Section III
Les voies de droit en matière administrative
§ 12 Le droit de recours
(189) En droit civil, quand on parle d’une protection du droit, on veut dire une protection du droit individuel assurée par la puissance publique spécialement organisée dans ce but.
Dans la sphère de l’administration, les droits individuels trouvent aussi leur protection dans des moyens spécialement imaginés dans ce but ; mais ils la trouvent déjà, et peut-être avec plus d’efficacité, dans l’organisation ordinaire de l’activité administrative ; c’est là qu’ils rencontrent la puissance publique appelée, par sa nature, à les protéger1.
D’un autre côté, à la différence de ce qui se passe en droit civil, l’ordre juridique dans l’administration ne se concentre pas d’une manière aussi exclusive
(190) dans les droits individuels : nous trouvons, à côté de ces droits, des intérêts individuels d’un caractère juridique plus ou moins prononcé, intérêts protégés eux-mêmes en premier lieu par la puissance publique dans la marche ordinaire de son activité administrative, et aussi par les moyens spéciaux qui peuvent servir à de véritables droits2.
Ce sont ces moyens spéciaux de protection dont nous avons à nous occuper ; la nature et la forme juridique de ces moyens restent les mêmes, qu’ils s’appliquent à des droits ou à de simples intérêts.
Ces moyens sont de différentes espèces. Pour protéger les intérêts des sujets, la loi établit des formes que doivent observer les autorités administratives dans leur manière de procéder ; en particulier, elle ordonne d’entendre les intéressés avant de prendre certaines mesures. Dans le même but, on prescrit la constatation authentique des rapports de droit public. On attache aujourd’hui une grande importance à l’organisation convenable des autorités administratives ordinaires : organisation collégiale, adjonction de fonctionnaires d’honneur, garanties d’une certaine indépendance vis-à-vis des supérieurs3. On retrouve partout des traits de la protection du droit, telle qu’elle est si sévèrement organisée pour le droit civil ; seulement, ici, tout est isolé et disséminé ; cela n’apparaît dans (191) les diverses manifestations de l’activité de l’administration que selon le bon plaisir du législateur.
Il y a surtout un moyen spécial de protection qui appartient en propre à la justice : c’est celui qui consiste à mettre à la disposition des intérêts individuels la puissance publique, dont on peut provoquer une décision sous certaines conditions et en suivant certaines formes. C’est ce qu’on appelle la voie de droit ; c’est une voie réglée par le droit, que le sujet doit suivre pour obtenir, s’il y a lieu, la protection de la puissance publique.
La loi a ouvert aussi des voies de droit dans l’administration ; elle y a ajouté, à différents degrés, d’autres moyens spéciaux de protection pour obtenir une égalité complète avec la protection de droit assurée par la justice. Dans l’essentiel, la voie de droit consiste toujours, pour le sujet, dans la collaboration juridiquement efficace à un acte d’autorité concernant ses intérêts.
On peut distinguer trois sortes de voies de droit en matière administrative.
1) La voie du recours formel, reposant sur le droit de recours (förmliche Beschwerde) ; nous en traiterons dans ce paragraphe.
2) La justice administrative, qui est la forme la plus importante et la plus complète de ce moyen de protection (Comp. §§ 13-15, ci-dessous).
3) La compétence des tribunaux civils en matière administrative, qui offre la voie de droit dans le sens strict de la vieille école, la voie devant les « tribunaux ordinaires » (Comp. §§ 16 et 17 ci-dessous)4.
(192) I. — Il s’agit, dans le recours, d’écarter un préjudice que l’individu éprouve de la part de l’administration. S’il doit en être ainsi, c’est non pas pour des motifs nouveaux qui détermineraient autrement la marche à suivre, mais parce que celle qu’on a adoptée n’aurait pas dû être suivie. Il s’agit de la désapprouver et, par conséquent, de la modifier. Elle peut être désapprouvée parce qu’elle viole le droit, ou parce qu’elle n’est pas conforme aux devoirs bien compris de l’administration pour le maintien de l’intérêt public et les ménagements dûs aux intérêts privés. Le préjudice peut être causé par un simple fait, par une négligence ou par un acte administratif. Quand il s’agit de recours, il est d’usage de donner à l’acte administratif le nom de résolution (Beschluss). Pour développer la doctrine du recours, nous allons supposer le cas où une résolution doit être attaquée.
1) Les résolutions que prend l’autorité administrative peuvent être modifiées de différentes manières.
L’administration peut les retirer elle-même. Elle est libre de le faire, pourvu qu’il n’y ait pas de loi qui le défende, ou pourvu que des droits individuels n’aient pas été créés par sa résolution (Comp. § 9, III, no 1 ci-dessus). Elle peut le faire spécialement aussi pour ce motif que la résolution porte préjudice à un individu et que, d’après le droit ou selon une juste appréciation des circonstances, elle n’aurait pas dû être prise. Ainsi, cette possibilité de retirer la résolution devient un moyen de protéger les intérêts individuels ; toutefois, elle n’équivaut pas encore à une voie de droit.
D’après l’organisation administrative, les autorités actives ont leurs supérieurs ordinaires, investis vis-à-vis d’elles, d’un certain pouvoir d’apporter une modification à leurs résolutions. Ce pouvoir est double. En premier lieu, l’autorité supérieure est le chef hiérarchique (193) qui peut, par un ordre adressé à son inférieur, enjoindre à ce dernier ce qu’il a à faire. Elle peut donc lui ordonner de retirer la résolution qui cause préjudice. D’un autre côté, l’autorité supérieure représente le degré administratif supérieur, l’instance qui peut être appelée à s’occuper de l’activité de l’autorité subordonnée pour dire, à sa place et d’une manière prépondérante, ce qui doit être de droit. Dans ce cas, par sa résolution, l’autorité supérieure modifie directement la résolution de l’autorité subordonnée et lui substitue, s’il y a lieu, l’acte qu’elle a créé.
Ces deux manières de procéder de la part de l’autorité supérieure ont pour limites celles de la compétence propre de l’autorité inférieure ; l’autorité supérieure ne peut ni donner des ordres, ni apporter directement des modifications que l’autorité inférieure ne pourrait pas faire (à moins que la loi ne donne des autorisations spéciales). Elle peut exercer son pouvoir de réformation, sous les deux formes, pour protéger un individu à qui la résolution a porté préjudice, soit qu’il ait été lésé dans ses droits, soit que ses intérêts seulement aient souffert. En tout cas, cela ne constitue pas une voie de droit au sens que nous avons établi.
Pour toutes ces possibilités d’apporter des modifications, il est de principe que l’on ne doit pas en faire trop facilement usage. Cela n’a pas besoin d’être dit expressément ; cela résulte de l’intention même qui a présidé à l’organisation des autorités. Quand une autorité prend une résolution ou toute autre mesure, elle a examiné le cas au point de vue du droit et du fait ; par conséquent, elle veut en avoir fini. Il serait contraire au bon ordre que, à chaque instant, elle voulût revenir sur cet examen, à l’effet d’apporter une modification éventuelle. Pour qu’elle s’occupe à (194) nouveau de la question, il faut un motif spécial qui l’y pousse, un doute sérieux qui s’élève sur l’opportunité de sa résolution. L’autorité supérieure s’imposera la même réserve ; à moins de motif spécial, elle ne procédera pas à un contrôle, ni par conséquent à une modification5.
2) Les intéressés peuvent s’adresser à l’autorité compétente pour modifier, et présenter les observations convenables en vue de faire servir cette compétence à leur profit.
Cette pétition, quand elle est adressée à l’autorité de qui émane la mesure préjudiciable, s’appelle remontrance (Gegenvorstellung)6 ; quand elle s’adresse à l’autorité supérieure, elle s’appelle recours (Beschwerde)7.
La réponse qui, dans l’un et l’autre de ces cas, est donnée, s’appelle le rescrit (Bescheid). Le rescrit peut, soit rejeter la pétition, soit y donner suite ; il y est donné suite, quand l’autorité estime qu’on (195) aurait mieux fait de ne pas prendre la mesure attaquée. Mais même au cas de rejet, le recours ou la remontrance peut avoir servi de moyen de protection : car le moyen de protection, comme la voie de droit dans la procédure civile, ne signifie pas qu’on aura toujours gain de cause ; il suffit qu’on ait accordé au plaignant un nouvel examen de son affaire. D’ailleurs, le recours n’obtiendra pas nécessairement cet examen. En règle, on ne laissera pas le plaignant sans réponse ; mais le rescrit peut dire — et il dira très souvent — que l’autorité n’est pas dans le cas de donner suite au recours, ou, pour parler franchement, qu’elle n’est pas disposée à s’occuper encore une fois de l’affaire. Pour la remontrance, il en sera de même.
C’est qu’en effet ces pétitions par elles-mêmes ne font pas disparaître les principes qui régissent l’exercice du pouvoir de modifier une résolution. Elles prouvent seulement que le plaignant n’approuve pas la mesure qui a été prise ; par là, l’opinion contraire, exprimée par l’autorité au moyen de cette mesure, n’est pas mise en doute au point qu’un examen nouveau doive nécessairement avoir lieu. A cet égard, il n’y a pas à distinguer suivant que la pétition invoque une violation du droit, ou la lésion d’un intérêt. C’est, il est vrai, le devoir de l’autorité invoquée de porter remède à la violation du droit qui pourrait avoir eu lieu ; mais c’est aussi son devoir de corriger de simples injustices, des manques d’égards et des rigueurs inutiles. Dans les deux cas, la seule chose à savoir est si vraiment quelque chose de répréhensible a eu lieu ; or, l’autorité ne procède pas, sans motif spécial, à l’examen de cette question. Le recours n’indique pas nécessairement ce motif. L’impression qu’il produit est une affaire de chance. Cette impression peut être tellement forte que du même coup naissent la volonté d’examiner et celle de modifier. Dans d’autres cas, le (196) recours passe presque inaperçu, et n’obtient qu’une réponse pour la forme. Ou bien l’on adopte un moyen terme ; on n’examine que le plus gros, ou seulement le point de droit ou tel autre point qui attire l’attention8. Mais, en ceci, le recours est le contraire de ce que nous avons appelé une voie de droit ; il en est de même pour la remontrance9.
(197) 3) Le recours devient une voie de droit, quand l’autorité à laquelle il est adressé est obligée de procéder à l’examen de l’affaire et de rédiger ensuite son rescrit. Cela peut être l’effet d’une instruction qui est donnée à l’autorité, mais cela ne suffit pas. Il faut que l’on soit tenu juridiquement envers l’individu à cet examen ; il faut qu’une règle de droit, une loi ou une ordonnance ait imposé cette obligation. Il en résultera, au profit de l’individu, un droit individuel correspondant, un pouvoir sur cette activité de la puissance publique, le droit de recours. Cela ressemble beaucoup au droit du demandeur en matière de procédure civile. Le recours fondé sur ce droit, à la différence de celui qui résulte simplement de l’organisation hiérarchique des autorités, est appelé le recours formel10.
(198) De la même manière, à côté de la simple remontrance, nous trouvons une pétition que l’autorité à laquelle on s’adresse est obligée d’examiner, à l’effet de retirer ou de maintenir sa propre résolution selon le résultat de cet examen : c’est l’opposition, avec le droit d’opposition11.
- — Le nom de recours formel se justifie par ce fait que le droit de recours, sur lequel il repose, entraîne certaines déterminations juridiques de la procédure qui n’existent pas dans le recours simple.
1) Etant donné que le recours simple n’est pas (199) autre chose qu’une dénonciation ayant pour but d’inciter l’autorité à se servir de son pouvoir de réformation, peu importe l’intérêt qui fait agir le plaignant. Au contraire, dès qu’un droit de recours est reconnu, il est nécessaire de déterminer les personnes auxquelles il appartient, et dans quelles conditions il leur appartient.
La loi détermine les actes contre lesquels le recours est possible ; ce sont principalement des actes administratifs12. Elle peut désigner celui qui a le droit de former ce recours. Il peut aussi être dit que le recours appartient à celui qui prétend avoir été lésé dans ses droits par cette résolution. Dans le cas le plus fréquent, — celui où la loi dit seulement que le recours est admis contre telle ou telle sorte d’actes, — il n’en résulte pas que le recours soit restreint aux personnes qui invoquent un droit lésé.
D’un autre côté, il ne faut pas dire que le droit de recours appartient à tout individu qui se prétend blessé dans ses intérêts d’une manière quelconque, même indirecte, ou froissé dans ses sentiments. Lorsque la voie de recours formel est ouverte contre une résolution, cela n’a lieu, à moins d’indication expresse, qu’au profit des personnes qui ont été l’objet direct de cet acte et pour lesquelles cet acte a eu un effet juridique. Les tiers sont exclus. Pour tracer la ligne de démarcation, il faut appliquer les principes qui servent à déterminer la personne qui peut jouer le rôle de demandeur devant la justice administrative13.
(200) 2) A la différence de ce qui a lieu pour le recours simple, lorsqu’il s’agit d’exercer le droit de recours, le délai de recours est essentiel. Le recours simple implique par lui-même qu’il est restreint à un certain temps ; plus tardivement le recours simple se produit et moins il donne à l’autorité l’impression qu’il y a un motif sérieux de procéder à un nouvel examen de l’affaire. Pour le droit de recours, au contraire, cette limitation naturelle n’existe pas. On peut acquiescer, il est vrai, à la résolution qui cause préjudice et la rendre ainsi inattaquable ; les autorités ne manqueraient pas de trouver un acquiescement dans le cas où l’on aurait tardé trop longtemps à former le recours ; car il faut bien que l’incertitude cesse. Mais alors le droit de recours lui-même dépendrait d’une question d’appréciation ; il deviendrait précaire. La fixation d’un délai légal est le moyen de concilier ces intérêts opposés. Avant l’expiration de ce délai, il ne sera pas permis de présumer un acquiescement à raison du seul fait qu’on n’aura pas usé du droit de recours. Le délai écoulé, le droit de recours est éteint.
Cela n’enlève pas à l’autorité la faculté de procéder d’office à l’examen de l’affaire ; peut-être le recours tardif lui en fournira-t-il encore l’occasion14.
La fixation d’un délai légal de recours suppose par elle-même la reconnaissance d’un droit de recours ; car ce n’est qu’en considération de ce droit que le délai se trouve logiquement justifié15.
(201) L’existence d’un droit de recours peut également résulter de l’établissement par la loi de certaines formes de procédure qui devront être observées par l’autorité pour statuer sur le recours. L’autorité doit justifier ainsi de l’examen nouveau à la suite duquel elle doit rendre son rescrit.
3) Le recours simple s’adresse aux pouvoirs de réformation existants. L’exercice du droit de recours fait naître des pouvoirs qui n’auraient pas lieu sans le recours.
Le recours peut faire disparaître des obstacles qui, sans lui, s’opposeraient au pouvoir de réformation. Tel est le cas pour les droits individuels que l’acte attaqué peut avoir créés ; le pouvoir de réformation se trouve lié, non seulement celui de l’autorité dont l’acte émane, mais encore celui de l’autorité supérieure (Comp. 9, III, no 1 ci-dessus). Le recours simple n’y peut rien ; il ne peut pas dégager le pouvoir ; autrement, ce recours appartenant à tout le monde et n’étant soumis à aucun délai, il ne pourrait jamais être question de droits acquis. Au contraire, s’il existe, à l’encontre d’une résolution, un droit de recours, le droit d’un tiers, fondé sur cet acte, ne peut pas faire obstacle à la réussite du recours ; autrement, le droit de recours serait illusoire. Par conséquent, le droit du tiers est nécessairement soumis à une condition résolutoire. Le plaignant remplit cette condition en formant son recours dans le délai. La conséquence est qu’il rend l’autorité libre de statuer sur son recours, comme si la résolution attaquée n’avait pas créé de droit individuel16.
(202) Il se peut aussi que seul l’exercice du droit de recours attribue à l’autorité le pouvoir de réformation que ce soit seulement grâce au droit de recours qu’elle devienne compétente. La loi ordonne, par exemple, que l’autorité supérieure ne doit faire usage de son droit de réformation que s’il y a plainte. Cela ne vise pas, naturellement, un recours simple soulevé par n’importe qui. Cela suppose toujours un droit de recours dont l’exercice aura seul la force de mettre en mouvement l’autorité en vue d’examiner et de statuer à nouveau.
Cet effet du droit de recours se présente sous la forme la plus prononcée dans les cas où l’on .a organisé des instances de recours spéciales, représentées par des autorités collégiales indépendantes. Ces autorités, par leur nature, ne sont ni aptes ni appelées à exercer, comme des autorités supérieures ordinaires, une surveillance continue et à agir d’office ; elles ne peuvent devenir compétentes que sur la demande d’un intéressé et en vertu d’un droit de recours. Comme les résolutions sur lesquelles les autorités collégiales sont appelées à exercer le contrôle légal, ne peuvent être modifiées que par elles, il est nécessaire que, non seulement le sujet, mais encore l’Etat puisse les mettre en mouvement pour faire valoir les intérêts publics lésés par une résolution de ce genre. Ainsi, le formalisme de cette institution a pour conséquence que, devant ces autorités de recours, les autorités administratives ordinaires elles-mêmes se présentent comme plaignantes au nom de l’Etat. L’Etat lui-même a ici un droit de recours, de même qu’il joue le rôle de (203) demandeur devant les tribunaux civils et administratifs. C’est pour lui-même le moyen d’obtenir la modification d’une résolution de ce genre17.
Dans son ensemble, cette institution présente une ressemblance frappante avec la position du tribunal civil et avec la forme de la justice. Une seule chose essentielle manque, ainsi que nous le verrons18.
III. — Dans l’ancien droit, le recours aboutissait, en règle, à un ordre du supérieur qui prescrivait la rectification. Aujourd’hui, le rescrit peut aussi prendre la forme d’un acte administratif fixant directement le rapport juridique dont il s’agit, à la manière d’un jugement d’appel. Dans le recours formel, le rescrit doit toujours se produire dans ce dernier sens.
Cet acte administratif peut avoir pour contenu les rapports juridiques les plus variés ; ici nous n’aurons à considérer que son importance générale pour le règlement de l’affaire qu’il vise. A cet égard, il faut distinguer trois cas qui peuvent se présenter.
1) Le rescrit oppose un refus, le recours est rejeté.
Cela n’équivaut pas à un arrêt confirmatif. Autrement, l’autorité inférieure serait liée par cette résolution dont le contenu reposerait dorénavant, non pas sur sa propre volonté, mais sur la volonté — inviolable pour elle — de l’autorité supérieure.
Ce n’est pas non plus, comme dans l’ancien droit et (204) comme cela peut encore arriver dans le recours simple, une communication faisant connaître que l’autorité n’a pas l’intention d’intervenir contre la mesure attaquée. L’acte administratif que contient notre rescrit doit, d’après sa nature, déterminer, pour le plaignant, ce qui sera de droit pour lui.
Ce qu’il détermine ainsi, c’est que la mesure attaquée ne doit pas être modifiée dans la voie du recours. Le droit de recours est épuisé. Si le plaignant revient à la charge, c’est une simple remontrance sans qu’il y ait droit à un examen nouveau. Si, d’après la loi, l’intervention de l’autorité supérieure n’est admise qu’autant qu’elle a été régulièrement invoquée par les intéressés, cette instance est désormais définitivement écartée.
La mesure originaire elle-même ne reçoit, par un rescrit de rejet, aucune qualification juridique nouvelle. Elle subsiste comme acte de l’autorité inférieure, pouvant être retiré par cette dernière ou modifié par elle, absolument comme cela aurait pu avoir lieu s’il n’y avait eu ni recours ni rescrit.
2) Le rescrit désapprouve la mesure attaquée et l’annule, sans mettre à la place une mesure nouvelle. Alors le rescrit équivaut à une pure négation : ce qui a été soumis au contrôle ne doit pas être juridique ; et il en est ainsi vis-à-vis du plaignant, avec la force de l’acte administratif. Peu importe que cette déclaration ait été motivée parce que la mesure était illégale, ou parce qu’elle n’était pas juste, ou parce qu’elle était inopportune. Désormais, tout est illégal ; ce serait faire tort au plaignant, de la part de l’autorité inférieure, que d’agir contre lui en partant de l’idée que la mesure est valable. Ce qui a été déjà fait en vertu de cette mesure doit être remis dans son premier état ; le plaignant a le droit de l’exiger, même si le rescrit n’a rien dit à cet égard. D’ordinaire, l’autorité supérieure ne (205) manque pas de déduire ces conséquences en fait de restitutions, de démolitions d’ouvrages et d’inhibitions de procéder ultérieurement.
Mais le rescrit qui désapprouve, comme celui qui confirme, ne vaut que pour le cas particulier. Ce qui est juridiquement annulé, c’est seulement la résolution, la mesure qui a fait naître le recours. Il n’est pas dit que désormais pareille chose ne doit plus être faite à l’encontre du plaignant. L’autorité inférieure peut immédiatement prendre une nouvelle résolution ayant le même contenu. L’annulation qui a frappé la première résolution n’étend pas son effet sur la résolution nouvelle. L’autorité s’expose seulement à obtenir, sur un nouveau recours, le même résultat ; si elle s’entête, en dépit de l’autorité supérieure, à reproduire le procédé désapprouvé, cela pourra aboutir à des responsabilités personnelles.
3) Le rescrit peut, à la place de la mesure attaquée et en la modifiant, prescrire lui-même des dispositions sur le fond de l’affaire. Alors il y a, en même temps, désapprobation de tout ce qui y est contraire ; pour le reste, le rescrit détermine à nouveau le rapport avec la force de l’acte administratif ; il est obligatoire pour tout ce qui se fera ultérieurement dans cette affaire. L’autorité inférieure sera chargée de l’exécuter ; on lui renverra l’affaire dans ce but. Mais sa position est maintenant tout autre que si elle avait fait elle-même cet acte administratif : l’acte est intangible pour elle, d’après les principes généraux de l’ordre hiérarchique, qui veulent que la volonté de l’Etat émanant des degrés supérieurs soit considérée comme la meilleure et la plus forte. L’autorité supérieure, au contraire, de qui émane cet acte, peut le modifier d’après les mêmes règles qui permettent en général de retirer ses propres actes. De même, les autorités encore plus élevées sont, vis-à-vis de cet acte, dans la même situation que vis-à-vis (206) de tout autre acte émané d’une instance inférieure. La seule question est celle de savoir si ces autorités trouveront dans leurs compétences l’occasion de s’occuper encore de l’affaire.
Donc, tout ce qu’il y a de particulier dans les effets de cet acte ne repose que sur les rapports hiérarchiques des autorités et sur les principes de subordination qui en résultent. Ces particularités existeraient également si l’acte avait été fait sur recours simple, ou bien si l’autorité l’avait fait d’office. Le fait qu’il a été obtenu dans la voie du recours formel ne lui donne pas de qualités juridiques nouvelles, pas de force ni de signification nouvelles. C’est là le point où l’opposition apparaîtra entre la voie de recours et la voie de la justice administrative.
- V. Sarwey, Oeff. R. u. Verw. R. Pfl., pp. 71, 72. — Gneist, Engl, Verw. Recht, I, pp. 320 ss. se représente toute cette protection sous la forme d’un contrôle exercé sur l’activité de l’administration ; il distingue alors le contrôle administratif, le contrôle judiciaire et le contrôle parlementaire. Il cherche à démontrer l’existence de ces trois sortes de contrôle dans toutes les branches de l’administration. Quand il s’agit de contrôle, il nous semble que, pour le droit allemand, celui que le prince exerce personnellement ne devrait pas être oublié. Du reste, tout se qui sert à protéger les sujets n’a pas la forme d’un contrôle. [↩]
- Gneist, Rechtsstaat, p. 271 : « Quand on dit que toute juridiction ne peut être entendue que d’une protection accordée aux droits individuels, c’est une petitio principii tirée du droit civil ». Dans ses différents écrits, il invoque le principe qu’il ne s’agit toujours que du maintien de l’ordre juridique. On a combattu sa doctrine ; il n’a pas eu de peine à montrer que ce qu’il appelle « juridiction » a lieu même dans le cas où l’ordre juridique et les règles de droit ne sont pas en jeu. Mais Gneist n’attache pas un sens aussi strict à son ordre juridique ; celui-ci comprend aussi, pour lui, « l’appréciation impartiale » (Unparteiische Massbestimmung) : Rechtsstaat, p. 272 ; Engl. Verw. Recht, I, p. 417. Avec une terminologie aussi élastique, il est aisé d’échapper à toute critique qui veut se servir des armes de la logique. [↩]
- Gneist, Rechtsstaat, pp. 284 ss. ; G. Meyer, Staatsrecht, § 182. [↩]
- Voie de droit, au sens originel, ne signifie pas autre chose que voie aux tribunaux. A vrai dire, les tribunaux civils ne seraient les tribunaux ordinaires que pour les affaires du droit civil. Parey, Preuss Verw. Recht, I, p. 3, note, proteste, à bon droit, au nom des tribunaux administratifs contre la généralisation de ce titre. C’est un reste de notre passé historique. [↩]
- Les juristes bavarois donnent à ce principe la formule suivante : on ne doit intervenir dans les décisions des autorités inférieures que dans le cas « où des intérêts publics sont manifestement et sérieusement compromis » (Kreis, Handb. der inneren Verw., I, p. 62), ou dans le cas « où, par un acte de l’autorité inférieure, l’intérêt public ou le droit existant a été lésé à un degré considérable » (Seydel, Bayr. Staatsrecht, II, p. 394). [↩]
- Parey, Preuss. Verw. R., I, p. 179. La remontrance est un moyen de droit extraordinaire, admis non par une déclaration expresse des lois administratives de 1883, mais conformément à l’usage existant, par la jurisprudence de l’Ober-Verwaltung-Gericht. Pourquoi « extraordinaire », si la chose va de soi ? Du reste, le terme de « moyen de droit » (Rechtsmittel) dans notre langue juridique n’est employé que dans les cas où l’on s’adresse à une autorité autre que celle de qui émane la résolution attaquée. [↩]
- O. V. G., 19 décembre 1883. — On cite aussi la « requête » (Gesuch) comme troisième moyen de protection pour les droits et les intérêts lésés, à côté de la remontrance et du recours : Seydel, Grundzüge, p. 102. Ulbrich, Oest. Staatsrecht. p. 115, parle même d’un droit de requête (Gesuchsrecht). C’est L. v. Stein (Verw. Lehre, I. pp. 282 ss.) qui est le père de cette idée. Mais ou bien la requête est une remontrance, ou bien elle est un recours, ou bien elle ne nous intéresse pas du tout. [↩]
- Cet état de choses a été exprimé avec une clarté particulière dans l’ordonnance badoise du 12 juillet 1864, § 6 : « Contre des dispositions rendues en matière administrative et de police, chaque intéressé est admis à former son recours à l’autorité supérieure. Mais celle-ci n’est tenue de donner suite au recours qu’autant qu’elle le juge indiqué par l’intérêt public ». — Il est bien naturel, en effet, que l’autorité se résolve plus facilement à procéder à un examen de l’affaire lorsque quelqu’un qui se prétend être lésé invoque son secours, que lorsqu’il s’agit de procéder d’office. Gerber, Oeff. Rechte, p. 79, note 1, reconnait là « la bienveillance de nos autorités qui ne résistent pas facilement à des prières ». –– La diversité des réponses peut devenir très importante, quand il s’agit de délais pour de véritables moyens de droit : a t-on refusé d’examiner la remontrance au fond, le délai court à partir de l’acte primitif ; mais si, sur la remontrance, l’autorité « a procédé à un nouvel examen et si, après cet examen, elle a pris une résolution nouvelle », le délai ne court qu’à partir de cette « seconde disposition ». En ce sens, O. V. G., 2 juin 1881 (Samml. VII, p. 253). [↩]
- Nous avons insisté sur le principe que, en général et à défaut d’une disposition légale, la nature de la lésion dont on se plaint est indifférente pour la nature et l’effet du recours. Mais, en doctrine, on se donne beaucoup de peine pour faire une distinction essentielle reposant sur le contenu du recours. D’après L. v. Stein, le recours forme, par son contenu, l’opposé de l’acte introductif d’instance devant la justice administrative ; c’est le contraire de la demande administrative. Cette dernière ne peut jamais invoquer l’intérêt et l’utilité, elle repose exclusivement sur le droit lésé (Verw. Lehre, I, p. 376). Le recours, au contraire, est toujours dirigé contre un fait de l’autorité « qui, sans violer un droit, est préjudiciable aux intérêts des citoyens » (loc. cit., p. 385). Cette distinction, évidemment, n’est pas d’accord avec la réalité ; cependant, on a admiré sa « précision » (Schulze, Preuss. Staatsrecht, II, p. 669, note 1 et p. 670 ; dans ce sens aussi : Bornhak. Preuss. Staatsrecht, II, p. 471 ; Seydel, Grundzüge, p. 103 ; voy. Cependant le même, Bayr. Staatsrecht, II, pp. 393, 493). — Au cours de la discussion, on a fait intervenir l’opposition dans la notion même du recours ; l’on a distingué un recours de droit (Rechtsbeschwerde) et un recours d’administration (Verwaltungsbeschwerde) : v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 116 ; Wörterbuch, I, p. 162 ; Ulbrich, Oestr. Staatsrecht, p. 422. Le premier reposerait sur le droit violé, le second sur le simple intérêt lésé. Si le « recours de droit » ne doit être qu’une autre expression pour désigner la demande administrative dans le sens de L. v. Stein — ce qui n’est pas toujours clair — nous n’avons rien à ajouter à ce que nous venons de dire. Si, au contraire, le véritable recours, l’appel au supérieur, doit être divisé ainsi en deux espèces différentes, selon que l’on allègue une violation d’un droit ou tout autre préjudice, nous demanderons en quoi le recours, par cette différence du motif invoqué, devient en lui-même un autre moyen de droit. Aussi longtemps qu’on ne répondra rien sur ce point, il nous semble qu’il est bien inutile de s’amuser à chercher des divisions pareilles. [↩]
- Sur la nature du droit du demandeur, auquel nous comparons le droit de recours, voy. Laband, Staatsrecht, édit, all., II, pp. 338 ss. (édit. franç., IV, p. 156). D’ordinaire, on ne se rend pas compte de la portée du droit de recours. G. Meyer, Staatsrecht, § 223 : « Le droit de recours est le pouvoir de s’adresser aux organes supérieurs de l’Etat pour demander le redressement des dispositions des organes inférieurs ». Mais cela ne serait qu’une faculté d’agir, ce ne serait pas un droit ; ou, si l’on veut, un droit dans le genre de ceux que Gerber, Oeff. R., p. 79, note 1, mentionne pour les écarter, comme le droit de faire des pétitions, le droit de penser, etc. Il est permis à tout le monde de prier et de demander, cela est certain. Mais le droit à un examen et à une résolution de l’autorité n’appartient pas à tout le monde. D’après G. Meyer et bien d’autres auteurs, le droit de recours se confond avec la possibilité de former un recours simple. Cette manière de voir ne s’explique que par le souvenir des agissements du régime de la police ; dans ce régime, par des « peines infligées aux solliciteurs » (Querulantenstrafen) et autres moyens, on a voulu faire perdre aux sujets le goût de se plaindre. On appelle cela maintenant un droit, parce que ce n’est plus défendu. C’est sous cette forme que le droit de recours nous est naïvement proposé par v. Roenne, Preuss. Staatsrecht, II, p. 176 : « De la nature du Rechtsstaat résulte nécessairement le pouvoir, pour chaque citoyen, de demander, sans empêchements et sans désavantage personnel, l’accomplissement de certains agissements, et de s’adresser, en conséquence, par des prières et des requêtes, aux autorités compétentes ». Qu’il est facile à satisfaire, ce Rechsstaat ! Mais plusieurs de nos chartes constitutionnelles, qui consacrent expressément un droit de recours contre « un agissement contraire à la loi et au bon ordre » (Saxe, § 36. Wurttemberg, § 36. Oldenbourg, art, 47. Cobourg-Gotha, § 46), semblent le comprendre dans le même sens ; pour Cobourg-Gotha, la chose est certaine. — Lœning, Verw. R., p. 794 envisage bien le véritable droit de recours en disant : « Il s’agit d’un droit, car il a pour correspondant l’obligation des autorités, reconnue expressément dans la plupart des Etats, d’examiner les recours qui leur sont adressés et d’y répondre ». Mais Lœning efface le caractère distinctif du droit de recours par la tendance qu’il manifeste d’attribuer le même effet juridique à toute sorte de recours. Pour que le droit en question existe, il suffirait, d’après lui, que la loi contienne des prescriptions indiquant comment on doit procéder pour statuer sur un recours ; comme pis aller, il imagine, à cet effet, un droit coutumier qui, créant ces règles, établirait par cela même un droit de recours des intéressés (p. 795, note 1), Mais le recours simple, sans droit individuel, est le cas ordinaire et la règle ; dans bien des cas, il peut être considéré comme suffisant. L’admission d’un droit de recours est une mesure particulière qui ne peut résulter que de la volonté exprimée dans une loi ou dans une ordonnance. La différence devient apparente quand dans une affaire, les deux sortes de recours se présentent à la fois ; ainsi, Bl, f. adm. Pr. 1882, p. 243, contre les résolutions de la commission de l’assistance publique, la commune a le recours, c’est-à-dire le recours formel ; mais l’indigent peut, de son côté, essayer au moins de provoquer la mesure d’office ; c’est ce que nous appelons le recours simple. [↩]
- Parey, Preuss. V. R., I, pp. 180 ss., où la différence avec la remontrance est bien montrée. V. Brauchitsch, Verw. Gesetze, I, p. 200, insiste trop exclusivement sur le caractère particulier de l’opposition qui peut être introduite dans la procédure pour parer à une résolution encore à prendre. Elle n’est pas toujours à cette place ; elle ne se distingue pas par là du recours simple qui peut intervenir de la même manière. [↩]
- Quand il s’agit de mesures matérielles, de simples sommations et d’avertissements, le recours formel n’est pas à sa place ; comme l’appel, il suppose un acte d’autorité. Mais la loi peut en disposer autrement ; Bl. f. adm. Pr. 1876, p. 159. [↩]
- Parey, Preuss. V. R., I, p. 262 : « Le recours sans formes n’étant qu’une dénonciation, une communication, une incitation, peut être transmis à l’autorité par quivis ex populo, tandis que, dans le recours formel, la capacité pour le former joue un rôle important, de telle sorte qu’un recours pour ainsi dire « populaire » ne peut pas avoir lieu ». Nous ne voudrions reconnaitre d’effet juridique à l’acte et par conséquent capacité pour l’attaquer que chez la personne vis-à-vis de laquelle l’acte a été accompli. La jurisprudence étend un peu ce cercle : O. V. G., 13 décembre 1876 : par ordre de police, il a été défendu aux aubergistes de servir des boissons à un ivrogne ; l’ivrogne a capacité pour attaquer cet acte par le moyen de droit, puisque cet acte a porté atteinte « à la sphère de ses droits ». [↩]
- L’autorité ne s’y prêtera que dans des cas très exceptionnels : Krais, Handb. d. inneren Verw., I, p. 63. [↩]
- C’est pourquoi l’Ordonnance Badoise du 12 juillet 1864, § 86, en parlant du recours auquel l’autorité ne doit pas nécessairement donner suite, ajoute : « Ces recours ne sont assujettis à aucun délai ni à aucune forme de procédure ». [↩]
- L’Ordonnance Badoise du 12 juillet 1864, § 87 (dont le contenu essentiel se retrouve dans l’Ordonnance du 31 août 1884, §§ 42 et 43) dispose que des permissions et autorisations créant des droits individuels ne peuvent être révoquées que pour incompétence, excès de pouvoir, etc., mais cette restriction n’a lieu que lorsque « le délai de recours est expiré » ; pour parler plus exactement, dans le cas où il n’a pas été introduit de recours formel en temps utile ; dans le cas contraire, la révocation n’est plus empêchée par le droit individuel qui a été créé. Weizel, Bad. Ges. v. 1863, p. 296, note 1. [↩]
- Ce système a trouvé son expression la plus forte dans la procédure suivie devant les « autorités délibérantes » (Beschlussbehörden) du droit prussien ; comp. Bornhak. Preuss. Staatsrecht, II, pp. 475 ss. Il en est de même du recours en matière administrative d’après le droit badois (Ord. du 12 juillet 1864 et du 31 août 1884), où figure également un recours du fonctionnaire préposé au cercle contre la résolution de l’autorité collégiale indépendante (Bezirksrat). [↩]
- Parey, Preuss. Verw. R., I, p. 170, parlant des affaires de l’administration délibérante (Verwaltungsbeschlussachen) et des affaires de l’administration contentieuse (Verwaltungsstreitsachen) déclare : « Dans les unes comme dans les autres, il faut voir une activité judiciaire ». C’est vrai pour les affaires contentieuses ; pour la procédure des autorités délibérantes qui statuent sur le recours, il ne s’agit que d’une analogie. [↩]
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