Section III
Principes généraux du droit administratif
§ 13 La justice administrative. – Généralités
(207) La notion de justice administrative a son origine dans la notion de justice civile. Elle présente, par rapport à la justice civile, une opposition des autorités par lesquelles est exercée une certaine activité : elle commence par opposer les tribunaux civils aux autorités administratives. Mais la justice administrative suppose, en même temps, une identité en ce qui concerne l’activité elle-même : l’autorité qui fait partie de l’organisation administrative agit comme un tribunal et comme un tribunal statuant en matière contentieuse civile1. C’est pourquoi l’autorité qui doit agir dans ces conditions s’appelle un tribunal administratif ; et l’acte par lequel prend fin chaque fois son activité est un jugement administratif.
Le jugement administratif opère comme le jugement civil : il détermine, pour le cas individuel, ce qui doit être de droit pour les parties intéressées.
(208) Seulement, au lieu d’un rapport de droit civil, il a pour objet un rapport de droit public, une relation entre la puissance publique et les particuliers : c’est un acte administratif dans le sens que nous avons développé plus haut (§ 5, II ; § 8, I). Mais le fait de cette détermination d’un rapport juridique par un acte d’autorité ne rend pas complètement compte de la notion de justice, soit civile, soit administrative. En ce qui concerne la justice administrative, cela apparait évidemment à raison de l’existence d’actes administratifs innombrables qui ont tous ce même effet, sans cependant qu’ils soient en même temps des jugements administratifs et sans qu’il soit question de justice administrative. En quoi diffèrent-ils ? Quelles sont les marques distinctives que l’acte administratif doit avoir emprunté à la justice civile, pour qu’apparaisse la notion de justice administrative ? Telle est la question à résoudre. On perd trop souvent de vue, à notre avis, cette coexistence de deux actes semblables, quoique profondément différents, que nous présente le droit administratif. Cette coexistence doit servir à élucider quelques graves problèmes qui nous sont communs avec la science du droit de procédure civile.
I. — La justice civile a pour objet ordinaire la solution d’un litige, d’une contestation juridique. Le jugement détermine ce qui doit être de droit entre les parties, en déclarant ce qui déjà est de droit pour elles. Il dit uniquement ce que la loi a voulu pour ce cas ; il est la viva vox legis. Par là, il constate à la fois les droits individuels existants et leur attribue la certitude nécessaire pour qu’ils soient ramenés à exécution par la force. La constatation, c’est l’affaire essentielle du jugement2. Le mot juridiction (Rechtsprechung), (209) dont on se sert comme synonyme de justice contentieuse, désigne très exactement ces qualités caractéristiques3.
Notre doctrine, on ne saurait le méconnaitre, est dominée par l’idée que la mission de la justice administrative doit nécessairement être fixée de la même manière, et que, par essence, elle a un contenu identique. Au début, quand la justice administrative avait encore à lutter pour son existence, on avait soin de faire apparaitre au premier plan ce qu’on appelait les affaires administratives contentieuses ou « contestations de droit public » (Parteistreitigkeiten des öffentlichen Rechts). Il s’agit ici d’une contestation entre particuliers sur leurs droits et devoirs réciproques résultant d’un rapport de droit public ; une autorité administrative est appelée à statuer. Cela ressemble tellement à la situation qui se présente normalement dans un procès de droit civil, qu’on peut espérer convaincre les adversaires même les plus acharnés de l’idée de justice administrative4.
Mais on ne peut pas s’arrêter là : il en sera de même quand un particulier est placé vis-à-vis de l’Etat pour réclamer ou défendre ses droits. On ne s’éloigne pas encore trop du modèle qu’on veut trouver dans la matière de la justice civile. Et l’on défend cette thèse : il y a justice administrative quand une autorité administrative doit statuer sur un droit individuel5.
Le droit individuel, il est vrai, est assez rare dans (210) la sphère du droit public ; qui plus est, il y a un désaccord complet sur ses qualités distinctives. Pour ne pas trop restreindre le cercle de la justice administrative, on se voit dans la nécessité de laisser passer comme droit individuel l’intérêt simplement protégé d’une manière quelconque par les règles de l’ordre juridique. Ainsi, on arrive à poser le principe que la justice administrative peut également être appelée à maintenir simplement le droit positif, l’ordre juridique pour lui-même, que des véritables droits individuels en résultent ou non6.
Mais, en fin de compte, peu importe que la décision soit liée et déterminée par la loi, par la coutume, par un droit individuel ou par le contenu d’un acte qu’il s’agit d’interpréter ; il ne doit pas y avoir de différence, pas plus que dans la justice civile. Ainsi, le résultat final, c’est l’identification de la justice administrative avec la juridiction dans le sens strict du mot, c’est-à-dire la déclaration de ce qui est de droit dans le cas individuel. L’acte de juridiction n’est autre chose que l’acte administratif que nous appelons une décision et que nous avons défini ci-dessus, § 8, II, no 3. Par sa nature, la justice administrative consiste donc (211) dans l’émission de décisions par des autorités de l’organisation administrative. Mais comme on ne nie pas qu’il faut ajouter d’autres éléments caractéristiques relatifs surtout à la forme de la procédure à suivre, on aime à formuler la thèse d’une manière négative, en écartant de la justice administrative ce qui est le contraire d’une décision. C’est ainsi que, en dernière analyse, on nous donne la formule suivante : des actes d’appréciation libre ne peuvent pas faire l’objet de la justice administrative7.
On parle d’appréciation, même dans l’activité juridictionnelle ordinaire du tribunal civil. Pour dire ce que la loi a voulu pour le cas individuel, il faut que le tribunal puisse adapter cette volonté aux circonstances ; étant donné la variété immense des circonstances, cela ne lui est possible que si une certaine latitude lui est laissée. La loi ne pouvant pas toujours donner la solution stricte, se borne à donner des principes d’après lesquels doit se déduire la solution qu’elle a voulue. Le juge applique ces principes par son appréciation. Les principes peuvent être plus ou moins larges. On parle même d’une libre appréciation du juge, lorsque la latitude est très grande. Mais toujours, à quelques exceptions près dont nous parlerons tout à l’heure, le juge ne dit pas : « je veux au nom de l’Etat et en vertu d’une autorisation de la loi », mais : « je déclare que la loi veut dans ce cas, et j’ai trouvé sa volonté par une libre appréciation ». C’est ainsi que le juge évalue les dommages-intérêts, fixe les délais de livraison, détermine l’étendue d’une servitude, etc.
(212) La libre appréciation dont il s’agit ici est tout autre. Il n’y a pas simplement à dire ce que, pour régler directement le cas, la loi a voulu en termes peut-être obscurs et indéterminés, mais néanmoins ce qu’elle a déjà voulu. Il s’agit de créer librement ou dans les limites d’une autorisation donnée par la loi, une volonté de l’Etat. En un mot, l’acte de libre appréciation n’est autre chose que ce que nous appelons une disposition telle que nous l’avons définie ci-dessus, § 8, II, no 38.
Cette libre appréciation n’est certes pas l’arbitraire. L’autorité est liée par les ordres qui lui sont donnés par l’autorité supérieure, elle est liée également par la direction même de l’intérêt public que doit suivre tout acte d’autorité. Cela n’empêche pas l’existence d’une libre appréciation. Cet intérêt public peut être déterminé d’après les buts suivants : la tranquillité, l’ordre, la sûreté, la salubrité publique. L’indication d’un intérêt de cette sorte selon lequel on doit agir sert justement à reconnaître l’appréciation libre laissée à l’autorité ; cela prouve qu’il s’agit d’émettre une disposition administrative9.
Ces dispositions doivent donc être insusceptibles de (213) former l’objet de la justice administrative. Telle est la doctrine10.
Mais quel est le droit en vigueur ? D’après ce droit, les actes de cette espèce sont-ils exclus des matières de la justice administrative ? C’est le contraire qui est vrai.
Tout d’abord, il serait faux de dire que, même dans la justice civile, il n’y a que des actes de « juridiction », des décisions. Nous ne parlons pas des évaluations et autres appréciations de ce genre, qui, comme nous venons de le voir, s’accordent parfaitement avec le caractère de décisions. Mais il y a aussi des jugements civils qui statuent avec cette liberté d’appréciation que nous trouvons dans les actes de disposition administratifs. L’exemple le plus frappant nous est donné par l’action en partage : le partage est une décision liée par la loi ; mais la manière dont le partage se fait n’est pas de droit ; c’est le jugement seul qui l’ordonne. C’est de la volonté créatrice, de la disposition avec appréciation libre de l’utilité et de l’équité. Le terme de juridiction, avec son sens exact, ne conviendrait pas. Et cependant, toute cette procédure forme l’opposé de ce qu’on appelle la justice gracieuse ; c’est de la justice contentieuse dans sa forme et dans son effet. C’est là un argument décisif.
La justice administrative comprend des actes de libre appréciation dans une mesure incomparablement plus large. Elle a ses affaires de partage et de (214) liquidation, aussi bien que la procédure civile11. Mais, en général, il n’existe pas de disposition administrative qui ne pourrait devenir l’objet de la justice administrative. La loi positive peut restreindre le juge administratif à des actes de juridiction ; elle peut, si elle le juge convenable, exclure les actes de libre appréciation12. En règle, elle ne fait pas cette distinction. Quand elle appelle les tribunaux administratifs à contrôler ou même à faire, pour la première fois, des actes de libre appréciation avec tout leur contenu, c’est de la justice administrative dans le sens plein et entier de la notion ; l’acte par lequel ces tribunaux statuent est un jugement de la même valeur et vertu qu’au cas où il s’agit d’une pure décision. C’est là un fait évident et une vérité éclatante13.
(215) La doctrine qui s’obstine à nier ce fait se voit dans la nécessité d’avoir recours à des subtilités qui sont vraiment pénibles à constater14.
II. — S’il était vrai que la justice administrative ait nécessairement pour objet une décision à rendre, cela ne nous dirait encore rien de sa nature propre. Car il y a beaucoup d’actes administratifs qui ont le caractère de décision et qui, cependant, ne sont pas des jugements. Qu’on ne nous dise pas que ce ne (216) sont pas de véritables décisions, des décisions proprement dites, des décisions dans le sens matériel, etc., et que, par conséquent, elles sont insuffisantes pour former la matière de la justice administrative. Ces mêmes actes, accomplis d’abord par des autorités de l’administration active, peuvent passer ensuite devant un tribunal administratif, qui les examine, confirme, modifie, les accomplit enfin à nouveau ; ce sont alors des jugements15. Pourquoi cela ? Parce que c’est un tribunal administratif. La caractéristique du tribunal administratif ne peut donc pas être la matière qui lui est soumise — sans quoi, la première autorité serait également une juridiction administrative — il faut s’attacher à ce qu’il en fait, à la manière dont cette matière est traitée devant lui. La justice administrative n’est pas une question de fond, mais une question de forme. Si la justice civile sert de modèle à la justice administrative, cela n’est pas par son objet, par le contenu de ses actes et par les problèmes juridiques qu’elle (217) résout ; c’est par les formes dans lesquelles elle les accomplit16.
Quelles sont ces formes ? La question se complique dès qu’on y regarde de près. Le droit administratif emprunte à la justice civile beaucoup de ses formes. C’est très naturel, car cela répond à la nature même du Rechtsstaat. Mais ce n’est pas toujours une preuve qu’il y a justice administrative. Loin de là ! La forme caractéristique de la justice administrative ne doit pas se trouver en dehors d’elle ; elle doit toujours se rencontrer là où nous reconnaîtrons la justice administratice. Tel est le principe.
Considérées à ce point de vue, bien des choses, par lesquelles la justice administrative ressemblerait à la justice civile, devront tout de suite être écartées, parce qu’elles ne lui appartiennent pas toujours et qu’elles ne lui appartiennent pas à elle seule, parce qu’on les trouve également dans de simples actes administratifs.
C’est le propre du jugement civil d’être rendu par une autorité ayant des qualités juridiques spéciales : la magistrature indépendante forme, dans nos idées, la condition indispensable d’une justice civile. Dans la justice administrative nous trouvons le pendant : notre législation a organisé des tribunaux administratifs auxquels elle a accordé, avec l’intention d’imiter les tribunaux civils, une indépendance identique17. Mais il y a d’autres autorités administratives qui jouissent d’une situation pareille ; ce sont surtout (218) les autorités collégiales délibérantes (Beschlussbehörden), telles par exemple que la législation prussienne les a créées (Comp. § 12, note 17 ci-dessus). Et cependant, leurs délibérations seront considérées par la loi comme le contraire de la justice administrative. D’un autre côté, il se peut qu’il y ait des autorités reconnues comme juges en matière administrative, et qui restent comprises dans le système hiérarchique ordinaire, sans qu’on ait eu le moindre souci de leur assurer une indépendance spéciale18.
Il en est de même d’une autre particularité de la justice civile, que l’on a voulu considérer comme le trait essentiel de la justice administrative : c’est la procédure strictement réglée par la loi. Mais il est facile de voir que, pour bien des autorités de l’administration active, la procédure à suivre a été également fixée par des règles de droit, sans que, pour cela, le caractère de jugement soit attribué à leurs actes. Cela s’applique surtout aux autorités délibérantes du droit prussien dont la procédure légale ressemble tellement à celle des tribunaux que, extérieurement, il sera difficile de trouver une ligne de séparation. D’un, autre côté, bien que la législation moderne ait fait beaucoup pour suivre sur ce point le modèle des tribunaux civils, il existe cependant encore des cas de justice administrative — cas incontestables — et qui cependant n’ont fait l’objet d’aucune disposition législative pour le règlement de leur procédure19.
(219) Que la justice administrative ait toujours à suivre, même en dehors d’une détermination légale, une procédure semblable à celle des tribunaux civils, cela n’est pas douteux20. Mais il s’agit de bien comprendre le point caractéristique.
Dans la justice civile, le point de départ de tout ce qui se passe est l’acte par lequel le particulier provoque l’activité du juge, l’introduction de la demande. Cet acte a ceci de particulier qu’il oblige le juge, vis-à-vis du demandeur, à donner suite à cette impulsion ; c’est ce qu’on appelle le droit du demandeur (Klagerecht). Il y a également dans la justice administrative ce droit du demandeur, en vertu duquel l’instance est introduite ; on a cru trouver là son signe caractéristique. Mais un droit analogue — le droit de mettre en mouvement l’autorité administrative pour la protection des intérêts individuels en souffrance — se rencontre aussi en dehors de la justice administrative : nous venons de parler du droit de recours (§ 12 ci-dessus). D’un autre côté, la justice administrative ne débute pas toujours par la demande d’un particulier intéressé ; elle procéde aussi d’office, ou — ce qui n’en diffère pas essentiellement — sur la réquisition d’un représentant de l’intérêt public ; la justice criminelle lui sert alors de modèle, et le rapport entre la puissance publique et le sujet s’exprime plutôt (220) par le droit de défense que possède ce dernier21.
Il faudrait donc, pour comprendre tous ces faits, chercher une base plus large où le droit du demandeur et le droit du défendeur trouveraient tous les deux leur place. On a pensé à cette maxime de justice si souvent répétée, d’après laquelle aucune sentence ne doit être rendue sans avoir préalablement entendu les intéressés22. Mais encore ici il faut préciser. Le droit de recours n’implique-t-il pas aussi un droit du plaignant d’être entendu avant qu’on ne statue sur son affaire ? De plus, la loi prescrit, pour toutes sortes d’actes administratifs, permissions, autorisations de travaux, établissements de plans d’alignement, etc., l’audition des intéressés ou même l’ouverture d’une enquête afin que les particuliers intéressés puissent présenter leurs observations ; c’est une formalité essentielle pour la validité de l’acte. Et cependant, l’acte ainsi accompli ne devient pas pour cela un jugement23.
(221) C’est que, évidemment, l’audition des intéressés, dans la justice civile, n’est pas seulement une formalité à remplir ; les intéressés ne se bornent pas à mettre l’autorité en mouvement pour s’occuper de leur affaire. D’après la nature même de la justice civile, les particuliers qui sont admis en justice doivent avoir une influence juridique plus forte et plus directe sur le contenu de l’acte à accomplir. Afin de les distinguer d’après ce rôle caractéristique qui n’apparaît dans aucune autre procédure, les particuliers intéressés dans la justice s’appellent parties en cause, parties judiciaires. Leur influence juridique sur la marche du tribunal, c’est le droit de partie (Parteirecht)24. Nous venons de dire : « dans aucune autre procédure » ; mais cela comporte une exception très importante, une exception en faveur de la justice administrative. On est d’accord pour reconnaître à la justice administrative des parties et des droits de parties. Il serait assez étonnant que ces termes techniques ne fussent pas accompagnés ici des mêmes idées juridiques. Mais alors le droit de partie doit être quelque chose de spécial à la justice administrative, quelque chose qui se retrouve partout où il y a justice administrative et qui ne se trouve jamais en dehors d’elle, dans la simple administration active. C’est le signe caractéristique que nous cherchons25.
(222) Il y a encore autre chose. Les jugements des tribunaux civils ont une qualité qui leur est propre : c’est la capacité de passer en force de chose jugée. Le jugement acquiert cette autorité lorsque le délai d’appel est expiré, lorsqu’on y a renoncé, ou même tout de suite, lorsque le jugement est rendu en dernier ressort. La force de la chose jugée existe-t-elle aussi pour les jugements administratifs ? On ne saurait le contester. A quelques rares exceptions près, la doctrine et la jurisprudence semblent être unanimes pour l’admettre26. S’il y a controverse, c’est plutôt sur la question de savoir ce que signifie cette force de chose jugée et quel est son effet. C’est une question très discutée pour la justice civile et qui naturellement devient encore plus difficile lorsque l’institution est transportée dans la sphère de la justice administrative ; nous y reviendrons au § 15 ci-dessous. Cette autorité de la chose jugée, en même temps, ne se rencontre dans aucun autre acte administratif accompli en dehors de la justice administrative. On se sert aussi, il est vrai, des termes « force de la chose jugée »27, pour dire qu’un (223) acte d’autorité est entré en vigueur pour produire son effet ; ou qu’il est devenu exécutoire28 ; ou même qu’il n’y a pas de moyen de droit pour l’attaquer29. Tout cela, naturellement, se rencontrera aussi dans de simples actes administratifs. La force de chose jugée propre aux jugements des tribunaux ordinaires est une qualité spéciale de ces actes, qui vient de la procédure dont ils sont le produit30. C’est de cette même force qu’il est question lorsque l’on parle de la chose jugée en matière de justice-administrative. Cette force de chose jugée, dans toute la sphère de l’administration, appartient aux jugements administratifs seuls.
Nous avons donc dans la force de la chose jugée un second signe caractéristique, à côté du droit de partie.
La justice administrative, dirons-nous, est l’activité en vue d’accomplir un acte administratif avec admission des intéressés comme parties et avec cet effet que l’acte soit susceptible d’entrer en force de chose jugée, — tout cela dans le sens de la procédure civile.
III. — Nous ne quitterons pas ce sujet sans avoir fait (224) ressortir en quelques mots, la concordance parfaite de cette méthode de la justice administrative avec les réalités du droit positif et avec les exigences de la théorie. Il en résultera également une concordance intérieure assez frappante des deux éléments que nous venons de réunir dans notre définition.
La justice administrative ainsi comprise se présente comme une forme particulière dans laquelle un acte administratif peut être accompli ; l’observation de cette forme donne à cet acte une autorité et une stabilité spéciales.
Tout cela est, par sa nature, indépendant du contenu de l’acte, de la matière du rapport qu’il s’agit de fixer. Surtout, il importe peu qu’il s’agisse de formuler une décision ou une disposition administrative. La loi peut appliquer cette forme à l’une comme à l’autre ; c’est d’ailleurs ce qui se fait dans notre droit positif. Nous n’avons pas besoin de distinguer une justice administrative véritable et régulière et une justice administrative irrégulière, formelle, impropre et qui ne devrait pas être. Tout est justice administrative au même titre.
Le droit de justice, qui est de l’essence de la justice administrative, est emprunté à la procédure civile : toute la justice administrative s’inspire de cette imitation ; l’histoire de son développement le prouve. Ainsi, ce droit est, pour nous, tout simplement le même que dans la procédure civile. Le tribunal est à la disposition des parties pour agir selon les conclusions de celles-ci, non pas dans le sens qu’elles aimeraient voir donner à cette action, mais dans les limites qu’elles lui tracent. Le tribunal jugera d’après la loi et l’intérêt public ; mais il n’ira pas ultra petita ; il est limité aux questions et aux côtés de questions, qu’on lui soumet ; dans cette sphère même, il ne peut pas accorder plus que la partie n’a demandé. Il ne peut (225) pas s’abstenir ; il faut qu’il aille sur le terrain que la partie lui prépare ; celle-ci, en effet, a droit à une réponse31. Il est très important de se rendre compte de la différence qui existe entre le droit de recours et le droit de partie. Par le droit de recours, l’acte attaqué est soumis au nouvel examen de l’autorité supérieure, et celle-ci est tenue de statuer, en répondant aux griefs que le plaignant expose. Mais elle n’est pas obligée de s’en tenir là ; à la suite du recours, elle est devenue maîtresse de l’acte qui lui a été déféré, tout comme l’autorité inférieure dont émane l’acte32. Le droit du demandeur et du défendeur, (226) au contraire, est une collaboration plus intime, plus complète : c’est un pouvoir sur l’exercice de la puissance publique, un droit individuel public dont l’intensité correspond à certains droits d’administration propre33.
La justice administrative, pour être bien organisée, exige des institutions tutélaires : elles ont toutes pour but de garantir au droit de partie son exercice et son effet. La justice administrative a d’abord besoin d’une certaine procédure qui délimitera le terrain où ce droit pourra se faire valoir : il est très logique que les conditions dans lesquelles le droit produira son effet ne dépendent pas de l’appréciation de l’autorité. C’est (227) donc avec raison que l’on exige que les détails de cette procédure soient réglés par des lois ou par des ordonnances. En vertu de leur droit de partie, les intéressés fixent la mission du juge et cherchent à faire impression sur lui dans le but que la sentence rendue dans ces limites leur soit favorable. Tout leur effort serait rendu vain, si l’ordre d’un supérieur qui n’est pas soumis à cette influence pouvait prescrire au juge sa sentence. Il faut donc que le juge et les parties restent entre eux. Le principe de l’indépendance — qu’on proclame pour les tribunaux administratifs, aussi bien que pour les tribunaux civils — se justifie par la nature même de la justice34.
Voilà ce qu’il y a de vrai dans la théorie qui voit dans ces deux institutions des éléments essentiels de la notion de justice administrative. Toutefois, il y a une exagération : sans ces institutions, la justice administrative pourrait être mal organisée, elle ne cesserait cependant pas d’exister. Ce sont pour elle des naturalia, ce ne sont pas des essentialia.
Ce qui est encore essentiel à la notion de justice administrative, c’est la force de la chose jugée ; tous ses jugements définitifs sont susceptibles de l’obtenir. Mais d’où leur vient cette force spéciale ? C’est, sans doute, de la volonté de la loi. Mais la loi en a fait l’apanage de la juridiction contentieuse ; or, juridiction contentieuse ne signifie pas autre chose que l’accomplissement d’un acte d’autorité, accomplissement (228) soumis au droit de justice. La loi n’a conféré de cette stabilité qu’aux actes qui résultent de la collaboration ainsi déterminée des particuliers intéressés35. Au lieu de dire : la loi veut la force de chose jugée dans le cas où le droit de partie se manifeste, il sera donc permis de dire : d’après la volonté de la loi, le droit de partie donne force de chose jugée à l’acte qui a été accompli sous l’influence de ce droit. Le droit de partie est la source, le principe générateur de la force de chose jugée ; la force de chose jugée est l’effet du droit de partie et la preuve qu’il a fait son œuvre. Ce sont les deux faces d’une seule et même idée.
Ceci nous permet de simplifier la définition de la justice administrative que nous venons de donner ci-dessus. Nous pouvons l’exprimer de deux manières ; nous pouvons dire : la justice administrative est l’accomplissement d’un acte administratif, les intéressés admis comme parties. — alors la force de la chose jugée en découle naturellement ; ou bien : la justice administrative est l’accomplissement d’un acte administratif susceptible de passer en force de chose jugée — alors cela suppose toujours qu’un droit de partie a participé à cet acte.
- C’est à raison de cette identité du but poursuivi qu’on a combattu autrefois la justice administrative comme une entreprise illicite sur le domaine des tribunaux civils. Dans ce sens, en 1725, le Reichshofrat procéda contre la chambre de la guerre et du domaine (Kriegs-und Domanien-Kammer), cette remarquable création de Frédéric-Guillaume I, roi de Prusse, qui devait exercer une sorte de juridiction en matière de finances ; Pfeiffer, Prakt. Ausf., III, p. 229. Quant à la discussion sur « l’admissibilité » de la justice administrative, qui s’était élevée au commencement de notre époque, voir le § 5 note 16 ci-dessus. Nous trouvons une trace assez singulière de cette animosité dans la prescription de la charte constitutionnelle de l’Empire de 1848, § 183 : « La justice administrative est abolie ; pour toutes les violations du droit, il est statué « par les tribunaux ». [↩]
- A. S. Schellte, Privatrecht u. Process, p. 219. [↩]
- Bernatzik, Rechtskraft, p. 63. [↩]
- Goenner, Entw. eines Gesetzbuchs über das gerichtl. Verfahren. I, p. 14, II, p. 56 ss. ; v. Weiler, Verw, u. Justiz., p. 24 ; Poehlmann Wesen der. sog. adm. kont. Sachen, p. 3, p. 34 ; Oppenhoff, Ressortverh., p. 80. [↩]
- K. v. Pfizer, Grenzen zw. Verw. u. Civ. Justiz, pp. 8, 30, 107 ; le même, Zulässigkeit der Verw. Justiz, p. 21 ss. De nos jours, G. Meyer, Verw. R., I, p. 46 note 2, affirme encore : « C’est l’opinion dominante que la justice administrative est exclusivement destinée à protéger des droits individuels ». Dans le même sens, Gluth, dans Arch. f. öff. R., III, p. 570 et note 5, où l’on trouvera indiqué une bibliographie nombreuse. [↩]
- Cette opinion se développe par degré. G. Meyer, Verw. R., II. p. 46, y reconnaît une nouvelle mission qui peut être assignée à la justice administrative, en outre de celle de la protection des droits individuels à laquelle on a voulu la restreindre. D’autres cherchent à concilier les deux manières de voir, en admettant, sur l’autorité d’Ihering, un droit individuel partout où des intérêts se trouvent protégés par l’ordre juridique ; si ce n’est pas un droit du sujet, c’est au moins un droit de l’Etat : v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 69 ; Leuthold, dans Annalen, 1884, p. 495 ss. ; Lœning, V. R., p. 796 ss. Un troisième groupe enfin fait consister toute la mission de la justice administrative exclusivement dans la protection de l’ordre juridique : Gneist, Rechtsstaat, p. 270, 271 ; Bornhak, Preuss. Staatsrecht, II, p. 407. Cet ordre juridique, il est vrai, est pris ici dans le sens le plus large ; il est loin de ne comprendre que des règles de droit ; comp. § 12 note 2 ci-dessus. [↩]
- Lehmayer, dans Grünh. Ztschft., IV, p. 752 ; Seydel, Bayr. Staatsrecht, II, p. 440. Bernatzik, Rechtskraft, p. 37, donne ceci comme l’opinion ordinaire. Il voudrait se servir du sens littéral du mot « juridiction » pour donner un appui à cette opinion : au lieu de justice administrative, on dit aussi juridiction administrative et juridiction est synonyme de décision à rendre ; ergo ! (Rechtskraft, p. 63). Il nous semble impossible d’argumenter ainsi. [↩]
- Seydel, Bayr. Staatsrecht, II, p. 441 distingue les deux sortes d’appréciation, comme nous venons de le faire ci-dessus. Il les appelle l’appréciation judiciaire et l’appréciation administrative. Ces expressions ne sont pas heureuses : ce qu’il appelle appréciation judiciaire se retrouve dans la moitié des actes administratifs. [↩]
- Laband, Staatsrecht, I, édit. allemande, p. 677 (II, édit. française p. 575) formule l’opposition avec la décision comme « une résolution libre au point de vue de droit » c’est-à-dire qui n’est pas liée vis-à-vis du sujet ; l’ordre du supérieur, qui n’a qu’un effet intérieur, ne saurait enlever cette liberté. Tezner, Zur Lehre vom freien Ermessen, p. 20, interprète en ce sens la loi autrichienne sur la constitution d’une cour administrative, § 3, lit. c. : par l’expression « libre appréciation », dit-il, on n’a visé que « la liberté des organes de la puissance publique en fait de liens et d’obligations vis-à-vis de l’individu ». Bernatzik, ignorant la différence entre les devoirs professionnels des fonctionnaires et la détermination de leur autorité par des liens de droit vis-à-vis du sujet, a réussi à trouver dans la maxime : « Fais ce que tu crois être conforme au salut public » une règle de droit grande et générale, qui lie juridiquement toutes les actions de l’administration et en fait des actes de juridiction (Rechtskraft, p. 46). Sa confiance dans cette règle singulière de droit n’a pas été ébranlée depuis lors : comp. Grünh. Zeitschrift, XVIII, p. 150. [↩]
- Comp. sur cette question de la libre appréciation, Bernatzik, Rechtskraft, p. 36 ss. : et aussi la polémique : Tezner. Zur Lehre von dem freien Ermessen ; Bernatzik, dans Grünh. Zeitschrift, XVIII, p. 148 ss. On a encore voulu distinguer une « appréciation technique » qui serait spécialement réfractaire à tout contrôle. Cette distinction n’a aucune valeur : Tezner, Freien Ermessen, p. 33 ss. [↩]
- La loi Bavaroise du 8 août 1878 s’était inspirée d’un certain doctrinarisme pour établir le principe qu’il ne doit pas y avoir de justice administrative pour les affaires de libre appréciation (art. 23, chiff. 3). Ceci posé, dans son art. 11, elle avait à s’occuper de certaines affaires de liquidation qui ne peuvent se terminer que moyennant une libre appréciation, à la manière des affaires de partage. Cela doit se faire par la voie de la justice administrative. Mais la loi dit : il y aura lieu à une « décision arbitrale » qui, en seconde instance, sera rendue par la cour administrative (art. 10, Al. 3). Pourquoi arbitrale ? La procédure et les effets de l’arrêt sont les mêmes comme dans tout autre cas de justice administrative : Krais, Comment., p. 152 ; Kahr, Comment., I, p. 163. Il n’y a aucun motif sérieux pour qu’une autorité publique agissant dans les limites de sa compétence s’appelle tout à coup tribunal arbitral. Il est évident que, par cette expression, le législateur ne cherche qu’à cacher le fait qu’ici, — en contradiction avec le principe établi plus catégoriquement qu’il n’était nécessaire, — il a cependant admis la justice administrative pour une affaire de libre appréciation. [↩]
- Nous venons de citer la loi Bavaroise sur la constitution d’une cour administrative du 4 août 1878, art. 13, chiff 3. Dans ce sens aussi la loi autrichienne du 22 oct. 1878, § 3, lit. c. ; la loi Württemb. du 16 déc. 1876, art. 13, al. 2. [↩]
- Les exemples les plus frappants nous sont fournis par le droit prussien. Loi sur la compétence du 1er août 1883, § 57 : contre un arrêté qui ordonne le déclassement d’une voie publique, tous les intéressés peuvent se pourvoir devant le tribunal administratif (v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 303 ; Ob. Verw. Gericht, 5 juin 1874 ; Samml. IV, p. 233). D’après la même loi, l’opportunité d’une mesure administrative est soumise au contrôle de la justice administrative en matière de constructions de maisons d’école (§ 47), de construction de routes (§ 56), de curage des fossés et cours d’eau (§ 66), de fixation du niveau de la retenue pour une usine hydraulique (§ 67 : « à défaut d’une détermination claire et valable »).
La loi bavaroise, comme nous l’avons vu, exclut les questions de libre appréciation. Or, il se trouve que beaucoup d’affaires qui, pour ce motif, en Bavière, n’appartiennent à la justice administrative qu’en partie, sont, en Prusse, entièrement attribuées à cette dernière. Seydel, Bayr. St. R., II, p. 154, cite une série de cas dans lesquels, en Bavière, la justice administrative serait restreinte au contrôle de la question de droit ; dans tous ces cas, en Prusse, le contentieux de pleine juridiction a lieu. La permission de police pour ouvrir un cabaret, par exemple, est soustraite en Bavière à la justice administrative, parce qu’elle dépend d’une libre appréciation (Verw. Gericht Hof, 28 sept. 1880 ; Samml. II, p. 77) : d’après la loi prussienne sur la compétence, § 114 elle y est soumise. Et cependant, en Prusse aussi bien qu’en Bavière, il est reconnu qu’il y a là une libre appréciation à faire : Ob. Verw. Gericht, 20 oct. 1880, 8 juin 1881 ; v. Brauchitsch, Verw. Gesetze, I, p. 345; Kahr, Comment., I, p. 95. [↩]
- Nos auteurs aiment partir d’une définition énergique et vigoureuse pour glisser ensuite dans des concessions par lesquelles ils annulent tranquillement tout ce qu’ils ont établi. Ainsi, par exemple, G. Meyer, Verw. Recht, I, p. 45 ss., affirme d’abord que les affaires de libre appréciation échappent à la justice administrative (p : 47) ; ensuite (p. 47 note 4), il distingue une « libre appréciation dans le sens strict », afin d’admettre « une certaine appréciation » ; enfin, il observe que, dans la compétence de nos tribunaux administratifs, telle qu’elle a été réglée par la loi, il y a aussi « de pures questions d’opportunité et d’appréciation des circonstances ». D’autres auteurs, en constatant que le droit actuel n’est pas conforme à ce qu’il devrait être d’après leur définition, au lieu de modifier cette définition, se prononcent très sévèrement contre le législateur. Ainsi Roesler, dans Grünh, Zeitschrift, pp. 202, 205 et 250 ; v. Sarwey, Oeff. R. et Verw, R. Pfl., pp. 79, 230 et 744, 745. D’autres, enfin, croient pouvoir escompter le fait de l’existence d’une justice administrative qu’ils désapprouvent. D’après Bernatzik, Rechtskraft, p. 46, il n’y a que l’apparence d’une justice administrative ; cela, en réalité, ne diffère pas de l’administration ordinaire. Bornhak, Preuss. St. R., II, p. 419 : « une justice administrative, d’après la forme seulement, et non d’après le contenu ».
Récemment, Tezner, Die deutschen Theorien d. Verw. R. Pfl., distingue toute une série de justices administratives. La véritable, c’est celle qui sert au droit individuel (p. 98) ; grâce à une certaine organisation, elle devient la justice administrative « dans le sens vrai, plein et essentiel du mot » (p. 99) ; et puis, il y a encore une justice «administrative » « dans le sens le plus strict du mot » (p. 113). Mais, à côté de tout cela, il existe, d’après lui, une autre justice administrative qui n’a pas pour objet la protection du droit individuel, et qui, par conséquent, ne devrait pas exister (p. 123) ; elle a été admise à raison de son utilité, malgré les « objections théoriques » qu’on pourrait faire. Comp. sur ce système que l’auteur appelle une « orientation » : Arch f. öff. R., XVIII, p. 141 ss. [↩]
- Cela s’applique à tous les cas énumérés dans la loi Bav. du 8 août 1878, art. 10 ; Krais, Comment., p. 204. D’après la loi Prussienne sur la compétence § 58, une contestation sur l’entretien des routes suit la procédure suivante : l’autorité préposée à la voirie ordonne de réparer ; la personne, à la charge de qui la réparation doit se faire, fait opposition ; l’autorité statue par résolution ; cette résolution est portée devant la justice administrative contentieuse à la suite d’une demande formée par l’intéressé. Il y aura alors un jugement ; mais dans les deux actes antérieurs, il s’agissait au fond des mêmes droits individuels, du même ordre juridique et de la même « juridiction ». [↩]
- On cherche aussi à relever une différence dans l’intention, le but, l’intérêt, qui seraient poursuivis ici par l’Etat : Bernatzik, Rechtskraft, p. 63 ; v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 73 ss. : Laband, édit. all., St. R., II, p. 345, 346 (IV, édit, française, p. 167, 198). Mais toutes ces choses ne signifient rien pour la doctrine du droit, tant qu’elles n’auront pas trouvé leur expression dans la forme juridique de l’acte. [↩]
- V. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 158 : « une juridiction organisée hiérarchiquement et exercée par des organes indépendants » ; O. V. G., 5 mai 1877 (Samml. I, p. 288). Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 85 ; Bornhak, Preuss. St. R., II, p. 414. [↩]
- Seydel, Bayr. St. R., II, p. 420. En France, le ministre aussi a été pendant longtemps et est peut-être encore juge administratif : Otto Mayer, Theorie d. Franz. Verw. Rechts, p. 131. [↩]
- V. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 719. O. V. G., 20 mai 1886 (Samml. I, p. 288) avait trouvé la nature même de la justice administrative dans une procédure contradictoire qui donne les plus grandes garanties possibles en vue d’une instruction et d’une décision convenable de l’affaire. D’après la loi Bav. du 8 août 1878, art. 31, al. 3, les sections des autorités provinciales (Kreisregierungen), formées pour décider sur les affaires contentieuses, doivent statuer en même temps sur les questions de libre appréciation qui surgissent. Cela se fait dans la procédure prescrite par la loi pour le contentieux administratif (Kahr, Comment. p. 227. Seydel, Bayr. St. R., II, p. 444) ; cependant, il va de soi que ces autorités « n’agissent pas alors comme tribunaux administratifs ». Toutes les conditions seraient réunies ; mais la loi Bavaroise ne le veut pas, conformément à son principe touchant les affaires de libre appréciation. [↩]
- Lœning, Verw. Recht, p. 821 note I ; Bernatzik, Rechtskraft, p. 63 et 64 fait résulter la nécessité d’une procédure d’une « concepttion » attachée d’une manière inséparable à la justice administrative. [↩]
- Loi prussienne sur la compét., § 3, chiff. 4 (destitution d’un fonctionnaire ; §§ 119 et 120 (suppression d’établissements industriels). Comp., Mueller, die Begriffe der Verwaltungs Pfl. u. d. Verw. streitverfahrens, p. 35 et 36. Lœning, V. R., p. 797 : la justice administrative n’a lieu que sur la demande du sujet lésé : p. 800 : mais il y a des cas, où elle ressemble plutôt à la justice criminelle, le jugement étant provoqué par la réquisition d’une autorité administrative. [↩]
- On parle d’un « droit à l’audition légale » (Anspruch auf rechtliches Gehör). Cette maxime fondamentale de la justice sert quelquefois à distinguer le contentieux administratif de l’administration pure. Comme nous l’avons vu, il se peut qu’une autorité administrative ordinaire soit en même temps tribunal administratif et qu’il n’y ait pas de règles expresses pour fixer sa procédure. Pour savoir alors si, dans un cas donné, elle a agi comme juge ou comme administrateur, on recherche simplement si les intéressés ont été entendus préalablement ou non. BI. f. adm. Pr. 22, p. 408 ; Verw. Ger. Hof, 16 janv. 1880 (Samml. I, p.102) ; 1er février 1881 (Samml. II, p. 568) ; 26 avril 1881 (Samml. II, p. 710) ; 7 mai 1883 (Samml. IV, p. 489). Dans ces cas, on suppose que le fait d’avoir entendu les intéressés a toujours cette signification spéciale et caractéristique pour la justice administrative dont nous parlerons ci-dessus. Il en était de même en droit français en ce qui concerne la juridiction du ministre : Otto Mayer, Theorie d. Franz. Verw, Rechts, p. 133 ss. [↩]
- Krais, Handb., 1, p. 63 ; Seydel, Bayr. St. R., II, p. 394 ; V. G. H., 12 oct. 1870 (Samml. II, p. 94). Mueller, Begriffe d. V. R. Pfl., p.34 et 35 cite deux exemples où, d’après le droit prussien, les intéressés ont le droit d’être entendus, sans que les règles ordinaires du contentieux administratif soient applicables : la révocation de l’autorisation d’un établissement d’instruction privée, l’autorisation et la suppression d’établissements industriels. Il parle ici de justice administrative « embryonnaire » et de justice administrative « restreinte ». Mais pourquoi parler ici de justice administrative ? Il nous semble que, dans ces cas, la loi, en ordonnant que les intéressés seront entendus, n’a évidemment pas voulu dire que cela soit dans la forme de la, justice administrative. [↩]
- Merkel, Encyclopédie, § 770 ; Wach, C. Pr., I, p. 518 ss. ; Brusen, dans Zeitschrift. f. D. C. Pr., XXVI, p. 197 ss. [↩]
- O. Mueller, Begriffe d. V. R. Pfl., p. 30 : « Le contentieux administratif est une procédure administrative dans laquelle des parties sont admises avec le droit d’être entendues dans un débat civil ». Qu’il y ait débat oral, cela n’est pas indispensable ; Mueller n’a en vue que le droit positif prussien. [↩]
- G. Meyer, V. R., I, p. 65 ; Lœning, V. R., p. 245 note 2 ; v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 733 ; Boesler, dans Grünh. Ztschft, IV, p. 268 Seydel, Bayr, St. R., II, p. 393 ; Schmitt, Grundl. d. V. R.Pfl., p. 128 ; Laband, St. R. éd. all., I, p. 397 (éd. française. II. p. 91) ; Bornhak, Preuss. St.R., II, p. 439 ; O. Mueller, Begriffe d. V. R. Pfl., p. 190 ; Schultzenstein, Gutachten f. XVVI. Deutsch. Jurist. Tag, p. 86 ss. Loi de la Saxe royale du 19 juillet 1900 § 61 et les motifs concernant ce paragraphe dans Landtagsakte 1899-1900. [↩]
- Lœning, dans Verw. Arch., VII, pp. 27, 30, 31, 33 semble n’attribuer à la chose jugée que la valeur de « fixer d’autorité un rapport juridique ». Mais c’est la force de l’acte administratif simple. Il expose même (p. 34) que, sans la force de la chose jugée, un acte qui constate une obligation n’aurait aucune valeur juridique. Ici, la confusion est manifeste; à d’autres endroits, il est vrai, il ajoute que la fixation du rapport juridique par la chose jugée est « définitive » (pp. 36, 49, etc.). Cela, c’est plus que la force de l’acte administratif simple, mais il n’est pas aisé de discuter sur les notions chancelantes de cet auteur. [↩]
- Kloeppel, Einrede der Rechtskraft, p. 4 ; Parey, Preuss. V. R., I, p. 230. [↩]
- Bernatzik, p. 127 ss ; Seydel, Bayr St. R., II, p. 504 ; O. V. G., 5 oct. 1885 (Samml. 12, p. 369). En Autriche, on se sert aussi des mots : « chose jugée » pour dire qu’un acte administratif est lié par le droit individuel qu’il a créé : Ulbrich, Oestr. St. R., p. 438 (p. 449, il revient au véritable sens) ; Österreich. Verw. Ger. Hof., 8 oct. 1879 (Budwinsky, n. 2281) ; 5 déc. 1883 (Budwinsky, n. 2316). [↩]
- Sur cette qualité spéciale de l’acte, à savoir qu’il lie l’autorité qui l’a fait, comp. Bl. f. adm. Pr. 1876, p.139 ss. ; Schanze, Ztschft. Stf. R. W., IV, p. 459. R. G., 2 juin 1881 (Reger, II, p. 77) : l’ordonnance pénale, du juge cantonal acquiert, après l’expiration du délai d’opposition, la force d’un jugement passé en chose jugée ; mais cela ne rend pas applicable le principe non bis in idem contre une poursuite ultérieure ; car cette assimilation à un jugement passé en force de chose jugée concerne seulement la question des moyens de droit et de l’exécution, « mais non cet effet spécial du jugement, qui a son fondement dans la procédure contradictoire qui l’a précédé ». Ce dernier effet constitue la véritable force de la chose jugée. [↩]
- La procédure administrative se distingue de la procédure civile en ce que cette dernière s’en tient strictement aux principes de la procédure « accusatoire », tandis que la justice administrative se rattache plutôt au type de la procédure « inquisitoriale » : O. Mueller, Begriffe d. V. R. Pfl., p. 170 ss. Mais cette inquisition ne s’applique qu’à la recherche de la vérité, laquelle n’est pas restreinte aux offres de preuve que la partie peut faire : O. Mueller, loc. cit., p.180 ; Seydel. Bayr. St. R., I, p. 620 ; Rechtspr. d. Bad. V. G. H. 1891, p. 11, 12 ; Prusse, L. V. G., § 76 ; Saxe, L. du l9 juillet 1900, § 51. Au fond, le tribunal est lié par les conclusions de la partie, en ce sens qu’il ne peut pas lui adjuger plus ou autre chose que ce qu’elle a demandé. Les lois consacrent ce principe ; elles laissent le juge libre pour la question de preuve ; elles le renvoient, pour la décision à rendre, au résultat des débats : Prusse. L. V. G., § 79 ; Saxe, L. du 19 juillet 1900, § 54 ; Lœning, V. R., p.822. Seydel, Bayr. St. R., I, p. 620 note, semble combattre la thèse de ce dernier par le motif que le tribunal peut, même sans être requis par les parties, faire valoir l’intérêt public. Mais il admet lui-même qu’il y aura exception au cas « où une partie en cause a restreint ses prétentions au-dessous de la mesuré légale ». C’est là l’essentiel. Que l’intérêt public puisse être maintenu d’office, il n’y a là rien de contradictoire ; l’Etat qui représente cet intérêt n’est pas partie ; voir §14 note 14 ci-dessus. Pour la maxime que le juge administratif ne doit pas aller ultra petita : O, V. G., 2 janvier 1877 (II, p. 376), 28 sept. 1878 (IV, p. 196) ; 9 oct. 1884 (XI, p. 14), 14 oct. 1894 (XXV. p. 357). [↩]
- Seule la reformatio in pejus est impossible ; cela est de la nature de tout moyen de droit : Finsting, dans V. Arch. IV, p. 502. La loi prussienne relative à l’impôt sur le revenu du 24 juin 1891 a réglé, dans ses §§ 40 ss., les moyens de droit pour attaquer une imposition ; c’est d’abord l’« appel » à une « commission d’appel », ensuite le « recours » au tribunal administratif supérieur. Finsting, dans l’article que nous venons de citer et dans son commentaire de la loi de 1891, a examiné la nature juridique de ces moyens ; cela lui a fourni l’occasion de tracer, d’une manière très heureuse et très péremptoire, la ligne séparative entre le recours administratif et la justice administrative. En effet, quoique la loi parle de l’application des règles de la procédure contentieuse (§ 49), et qu’il soit d’usage de donner à la décision du tribunal administratif supérieur la forme extérieure d’un jugement, il ne s’agit pas ici de justice administrative. Pour provoquer l’examen de l’instance supérieure, il suffit que l’imposé déclare, par son recours, son « mécontentement de l’acte accompli » et son intention d’obtenir une modification (V. Arch., p. 297 ; Comment., § 44, n° 8). L’autorité contrôle alors librement ; sans être tenue de suivre les dires et conclusions de l’intéressé, elle refait entièrement l’acte attaqué (V. Arch., IV, p. 298 ; Comment., § 43, n° 2 B). Elle est liée par la maxime qui défend la reformatio in pejus, mais elle peut aller ultra petita (V. Arch., IV, p. 302, 303 ; Comment., § 43, n° 6, A et B). Il n’y a pas de procédure ayant le caractère de celle de la juridiction civile (V. Arch., IV, p. 300 ; Comment., § 43, n. 2, et a). Enfin, « les intéressés n’y figurent pas comme parties ou adversaires judiciaires » (Verw. Arch., IV, p. 301) ; « la loi ne connaît pas de rôle de partie dans cette procédure, parce qu’elle ne considère pas cette procédure comme du contentieux administratif, comme un procès au sens strict » (Comment., § 49, note 2, al. 7).
Nous ne voudrions cependant pas dire avec Finsting, Verw. Arch., p. 301, qu’il s’agit là d’un moyen de droit « ayant une nature tout à fait spéciale ». Il nous semble, que c’est un recours dans le sens de l’institution développée au § 12 ci-dessus. [↩]
- Cette ressemblance a été relevée par Kloeppel, Einrede der Rechtskraft, p. 86. Comp. aussi : Otto Mayer, Theorie d. franz. V. R., p. 22, où il est question de l’affinité de ces deux « droits de collaboration ». L’influence de ce droit de partie est si forte que presque toute notre littérature, nous l’avons vu (note 5 ci-dessus), insiste en quelque sorte instinctivement sur le droit individuel comme base de la justice administrative. Il s’agit là, comme dans toutes les grandes erreurs, d’une vérité déplacée ; en réalité, le droit individuel est essentiel pour la justice administrative, mais c’est pour sa forme et non pour son objet. [↩]
- O. Mueller, Begriffe d. V. R. Pfl., p. 114 : « Ce droit (d’être entendu) est, pour les parties, le moyen de fournir au juge des motifs pour sa décision ; mais à quoi serviraient les motifs si le juge était obligé de rendre sa décision d’après les ordres d’un supérieur » ? La récusation des juges pourrait peut-être aussi être considérée comme une conséquence du droit de partie ainsi compris. La récusation a ceci de commun avec tous ces accessoires de la justice administrative qu’elle ne lui appartient pas exclusivement ; on la retrouve aussi, par exception, dans l’administration ordinaire. Les membres des autorités délibérantes du droit prussien peuvent également à titre exceptionnel, être récusés, d’une manière plus restreinte, il est vrai, que lorsqu’il s’agit de véritables juges : loi pruss., 30 juillet 1883, § 115. [↩]
- Et leur collaboration est la cause de cette stabilité : Bülow, dans Arch., f. civ. Pr., LXII, p. 93 note 92 : « C’est parce que, dans la procédure civile, le droit concret n’est élaboré que par les efforts des parties, que la force de la chose jugée doit être restreinte aux parties ». Le jugement étant ainsi en même temps l’oeuvre des parties, « la chose jugée va de soi ». Kloeppel, Einrede der Rechtskraft, p. 86, fait également reposer la force de chose jugée sur la collaboration des parties par laquelle le droit concret est « mis au jour ». Cette collaboration est, pour lui, une participation à l’exercice de la puissance publique, elle ressemble à l’administration propre des communes (note 33 ci-dessus). Récemment encore, Finsting, dans Verw. Arch., IV, p. 311 : « Les effets de la res judicata sont la suite nécessaire de la forme de la procédure… la maxime res judicata jus facit inter partes ne peut pas s’appliquer là où il n’y a pas de parties dans le sens de la procédure civile ». Lœning, dans Verw. Arch., VII, p. 15, prétend que Bülow a, dans son traité sur « la chose jugée absolue.» dans Arch. f. civ. Pr., LXXXIII, p. 1 ss. rétracté les idées citées ci-dessus. C’est une erreur. Le droit des parties à la sentence, dont nous parlerons encore au § 15 ci-dessous, se concilie parfaitement avec la force absolue de la chose jugée. [↩]
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