LOI RELATIVE AU DROIT D’AUTEUR ET AUX DROITS VOISINS
DANS LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION
Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l’article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, le 7 juillet 2006, par M. Jean-Marc Ayrault, Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaétan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Eric Jalton, Serge Janquin, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Bruno Le Roux, Mme Marylise Lebranchu, MM. Michel Lefait, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Christian Paul, Jean-Claude Pérez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque, Paul Giacobbi, Joël Giraud, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Martine Billard, MM. Yves Cochet, Noël Mamère, François Bayrou, Hervé Morin, Jean-Pierre Brard, André Chassaigne, Frédéric Dutoit et Mme Jacqueline Fraysse, députés ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment son article 234 ;
Vu la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;
Vu le code de la propriété intellectuelle ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 19 juillet 2006 ;
Vu les observations en réplique, enregistrées le 21 juillet 2006 ;
Le rapporteur ayant été entendu,
1. Considérant que les requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information ; qu’ils contestent la régularité de sa procédure d’adoption ainsi que la conformité à la Constitution de ses articles 1er, 2, 3, 14, 16, 21, 22, 23, 24 et 44 ;
Sur la procédure d’adoption de la loi :
2. Considérant que les requérants font grief au Gouvernement d’avoir retiré l’article 1er du projet de loi au cours de son examen à l’Assemblée nationale, alors même que des amendements avaient déjà été adoptés, dans le but de lui substituer un dispositif alternatif au moyen d’un nouvel amendement portant article additionnel ; qu’ils estiment que cette façon de procéder a porté une « atteinte substantielle à l’exercice du droit d’amendement des parlementaires » ; qu’ils ajoutent que la réintroduction ultérieure de l’article 1er, « en dehors de tout fondement constitutionnel ou réglementaire », loin d’avoir « purgé cette irrégularité », l’aurait « aggravée » ; qu’ils dénoncent, en outre, une modification abusive du texte en discussion par la commission mixte paritaire ; qu’ils font valoir que la procédure législative, dont la clarté et la sincérité auraient été affectées, serait dès lors entachée d’irrégularité ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’il est toujours loisible à une assemblée parlementaire, saisie d’un projet ou d’une proposition de loi, de ne pas adopter un article lorsque celui-ci est mis aux voix, y compris après avoir adopté un amendement le modifiant ; qu’en revanche, le retrait par le Gouvernement d’un article sur lequel des amendements ont déjà été adoptés, dans le but de lui substituer une solution alternative par le vote d’un article additionnel, serait de nature à porter atteinte à l’exercice effectif du droit d’amendement garanti à tout parlementaire par le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, aux termes duquel : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement » ;
4. Considérant, dès lors, que le retrait par le Gouvernement de l’article 1er du projet de loi, dont l’Assemblée nationale a été informée au cours de la séance du 6 mars 2006, était irrégulier ;
5. Considérant, toutefois, que cet article a été ultérieurement rétabli tel qu’amendé avant son retrait ; que ce rétablissement est intervenu avant que les députés n’adoptent toute autre disposition du texte en discussion ; qu’au cours de la deuxième séance du 9 mars 2006, l’Assemblée nationale s’est successivement prononcée sur les amendements restant à examiner à l’article 1er du projet de loi puis, après que cet article eut été mis aux voix et rejeté, sur l’article additionnel présenté par le Gouvernement ; qu’ainsi, l’irrégularité précédemment commise n’a pas eu d’incidence sur l’enchaînement des votes ; qu’il en résulte que le procédé employé n’a pas vicié, en l’espèce, la procédure législative ;
6. Considérant, en second lieu, que les adjonctions ou modifications apportées au projet de loi par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 22 juin 2006 étaient en relation directe avec des dispositions restant en discussion ; que, par suite, n’a pas été méconnue la règle fixée par le deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution en vertu duquel la commission mixte paritaire est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de l’irrégularité de la procédure législative doivent être écartés ;
Sur les normes applicables au contrôle du contenu de la loi :
8. Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions qu’ils contestent portent atteinte à l’intelligibilité de la loi, au principe de légalité des délits et des peines, au droit au recours effectif, aux droits de la défense, au droit à un procès équitable, au principe d’égalité et au droit de propriété ; qu’ils invoquent également une méconnaissance de la directive du 22 mai 2001 susvisée ;
En ce qui concerne l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi :
9. Considérant qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ; qu’il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ;
En ce qui concerne le principe de légalité des délits et des peines :
10. Considérant qu’aux termes de l’article 8 de la Déclaration de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que l’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant… la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables… » ; qu’il résulte de ces dispositions que le législateur est tenu de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ; que cette exigence s’impose non seulement pour exclure l’arbitraire dans le prononcé des peines, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infractions ;
En ce qui concerne le droit au recours effectif, les droits de la défense et le droit à un procès équitable :
11. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » ; que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu’est en cause une sanction ayant le caractère d’une punition ;
En ce qui concerne le principe d’égalité :
12. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi… doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse… » ;
13. Considérant que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ;
En ce qui concerne le droit de propriété :
14. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l’homme consacrés par l’article 2 de la Déclaration de 1789 ; que son article 17 proclame : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ;
15. Considérant que les finalités et les conditions d’exercice du droit de propriété ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers, figurent les droits de propriété intellectuelle et notamment le droit d’auteur et les droits voisins ;
En ce qui concerne les obligations propres à une loi de transposition :
16. Considérant que le titre Ier de la loi déférée a pour objet de transposer la directive du 22 mai 2001 susvisée sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ;
17. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l’Union européenne, constituées d’Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences » ; qu’ainsi, la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle ;
18. Considérant qu’il appartient par suite au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu’il exerce à cet effet est soumis à une double limite ;
19. Considérant, en premier lieu, que la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ;
20. Considérant, en second lieu, que, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle prévue par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne ; qu’il ne saurait en conséquence déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer ; qu’en tout état de cause, il revient aux autorités juridictionnelles nationales, le cas échéant, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes à titre préjudiciel ;
21. Considérant que la directive du 22 mai 2001 susvisée dispose en son article 2, relatif au droit de reproduction, que : « Les Etats membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie : – a) pour les auteurs, de leurs oeuvres ; – b) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ; – c) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ; – d) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ; – e) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite » ;
22. Considérant qu’aux termes du 1 de l’article 3 de la directive, relatif au droit de communication au public pour ce qui concerne les auteurs : « Les Etats membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement » ;
23. Considérant qu’aux termes du 2 du même article, relatif à la communication au public pour ce qui concerne les titulaires de droits voisins : « Les Etats membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement : – a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ; – b) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ; – c) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ; – d) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite » ;
24. Considérant qu’en son article 5, la directive dresse une liste limitative des exceptions pouvant être apportées à ces droits exclusifs, tout en subordonnant leur exercice, au 5 de cet article, à la condition qu’elles « ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit » ;
25. Considérant que le 1 de l’article 6 de la directive impose aux Etats membres de prévoir « une protection juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser, qu’elle poursuit cet objectif » ; qu’aux termes du 2 du même article : « Les Etats membres prévoient une protection juridique appropriée contre la fabrication, l’importation, la distribution, la vente, la location, la publicité en vue de la vente ou de la location, ou la possession à des fins commerciales de dispositifs, produits ou composants ou la prestation de services qui : – a) font l’objet d’une promotion, d’une publicité ou d’une commercialisation, dans le but de contourner la protection, ou – b) n’ont qu’un but commercial limité ou une utilisation limitée autre que de contourner la protection, ou – c) sont principalement conçus, produits, adaptés ou réalisés dans le but de permettre ou de faciliter le contournement de la protection de toute mesure technique efficace » ;
26. Considérant, s’agissant de l’exception au droit de reproduction pour l’usage privé du copiste, que le 4 de l’article 6 de la directive permet à un Etat membre de prendre des mesures appropriées pour assurer l’exercice effectif de cette exception « à moins que la reproduction à usage privé ait déjà été rendue possible par les titulaires de droits dans la mesure nécessaire pour bénéficier de l’exception ou de la limitation concernée… sans empêcher les titulaires de droits d’adopter des mesures adéquates en ce qui concerne le nombre de reproductions conformément à ces dispositions » ;
27. Considérant que le troisième alinéa du 4 de l’article 6 de la directive ajoute que : « Les mesures techniques appliquées volontairement par les titulaires de droits, y compris celles mises en oeuvre en application d’accords volontaires, et les mesures techniques mises en oeuvre en application des mesures prises par les Etats membres, jouissent de la protection juridique prévue au paragraphe 1 » ;
28. Considérant, d’une part, qu’il résulte de ces dispositions que la directive du 22 mai 2001 susvisée, qui n’est contraire à aucune règle ni à aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, comporte des dispositions inconditionnelles et précises, notamment le 5 de son article 5 ;
29. Considérant, d’autre part, qu’il résulte des dispositions de la directive, éclairées par ses propres considérants, qu’afin de sauvegarder l’économie de la création et d’assurer l’harmonisation des échanges de biens et services culturels dans l’Union européenne, les Etats membres doivent faire prévaloir les droits des auteurs et des titulaires de droits voisins ;
30. Considérant, dès lors, que la loi française de transposition serait contraire à l’exigence constitutionnelle qui résulte de l’article 88-1 de la Constitution si elle portait atteinte aux prérogatives que la directive reconnaît aux auteurs ou aux titulaires de droits voisins en matière de reproduction et de communication au public de leurs oeuvres ou prestations ; qu’en pareil cas, en effet, elle méconnaîtrait manifestement tant l’objectif général poursuivi par la directive que ses dispositions inconditionnelles ;
31. Considérant, en conséquence, que les mesures de conciliation adoptées par le législateur entre droit d’auteur et droits voisins, d’une part, objectif d’« interopérabilité », d’autre part, ne sauraient porter atteinte aux prérogatives des auteurs et des titulaires de droits voisins sans méconnaître l’exigence constitutionnelle de transposition ; que la même considération vaut pour les mesures de conciliation arrêtées par la loi déférée entre les droits des auteurs et des titulaires de droits voisins, d’une part, et l’exercice effectif de l’exception pour copie privée, d’autre part ;
Sur les articles 1er, 2 et 3 :
32. Considérant que les articles 1er, 2 et 3 de la loi déférée modifient les articles L. 122-5, L. 211-3 et L. 342-3 du code de la propriété intellectuelle qui énumèrent les exceptions au droit d’auteur, aux droits voisins ainsi qu’aux droits des producteurs de bases de données ; que l’avant-dernier alinéa de l’article L. 122-5 et les derniers alinéas des articles L. 211-3 et L. 342-3 précisent que ces exceptions doivent satisfaire aux conditions dites du « test en trois étapes », c’est-à-dire, outre figurer dans cette énumération, ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou des objets concernés et ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de ces droits ;
33. Considérant que les requérants soutiennent que le législateur a méconnu le principe de légalité des délits et des peines en imposant à toute personne qui se prévaut d’une exception à ces droits d’établir, sauf à encourir les sanctions pénales réprimant la contrefaçon, que cet usage satisfait aux conditions du « test en trois étapes » ; qu’ils estiment que ces conditions sont peu précises et qu’il est impossible à un particulier d’apporter la preuve qu’elles sont réunies ;
34. Considérant que, selon l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 susvisée, les Etats membres ont la faculté de prévoir certaines exceptions et limitations, dont il dresse la liste, aux droits de reproduction et de communication au public des oeuvres et autres objets protégés au titre du droit d’auteur et des droits voisins ; que, dans chacun de ces cas spéciaux, le 5 de cet article 5 impose aux Etats membres de subordonner l’exercice des exceptions et limitations à la condition que cet exercice ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ou autre objet protégé ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit ;
35. Considérant que les dispositions critiquées se bornent à tirer les conséquences nécessaires de ces dispositions inconditionnelles et précises sur lesquelles il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de se prononcer ; que, par suite, le grief invoqué par les requérants ne peut être utilement présenté devant lui ;
36. Considérant, en outre, que le principe du « test en trois étapes » revêt une portée générale ; qu’il s’impose à l’ensemble des exceptions et limitations apportées par la loi déférée aux droits exclusifs des auteurs et titulaires de droits voisins ;
37. Considérant, en particulier, s’agissant des exceptions aux droits exclusifs de reproduction, que les dispositions de la section intitulée « Mesures techniques de protection et d’information », insérées dans le code de la propriété intellectuelle par la loi déférée, devront être entendues comme n’interdisant pas aux auteurs ou aux titulaires de droits voisins de recourir à des mesures techniques de protection limitant le bénéfice de l’exception à une copie unique, voire faisant obstacle à toute copie, dans les cas particuliers où une telle solution serait commandée par la nécessité d’assurer l’exploitation normale de l’oeuvre ou par celle de prévenir un préjudice injustifié à leurs intérêts légitimes ; qu’en effet, toute autre interprétation serait manifestement incompatible avec le respect du principe du « test en trois étapes », auquel le 5 de l’article 5 de la directive du 22 mai 2001 susvisée subordonne, comme il a été dit ci-dessus, l’exercice de chaque exception aux droits exclusifs des auteurs et titulaires de droits voisins ;
Sur les articles 13 et 14 :
38. Considérant que l’article 13 de la loi déférée insère dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 331-5 ; que le quatrième alinéa de ce dernier dispose que c’est « dans le respect du droit d’auteur » que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en oeuvre effective de l’interopérabilité » et que « les fournisseurs de mesures techniques donnent l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité dans les conditions définies aux articles L. 331-6 et L. 331-7 » ;
39. Considérant que l’article 14 insère dans le code de la propriété intellectuelle deux articles L. 331-6 et L. 331-7 ; que ces nouveaux articles ont pour objet de concilier l’« interopérabilité » des matériels et logiciels, d’une part, et le recours aux mesures techniques destinées à empêcher ou à limiter les utilisations d’une oeuvre non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin, d’autre part ; qu’en particulier, le premier alinéa du nouvel article L. 331-7 prévoit que « tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique et tout exploitant de service peut, en cas de refus d’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité, demander à l’Autorité de régulation des mesures techniques de garantir l’interopérabilité des systèmes et des services existants, dans le respect des droits des parties, et d’obtenir du titulaire des droits sur la mesure technique les informations essentielles à cette interopérabilité » ;
En ce qui concerne le respect des droits de propriété intellectuelle :
40. Considérant que la référence faite par l’article 13 au respect du « droit d’auteur » doit s’entendre, compte tenu du contexte dans lequel elle s’insère, comme renvoyant également au respect des droits voisins du droit d’auteur ; que, sous cette réserve, l’article 13 n’est pas manifestement incompatible avec la directive du 22 mai 2001 susvisée ;
41. Considérant que l’article 14 précise que l’Autorité de régulation des mesures techniques a pour mission de garantir l’« interopérabilité » des systèmes et des services existants « dans le respect des droits des parties » ; que cette disposition doit s’entendre comme étant applicable tant aux titulaires d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ayant recours aux mesures techniques de protection, qu’aux titulaires de droits sur les mesures techniques de protection elles-mêmes ; qu’à défaut de consentement de ces derniers à la communication des informations essentielles à l’« interopérabilité », cette communication devra entraîner leur indemnisation ; que, dans le cas contraire, ne seraient pas respectées les dispositions de l’article 17 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » ;
En ce qui concerne la saisine de l’Autorité de régulation des mesures techniques :
42. Considérant que les requérants soutiennent qu’en limitant la possibilité de saisir l’Autorité de régulation des mesures techniques aux éditeurs de logiciels, aux fabricants de systèmes techniques et aux exploitants de services, le législateur a méconnu le principe d’égalité et privé les titulaires de droits de propriété intellectuelle et les consommateurs de leur droit à un recours effectif ;
43. Considérant, en premier lieu, que la saisine de l’Autorité de régulation a pour objet l’obtention d’informations techniquement complexes et pouvant relever du secret industriel ; que le législateur a entendu limiter cette saisine aux seules personnes susceptibles de tirer utilement parti de ces informations en vue de favoriser la réalisation de systèmes compatibles ; que la différence de traitement qui en résulte, en rapport direct avec la finalité poursuivie, n’est pas, dès lors, contraire à la Constitution ;
44. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit au recours des consommateurs, des associations qui les représentent ou des titulaires de droits de propriété intellectuelle ; qu’ils pourront en effet exercer les actions nécessaires à la défense de leurs intérêts devant les juridictions compétentes ;
45. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées aux considérants 40 et 41, les articles 13 et 14 ne sont pas contraires à la Constitution ;
Sur l’article 16 :
46. Considérant que l’article 16 de la loi déférée insère dans le code de la propriété intellectuelle neuf articles numérotés L. 331-8 à L. 331-16 ;
47. Considérant que le premier alinéa de l’article L. 331-8 dispose que le bénéfice de l’exception pour copie privée et des autres exceptions prévues, en particulier pour les activités d’enseignement et de recherche, les bibliothèques et les personnes souffrant d’un handicap, est garanti par les dispositions des neuf articles susmentionnés ; que son deuxième alinéa prévoit que l’Autorité de régulation des mesures techniques « veille à ce que la mise en oeuvre des mesures techniques de protection n’ait pas pour effet de priver les bénéficiaires » de ces exceptions ; que son dernier alinéa précise, à cet effet, que, « sous réserve des articles L. 331-9 à L. 331-16, l’autorité détermine les modalités d’exercice des exceptions précitées et fixe notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l’exception pour copie privée » ;
48. Considérant que le premier alinéa de l’article L. 331-9 dispose : « Les titulaires de droits qui recourent aux mesures techniques de protection… peuvent leur assigner pour objectif de limiter le nombre de copies. Ils prennent cependant les dispositions utiles pour que leur mise en oeuvre ne prive pas les bénéficiaires des exceptions visées à l’article L. 331-6 de leur exercice effectif » ; que son second alinéa ajoute que : « Les dispositions du présent article peuvent, dans la mesure où la technique le permet, subordonner le bénéfice effectif de ces exceptions à un accès licite à une oeuvre ou à un phonogramme, à un vidéogramme ou à un programme et veiller à ce qu’elles n’aient pas pour effet de porter atteinte à son exploitation normale ni de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits sur l’oeuvre ou l’objet protégé » ;
49. Considérant que les requérants formulent trois griefs à l’encontre de l’article 16 ; qu’ils dénoncent, en premier lieu, son inintelligibilité, notamment en ce qui concerne la conciliation entre l’exception pour copie privée et les prérogatives des titulaires de droits ; qu’ils estiment, en deuxième lieu, que la loi n’a pas suffisamment précisé « les critères et les modalités de contrôle et de preuve selon lesquels il pourrait être établi qu’un acte de copie réalisé dans l’espace privé ne se fonde pas sur un accès licite à l’oeuvre concernée » ; que cette incertitude serait source d’insécurité juridique pour les usagers et incompatible avec les principes du respect de la vie privée et des droits de la défense ; qu’ils font valoir, en troisième lieu, que, si les titulaires de droits se voient reconnaître une possibilité de restreindre la copie privée, la loi ne précise pas les effets d’une telle décision sur la répartition de la rémunération pour copie privée ; qu’elle serait dès lors « porteuse d’une rupture d’égalité injustifiable entre ayants droit, ceux ne pratiquant pas de limitation du nombre des copies subissant au même titre que les autres les conséquences à la baisse de la rémunération résultant de l’usage global fait de cette possibilité » ;
50. Considérant, en premier lieu, que le législateur a expressément indiqué, au dernier alinéa de l’article L. 331-8, que, si l’Autorité de régulation des mesures techniques détermine les modalités d’exercice des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins et fixe le nombre minimal de copies autorisées, ce n’est que « sous réserve des articles L. 331-9 à L. 331-16 » ; qu’il a donc entendu, ainsi qu’il ressort des travaux parlementaires, laisser aux titulaires de droits l’initiative de prendre les dispositions nécessaires à la conciliation des mesures techniques de protection et desdites exceptions ; qu’il en résulte que l’Autorité de régulation des mesures techniques ne pourra fixer un nombre minimal de copies qu’au terme d’un délai raisonnable au cours duquel les titulaires de droits pourront prendre, conformément au premier alinéa de l’article L. 331-9, les dispositions utiles pour que les mesures techniques de protection ne fassent pas obstacle à l’exercice effectif de ces exceptions ; que l’article L. 331-9 garantit aux titulaires de droits la possibilité de limiter, par ces mesures techniques de protection, le nombre de copies qu’ils veulent autoriser ; que, sous ces réserves, le législateur a défini de façon suffisamment précise les règles qui doivent présider à la conciliation des mesures techniques de protection et des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins ; qu’ainsi, il n’a méconnu ni l’article 34 de la Constitution ni l’objectif d’intelligibilité de la loi ; qu’il n’a pas non plus manifestement méconnu les dispositions du 4 de l’article 6 de la directive du 22 mai 2001 susvisée ;
51. Considérant, en deuxième lieu, que le législateur pouvait subordonner le bénéfice effectif des exceptions à un « accès licite » à l’oeuvre, au phonogramme, au vidéogramme ou au programme, ainsi qu’au respect des intérêts légitimes des titulaires de droits ; que, contrairement à ce qu’affirment les requérants, les dispositions prises à cet effet ne contraindront pas les bénéficiaires des exceptions à apprécier eux-mêmes le caractère licite ou illicite de cet accès ; qu’en effet, en indiquant, au second alinéa de l’article L. 331-9, que c’est « dans la mesure où la technique le permet » que le bénéfice des exceptions pourra être subordonné à un accès légal, le législateur s’est borné à autoriser le recours à des dispositifs ayant pour objet et pour effet de rendre techniquement impossible un accès illicite ; qu’il s’ensuit que les griefs tirés d’une méconnaissance des principes du respect de la vie privée et des droits de la défense manquent en fait ; que doit être également rejeté le grief tiré de ce que le législateur serait resté en deçà de sa compétence ;
52. Considérant, en troisième lieu, qu’il ne peut davantage être fait grief aux dispositions en cause de ne pas avoir prévu les effets du recours aux mesures techniques de protection sur la répartition de la rémunération pour copie privée ; qu’en effet, il résulte du dernier alinéa de l’article L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction issue de l’article 9 de la loi déférée, que le montant de la rémunération pour copie privée « tient compte du degré d’utilisation des mesures techniques définies à l’article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l’exception pour copie privée » ; que, dès lors, le grief tiré d’une rupture d’égalité entre titulaires de droits ne saurait être accueilli ;
53. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sous les réserves énoncées au considérant 50, les critiques adressées à l’article 16 de la loi déférée doivent être rejetées ;
Sur l’article 21 :
54. Considérant que l’article 21 de la loi déférée insère dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 335-2-1 ainsi rédigé : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 EUR d’amende le fait : – 1° D’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’oeuvres ou d’objets protégés ; – 2° D’inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l’usage d’un logiciel mentionné au 1°. – Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur » ;
55. Considérant que les requérants font valoir que l’imprécision des termes : « sciemment », « manifestement destinés » et « travail collaboratif » méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines ; qu’ils ajoutent qu’en ne visant que les « objets et fichiers non soumis à rémunération du droit d’auteur », la clause d’exonération de responsabilité pénale instaure une discrimination qui lèse les droits moraux des auteurs ayant renoncé à une rémunération, ainsi que les droits voisins du droit d’auteur ;
56. Considérant que les termes : « manifestement destinés » et « sciemment » sont suffisamment clairs et précis pour que les dispositions de caractère pénal qui s’y réfèrent ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines ;
57. Considérant, en revanche, qu’il n’en est pas de même de la notion de « travail collaboratif » ; qu’en outre, le dernier alinéa de l’article 21 de la loi déférée, qui exonère de toute responsabilité pénale les éditeurs de logiciels destinés au « travail collaboratif » ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur, n’est ni utile à la délimitation du champ de l’infraction définie par les trois premiers alinéas de cet article, ni exhaustif quant aux agissements qu’ils excluent nécessairement ; qu’il laisse, enfin, sans protection pénale les droits moraux des auteurs ayant renoncé à une rémunération, ainsi que les droits voisins du droit d’auteur ; qu’il méconnaît donc tant le principe de légalité des délits et des peines que le principe d’égalité ; qu’il doit être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur les articles 22 et 23 :
58. Considérant que les articles 22 et 23 de la loi déférée insèrent dans le code de la propriété intellectuelle les articles L. 335-3-1 et L. 335-4-1, ainsi que les articles L. 335-3-2 et L. 335-4-2 ; que les deux premiers de ces articles incriminent les actes qui portent atteinte aux mesures techniques destinées à empêcher ou à limiter les utilisations d’une oeuvre, autre qu’un logiciel, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ; que les deux autres articles répriment l’altération des informations relatives au régime d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin et la diffusion d’objets protégés dont un élément d’information a été altéré ; que certains de ces agissements ne sont pas punissables s’ils sont commis à des fins de « recherche » ; que les huitièmes et derniers alinéas des articles 22 et 23 prévoient que ces dispositions ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins d’« interopérabilité » ;
59. Considérant que les requérants reprochent au législateur d’avoir méconnu le principe de légalité des délits et des peines en ne définissant pas la notion d’« interopérabilité », dont il a pourtant fait une cause d’exonération de responsabilité pénale ;
60. Considérant que le législateur a fait de l’« interopérabilité » un élément qui conditionne le champ d’application de la loi pénale ; qu’il devait en conséquence définir en des termes clairs et précis le sens qu’il attribuait à cette notion dans ce contexte particulier ; qu’en s’abstenant de le faire il a porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines ;
61. Considérant qu’il y a lieu, en conséquence, de déclarer contraires à la Constitution les mots : « d’interopérabilité ou » figurant au huitième alinéa de l’article 22 ainsi qu’au huitième et au dernier alinéas de l’article 23, et les mots : « , d’interopérabilité » figurant au dernier alinéa de l’article 22 ;
62. Considérant, en outre, que, conformément au considérant 48 de la directive du 22 mai 2001 susvisée et aux travaux préparatoires, la cause d’exonération prévue au bénéfice de la « recherche » par les nouveaux articles L. 335-3-1, L. 335-3-2, L. 335-4-1 et L. 335-4-2 du code de la propriété intellectuelle doit s’entendre de la recherche scientifique en cryptographie et à condition qu’elle ne tende pas à porter préjudice aux titulaires des droits ;
Sur l’article 24 :
63. Considérant que l’article 24 de la loi déférée insère dans le code de la propriété intellectuelle un article L. 335-11 qui a pour objet de soustraire certains agissements aux dispositions applicables aux délits de contrefaçon en matière de propriété littéraire et artistique ; qu’il prévoit que seront désormais constitutives de contraventions, et non plus de délits, d’une part, « la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d’une oeuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin » lorsqu’ils auront été « mis à disposition au moyen d’un logiciel d’échange de pair à pair », d’autre part, « la communication au public, à des fins non commerciales », de tels objets « au moyen d’un service de communication au public en ligne, lorsqu’elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction » au moyen d’un logiciel d’échange de pair à pair ;
64. Considérant que les requérants soutiennent que cette disposition méconnaît le principe d’égalité devant la loi pénale en instituant une différence de traitement injustifiée entre les personnes qui reproduisent ou communiquent des objets protégés au titre du droit d’auteur ou des droits voisins, selon qu’elles utilisent un logiciel de pair à pair ou un autre moyen de communication électronique ; qu’ils reprochent également au législateur d’avoir méconnu le principe de légalité des délits et des peines ; qu’ils estiment enfin que la loi ne contient aucune disposition relative aux modes de preuve de ces infractions et qu’elle est entachée d’incompétence négative ;
65. Considérant qu’au regard de l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins, les personnes qui se livrent, à des fins personnelles, à la reproduction non autorisée ou à la communication au public d’objets protégés au titre de ces droits sont placées dans la même situation, qu’elles utilisent un logiciel d’échange de pair à pair ou d’autres services de communication au public en ligne ; que les particularités des réseaux d’échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu’instaure la disposition contestée ; que, dès lors, l’article 24 de la loi déférée est contraire au principe de l’égalité devant la loi pénale ; qu’il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, de le déclarer contraire à la Constitution ;
Sur l’article 44 :
66. Considérant que l’article 44 de la loi déférée complète le dernier alinéa du II de l’article 49 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée par deux phrases ainsi rédigées : « Toutefois, par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du code de la propriété intellectuelle, les conditions d’exploitation des prestations des artistes interprètes des archives mentionnées au présent article et les rémunérations auxquelles cette exploitation donne lieu sont régies par des accords conclus entre les artistes interprètes eux-mêmes ou les organisations de salariés représentatives des artistes interprètes et l’institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations » ;
67. Considérant que les requérants estiment qu’aucun intérêt général ne justifie l’atteinte que cette disposition porterait au droit de propriété des artistes interprètes en conférant à des organisations de salariés le pouvoir exclusif d’autoriser, d’interdire et de définir les conditions d’exploitation des interprétations de ces artistes ; qu’ils soutiennent que l’instauration d’une exception en faveur de l’Institut national de l’audiovisuel entraînerait une discrimination au préjudice d’autres établissements poursuivant les mêmes objectifs d’intérêt général de conservation et de diffusion de fonds documentaires ; que le législateur n’aurait pas épuisé sa compétence en édictant la disposition critiquée ; qu’enfin, celle-ci méconnaîtrait la directive du 22 mai 2001 susvisée ;
68. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des termes mêmes de l’article 44 de la loi déférée que manque en fait le grief tiré de ce que cet article donnerait aux organisations de salariés représentatives des artistes interprètes le pouvoir exclusif de définir les conditions de rémunération de ces artistes liées à l’exploitation des archives de l’Institut national de l’audiovisuel ;
69. Considérant, en deuxième lieu, qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;
70. Considérant qu’aux termes de l’article 49 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée : « L’institut national de l’audiovisuel, établissement public de l’Etat à caractère industriel et commercial, est chargé de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national. I. – L’institut assure la conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribue à leur exploitation… » ;
71. Considérant que, eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la conservation et à la mise en valeur du patrimoine audiovisuel national, le législateur a pu prévoir un régime dérogatoire d’exploitation des prestations des artistes interprètes au bénéfice de l’Institut national de l’audiovisuel ; qu’en raison des missions qui lui sont confiées par la loi, dont certaines à titre exclusif, cet établissement public se trouve dans une situation différente de celle des autres organismes concourant à l’archivage d’oeuvres audiovisuelles ; qu’en particulier, le législateur a pu habiliter les syndicats représentant les artistes interprètes à conclure avec l’institut des accords fixant les conditions d’exploitation des archives en contrepartie d’une rémunération équitable ; que, ce faisant, il n’a méconnu ni le principe d’égalité, ni le droit de propriété intellectuelle des artistes interprètes, ni l’article 34 de la Constitution ;
72. Considérant, en dernier lieu, que, contrairement à ce qu’affirment les requérants, l’article 44, qui figure dans le titre IV de la loi déférée relatif au dépôt légal, n’a pas pour objet de transposer la directive du 22 mai 2001 susvisée ;
73. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs dirigés contre l’article 44 de la loi déférée doivent être rejetés ;
74. Considérant qu’il n’y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d’office aucune autre question de conformité à la Constitution,
Décide :
Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :
– le dernier alinéa de l’article 21 ;
– les mots : « d’interopérabilité ou » figurant au huitième alinéa de l’article 22 ainsi que les mots : « , d’interopérabilité » figurant au dernier alinéa du même article ;
– les mots : « d’interopérabilité ou » figurant aux huitième et dernier alinéas de l’article 23 ;
– l’article 24.
Ne sont pas contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information :
– l’avant-dernier alinéa de l’article L. 122-5 et les derniers alinéas des articles L. 211-3 et L. 342-3 du code de la propriété intellectuelle dans leur rédaction issue des articles 1er à 3 de ladite loi ;
– le surplus de l’article 21 ;
– sous la réserve émise au considérant 62, le surplus des articles 22 et 23 ;
– sous les réserves énoncées aux considérants 37, 40, 41 et 50, les articles 13, 14 et 16 ;
– l’article 44.
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 27 juillet 2006, où siégeaient : M. Pierre Mazeaud, président, MM. Jean-Claude Colliard et Olivier Dutheillet de Lamothe, Mme Jacqueline de Guillenchmidt, MM. Pierre Joxe et Jean-Louis Pezant, Mme Dominique Schnapper, M. Pierre Steinmetz et Mme Simone Veil.
Le président,
Pierre Mazeaud