Depuis la « révolution QPC » (Xavier Magnon et al., La question prioritaire de constitutionnalité. Principes généraux, pratique et droit du contentieux, 2ème éd., LexisNexis, 2013, p. 1) en 2008, l’intérêt pour le contentieux constitutionnel a été renouvelé dans la doctrine française. Or, un regard attentif au-delà des Pyrénées, du Rhin et des Ardennes permet d’observer un autre mécanisme procédural permettant de « remettre la Constitution entre les mains des citoyens » (Jean-Louis Debré, « Introduction », JCP G Semaine juridique édition générale, N.S. n°48, 29 nov. 2010, p. 9-10) : ce que l’on appelle les recours individuels directs. Le recours individuel direct est une procédure permettant à toute personne de contester sans intermédiaire devant la juridiction constitutionnelle un acte juridique portant atteinte à ses droits constitutionnellement garantis. Ainsi, l’individu a accès au juge constitutionnel et peut porter devant lui tout contentieux lié à la protection de ses propres droits fondamentaux.
L’intérêt d’une étude sur les recours individuels directs s’explique aussi par le développement asymptotique des discours concernant la protection des droits fondamentaux. En effet, la QPC peut apparaître comme un renouvellement dans la protection de ces droits. En 2000, l’introduction d’une procédure d’urgence de la protection des libertés fondamentales dans les compétences du juge administratif avait insufflé une nouvelle dynamique à la protection des libertés publiques. Cette protection au niveau légal des libertés s’est toutefois révélée limitée. Progressivement, l’idée d’une protection constitutionnelle des droits et libertés a fait son chemin. Or, la QPC est souvent présentée dans cette perspective. L’objectif affiché est ainsi de recentrer la protection des droits et libertés sur le plan constitutionnel, projet de longue haleine qui s’est enfin concrétisé (Rappelons que le premier projet politique de question de constitutionnalité date de 1989). Malgré la jeunesse de la QPC, il semble néanmoins qu’une étude des règles procédurales et de leur mise en œuvre relativise son efficacité : elle est à certains égards trop complexe pour le justiciable. En outre, la concurrence avec d’autres types de protection des droits n’est pas sans influence sur son manque d’efficacité – mentionnons rapidement le contrôle de conventionalité exercé par le juge ordinaire.
Le bilan des dix ans d’existence de la QPC approche mais certaines limites de cette procédure apparaissent ainsi d’ores et déjà. Ces limites sont susceptibles d’expliquer un intérêt plutôt nuancé des justiciables pour l’utilisation de cette procédure. Contrairement au juge judiciaire ou au juge administratif, le justiciable peut en effet saisir le Conseil constitutionnel pour la protection de ses droits et libertés de façon très limitée. Il ne s’agit pas d’un recours, mais seulement d’un moyen de droit. Dès lors, se pose la question de définir ce qu’est un recours. Pour un juriste français, le recours par excellence s’incarne dans la procédure de recours pour excès de pouvoir. Selon l’expression de Laferrière, il s’agit du « procès fait à un acte » par opposition à un « procès fait à une partie » (Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Hachette Livre, BNF, Tome 2, 1896, p. 589). Si le juge administratif français est en mesure de protéger les atteintes portées aux droits par les actes juridiques infra-législatifs, le juge constitutionnel peut d’autant mieux le faire s’agissant des actes législatifs et infra-constitutionnels. Le recours est donc la mise en œuvre d’un accès ouvert à un juge, qui permet notamment d’instaurer le procès, qui se déroulera par la suite selon les règles procédurales applicables.
Suivant ces observations, la thèse défendue est d’identifier une processualisation du contentieux à partir du moment où la protection des droits fondamentaux devient le centre de gravité du contentieux constitutionnel. Pour appréhender et comprendre la structure procédurale qu’est le recours individuel direct, il convient dès lors d’utiliser une grille de lecture sensible à cette processualisation. Or, la théorie processualiste, surtout développée par des civilistes, réalise précisément une étude critique et systématique des règles de procédure. Elle se révèle alors efficace pour l’appréhension du recours individuel direct, tant dans son unité que dans sa diversité. Plus précisément, Henri Motulsky et Henry Vizioz sont les processualistes qui ont permis de mener la présente étude à bien.
D’une part, l’étude s’inscrit dans la continuité des écrits de Vizioz sur la théorie générale du procès qu’il esquisse dès 1931 (« Les notions fondamentales de la procédure et de la doctrine française du droit public », Revue générale du Droit, de la Législation et de la Jurisprudence en France et à l’étranger) et qu’il formalise ensuite dans ses Études de procédure (éd. Bière, 1956). En s’inspirant d’auteurs italiens et allemands, Henry Vizioz élabore une théorie générale du procès, qui permet d’étudier tout type de contentieux. Son approche était donc éminemment comparative, et cela à deux titres. Non seulement il s’agit de comparer l’ensemble des contentieux, ainsi la procédure civile, la procédure pénale avec le contentieux administratif – et par extension le contentieux constitutionnel –, mais également de procéder à une étude comparée sur le plan géographique. Sur ce point, la présente étude s’appuie sur cette double approche comparée. Il s’agit avant tout de l’étude des systèmes juridiques allemand, autrichien, belge et espagnol sur le plan du droit comparé géographique ; mais l’étude est aussi comparative sur le plan des règles procédurales applicables. Le droit commun est ainsi donné par les règles de la procédure civile, règles qui dans le cadre du recours individuel direct ont pu ensuite s’autonomiser (Peter Häberle, « Die Eigenständigkeit des Verfassungsprozessrecht », Juristen Zeitung, 1973, p. 451 s.). Cette théorie générale du procès se développe donc sur trois plans : la théorie de l’action, la théorie de la juridiction et la théorie de l’instance. L’étude ne reprend toutefois à son compte que la première et la troisième dimensions de la théorie générale du procès. La mise entre parenthèses de la théorie de la juridiction tient à deux raisons. Premièrement, Vizioz dénonçait déjà l’intérêt disproportionné de la doctrine publiciste française pour la théorie de la juridiction, au détriment des deux autres aspects de la théorie générale du procès. Deuxièmement, l’étude des recours individuels directs souhaite renouveler une certaine présentation du contentieux constitutionnel. Cette présentation traditionnelle est celle de la théorie des modèles de justice constitutionnelle. Cette théorie fait l’objet de nombreuses critiques (pour une belle synthèse, cf. Guillaume Tusseau, Contre les « modèles » de justice constitutionnelle, Bolonia University Press, Diritto Pubblico, Ricerche di diritto comparato, 2009, 87 p.), et certains auteurs recherchent une présentation alternative. C’est la raison pour laquelle la présente étude se penche moins sur les compétences de la juridiction constitutionnelle que sur les règles de procédure organisant le recours individuel direct (nous suivons en cela la préférence d’Otto Pfersmann pour les classifications qu’il appelle « normocentriques », in Otto Pfersmann, « Classifications organocentriques et classifications normocentriques de la justice constitutionnelle en droit comparé », in Robert Andersen, Diane Déom, Françoise Leurquin-De Visscher, Anne Rasson-Roland, David Renders et Marc Verdussen (Dir.), En hommage à Francis Delpérée – Itinéraires d’un constitutionnaliste, Bruxelles Paris, Bruylant L.G.D.J., 2007, p. 1153-1167).
D’autre part, la présente étude s’inscrit aussi dans la continuité des travaux d’Henri Motulsky, et cela à deux titres. Premièrement, Motulsky a construit et défendu l’enseignement d’un véritable droit processuel. Cette discipline transversale souhaite étudier les concepts structurants les règles de procédure, comme la qualité et l’intérêt pour agir, l’objet du procès, les conditions de recevabilité, etc. Cette conception du droit processuel se distingue donc de celle défendue par certains auteurs, à savoir l’étude de l’ensemble des principes directeurs du procès (principe du contradictoire, droit à un procès équitable, etc.) et de leur fondamentalisation (Serge Guinchard, « Le procès équitable : garantie formelle ou droit substantiel, in Philosophie du droit et droit économique : quel dialogue ? Mélanges en l’honneur de Gérard Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 139-173). Afin de familiariser les juristes à penser le contentieux de manière transversale, Motulsky souhaitait instaurer l’enseignement du droit processuel comme discipline autonome dans les facultés de droit (Henri Motulsky & Marie-Madeleine Capel, Droit processuel, Montchrestien, 1973, 249 p.). Dès lors, le droit processuel « illustre, d’une façon unique jusqu’à présent, la méthode du droit comparé interne » (Henry Vizioz, « Observations sur l’étude de la procédure civile », Revue générale du Droit, de la Législation et de la Jurisprudence en France et à l’étranger, 1927). Deuxièmement, la théorie de l’action prend une résonnance particulière dans les travaux de Motulsky. En effet, pour Motulsky, l’action en justice est un droit subjectif au sens où il emporte pour son titulaire « la faculté de déclencher à son profit l’impératif de la norme » (« Le droit subjectif et l’action en justice », Archives de philosophie du droit, Sirey, 1964, p. 220). Motulsky complète cette présentation par la définition de l’action en justice qui est « la faculté d’obtenir d’un juge une décision sur le fond de la prétention à lui soumise » (Ibid., p. 225). Or, la présence des éléments de la théorie de l’action est plus manifeste dans le cas du recours individuel direct que dans d’autres formes de recours en « droit processuel public » (Guillaume Tusseau, « Plaidoyer pour le droit processuel constitutionnel », Constitutions, 2012, p. 585 s.). En effet, l’action est traditionnellement présentée comme le « droit en mouvement », selon la célèbre citation de Demolombe (Cours de Code Napoléon, t. IX, Paris, A. Durand, 1870, p. 201). Malgré les critiques de cette présentation classique de Demolombe, nul ne peut tout de même se départir de l’idée que l’action est le droit substantiel mis en jeu ; cela s’explique « par le postulat qu’il ne pouvait en tous cas exister d’action que s’il existait un droit substantiel auquel elle sert de bouclier » ; (Henri Motulsky, « Le droit subjectif et l’action en justice », op. cit., p. 217). De ce point de vue, l’approche de Motulsky est plus pertinente s’agissant du recours individuel direct que ne l’est celle de Vizioz. Ce dernier ne définit pas l’action comme un droit ; « c’est un pouvoir légal, impersonnel et objectif ». L’action n’est donc pas seulement l’accès aux tribunaux, au contraire de ce que soutient Vizioz, mais c’est aussi la virtualité d’une situation juridique qui attend d’être consacrée effectivement par le juge. Dès lors, cette description est à même de s’appliquer au recours individuel direct, car ce dernier concerne la possibilité de saisir le juge constitutionnel, en raison d’une lésion d’un de ses droits subjectifs, constitutionnellement garanti.
Il convient à présent de justifier le choix des ordres juridiques qui font l’objet de cette étude. Le travail de thèse concernant l’étude des recours individuels directs devait porter spécifiquement sur certains ordres juridiques, sans toutefois se limiter strictement à ces ordres étrangers. En effet, il existe ceux qui servent au premier titre d’objet de la comparaison ; puis, il existe les ordres juridiques qui servent de « témoins » ou permettent de mener à bien une comparaison sur un point précis (cf. infra). La comparaison portait avant tout sur les ordres juridiques allemand, autrichien, belge et espagnol. Pourquoi ces quatre ordres juridiques alors que le recours individuel direct existe dans une grande partie des États européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Albanie, Hongrie, Pologne, Fédération de Russie, Slovaquie et Slovénie) et dans un grand nombre d’États sud-américains (Mexique, Colombie, Venezuela, Argentine, République dominicaine, Uruguay, Pérou, Paraguay, Brésil, Bolivie, Chili, Équateur, Costa Rica, Nicaragua, Panama Honduras, Guatemala et El Salvador) ? Pour y répondre, il convient que le chercheur fasse preuve d’humilité et affronte la réalité : la comparaison est uniquement possible à condition de maîtriser les sources primaires ; autrement dit, il convient de maîtriser la langue des pays étudiés. En outre, il s’agissait de sélectionner un échantillon suffisamment diversifié des formes de recours individuels directs, ce qui permet de faire ressortir à la fois la structure commune de la procédure et les particularités nationales. Ainsi, l’Autriche possède un système complet et diversifié de recours, s’articulant les uns avec les autres de manière cohérente et dont l’ensemble est calqué sur une forme de positivisme particulièrement marqué. En Allemagne, la fameuse procédure de Verfassungsbeschwerde fait l’objet de travaux innombrables et déchaîne toujours les passions concernant l’efficacité de la protection ou l’attrait jamais démenti des requérants pour cette procédure. Le succès et la réputation de cette procédure allemande expliquent l’inspiration que celle-ci a pu être pour la procédure d’amparo espagnole, depuis son retour en droit positif dans la Constitution du 29 décembre 1978. L’Espagne apparaissait alors comme un excellent exemple de transfert juridique, qui permettait d’identifier les différences entre les deux procédures dans leur mise en œuvre. Enfin, il pourrait sembler inopportun de comparer la Belgique avec ces trois autres ordres juridiques. Il est certain, en effet, que le modèle de culture juridique en Belgique est beaucoup plus proche de celui de la France que des pays germaniques. Toutefois, la procédure de recours en annulation a connu des développements procéduraux très intéressants depuis les années 2000 et il convenait ainsi de se pencher davantage sur ces éléments, quand bien même la procédure belge est la plus récente (1988-1989).
Afin de traiter de cette structure procédurale, la théorie de l’action et la théorie de l’instance permettront d’organiser l’étude. D’une part, la théorie de l’action permet de développer le concept de recours individuel direct pour assurer la comparaison des structures procédurales de protection des droits fondamentaux devant les juridictions constitutionnelles européennes étudiées. D’autre part, la théorie de l’instance se focalise sur les règles de déroulement du procès, une fois l’accès au juge constitutionnel réalisé. Les questions concernent dès lors la façon de présenter le recours et la manière dont le juge constitutionnel reçoit et traite ce recours jusqu’à la décision au fond, le cas échéant.
I. L’existence du recours individuel direct, ou la comparaison des formes de l’action
Le concept de recours individuel direct s’inscrit directement dans la théorie de l’action. Il sert d’instrument de comparaison des structures de protection des droits fondamentaux devant la juridiction constitutionnelle. L’action est ainsi la virtualité d’un droit d’agir en justice afin de permettre la protection d’un droit subjectif. La théorie de l’action porte dès lors sur deux objets. Tout d’abord, il s’agit de traiter la question de savoir qui peut effectuer le recours, autrement dit de présenter le concept de recours individuel (A). Ce concept de recours individuel doit ensuite s’articuler avec celui de recours direct. Ce concept de recours direct s’intéresse ainsi à la question de savoir quel est l’objet de ce recours (B).
A. L’unité du recours : le recours individuel
Le recours individuel est un concept désignant l’ensemble des titulaires du droit d’action. En effet, il s’agit de savoir ce qu’il convient d’entendre par « individu » qui n’est pas une catégorie juridique en soi. Néanmoins, l’utilisation de ce terme permet d’englober l’ensemble des titulaires de ce droit d’action, qu’ils soient des personnes physiques ou des personnes morales. Ce terme d’individu a également pour avantage de mettre en évidence l’exigence d’un intérêt dicté par des considérations particulières dans un contentieux où domine plutôt l’idée d’un contrôle général et abstrait.
Le recours individuel compose l’unité du recours ; toutes les formes de recours individuel direct ont en commun de mettre en avant ces titulaires du droit de recours. Comment les identifier ? La caractéristique principale pour identifier le recours individuel direct est l’idée d’action. Or, l’action revient à celui qui bénéficie d’un droit. L’action est ainsi nécessairement reliée à un droit protégé textuellement. L’action n’est que la concrétisation de la protection juridictionnelle reconnue avec le bénéfice de ces droits textuellement reconnus. Cette distinction entre la protection textuelle et la protection juridictionnelle des droits peut se retrouver dans la distinction développée par Otto Pfersmann entre bénéficiaire et titulaire (« Esquisse d’une théorie des droits fondamentaux », in Louis Favoreu et al., Droit des libertés fondamentales, 7e éd., Dalloz, Précis, 2015, p. 98-105). Si le bénéficiaire jouit de droits protégés textuellement, seul le titulaire du droit d’action peut bénéficier de la protection juridictionnelle. Ces deux positions peuvent donc être distinctes et s’appliquer à des personnes différentes. La comparaison du recours individuel direct avec d’autres formes de recours de protection des droits permet de confirmer cette distinction. L’exemple de la QPC est particulièrement révélateur. Si les bénéficiaires de droits et libertés peuvent initier le contrôle de constitutionnalité en soulevant une QPC, seules les juridictions suprêmes sont en mesure de saisir le Conseil constitutionnel. Par opposition, dans le recours individuel direct, il existe une parfaite adéquation entre la position de bénéficiaire de droits textuellement protégés et la position de titulaire du droit à la protection juridictionnelle.
Cette protection juridictionnelle est très importante, notamment dans la culture juridique germanique. Elle prend racine dans le concept de Rechtsschutzanspruch. Le terme d’Anspruch est polysémique, ce qui explique des traductions diverses en français. L’idée de protection juridictionnelle constitue le noyau dur de ce concept. Mais, il est traduit dans les textes français tantôt par le terme de voie de droit, tantôt par le terme de prétention. Si l’ambigüité n’est pas vraiment résolue en droit allemand (Steffen Detterbeck, Streitgegenstand und Entscheidungswirkungen im öffentlichen Recht : Grundlagen des Verfahrens vor den allgemeinen Verwaltungsgerichten und vor dem Bundesverfassungsgericht, J.C.B. Mohr, 1995, p. 30-36), le concept reste central dans l’idée de protection des droits par le recours individuel direct. À la suite de cet usage, se pose la question de savoir si l’action doit être reconnue comme un droit subjectif. Cette question s’inscrit là encore dans une longue tradition de discussions entre processualistes (Henri Motulsky, « Le droit subjectif et l’action en justice », op. cit., p. 227-230). Concernant le recours individuel direct, il semble que le droit de recours soit justement considéré comme un « droit fondamental accessoire » (Otto Pfersmann, « Esquisse d’une théorie des droits fondamentaux », op. cit., p. 98-99). Ce droit fondamental est qualifié d’accessoire puisqu’il apparaît comme la condition suffisante à ce que la protection textuelle soit associée à la protection juridictionnelle. Pour le dire autrement, la seule protection textuelle ne suffit pas et le droit n’est considéré comme « complet » que si son bénéficiaire possède également la prérogative de le faire valoir en justice. En dressant à nouveau un parallèle avec la QPC, on se rend compte de la distinction entre les droits subjectifs tels qu’ils sont conceptualisés dans la tradition germanique et la façon dont les personnes juridiques jouissent en France de droits et libertés : il existe en effet plus facilement un phénomène de dissociation entre les positions de bénéficiaire et de titulaire, notamment parce que la possibilité de disposer d’une action en justice n’entre pas dans la définition du droit. Ceci se traduit procéduralement par une association de la qualité et de l’intérêt pour agir. Dans le contentieux administratif français, la qualification d’un intérêt donne alors qualité pour agir. Or, dans le cadre du recours individuel direct, la qualité est dissociée de l’intérêt pour agir. Si la qualité pour agir permet de savoir de quel droit substantiel jouit le titulaire du droit de recours, l’intérêt pour agir suppose que le titulaire argue d’une lésion de ce droit substantiel. De ce point de vue, le recours individuel direct n’emporte pas le même contrôle que le recours pour excès de pouvoir.
Si l’individu fait l’unité du recours, c’est aussi parce que la tendance générale des juridictions constitutionnelles européennes a été de développer une approche large du concept de titulaire du droit de recours. Dans certains cas, les textes applicables étaient beaucoup trop anciens pour inclure les étrangers – par opposition aux nationaux – comme bénéficiaires de droits fondamentaux. Pourtant, le juge constitutionnel a considéré que les étrangers étaient titulaires du droit de recours individuel. En élargissant les titulaires de ce droit, le juge constitutionnel procédait de facto à l’élargissement des bénéficiaires de droits fondamentaux, quand bien même les étrangers n’étaient pas désignés comme de tels bénéficiaires. Le concept de recours individuel ayant été explicité, il convient d’envisager celui de recours direct.
B. La diversité des recours : le recours direct
Le recours direct s’intéresse à la délimitation de l’objet du litige, à savoir l’ensemble des actes juridiques contestables à l’occasion d’un recours devant la juridiction constitutionnelle. En effet, l’atteinte revendiquée aux droits fondamentaux est censée avoir pour origine un acte juridique. Grâce au concept de recours direct, il importait de proposer une typologie des divers recours existants en fonction des actes juridiques contestables. En effet, l’objet du litige marque la diversité des formes de recours individuel direct existantes. Afin de donner une amplitude plus profonde à cette typologie, il s’agissait de présenter non seulement le droit positif des recours, mais aussi leurs origines historiques. Cette remise en perspective sur l’échelle du temps permettait de contextualiser les enjeux de chaque procédure en fonction de l’époque qui les a vu apparaître. Cette comparaison temporelle assurait ainsi une présentation de l’évolution de chaque procédure, expliquant ce qu’elles sont devenues aujourd’hui.
La typologie de présentation des recours se scinde en deux parties. D’une part, il s’agissait d’envisager le contrôle des actes de nature législative, qu’ils le soient formellement ou matériellement. D’autre part, le contrôle s’organise autour des actes d’application de la loi, et peut alors se différencier entre les recours permettant de contester les actes administratifs individuels ou les décisions de justice. En structurant ainsi la typologie des actes contestables, diverses observations peuvent être formulées.
Concernant les actes législatifs, il existe des différences entre chaque ordre. Le recours individuel direct contre une loi par exemple est assez difficile à concevoir, principalement pour des raisons idéologiques. En effet, un tel cas de figure entrerait nécessairement en contrariété avec l’image de la loi comme l’expression de la volonté générale. Or, un seul individu ne devrait pas être en mesure de pouvoir contester cette volonté générale. Pourtant, le recours individuel direct, quand il permet de contester une loi, est loin d’être semblable à une actio popularis. Sur ce point, une comparaison avec le cas colombien s’imposait afin de trouver les éléments qui distinguent le recours individuel direct contre la loi de l’action populaire colombienne. L’actio popularis, au contraire du recours individuel direct, suppose ainsi l’absence de toute jouissance de droits subjectifs, et donc l’absence de toute lésion d’un droit subjectif, ce qui implique qu’aucune vérification par le juge constitutionnel de la condition de légitimation dans l’action du requérant n’est nécessaire. Ce recours contre la loi est possible en Allemagne, en Autriche et en Belgique, selon des modalités différentes qu’il convenait de présenter en soulignant les spécificités de chacun. Alors qu’en Autriche il s’agit d’une procédure autonome et complémentaire à d’autres, il est uniquement possible d’agir contre les actes formellement législatifs en Belgique devant la Cour constitutionnelle. De même, si en Allemagne, le recours contre la loi est ouvert par exception au principe de subsidiarité, l’Espagne n’a pas repris cet aspect du recours allemand dans la procédure d’amparo. Toutefois, une étude attentive de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel permet d’identifier l’introduction d’un tempérament par le juge constitutionnel lui-même. Ainsi, le recours espagnol permet de contester les actes matériellement législatifs, ce qui relativise la différence profonde entre l’Allemagne et l’Espagne.
S’agissant de la contestation des actes d’application de la loi, la majorité des formes de recours individuel direct autorisent la contestation des actes administratifs individuels (Autriche avant 2014, Allemagne, Espagne) ou des décisions de justice administrative rendues au sujet d’une telle contestation (Autriche après 2014). En revanche, le système autrichien ne permet toujours pas de contester les décisions de justice judiciaire, et encore moins les décisions de justice rendues par les juridictions suprêmes de chaque ordre juridictionnel. En cela, le système juridictionnel autrichien se distingue très profondément du système juridictionnel allemand. Ce dernier est en effet structuré de telle sorte que toute décision de justice peut in fine être contestée devant la Cour constitutionnelle fédérale. Cette dernière apparaît donc comme une véritable cour suprême, chapeautant l’ensemble du système juridictionnel allemand. Cette configuration est absolument refusée en Autriche, où la Cour suprême de l’ordre judiciaire, la Cour administrative et la Cour constitutionnelle restent sur un pied d’égalité (Matthias Jestaedt, « Gleichordnung der Grenzgerichte oder Überordnung des Verfassungsgerichts ? Zur Frage einer Übernahme des deutschen „Pyramidenmodells“ in Österreich », Journal für Rechtspolitik, 16, 2008, p. 17-22), l’une ne pouvant contrôler les décisions rendues par les autres.
L’étude des actes contestables permet enfin de faire ressortir un mécanisme original et intéressant, à savoir le contrôle de la loi par auto-saisine du juge constitutionnel. Lorsque le juge autrichien ou espagnol est saisi de la contestation d’un acte infra-législatif, il peut étendre son contrôle à la norme générale et abstraite servant de fondement à l’acte contesté. Le terme d’auto-saisine s’explique par le fait que le juge constitutionnel se saisit lui-même de la question de la constitutionnalité de la norme générale et abstraite, comme le ferait tout juge ordinaire par le biais d’un mécanisme préjudiciel. Cette auto-saisine se manifeste de façon différente en Autriche et en Espagne. Si le juge constitutionnel autrichien rend deux décisions distinctes sans que la formation de jugement ne diffère, seule la formation plénière du Tribunal constitutionnel peut être saisie et procéder au contrôle de la constitutionnalité de la norme générale et abstraite. Ce mécanisme révèle la superposition du contrôle de constitutionnalité de la loi à l’occasion d’une action en protection des droits fondamentaux. Et cette pratique témoigne d’une tendance à l’objectivation du contentieux propre au recours individuel direct. Cette objectivation se définit comme la tendance à ce que la protection de la cohérence des normes du système juridique – et leur contrôle de conformité aux normes de valeur constitutionnelle – prenne l’ascendant sur la protection effective des droits fondamentaux du requérant. Le juge constitutionnel pratique ainsi un contrôle de plus en plus abstrait, qui paraît éloigné des considérations initiales auxquelles répondait l’institution du recours individuel direct.
Le concept de recours individuel direct permet donc d’identifier les éléments caractérisant l’existence de l’action. En effet, le test sur l’action n’est pas la recevabilité, mais plutôt de savoir si elle existe ou pas. Si l’action existe bien, il s’agit donc d’une virtualité qui pourra être mise en œuvre. L’existence de l’action précède l’exercice du recours. Dès lors, s’intéresser à la théorie de l’instance suppose d’identifier les règles procédurales selon lesquelles ce recours est susceptible d’être exercé.
II. L’exercice du recours individuel direct, ou la comparaison des formes de l’instance
La théorie de l’instance a pour objet l’étude des règles de procédure au sens strict, à savoir les règles qui organisent l’instance. L’instance débute avec les « conditions de recevabilité », notion qu’il convient de préciser car elle a pu connaître des évolutions. Il apparaît en effet qu’elles ne conduisent plus automatiquement à l’examen au fond de la demande. L’apparition du « filtrage » vient ainsi relativiser la satisfaction de ces conditions de recevabilité. L’instance se termine avec la décision rendue par la juridiction, qu’elle soit une décision de rejet ou une décision rendue sur le fond. S’il s’agit d’examiner le contrôle au fond réalisé par le juge constitutionnel dans le litige qui lui est soumis, il convient également d’envisager les effets de ses décisions. C’est pourquoi, les règles de procédure au sens strict doivent être comprises tant comme les conditions de recevabilité dictant l’examen au fond du recours (A), que comme le contrôle au fond exercé par le juge constitutionnel et les effets de ces décisions (B).
A. Le passage progressif de la recevabilité à l’admission
Comment l’accès au juge constitutionnel se réalise-t-il dans le recours individuel direct ? Cette interrogation suppose d’identifier les conditions de recevabilité de la demande. On parle à ce niveau de demande, car il ne s’agit plus de l’action en tant que telle, mais de sa mise en œuvre qui devient alors exercice du droit de recours, et donc une demande. La recevabilité est conditionnée par des règles qui permettent de faire advenir le litige devant le juge constitutionnel. Dès lors, les conditions de recevabilité font l’objet d’une définition stricte. Il s’agit des conditions auxquelles doit satisfaire la demande pour être examinée au fond par le juge. Le caractère restrictif de cette définition explique pourquoi la qualité et l’intérêt pour agir ne rentrent pas dans ces conditions de recevabilité mais plutôt dans la définition de l’action. Les conditions de recevabilité se sont développées par mimétisme avec les règles applicables à la procédure civile. En cela, il s’agissait d’identifier aussi bien les règles communes avec la procédure civile que les règles de procédure propres à la justice constitutionnelle. Or, ces règles de procédure organisant l’instance semblent s’autonomiser par rapport aux règles de la procédure civile, à partir du moment où la protection des droits fondamentaux n’est pas une compétence monopolistique du juge constitutionnel. Ce dernier ne possède ainsi qu’une compétence subsidiaire. Sur ce point, on retrouve des éléments qui existent dans la procédure de recours individuel devant la CEDH. La subsidiarité se résume en effet en une condition d’épuisement des voies de recours disponibles. Le juge constitutionnel n’est donc juge de la protection des droits fondamentaux qu’en dernier et ultime recours pour les bénéficiaires de tels droits. De plus, une observation des règles procédurales fait apparaître que les conditions de recevabilité ne suffisent plus aujourd’hui à discriminer entre les recours susceptibles d’être examinés au fond et ceux qui ne le sont pas. La simple recevabilité n’est donc plus l’objectif à atteindre pour une demande.
À ces conditions de recevabilité s’ajoute désormais le filtrage des demandes. Le filtrage signifie que les conditions de recevabilité sont toujours nécessaires, mais qu’elles ne sont plus suffisantes pour que le recours soit examiné au fond par le juge. La demande doit en plus satisfaire certaines exigences désignées sous le terme de filtrage. Ces exigences peuvent être de deux ordres et sont aussi bien alternatives (Belgique, Autriche) que cumulatives (Allemagne, Espagne). Le filtrage peut ainsi être organique, en ce qu’une formation plus restreinte que la formation de jugement peut passer en revue l’admission des recours. Le cas le plus emblématique est ainsi l’Allemagne, où une formation de trois juges, soit la moitié de la formation de jugement, examine l’admission des recours. De manière complémentaire ou alternative, le filtrage peut également être appréciatif. Il s’agit en effet de la vérification que la demande pose une « question d’importance constitutionnelle fondamentale ». En posant cette exigence, la loi habilite le juge constitutionnel à rejeter tout recours qui n’aurait pas d’incidence au-delà du cas particulier du requérant, quand bien même ce dernier connaîtrait effectivement une atteinte à ses droits constitutionnellement garantis.
L’apparition et le développement du filtrage est une tendance à l’uniformisation s’alignant sur le modèle américain de sélection des recours pratiqué par la Cour suprême (Séverine Nicot, La sélection des recours par la juridiction constitutionnelle : Allemagne, Espagne et États-Unis, L.G.D.J. Fondation Varenne, coll. des Thèses n°6, 2006, 467 p.). Précisons toutefois que cette uniformisation n’est pas complètement achevée et qu’elle s’instaure progressivement au fil des révisions de la procédure d’admission. Dans la procédure de writ of certiorari, la Cour suprême est en effet en mesure de sélectionner discrétionnairement les cas qu’elle décide de traiter. Cet aspect supposait donc de comparer l’ensemble des réformes introduisant ce filtrage devant les juridictions constitutionnelles européennes avec la procédure telle qu’elle existe devant la Cour suprême des États-Unis. Alors que cela est généralement présenté comme une « objectivation » de la procédure, au sens où les considérations de cohérence des normes deviennent prépondérantes par rapport aux considérations relatives à la protection des droits (Jordane Arlettaz & Julien Bonnet (Dir.), L’objectivation du contentieux des droits et libertés fondamentaux. Du juge des droits au juge du Droit ?, Pedone, 2015, 200 p.), il nous semble au contraire que c’est la subjectivité du juge constitutionnel dans la sélection des recours qui est valorisée. L’étude des règles de l’instance permet en outre de développer la comparaison avec la procédure de QPC. En effet, si celle-ci connaît également un mécanisme de filtrage, ce dernier vise davantage à intégrer les juridictions suprêmes au mécanisme QPC que de constituer un véritable moyen de sélection discrétionnaire des cas. Ainsi, par l’introduction progressive d’exigences de filtrage, le passage de la recevabilité à l’admission (Annahme) dans le cadre du recours individuel direct est amplement caractérisé.
B. Le traitement des recours au fond par le juge constitutionnel
Il s’agit ici de savoir comme le juge constitutionnel traite ces recours au fond. Ceci suppose d’envisager d’une part, le contrôle exercé par le juge constitutionnel qui est nécessairement lié, d’autre part, aux effets de sa décision. Seule la fonction cassatoire du contrôle, identifiée par Hans Kelsen, semble réunir ces deux questions (Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl & Georg Fröhlich, Die Bundesverfassung vom 1. Okt. 1920, vol. 5, Franz Deuticke, 1922, p. 278-280). En effet, la façon dont le juge constitutionnel procèdera au contrôle au fond apparaît fortement liée aux effets des décisions du juge. Par ses décisions, le juge tente davantage de prendre en compte la question de la violation soulevée par le litige tout en veillant soigneusement à ne pas remettre en cause de façon trop importante l’ensemble des situations juridiques destinataires de la norme contestée. Le juge constitutionnel doit ainsi seulement casser la norme fautive, sur le modèle de la Cour de cassation qui casse les arrêts ne concrétisant pas conformément le droit. Cette fonction du juge constitutionnel n’est pas sans rappelé la forme initiale du recours pour excès de pouvoir (Jean Waline, « Plein contentieux et excès de pouvoir », Revue du droit public, 1er novembre 2015, n°6, p. 1551 s.).
La nature du contrôle exercé au fond n’est ni concrète, ni abstraite. Le recours individuel direct montre que l’on touche ici aux limites de la distinction entre contrôle abstrait et contrôle concret dans la théorie classique des modèles de justice constitutionnelle. Cette classification a perdu de sa cohérence et désigne bien trop d’éléments intriqués mais qui peuvent être distingués : le mode d’introduction du recours, le contrôle effectué au fond et notamment l’étendue de l’appréciation du juge et aussi les effets attachés à la décision. Or, si l’on pose une définition minimale du contrôle abstrait comme étant l’opération consistant strictement à évaluer la conformité du droit, c’est-à-dire sans aucune considération du juge sur le fond, comment ce dernier pourrait-il estimer la lésion de l’individu avérée ? Le juge est donc nécessairement contraint à s’intéresser aux faits. Pourtant, il lui est interdit de rejuger le fond de l’affaire ; il ne peut que vérifier la question de lésion des droits dont le requérant argue. Le juge constitutionnel doit donc respecter un équilibre entre la partie subjective de ce contentieux – à savoir protéger les droits fondamentaux – et la partie objective de ce contentieux – c’est-à-dire trancher le conflit de normes et apurer l’ordre juridique des normes fautives. Le contrôle est dès lors concret de par son origine et abstrait par sa portée. Concret par son origine : le contrôle au fond est profondément en lien avec le mode d’introduction du recours. Comme le contrôle de normes s’ancre dans un litige particulier, le juge constitutionnel doit nécessairement prendre en compte les faits pour évaluer l’atteinte aux droits sans toutefois basculer dans le rejugement du cas. Mais le contrôle reste abstrait par sa portée, puisque le juge constitutionnel devra résoudre un conflit de normes. Le litige particulier donnant lieu au recours individuel direct ne doit donc pas avoir d’influence sur la manière dont la juridiction jugera le problème de constitutionnalité. Et de ce point de vue, on observe une tendance intéressante. Plus la possibilité du requérant de se désister de l’instance est grande, et plus cela signifie que le procès ne peut pas lui échapper. L’individu n’est pas un prétexte permettant au juge constitutionnel d’apurer les normes fautives de l’ordre juridique ; ce dernier lui assure une protection effective en vérifiant si la lésion invoquée est avérée. Or, si le contrôle tend à s’étendre, cette extension semble se faire en faveur de la garantie de la conformité juridique objective des normes et corrélativement au détriment de la protection des droits. On voit rapidement que deux solutions sont susceptibles d’exister : celle applicable à la contestation de normes générales et abstraites et celle applicable à la contestation d’actes juridiques particuliers.
S’agissant des effets des décisions, la règle est variable en fonction des ordres juridiques. Le point commun qui apparaît incontestable est l’idée selon laquelle « l’annulation de l’acte inconstitutionnel […] représente la garantie principale et la plus efficace de la Constitution » (Hans Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la Constitution », Revue de droit public, 1928, p. 197-257). Or c’est précisément cette compétence d’annulation, notamment de la loi inconstitutionnelle, qui caractérise les juridictions constitutionnelles européennes. Cette annulation vaut ab initio. En réalité, l’aménagement des effets des décisions a connu diverses solutions dans les systèmes juridiques connaissant une forme de recours individuel direct. Ainsi, il se peut que l’annulation ne soit que partielle, car circonscrite aux dispositions s’avérant inconstitutionnelles. Toutefois, une tendance commune semble émerger dans tous les systèmes juridiques : outre la possibilité de moduler les effets dans le temps de ces annulations, la solution qui paraît s’imposer majoritairement est celle des effets pro futuro. Le seul système juridique dans lequel une exception à cette règle subsiste est l’Autriche. En effet, on y observe l’existence d’un régime d’annulation tel qu’il prend en compte aussi bien l’annulation de la norme contestée que l’objectif de protection des droits individuels. Il est donc possible que la Cour constitutionnelle étende les effets de la décision prise par rapport à la cause initiale à d’autres cas identiques et pendant en justice (Anlassfallwirkung). De tels effets supposent naturellement que le recours aboutisse par une décision au fond. Et dans le cas d’une décision de rejet ? La difficulté qui apparaît est celle de l’absence de toute motivation de ce type de décisions, qui compromet l’exigence de justification du raisonnement du juge. Il semble alors que la marge d’appréciation discrétionnaire du juge soit d’autant plus légitimée. La tension entre la protection des droits fondamentaux et la cohérence des normes du système juridique est encore une fois manifeste, les solutions concernant les effets des décisions penchant plutôt en faveur de la seconde.
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