Section II
Le pouvoir financier (Die Finanzgewalt)
§ 27. L’impôt ; modalités de l’imposition
(189) L’impôt est un paiement en argent imposé au sujet par le pouvoir financier en vertu d’une règle constante1.
Il est donc de l’essence de l’impôt que l’obligation de payer soit créée par une manifestation de la puissance publique, que ce soit, par conséquent, une obligation de droit public. Mais il est aussi de l’essence de l’impôt, que l’imposition se fasse d’après une règle constante, c’est-à-dire qu’elle se détermine d’après des faits fixés d’avance et présentant une certaine régularité. La puissance publique pourrait procéder, en dehors de règles de ce genre, dans le cas individuel, par loi spéciale ou en vertu d’autorisations qui seraient données au gouvernement. En fait, elle ne le fera pas ; si cela arrivait, une imposition de paiements isolés de cette nature ne serait pas un impôt2.
(190) Cette règle doit tenir compte des facultés relatives des sujets de supporter l’impôt ; c’est ce qu’on appelle la proportionnalité de l’impôt. S’il est dérogé à ce principe, la mesure conserve le caractère d’impôt ; mais c’est alors un impôt injuste.
La science des finances enseigne comment il faut combiner les règles qui servent de base à l’impôt, pour qu’il soit à la fois juste et propre à remplir son but principal, à savoir, procurer un revenu à l’Etat.
L’impôt, par sa nature, peut s’adapter à toutes ces considérations d’utilité. Car il y a, dans sa notion, un élément négatif : l’imposition se fait indépendamment de toute cause spéciale devant la justifier, elle se fait spontanément. Cela distingue nettement l’impôt d’un groupe important d’obligations de payer, qui, dans la forme extérieure, peuvent avoir beaucoup d’affinités avec lui : je veux parler des rétributions et des contributions spéciales.
L’une et l’autre, elles visent des paiements en argent que l’individu devra faire en considération des rapports spéciaux dans lesquels il est entré avec une entreprise publique et à titre d’équivalent.
La rétribution (Gebühr) est l’équivalent des avantages que l’individu retire personnellement de l’utilité que les services publics offrent au public ; c’est dans l’acte par lequel il en fait usage, que l’obligation de payer a sa cause et sa mesure. Nous en parlerons au t. IV, § 52 ci-dessous.
Les contributions spéciales (Beiträge) sont des paiements en argent que l’individu doit faire pour des entreprises ou établissements publics, parce qu’il est censé avoir un intérêt particulier à leur existence et à leur fonctionnement en général ; ce sont les avantages retirés non pas d’actes de jouissance isolés, mais d’une situation qui lui est faite, et pour lesquels (191) il contribue pour sa part. Nous en parlerons au t. IV, § 48 ci-dessous3.
L’acte, par lequel l’obligation de payer l’impôt est créée, c’est l’imposition. Cet acte doit obéir aux conditions de l’Etat constitutionnel et régi par le droit.
L’imposition est une atteinte à la propriété ; comme telle, selon la Constitution, elle a besoin d’un fondement légal.
Les principes du régime du droit exigent qu’elle se conforme, autant que possible, à sa formule : règle de droit, acte administratif, exécution. Seulement, comme toujours, c’est dans la mesure du possible. Les considérations d’utilité pratique, au point de vue des finances, y apportent des limites.
Mais surtout, l’imposition, dans sa formation juridique, subit l’influence du droit budgétaire qui, d’après la Constitution, appartient à la représentation nationale; elle est aussi influencée par cette idée — appartenant également à la sphère du droit constitutionnel — que la loi d’impôt contient un consentement à l’impôt donné au gouvernement par la représentation nationale4.
Il en résulte des formes différentes d’imposition, et, par conséquent, des espèces différentes d’impôts.
I. — L’imposition a besoin d’un fondement légal. Ce fondement ne peut pas consister en une autorisation générale donnée par la loi pour des actes (192) individuels, que le gouvernement accomplirait ensuite discrétionnairement. L’imposition ne peut pas imiter, en cela, l’ordre de police. Il est de son essence de se faire d’après une règle constante, d’être déterminée par une règle de droit. Nous aurons donc, ordinairement, pour point de départ, une loi déterminant, dans la forme d’une règle générale, l’obligation de payer l’impôt, et cela d’une manière si stricte que sa réalisation n’est autre chose que l’application de cette règle au cas individuel, sans qu’il y ait lieu à une libre appréciation quelconque. Cette loi d’impôt a alors pour contenu trois choses. Elle détermine les faits extérieurs auxquels l’obligation s’attache, l’objet de l’imposition ; puis le montant de la somme qui sera due, le taux de l’impôt; enfin, la procédure dans laquelle l’obligation doit être réalisée, la forme du recouvrement.
La distinction de ces trois éléments est d’une importance immédiate.
Nous avons exigé, pour l’imposition, un fondement légal et une règle constante. Ces deux conditions pourraient être remplies à la fois par l’autorisation donnée au gouvernement de régler lui-même ce qui est nécessaire pour atteindre le but déterminé sous la forme d’une ordonnance, comme cela se pratique sur une si grande échelle dans la sphère du pouvoir de police.
En fait, des délégations de ce genre n’ont lieu que pour le troisième élément, pour les formes du recouvrement. Ces dernières peuvent être abandonnées au règlement suivant les prescriptions juridiques de l’ordonnance. Les deux autres éléments, en principe, n’admettent pas de délégation à l’ordonnance. La loi pourrait, à chaque moment, faire une délégation. Mais elle ne le fait pas ; elle garde, au contraire, (193) rigoureusement pour elle la détermination tant de l’objet que du taux de l’impôt5.
Cela ne s’explique ni par la réserve constitutionnelle de la loi, ni par les principes du régime du droit. C’est plutôt l’effet particulier de l’idée du droit qui appartient à la représentation nationale de consentir les impôts. Il n’est pas convenable, estime-t-on, que la représentation se dépouille de ce droit au profit du gouvernement et de ses ordonnances. C’est pour cela qu’on ne le fait pas6.
Ces idées du droit constitutionnel se font sentir encore plus dans le consentement périodique des impôts. Nous distinguons les impôts fixes et les impôts variables. Les premiers sont créés par la loi dans les formes ordinaires du régime du droit : les règles de la loi visent des circonstances permanentes et sont elles-mêmes données à titre permanent. L’impôt fixe est celui qui repose sur une imposition légale à effet (194) permanent. L’impôt variable, au contraire, sépare les éléments de l’imposition légale. Une partie seulement est donnée à titre permanent et forme la loi d’impôt proprement dite. Cette loi d’impôt contient tous les éléments d’une imposition légale, sauf un seul qui est omis volontairement : elle contient la désignation de l’objet de l’impôt, le taux de l’impôt, la forme du recouvrement, mais le taux de l’impôt est incomplètement exprimé ; c’est un simple nombre proportionnel attribué aux objets de l’impôt, un « simplum », un « capital » d’impôt. On ne dit pas qu’il est dû telle ou telle somme ; on dit seulement dans quelle proportion les objets seront frappés de l’impôt quand il sera imposé.
Une semblable loi d’impôt est inachevée ; elle ne peut pas avoir d’effet sous cette forme. Pour la faire fonctionner, il faut combler la lacune, fixer le montant qui doit être exigé de ces objets, dans ces formes de recouvrement et dans cette proportion.
Achever et compléter le contenu de lois incomplètes pour les rendre propres à être exécutées, accommoder leurs prescriptions aux besoins particuliers selon les temps et les lieux, c’est, d’ordinaire, la tâche du pouvoir exécutif : toute loi qui contient une pareille lacune confère tacitement à celui-ci la fonction et l’autorisation de la combler convenablement (Comp. t. I, § 6, II ; § 10 no 2 ci-dessus). Tel n’est pas ici le cas. L’achèvement de la loi d’impôt par l’insertion des sommes à percevoir est réservé à la loi ; l’idée du droit qu’a la représentation nationale de consentir les impôts fait de cette réserve une chose naturelle et qui s’entend de soi.
Dès lors, les lois d’impôt incomplètes sont rendues efficaces par les lois spéciales, qui se répètent à des périodes fixes. Les lois complémentaires évaluent le montant à fixer selon les besoins, lesquels varient (195) naturellement ; cela résulte chaque fois du budget proposé ; c’est ainsi que l’impôt qui dépend de lois de cette espèce devient variable.
II. — Si l’une des particularités juridiques de l’impôt est d’exclure, par principe, la participation de l’ordonnance à la création de l’obligation, nous rencontrons, en revanche, un autre élément qui se manifeste, par des formes caractéristiques. Cet élément, nous le trouvons dans l’organisation de l’impôt de répartition.
En science des finances, on distingue les impôts de quotité et les impôts de répartition. La différence est dans la manière d’exprimer, par le taux de l’impôt, la somme totale à percevoir, et d’en faire résulter la taxe individuelle. La loi peut commencer par faire calculer une certaine somme directement pour le cas individuel, ou bien par fixer une somme totale qui sera répartie sur les cas individuels. Dans la première hypothèse — qui est celle de l’impôt de quotité — on ne sait pas tout d’abord, ce qui reviendra à l’Etat comme produit final. Dans l’impôt de répartition, au contraire, on sait tout de suite ce qui en résultera pour l’Etat ; mais la cotisation de l’individu n’apparaîtra que lorsque l’on aura procédé à la répartition entre les unités débitrices de l’impôt, lesquelles sont inconnues tout d’abord en nombre et en importance.
Juridiquement, cette différence n’a aucune valeur. Impôts de quotité et de répartition ne frappent l’individu que moyennant l’application à son cas particulier d’une règle de droit déterminant complètement l’imposition ; cette application dans l’un et dans l’autre cas repose sur un calcul à faire. Que ce calcul, dans l’impôt de répartition, se fasse par un chemin plus long que dans l’impôt de quotité, cela ne peut pas établir entre ces deux espèces d’impôt une opposition juridique.
(196) Mais la répartition peut aussi se faire à plusieurs degrés, avec des contingents distincts. La somme totale est d’abord répartie entre certains districts ou groupes de contribuables ; les sommes partielles ainsi obtenues — les contingents — seront peut-être encore une fois réparties entre des subdivisions ; enfin, on arrivera aux individus.
L’importance juridique de cette attribution de contingents est très différente.
1) Il est possible qu’il ne s’agisse que d’une mesure réglant le fonctionnement intérieur des autorités chargées de l’exécution de l’impôt. On obtient les contingents par l’addition des unités imposables que le district renferme, avec leurs cotes calculées à l’avance conformément à la somme totale à répartir. Pour les contribuables, cela n’a aucune signification juridique ; leur dette résulte, comme auparavant, directement de la loi elle-même ; c’est d’après la loi qu’elle doit être rectifiée en cas d’erreur.
2) Mais les contingents peuvent aussi avoir pour but de fixer définitivement les parts revenant à chaque district dans la somme totale. L’attribution est faite par la loi ou par un acte du prince ou d’une autorité désignée dans ce but ; elle est publiée en forme. La fixation du contingent n’est pas autre chose que la simple exécution de l’imposition moyennant calcul. Cela résulte très clairement de ce fait, qu’on peut prévoir, même à l’encontre de lois ou ordonnances de ce genre, une procédure de rectification pour erreur. Mais une fois faite, le certificat donne, comme un jugement passé en force de chose jugée, une nouvelle base formelle pour les répartitions subséquentes ; l’exactitude des cotisations individuelles ne dépend plus que d’elle.
Cette procédure a sa place surtout lorsque la loi a attaché au contingent fixé des responsabilités quant (197) au recouvrement de l’impôt, lorsque le corps d’administration propre ou la totalité des autres contribuables du district sont tenus des sommes irrécouvrables7.
3) L’impôt reçoit une forme particulière quand la fixation du contingent est rendue non seulement définitive, mais encore juridiquement indépendante d’une simple addition des unités d’impôt renfermées dans le groupe et calculées selon le taux légal de l’impôt. Le contingent, une fois fixé, se répartit entre les membres du groupe selon le taux de l’impôt. Mais la fixation des contingents eux-mêmes se fait selon d’autres principes. Ces principes, il est vrai, ne font pas complètement abstraction de la somme des unités d’impôt qui doivent supporter le contingent ; mais peut-être les calculent-ils d’après une moyenne ; ou bien ils mettent, à la place de tout calcul, une libre appréciation de leurs facultés relatives en général.
De cette façon, entre les déterminations contenues dans la loi elle-même et leur exécution, un élément nouveau s’introduit, ayant son effet propre, pour déterminer la mesure des dettes d’impôts voulues. C’est ce qui caractérise l’impôt de répartition proprement dit8.
(198) La nature juridique de la fixation de contingent dans le second et dans le troisième cas est problématique. Qu’elle se fasse dans la forme d’une loi, cela ne nous dit rien de son caractère matériel. Se fait-elle (199) par le prince ou par une autorité administrative, on parle bien alors d’une ordonnance. Mais y a-t-il vraiment là une ordonnance au sens exact de ce mot ? (Comp. t. I, § 10, no 2 ci-dessus). Quand la répartition est faite par des représentants élus du district supérieur immédiat, l’acte ne porte même pas un de ces noms dont on pourrait se contenter provisoirement.
En tout cas, la nature juridique de l’opération est, chaque fois, la même. A la notion de la règle de droit ne correspond pas la simple fixation de la somme à supporter, d’après la loi d’impôt, par les contribuables du district pour une année donnée. Ce ne peut être qu’un acte administratif. Comme telle, la répartition aurait la particularité de donner une détermination juridiquement obligatoire pour une masse de contribuables qui ne sont pas désignés individuellement, mais qui doivent encore être déterminés selon les indications de la loi. Nous avons déjà rencontré des exemples de ces effets plus généraux de l’acte administratif9.
III. — Le régime du droit veut que toute activité du pouvoir exécutif soit déterminée par des règles de droit. L’imposition obéit à ce principe d’une manière assez large. Mais le régime du droit exige, en outre, que l’effet à produire sur le sujet soit encore, pour le cas individuel, déterminé juridiquement par une déclaration d’autorité de ce qui doit être, par jugement (200) ou par acte administratif. Cette déclaration ne sera mise à exécution que postérieurement. Cela ne doit avoir lieu, comme toujours, que dans la mesure du possible ; il y a des limites dans les raisons prédominantes d’utilité pratique. Pour une partie des impôts, cette fixation individuelle du devoir du sujet précédant la perception, telle que le régime du droit l’exige, a pu être facilement observée et d’une manière générale. D’autres impôts s’attachent, au moyen de règles simples, aux phénomènes passagers de la vie commune ; ici la perception suit immédiatement la naissance de la dette qu’il faut saisir dans le courant rapide des choses ; une constatation formelle par déclaration d’autorité, avec les recherches et les lenteurs inévitables qu’elle entraîne, irait contre l’intérêt propre du débiteur. Entre ces deux extrêmes, il y a une sphère douteuse dans laquelle se trouvent certains impôts qui, d’après leur objet, pourraient être rangés raisonnablement dans l’une ou dans l’autre de ces formes ; c’est l’opinion qui décide le choix, ou bien ce sera la tendance plus ou moins grande du législateur à observer les formes du régime du droit.
Tous les impôts se divisent donc en deux catégories, selon qu’ils suivent l’une ou l’autre forme de recouvrement : l’impôt décrété par la loi est perçu soit en vertu d’une déclaration obligatoire expresse déterminant le cas individuel, soit sans cette déclaration, en vertu de la loi directement.
Cela coïncide, jusqu’à un certain point, avec la classification principale qu’on a l’habitude de faire en impôts directs et impôts indirects. Cette classification, à l’origine, est partie exclusivement de considérations tirées de la science des finances.
Peu à peu, des raisons juridiques, des considérations tirées de l’organisation légale des formes du recouvrement s’y sont mêlées, et cela de plus en plus, dans le sens (201) de la distinction que nous venons d’établir. En fait, les principaux exemples d’impôts directs fournissent, en même temps, les exemples principaux de l’imposition effectuée au moyen d’un acte administratif ; inversement, d’ordinaire, il y a coïncidence entre les impôts indirects et les impôts perçus simplement en vertu de la loi. Il nous sera donc permis de conserver pour notre classification, au lieu d’en inventer de nouvelles, les expressions traditionnelles devenues courantes. Dans la sphère douteuse cependant où la science des finances — peut-être sous l’influence d’idées juridiques — est hésitante, nous analyserons cette concordance fortuite au moyen de la notion juridique10.
1) Le recouvrement des impôts directs est précédé d’une procédure dont le but est d’assurer l’application exacte de la règle d’imposition au cas individuel. Il y a là un travail d’information.
Le résultat de ce travail est la cotisation, la constatation de la dette d’impôt reconnue. Au point de vue de la science des finances, la cotisation est considérée comme le terme matériel des recherches et calculs effectués par les bureaux de contributions. Juridiquement, elle est l’acte d’autorité qui déclare la dette et qui est destiné à être notifié au débiteur11.
(202) Il peut se faire que l’autorité doive régler les cas individuels séparément à mesure qu’ils se présenteront. Cette déclaration de la cotisation est alors un acte administratif de la forme ordinaire ; il sera communiqué au débiteur de l’impôt par une notification verbale ou écrite ; il acquerra ainsi son effet juridique12. Mais, en règle, les choses ne se présentent pas avec cette simplicité.
En fait, au contraire, dans la plupart des impôts directs, ce travail préparatoire d’observations et de calcul revêt la forme d’une œuvre collective et permanente.
Cela découle de la nature des objets pour lesquels cette espèce d’impôt est choisie de préférence. Ce sont, en règle, des choses qui, conformément aux indications de la loi d’impôt, se rencontrent à la fois et simultanément chez une masse de sujets. En même temps, elles ont aussi une certaine qualité de durée ; elles offrent chaque fois, à l’effet de l’imposition se réitérant régulièrement avec les périodes fixées, les mêmes objets d’application.
Ainsi, on arrive à procéder, dès le début, à toutes les informations et constatations pour ainsi dire en gros. On aboutit à un état général comprenant toutes (203) les unités d’impôt du district entier : c’est le cadastre d’impôt13.
Pour la même raison, ce cadastre, une fois établi, peut, en même temps, servir d’une manière plus ou moins complète aux impositions futures. Il importe seulement de savoir dans quelle mesure l’objet de l’impôt, par sa nature, est susceptible de rester invariable et dans la possession du même contribuable. Selon les cas, on peut se dispenser de refaire le cadastre en entier, et se contenter d’ajouter quelques modifications, d’apporter des rectifications et compléments au cadastre. Ces conditions se trouvent remplies, de la manière la plus complète, dans la contribution foncière. Dans une mesure moindre, cela a lieu dans les contributions sur les maisons, sur les patentes, sur les rentes de capitaux, sur le revenu en général.
Tout cela, au premier abord, semble n’avoir d’importance qu’au point de vue de la technique financière. Mais ce n’est pas tout à fait exact. Le cadastre n’est pas seulement une collection d’observations et de calculs, ce n’est pas seulement un moyen d’assurer la perception convenable et conforme à la loi de l’impôt. Il fournit le contenu d’une constatation d’autorité des dettes d’impôt à recouvrer chaque fois, d’une collection de cotisations qui apparaît dans les listes d’impôts ou rôles de perception expédiés annuellement.
Le personnel technique qui, dans la procédure préparatoire d’informations, joue peut-être le rôle principal, se retire dès que ce travail est achevé.
La véritable conclusion du travail appartient toujours (204) à une autorité. Un fonctionnaire seul du service ordinaire de l’Etat, le plus souvent un conseil de fonctionnaires de carrière ou un conseil de fonctionnaires gratuits, seul ou sous la direction d’un fonctionnaire de carrière, prend une résolution.
Aux débiteurs de l’impôt on a, en règle, donné l’occasion d’être entendus dans la procédure. C’est pour eux que la décision intervient. L’objet de la résolution, ce sont les dettes individuelles d’impôt, telles qu’elles résultent du cadastre. Un rapport de droit public entre l’Etat et le sujet nominativement désigné est déterminé d’autorité. Les effets sont ceux de l’acte administratif14.
Les cotisations ainsi réunies reçoivent des circonstances dans lesquelles elles sont établies, quelques particularités. La loi peut prescrire que la communication aux débiteurs se fasse valablement par voie de publication dans les journaux ou de dépôt dans un bureau public où l’on pourra en prendre connaissance. Une partie de la cotisation, une fois fixée, peut être déclarée définitive, de sorte qu’elle sera obligatoire pour les cotisations ultérieures jusqu’à ce que des nova justifient un nouvel examen ; ceci s’appliquera surtout à certaines estimations. Cette fixation conserve alors son effet même au cas de changement survenu dans la personne du redevable ; cela (205) augmente la stabilité naturelle du cadastre15. Pour la technique de l’administration financière, cela n’est plus considéré alors comme une cotisation nouvelle ; il n’y a qu’une cotisation qui dure et qui est, chaque fois, mise à nouveau en vigueur. Au point de vue juridique, c’est, cependant, chaque fois, un nouvel acte administratif qui produit son effet, bien qu’il soit lié à ce qui doit rester permanent. Il n’y a rien ici qui soit contraire à sa nature.
Dès lors, que le cas individuel soit traité séparément ou que la totalité des cas soit réglée dans une grande procédure, « en gros », cette cotisation aboutit à un acte administratif. Des actes administratifs déterminant le cas individuel peuvent intervenir pour toute espèce d’impôts ; il y en a même exceptionnellement pour les impôts indirects. Pour l’impôt direct, l’acte administratif est essentiel par sa notion même ; c’est un élément nécessaire. En quoi consiste cette nécessité ? Quelle est son importance ?
Cette nécessité n’est pas dans la création de l’obligation de l’impôt. Cette obligation résulte, pour le sujet, de l’effet direct de la loi au moment précis où se rencontrent la règle d’imposition devenue parfaite d’une part, et l’objet auquel elle est destinée à s’attacher, d’autre part. Quand un individu ainsi tenu de l’obli-
gation légale a été oublié lors de la fixation de la cotisation commune, incontestablement on peut lui réclamer le paiement après coup.
(206) S’il est mort, on fera valoir la dette de l’impôt contre ses héritiers, alors même que les conditions de l’imposition n’existent plus à leur égard. Peu importe enfin que ces conditions existent ou non au moment de la cotisation, pourvu qu’elles aient existé au moment où l’imposition établie par la loi était destinée à produire son effet.
L’acte de cotisation et sa notification ne sont pas non plus une simple mise en demeure d’exécuter l’obligation créée par la loi. L’impôt n’est pas toujours échu au moment où cette notification est faite. En règle, l’impôt est payable à des termes échelonnés qui courent non à partir de cette communication, mais des époques fixées uniformément par la loi. La résolution est donc moins qu’une mise en demeure. Mais elle est aussi plus que cela ; avant la notification de la cotisation, l’impôt non seulement ne peut pas être exigé, mais encore il ne peut même pas être payé volontairement. C’est seulement par la notification que la dette devient exigible, susceptible d’être mise en recouvrement et acquittée. En outre, la dette ne devient exigible qu’autant qu’elle est déclarée par la cotisation ; peu importe que la loi l’ait déterminée autrement. Une mise en demeure n’a pas de valeur juridique propre ; la cotisation produit son effet propre : celui qui se trouvera lésé ne peut pas se contenter d’opposer à la cotisation le texte de la loi ; il faut qu’il obtienne une modification de la cotisation.
La cotisation doit se borner à prononcer ce que la loi a voulu ; mais elle le prononce d’une manière obligatoire ; désormais, c’est elle qui constitue le fondement direct de l’exécution. Or, cela est l’essence même de cette catégorie particulière d’actes (207) administratifs, que nous désignons sous le nom de décisions. La caractéristique des impôts directs est de n’être exécutoires qu’en vertu d’une décision de ce genre.
Tout ceci est simplement l’application au recouvrement de la dette d’impôt, du modèle de la justice et de la justice criminelle. En vertu de la loi pénale, lorsque chez une personne apparaissent certains faits déterminés, naît pour cette personne l’obligation de souffrir une certaine peine ; c’est la pénalité, l’obligation de souffrir la peine. Mais cela ne peut pas s’exécuter, même du consentement de l’intéressé, avant qu’un acte d’autorité ait déclaré que ce dernier doit être puni et comment. De même, pour l’impôt direct ; c’est là ce qui le distingue de l’impôt indirect16.
(208) C’est cet acte intermédiaire qui sert de point de départ pour tout ce qui suit ; c’est lui qui détermine la façon dont le rapport juridique tout entier est réalisé. Cela constitue déjà en soi une grande différence avec toute activité administrative qui n’est pas liée de cette manière. Nous verrons que cette différence entre les impôts directs et indirects produit effet à beaucoup de points de vue.
2) L’impôt indirect est suffisamment caractérisé par son opposition avec l’impôt direct. Il repose, comme tout impôt, sur la loi qui crée la dette. Mais ici la réalisation de cette dette par le recouvrement ne dépend pas d’un acte administratif qui déterminerait d’autorité la dette pour le cas individuel. Des actes d’autorité pour déterminer le montant de la dette peuvent bien intervenir dans l’impôt indirect, et cela de différentes manières : dans la procédure du recours ou par la voie de droit, la déclaration peut être obtenue après coup ; elle se joint à la poursuite pour fraude (Comp. § 30 ci-dessous) ; de même elle s’ajoute aux fixations de transactions, d’abonnements et de remises (Comp. § 29 ci-dessous). Mais ici cet acte n’apparaît jamais que pour un motif spécial et à titre accessoire ; il constitue un élément occasionnel, qui pourrait tout aussi bien faire défaut.
Dans le cours ordinaire des choses, la réalisation de la dette d’impôt, la perception du montant de l’impôt s’ajoute directement et en vertu d’un simple calcul à l’imposition contenue dans la loi. Les seuls actes d’importance juridique auxquels, en règle, l’administration devra procéder sont des mises en demeure d’une part, des quittances de l’autre.
En revanche, l’impôt indirect est pourvu, dans une mesure beaucoup plus grande, de moyens extérieurs d’assurer la rentrée des sommes dues : c’est pour l’impôt indirect que les ordres de finance et les (209) peines de finance trouvent leur application principale ; une surveillance sévère s’exerce, avec l’autorisation de faire usage de la force toutes les fois qu’il y aura un fait mettant en danger les revenus dus à l’Etat. A cela correspond la qualité toute différente des fonctionnaires appelés au recouvrement des deux sortes d’impôts. Au lieu des conseils lents, qui décident sur l’obligation de payer l’impôt direct, aidés surtout d’employés et de calculateurs, nous rencontrons, pour les impôts indirects, un nombreux personnel extérieur de surveillance, organisé en partie presque militairement et dirigé avec une forte centralisation par un chef unique17.
L’opposition ne se présente pas d’une manière aussi nette pour tous les impôts indirects. Il y a des transitions et des différences graduelles. S’il est de la nature de l’impôt direct que la déclaration formelle de la dette des personnes individuellement désignées constitue le centre des opérations ; s’il est naturel qu’il devienne, comme on l’a dit, un impôt nominatif, l’impôt indirect, en revanche, montrera davantage ses particularités à mesure que la personne déterminée du débiteur s’effacera.
Il y a des impôts indirects visant un débiteur déterminé tout aussi bien que les impôts directs. Nous en trouvons des exemples dans les impôts d’empire sur le sucre et sur le tabac. Dans ces hypothèses, la loi aurait pu, sans changer beaucoup la procédure, arranger les choses de manière à ce que l’administration, au lieu d’envoyer au débiteur une simple note, dût chaque fois constater exactement la dette par un acte d’autorité obligatoire devant être notifié au débiteur. Tout ce qui est vrai, comme nous (210) le voyons, c’est qu’elle n’a pas voulu le faire ; le recouvrement sans formes lui a semblé mieux répondre à l’objet ; voilà pourquoi l’impôt n’a pas reçu l’élément caractéristique de l’impôt direct. Mais il y a d’autres impôts pour lesquels, d’après la manière même dont ils se présentent, on ne peut pas imaginer la possibilité d’un acte administratif de ce genre ; ils laissent complètement de côté la personne du débiteur ; nous avons alors le type le plus pur d’impôt indirect.
Il faut ranger dans cette catégorie, en première ligne, les impôts sur la circulation des marchandises. Ils ont pour objet, comme condition de la dette légale, le passage par une marchandise d’une ligne tracée à un certain endroit : la frontière de l’Etat ou les limites d’une commune, la porte d’un entrepôt. De l’autre côté de cette ligne est le transport exempt d’impôt, la circulation libre. Celui-là devient débiteur de l’impôt qui fait faire à la marchandise ce passage, qui la fait entrer dans la circulation libre. Les droits de douane, l’impôt d’empire sur le sel, les taxes communales (octrois) en fournissent des exemples. Le recouvrement se faisant sans résolution préalable, par simple calcul et perception effective de la somme due, nous avons devant nous la forme ordinaire de l’impôt indirect. Mais l’impôt indirect tire son caractère particulier des mesures qui assureront ce recouvrement. La limite décisive est surveillée par des employés de l’impôt, tenus et autorisés à arrêter la marchandise en cet endroit et à la retenir jusqu’à ce que l’impôt ait été payé. Cet usage de la force est la garantie la plus importante de la rentrée de l’impôt. L’administration de l’impôt s’adresse à la marchandise ; la dette personnelle, que la rétention devait cependant se borner à garantir, ne semble presque plus être considérée pour terminer l’affaire. C’est seulement dans le cas où il y a une irrégularité que l’on (211) voit que cet impôt sur la circulation des marchandises avec droit de rétention a un débiteur déterminé.
On constate alors quelle est la personne chez laquelle l’obligation de payer est née ; ce n’est qu’à cette personne qu’on peut s’adresser. Tel est le cas, par exemple, lorsque des marchandises sont entrées en fraude, ou lorsque la perception ayant été insuffisante, il y a lieu de faire payer la différence.
Alors, l’apparence d’une charge grevant la marchandise et d’un paiement fait pour la délivrer disparaît ; celui qui a fait faire à la marchandise le mouvement décisif est le débiteur18.
Ce qui est encore plus caractéristique, c’est le droit de timbre. Ici, la notion se détermine par la forme de la perception et non par l’objet frappé par l’impôt.
(212) Nous appelons impôt de timbre tout impôt perçu moyennant l’emploi de timbres (papier timbré, marques de timbres), et moyennant l’emploi fait par le débiteur de l’impôt lui-même.
L’administration peut se servir elle-même d’un timbre pour la perception : alors le timbre constitue soit une quittance, soit une mesure de contrôle. Tel est le cas du timbre sur les cartes à jouer, et du timbre sur les actions et titres au porteur d’après les lois d’Empire19. L’impôt lui-même ne tire pas de là un caractère particulier ; dans ces hypothèses, la perception se fait simplement par un paiement direct du débiteur à l’administration de l’impôt.
Quand, au contraire, il y a impôt de timbre au sens strict que nous venons d’indiquer ; la perception s’effectue d’une manière qui diffère de beaucoup de la forme ordinaire. Nous en trouvons les exemples les plus démonstratifs dans l’impôt de timbre sur les lettres de change et dans l’impôt de bourse selon la législation d’Empire, ainsi que dans les prescriptions des législations particulières sur l’emploi du papier timbré pour la rédaction d’actes juridiques.
Les choses se passent alors comme suit. L’Etat fabrique du papier timbré et le met en vente. Il fait défense à tout le monde de fabriquer les mêmes timbres, de telle sorte qu’on ne puisse se les procurer qu’en s’adressant à lui. Puis l’Etat ordonne à tous ceux qui veulent passer certains actes juridiques de se servir de ce timbre. Les sujets sont alors dans la nécessité d’acheter à l’Etat les timbres qui, en eux-mêmes, n’ont aucune valeur ; et c’est ainsi que l’Etat obtient un revenu.
Où est ici la perception de l’impôt ? Quand on n’envisage les choses que superficiellement, on ne voit (213) que l’acte d’achat rendu nécessaire par le double ordre de finance, mais restant, quand même, par lui-même, un achat du droit civil. L’impôt du timbre équivaudrait alors à un monopole. Il rappellerait spécialement la forme qu’avait prise le monopole du sel sous Frédéric le Grand lorsque l’on avait imposé, en même temps, aux chefs de ménage l’obligation de consommer une certaine quantité de sel. Mais alors, le soi-disant impôt de timbre serait aussi éloigné d’un impôt véritable que les autres revenus de monopole20.
Il est facile de voir que la chose est tout autre. L’ordre donné par la loi d’employer, pour un certain acte, un timbre d’une certaine valeur, renferme une imposition de payer la somme correspondante. Le débiteur de l’impôt, c’est la personne qui passe l’acte. L’emploi du timbre est l’acquittement de l’impôt. Le timbre sert de monnaie légale à cet effet21.
Toutefois, il faut encore ajouter une observation. L’expression monnaie légale n’est pas exacte. Le timbre ne sert pas à effectuer un paiement proprement dit : il n’est pas donné par le débiteur au créancier ou à quelqu’un à sa place. Il est seulement mis hors d’état de servir une autre fois ; on lui enlève sa valeur en y mettant de l’écriture, en le barrant, en l’annulant de la façon prescrite. La loi de l’impôt de timbre déclare accepter cette destruction comme acquittement de la dette qu’elle fait naître ; pratiquement, cette destruction entraîne chaque fois la nécessité de nouveaux achats pour les cas futurs ; l’intérêt matériel du fisc y trouvera son compte.
Mais ainsi, le timbre devient une forme (214) d’acquitter la dette de l’impôt par le seul fait du débiteur, sans le concours du créancier ou de toute autre personne22.
Les impôts qui admettent ce mode d’acquittement présentent des faits assez curieux : la naissance de la dette, son accomplissement, la personne du débiteur, tout cela, dans le cours ordinaire des choses, n’arrive pas à la connaissance de l’administration.
En règle, les faits qui se sont produits laissent des traces grâce auxquelles il sera possible de constater les faits encore après coup. Les mesures de contrôle tendent à les porter, autant que possible, à la connaissance de l’administration, à lui en soumettre tout au moins, de temps à autre, un échantillon pour ainsi dire. Alors, la dette de l’impôt qui était née et qui n’a pas été acquittée, sera encore réalisée, sans préjudice des autres conséquences auxquelles s’est exposé le débiteur coupable.
Mais cette espèce d’impôt indirect, à raison de son organisation, est très propre à mettre en lumière toute l’opposition qu’il présente avec l’impôt direct.
- Neumann, Die Steuer u. d. öff. Interesse, p. 395, définit les impôts : « les paiements ordonnés en vertu du pouvoir financier pour obtenir des revenus publics ». Il manque ici l’élément de la règle constante. La plupart des auteurs se contentent d’expliquer l’impôt simplement comme une sorte de « droits » (Abgaben), Schoenberg, Handb., II, p. 13 ; p. 111 ; v. Mayr dans Wörterb., I, p. 3 ; Seydel, Bayr, St. R., IV. p. 66 ; G. Meyer, V. R., II, p. 197. Mais qu’est-ce qu’une « Abgabe ? » Bayr. Obst. L. G., 8 janv. 1886, déclare, par exemple, que c’est le « nom collectif de tous les revenus de l’Etat appartenant au droit public ». Cela ne nous avance donc pas à grand-chose. [↩]
- La prétendue contribution de guerre (Bluntschli, Mod. Völker. R., n. 656) n’est pas une contribution, c’est-à-dire un impôt. Sur la règle constante comme élément essentiel de la notion de l’impôt : Wagner, Finanzw., 3e éd., p. 499 ; de même O. V. G., 2 fév. 1884. [↩]
- Neumann, die Steuer u. d. öff. Interesse, p. 391 et 392, donne à peu près les définitions ci-dessus. Il est à remarquer que rétribution et contribution spéciale sont des notions de la science des finances, découlant essentiellement du rapport matériel. Il n’y a pas de formes juridiques déterminées, qui y correspondent. Ainsi, par exemple, les rétributions peuvent être dues en vertu de conventions de droit civil ou en vertu d’actes de droit public de différentes espèces : il y en a aussi qui revêtent les formes propres à l’impôt. Dans ce dernier cas, c’est seulement le caractère matériel de la rétribution d’être un équivalent, qui entraîne des différences essentielles. [↩]
- Comp. § 26 ci-dessus ; Gneist, Ges. u. Bud., p. 138 ss. ; Pfizer. R. der Steuerbewilligung ; Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 392. [↩]
- Du moins, c’est la règle. La loi toute puissante peut agir autrement. Un exemple dans la loi de l’Empire concernant le tarif douanier du 15 juillet 1879, § 6 : des droits de douane additionnels comme mesures de rétorsion sont établis par ordonnance impériale ; cette ordonnance — ceci est caractéristique — doit être, comme une ordonnance d’urgence, soumise aussitôt au Reichstag ; elle tombe de plein droit, si le Reichstag ne donne pas son assentiment. La même procédure a lieu pour fixer les droits sur les matières assimilées au tabac en vertu de la loi de l’impôt sur le tabac du 16 juillet 1879, § 27. [↩]
- Comme preuve de l’énergie avec laquelle cette particularité de l’impôt se fait sentir, nous citerons la brochure de Hecht, Die Geschäftssteuer auf Grund des Schlussnotenzwangs. Au Reichstag, on avait proposé que le Bundesrath fût autorisé à déterminer, pour certaines espèces d’opérations de bourse, les conditions dans lesquelles elles seraient imposables. « Cela signifie simplement, dit l’auteur, une délégation par le Reichstag au Bundesrath des droits lui appartenant constitutionnellement et des devoirs lui incombant constitutionnellement. Une délégation pareille est incompréhensible et inadmissible ». Et cependant, en matière de police, combien on fait de délégations en réalité ! Mais il est évident que, pour l’impôt, des idées spéciales exercent leur influence. Ce qui est aussi caractéristique, on parle ici d’une délégation faite par la représentation nationale ; en matière de police, cela serait considéré plutôt comme une délégation faite par la loi. [↩]
- Exemple : la répartition de la contribution foncière d’après les lois Pruss. du 21 mars 1861 et 8 février 1867. La répartition de la somme totale entre les provinces se faisait par ordonnance royale « d’après les résultats des constatations faites sur le revenu net des immeubles » (loi 1861, § 7) ; elle était soumise, à chaque degré, à une rectification, quand « des erreurs matérielles sont prouvées » (loi 1867, § 1 c.). Les rectifications à la suite de demandes en réduction n’ont d’effet que sur le contingent, cela veut dire que la fixation du contingent oblige solidairement tous ceux qui y sont compris. D’après la loi Württemb. sur la contribution foncière du 24 avril 1873, l’impôt établi d’après le revenu net constaté sera réparti entre les circonscriptions des districts, puis des communes. La répartition entraîne la responsabilité, pour les cotes irrécouvrables, des corps d’administration propre correspondant à ces circonscriptions (v. Sarwey, Württemb. St. R. II, p. 504). [↩]
- Wagner, Finanzw., II, p. 597, 598, relève cet avantage de l’impôt de répartition, qu’il permet de « tenir compte des situations locales ». Naturellement, cela n’est possible que si la formation des contingents se fait d’après d’autres règles que celles que la loi établit pour la dette individuelle. — Exemple : loi sur la patente Pruss. du 19 juillet 1861, en ce qui concerne les groupes du commerce, des auberges et débits de boissons, et les arts et métiers. Ces groupes forment des unités locales pour l’impôt. Tous les commerçants de la circonscription sont taxés d’après une moyenne ; l’addition donne le contingent ; ce contingent est alors réparti entre les individus par des députés de cette communauté selon l’importance effective de leur commerce. L’exemple le plus frappant est donné par la contribution foncière de l’Alsace-Lorraine, qui repose encore entièrement sur les principes du droit français. La répartition de la somme totale entre les districts se fait d’après une évaluation de leurs facultés respectives, leurs forces contributives, et non en additionnant les dettes individuelles. Les opérations cadastrales ont été faites dans chaque département isolément et non pas d’après des principes identiques pour le pays entier, dans l’intention d’empêcher que le cadastre ne devienne, contre la volonté de la loi, la base de la répartition à faire entre les départements. Dufour, Droit adm., III, n. 698 ; comp. aussi sur les inégalités qui en résultent : Boucard et Jèze, Science des fin., 2e édit., II, p. 653, note 1. — L’indépendance juridique de la fixation du contingent par rapport à la règle qui détermine la dette individuelle, voilà ce qui fait la nature du véritable impôt de répartition et la différence entre la contribution foncière de l’Alsace Lorraine et celle de la Prusse. v. Philippowich dans Wörterb., II, p. 615, néglige cette différence ; il traite sur un même pied ces deux contributions d’impôts de répartition. Wagner, au contraire, qui a bien saisi la véritable nature de l’impôt de répartition, cherche, par un moyen assez singulier, à revendiquer ce caractère pour la contribution foncière Pruss. et à assimiler cette dernière à celle de l’Alsace-Lorraine. Il faut remarquer, loc. cit., II, p. 598, note 10, que les opérations cadastrales en Prusse s’étaient faites originairement « d’une manière plutôt sommaire que véritablement exacte ». Dès lors, les contingents reposaient sur un établissement inexact du cadastre, les dettes individuelles sur un établissement exact ; par conséquent, il y aurait vraiment, pour ces deux choses, une différence de base. Mais telle n’a pas été la volonté de la loi ; si nous réservons ce nom au véritable impôt de répartition, il faudrait dire, d’après cela, que la contribution foncière de la Prusse devant être, d’après les intentions de la loi, un impôt de quotité, aurait dégénéré, par suite d’un accident dans la réalisation, en impôt de répartition. Mais cette manière de voir, très juste au point de vue de la science des finances, n’est pas permise au juriste. v. Lesigang dans Wörterb. der Staatsw., IV, p. 212, pour distinguer la contribution foncière prussienne d’un impôt de répartition pur, l’appelle assez justement un « impôt da quotité à contingents ». [↩]
- En France, beaucoup d’auteurs considèrent la fixation des contingents par les représentants des degrés inférieurs comme une émanation du pouvoir législatif. Dufour, Droit adm., III, n. 700 : « Ces assemblées accomplissent cette mission comme délégués du pouvoir législatif auquel est réservée la fixation de l’impôt ». Mais il est évident qu’on se trouve, encore ici, sous l’influence des idées propres à l’impôt et à la façon dont il est consenti. Le pouvoir législatif signifie la représentation nationale qui consent les impôts. Il ne s’agit pas de règle de droit. L’acte a la même nature que la loi qui, pour les impôts variables, fixe annuellement le montant à recouvrer de cette manière. Il n’y a pas là non plus une règle de droit. [↩]
- Ce sera à la science des finances à tracer la ligne de séparation. Neumann, Die Steuer, p. 449 ss., discute cette question de terminologie très explicitement et sous des points de vue acceptables. Quand la loi parle d’impôts directs et indirects, il y a lieu d’interpréter ce qu’elle veut dire ; cela peut donner des résultats s’écartant aussi bien de la notion formulée par la science des finances, que de celle que doit établir la science du droit. Comp. Bornhak, Preuss. St. R., III, p. 515 ; Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 67. [↩]
- Quand v. Meyer, dans Wörterbuch, II, p. 550, reconnaît, comme une particularité des contributions directes, que, chez elles, « la cotisation s’effectue, séparée, en principe, de la perception au point de vue du temps et de la matière », il ne faut pas voir là l’affirmation pure et simple de ces idées juridiques. Cette cotisation séparée n’est, en effet, pour la science des finances, que la conséquence logique de la nature spéciale de l’objet de l’impôt ; c’est essentiellement une mesure technique, abstraction faite de son importance au point de vue du droit. [↩]
- Un exemple dans le droit sur les successions d’après la loi Bav. du 18 août 1879. L’impôt est fixé par l’autorité fiscale (Rentamt), sur la base des déclarations faites et des informations prises ; les débiteurs, sur le cas desquels il est statué, peuvent attaquer la décision par la voie de la justice administrative. Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 93, range donc avec raison ce droit parmi les impôts directs. La procédure serait la même pour tous les impôts directs s’attachant à des objets isolés et passagers. On comprend qu’on préfère, pour des cas pareils, choisir la forme plus souple de l’impôt indirect. On peut exprimer cela en disant : que des impôts de ce genre sont, par leur objet, particulièrement propres à revêtir la forme des impôts indirects. Mais tout autre chose est de dire qu’ils sont des impôts indirects à raison de leur objet. C’est ce que prétend Neumann, Die Steuer, p. 446 ; nous reconnaissons que, pour la science des finances, cela peut être vrai. Mais, pour la doctrine du droit, cela n’est d’aucun intérêt. [↩]
- C’est pourquoi l’on appelle quelquefois les impôts directs des « impôts de cadastre » ; Neumann, Die Steuer, p. 427. Il ne faut pas entendre par là qu’un cadastre soit de leur essence. Ce n’est qu’un élément ordinaire. [↩]
- La doctrine du droit français est très nette sur ce point. Elle en tire toutes les conséquences, surtout pour fixer les limites de la compétence des tribunaux civils. Les tribunaux judiciaires, en droit français, ne pouvant pas connaître des actes administratifs, il en résulterait que les réclamations contre le rôle de l’impôt établi par l’administration et dûment notifié, ne peuvent être jugés que par la justice administrative. J’ai relevé cette conséquence dans ma Theorie d. Franz. V. R., p. 392. Meisel dans Finanzarchiv, V, I, p. 26, trouve que cela n’est « pas suffisamment clair » ; car, dans les impôts indirects, dit-il, il y a cependant « aussi une activité des autorités financières comme affaire administrative ». Mais l’acte administratif n’est pas une activité quelconque d’autorités administratives. [↩]
- Une cotisation tout à fait permanente est la contribution foncière en Prusse. La contribution doit être perçue pour toujours, d’après le revenu net constaté lors du premier état qu’on en a donné, sans tenir compte des augmentations ou diminutions qui se sont produites depuis lors. D’un autre côté, d’après l’intention primitive, le taux légal de l’impôt doit aussi rester le même pour toujours. C’est ce qui fait la véritable importance du caractère d’impôt de répartition qu’a la contribution foncière en Prusse. D’après G. Meyer, V. R., II, p. 222, cet impôt aurait, à raison de ce fait, pris « le caractère d’une rente foncière ou charge réelle ». Mais cette proposition ne peut être acceptée qu’à titre de figure et de métaphore. Cette immobilité de la contribution foncière prussienne a, du reste, subi des changements sérieux à la suite de la législation récente (loi 14 juillet 1893 concernant l’abrogation des contributions directes de l’Etat). [↩]
- Bornhak, Preuss. St. R., III, p. 516, observe très bien que « la subsomption du cas concret sous la règle générale de la loi d’impôt », qui se produit dans la cotisation, représente, « d’après son caractère, une activité d’autorité semblable à la juridiction ». Toutefois, il faut faire une réserve : la juridiction (décision) n’est pas la subsomption ; la subsomption est une activité de l’intellect. Tout le monde est libre de la produire ; elle n’a pas d’importance juridique. La juridiction, au contraire, c’est la déclaration d’autorité que, conformément à la subsomption effectuée par l’autorité, telle ou telle chose est de droit. Cette observation faite, il est clair qu’un acte de ce genre, n’appartient pas, comme le pense Bornhak, à toute espèce d’impôts indistinctement ; à coup sûr, pour la subsomption, il y en a toujours, sinon de la part de l’autorité, du moins de la part d’un employé subalterne, ou bien de la part du débiteur lui-même (l’impôt de timbre dont nous parlerons plus loin nous en fournira un exemple) ; mais un acte de juridiction précédant la perception est quelque chose d’autre dont nous ne pouvons pas laisser méconnaître le caractère particulier. Ce n’est pas de la juridiction, lorsque le douanier perçoit, dans la salle de visite, du voyageur inconnu les quelques pfennings qu’il doit pour les cigares qu’il a sur lui, ou lorsque le surveillant lève, à la barrière, l’octroi municipal sur le lièvre introduit ; et je ne parle pas de la juridiction du débiteur lui-même lors de l’acquittement de l’impôt de timbre sur les lettres de change. Où cela nous mènerait-il ? G. Meyer, V. R. II, p. 202 et 203, distingue la fixation de la dette d’impôt et la notification au débiteur. Cette notification doit avoir le caractère d’un ordre administratif, c’est-à-dire d’un « acte administratif d’autorité » (V. R., I, p. 32). Là serait donc notre acte administratif, quoique un peu déplacé. Mais, d’après G. Meyer, V. R., II, p. 197 et 198, un acte de ce genre rentre dans les « principes généraux », communs à tous les genres d’impôts, aux droits de douane, impôts de timbre sur les lettres de change, impôts de bourse, etc. On aura autant de difficultés à retrouver cet acte administratif dans les impôts indirects que la « juridiction » de Bornhak. [↩]
- Sur cette différence dans l’organisation des autorités pour les deux espèces d’impôts, comp. les observations de Neumann, Die Steuer, p. 461. [↩]
- Laband, St. R., 4e édit. all., IV, p. 433 ss. ; édit. Franç., VI, p. 179 et s., a essayé, d’une manière assez originale, de faire cadrer la nature juridique des droits de douane avec l’aspect extérieur que présente leur recouvrement. La loi, d’après lui, n’impose pas d’obligation de payer les droits de douane ; elle ne frappe que les marchandises ; celles-ci ne doivent pas entrer dans la circulation, à moins que la somme fixée n’ait été payée ; c’est seulement pour remplir cette condition et pour délivrer la marchandise des liens qui l’enchaînent, qu’on assume l’obligation de ce droit. Bulling, dans Arch. f. Stf. R., XL, p. 120, semble vouloir s’associer à cette opinion. Behr qui, d’abord, dans Gerichtssaal, LIV, p. 224, note 2, s’était prononcé en sens contraire, propose maintenant, dans Arch. f. öff. R., XIV, p. 180 ss., un système transactionnel : il y aurait à la fois « une dette réelle de la marchandise » et « une responsabilité personnelle du débiteur du droit ». Laband dans la dernière édition allemande de son ouvrage, IV, p. 434 note 3 (édit. fr., VI, p. 180, note 3), se déclare prêt à admettre cette solution, pourvu que la dette réelle soit reconnue comme la dette primaire, celle qui sert de base à la dette personnelle. Mais il n’y a pas ici moyen de transiger. Le droit de douane est un impôt ; or l’impôt est une dette personnelle ; pour assurer le paiement, l’administration peut faire valoir des droits sur la marchandise frappée par l’impôt ; mais ce ne sont jamais que des droits accessoires qui ont la nature générale du droit de gage. Ces droits sont très rigoureux, comme il convient à la législation fiscale ; à y regarder de près, ils expliquent tout ce qu’il y a ici de particulier, sans qu’on ait besoin de bouleverser l’idée même de l’impôt. Comp. Havenstein, Zollgesetzgebung d. Reichs, sous le § 13, note 2 ; v. Heckel, dans Handb. d. Staatsw., VII, p. 997. [↩]
- Jacob dans Wörterb., II, p. 544, art. 1. Stempelgebühren, § 4. [↩]
- D’après v. Stein, Lehrb. d. Finanzw., 4e éd., I, p. 531, « l’achat du timbre est la perception de l’impôt et le paiement ». Quand la perception de l’impôt et l’achat seront d’accord, tout sera bien simplifié. [↩]
- Jacob dans Wörterb., II, p. 544. [↩]
- L’idée que l’on trouve dans l’impôt de timbre a ses analogies dans le droit civil. Lorsque, à l’entrée d’un théâtre, on présente le coupon de l’abonnement pour laisser détruire ce chiffon sans valeur, ce fait repose sur les mêmes combinaisons juridiques. Dans le droit public, le timbre trouve aussi son application, presque dans la même forme, en dehors des impôts, par exemple dans l’assurance contre l’invalidité et la vieillesse. L’impôt de timbre s’applique principalement dans les cas où l’impôt s’attache à des écrits ou à des imprimés. En Allemagne, nous ne le trouvons pas ailleurs. Mais ce serait une erreur de croire que la nature de cette forme du recouvrement, exige que l’objet de l’impôt soit un document ou un imprimé (G. Meyer, V. R., II, p. 187 ; Schaal dans Schoenberg Handb., II, p. 89). Nous citerons comme exemple l’impôt russe sur le tabac selon le « système des banderoles » : l’Etat vend des bandes de papier timbrées, dont la marchandise doit être enveloppée quand elle est mise en vente ; l’acheteur acquitte l’impôt en déchirant la bande. [↩]
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