations sportives (CE, Sect., 15 mai 1991, Association Girondins de Bordeaux football club, requête numéro 124067. Rec. Lebon p.179. Concl. Pochard, AJDA, n°10, 20 octobre 1991, p.724). Il a considéré que la disposition du règlement de la ligue de football, prévoyant la relégation d’un club de football en division inférieure en cas de dépôt de bilan, n’était pas contraire au « principe du libre accès aux activités sportives à tous les niveaux » (CE, Sect., 16 mars 1984, Broadie, requête numéro 50878. Concl. Genevois. Rec. Lebon p.118). Dès lors, le Conseil d’Etat a admis qu’il était légitime pour une instance sportive de prévenir le risque résultant de la faillite d’un club en cours de saison afin d’assurer le bon déroulement des compétitions professionnelles.
Si le Conseil d’Etat a confirmé la sanction de rétrograder le club en division inférieure, il ne s’agissait pas pour autant de statuer sur le droit de participer à une compétition au regard du mérite sportif comme dans l’affaire Luzenac. Par une première ordonnance, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse avait décidé de suspendre l’exécution de la décision du 2 juillet 2014 de la commission d’appel de la direction nationale du contrôle de gestion de la Fédération française de football interdisant, pour des motifs d’ordre financier, l’accession du club de Luzenac au championnat de France de Ligue 2 (TA, Ord., 27 août 2014, SASP Luzenac Ariège Pyrénées, requête numéro 1403986). Cependant, par une seconde ordonnance, le juge des référés a refusé d’autoriser le club de Luzenac à participer au championnat de France de Ligue 2 en raison notamment de l’absence de démonstration de la jouissance effective d’installations sportives durant la compétition conformément à l’article 118 du règlement administratif de la Ligue de football professionnel (TA, Ord., 4 septembre 2014, SASP Luzenac Ariège Pyrénées, requête numéro 1404117. Voir en matière de stade, TESSIER (E.), Le stade en droit public, thèse, 2015, L’Harmattan).
Cette judiciarisation du football, lorsque le classement final était en jeu, avait trouvé son paroxysme dans l’affaire des faux-passeports à l’issue de la saison sportive 2000-2001. La contestation contentieuse posait principalement la question de savoir quelles conséquences devaient être tirées de la fraude commise par certains joueurs pour obtenir une licence de joueur communautaire sur les résultats du championnat (CE, 25 juin 2001, SASP Toulouse Football Club, requête numéro 234363. Concl. de Silva).
L’intervention du juge administratif dans la chose sportive se manifeste également dans le contrôle des sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des sportifs et des clubs (II).
II – L’encadrement disciplinaire des instances sportives
Le Conseil d’Etat a fixé les règles du contentieux sportif français en affirmant que le juge administratif ne doit pas être saisi avant l’épuisement des voies de recours de la justice sportive (CE, Sect., 13 juin 1984, Association hand-ball club de Cysoing, requête numéro 42454. Concl. Denoix de Saint-Marc. Rec. Lebon, p.217). Cette règle est de portée générale pour tous les recours exercés contre les décisions fédérales, quel que soit leur objet (CE, 3 avril 1987, Ligue Languedoc-Roussillon et Ligue Midi-Pyrénées de course d’orientation, requête numéro 80239. Concl. Vigouroux. Rec. Lebon, p.916). Ces principes dégagés correspondent pleinement à la volonté du mouvement sportif de développer la justice sportive interne. La diversité des litiges sportifs soumis au juge administratif démontre dans quelle mesure le sport, devenu service public par l’arrêt FIFAS, s’est ancré dans l’organisation juridictionnelle.
La typologie des recours exercés devant le juge administratif est variée. Ainsi, sans réaliser un inventaire à la Prévert, la juridiction administrative est compétente pour connaître des recours en annulation exercés contre les actes administratifs des fédérations délégataires édictés dans le cadre de leur mission d’organisation des manifestations sportives. Si, nous l’avons souligné, un recours en excès de pouvoir peut être dirigé contre un règlement fédéral (Article L.311-1 2° du Code de justice administrative ; CE, Sect., 15 mai 1991, Association Girondins de Bordeaux football club), un tel recours peut également être exercé contre une décision individuelle, notamment en matière disciplinaire (CE, 11 mai 1984, Peybeyre, requête numéro 36592. Concl. Genevois. Rec. Lebon, p.755).
A cet égard, le Conseil d’Etat a été amené à statuer sur la suspension de l’exécution de la sanction disciplinaire prononcée par la FFF à l’encontre de Leonardo de Araujo, directeur sportif du PSG (CE, 28 octobre 2014, Fédération française de football c/ Leonardo, requête numéro 373051. Concl. Bourgeois-Machureau). En l’espèce, la FFF l’avait suspendu pour des faits contraires à l’éthique sportive. Toutefois, confirmant l’ordonnance du juge des référés, le Conseil d’Etat considérait qu’en vertu l’article L.131-14 du Code du sport une fédération sportive agréée n’était habilitée à prononcer une sanction disciplinaire qu’à l’encontre des personnes ayant la qualité de licencié de la fédération à la date de la décision de l’organe disciplinaire compétent. Outre les décisions individuelles, le recours peut viser une décision non-individuelle telle que la décision d’homologation des résultats des championnats (TA, Ord., 4 septembre 2014, SASP Luzenac Ariège Pyrénées ; CE, 25 juin 2001, SASP Toulouse Football Club).
En matière d’annulation des actes unilatéraux, le contrôle de légalité opéré par le juge oscille entre un contrôle restreint et un contrôle normal. S’il veille au respect des principes qui s’imposent aux fédérations délégataires, il tient compte également de la spécificité sportive. Dans ses conclusions sur l’arrêt SASP Red Star, le rapporteur public s’interroge sur la nature du contrôle des motifs en raison du pouvoir de tutelle de la fédération. Pour autant, il estime que le Conseil d’Etat doit appliquer un contrôle normal en raison du cadre légal sur lequel se fonde la fédération. Certes celui-ci s’avère explicite, toutefois un contrôle restreint aurait pu s’appliquer. En effet, il appert que la modification des règles d’accession et de relégation alors même que le championnat avait débuté aurait relevé de l’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’équité sportive et des enjeux économiques.
In fine, au regard des enjeux économiques toujours plus prégnants, il apparaît une judiciarisation accrue du football qui n’est que le reflet de la société, contraignant le juge administratif à reproduire son rôle à la chose sportive. Nonobstant l’organisation des compétitions sportives, ou les sanctions infligées, les contentieux liés au football se développent dans d’autres domaines. La tenue de l’Euro 2016 pourrait en être le parfait exemple sur des questions sécuritaires ou économiques avec l’instauration de « Fan zone » sur le domaine public.
En tout état de cause, l’accroissement permanent des enjeux financiers liés au monde du football ne devrait pas avoir pour effet de réduire l’immixtion du juge administratif dans le domaine sportif, bien au contraire.
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