Mon activité professionnelle m’a conduit à intervenir au sein de l’Université du Maine, dans le cadre de cours sur la fiscalité et plus particulièrement sur la fiscalité agricole, auprès des étudiants de Licence professionnelle Gestion des Organisations Agro-Alimentaires, parcours droit de l’entreprise agricole.
À cette occasion, j’ai eu l’opportunité de faire la connaissance de Mme Emilie Moysan-Jeannard, que je remercie de m’avoir invité à participer à ce colloque.
En tant que fiscaliste agricole au Cerfrance Mayenne-Sarthe, j’ai été amené à réfléchir à la question suivante :
« La Fiscalité Agricole est-elle un soutien et/ou un frein dans la transition agro-environnementale ? »
Je propose de faire un tour d’horizon de la fiscalité agricole, avant d’évoquer les mesures principales issues de la dernière Loi de Finances pour 2024 (LDF 2024).
Enfin, j’évoquerai quelques projets autour de « l’énergie verte ».
Focus sur la fiscalité agricole
Sur le plan fiscal, les activités qui relèvent des bénéfices agricoles sont codifiées à l’article 63 du Code Général des Impôts (CGI). On y retrouve naturellement l’ensemble des activités en lien avec le végétal et/ou l’animal, dès lors qu’il y a une réelle participation au cycle de production. Relèvent des bénéfices agricoles également, la production forestière et les activités équestres, ou encore la location de Droits à Paiement de Base (DPB, aides de la Politique Agricole Commune).
De manière plus étonnante, relèvent également des bénéfices agricoles la vente de biomasse et la production d’énergie à partir de produits ou sous-produits issus de l’exploitation, c’est-à-dire les unités de méthanisation à la ferme.
Enfin, plus récemment, dans la LDF 2022, ont été ajoutées aux bénéfices agricoles, les activités qui contribuent à restaurer ou à maintenir des écosystèmes dont la société tire avantage. Cela correspond notamment aux prestations « bas-carbone » pour lesquelles certains agriculteurs peuvent percevoir une rémunération.
Les activités qui ne relèvent pas des bénéfices agricoles au sens fiscal (tourisme à la ferme, achat-revente en plus de la vente directe de ses produits, travaux pour des tiers….) peuvent néanmoins être rattachées aux revenus agricoles dans certaines limites exposées à l’article 75 du CGI (50 % du chiffre d’affaires agricole et/ou 100 000 € TTC, appréciés sur une moyenne de 3 années).
En principe, les activités agricoles sont réalisées par des personnes physiques, sous la forme d’une Entreprise Individuelle (EI) ou sous la forme d’une société civile agricole (Groupement Agricole d’Exploitations en Commun (GAEC), Exploitation Agricole à Responsabilité Limitée (EARL), Société Civile d’Exploitation Agricole (SCEA)).
Le régime fiscal applicable de droit à l’ensemble de ces structures sociétaires est le régime des sociétés de personnes, et on dit que la société est transparente. Les exploitants agricoles relèvent donc de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), en application de l’article 8 du CGI.
Pour la détermination du revenu agricole imposable, il existe plusieurs régimes d’imposition :
- Le régime du micro-BA, codifié à l’art 64 bis du CGI
- Le régime du bénéfice réel (réel simplifié et/ou réel normal), codifié à l’art 69 du CGI
- Et enfin le forfait forestier, codifié à l’art 76 du CGI
Selon la forme juridique de l’entreprise, les activités exercées et le niveau de chiffre d’affaires réalisé, le régime d’imposition pourra être choisi par option ou imposé de droit.
Le principe de l’IRPP est une imposition progressive en fonction du niveau de revenu déclaré et de la composition du foyer fiscal qui le déclare. Il existe en France 5 tranches marginales d’imposition (0%, 11%, 30%, 41% et 45%), mais également des dispositions permettant d’accentuer la progressivité de cet impôt (système de décote, plafonnement du quotient familial…).
Sur option, les exploitants agricoles peuvent demander à relever de l’Impôt sur les Sociétés (IS), y compris les exploitants à titre individuel. Même si nous constatons une augmentation du nombre d’exploitants qui choisissent ce régime fiscal d’imposition, cela reste très marginal. Sous l’IS, il n’y a plus de revenu agricole déterminé et donc les règles fiscales spécifiques aux bénéfices agricoles ne peuvent plus s’appliquer.
A l’IRPP, plusieurs dispositifs sont mis à la disposition des exploitants agricoles, en vue de lisser les revenus et d’éviter ainsi de trop fortes variations régulièrement constatées du fait des aléas climatiques, des effets conjoncturels, ou encore du niveau de performances techniques. On peut ainsi citer :
- La Déduction d’Epargne de Précaution (DEP), codifié à l’art 73 du CGI
- La Moyenne Triennale Fiscale, codifiée à l’art 75-0B du CGI
- Un dispositif d’étalement sur 7 ans des revenus exceptionnels, codifié à l’art 75-0A du CGI
- Les exonérations sur les plus-values professionnelles pouvant être constatées lors d’un renouvellement matériel par exemple, codifié à l’art 151 septies du CGI
- Etc…
Il est important de noter que s’il est possible de rattacher à son bénéfice agricole certains revenus accessoires, certains dispositifs ne sont applicables qu’au seul revenu agricole, comme la DEP ou encore l’abattement fiscal accordé aux Jeunes Agriculteurs installés avec les aides.
Les mesures issues de la dernière LDF 2024
Au travers de cette LDF 2024, il était prévu une hausse progressive de la Taxe Intérieure de Consommation (TIC) sur le fuel GNR (Gazoil Non Routier) à usage agricole, dont le taux actuellement est de 18.82 € par Hectolitre, avec un droit à remboursement partiel de 14.96 € / Hl que les exploitants doivent solliciter chaque année, soit un reste à charge de 3.86 € / Hl.
Ainsi, la TIC restant à la charge des exploitants agricoles devait augmenter de 2.85 € / Hl / an, à compter du 1er janvier 2024, jusqu’en 2030, pour atteindre donc 23.81 € / Hl.
Cette mesure, visant à inciter les exploitants agricoles à utiliser du matériel plus économe en consommation de GNR, a été compensée par trois mesures principales :
- Le relèvement du seuil micro-BA (passé de 91 900 € HT à 120 000 € HT au 01/01/2024)
- Le relèvement du plafond annuel de DEP (normalement indexé sur la hausse des prix à la consommation depuis la LDF 2023)
- Et enfin le relèvement du seuil d’exonération des plus-values en fonction des recettes pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2023 (relèvement de 100 000 € HT)
Face à la colère exprimée en début d’année 2024 par les agriculteurs, le Gouvernement a renoncé à cette hausse de la TIC sur le GNR à usage agricole et a même mis en place une mesure visant à permettre aux distributeurs de carburants d’appliquer directement la TIC au taux réduit de 3.86 € / Hl pour éviter aux exploitants agricoles d’avoir à avancer la fraction de la TIC précédemment remboursée. Cette mesure s’applique dès le 1er juillet 2024.
Quelle relation entre la fiscalité et les projets de production d’énergie ?
Nous constatons une augmentation des projets de production d’énergie (solaire avec le photovoltaïque, mais également Biogaz avec la méthanisation), mais en quoi la fiscalité peut être un levier ou un frein à ces projets ?
Les activités de production d’énergie sont :
- Des sources de revenus complémentaires pour les agriculteurs,
- Autorisés même en sociétés civiles agricoles depuis le Grenelle II du 12/07/2010,
- Et un moyen pour les exploitants agricoles, de se diversifier en alliant l’environnement à la rentabilité
Parmi les projets « énergétiques » nous allons évoquer la production d’énergie solaire (photovoltaïque et Agrivoltaïsme) et la méthanisation.
Les activités de production d’énergie à partir du photovoltaïque
Elles peuvent être intégrées dans les structures agricoles, avec dans ce cas le rattachement de l’activité sous condition de l’article 75 du CGI, ou dans des structures spécifiques dédiées (dans une société commerciale par exemple).
Le rattachement de cette activité aux revenus agricoles est un levier intéressant pour développer ce type de production, mais l’impossibilité d’appliquer certains dispositifs fiscaux à ce revenu accessoire est plutôt un frein, ou tout du moins une contrainte.
- La méthanisation
Lorsqu’elle est réalisée sur l’exploitation et qu’elle fonctionne principalement avec les produits et sous-produits de l’exploitation, nous avons vu qu’il s’agissait dans ce cas de revenus agricoles au sens fiscal, ce qui évite d’avoir à créer une structure dédiée spécifique. En cela, la fiscalité paraît être un levier intéressant.
Il existe cependant peu de projets individuels, sachant que les conditions de réussite de ces projets sont avant tout d’ordres techniques, humains, économiques et financiers.
Le fait qu’une unité de méthanisation soit détenue majoritairement par des exploitants agricoles et qu’elle fonctionne principalement avec des produits et sous-produits issus d’exploitations agricoles, lui permet d’avoir la qualification juridique de méthanisation agricole et ainsi de bénéficier de l’exonération de taxes foncières comme pour les bâtiments à usage agricole. En cela, la fiscalité semble être un levier.
Les unités « collectives » détenues par plusieurs exploitants sont développées dans des entreprises dédiées et relèvent dans ce cas des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). C’est le régime de l’IS qui s’applique généralement dans ces entreprises. Si elles conservent leur qualification juridique d’agricole, l’exonération de taxes foncières n’est alors pas remise en cause.
- L’agrivoltaïsme
Les projets actuels sont plutôt liés à des investisseurs et l’exploitant agricole met à disposition ses terres le plus souvent au travers d’un bail emphytéotique.
Des décrets et arrêtés ont été récemment publiés au Journal Officiel, dans le but de définir les règles juridiques de ces projets, avec l’objectif de ne pas dénaturer les surfaces à usage de terres agricoles. L’activité agricole sur ces terres, support des panneaux photovoltaïques, reste cependant limitée d’un point de vue technique (espèces pouvant praire, type de cultures…).
Ma conclusion
Pour conclure et tenter de répondre à la question de départ qui était « La Fiscalité Agricole est-elle un soutien et/ou un frein dans la transition agro-environnementale ? », je dirais que même si la fiscalité peut apparaître dans certains cas comme un levier important aux projets agro-environnementaux, elle peut également à d’autre moment être un frein.
Prenons l’exemple de l’art 75 du CGI qui permet aux exploitants de développer plus facilement sur leur exploitation agricole des projets comme le photovoltaïque, les limites de seuil de recettes et les contraintes induites pour appliquer certains dispositifs fiscaux deviennent des freins.
Comme dans tous projets d’entreprise, la réflexion du porteur du projet doit avant tout être menée au plan économique, technique et financier, avant d’en analyser les enjeux fiscaux et sociaux qui ne doivent être que la conséquence et pas la motivation première.
J’ai ainsi coutume de dire que « l’optimisation fiscale des revenus agricoles que permet la Loi n’est que la cerise sur le gâteau ».