Section Première : Le développement historique du droit administratif
§ 5 L’Etat sous le régime du droit (Rechtsstaat)
[64] Le régime de la police remplit la période de transition entre l’ancien droit et l’état de choses que nous offre le temps présent. C’était une école sévère pour nous préparer à l’Etat moderne. Ce dernier ne peut pas renier ses origines : les idées qu’il en a reçues, il ne les efface pas, il ne les écarte pas, il les développe.
Les grands principes qu’on était parvenu à dégager sont, d’une part, la souveraineté absolue de l’Etat, — d’autre part, la soumission d’une certaine sphère d’activité de l’Etat au droit civil et à la juridiction civile. L’un et l’autre principe ont été conservés. Il n’y a plus de droits de supériorité qui donnent la mesure du pouvoir de l’Etat sur ses sujets ; il n’y a qu’une puissance de l’Etat, universelle, agissant souverainement, dans le sens de l’ancienne Majestas populi Romani ((En 1840 encore, Miruss écrit un Droit administratif allemand, sous le titre : « Les droits de supériorité des Etats fédérés allemands » (Die Hoheitsrechte in den deutschen Bundesstaaten). Ces droits se combinent alors avec les idées du droit public moderne d’une manière bien factice (pp. 1, 67, 81). Gerber, Grundlinien, p. 67 note, a définitivement condamné ce système. On peut bien se servir encore des vieilles expressions pour toutes sortes de classifications (ainsi p. e. Gareis, Allg. St. R., pp. 25 ss.) ; mais il ne s’y cache plus aucune réalité.)). Néanmoins, à la différence de celle-ci et d’après le modèle que le régime de la police avait donné, la possibilité subsiste d’appliquer, jusqu’à un certain point, à cet Etat le droit civil destiné à régler les rapports des individus entre eux, de recourir contre [65] lui aux tribunaux institués pour juger les contestations de droit civil1.
Ce qu’il y a de nouveau, c’est que, désormais, cette puissance souveraine universelle reçoit une organisation spéciale, par laquelle elle se revêt, d’elle-même, des formes et des marques caractéristiques du droit. Le droit public ne signifie plus, comme dans l’euphémisme des anciens docteurs, une sphère pour laquelle, en opposition avec celle du droit civil, il n’y a pas de droit lorsqu’il s’agit des rapports entre Etat et sujet. Nous avons devant nous le fait de l’existence d’un droit public administratif qui s’applique à l’administration, à côté de ce qui reste attribué au droit civil. Cela opère nécessairement un changement sur les principes même qui régissent la délimitation de cette compétence du droit civil sur l’Etat. Le droit civil cesse d’être le seul droit possible, le seul qui soit appelé à fournir ses règles partout où l’Etat ne s’y soustrait pas en faisant valoir sa puissance de commander et de contraindre et en se manifestant comme étant au-dessus de tout droit.
Au contraire, le droit qui lui est propre, le droit public doit, pour l’Etat, être considéré comme le droit régulier, le droit qui, dans le doute, est applicable. Le droit civil étant l’exception, il faut, chaque fois, justifier spécialement son application.
C’est seulement par une conséquence de ce changement de situation, que l’ancienne doctrine du fisc a disparu. On s’aperçoit que ce n’était là qu’un expédient [66] assez artificiel pour soumettre l’administration à quelques règles de droit. On n’en a plus besoin maintenant parce que l’on a mieux. En fait aujourd’hui, cette idée des deux personnes morales qui travaillent ensemble pour le but de l’Etat, est complétement abandonnée. Officiellement du moins, cette doctrine ne compte plus de partisans. Mais on ne saurait se dissimuler que, d’une manière inavouée et inconsciente, elle joue encore un grand rôle dans notre littérature juridique et qu’elle ne manque pas d’y causer des désordres2.
La question capitale est maintenant la suivante : quelle est la nature de cette organisation de la puissance publique, qui donne à l’époque actuelle du droit administratif son caractère significatif ? Cela exige une discussion développée. Car le contraste juridique entre le régime de la police et le régime du degré précédent se présentait simplement comme le résultat de la destruction des formes que le premier avait procréées et conservées. Ici, au contraire, nous voyons en jeu des idées nouvelles et positives qu’il faut bien comprendre pour s’orienter dans la masse de détails qui en découlent.
I. — La communauté d’esprit de la famille des nations européennes n’éclate peut-être nulle part aussi bien que dans l’histoire commune de leurs idées sur le droit public. Nous autres, Allemands, il faut bien le dire, nous jouons ici, surtout vis-à-vis de la France, le rôle de celui qui imite et qui reçoit ; devons-nous toujours lui en être très reconnaissants, c’est là une autre question.
Le droit français — et son histoire — est particulièrement [67] instructif pour nous, parce qu’il est toujours en avance sur le nôtre de quelques pas, et parce que le passé est plus facile à comprendre que le présent ; de plus, il y a cette particularité, conforme au génie du peuple français, qu’en France toutes les idées nouvelles de droit public sont formulées et mises à exécution d’une façon brusque. Pour nous servir d’une comparaison, elles apparaissent toujours, immédiatement en cultures nettes.
Longtemps avant nous, en France, le régime de la police s’était établi. Il n’existait pas de frein analogue à notre juridiction de l’Empire. Le roi, avec ses ministres, ses intendants, ses commissaires et la masse du personnel exécutif, agissait à son gré, sans rencontrer de barrière de droit.
Mais il y a, à côté, la justice, dont la situation est encore beaucoup plus marquante que chez nous. Les grandes cours de justice, dites Parlements, indépendantes du roi par suite de la vénalité — si contraire à nos idées modernes — des offices qu’une classe puissante s’est assurée pour ses membres, administrent le droit souverainement. Le droit dont elles assurent l’observation se compose des coutumes — successivement rédigées par écrit et publiées— et des ordonnances du roi. Mais ces dernières ne sont reconnues par le Parlement qu’à la condition qu’elles lui aient été préalablement et dûment adressées et qu’il les ait ajoutées à sa collection en les enregistrant. Cet enregistrement n’est pas une pure formalité ; le Parlement prétend avoir un droit de remontrances ; souvent, l’enregistrement n’a été obtenu qu’avec de grandes difficultés ; maintes fois l’enregistrement n’a pu avoir lieu. Les ordonnances enregistrées constituent seules la loi ((D’Aguesseau, Œuvres I, IX merc. : de l’autorité du magistrat et de sa soumission à l’autorité de la loi : le juge seul est lié par la loi, aussi est-il « adorateur de la loi ». Lucay, secrét. d’Et., p. 395, note 2 : l’enregistrement des ordonnances royales signifie « que nos rois ont voulu réduire leur volonté sous la civilité de la loi ».)).
[68] Les fonctionnaires administratifs, de leur côté, ont tout le pouvoir que leur commission leur donne. Ces commissions sont très étendues, elles contiennent tous les pouvoirs possibles. Elles ne sont pas publiées, même quand elles posent des règles générales, et elles ne sont pas enregistrées par les Parlements. Les tentatives faites pour obtenir cet enregistrement se heurtent au refus des Parlements qui considèrent les pouvoirs commis comme excessifs ; on prend le parti de renoncer à cet enregistrement3. On s’arrange autrement. Quand, par exemple, un intendant ou un autre officier du roi, dans l’exécution de sa commission, lèse un droit ou emploie la force, là où la loi, telle que les Parlements la comprennent, ne lui donne aucun titre, il sera bien poursuivi par les tribunaux, sur la demande de l’intéressé ou d’office, pour être condamné à des dommages-intérêts ou même à une peine, mais le roi intervient alors pour protéger son fonctionnaire ; le roi prend, de son côté, des mesures contre le Parlement et empêche l’exécution de son jugement. Le conflit, quelquefois, est poussé entre les agents d’exécution du tribunal et les gens du roi jusqu’à la raison du plus fort ; il est clair qu’alors elle doit se résoudre au profit de ces derniers.
Les intérêts menacés et naturellement toute la classe des juristes, prennent en pareil cas, le parti du Parlement. L’opinion publique s’habitue de plus en plus à considérer, comme un grave inconvénient et une violation criante des droits des sujets, le fait qui, seul, rend possible ces conflits, le fait que les tribunaux seuls sont obligés de procéder selon [69] la loi, tandis que l’administration est placée en dehors de la loi ou plutôt au-dessus de la loi4. Que l’administration soit soumise à la loi tout comme les tribunaux, voilà ce qui semble apparaître comme le seul remède possible. Cette idée s’allie au mouvement puissant vers la souveraineté du peuple, qui a trouvé, dans Rousseau, son apôtre le plus fervent. La manière, imagine-t-on, dont le peuple exerce sa puissance souveraine, consiste justement à ce qu’il fasse lui-même les lois, c’est-à-dire prescrive les règles générales qui, dorénavant, seront obligatoires pour tous les fonctionnaires de l’Etat sans exception, juges ou autres, y compris le chef de l’Etat lui-même : tous, ils devront n’agir que selon la volonté générale, c’est-à-dire selon la loi5.
Bientôt, les Constitutions de la Révolution ont la voie libre pour réaliser cet idéal. Mais l’organisation qui est donnée alors à la puissance publique et qui est devenue le fondement de tout le développement ultérieur, même en dehors de la France, n’est pas simplement calquée sur les idées de Rousseau ; loin de là ! On emprunte à Montesquieu le principe de la séparation des pouvoirs, le nombre de trois et les [70] noms techniques de pouvoir législatif, pouvoir judiciaire et pouvoir exécutif. Mais ce ne sont pas non plus ces théories qui sont réalisées purement et simplement sous ces termes. Il fallait s’y attendre : ce qui est créé par les forces vivantes d’une nation est naturellement autre chose que le simple reflet de quelques écrits. Il y a surtout un élément dont l’influence ne peut pas être méconnue. On sait le grand rôle que, dès le début, ont joué, dans les diverses assemblées législatives, les nombreux avocats qui y figuraient.
La classe des praticiens juristes, habitués à regarder le monde du côté de la barre d’un tribunal, a modelé les grands principes directeurs, en leur donnant la forme du droit positif d’après ses propres opinions et ses propres tendances. Il serait étonnant qu’il en fût autrement. Les expressions : pouvoir législatif, pouvoir judiciaire et pouvoir exécutif, ont dû rappeler à cette classe de juristes la structure de la justice, qui lui est familière, à savoir : la loi, le jugement et l’exécution. Pendant qu’on inscrit en tête de la Constitution la formule classique des pouvoirs séparés et rivaux, on les réunit dans leur organisation intérieure en un système éminemment pratique qui est complété dans le même sens par le travail des tribunaux administratifs.
La chose principale, celle qui importe au plus haut point, c’est la souveraineté de la loi. Ce qui a été désiré si douloureusement au cours des luttes des anciens Parlements, est maintenant réalisé. La loi est placée au-dessus de toutes les autres activités de l’Etat sans exception6. La doctrine, comme conséquence, [71] abandonne cette fausse apparence de trois pouvoirs égaux. A côté de la loi, on ne reconnaît qu’un seul pouvoir qui, de son côté, est soumis à la loi : le pouvoir exécutif. Ce dernier se subdivise de nouveau en deux branches, agissant d’une part comme, justice, d’autre part comme administration ((Serrigny, Traité de l’organisation, etc. en matière contentieuse administrative, I, no15.)). D’après les traditions des Parlements, il aurait fallu placer la justice au-dessus de l’administration, pour veiller sur la loi en l’appliquant par ses jugements aux cas individuels, et restreindre l’administration à la simple gestion des affaires, sans une autorité propre. On a eu de bonnes raisons pour ne pas suivre cette voie, pour maintenir, au contraire, avec une grande rigueur l’indépendance des deux branches, surtout celle de l’administration vis-à-vis de la justice. On appelle cela une séparation des pouvoirsqui se renouvelle, ou pour mieux dire, une séparation des autorités. Mais il en résulte que le modèle donné par la justice d’une activité d’Etat s’exerçant selon la loi, l’administration doit le réaliser immédiatement de son côté et pour elle-même.
C’est là l’idée fondamentale qui détermine la nouvelle forme juridique de l’administration. Les deux branches du pouvoir exécutif se développent parallèlement. Toutes deux, elles sont soumises à la loi. La justice applique la loi par des jugements, décisions d’autorité pour le cas individuel, et c’est d’après ces jugements que se règle l’action des fonctionnaires d’exécution. L’administration, également liée par la loi, règle ses affaires, s’il y a lieu, par des décisions d’autorité, qui déterminent ce qui doit se faire réellement. Elle le fait dans la forme de la juridiction [72] administrative, elle le fait avec une étendue beaucoup plus grande et d’une manière très variée avec le simple acte administratif.
L’idée de l’acte administratif, — idée qui est de la première importance, — est déjà indiquée tacitement par la situation subordonnée à la loi qu’occupe l’administration ainsi que la justice. Avant la Révolution, cet acte était complètement inconnu. Avec la nouvelle organisation de la puissance publique, il devient subitement un produit de la séparation des pouvoirs ((Les grands répertoires de droit, qui ont paru à la veille de la Révolution, ne connaissent pas encore l’acte administratif. Dans Denizart, Collection de décisions nouvelles (1771), I, p. 45, et dans Guyot, Répertoire (1784), I, p. 137, le mot acte n’a de signification que pour la justice et pour le droit civil. Dans les explications détaillées qu’en donnent les auteurs, l’acte administratif ne figure pas. Nous en trouvons surtout un témoignage classique dans le fameux répertoire de Merlin, répertoire qui est né de l’œuvre de Guyot que nous venons de mentionner. A partir de la 3eédition, Merlin l’édite en son nom, après avoir fait les additions nécessaires sur le droit nouveau. Dans l’édition de 1812, nous voyons, pour la première fois, apparaître un article : « Acte administratif », signalé comme addition de Merlin. — Chauveau, Compétence et juridiction administrative (1841), I, no406 : « Depuis un demi-siècle que les pouvoirs administratif et judiciaire ont été séparés…, dans les lois, dans les arrêts, que de fois les mots acte administratif ont-ils été employés, etc. » Dalloz, Répertoire, VeActe administratif, no2, observe : « Dans l’ancien droit il n’y avait pas d’intérêt à rechercher les caractères des actes administratifs ». Ces caractères n’existent pas, bien entendu.)). L’acte administratif représente, pour l’administration, le pendant nécessaire du jugement des tribunaux ; il est nécessaire afin que l’organisation de l’administration ait une valeur égale au point de vue du droit. C’est pour cela que, dès le début, on insiste, avec une grande énergie, sur la valeur égale de l’acte administratif par rapport au jugement.
Il en a la force, les effets et la position dominante ; il n’en diffère qu’autant que les circonstances — tout autres —, dans lesquelles il doit, dans l’administration, se produire et avoir son effet, le comportent. Bien que ces divergences extérieures soient nombreuses et frappantes, néanmoins, dans l’essentiel, la concordance [73] parfaite subsiste7. Depuis lors, dans les lois, dans la jurisprudence, comme dans la doctrine du droit administratif, il n’est question que de cet acte administratif qui, pour la formation du droit administratif, a la même importance que l’idée de la loi, bien que son apparition se soit faite avec beaucoup moins de bruit et de splendeur.
Ainsi, nous devons dire que des luttes entre les anciens Parlements et l’administration royale — luttes qui ont rempli des siècles et laissé maintes traces dans le droit français — les Parlements ont fini par sortir victorieux. On n’a pas réussi à soumettre extérieurement l’administration au pouvoir de la justice. Mais l’administration a dû adopter des idées, dont la justice est l’auteur. L’organisation, dans laquelle la justice se présentait, reposait sur tout un système de liens juridiques, à savoir : la loi au-dessus de tout, le jugement lié par la loi, l’action des agents d’exécution liée par le jugement. L’application de ce même système à l’administration, telle est l’idée fondamentale du nouveau droit administratif français.
II. –– On sait combien le droit constitutionnel français a exercé une influence considérable sur toutes les chartes constitutionnelles qui, depuis le commencement du XIXe siècle, ont été successivement accordées dans tous les Etats allemands, dans ceux du Sud tout d’abord. Il n’y a pas eu de révolution comme en France. Le prince allemand est et reste un tout autre homme que ce chef de l’Etat abstrait qui existe en France. Chez nous, Allemands, l’idée de la souveraineté du peuple n’est pas devenue le fondement de l’édifice. En principe, toute la puissance de l’Etat reste concentrée dans la personne du prince. Ce qu’il y a de [74] nouveau, c’est seulement qu’une représentation de la nation est ajoutée pour concourir à la législation et voter les impôts. Ceci même n’est pas tout à fait sans lien avec le passé. En beaucoup d’endroits, les anciens Etats du pays, titulaires en ces mêmes matières de certains droits, étaient encore vivants ; tout au moins, leur souvenir était récent.
Ce qui surtout a été emprunté au droit constitutionnel français, c’est la forme juridique dans laquelle le concours de la représentation nationale trouve son expression. Tandis que les anciens Etats étaient opposés à la puissance souveraine avec certains droits et privilèges qui la restreignaient, la représentation nationale participe aujourd’hui à l’exercice de la puissance souveraine même. On distingue une certaine manifestation de la volonté souveraine, manifestation particulièrement importante et qui ne doit se produire qu’avec le concours de la représentation nationale : c’est la loi. Tout le reste de l’activité de l’Etat doit lui être soumis. Les chartes n’en indiquent le détail qu’en termes très laconiques ; on dirait même qu’elles ne savent pas la définir d’une manière exacte. C’est parce que la théorie constitutionnelle, qui est dans l’air, complète tout ; or, cette théorie n’est autre chose que l’ensemble des idées juridiques du droit constitutionnel français.
Le résultat immédiat a été, chez nous aussi, la possibilité de subordonner l’administration à la loi, de la même manière qu’en France où ce système n’avait été créé que dans cette intention ; à cet égard, en effet, il importait peu de savoir comment étaient réglés les rapports réciproques du chef de l’Etat et de la représentation nationale, placés derrière cette forme de la loi.
D’ailleurs, cela n’alla pas tout seul. Tout d’abord, on n’y regarda pas de très près ; les luttes de l’éloquence [75] parlementaire et les questions budgétaires semblaient être les seules choses dont il s’agissait dans la nouvelle organisation. L’administration — contre laquelle n’existait pas la même animosité qu’en France — resta tranquillement dans son état primitif8. Il a fallu un mouvement tout nouveau pour réaliser les idées de l’Etat moderne sur les points où l’on ne pouvait pas, comme dans la Constitution, copier les Français, parce qu’eux-mêmes n’en avaient pas proposé une formule claire et précise. La pensée directrice qui, en même temps, indique le but visé par ce mouvement et qui a été finalement atteint, — pensée qui domine dans la littérature du droit public, dans les programmes des partis et dans les mesures législatives, — trouve son expression dans l’idée de l’Etat sous le régime du droit (Rechtsstaat).
Le mot s’est introduit dans notre langage au moment où les esprits commençaient déjà à fermenter. Il doit désigner une chose qui n’existe pas encore, qui en tout cas n’est pas encore achevée, qui doit devenir. Sa signification, nous la voyons varier singulièrement, parce que chacun veut y mettre son idéal juridique.
Le mot s’est introduit dans notre langage au moment où les esprits commençaient déjà à fermenter. Il doit désigner une chose qui n’existe pas encore, qui en tout cas n’est pas encore achevée, qui doit devenir. Sa signification, nous la voyons varier singulièrement, parce que chacun veut y mettre son idéal juridique.
Il y a, sans doute, un certain lien entre l’Etat sous le régime du droit et le système constitutionnel. On parle de l’Etat constitutionnel et régi par le droit (Verfassungs- und Rechtsstaat). Quelquefois, on identifie même le Rechtsstaatavec l’Etat constitutionnel9 ; [76] mais cela s’entend alors dans le sens d’un Etat constitutionnel achevé ; on exige pour cela « l’arrangement intérieur de la Constitution ». Ce qui fait le Rechtsstaatn’est pas donné par l’établissement de la Constitution ; il reste encore à le réaliser.
L’expression choisie indique ce qu’on exige de l’Etat ; il faut que partout où son activité rencontre d’autres personnes, ses sujets, il existe un ordre réglé par le droit ; ou, comme l’exprime la formule que l’on considère unanimement comme la meilleure pour exprimer cette pensée, l’Etat doit « fixer exactement et délimiter les voies et limites de son activité ainsi que la sphère libre de ses citoyens, à la manière du droit »10.
Cette exigence s’adresse spécialement à l’administration. Pour la justice, ce n’est plus une exigence. En cette matière, tout Etat — l’Etat du régime de la police lui-même — détermine les voies dans lesquelles s’exercera son activité d’une manière ferme et invariable « à la manière du droit » ; il fait des règles de droit obligatoires pour sa justice ; il les fait observer par celle-ci, protégeant ainsi à la fois ces règles et les droits individuels qui en dépendent. Que le droit régisse de la même manière l’administration, c’est ce que tout le monde, d’un accord unanime, considère comme l’essentiel de ce qui doit être11.
[77] Voilà le Rechtsstaat. Mais quand il s’agit de le faire sortir de ces généralités abstraites, les difficultés commencent. Pour réaliser le programme, il y a d’abord un point sur lequel l’entente est faite : l’administration, pour se faire « à la manière du droit », doit être liée par des règles de droit. La Constitution a créé dans ce but la forme de la loi, et cela suffit. Cependant, il est facile de voir que l’activité de l’Etat ne peut être restreinte à la simple exécution des lois existantes ; il lui faut vivre et agir, même s’il n’y a pas de loi pour diriger son action ; or, il y a, dans l’administration, une foule de choses qui ne peuvent pas être prévues par des règles strictes qui les enchaînent. Le Rechtsstaat doit donc restreindre ses exigences à ce qui est possible ; dès lors, son principe peut se formuler ainsi : l’action de l’administration doit être dirigée, autant que possible, par des règles de droit.
Mais pour que le droit gouverne, ces règles ne suffisent pas. L’exemple de la justice le démontre. Elle a son droit civil qui domine, par ses règles, tout ce qui se passe ; mais elle a aussi son acte d’autorité qui décide, pour le cas individuel, ce qui est de droit, ce qui doit être observé et mis à exécution comme tel : elle a le jugement. Pour que le régime du droit soit complet, on exigera la même chose dans la sphère de l’administration. Mais cet acte, de qui doit-il émaner ? C’est une question qui a soulevé autrefois une lutte longue et acharnée, lutte d’opinions théoriques, qui a cependant contribué à rendre plus claire et plus décisive [78] la solution finale et à achever ainsi la formation de notre droit administratif allemand.
Depuis le commencement du 19esiècle, de temps à autre, une discussion s’élève dans le monde savant, sur la question de la juridiction administrative. Il se formait, chaque fois, deux camps ennemis : le parti des tribunaux civils revendiquait pour ceux-ci la capacité exclusive de veiller sur l’ordre légal et de procurer au droit une protection efficace ; le parti adverse défendait la justice administrative comme conséquence nécessaire de l’indépendance de l’administration. L’antagonisme arrivait à son point culminant dans la question suivante : l’administration est-elle capable de réaliser le droit et la loi aussi bien que la justice ? Ou bien est-elle, vis-à-vis du droit et de la loi, dans une situation analogue à celle du simple citoyen ?12.
Aujourd’hui la réponse n’est plus douteuse ; sur toute la ligne, elle a été donnée dans le premier sens. Dans toutes nos lois d’organisation administrative, émises depuis 1860, il y a une tendance à constituer une juridiction administrative indépendante : c’est reconnaître le principe que, dans l’administration, peut être formulé ce qui doit être de droit, tout aussi bien que dans la justice.
Mais il ne s’agit pas seulement de jugements rendus après des débats contradictoires. Tout comme dans la justice, il y a, dans l’administration, une procédure extrajudiciaire (Beschlussverfahren) avec des décisions individuelles en dehors des formes du procès proprement dit. Dès qu’une fois on y a fait attention, on [79] s’aperçoit que des actes de cette nature se trouvent disséminés dans toute l’activité de l’administration avec une grande variété de formes et d’objets. Le caractère essentiel doit forcément rester le même.
Des noms nouveaux ont été inventés pour mieux désigner ce caractère et pour indiquer qu’il y a là autre chose que les commandements que sous l’ancien régime de la police les autorités émettaient. Il ne s’agit plus ici de faire seulement savoir au sujet ce que l’autorité exige de lui ; cet acte opère maintenant pour le sujet la détermination d’un rapport juridique, détermination que l’autorité elle-même est tenue de respecter et de mettre à exécution au profit du sujet aussi bien que contre lui. On parle ici d’une juridiction de l’administration (Verwaltungsjurisdiktion), pour indiquer que l’acte ressemble au jugement qui fait jus in concreto ((Cette expression est tirée du droit anglais, où elle a le sens très large de la jurisdictio du droit canonique. Gneistveut indiquer par-là la situation quasi-judiciaire des autorités administratives (Verw., Just., Rechtsweg, pp. 167, 170 ; comp. aussi Engl. Verw. Recht, I, pp. 388, 390, 394). Très bonne est la formule de Sarwey, Off. R. et V. R. Pfl., p. 4 : « la jurisdictio de l’administration, c’est toute détermination de rapports humains par les organes de l’Etat avec force obligatoire » et qui se fait en dehors de la justice.)), de conventions et dispositions de droit public (öffentlichrechtliche Rechtsgeschäfte) et de la force de la chose jugée qui se produit dans l’administration13. Surtout l’expression acte administratif (Verwaltungsakt) est empruntée à la terminologie française pour désigner cette qualité de l’acte, par laquelle il décide par voie d’autorité et juridiquement le cas individuel. Ces actes administratifs, on cherche ensuite à les distinguer et à les classer [80] selon la nature spéciale de la détermination juridique qu’ils donnent à l’individu14.
Aucun doute n’est possible. Notre droit actuel a créé, pour l’administration, l’idée d’acte d’autorité, idée étrangère au droit ancien. Cet acte ressemble au jugement de la justice ; il peut aller jusqu’à en prendre tout à fait la forme ; l’essentiel c’est toujours la détermination juridique du cas individuel. L’acte administratif complète la grande idée du Rechtsstaat, de l’Etat soumis au régime du droit par l’adaptation à l’administration des formes de la justice15.
[81] III. — Rien n’est plus erroné que les tentatives faites pour revendiquer, comme une particularité allemande, l’idée du Rechtsstaat, de l’Etat sous le régime du droit16. C’est là une idée qui nous est commune, dans tous ses éléments essentiels, avec les nations sœurs qui ont passé par les mêmes développements successifs, surtout avec la nation française à laquelle, malgré tout, le destin nous a liés par la communauté de l’esprit.
Pour résumer ce qu’est cet Etat, nous pouvons, comme on le voit, partir de cette maxime générale : « L’Etat doit déterminer son action sur les sujets à la manière du droit ». Pour atteindre ce but, on a dû recourir aux formes bien connues et éprouvées, dans lesquelles la puissance publique agit par la justice. Il ne pouvait pas être question de faire de l’administration une justice ; l’adaptation des formes de la justice s’opère dans une double direction :
1oIl fallait créer, dans l’organisation de la puissance publique, les éléments nécessaires ; ne pouvant pas utiliser telles quelles les formes spéciales de la justice, on devait les généraliser et en extraire la quintessence. C’est ce qui a été fait par l’organisation de la loi constitutionnelle d’une part, par la création de l’idée de l’acte administratif de l’autre, deux choses qui donnaient, dans un sens plus large, l’équivalent des formes correspondantes de la justice.
2o Grâce à ces institutions, il est possible d’entourer l’administration de cet enchaînement de liens juridiques, qui caractérise la justice. Mais il est impossible, pour l’administration, d’atteindre cet idéal sous sa forme absolue, à savoir que l’Etat ne pourrait agir effectivement qu’en vertu d’un acte d’autorité, ni faire [82] un acte d’autorité qu’en vertu d’une loi. Il faut se contenter ici d’une réglementation relative, d’un à peu près, du possible en un mot. Ce que nous disions plus haut de la loi s’applique également à l’acte administratif. Il doit y avoir, pour l’administration du Rechtsstaat, autant de rapports juridiquement liés par des lois et des actes administratifs que cela est compatible avec le but spécial de cette activité. Il s’agit donc, à cet égard, plutôt d’une recommandation que d’une régie stricte.
Un Etat qui n’a, pour son administration, ni la forme de la loi, ni celle de l’acte administratif, n’est pas un Rechtsstaat.
Un Etat, qui a l’un ou l’autre, est plus ou moins parfait comme Rechtsstaatà mesure qu’il use de ces formes et en assure l’effet.
- Que l’Etat soit soumis au droit civil, cela ne découle certes pas de sa nature ; c’est un résultat positif de son histoire. Bornhak, Preuss. St. R., II, p. 463, appelle cela une contradiction insoluble avec l’idée pure de l’Etat ; il n’y a là, d’après lui, que des actes du droit public qui sont seulement, en vertu d’une fiction établie par l’Etat, traités selon les règles du droit civil. Mais ce qui, par la volonté de l’Etat, doit être traité selon les règles du droit civil nous semble, par cela même, appartenir réellement au droit civil. [↩]
- Nous aurons largement l’occasion de le prouver. — Depuis que ces lignes ont été écrites, Hatschek, Die rechtliche Stellung des Fiscus im Bürgerlichen Gesetzbuche 1899, a essayé de faire revivre l’ancien fisc. Mais, en réalité, il l’a plutôt remplacé par un titre de sa fantaisie. [↩]
- Sur le refus des parlements d’enregistrer des commissions de fonctionnaires administratifs : cf. Hanotaux, Origines des intendants, p. 129 ; Lucay, secret. d’Et, p. 132. [↩]
- Hanotaux, Origines, p. 93 : « Point capital : les intendants étaient hors la loi, hors la loi, c’est-à-dire (puisque la puissance royale les protégeait) au-dessus de la loi ».Trolley, Hiérarchie adm., I, no18 : « les ordonnances réglementaires et de police n’étaient pas, comme les lois, soumises à l’enregistrement ». Nous avons vu qu’en Prusse, les ordonnances royales de ce genre n’étaient pas considérées non plus comme des lois (ci-dessus, § 4 note 9). En France, il y en avait une raison formelle : elles ne sont pas enregistrées ; c’est pour cela qu’elles ne sont pas des lois. [↩]
- Rousseau, Contrat social, II, chap. VI : « J’appelle donc République tout Etat régi par des lois ». — III, chap. I : « Qu’est-ce donc que le gouvernement ? Un corps intermédiaire, chargé de l’exécution des lois » ; chap. X : « le cas de la dissolution de l’Etat peut arriver… quand le prince n’administre plus l’Etat selon les lois ; … le despote est celui qui se met au-dessus des lois ». Ces propositions visent l’administration française ; il y est ajouté seulement l’idée de la souveraineté du peuple, d’après laquelle la loi doit se faire, à l’avenir, autrement qu’elle ne s’était faite jusque-là. [↩]
- Il y a désormais un vrai culte de la loi. L’agent de police, dans les communes rurales le garde-champêtre, porte sur son brassard l’inscription « la loi » ; au cri de « force à la loi », tous les bons citoyens doivent descendre dans la rue pour réprimer l’émeute ; la sommation adressée à ceux qui forment un attroupement commence par les mots « obéissance à la loi ! » ; la formule redoutée « au nom de la loi » ouvre toutes les portes ! Parmi les comédies populaires des premiers temps de la Révolution, il en est une qui s’intitule « L’ami des lois », dans laquelle le héros manifeste un véritable fanatisme d’obéissance à la loi en général et s’en avoue l’esclave. [↩]
- Henrion de Pansey, De l’autorité judiciaire, chap. XXXIX, établit déjà, en 1810, cette comparaison entre le jugement et l’acte administratif. [↩]
- Lœning, dans Schmollers Jahrbuch, 1881, p. 901 : « L’expérience a prouvé que le régime de la police peut parfaitement s’accorder avec le système constitutionnel ». Dans ce sens aussi, v.Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 83. — Gneist, Verwaltung, Justiz, Rechtsweg, p. 107 et passim va encore plus loin. D’après lui, nous avons eu le Rechtsstaatavant la Constitution, et c’est la Constitution qui l’a détruit, laissant les partis politiques s’emparer du gouvernement. Mais il nous semble que ce Rechtsstaat avant la Constitution et ce « gouvernement constitutionnel dirigé par les partis politiques » (en Prusse !) n’ont existé ni l’un, ni l’autre. [↩]
- V. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 17 ; Rosin, Pol. Verord. Recht in Pr., p. 3 ; Gneist, Rechtsstaat, p. 161 ; v. Stein, Verw. Lehre (1869), I, p. 294 ; Schulze, Preuss. Staatsrecht, I, p. 358 ; Gareis, Allg. St. R., p. 140 ; Seydel, Bayr. St. R., I, p. 615. [↩]
- C’est la formule de Stahl, Rechts. u. Staatslehre, II, p. 137 ; elle a obtenu l’approbation de ses adversaires mêmes : Gneist, Rechtsstaat, p. 16 : Bahr, Rechtsstaat, p. 1 ; Gumplowicz, Rechtsstaat u. Socialismus, p. 13 ; Gierkedans Zeitschrift für Staatsw., t. XXX, p. 13 : « Le Rechtsstaat, c’est un Etat qui se place non pas au-dessus du droit, mais sous le droit ». [↩]
- Schulze, Preuss, Staatsrecht, I, p. 358 ; Leuthold, Sachs. Verw. Recht, p. 9 ; Seydel, Bayr. Staatsrecht, III, p. 615 ; Laband, Staatsrecht (1reédit. all.), I, p. 684 (édit. française, II, p. 526) ; Gareis, Allg. St. R., p. 140 ;v. Kirchenheim, Einf., p. 18 ; Jellinek, Ges. u. Verord., p. 216, 242 ; v. Sarwey, Allg. Verw. Recht, p. 17. Nous mentionnons aussi Maurus, Mod. Verf. St. als Rechtsstaat, p. 109, quoique ses explications nous semblent manquer de clarté. — Les auteurs diffèrent entre eux en ce que le droit qui doit être protégé est, pour les uns, plutôt le corps des règles de droit en vigueur (objectives Recht), pour les autres, le droit individuel qui en résulte (subjectives Recht). Ce sont de petites nuances que nous pouvons nous dispenser d’élucider ; d’autant plus que, à y regarder de près, l’une et l’autre de ces formules si vagues n’ont pas la prétention de dire exactement ce dont il s’agit, — et nous verrons bien qu’elles ne le disent pas. Elles ne nous servent ici qu’à constater une certaine tendance. [↩]
- On trouvera dans Mohl, Encyklop., § 35, note 5, l’indication complète « de la littérature pour et contre la juridiction administrative ». La vieille lutte a eu, pour la dernière fois, un écho chez Bähr, Rechtsstaat, où, avec les expressions ci-dessus rapportées, on refuse à l’administration d’être l’égale de la justice (p. 52). Comp. Gneist, Rechtsstaat, pp. 263 ss. et surtout, v. Sarwey, Off. Recht. und Verwal. Recht. Pfl., pp. 129 ss. [↩]
- L’expression « Rechtsgeschæft » (convention) écarte toute affinité avec la justice, pour insister d’autant plus sur la liberté dans la détermination du rapport juridique (Cf. ci-dessous, § 9, note 14) ; à l’inverse, en généralisant l’expression « force de chose jugée », on exagère la ressemblance avec la justice. Ulbrich, Oestr. R., p. 438, par-exemple, parle de la « force de chose jugée qui appartient à une simple disposition administrative ». [↩]
- G. Meyer, Verw. Recht., I, pp. 32 ss. ; le même dans Wörterbuch, I, pp. 669 ss. ; Lœning, Verw. Recht, pp. 241 ss. ;Rosin, Pol. Verord., p. 8 ;Laband, Staatsrecht (1reédit. allemande), I, p. 69 ; Bernatzik, Rechtskraft, p. 9 ; Ulbrich, dans Grünh. Zeitschrift, 9, pp. 27 ss. — Que cet acte administratif doive jouer un grand rôle dans la formation du droit administratif, c’est ce qui saute aux yeux. Nous y reviendrons tout à l’heure en exposant plus clairement sa nature juridique. — Très répandus dans notre littérature, les mots « acte administratif » subissent quelquefois le sort réservé à tant d’autres expressions techniques empruntées à une autre langue : on leur donne un sens nouveau au moyen d’une traduction littérale des mots dont elles se composent et peut-être aussi par une traduction fausse (Comp. § 6, note 16 ci-dessous). Ici, le mot « acte » a rappelé à plusieurs écrivains le mot « action », et ils parlent naïvement d’actes administratifs pour désigner tout ce que peut faire l’administration (Comp. surtout Jellinek, dans Verw. Arch., V, p. 306). Alors, naturellement, l’expression technique perd toute sa valeur ; cela devient un jeu assez inutile que de s’en servir à la place de la locution ordinaire. [↩]
- Que toute l’idée du Rechtsstaat consiste dans la conformité de l’administration à la justice, c’est ce qui est reconnu surtout par Leuthold dans Annalen 1884, pp. 418 ss. ; il indique, comme éléments fondamentaux, que, dans le Rechtsstaat, l’administration doit avoir, d’après le modèle de la justice : 1o l’établissement de règles de droit ; 2o la juridiction ; cette dernière, il est vrai, il ne veut la retrouver que dans le contentieux administratif. Dans le même sens, Lehmayer dans Grünh. Zeitschrift, 12, pp. 221 ss. Mais le contentieux administratif, lui aussi, n’est pas autre chose que la production d’un acte administratif dans certaines formes ; les nombreux actes administratifs qui se produisent sans l’observation de ces formes, ont aussi leur importance pour le bon ordre juridique de l’administration ; on ne saurait les laisser de côté. — Lorsque Pann, Reform des Verw. Rechts, propose, comme étant l’idéal du Rechtsstaat, que l’Etat, pour faire valoir ses droits au service militaire, aux impôts, etc., soit renvoyé à user de la demande judiciaire ordinaire, il ne fait que déplacer l’idée vraiment fondamentale : rendre l’administration conforme à la justice, c’est donner à l’autorité administrative le rôle du juge et non pas celui de la partie. [↩]
- Ainsi v. Stein, Verw. Lehre, I, p. 297. [↩]
Table des matières