Section II
Le pouvoir financier (Die Finanzgewalt)
§ 28. Facilités accordées aux débiteurs de l’impôt
(215) L’impôt étant une obligation stricte de payer, qui doit être exécutée telle qu’elle a été ordonnée, ne satisfait pas toujours aux exigences d’ordre économique que l’Etat doit prendre en considération. Il faut que le pouvoir financier ait la faculté de procéder avec des ménagements, de façon à tenir compte des circonstances particulières, sans pour cela s’armer immédiatement de toute la lourdeur de la dette. On a donc admis certaines atténuations à la force juridique de l’impôt. Ce sont des facilités qui peuvent être accordées aux redevables. La forme la plus simple consiste dans un délai de paiement, un crédit de l’impôt ; les impôts indirects sur la circulation des marchandises, étant plus raffinés, ont encore développé les formes plus compliquées de la dette d’impôt en suspens et de la dette d’impôt conditionnelle.
De pareils tempéraments apportés à la dette d’impôt peuvent résulter d’une règle de droit, qui les attache directement à certaines circonstances ; ils peuvent aussi être accordés par un acte administratif pris en vertu d’une autorisation légale1.
(216) Le cas le plus intéressant et qui présente le plus de particularités est celui dans lequel la loi attache l’atténuation à certaines mesures administratives, dont les individus pourront profiter. Ces mesures de constatation, de surveillance, de conservation n’ont pas le caractère d’actes d’autorité ; ce sont de simples actes de gestion qui rendent la loi applicable et ouvrent, en même temps, la possibilité d’exercer un certain contrôle sur les individus qui en profitent. En règle générale, l’administration n’est pas ici dirigée par des règles de droit ; ce sont, pour la plupart, des prescriptions administratives, des instructions et « régulatifs » qui déterminent sa manière de procéder. C’est intentionnellement que le législateur a laissé tout cela variable et facile à modifier. L’impression qui résulte de l’ensemble de cette situation diffère beaucoup de ce qu’ailleurs le régime du droit semble exiger. La position juridique des individus est précaire ; ce qui leur est concédé apparaît comme une tolérance2. Nous avons à (217) exposer ici quelle est l’importance juridique des différentes modérations admises quand elles sont accordées, et aussi longtemps qu’elles sont accordées.
I. La dette d’impôt en suspens. — Cette forme est toute particulière aux impôts de circulation. Elle a été créée originairement pour les droits de douane. L’idée fondamentale est fournie par la situation juridique qui se produit à la frontière.
La marchandise, dont le passage à travers la ligne de douane pour entrer dans la libre circulation amènera légalement la dette d’impôt, se trouve devant les employés. La dette n’est pas encore née. La marchandise peut s’avancer pour la faire naître ; mais elle peut aussi, sur la demande de l’intéressé, retourner dans le pays en dehors de la ligne de douane sans avoir créé une obligation3.
Cette indécision peut être conservée même dans le cas où l’on dispose de la marchandise de manière à ce qu’elle passe dans l’intérieur et y reste. La condition est que certaines mesures soient prises pour l’empêcher d’entrer dans la libre circulation : surveillance spéciale, plombage, etc. La marchandise voyage accompagnée d’un certificat nommé « Begleitschein I » soit dans le but de passer la frontière opposée, soit dans le but d’entrer dans un entrepôt4.
(218) La dette d’impôt reste alors provisoirement en suspens. Cela veut dire qu’en attendant elle n’existe pas ; son existence est retardée, on ne peut même pas dire qu’elle existera un jour : par exemple, si la marchandise retourne à l’étranger ou périt, la dette n’existera jamais5.
Cette dette d’impôt en suspens signifie cependant plus qu’une simple indécision. Attendre à la frontière, se trouver sur un territoire exclu de la ligne de douane ou dans un entrepôt libre, ce n’est pas, pour une marchandise, la même chose que de voyager accompagnée d’un Begleitschein I, ou d’entrer dans un entrepôt de douane. Dans ce dernier cas, la dette devrait déjà légalement exister.
Il résulte de là qu’il naît d’abord un pouvoir de surveillance sur la chose pour assurer la possibilité de l’impôt (charge qui pèse sur cette chose et qui n’a pas encore été réglée, et que nous verrons aux §§ 30 et 32 ci-dessous), mais aussi une obligation personnelle immédiate de la personne qui a obtenu le Begleitschein et déposé la marchandise. C’est non pas une obligation de payer, mais une obligation de garantir. Il doit garantir que le droit de douane à acquitter sur cette marchandise d’après son état actuel sera, dans le temps, démontré comme non existant ou comme dûment acquitté6.
(219) Dans ce but, il y a, au commencement de la dette en suspens, une constatation de la nature et de la quantité de la marchandise pour laquelle la libération devra être démontrée.
La libération de la garantie s’effectue par la preuve que la dette effective est née après coup et a été acquittée par l’entrée de la marchandise dans la libre circulation et par sa soumission au bureau de perception.
Mais elle peut également se faire par la preuve de l’exportation, ou bien, dans une mesure plus ou moins restreinte, par la preuve de la perte de la marchandise7.
Pour faire cette preuve, un certain délai est accordé ; ce délai passé, on fait valoir la garantie en exigeant le montant des droits garantis qui ne sont pas démontrés éteints8.
La dette d’impôt en suspens avec la garantie qui l’accompagne se trouve aussi, en dehors des droits de douane et d’après le modèle qu’ils nous donnent, appliquée à d’autres impôts, surtout dans les lois (220) d’impôt de l’Empire. Ses formes fortement prononcées seront chaque fois faciles à reconnaître9.
La création d’une dette d’impôt en suspens repose toujours sur une prescription légale ; elle s’opère tantôt du consentement du débiteur, tantôt sans ce consentement.
Indépendamment de la volonté du débiteur, la dette d’impôt en suspens est octroyée à certains établissements industriels, pour assurer le recouvrement de l’impôt auquel leurs produits seront soumis.
On trouvera des exemples au § 30, note 12 ci-dessous. Cela n’a pas l’air d’une facilité, il est vrai ; mais on l’appelle ainsi parce que, sans cela, la loi pourrait avancer le terme de l’origine de la dette d’impôt elle-même, en frappant, par exemple, la naissance des produits au lieu de leur expédition.
La dette d’impôt en suspens existe sur la demande du débiteur, elle lui est accordée, quand elle doit remplacer la dette définitive qui, d’après la loi, existerait tout de suite. C’est alors qu’elle présente un véritable soulagement pour le débiteur. Mais les mesures administratives auxquelles la loi attache cet effet dépendent plus ou moins de la bonne volonté de l’administration.
La loi peut établir un droit à l’obtention de cette atténuation, en l’attachant à une mesure administrative accessible à tout débiteur de l’impôt. Exemple : le certificat de transport contrôlé appelé Begleitschein I.
Elle peut aussi autoriser l’administration à créer, aux endroits les plus propices, des établissements dont il faut user pour bénéficier de cette nature de faveur. C’est le cas des entrepôts publics. Les entrepôts une (221) fois établis sont alors accessibles à tout le monde en remplissant les conditions fixées par les régulatifs qui les concernent. Les règles, d’après lesquelles les individus sont admis à profiter des services publics (Comp. § 52 ci-dessous), trouvent là leur application. Le refus de l’admission, à la différence du premier cas, n’est donc pas une violation d’un droit ; mais c’est à l’autorité dirigeante d’y mettre ordre. L’admission effectuée produit la modération par l’effet de la loi. Enfin, la loi peut laisser l’administration libre d’accorder, de refuser ou de retirer, comme elle le juge à propos, la jouissance d’un arrangement auquel la modération doit être attachée. C’est dans ce sens que les entrepôts privés sont réglés. La loi, après avoir autorisé leur création, renvoie pour tous les détails aux régulatifs, qui eux-mêmes n’ont pas le caractère de règles de droit. Le régulatif laisse alors la plus grande latitude aux autorités financières à qui incombe l’exécution10. Il n’y a pas ici d’ordre juridique. Si, malgré cela, peu d’injustices sont commises, cela tient au bon esprit de l’administration qui peut, comme nous le savons, remplacer, jusqu’à un certain point, l’ordre juridique.
II. Délai accordé pour le paiement de l’impôt. L’existence de la dette de l’impôt n’implique pas nécessairement son exigibilité immédiate. La loi fixe en partie à l’avance des termes généraux, auxquels la perception doit avoir lieu. Ainsi, la plupart des impôts directs sont échelonnés en termes sur toute l’année ; pour les impôts indirects, quand ils s’attachent à une industrie continue, il y a des délais analogues11.
(222) Nous entendons par délai accordé spécialement, la remise du terme l’échéance faite dans un cas individuel par les autorités fiscales. Comme elle doit entraver l’exécution de la loi ou de l’acte administratif légal, — exécution qui est liée, — elle a toujours besoin d’un fondement légal.
Pour les impôts directs, des autorisations de ce genre sont d’ordinaire accordées quand on se trouve en présence d’un débiteur en détresse12. Le délai est prononcé par acte administratif de l’autorité qui détermine le rapport juridique en accordant un nouveau délai d’échéance.
Le délai peut figurer avec le même sens dans les impôts indirects, du moins en principe. Mais ici il s’applique surtout aux impôts sur le mouvement de marchandises, en vue d’accorder une modération du fonds de roulement nécessaire. Ici la considération de la pénurie du débiteur n’est pas décisive; au contraire, son crédit avéré peut être directement la condition du délai à accorder13. Mais de ce but d’économie politique il est impossible de tirer une règle fixe pour l’application de la mesure dans le cas individuel. Dès lors, le délai à accorder reçoit ici encore une certaine régularité en s’attachant à des arrangements administratifs dont il faut profiter pour l’obtenir.
Ces arrangements peuvent être réglés directement par la loi elle-même, qui fixe les conditions de l’admission ; il y a alors droit individuel au délai qui en résulte. De ce genre est le certificat nommé Begleitschein II d’après notre loi douanière. Le conducteur (223) de la marchandise peut demander au bureau de la frontière, que la perception du droit se fasse par un autre bureau, situé plus loin dans l’intérieur. Le montant du droit est alors immédiatement constaté ; la dette existe immédiatement à la charge du demandeur. On peut exiger des garanties. La marchandise est surveillée comme dans le cas du Begleitschein I, mais seulement pour assurer le gage du droit. Le paiement se fait au lieu de destination seulement ; il y a délai jusqu’à ce moment, en vertu de la loi14.
D’autres moyens pour obtenir le délai peuvent être accordés au débiteur, et peuvent aussi être retirés.
Ainsi l’établissement d’entrepôts privés de crédit15. Le dépôt, qui s’y fait, n’entraîne pas de dette d’impôt en suspens. La dette, au contraire, existe immédiatement au moment où l’on en a fait l’inscription sur le registre du dépôt, quand la marchandise est arrivée avec acquit à caution no I, donc avec suspension des droits. La mise en dépôt n’opère pas la suspension d’une dette née auparavant. Il n’y a qu’un sursis accordé pour l’acquittement, à la condition que la marchandise reste dans l’entrepôt. Ce rapport trouve son expression dans un compte courant qui est ouvert par la douane au débiteur : il y est débité du montant des droits pour les marchandises entrant, crédité des sorties faites avec acquittement des droits. La mise en entrepôt et la surveillance n’ont pour but que d’assurer le gage du fisc et de contrôler l’exactitude (224) du compte par des vérifications régulières. Tout déficit constaté, quelle qu’en soit la cause, donne lieu au paiement immédiat des droits y afférents : la condition du délai accordé, à savoir la présence de la marchandise, a cessé d’exister16.
Une forme spéciale voisine est représentée par le soi-disant crédit de douane permanent, qui peut être accordé à des marchands de vin en gros17. Le délai est donné pour les droits correspondant à une certaine quantité de marchandises (pas au-dessous de 35.000 kg.). Ce qui entre dans les magasins du bénéficiaire de cette faveur, jusqu’à ce que cette quantité soit atteinte, est porté sur le crédit permanent ; ce qui l’excède seulement paie les droits, que la marchandise entre ou non dans les magasins. Mais le magasin doit toujours, pour la sûreté du gage, contenir des marchandises ayant une valeur égale à celle du crédit. Ces marchandises peuvent, par des entrées et des sorties, être changées à volonté et varier de valeur au-dessus de cette ligne. Sur tout le mouvement, un (225) compte officiel est établi et tenu au courant de tout ce qui se passe au moyen de révisions. S’il apparaît que le magasin n’offre plus l’état correspondant au crédit, le montant du crédit est diminué en conséquence La différence est exigible tout de suite. De même, le bénéfice de l’arrangement peut à tout moment être retiré selon la libre appréciation de l’administration ; alors l’impôt crédité est exigible en entier18.
Nous rencontrons d’autres cas d’application de cette forme de délai dans l’ouverture de comptes courants pour des marchands en gros, s’occupant du trafic à l’étranger de marchandises étrangères (loi de douane § 110) ; elle se joint aux faveurs accordées au commerce des marchés et foires (§ 112), aux marchandises de retour (§ 114), ainsi qu’à celles de l’admission temporaire (§ 115). Mais dans ce cas, l’institution, dont nous allons parler tout à l’heure (no III ci-dessous), entre tellement en première ligne que le délai accordé passe presque inaperçu.
Même en dehors de ces arrangements généraux impliquant des délais de paiement, des délais de paiement peuvent être accordés, en vertu d’autorisations légales, dans les cas individuels, sans qu’il y ait (226) détresse du débiteur, par le seul motif d’économie politique de ménager le fonds de roulement. Dans cet ordre d’idées, on accorde surtout des délais aux débiteurs de l’impôt sur les tabacs et l’alcool, individuellement et pour chaque article d’impôt à part. Cet intérêt d’économie politique peut naturellement valoir partout. A défaut d’une règle fixe, ce qui décide ici sur le délai à accorder ou à refuser, c’est la libre appréciation, la bonne volonté des autorités, dirigée plus ou moins par des instructions.
Il y a encore, au point de vue juridique, une différence à relever entre ces deux formes de délai : dans ce dernier cas, à l’opposé de ce qui a lieu, quand on profite du délai attaché à certains arrangements généraux, le délai accordé individuellement représente un acte administratif qui fixera en même temps, d’une manière obligatoire, l’article d’impôt dont le paiement est retardé. Cela peut avoir de l’importance pour la question des moyens de recours, du cours de la prescription, etc.19.
III. La dette d’impôt conditionnelle. — La dette qui est soumise à une condition se distingue de la dette en suspens en ce que le moment de son existence est fixé. La dette ici est née et existe, quoique née sous une condition qui pourra l’annuler. La dette en suspens signifie, au contraire, la simple possibilité d’une dette d’impôt à naître ; cette dette elle-même n’existe pas encore.
Les impôts indirects fournissent aussi, pour cette (227) forme juridique, la sphère d’application la plus large20.
Le point de vue économique — qui se trouve à la base de la création de nombreux impôts indirects, — est que la marchandise reste dans l’intérieur du pays et y est consommée ; aussi les a-t-on appelés impôts de consommation. Quand cette présomption est contredite par la réexportation de la marchandise, alors pour répondre à la véritable intention de l’imposition, un changement doit s’opérer. La même chose peut arriver quand l’impôt suppose qu’il est fait un certain usage de la marchandise et que, par la suite, un autre usage prévaut, usage qu’on n’a pas voulu frapper. Si l’impôt qui frappe cette marchandise a déjà été acquitté, il y a lieu, à bonification. Cette bonification est un acte à part, qui ne s’attache à la perception de l’impôt qui précède que dans les motifs qui ont poussé le législateur à agir. Elle appartient donc juridiquement à une toute autre série d’institutions, aux prestations unilatérales en argent faites par l’Etat, dont nous traiterons au § 56 ci-dessous. Ici nous avons à supposer le cas où l’impôt n’a pas encore été perçu. La marchandise qui, selon l’expression de la loi, est soumise au droit du fisc et qui est exportée a pu se trouver dans deux situations différentes au point de vue de l’impôt.
Ou bien la marchandise était soumise à une dette d’impôt en suspens. La décision sur l’existence définitive (228) de cette dette a été remise par suite du transport avec l’acquit à caution no I, ou de l’entrée dans un entrepôt public. Alors le fait de l’exportation apporte simplement la décision, que la dette d’impôt n’existe pas ; l’état d’indécision cesse. Ou bien la dette de l’impôt, était déjà née, l’acquittement seul avait été remis. C’est le cas qui nous intéresse. Quand la loi veut faire valoir le point de vue économique dont nous parlions ci-dessus, elle décide que l’exportation — et ce qui lui est assimilé, — annule la dette de l’impôt qui était née et dont le paiement avait été remis, absolument comme si elle n’avait jamais existé. Dans quelles circonstances cela doit-il avoir lieu, la loi seule peut le dire ; mais il peut dépendre, dans une large mesure, de l’arbitraire des autorités fiscales, que l’accomplissement de ces conditions soit rendu possible ou refusé à l’individu.
Le cas général est celui dans lequel l’autorité attache à l’origine même de la dette de l’impôt, par un consentement exprès, la réserve d’une annulation. Cela ressemble alors beaucoup, extérieurement aussi, à une condition ajoutée. Et cette condition peut être résolutoire ; le délai de paiement existe alors à côté de la condition. Un exemple se trouve dans les comptes courants des marchands en gros, d’après la loi de douanes § 110. Les marchandises étrangères sont délivrées avec délai de paiement pour les droits de douanes, et la dette existe immédiatement. Le destinataire est chargé du montant sur son compte courant, mais sous réserve d’une décharge, si, dans un certain délai, il prouve la réexportation.
Le même résultat de la remise de l’accomplissement et de la réserve de l’annulation peut aussi être obtenu sous la forme d’une condition suspensive. La dette de l’impôt, au moment où elle doit naître, n’est que notée pour mémoire ; si, après coup, la condition fait défaut, (229) tout sera, dès le commencement, réputé comme non avenu ; est-elle remplie, la dette de l’impôt est née à ce premier moment.
La condition suspensive peut être formulée affirmativement ou négativement.
Des conditions suspensives affirmatives se trouvent dans certaines exemptions des droits de douane pour usages déterminés. D’après les lois de tarif du 15 juillet 1879, 22 mai 1885 et 21 décembre 1887, certaines marchandises, qui auraient dû être soumises aux droits, peuvent être importées librement en vue d’un usage déterminé, soit en vertu de la loi, soit en vertu d’un certificat de permission expresse : machines à vapeur pour la construction des vaisseaux, thé pour la fabrication de la théine, etc. Cela veut dire non pas que l’emploi pour le but déterminé est la condition de l’exemption de la dette d’impôt, mais que l’emploi pour un autre but est la condition de l’existence de cette dette. Donc, au cas de perte fortuite de la marchandise, la dette de l’impôt n’entre pas en vigueur. Au cas d’emploi pour un autre but, elle-est considérée comme née au jour de l’importation ; l’importateur aura à payer les droits selon le tarif en vigueur ce jour-là21.
Des conditions suspensives négatives se trouvent dans les faveurs accordées au commerce des marchés et foires, aux marchandises étrangères destinées à recevoir, à l’intérieur, un complément de main-d’œuvre (Loi de douane § 112, § 114, § 115). La loi parle ici d’une remise des droits d’entrée, d’un affranchissement de droits. Mais ces expressions ne désignent, dans le langage courant, que l’aspect extérieur : on ne voit pas de droit payé; peut-être n’en (230) sera-t-il jamais payé. Mais une véritable remise de l’impôt dans le sens juridique n’a pas lieu ici. La chose, au contraire, se présente, par exemple, dans le cas principal de l’admission temporaire dite Veredelungsverkehr, de la manière suivante : l’autorité douanière, en vertu de l’autorisation de la loi, admet la marchandise afin qu’elle subisse, dans l’intérieur, une transformation. Elle ajoute ainsi à la dette d’impôt, qui prend son origine à ce moment même, la condition suspensive, que la marchandise transformée ne sera pas dans un certain délai présentée pour la réexportation. Si dans ce délai la réexportation est effectuée, la dette d’impôt, dont la condition vient à défaillir, n’existe pas. La réexportation ne se fait-elle pas à temps, soit que la marchandise reste dans l’intérieur, soit qu’elle vienne à être perdue, peu importe, la condition est accomplie ; l’impôt doit être payé selon le tarif en vigueur au jour de l’importation22.
(231) Tout autre est cette espèce de résiliation de la dette d’impôt, qui est réglée par la loi de l’impôt sur le tabac. La dette d’impôt existe au moment du pesage ; mais un délai de paiement est accordé jusqu’à la vente, ou un terme fixe plus éloigné. Toutefois, le débiteur, d’après le § 17 de la loi, peut, après le pesage, mettre la marchandise dans un entrepôt pour marchandises avec droits impayés. Alors sa dette d’impôt est révoquée en ce qui concerne le poids total de cette marchandise. Elle est remplacée d’abord par une dette d’impôt en suspens, qui peut-être disparaîtra tout à fait à la suite d’une exportation, ou peut-être, quand la marchandise sortira de l’entrepôt pour entrer dans la libre circulation, se transformera en une dette d’impôt nouvelle, indépendante de la dette originaire éteinte par la mise en entrepôt23.
La dette d’impôt du planteur a donc reçu, de par la loi, une condition résolutoire dont l’accomplissement est à la portée de tout le monde, sans un consentement spécial de l’autorité, pourvu seulement qu’en fait il existe des entrepôts publics dont on puisse profiter.
- Puisqu’il s’agit d’avantages à accorder aux individus, la réserve constitutionnelle de la loi n’est, pas en question ; mais, d’un autre côté, ces avantages représentent des exceptions vis-à-vis des prescriptions de la loi d’impôt ; le pouvoir exécutif, lié lui-même par la force obligatoire de la loi, ne pourra dispenser de ces prescriptions qu’en vertu d’une autorisation spéciale. Il faut cependant remarquer que ces formes modifiées et atténuées de la dette d’impôt ne s’appliquent pas seulement sur la demande du sujet intéressé ; elles peuvent être octroyées d’office pour préparer convenablement la perception des droits à-naître. Nous en trouvons des exemples dans les lois d’impôts sur le sucre, sur l’alcool, etc. [↩]
- Tout ce système a reçu sa forme caractéristique en matière de douane ; il est imité, avec les modifications appropriées, dans d’autres espèces d’impôts. Le défaut qui résulte de l’absence d’un ordre juridique établi par la loi est rendu moins sensible par des prescriptions administratives explicites, les « régulatifs », qui apportent dans la procédure la régularité et l’uniformité. Ces régulatifs sont des ordres de service, des instructions pour les fonctionnaires de l’administration des finances, ou des ordres basés sur des rapports de sujétion spéciaux qui peuvent s’appliquer aux débiteurs de l’impôt (Comp. t. I, § 8, II ci-dessus, et § 30, II ci-dessous). On se plaint que ces régulatifs émis par le Bundesrath ne soient pas publiés dans le Bulletin des lois de l’Empire, comme il convient à des ordonnances contenant des règles de droit (Laband, St. R. II p. 928 ; éd. fr., VI, p. 195 ; Hoenel, Studien II p. 91). Mais ils ne veulent pas même être des ordonnances ni fixer des règles de droit, voilà le mal, si toutefois il y a mal. Du reste, en cette matière, comme en tant d’autres, l’influence du droit français se fait sentir. Nous y trouvons surtout la possibilité, pour l’administration financière, d’accorder ou de refuser certaines facilités et la réglementation par décret d’une grande partie de la matière (Fuzier-Hermann, Répertoire général, XIX vo Douanes n. 63 ss.). [↩]
- Déclaration pour la réexportation Troje-Zolltarif XXX. Quand le bureau de la première ligne se trouve à une certaine distance de la frontière, la marchandise sera dans la même indécision pendant qu’elle parcourt cette distance. Elle est, d’après le § 36 de la loi douanière, forcée de continuer sa route jusqu’au bureau. Mais alors si, après une déclaration pour la réexportation elle fait volte-face et rentre à l’étranger, elle ne peut pas en être empêchée ; la dette de l’impôt ne parvient pas à prendre naissance. Naturellement elle sera soumise à une certaine surveillance, et quand il y aura soupçon de fraude, on la saisira. Behr, dans Arch. für öff. R. p. 182, veut y voir la preuve qu’il existe, à côté de la dette d’impôt personnelle, une dette réelle de la marchandise. Cette dette ruelle n’est, en réalité, que la surveillance qui s’exerce sur elle et sur ses conducteurs. [↩]
- La loi douanière § 97 ss. distingue les entrepôts publics et les entrepôts privés ; parmi ces derniers, seuls les entrepôts de transit et les dépôts de division (Theilungslager), nous intéressent ici : Régulatif pour les entrepôts privés du 8 juin 1888 § 4 (Centr. Bl. 1888 p. 235) : Loebe Zollstrafrecht, p. 99 ss. [↩]
- La loi sur les douanes § 9 donne un criterium pour connaître le moment où la dette de l’impôt est née en indiquant les actes qui, dans le cas d’un changement de tarif, désignent celui qui est applicable. L’introduction de la marchandise dans un des entrepôts nommés à la note 4 ci-dessus n’y est pas énumérée. Donc la dette de l’impôt n’existe ici qu’à la sortie de l’entrepôt pour entrer dans la libre circulation ; le tarif qui, à ce moment, est en vigueur trouvera son application ; règlement des entrepôts privés, § 16 (Centr. Bl. 1888 p. 239). [↩]
- Cette garantie n’est qu’un côté de la dette d’impôt en suspens et repose sur le même fondement juridique. Néanmoins, on ose la revendiquer pour le droit civil ; voyez par ex. : Loebe, Zollstrafrecht, p. 93. On semble vouloir admettre une espèce de contrat. [↩]
- La preuve de la perte de la chose devient plus rigoureuse pour le débiteur à chaque degré de l’énumération que nous donnons ci-dessous : entrepôts publics, entrepôts privés de transit et de division sous-clef de l’autorité, enfin ces mêmes entrepôts sans cette précaution : règlement des entrepôts privés 8 juin 1888 § 4, § 19 (Centr. Bl. 1888, p. 239) ; loi sur les douanes § 103. En ce qui concerne les différences de poids dans le cas d’un acquit à-caution no 1, voy. loi sur les douanes § 103. Comp. aussi la loi de l’impôt sur le tabac § 9. [↩]
- Pour faire mieux comprendre la chose, on a désigné les entrepôts exempts de droits de douane comme « des enclaves pour ainsi dire de l’étranger » ; v. Mayr dans Wörterb., II, p. 948. Le wagon plombé qui roule sur le chemin de fer ne s’accommode pas de cette image, quoique sa signification juridique soit la même. Mais encore ne faut-il pas oublier que le dépôt de la marchandise à l’étranger ou dans une enclave fictive de l’étranger n’aurait qu’une importance juridique négative, tandis que la dette d’impôt suspendue produit cependant déjà des droits de rétention sur la chose et des obligations en germe. Si la notion « pays étranger » veut dire exemption de droits de douane, alors les entrepôts ne peuvent pas être comparés complètement à des pays étrangers. [↩]
- Loi de l’impôt sur le sel, 12 oct. 1867 § 9 ; loi de l’impôt sur l’alcool, 24 juin 1867 § 11 ; loi de l’impôt sur le tabac, 16 juillet 1876 § 6, § 21. [↩]
- Le règlement des entrepôts privés 8 juin 1888 ne fixe aucune règle pour accorder cette faveur ; en ce qui concerne le retrait, il se borne à citer quelques exemples de cas dans lesquels cette faveur peut être retirée « particulièrement ». [↩]
- Loi Bavaroise sur la taxe du malt, 26 mai 1868 art. 43 ; loi de l’Emp. de l’impôt sur le tabac, 16 juillet 1879, §19. [↩]
- Les gouvernements de district prussiens ont été autorisés d’une manière générale à accorder des délais par l’ordre de cab. du 31 déc. 1825. Toutefois, le délai ne doit pas excéder le terme de la clôture des comptes de l’année. [↩]
- La loi de l’imp. sur le tabac § 20 règle les certificats de crédit de l’impôt sur le tabac, qui doivent être délivrés par l’autorité du domicile pour prouver devant toutes les autorités fiscales que le porteur est digne de ce crédit. [↩]
- Loi sur les douanes § 51. La différence juridique entre l’acquit-à-caution no I et l’acquit à caution no II est indiquée dans le § 9 précédent : quand il y a changement de tarif pendant le transport, la dette, dans le cas d’un acquit no I, s’évalue d’après le nouveau tarif, dans le cas de l’acquit no II d’après l’ancien. Au lieu de les numéroter d’une manière si peu gracieuse, on pourrait les appeler acquit à caution avec dette liquidée et acquit à caution avec dette à liquider. [↩]
- Loi sur les douanes § 108 ; règlement des entrepôts privés § 2 et § 11. [↩]
- En conséquence, d’après la loi sur les douanes § 9, les droits se calculent d’après le tarif en vigueur au moment de l’inscription sur le registre de l’entrepôt, à la différence du cas de mise dans un entrepôt exempt de droits où le moment de la sortie est décisif. Le règlement des entrepôts privés § 4 donne à la naissance immédiate de la dette cette expression que l’entrepositaire, dans les entrepôts de crédit, a une responsabilité absolue du droit selon le poids constaté, lors de la mise en entrepôt, tandis que, dans les autres entrepôts, ceux avec dette d’impôt en suspens, on admet des restrictions de cette responsabilité en cas de perte et de diminution (Comp. la note 7 ci-dessus). Dans l’exposé excellent présenté par v. Mayr dans Wörterbuch II, p. 948 le contraste juridique de ces deux sortes d’entrepôts s’efface. C’est embrouiller le problème que de les comprendre toutes les deux sous la désignation de « localités pour ainsi dire exterritoriales ad hoc ». L’entrepôt privé de crédit n’a pas plus d’exterritorialité qu’un mont de piété. Le même défaut de distinction se trouve chez G. Meyer, V. R. II. p. 335. Les entrepôts privés de crédit sont placés ici tout simplement parmi les autres arrangements qui réservent à une époque ultérieure la décision sur le point de savoir si un droit de douane devra ou non être payé. [↩]
- Règlement des entrepôts de vins, 8 juillet 1888 § 11 ss. (Centr. BI. 1888, p. 257). [↩]
- Règlement des entrepôts de vins § 1. Ce qui est particulier, c’est que le droit qui devra alors être payé est calculé d’après le tarif en vigueur au moment de l’exigibilité de la dette. Cela parait être en contradiction avec la nature de l’obligation ajournée. Mais, en réalité, cette manière de calculer se présente comme la seule possible, étant donné que dans tout ce procédé il n’y a pas moyen de distinguer ce qui, dans la masse présente, a été introduit sous l’ancien tarif et ce qui a été introduit sous le nouveau. On fait donc une cote mal taillée. Cette particularité parait avoir amené v. Mayr à refuser au crédit de douane permanent la nature « d’un véritable crédit de droits dus » (Wörterbuch II, p. 967). Mais la chose devient très claire avec la prescription du règlement des entrepôts de vins § 11 : « Dans cette masse (devant subsister pour contrebalancer le crédit) on ne comptera que les vins étrangers du bénéficiaire du crédit qui sont en libre circulation » Pour que ces vins soient « en libre circulation », il faut que la dette de l’impôt soit née ou acquittée ou ajournée. [↩]
- Les régulatifs désignent cet ajournement accordé par acte spécial à la différence de celui qui dépend de certains arrangements, sous le nom de « crédit d’argent » (p. e. règlement des entrepôts de vins. §§ 14, 15). La somme due est ici l’objet direct des procédés officiels ; dans les autres cas, c’est plutôt la marchandise elle-même avec la somme qui en dépend. Juridiquement, cette façon de parler est incorrecte : le droit de douane se ramenant toujours à une question d’argent, le délai accordé, dans un cas comme dans l’autre, est un « crédit d’argent ». [↩]
- C’est par exception que nous trouvons la dette d’impôt conditionnelle dans les impôts directs. Un exemple dans la loi Bav. sur les droits de succession, 18 août 1879, art. 16 et 17. Behr dans Arch. für öffentliches Recht XVI, p. 10. La note 34 trouve que la distinction de la dette d’impôt en suspens et de la dette conditionnelle n’est « nullement claire». Elle deviendra claire, même pour Behr, quand il aura renoncé à vouloir embrouiller cette matière par l’idée malheureuse de la « dette réelle ». [↩]
- Loebe, Zollstrafrecht, p. 103. La loi sur les douanes, § 136 chiffre 9 exige dans ce cas le payement, après coup, de « l’impôt intégral » et se place ainsi au point de vue de l’époque de l’importation. [↩]
- Résolution du Bundesrath, 24 mai 1877 (Centr. RI. 1888 n. 31, supplém., p. 493). A l’entrée avec admission temporaire, le droit de douane est « noté ». Avec l’accomplissement de la condition suspensive, cette note devient d’elle-même un article de compte en débet pour l’importateur. Au contraire, la dette de droits avec condition résolutoire et paiement ajourné apparaîtra dans les livres immédiatement comme article en débet avec réserve de l’annulation. Donc si, par exemple, une marchandise entre dans un entrepôt de compte courant (loi sur les douanes § 110), l’entrepositaire est débité du montant des droits ; sort-elle de nouveau de l’entrepôt sans acquittement des droits avec admission temporaire pour subir des transformations, le montant des droits est inscrit sur le compte-courant et l’importateur est chargé d’une note de la dette d’impôt : le droit a passé de la condition résolutoire à la condition suspensive (Règlement des comptes-courants 8 juin, 15 déc. 1877 § 21 ; Centr. BI. 1877, p. 591). Une autre série d’écritures se présente au passage de la dette d’impôt en suspens à la dette conditionnelle. A la réception dans l’entrepôt public, la marchandise — non pas le droit dû, car il n’y a pas encore de dette — est portée sur le registre de l’entrepôt pour constater l’obligation de l’entrepositaire de garantir sa présentation. Lors de la sortie pour des transformations avec admission temporaire, cette inscription est biffée, la garantie est remplacée par une dette d’impôt à condition suspensive qui est notée. Avec l’accomplissement de la condition par l’expiration du délai, la dette prend son effet le jour de sa naissance conditionnelle et est portée comme article de débet échu. [↩]
- G. Meyer, V. R. p. 330 ne voit dans la réception du tabac dans un entrepôt exempt de droits qu’un « ajournement du terme de l’échéance ». Ce qui se passe en réalité est beaucoup plus énergique; c’est une transformation de la dette d’impôt. La loi dit expressément : l’obligation d’acquitter l’impôt fixé lors du pesage s’éteint. [↩]
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