1 – Une fonderie confie à une société la livraison, le changement et la mise en service de deux cubilots « à vent froid » par un cubilot « à vent chaud ». La réception des becs d’ouverture des soufflets de la fonderie fait l’objet de deux contrats signés respectivement les 6 février et 27 mars 2004. La mise en fonctionnement a lieu le 30 août 2004. Le soir même se produit de puissantes explosions, puis une nouvelle explosion le 6 septembre 2004. L’installation n’est redémarrée que le 13 septembre 2004. Cette brève interruption a pourtant causé un préjudice important. Il se chiffre à 4.040.306 euros au titre d’un préjudice actuel et certain et 10.800.000 euros au titre du préjudice futur. À la suite de ces explosions de tuyères, la victime du dommage demande à son assureur de l’indemniser. Celui-ci se retourne contre l’installateur, la société-mère de celui-ci, le fournisseur de matériel ainsi que leurs assureurs respectifs. Cet arrêt fait apparaître un contraste entre la complexité des faits, l’enchevêtrement des règles de droit et la limpidité du raisonnement des juges du droit. L’existence d’une chaîne de contrats justifie la connexité. La jonction des deux pourvois est à l’origine d’une grande complexité factuelle que seule la nouvelle rédaction des arrêts vient atténuer.
2 – La première complexité de cet arrêt tient dans le nombre d’intervenants, huit au total. De façon synthétique, ces deux espèces opposent la victime d’un dommage (la société FMGC) assurée par la compagnie AIG, son installateur (la société Küttner, société de droit allemand) assuré par Allianz IARD, la société-mère de l’installateur (la société KKG, société de droit allemand) assurée par la compagnie HDI et, enfin, le fournisseur de cette société (la société RÉA, société de droit allemand) dont l’activité est couverte par la société Gothaer. Cette chaîne de contrats montre combien le droit des assurances est tributaire du droit des contrats et en constitue un prolongement.
3 – La seconde complexité de cet arrêt réside dans la diversité des mécanismes mis en jeu concomitamment : une exclusion conventionnelle de garantie, une clause limitative de responsabilité et une exonération pour perte du bénéfice de subrogation. Par un arrêt du 17 décembre 2020, la deuxième chambre civile détermine l’étendue de la responsabilité de chacun afin de savoir quels assureurs sont susceptibles de contribuer à l’indemnisation du dommage.
4 – Un arrêt infirmatif, rendu par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 26 septembre 2018), écarte la participation de l’indemnisation de la victime des assureurs Allianz IARD et Gothaer. L’assureur de la société-mère de l’installateur (la société HDI) forme alors un pourvoi. Le juge du droit examine deux séries de moyens : d’une part, la validité ou non d’une clause d’exclusion de garantie invoquée par l’assureur du fournisseur (la société Gothaer) et, d’autre part, la perte ou non du bénéfice de subrogation par l’assureur de l’installateur et de sa société-mère (les sociétés Allianz IARD et HDI).
Il convient alors d’analyser, tout d’abord, le rappel de la Cour de cassation selon lequel une clause d’exclusion ne joue qu’à condition de se trouver dans les circonstances prévues par ladite clause (I). Il semble, ensuite, nécessaire de préciser l’éventuelle inefficacité de la garantie en cas de faute commise par l’assuré qui ferait perdre à l’assureur son bénéfice de subrogation (II).
I. L’inefficacité d’une clause d’exclusion de garantie hors des circonstances prévues par les parties
5 – Le premier aspect de cet arrêt se situe dans la mise en jeu d’une stipulation assimilée à une clause d’exclusion de garantie au profit de l’assureur du fournisseur (la société Gothear). Il est le maillon extrême de la chaîne de contrats. En effet, la police d’assurance comportait une « clause de mise à l’épreuve » (Erprobungsklausel). L’assureur a ainsi adapté les contours de sa garantie (Cass. civ., 28 févr. 1939 : RGAT 1939, p. 469. – Cass. civ., 3 déc. 1963 : D. 1964, p. 609, note A. B. ; RGAT 1964, p. 65. – Cass. civ., 24 juin 1970 (deux espèces) : RGAT 1971, p. 222. – Cass. civ., 26 avr. 1972 : RGAT 1973, p. 51. – Cass. 1re civ., 1 oct. 1980, 79-12.215 : RGAT 1981, p. 201 – Cass 1re civ., 11 juin 1981 : RGAT 1982, p. 67).
Les exclusions conventionnelles de garantie ne sont pas définies par l’article L. 113-1 du Code des assurances. Au sens de la jurisprudence, il s’agit de toute « clause qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie des risques de vol en considérations de circonstances particulières de réalisation du risque » (Cass. 1re civ., 2 avr. 1997, n° 95-13.928 ; Bull. civ. I, n° 112 ; RGDA 1997, p. 737, note M.-H. Maleville. – Cass. 1re civ., 26 nov. 1996, n° 94-16.058 : Bull. civ. I, n° 413 ; Resp. civ. et assur. 1997, chron. 5, H. Groutel ; RGDA 1997, p. 132, note J. Kullmann.). Compte tenu de leur rigueur envers l’assuré, elles sont soumises à des conditions de validité exigeantes : une telle clause doit être formelle et limitée.
Autrement dit, elle doit être claire, précise et limitée (Cass. 1re civ., 18 févr. 1987). La clause explicite ne doit donc pas nécessiter une interprétation. Cette clause doit être fondée sur des hypothèses limitativement énumérées et elle ne saurait vider la garantie de sa substance (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n° 10-31.057 : RDI 2012. 290, obs. D. Noguéro. – Rappr. Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-11.039. – Cass. com. 11 mai 2017, n° 15-29.065). Tel n’est pas le cas si elles doivent être interprétées, ne se réfèrent ni pas à des critères précis ni à des hypothèses limitativement énumérées (Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-16.435).
À cet égard, le droit des assurances apparaît comme un prolongement du droit des contrats. En effet, l’exclusion de garantie se rapproche ainsi des clauses limitatives de responsabilité (Cass. com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632 : D. 1997, p. 121, note A. Sériaux ; D. 1997, p. 145, chron. C. Larroumet ; D. 1997, p. 175, obs. Ph. Delebecque ; RTD civ. 1997, p. 418, obs. J. Mestre ; RTD civ. 1998, p. 213, obs. N. Molfessis ; RTD com. 1997, p. 319, obs. B. Bouloc). Celles-ci ne sont valables que si la clause qui ne prive pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat (C. civ., art. 1170. V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit des obligations, 12e éd., 2018, Dalloz, nos 465 et s., p. 531 et s.). Or, la Cour d’appel de Paris a refusé l’application de cette exclusion de garantie. Sur le fondement d’une expertise, elle a reconnu qu’« aucun des moyens couramment employés dans l’industrie ne permettait de détecter le vice interne qui affectait les tuyères avant leur mise en service et que ce vice de construction présentait même un caractère pernicieux en ce sens qu’il ne pouvait être révélé ni par une anomalie de débit de circulation de sortie des tuyères ni par des alarmes de température qui équipaient le circuit ». En d’autres termes, le vice interne ne peut être imputable au fait du fournisseur. En effet, cette clause ne joue que dans la limite de « l’état des sciences et de la technique ». Le fournisseur devait, certes, procéder à des vérifications. En revanche, il ne peut lui être reproché une insuffisance de vérifications au-delà cet état des connaissances.
6 – De ce fait, la clause d’exclusion de garantie ne joue pas dans cette affaire. Bien qu’une exclusion conventionnelle soit parfaitement rédigée, cet arrêt rappelle que la réalisation du dommage doit se trouver dans les circonstances particulières prévues par la clause. Or, ce n’est pas le cas ici. L’expertise relève que l’assuré avait dressé une documentation liée à sa production avec « les plans d’exécution et [les] plans de détail ». L’expertise met en évidence une faute de fabrication. La clause 15.6 du contrat d’assurance entre le fournisseur et son assureur ne prévoit en aucune façon l’exclusion des préjudices découlant de la fabrication.
Il y a alors un retour à la garantie. Malgré le respect des conditions rigoureuses relatives à la stipulation des exclusions de garantie, l’assuré demeure couvert par la garantie. La Cour de cassation refuse la dénaturation du contenu contractuel par l’assureur, à plus forte raison si celui-ci est clair. La preuve des circonstances particulières incombe, d’ailleurs, à l’assureur. En l’espèce, la société Gothaer ne peut faire jouer son exclusion de garantie contre son assuré. L’assureur doit indemniser ou participer à l’indemnisation de la victime (la société FMGC).
Par conséquent, l’assureur du fournisseur n’est pas libéré de sa garantie au seul motif qu’il a prévu une clause d’exclusion. Il ne faut pas oublier que cette clause doit d’abord s’appliquer aux faits du dommage pour entrer en jeu.
Grâce à l’exclusion conventionnelle de garantie, le droit des assurances se présente comme la variation d’un mécanisme contractuel de droit commun : les clauses limitatives de responsabilité. Toutefois, la richesse de cet arrêt ne cesse pas là car la subrogation trouve aussi une application spécifique en droit des assurances.
II. L’efficacité de la garantie en l’absence de faute de l’une des parties
7 – Le second aspect de cet arrêt apparait dans la perte ou non du bénéfice de subrogation pour l’assureur de l’installateur (la société Allianz IARD). Dans ses motifs, la Cour d’appel de Paris admet le bénéficie de subrogation en raison de l’existence d’une clause limitative de responsabilité empêchant l’exercice du recours subrogatoire dans les droits de l’assuré. Si la question de droit international privé est écartée, il y a là encore une application particulière du droit des contrats en droit des assurances. Le bénéfice de subrogation est fondamental en droit des assurances (V. not. H. Groutel, Resp. civ. et assur. 1991. chron. 27 ; Resp. civ. et assur., 1997. chron. 20). Il est issu d’une disposition édictée par la loi du 13 juillet 1930 et son principe est posé par l’article L. 121-12 al. 1er du Code des assurances. Cet alinéa prévoit que l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité.
Cette subrogation légale est un droit fondamental de l’assureur, mais il peut en être privé en cas de faute de l’assuré. Si cette faute compromet les recours de l’assureur, celui-ci est alors libéré de son obligation (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, 2017, n° 656, p. 463). L’article L. 121-12 du Code des assurances subordonne ainsi le droit à indemnité. Face à la rigueur souvent imposée aux assureurs, cette disposition préserve ses droits. La loi sauvegarde un équilibre entre la contribution à la dette et le paiement provisoire du tiers. Toutefois, ce ménagement de l’assureur dépend du fait qu’il rapporte la preuve de la faute de l’assuré. L’assureur voulant se décharger de toute ou partie de sa garantie en raison de la perte du bénéfice de subrogation par le fait de l’assurer est tenu de démontrer la perte (Not. Cass. 1re civ., 17 févr. 1987, n° 85-14.568 : Bull. civ. I, n° 57). Néanmoins, ce terrain « du fait de l’assuré » est propice à la discussion. Il relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1re civ., 9 nov. 1999, n° 97-16.287 : Bull. civ. I, n° 295 ; Resp. civ. et assur. 1999, comm. 69. – Cass. 3e civ., 8 févr. 2018, n° 17-10.010, préc.).
8 – Toute la question est ici de savoir dans quelle mesure la faute de l’assuré fait perdre à l’assureur son bénéfice de subrogation. Le mérite de cet arrêt consiste à rappeler que le « fait de l’assuré » doit être une faute. Celle-ci prive donc, au moins pour partie, l’assureur de son bénéfice de subrogation. La jurisprudence a en caractérisé plusieurs possibles. Tel est le cas si l’assuré renonce à tout recours inscrit dans le contrat entre l’assuré et le tiers en faveur de ce tiers (Ex. Cass. com., 29 sept. 2015, nos 14-14.533 et 14-14.953 : inédit ; RGDA déc. 2015, p. 547, note A. Pélissier) ou en faveur des deux parties (Ex. Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-22.003 : inédit au Bull. ; LEDA nov. 2015, comm. 144, obs. D. Krajeski et déc. 2015, comm. 163, obs. A. Astegiano-La Rizza). Le fait de l’assuré peut aussi consister en un défaut de déclaration de créance (Cass. 1re civ., 12 déc. 1995, n° 92-14.943 ; Resp. civ. et assur. 1996, comm. 106 ; RGAT 1996, p. 343, note H. Périnet-Marquet) ou en une déclaration de sinistre tardive (Cass. 3e civ., 8 févr. 2018, n° 17-10.010 : publié au Bull. ; Resp. civ. et assur. 2018, comm. 152, obs. H. Groutel ; RGDA avr. 2018, p. 208, note J.-P. Karila ; LEDA mars 2018, p. 4, obs. C. Charbonneau et mai 2018, p. 1, C. Charbonneau). Ces solutions présentent une logique simple : ces arrêts rappellent que l’assuré ne peut transmette plus de droits qu’il n’en a.
Dans cette affaire, la cassation pour défaut de base légale est prononcée sans surprise car les juges du fond n’ont pas caractérisé en quoi le « fait de l’assuré » serait constitutif d’une faute. L’assureur est tenu de réparer car il n’a pas perdu son bénéfice de subrogation. Il ne peut ainsi se soustraire à sa garantie.
Il serait sans doute hâtif dans cet arrêt de considérer que la Cour de cassation soit d’une rigueur excessive envers les assureurs afin que ces derniers supportent les conséquences du dommage à tout prix. En revanche, il est possible d’affirmer avec plus de certitude que la perte du bénéfice de subrogation ne peut être mis en œuvre que dans des circonstances exceptionnelles, au sens premier du mot.
9 – Dernier point, mais non des moindres, la cassation partielle entraine des conséquences en cascade en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles.
10 – Dans cet arrêt, la Cour de cassation procède à plusieurs rappels et à une application stricte des règles en vigueur afin d’éviter que l’assureur n’échappe trop aisément à son engagement. Malgré des circonstances de l’espèce d’une grande complexité, la solution reprend des positions très classiques. Ces deux espèces montrent combien le droit des assurances est émaillé de mécanismes issus du droit des contrats colorés les spécificités de cette matière.
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