Section III
Principes généraux du droit administratif
§ 14 Continuation. — Des matières contentieuses
(229) Nous appelons matières administratives contentieuses les rapports juridiques qui devront être réglés dans la forme de la justice administrative. C’est la loi qui indique ces matières1. Quelques législations se servent, dans ce but, d’une expression fixe2. Pour le reste, c’est une question d’interprétation ; il faut rechercher quelle a été la volonté de la loi. En particulier, cela peut résulter de l’attribution d’une matière à un tribunal administratif, c’est-à-dire à une autorité spécialement constituée pour rendre la justice administrative.
Les matières contentieuses déterminées par la loi deviennent l’objet de la justice administrative de différentes manières :
1) Le contentieux civil, ainsi que le contentieux de la répression ordinaire, ont une étendue naturelle et fixée d’avance : dès que, en matière civile ou pénale, l’autorité doit prononcer ce qui est de droit, elle le fait (230) dans la forme de la justice. Dans la sphère de l’administration, au contraire, pour atteindre ce but, il n’y a, originairement et selon la nature des choses, que le simple acte administratif ; cet acte constitue la règle ; la loi fait simplement un choix de certaines affaires, qui, au lieu d’être réglées par l’acte administratif, devront être terminées dans la forme de la justice administrative.
La loi peut faire ce choix en désignant les matières administratives contentieuses par des qualités générales. Ces signes distinctifs sont alors tirés de la nature juridique du rapport à régler ; on les choisit de préférence de manière que l’acte à accomplir ait la nature d’une décision, d’un acte de juridiction3.
Mais les affaires attribuées à la justice administrative peuvent aussi être désignées d’après le contenu spécial du rapport. La justice administrative reçoit alors compétence non pas en vertu d’un principe général, mais par une énumération de différents objets4. Peut-être donne-t-on encore la préférence à des cas de juridiction ; mais on y trouve plus facilement des cas de libre appréciation.
Il n’y a pas d’opposition fondamentale entre ces deux manières de procéder ; l’une et l’autre ne constituent qu’un choix. Nos législations en font un usage simultané : c’est tantôt l’une, tantôt l’autre méthode qui est préférée et suivie comme principe ; mais celle qui n’est pas adoptée se trouve néanmoins appliquée dans certains cas5.
(231) La différence qui existe avec la justice civile, et qui se manifeste dans le choix des affaires de sa compétence, entraîne une autre particularité de la justice administrative : les matières qui lui appartiennent sont ou d’un contentieux originaire ou d’un contentieux subséquent6.
La matière est du contentieux originaire, lorsque le rapport qui doit recevoir une détermination d’autorité reçoit cette détermination dans la forme de la justice. Il en est partout ainsi dans les matières qui appartiennent à la justice civile ou criminelle. Les matières administratives contentieuses peuvent être réglées de la même manière. Mais, pour elles, une autre combinaison est possible. A côté du jugement, il y a la détermination d’autorité par le simple acte administratif ; la ligne de démarcation qui les sépare peut être tracée entre la première instance et la seconde. L’autorité commence par prononcer ce qui doit être de droit, sans forme spéciale ; c’est seulement dans le cas où les intéressés n’acquiescent pas, que l’affaire est, sur leur demande, soumise à un nouvel examen, cette fois dans la forme de la justice administrative. L’affaire devient contentieuse après-coup ; c’est le contentieux subséquent.
La justice civile et la justice criminelle n’en donnent pas de modèle. Les ordonnances de payer et les (232) ordonnances pénales auxquelles on pourrait songer ne sont que des actes provisoires, des tentatives de terminer l’affaire sommairement. Le commandement disparaît dès que l’opposition est formée7. Notre acte administratif, au contraire, représente la procédure ordinaire ; il a, vis-à-vis de la justice subséquente, la valeur d’un jugement de première instance. Il n’est pas, sur le moyen de droit, comme nul et non avenu ; il est contrôlé, confirmé, annulé ou modifié8.
La situation devient surtout claire, quand le contrôle de la justice se limite à certains points, par exemple à la question de droit ; la justice subséquente a alors, en même temps, le caractère d’une justice restreinte dans le sens que nous allons développer au no 3 ci-dessous. Cela donne ce qu’on appelle le contrôle en droit (Rechtskontrolle) : ce contrôle suppose, par sa nature, que, pour la détermination des cas, les autorités se cantonnent dans l’acte attaqué9.
(233) 2) Il est de l’essence de la justice qu’il y ait une partie. Nous entendons par là la personne dont le rapport doit être déterminé par le jugement à rendre et pour laquelle seule l’autorité de la chose jugée produit son effet10. Il suffit que le juge ait devant lui une seule personne dans cette situation ; tel est le cas dans la procédure criminelle11. S’il y a plusieurs personnes dans la même situation, intéressées toutes dans le même sens, plusieurs accusés par exemple devant le tribunal criminel, cela ne fait pas de différence.
Mais il se peut aussi qu’il y ait plusieurs parties avec des intérêts opposés, de sorte que chacune d’elles soit placée à la fois vis-à-vis de la puissance publique de laquelle elle reçoit son droit, et vis-à-vis de la partie adverse contre laquelle elle veut obtenir son droit ; tel est le cas dans la procédure civile.
Il en résulte, chaque fois, une différence fondamentale dans toute la situation juridique ; les conditions et les effets de la justice ne seront pas les mêmes. Nous distinguerons les deux espèces que nous venons de distinguer par les expressions suivantes : justice à partie simple ou uniforme et justice à parties opposées.
Dans la procédure qui conduit au jugement, chaque partie a sa place déterminée et son influence réglée ; nous appelons cela le rôle de partie: la partie (234) qui remplit ce rôle est la partie au procès ; les droits qu’elle aura à y exercer sont ses droits de participation au procès12. Quand la procédure est légalement organisée de manière à admettre des rôles de partie opposés, nous disons qu’il y a justice à procès contradictoire ; quand, au contraire, on ne prévoit qu’une sorte de rôle de partie, c’est de la justice à procès sans contradicteur ; n’ayant pas d’adversaire, la partie ne parle qu’au tribunal.
Il ne peut y avoir de partie sans rôle de partie correspondant ; sans cela, la partie serait muette. Donc, toute justice à parties opposées est aussi ordonnée comme une justice à procès contradictoire. Mais il ne s’ensuit pas que toute justice à partie simple doive également ne prévoir qu’une seule espèce de rôle de partie ; la procédure peut, dans ce cas, prendre la forme contradictoire. On considère, en effet, comme une garantie spéciale pour la justesse du résultat, que le juge ne subisse pas d’influence que d’un seul côté, vers lequel il serait peut-être alors tenté de diriger ses sympathies ; il faut qu’il soit maintenu en équilibre par une influence contraire qui fasse valoir l’autre côté de l’affaire. Ainsi, le ministère public a été placé en face de l’accusé ; il joue le rôle de partie de procès avec tous les droits de participation au procès, sans que, pour cela, la justice criminelle cesse d’être une justice à partie simple : au fond, il n’y a pas de partie adverse à l’accusé. Donc, l’organisation d’une procédure contradictoire ne prouve pas qu’il y ait vraiment justice à parties opposées. L’importance pratique de cette question apparaîtra quand nous parlerons de la chose jugée (§ 15 ci-dessous).
(235) La justice administrative, en général, se présente comme une procédure contradictoire. Il y a des cas où deux particuliers se rencontrent comme parties de procès à intérêts opposés ; ce sont les litiges de parties de droit public ou affaires de parties de droit public, comme on les appelle, ou, selon l’expression plus ancienne, les affaires administratives contentieuses. Mais ailleurs encore, le législateur a pris très souvent le soin de donner à la procédure une forme contradictoire : un représentant de l’intérêt public doit faire face à la partie privée ; des procureurs du roi, des commissaires du gouvernement spéciaux seront commis ; ou bien l’autorité administrative dont l’acte est attaqué est appelée à défendre cet acte.
Mais, en dépit de cette conformité extérieure, la question se posera de savoir s’il s’agit vraiment de parties opposées, ou s’il s’agit seulement de rôles de partie différents, la véritable partie ne se trouvant que d’un côté. On s’est donné beaucoup de mal pour effacer toute distinction à cet égard. On peut y arriver en écartant, par principe, l’idée de partie dans la justice administrative. L’autorité alors ne serait pas partie ; elle ne jouerait que le rôle de ministère public dans la procédure criminelle ; il en serait de même pour la personne privée ; pour l’autorité et pour la personne privée, il ne s’agirait que de la « distribution formelle des rôles de partie » dans le but de rendre possible une procédure contradictoire réglée. Par conséquent, la situation serait la même quand les deux rôles sont remplis par des personnes privées. De cette manière, on rend impossible une diversité de justice à partie uniforme et à parties opposées13. Mais on n’arrive (236) à ce résultat qu’en sacrifiant la vérité. On ne peut pas, en effet, faire aussi facilement abstraction du fait que ces personnes privées sont autre chose que des procureurs du roi qui se disputent ; elles veulent obtenir quelque chose pour elles-mêmes ; elles sont les sujets pour lesquels le jugement va produire son effet et passer en force de chose jugée.
On peut aussi arriver à l’uniformité par la voie contraire, en constatant partout la présence de deux parties véritables qui se trouvent en opposition, aussi bien dans le cas où il n’y a qu’une seule personne privée, que dans celui où il y en a deux plaidant l’une contre l’autre. Où est, dans le premier cas, la partie adverse ? C’est là une question sur laquelle on n’est pas d’accord. On dit tantôt que c’est l’autorité, l’ « organe administratif », et tantôt l’Etat.
De l’autorité, il n’en peut être question ; c’est évidemment confondre la partie et celui qui joue le rôle de partie dans le procès14.
(237) L’opinion contraire qui se prononce pour l’Etat peut trouver un appui dans une manière de voir qui paraît être prépondérante dans le domaine de la procédure criminelle : d’après cette doctrine, le tribunal pénal statuerait entre deux parties : l’accusé d’une part, et l’Etat, représenté par le ministère public, de l’autre15. Cela rapproche les choses de la situation qui nous est plus familière, celle qui se présente devant le tribunal civil.
Mais quoique, pour la procédure criminelle, cette opinion n’entraîne pas de contradictions bien graves, il n’y en a pas moins là une inexactitude. Le rapport entre l’Etat et l’accusé, à la suite de l’institution du (238) ministère public, n’est pas devenu autre que ce qu’il était au temps de la procédure inquisitoriale. L’accusé n’est pas placé, à la fois, vis-à-vis de l’Etat comme tribunal, et vis-à-vis de l’Etat comme partie représentée par le ministère public. Tribunal et ministère public, chacun dans la sphère de sa compétence, forment ensemble la puissance publique à laquelle l’accusé à affaire. Il n’y a pas moyen d’attribuer à l’Etat la qualité juridique de partie.
Dans la justice administrative, la chose est encore plus facile à reconnaître16. Le fonctionnaire qui fait face au procureur du roi s’appelle le « représentant de l’intérêt public », expression peu convenable pour désigner quelqu’un qui plaide la cause d’une partie. La manière dont ce fonctionnaire reçoit sa commission peut déjà suffisamment démontrer qu’il n’a personne à représenter, qu’il a seulement à remplir, dans la procédure, le rôle correspondant à celui d’une partie17. Mais il y a des législations qui, attachant moins de valeur à un débat contradictoire, renoncent tout à fait à ce simulacre d’un procureur du roi. Et cependant, rien ne manque à cette justice administrative ; elle produit tous ses effets, absolument comme s’il y avait eu ce représentant de l’intérêt public qui ailleurs semble avoir tant d’importance. Ici, la chose est tout à fait claire. L’individu qui attaque une mesure administrative devant le tribunal administratif ou qui se défend contre un préjudice qui doit lui être porté dans la forme de la justice administrative, ne trouve en face de lui personne, si ce n’est le tribunal.
(239) L’Etat, dans la procédure, n’est pas représenté comme partie, et il ne doit pas l’être ; il est représenté, il est vrai, par le tribunal ; mais le tribunal est le contraire d’un représentant de partie. Or, il y a bien des rôles de partie à remplir pour la forme, sans qu’il y ait de véritables parties. Mais peut-on imaginer une partie, pour laquelle il n’y ait pas un rôle de partie correspondant dans la procédure et qui n’y trouve pas de place pour se faire valoir ? Ce serait le cas de l’Etat considéré comme partie. En effet, on ne se sert ici de l’Etat que comme d’une partie fictive dont on croit avoir besoin pour retrouver l’économie schématique de la procédure civile18.
Ceci, nous l’écarterons. Pour qu’il y ait justice, il faut qu’il y ait partie ; mais il ne faut pas des parties (240) opposées. C’est la loi qui confère la qualité de partie. Quand elle ordonne qu’il y aura justice administrative pour tel ou tel acte administratif, elle désigne par cela même comme partie le sujet pour lequel cet acte est accompli, le sujet dont le rapport avec la puissance publique est déterminé par cet acte. C’est donc la justice à partie simple qui, pour la justice administrative comme pour la justice criminelle, est le point de départ et la règle19. L’admission de rôles de partie pour la forme de la procédure est sans influence.
Mais il peut y avoir de véritables parties opposées ; dans la justice criminelle, nous avons comme exemple la partie civile. Dans la justice administrative, la chose peut se produire de différentes manières.
Il y a d’abord des actes administratifs qui trouvent déjà, dans leur objet, une pluralité d’intéressés ayant des prétentions opposées et entre lesquels il doit être statué ce qui sera de droit. L’exemple le plus éclatant nous est donné par les charges publiques collectives et par les rapports de droit public secondaires qui en résultent (Comp. § 9, I, no 2). Les contestations qui s’y rattachent sont, par leur nature, destinées à être réglées dans la forme de la justice. Ou bien elles sont rangées dans la sphère de la justice civile, ou bien la loi ordonne qu’il y a lieu à justice administrative. Cette justice devient alors nécessairement (241) une justice à parties opposées ; les parties litigantes se trouvent être données.
Mais, même en dehors d’un semblable fondement, la loi peut, pour un acte administratif à accomplir vis à-vis d’une personne déterminée, prescrire une procédure dans laquelle on devra entendre les demandes et observations des personnes intéressées dans l’affaire dans un sens opposé ; elle peut donner à cette procédure la forme de la justice administrative, soit directement, soit dans une instance de contrôle. Alors tous les particuliers qui y seront admis deviennent des parties ; la justice revêt par là encore ce caractère bilatéral à double effet20.
Ce sont les seuls cas possibles, dans lesquels il peut y avoir justice administrative à parties opposées. Dans l’un et l’autre de ces cas, l’Etat lui-même peut être intéressé comme un simple particulier, qu’il soit compris dans la charge collective ou qu’il doive prendre part à l’acte à accomplir en sa qualité de propriétaire d’un fonds voisin, etc., en un mot comme fisc soumis à la réaction de son propre ordre juridique (Comp. § 2, III, no 2 ci-dessus).
Il apparaîtra alors dans la procédure comme fisc et comme partie véritable, semblable à une partie privée ordinaire avec toutes les conséquences qui en résultent.
En dehors de ces cas, l’Etat n’est jamais partie dans la justice administrative21.
(242) 3) Nous pouvons distinguer dans la sphère de la justice civile un contentieux de pleine juridiction et un contentieux de juridiction restreinte, selon l’étendue dans laquelle la justice saisit l’espèce. La règle est que la justice examine la situation entière qui lui a été soumise, au point de vue du fait comme au point de vue du droit ; elle prononce ensuite ce qui, dans ce rapport, doit être de droit entre les parties.
Exceptionnellement, la mission du juge est légalement restreinte à n’examiner, dans le rapport qui lui a été soumis, qu’un certain côté, et à ne rendre de sentence que sur ce point déterminé. Tel est le cas pour le moyen de la revision. On n’examine que l’application de la loi, il n’y a, dans le jugement, que l’appréciation juridique du cas22.
(243) La même opposition existe dans la sphère de la justice administrative ; mais ici la juridiction légalement restreinte apparaît plus souvent et sous des formes plus variées.
Le contentieux de pleine juridiction se rencontre surtout dans les affaires de liquidation et autres contestations de droit public à parties opposées. Mais on en trouve des exemples aussi dans la justice administrative à partie uniforme. Il faut, en règle générale, partir du principe suivant : chaque fois que la loi a attribué une affaire à la justice administrative sans réserve, cette dernière aura à examiner et à fixer le rapport tout entier23.
Il y aura contentieux à juridiction restreinte dans le cas où la loi attribue une affaire à la justice administrative (244) de manière à ce que l’on n’en examine qu’un certain côté. Dans ce but, la loi peut détacher, de l’ensemble du rapport, un point spécial24, ou bien attribuer purement et simplement le rapport, mais poser en même temps le principe général que cette attribution doit chaque fois ne compter que pour un certain côté du rapport, ou ne pas compter pour un certain côté, par exemple pour des questions de libre appréciation25. Dans ce cas, une affaire qui dépend entièrement d’une libre appréciation ne ressortira pas du tout au juge administratif ; quant aux affaires qui donnent matière à la fois à une décision et à une libre appréciation, il y aura une procédure mixte, la justice étant restreinte à la décision à prendre26 ; dans les affaires, enfin, qui sont toutes de décision, il n’y aura pas de restriction imposée à la justice.
C’est surtout dans les tribunaux administratifs suprêmes (Oberverwaltungsgerichte, Verwaltungsgerichtshöfe) que l’on rencontre le contentieux restreint.
Sous cette forme s’exerce un contrôle centralisé tant sur les tribunaux administratifs inférieurs, que sur les simples autorités administratives.
Cette Cour suprême peut être compétente vis-à-vis (245) d’une juridiction de première instance, directement et à la place d’un tribunal inférieur. Elle peut fonctionner comme Cour d’appel vis-à-vis des tribunaux inférieurs, comme aussi vis-à-vis des simples autorités administratives (on aura alors un contentieux subséquent, comp. no 1 ci-dessus)27. Dans tous ces cas, la juridiction de la Cour suprême n’offre pas d’autres particularités.
Souvent aussi, une juridiction restreinte appartient à la Cour suprême à l’égard des jugements de tribunaux inférieurs, en tant qu’on ne peut y recourir que pour fausse application de la loi ou vice de forme. La revision de la procédure civile a servi de modèle ; l’on en a, pour l’essentiel, simplement adopté les principes28.
Comme pendant de cette revision, laquelle est dirigée contre des jugements, s’est formée une espèce particulière de juridiction suprême, laquelle va permettre un contrôle analogue des simples actes administratifs. C’est à elle que l’on fait allusion quand on (246) parle de contrôle en droit, de recours en droit, de demande administrative. Cette juridiction suprême est restreinte au contrôle de l’observation de certaines limites juridiques ; celui qui se croit lésé par l’inobservation de ces limites, peut mettre en mouvement cette juridiction par une demande en annulation dirigée contre l’acte par lequel il a été lésé.
Comme les actes administratifs présentent un mélange, à des degrés très variés, de liberté d’action et de nécessités juridiques, comme ils sont tantôt complètement liés, tantôt liés pour partie, tantôt complètement libres dans certaines limites ou dans la direction générale vers un but déterminé, les principes, d’après lesquels ils doivent être soumis à un contrôle au point de vue du droit, peuvent être choisis de différentes manières. On fait fausse route en s’imaginant le « contrôle en droit » comme une notion fixe, donnée d’avance. Ici encore, la loi détermine les affaires contentieuses administratives selon son bon plaisir, et, par conséquent, de manière différente dans les différents pays.
Nous prenons pour point de départ le recours pour excès de pouvoir du droit français, qui a eu une certaine influence sur le développement du droit allemand, quoique bien souvent on ne l’ait pas bien compris. Il vient, comme le recours en cassation, de l’ancien régime ; il a fait ses preuves par un long usage ; il s’est perfectionné. Son nom originaire est réclamation d’incompétence ; aujourd’hui encore il s’appelle ordinairement recours pour incompétence ou excès de pouvoir. Il s’agit d’une forme spéciale de violation de la compétence : l’autorité doit être sortie de l’exercice normal de ses pouvoirs. Dès lors, l’examen auquel ce moyen de droit donne lieu, ne concerne que les limites extérieures des pouvoirs de l’autorité. Qu’il n’y ait pas de recours, au cas où il y a eu erreur dans une question
(247) de libre appréciation, c’est là une chose qui nous paraîtra naturelle. Mais une fausse application de la loi ne suffit pas non plus : de même que le juge qui fait une fausse interprétation de la loi n’excède pas sa compétence, de même une faute semblable ne peut servir de base au recours pour excès de pouvoir contre l’autorité administrative. La question est exclusivement celle de savoir si l’autorité a agi dans l’exercice de ses pouvoirs, que cet exercice soit bon ou mauvais, légal ou illégal, peu importe. Elle excède ses pouvoirs en faisant des actes qui n’y sont pas compris du tout, ou en ne remplissant pas les formes qui en sont les conditions. Mais l’autorité administrative excède également ses pouvoirs en se servant de sa libre appréciation dans un but autre que celui pour lequel son pouvoir légal lui a été confié. C’est ce qu’on appelle le détournement de pouvoir29.
A la place de ce recours pour excès de pouvoir, nous rencontrons dans le droit allemand la demande en nullité pour violation de la loi. C’est aussi une juridiction à compétence restreinte, mais restreinte d’une (248) autre manière. Ce en quoi elle diffère, c’est qu’elle s’attache plus étroitement au droit positif. La demande suppose aussi, d’un côté, l’individu lésé dans ses droits ; mais, de l’autre côté, elle suppose que l’autorité a causé cette lésion en appliquant faussement ou en n’appliquant pas la loi c’est-à-dire la règle de droit30. Ainsi, ce moyen aboutit à un contrôle de la légalité de l’acte en général, et non pas seulement des limites extérieures des pouvoirs de l’autorité : il tient compte aussi de la fausse application de la loi, qui pourrait être faite dans ces limites ; la revision du Code de procédure civile sert de modèle. Si le cercle des attributions de la justice suprême se trouve ici élargi dans cette direction, on a renoncé en même temps à la conception plus hardie du moyen de droit français qui comprend également dans son contrôle l’exercice convenable du pouvoir de libre appréciation accordé par la loi à l’autorité. Le juge administratif allemand s’en tient au texte de la loi.
En revanche, la législation allemande possède une autre espèce de justice administrative suprême qui tend particulièrement à un contôle d’une partie de la libre appréciation : c’est la demande en nullité pour défaut de faits justificatifs.
La libre appréciation qui peut appartenir à une autorité administrative s’exerce dans deux directions. On apprécie les circonstances en ce qu’elles sont propres à produire l’acte, et on choisit les moyens qui paraissent propres à réaliser le but. Le contrôle, que notre moyen de droit permet, vise pleinement le premier point : la Cour examine les circonstances que (249) l’acte suppose, absolument comme l’autorité qui a fait l’acte, par conséquent comme une Cour d’appel31. Mais, à la différence de cette dernière, la Cour ne contrôle pas l’autre côté de l’acte, le choix des moyens. D’ailleurs, ce côté n’est pas laissé tout à fait en dehors, car les deux côtés de l’acte se tiennent ; lorsque la Cour doit examiner si les circonstances justifient la disposition, il n’est pas question d’un acte quelconque, mais de cet acte avec son contenu déterminé. Il s’agira donc de savoir si ce qui a été ordonné rentre encore dans la catégorie des choses qui, en général, peuvent être justifiées par des circonstances de cette nature. Comme moyen de discernement, nous employons ici la formule si usitée en droit : on suppose un homme normal, un bonus pater familias, ici un fonctionnaire administratif convenable. Si celui-ci, dans ces circonstances, pouvait d’une manière plausible, être amené à prendre une disposition semblable, il n’y a pas lieu d’aller plus loin et d’examiner si elle était vraiment nécessaire, bonne et utile. Tel est bien le côté de la libre appréciation qui ne doit pas être contrôlé. La loi se sert de l’expression : l’autorité a eu le droit c’est-à-dire qu’elle est, par rapport à ce contrôle, à considérer comme ayant eu le droit de faire cet acte. Si, au contraire, la réponse à cette question est négative, la demande en nullité est fondée ; l’acte attaqué doit être annulé, non pas pour cause de fausse application ou de non application de la loi — il ne s’agit pas d’application de la loi — mais parce que font défaut les (250) circonstances de fait qui pourraient rendre un acte semblable juridiquement possible32. Si donc un côté de la libre appréciation est contrôlé comme sur appel, l’autre côté de cette libre appréciation est soumis à un contrôle comme sur recours pour excès de pouvoir au sens du droit français. Il y a là une restriction par laquelle cette juridiction — quoiqu’elle embrasse encore une forte partie de libre appréciation, — s’oppose à une juridiction de pleine compétence33.
(251) Tout cela doit être complété à un autre point de vue : la juridiction du tribunal administratif suprême a une répugnance naturelle pour l’administration des preuves nouvelles dont ce tribunal pourrait être chargé.
Des preuves nouvelles sont déjà en partie exclues par la censure même du moyen de droit et du contrôle à exercer. Le recours en cassation, en révision ou en nullité a pour but principal le maintien de l’unité dans l’interprétation de la loi. Le profit que, du même coup, pourront en retirer les intéressés, servira principalement de stimulant pour provoquer leur collaboration à ce contrôle. Pour cette raison, il importe seulement que l’erreur de droit résulte du texte même du jugement attaqué ; le point de fait, pour cet examen, sera accepté tel que le jugement attaqué l’a fixé34. On procède de la même manière dans le recours pour excès de pouvoir du droit français.
Au contraire, le recours en droit (Rechtsbeschwerde) de notre droit administratif allemand, c’est-à-dire la demande en nullité pour la violation de la loi ou pour défaut de circonstances justificatives est, avant tout, un moyen de droit au profit de la personne lésée. Il s’agit de savoir si, dans le point à contrôler, il lui a été fait tort. La loi a été faussement appliquée à son cas, lors même qu’elle correspond bien aux faits supposés par le jugement, mais non aux faits véritables ; et les circonstances justificatives peuvent faire défaut, même si le jugement attestait le contraire. Ainsi, il peut se faire qu’une nouvelle appréciation des questions de fait exige l’administration de preuves nouvelles. Quand la cour administrative fonctionne comme tribunal d’appel, cette possibilité est toute naturelle.
(252) Dans tous ces cas, des précautions spéciales sont prises pour décharger la Cour. La loi, par exemple, ordonne expressément que si une administration de preuve parait nécessaire, elle soit renvoyée aux instances inférieures35. Ou bien la loi n’admet de nouveaux moyens de fait qu’à certaines conditions et à titre exceptionnel36. Même en l’absence d’une loi expresse, nous trouvons un secours jusqu’à un certain point dans la maxime que tout ce que les autorités inférieures ont constaté ou supposé en fait, est présumé être la vérité ; par conséquent, les pièces de la procédure servent de base tant qu’il n’y a pas de preuve contraire offerte et fournie37.
Cela semble faire ressortir encore plus nettement le caractère restrictif que revêt l’exercice de ce contrôle suprême. Mais, pour la notion même de la justice administrative à compétence restreinte, ces règles relatives à la preuve ne sont que d’importance secondaire.
- Il faut une loi, parce que instituer une justice administrative, c’est créer un droit individuel (subjectif) public (Comp. § 13, III, ci-dessus). Cela n’empêche pas que la loi, en prescrivant la justice administrative, adopte tacitement des affaires contentieuses reconnues dans l’usage préexistant. L’acte du contentieux du droit français peut servir d’exemple : Otto Mayer, Theorie der franz. Verw. R., p. 103. [↩]
- La loi prussienne sur la compétence, du 1er août 1883, se sert, de préférence, de l’expression : « l’autorité décide », pour désigner le jugement administratif. La loi sur l’administration générale, du 30 juillet 1883, § 54, al. 2, détermine les différentes expressions qui peuvent servir à ce but ; en dehors de ces expressions, il n’y a pas de justice administrative (loc. cit., al. 3), — La loi Bavaroise, pour désigner le contentieux administratif, se sert du mot « affaire de droit administrative » (Verwaltungsrechtssache). [↩]
- Ce n’est qu’une préférence de fait. L’idée, d’après laquelle le droit de partie ne serait qu’une émanation d’un droit matériel (v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 55, ss.), fausse déjà pour la justice civile (Wach, Feststellungsanspruch, p. 22, ss.), est tout à fait inadmissible pour la justice administrative. Ces deux espèces de droits sont indépendants l’un de l’autre. [↩]
- On parle ici de méthode d’énumération, de taxation ou de fixation. [↩]
- Le droit prussien donne une énumération spéciale ; mais il ajoute la demande en annulation dirigée contre des dispositions de police, laquelle est d’une nature générale (L. V. G., § 127). Le droit Bavarois complique son énumération avec la règle générale que toutes ces affaires n’appartiennent à la justice administrative qu’en tant qu’elles soulèvent des questions d’application du droit. Le droit württembergeois, le droit autrichien, le droit français, au contraire, partent d’un principe général qui sert à déterminer les matières qui appartiennent à la justice administrative, mais ils ajoutent des affaires spéciales qui seront en outre attribuées à la justice administrative (Loi würtemb., 6 décembre 1876, art. 10 ; Ulbrich, Oestr. St. R., p. 449, ss. ; Otto Mayer, Theorie der franz. V. R., p. 110. — Dans la Saxe, loi du 19 juillet 1900, la justice administrative n’a que des attributions spéciales. [↩]
- En France, on s’est servi parfois des termes : contentieux à priori et à posteriori. Serrigny, Compétence, I, p. 427. [↩]
- C. Pr. civile, § 695 ; Code de Procédure pénale, § 451. — Dans la procédure de la justice administrative, nous trouvons également des ordonnances provisoires. D’après la loi prussienne sur l’adm. gén. du 30 juillet 1883, § 64, § 67, la demande peut être rejetée provisoirement par rescrit (Bescheid) ; sur la déclaration du demandeur qu’il requiert le débat oral, ce rescrit disparaît ; Stier-Soculo, Comment., p. 95, n° 2 : « le rescrit perd tout ‘effet juridique ». Müller, Begriffe d. V. R. Pfl., p. 183, reproche à cette institution d’être contraire à la règle commune à toutes les juridictions de ne pas aller ultra petita. C’est vrai ; mais il ne s’agit pas de justice ordinaire ; il s’agit d’une mesure provisoire qui ne devient définitive que par l’acquiescement de la partie. Du reste, dans l’administration comme dans la justice civile, le provisoire n’est que l’exception : le jugement administratif comme l’acte administratif sont présumés vouloir être définitifs. [↩]
- La loi d’Empire du 31 mars 1873, § 134, ss., permet de condamner, par décision de l’autorité supérieure, un fonctionnaire responsable d’un déficit de caisse. Contre cette décision, la voie de droit est ouverte devant le tribunal civil qui statue alors comme un tribunal d’appel : Oppenhoff, Ress. verh., p. 436, note 22, Kanngiesser, Comment., p. 229, ss. ; Reichggesetz, 5 février 1885 (Samml. XII, p. 143). La justice administrative contrôlant un acte d’administration suit le même type. [↩]
- Quelquefois, on insiste trop sur cette fonction de la justice administrative, comme s’il était de son essence de servir de contrôle en droit. Dans ce sens, Gneist, Rechtsstaat, p. 273, ss. ; Lœning, Verw., R., p. 797 ; surtout Bornhak, Preuss. St. R. II, p. 417 : « La justice administrative consiste essentiellement dans le contrôle des actes des autorités ». C’est une combinaison de deux erreurs : tout d’abord, il y a aussi une justice originaire : en outre, toute justice subséquente n’est pas restreinte au point de droit. [↩]
- Wach, C. Pr. R., I, p. 518. [↩]
- Lœning, dans Verw. Arch., VII, p. 12, se croit autorisé à me reprocher un manque de logique, parce que j’appelle partie la personne dont le rapport doit être déterminé par le jugement, et que je reconnais cependant que, dans un rapport juridique, il doit y avoir deux personnes. Mais si l’on se rappelle qu’en règle, dans les rapports juridiques de droit public, l’une de ces personnes est l’Etat lui-même qui détermine ce rapport comme juge — ce qui n’exige pas du tout qu’il soit en même temps partie — on voit qu’avec un peu de réflexion on peut sortir du dilemme. Du reste, Lœning lui-même n’obtient ses deux parties obligatoires qu’au moyen d’une grande confusion. Comp. note 12 ci-dessous. [↩]
- Wach, loc. cit., p. 533. Wach parle des rôles de demandeur et de défendeur, tous les deux essentiels pour la procédure civile. C’est parce que la procédure administrative ne prévoit pas nécessairement ces deux rôles, qu’il nous faut rester dans la notion générale du rôle de partie. [↩]
- Cette opinion est exposée dans toute sa rigueur par Gneist, Rechtsstaat, p. 275 : « Aucune différence matérielle n’existe entre les deux cas ». Puisque, dans la justice administrative, il n’y a pas de partie, il n’y a pas non plus de chose jugée (p. 276). Dans d’autres occasions encore (p. e. dans les débats du XIIe congrès des juristes allemands, t. III, p. 239), Gneist s’est élevé contre la transplantation de ces notions « civilistiques ». Mais ce qui lui restera une fois qu’il aura réussi à éliminer tout ce qui « sent » le droit civil, ne ressemblera jamais à ce que nous appelons la justice administrative. [↩]
- G. Meyer, Verw. Recht, I, p. 51 : « La partie adverse peut étre : a) un sujet de droit individuel, comme une personne privée ou une collectivité communale ou une corporation publique ; b) un organe de l’administration ». Il explique cela, p. 61 : Dans les demandes en nullité et ce qui y ressemble, il s’agit d’affaires « dans lesquelles, d’un côté, une autorité publique est intéressée ». Cette autorité, en Prusse, Bade et Anhalt, a la situation « d’une partie du procès ». En Bavière et dans le Württemberg, au contraire, des affaires de ce genre « sont traitées dans la forme d’un recours administratif plutôt que dans celle d’un procès ». Est-ce à dire que dans ce cas, le tribunal administratif ne fasse pas fonction de juge ? Evidemment non. Mais où sera alors la « partie adverse » ? G. Meyer parle tantôt de partie, tantôt de partie du procès ; quand il s’agit d’une autorité qui plaide, il pense plutôt à une partie du procès dans le sens que nous donnons à cette expression, c’est-à-dire d’un rôle de partie. Mais il ne distingue pas les deux choses qui sont si essentiellement différentes. Du reste, il n’est pas le seul ; d’autres auteurs s’embrouillent encore plus que lui dans cette confusion ; cela est vrai surtout de Lœning, V. R., p. 817, ss. ; Verw. Arch. VII, p. 71.
Cet auteur va même jusqu’à affirmer que, dans le contentieux administratif, la partie Etat ne peut jamais succomber (singulière partie !) Il prétend se tirer d’embarras en reconnaissant que la « notion de la partie est tout autre dans le contentieux administratif que dans la procédure civile ». Rejeter les notions du droit civil est toujours une chose très grave ; cela n’est permis qu’au profit d’idées propres au droit public, fortes et claires. Lœning ne nous en donne pas.
La législation prussienne, par sa manière de s’exprimer, est pour quelque chose dans cette confusion. Sous l’influence des doctrines de Gneist, elle se montre, jusqu’à un certain point, indifferente à la notion de partie dans le sens strict ; par contre, — comme Eccius, dans Hartmann’s Zeitschrift, III, p. 235 l’a fait justement remarquer, — elle a dépassé les intentions de Gneist dans la formation des rôles de partie ; elle leur a attribué une importance plus grande. Cela ne peut pas nous dispenser de rechercher si, derrière ces rôles, il y a une partie véritable. — Le rôle attribué à une certaine autorité sert spécialement à résoudre la question de savoir à qui incombe la charge des frais du procès. Dans la justice criminelle, la chose est simple : si c’est le ministère public qui succombe, l’accusé est indemnisé de ses frais par le « fisc de justice », c’est-à-dire par l’Etat. Dans l’administration, l’autorité qui plaide peut avoir derrière elle une autre caisse que celle de l’Etat ; si elle succombe, ces restitutions « sont à la charge de celui qui, d’après la loi, aura à supporter les frais généraux de l’autorité » (v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 104, note 186 au § 107, L. V. G.), donc à la charge, par exemple, d’une collectivité communale. Comp. O. V. G., 8 décembre 1879. Cela prouve que l’autorité n’est pas partie ; mais cela ne prouve pas que la collectivité communale ait la qualité de partie, pas plus que l’Etat qui supporte les frais de la procédure criminelle. [↩]
- Merkel, Encyclopaedie, p. 794 ; v. Kries, Stf. Pr. R., p. 168 et 188 ; moins clairement. Glaser, Stf. Pr. R., I, p. 75, II, p. 143, 144. [↩]
- Sur l’Etat comme partie dans la justice administrative, Schmitt, Grundl. d. V. R, Pfl., p. 124 ; Lœning, V. R., p. 797, p. 817 ss. Seydel, Bayr. Staatsrecht, p. 486 ss. — Contra : Roesler dans Grünh. Zeitschrift, IV, p 326, 327, et surtout très exactement v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 712. [↩]
- L. V. G. (Prusse) § 74, al. 1 et 2 ; v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 82 note 132 et 135 ; Parey, V. R., I, p. 113. [↩]
- V. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 712 partant du fait que, d’après le droit Württembergeois, pour le groupe le plus important des affaires administratives contentieuses, on ne voit pas de défendeur, en tire avec raison cette conséquence que « la loi ici ne connaît pas de défendeur comme partie ». Il renvoie (p. 713) à la justice administrative Bavaroise, où le même résultat doit se produire. Seydel, Bayr. Staatsrecht, III, p. 481 confirme ce fait, mais l’explique d’une autre manière. Un procès, dit-il, suppose nécessairement des parties en contestation. « Les deux parties adverses peuvent être des parties de procès ; mais cela n’est pas nécessaire. La puissance publique, comme telle, renonce ordinairement… au rôle de partie dans le procès ». La distinction entre la partie et le simple rôle de partie est ici parfaite. Mais s’il est vrai qu’il y a des rôles de partie sans véritable partie, il ne serait pas exact de dire qu’il a des parties sans rôle de partie, c’est-à-dire sans qu’il yait pour elles une place prévue dans le procès, qu’elles remplissent ou non ce rôle. La partie comprise dans le procès peut renoncer à remplir son rôle ; elle reste alors partie et exerce son influence sur le jugement à rendre par son inertie même (Bülow, dans Arch. f. civ. Pr., LXII, p. 90). L’abstention, dont Seydel parle ici, signifie, au contraire, que, pour cette justice, il n’y a pas, dans le procès, de rôle qu’elle puisse remplir ; le fait de son absence n’aura donc aucune influenee sur le jugement. Mais une partie, dont l’absence dans le procès ne se fait pas sentir, n’est pas une partie. Et pourquoi l’Etat s’abstient-il? D’après Seydel, ce serait pour ce motif que, dans le procès, l’Etat ne-pourrait pas vouloir autre chose que ce que veut le tribunal, et que, dans les instances inférieures tout au moins, l’autorité qui fonctionne comme tribunal, est celle-là même qui, par son acte accompli au nom de la puissance publique, a occasionné le procès ; en somme, ce serait parce que l’Etat n’y est que trop bien représente. Mais, au moyen de ce raisonnement, il deviendra possible de retrouver l’Etat dans tout procès civil comme partie secrète ne renonçant au role de partie que parce qu’il ne doit pas vouloir autre chose que ce que veut le tribunal, et parce que son intérét dans l’affaire est suffisamment garanti par le tribunal. [↩]
- V. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 113 ss., vis-à-vis des contestations de droit public entre particuliers, place, comme représentant seul une justice à partie uniforme, le recours en droit ou la demande administrative pour violation de la loi. Cela est vrai pour la loi Württembergeoise du 16 déc. 1876 art. 10 et art. 13. Mais v. Sarwey n’aurait pas dû généraliser sa législation nationale : la justice à partie uniforme, par cela méme qu’elle est la règle, est beaucoup plus riche et beaucoup plus variée. Du reste, l’opinion de v. Sarwey est suivie par beaucoup d’auteurs qui n’ont pas la méme excuse que lui. [↩]
- Nous en trouvons un exemple dans la justice administrative sur l’autorisation de certains établissements industriels, quand il y a opposition formée par des tiers : Gew. Ord., § 19 ss. ; Landmann, Comment., I, p. 166 ss. [↩]
- Seydel, Bayr. Staatsrecht, II, p. 482, ajoute encore les procès en matière de taxes et de droits de succession, qui se plaident devant les sections dites « de droit administratif » des chambres de finances des gouvernements de cercle. Ici, il y a ministère public pour représenter le Trésor, c’est-à-dire l’Etat. Il y a également un ministère public à la Cour administrative ; mais là, le ministère public ne doit pas représenter la puissance publique comme partie intéressée à l’affaire ; il doit représenter l’intérêt public à une juridiction correcte et uniforme. Il sera plus exact de reconnaître que le but de ce ministère public n’est pas autre dans les chambres de finances des gouvernements. Krais, Comment. p. 242, 246. Il ne s’agit toujours que d’un rôle de partie. — Quand une affaire administrative est attribuée à la justice civile, l’Etat qui y est intéressé est toujours traité en partie véritable ; comp. § 16 ci-dessous. [↩]
- De cette appréciation la Cour tire, en même temps, cette conséquence qu’il faut annuler l’arrêt attaqué, si son appréciation était contraire à la sienne, et le confirmer, si elle y était conforme. On relève une différence essentielle entre la revision du droit allemand et la cassation du droit français. Comp. Motifs du projet de Code de Proc. Civil, p. 42 ss. : « La Cour de cassation est un organe de la puissance de l’Etat exerçant l’inspection suprême ; la Cour de revision est un tribunal faisant de la juridiction pour les parties ». Dans le même sens déjà, le projet Bavarois du Code de Pr. civile de 1869, p. 635. Les motifs du Code de Proc. civile de l’Empire exagèrent encore le contraste en affirmant que, à la Cour de cassation, l’annulation se fait exclusivement « dans l’intérêt public ». Mais on confond ici avec le recours formé par le ministère public dans l’intérêt de la loi. Le recours des parties, au contraire, suppose tout simplement que ces parties ont intérêt à la cassation. Berriat-Saint-Prix, Proc. civ., II, p. 473. Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’originairement le recours en cassation n’avait d’autre effet que de faire annuler le jugement attaqué. L’affaire recommençant devant l’instance inférieure, cette dernière est libre de maintenir la solution des questions de droit qui a été désapprouvée par la Cour, et de rendre une sentence identique à la sentence annulée: Merlin, Répert, III, p. 193 (Convent. matr., § 2). Mais depuis la loi du 1er avril 1837, cela a changé : l’appréciation du point de droit, faite par la Cour de cassation, devient obligatoire pour les instances inférieures, quand elle est renouvelée sur un second pourvoi. Depuis cette époque, on ne peut plus dire qu’il y a une différence fondamentale entre la revision et la cassation. [↩]
- Il ne faut pas considérer comme une réserve dans le sens ci-dessus exposé une prescription comme celle de la loi prussienne du 3 juillet 1875, § 1, sur la justice administrative et de la loi du 2 août 1880, § 1, concernant les modifications à y apporter : les tribunaux administratifs, est-il dit, ne doivent être compétents que « pour des contestations sur des droits et obligations dépendant du droit public ». C’était, comme v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 179, l’a remarqué, une simple « directive », disons une opinion théorique que le législateur croit suivre, ce qui peut-être est encore une erreur. On a bien fait de laisser de côté cette phrase dans la législation postérieure.
Pleine compétence pour des contestations entre particuliers dans la loi badoise, 5 oct. 1863, § 5, dans la loi wurttembergeoise, 16 déc. 1876, art. 10, Saxe 30 janv. 1875, § 1. La loi prussienne sur la compétence accorde la pleine compétence tout aussi bien pour des affaires à partie uniforme (surtout celles qui concernent les permissions de police industrielle ; comp. § 114 ss.) ; de même, la loi badoise, 14 juin 1884. La Saxe, loi du 11 juillet 1900, distingue très nettement. Le § 21 énumère d’abord les contestations entre particuliers à traiter avec pleine compétence ; le § 22 parle, entre autres choses, de la demande en nullité : ici, juridiction restreinte, avec partie uniforme ; le § 24 admet une justice subséquente sur demande et avec partie uniforme pour des affaires à désigner par ordonnance ; dans ce cas, les restrictions indiquées dans le § 76 n’ont pas lieu : il y aura donc juridiction de pleine compétence. Ces différentes formes de la justice administrative se trouvent ici prévues et clairement distinguées. [↩]
- Exemple : loi badoise du 5 oct 1863, § 5, chiff. 10, où la justice administrative est admise sur la question des faits qui autorisent, d’après la loi, l’envoi d’une personne au dépôt de police, l’autorité restant libre de faire usage ou non de cette faculté. [↩]
- Exemple : loi bavaroise du 8 août 1878, qui énumère les affaires contentieuses avec la réserve générale de l’article 13 excluant les questions de libre appréciation. Les actes du contentieux, dans le droit français, écartent aussi la libre appréciation ; mais dès qu’il y a libre appréciation, l’acte entier cesse d’être acte du contentieux ; il ne peut devenir l’objet de la justice administrative qu’en vertu d’une attribution spéciale. La loi bavaroise, au contraire, admet, dans ce cas, un partage ; elle arrive ainsi à une justice administrative de compétence restreinte, inconnue au droit français. [↩]
- Il peut être utile que la même autorité statue cependant sur l’affaire entière ; alors, elle agit en une double qualité : comme simple autorité administrative et comme tribunal administratif. Dans ce sens, loi bavaroise sur la just. adm., art, 31 al. 3 ; Kahr, Comment., I, p. 182 ; Seydel, Bayr. Staatsrecht, II, p. 444. [↩]
- Preuss. L. V. G., § 42, § 83 ; Bade, loi de 1884. § 32 ; Württemberg, loi de 1876, art. 43 ; Saxe, loi du 19 juillet 1900, § 62. — En Bavière, la loi du 8 août 1878 se sert quelquefois de l’expression « appel » (art. 9 et 11) ; en règle, elle parle de « recours » sans distinguer si l’acte attaqué est un simple acte administratif ou un jugement. Malgré cela, le moyen de droit a toujours le même caractère (Kahr, Comment., I, p. 129, note 4) ; c’est toujours un appel (Merkel, Encyclopädie, § 781 ; Parey, V. R. I, p. 190, p. 290). Comme toute la justice administrative du droit bavarois, celle de cette instance d’appel est également restreinte par l’exclusion des questions où il y a libre appréciation ; mais il n’est pas permis, pour cela, de dire, comme le fait G. Meyer, V. R., I, p. 64, note 29, que la Cour administrative bavaroise a « le caractère d’une instance de pure révision ou de cassation ». Comp. V. G. H., 7 déc. 1880 (Samml. II, p. 285) : « La Cour administrative n’est pas une Cour de cassation ; elle n’est pas non plus un tribunal de revision dans le sens du Code de Procédure civile qui exerce bien une juridiction sur les parties, mais est lié par les constatations de fait du jugement attaqué ; elle forme au contraire une instance pleine et entière ». Pour la question de la preuve, comp. note 37 ci-dessous. [↩]
- Prusse, L, V. S., § 93 et 94 (revision) ; Bade, L. 14 juin 1884, § 42 (recours en nullité) ; Saxe, L, 30 janv. 1835, § 17 (recours en nullité, remplacé dans la loi du 19 juillet 1900 par l’appel). [↩]
- Otto Mayer, Theorie des Franz. V. R., p. 139 et. ss. Ce recours correspond au recours en cassation ; tous les deux font partie des attributions de l’ancien Conseil du roi : de même que le contrôle des tribunaux se faisait par le Conseil privé, de même le contrôle des intendants et des autres agents administratifs se faisait par le Conseil des dépêches. La jurisprudence de ces deux sections du Conseil du roi a donné à ces deux moyens de droit leur forme. La législation ultérieure, comme nous l’avons vu (note 22 ci-dessus), a élargi l’effet du jugement de cassation, dont l’appréciation du point de droit lie les juridictions subalternes. Le jugement sur recours pour excès de pouvoir n’a pas participé à ce développement ; il se borne à annuler ou à laisser subsister l’acte qu’on a attaqué par ce moyen. Le recours pour excès de pouvoir est une espèce de contrôle d’un caractère si spécial qu’il est difficile de le désigner par une formule abstraite ; ici tout est affaire d’usage c’est l’œuvre de la jurisprudence. Dans le Württemberg, le Conseil d’Etat, comme tribunal administratif, s’était inspiré des idées de cette institution française. En général, l’imitation n’en est guère recommandable. Mais on n’a pas pour cela le droit de la condamner aussi sévèrement que le font Bernatzik, Rechtskraft, p. 249, note 26 et Tezner dans Grünh. Zeitschrift, XIX, p. 394. [↩]
- Prusse, L. V. G. § 127, al. 3. chiff. 1 : « que la résolution attaquée pour non-application ou fausse application du droit existant lèse le demandeur dans ses droits ». Comp. Bade, loi du 14 juin 1884, § 4 ; Württemberg, loi du 16 déc. 1876 ; Saxe, loi du 19 juillet 1900, § 76 ; Autriche, loi du 22 oct. 1875, § 2. [↩]
- Prusse, L. V. S., § 127, al. 3, chiff. 1 : « que les conditions de fait ne sont pas données, qui auraient autorisé l’autorité à émettre la disposition ». De même, Bade, loi du 14 juin 1884, § 4, al. 2, chiff. 2. — Il est évident que ce chiff. 2 contient, par rapport au chiff. 1 (note 30 ci-dessus), une idée tout à fait indépendante. Quand on cherche à établir une connexité, on n’arrive qu’à des mots. Comp. v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 132 et le rapport de la Commission qui y est cité, p. 131. [↩]
- O. V. G., 22 décembre 1883 : « Le contrôle de la disposition de police selon le § 63, chiff. 2 al. 3 (aujourd’hui notre § 127 al. 3 chiff. 2) ne se restreint pas à la question de savoir si la disposition, d’après les circonstances alléguées, est possible in abstracto ; il faut rechercher si les circonstances qui la justifieraient existent in concreto ». O. V. G., 21 mars 1879 (Samml. III, p. 393, 394) détermine ces deux points dans le même sens ; le moyen est fondé « quand l’autorité a supposé des faits essentiels qui, dans la réalité, n’existent pas » — c’est la question in concreto — et « quand on allègue que la disposition, excédant les limites antérieures fixées à sa libre appréciation, ne repose pas sur des motifs réels de l’intérêt de la police » — c’est la question de la possibilité juridique in abstracto. Cette possibilité, d’après l’O. V. G. 26 juillet 1880 (Samml. X, p. 267) n’existe pas quand la disposition est « tout à fait déplacée et impropre à la réalisation du but visé ». Dès lors, cette disposition doit être annulée. Au contraire, d’après l’O. V.G., 21 mars 1879 (Samml. II, p. 393), la demande en annulation n’aura pas d’effet « quand on reproche seulement à l’autorité d’avoir fait de la libre appréciation qui lui appartient un usage relativement extensif et qui ne répond pas aux circonstances ». [↩]
- Tezner, Lehre v. freien Ermessen, p. 70 ss., remarque très bien la particularité de ce moyen de droit, quand il y constate « la répudiation décidée et intentionnelle de la théorie de la libre appréciation technique naturellement soustraite à tout contrôle » — ce n’est pas sans intention, que le chiff. 2 du § 127 L. V. G., al. 2, ne dit pas, comme le chiff. 1, que le demandeur doit être « lésé dans ses droits » ; on a tort de vouloir suppléer cette condition (v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 132). Que l’on parle de droit lésé dans le cas où il y a fausse application de la loi, il n’en est pas de même dans le cas où il y a seulement abus de la libre appréciation ; or, c’est de cela qu’il est question dans le chiff. 2. Cependant, il faut se garder d’attacher trop d’importance à l’expression « lésé dans ses droits ». Cela n’exclut pas la libre appréciation. Les jurisconsultes français parlent de « droit lésé », quand il y a lieu au recours pour excès de pouvoir, lequel cependant embrasse aussi la sphère de la libre appréciation (Theorie d. Franz., V. R., p. 139 ; Hauriou, Droit adm., no 542). Ce droit lésé est un intérêt quelconque pour la défense duquel il y a un moyen de droit. Ce n’est qu’une façon de parler ; ce serait chicaner le législateur qui s’en sert que de vouloir en tirer des conséquences pour obtenir une apparence de système, trop facilement construit. Il n’en manque pas d’exemples. [↩]
- C’est la règle pour la revision du droit administratif (Comp. note 18 ci-dessus) aussi bien que pour la revision de la procédure civile : v. Brauchitsch, V. Gesetze, I, p. 95, note 168. [↩]
- Bav., L. du 8 août 1878, art. 10. Dans les motifs, p. 13, il est dit que la Cour, pour cette raison, n’est pas une « pleine instance d’appel ». Mais il nous semble que la manière d’administrer la preuve n’est pas décisive pour déterminer la nature du moyen de droit. [↩]
- Württemb., L. du 16 décembre 1876, art. 62 : les moyens nouveaux ne sont admis qu’à la condition que l’autorité dont l’acte est attaqué y consente. Saxe, L. du 19 juillet 1900, § 81, al. 3 : pour l’administration de preuves nouvelles, l’affaire peut être renvoyée devant l’autorité dont l’acte est attaqué. Autorité, L. du 22 octobre 1875, § 6 : la Cour administrative, en règle, doit s’en tenir aux pièces du procès que l’instance inférieure lui a remises. Cependant, selon les circonstances, il peut être procédé à des vérifications nouvelles dont on chargera alors l’instance inférieure : Terrier, Freies Ermessen, p. 44. Pann, V. Justiz, p. 79, ne semble pas voir la différence essentielle qui, à raison de cette admission de preuves nouvelles, existe entre la juridiction de la Cour administrative et la procédure de revision ou de cassation du procès civil. [↩]
- C’est la maxime posée par l’O. V. G., 14 novembre 1878 (Samml. IV, p. 270. 274) ; de même, O. V. G., 29 octobre 1883 (Samml. X, p. 261, 268). [↩]
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