Chapitre deux- L’administration d’Etat
75.- Organisation de l’appareil administratif de l’Etat.- L’Etat est une personne morale de droit public qui comprend des organes centraux et déconcentrés reliés entre eux par le pouvoir hiérarchique.
Section I- L’administration centrale
76.- Typologie des organes centraux.- Les organes de l’administration centrale peuvent être classés en trois grandes catégories :
– Les organes de l’administration active qui ont en charge la prise de décision.
– Les organes de l’administration consultative qui sont associés à la préparation des décisions.
– Les organes de l’administration de contrôle qui assurent le contrôle des décisions.
Il convient également d’évoquer une catégorie d’organes centraux qui ne relèvent pas du pouvoir hiérarchique, celle des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.
§I- L’administration active
77.- Dispositions constitutionnelles.- Selon la Constitution du 4 octobre 1958, deux organes sont investis de compétences administratives. Il s’agit du Président de la République et du Premier ministre. Cependant, cette compétence est en partie déléguée, au niveau central, aux différents membres du gouvernement.
I- Le Président de la République et le Premier ministre
78.- Pratique constitutionnelle et pratique administrative.- Les rapports entre le chef de l’Etat et le Premier ministre doivent être distingués, selon que l’on se situe sur le plan constitutionnel et politique, ou sur le plan administratif.
Du point de vue du droit constitutionnel, les rapports entre ces deux institutions ont été profondément altérés par la révision du 6 novembre 1962. Avant 1962, le Président de la République, qui est élu au suffrage universel indirect, est conçu comme la clé de voûte des institutions, il est une sorte d’arbitre au-dessus des parties. En 1962, selon l’expression de Jean Massot, « l’arbitre devient capitaine » (L’arbitre et le capitaine, Flammarion 1987). En dehors des périodes de cohabitation il domine l’exécutif.
Du point de vue des institutions administratives, en revanche, la situation est différente. En effet, comme l’exprime M. Gohin, même si le Président est devenu un « géant politique », il demeure un « nain administratif » dont les compétences sont limitées (O. Gohin, Institutions administratives, LGDJ, 4ème éd. 2002).
A- Président de la République
79.- Attributions et services.- On décrira les attributions du Président de la République puis les services qui sont placés sous son autorité.
1° Attributions
80.- Fondement constitutionnel des pouvoirs du Président de la République.- Selon l’article 13 de la Constitution « le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres ». Il dispose à la fois d’un pouvoir règlementaire et d’un pouvoir de nomination. Il peut également mettre en œuvre des compétences exceptionnelles qui lui sont spécifiquement attribuées dans les périodes de crise.
a- Pouvoir réglementaire
81.- Décrets et ordonnances.- Dans le cadre de l’exercice de son pouvoir règlementaire, le chef de l’Etat peut prendre des décrets et des ordonnances.
α- Décrets
82.- Objet et autorité compétente pour prendre des décrets.- Tous les décrets ne relèvent pas de l’exercice du pouvoir réglementaire, puisqu’on verra également qu’il existe des décrets de nomination. De même, tous les décrets ne sont pas l’œuvre du Président de la République. En effet, certains décrets peuvent également être pris par le Premier ministre. Pour les distinguer, on désigne les décrets du Président de la République par l’expression « décrets en Conseil des ministres ». Cette formule s’explique par le fait que c’est le chef de l’Etat qui préside le Conseil des ministres, et que toutes les mesures dont il est discuté dans ce cadre sont signées par lui. Il existe toutefois également des décrets du Président de la République qui ne sont pas soumis au Conseil des ministres. Il peut s’agir, par exemple, de décrets relatifs au domaine de la défense ou des affaires étrangères, mais cette liste n’est pas exhaustive le chef de l’Etat disposant, en la matière, d’une compétence discrétionnaire.
Dans certains cas, c’est une loi qui précise la nature de l’autorité qui doit prendre ses propres décrets d’application.
Dans les autres hypothèses, en revanche, il n’existe aucun moyen de déterminer à l’avance qu’elle est l’autorité compétente pour prendre un décret. Tout est alors question de rapports de forces politiques. En période de concordance des majorités, c’est le Président de la République qui fixe librement l’ordre du jour du Conseil des ministres. Par conséquent, il lui est possible d’attirer dans son champ de compétence toutes les matières dont il souhaite connaître au détriment du Premier ministre. Toutefois, la pratique démontre que cette faculté a été très peu utilisée. De fait, il existe dans le droit positif beaucoup plus de décrets du Premier ministre que de décrets pris en Conseil des ministres. Ceci étant, dès lors qu’un décret a été pris en Conseil des ministres, il ne peut plus être modifié ou abrogé que par un autre décret en Conseil des ministres (CE Ass., 10 septembre 1992, requête numéro 140376, Meyet : Rec., p. 327, concl. Kessler ; AJDA 1992, p. 643, chron. Maugüé et Schwartz ; D. 1993, jurispr. p. 293, note Gohin ; JCP G 1993, I, comm. 3645, chron. Picard ; RDP 1992, p. 1799, concl. Kessler et p. 1822, note Le Bos-Le-Pourhiet).
83.- Décrets pris sur avis du Conseil d’Etat.- Il existe également des décrets pris sur avis du Conseil d’Etat. Dans ce cas, il peut s’agir soit de décrets relevant de la compétence du Premier ministre, ce qui est le cas le plus fréquent, soit de décrets en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Les articles 38 et 39 alinéa 2 de la Constitution, ainsi que l’article L. 112-1 du Code de justice administrative, précisent que la consultation du Conseil d’Etat est obligatoire avant que les projets de lois et d’ordonnances n’aient été délibérés en Conseil des ministres. S’agissant des projets de lois, les documents relatifs à leur étude d’impact sont également transmis au Conseil d’Etat (Loi organique n°2009-403 du 15 avril 2009, art. 8).
En revanche, cette consultation est en principe facultative pour les décrets (on parle alors de décrets sur avis du Conseil d’Etat) sauf, d’une part, dans le cas où la saisine du Conseil d’Etat est rendue obligatoire par un texte et pour la modification des décrets pris dans le cadre de cette procédure (CE Ass., 3 juillet 1998, requête numéro 177248, requête numéro 177320, requête numéro 177387, Syndicat national de l’environnement CFDT : Rec., p. 272 ; AJDA 1998, p. 780, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP G 1999, I, comm. 128, chron. Petit ; LPA 12 janvier 1999, n°8, note Moniolle; RFDA 1998, p. 1059) et, d’autre part, lorsque le gouvernement a recours à la procédure de délégalisation de l’article 37 alinéa 2 de la Constitution lorsque la loi en cause a été adoptée avant l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958.
Dans toutes ces hypothèses, les autorités exécutives ont l’obligation de saisir le Conseil d’Etat. L’absence de consultation du Conseil d’Etat, dans les cas où celle-ci est obligatoire, constitue un vice de procédure qui doit être soulevé d’office par le juge en cas de litige, c’est-à-dire même si ce moyen n’a pas été soulevé par le requérant (CE, 11 octobre 2010, requête numéro 312284, Syndicat unitaire travail emploi formation insertion : Rec., p. 611.- CE, 17 juillet 2013, requête numéro 358109, Syndicat national des professionnels de santé au travail : AJDA 2013, p. 733, chron. Domino et Bretonneau ; JCP A 2013, comm. 2373, note Le Bot).
En revanche, les autorités exécutives ne sont pas tenues de suivre l’avis qui a été formulé, mais dans ce cas elles s’exposent ultérieurement à une éventuelle annulation de l’acte réglementaire par le juge de l’excès de pouvoir ou à une invalidation de la loi par le Conseil constitutionnel. Quoiqu’il en soit, le gouvernement peut décider de maintenir son texte dans sa rédaction initiale malgré un avis négatif du Conseil d’Etat, comme il peut l’abandonner ou renoncer à son projet. Il peut également retenir, sur certains points, la rédaction initiale du texte, et sur d’autres faire siennes les modifications suggérées par le Conseil d’Etat (CE, 16 octobre 1968, requête numéro 69186, requête numéro 69206, requête numéro 70749, Union nationale des grandes pharmacies de France : Rec., p. 488). En revanche, il n’a pas la possibilité de retenir une nouvelle rédaction du texte qui constituerait alors un nouveau projet nécessitant une nouvelle saisine du Conseil d’Etat (CE, 9 février 1994, requête numéro 129243, Préfet de Seine-et-Marne : Rec., p. 60.- CE, 3 juin 2009, requête numéro 321841, CIMADE et a.).
Sur cette question, le Conseil constitutionnel a toutefois une position plus nuancée concernant les projets de lois puisqu’il estime que « l’ensemble des questions posées par le texte adopté par le Conseil des ministres doivent avoir été soumises au Conseil d’Etat lors de sa consultation » (CC, 3 avril 2003, Loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, numéro 2003-468 DC : JO 2 avril 2003, p. 6493 ; Rec. CC 2003, p. 325 ; Collectivités-Intercommunalité 2003, 5 et 6). Il en résulte que si le Conseil d’Etat doit être consulté sur toutes les questions soulevées par le texte, toute modification de celui-ci postérieure à la consultation n’est pas interdite (CC, 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, numéro 2006-535 DC : JO 2 avril 2006, p. 4964 ; AJDA 2006, p. 1961, note Geslot LPA, 5 avril 2006, n°68 p. 3 et 6 avril 2006, n°69 p. 3, note Schoettl ; RDP 2006, p. 769, note Camby). Par ailleurs, rien n’interdit la modification d’un projet de loi, postérieurement à son examen par le Conseil d’État, par la voie d’amendements parlementaires.
S’agissant de la procédure, le projet est d’abord soumis à la section administrative compétente en vue de son instruction, telle que cette compétence est déterminée par l’arrêté conjoint du Premier ministre et du garde des Sceaux du 28 juillet 2019 portant répartition des affaires entre les sections administratives du Conseil d’Etat. Ce rôle consultatif ne concerne toutefois que les sections de l’intérieur, des finances, des travaux publics, de l’administration ainsi que la section sociale. La section du rapport et des études joue un autre rôle puisqu’elle a pour principale mission d’attirer l’attention de l’exécutif sur des questions de portée générale, et suggérer des réformes dans son rapport annuel. Elle peut également procéder à des études à la demande du Premier ministre et elle joue un rôle important en matière d’exécution des décisions de justice.
Une fois l’instruction terminée, l’avis est rendu par la section ou par l’assemblée générale ordinaire qui comprend notamment le vice-président du Conseil d’Etat et les différents présidents de sections. Cette dernière instance est compétente en principe dans le cadre de la procédure de délégalisation visée par l’article 37 alinéa 2 de la Constitution. Elle peut également être saisie dans d’autres hypothèses en cas de difficultés importantes (CJA, art. R. 123-20). Par ailleurs, l’assemblée générale ordinaire peut toujours décider le renvoi d’une affaire à l’assemblée générale plénière qui est une formation plus solennelle du Conseil d’Etat.
β- Ordonnances
84.- Catégories d’ordonnances.- Depuis la loi constitutionnelle n°95-880 du 4 août 1995, qui a supprimé le titre XVII de la Constitution, la catégorie des ordonnances de l’article 92 n’existe plus. En réalité, cependant, les ordonnances qui relevaient de cette catégorie étaient depuis longtemps tombées en désuétude puisqu’elles avaient pour objet la mise en place des institutions de la V° République.
Exemple :
– L’ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances définissait les règles particulières d’adoption du budget de l’Etat.
- Ordonnances de l’articles 74-1
85.- Extension des lois outre mer.- En revanche, la loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 (JO 28 mars 2003) a créé une nouvelle catégorie d’ordonnances visée par le nouvel article 74-1 de la Constitution. Cet article autorise le gouvernement à agir de façon permanente afin d’étendre, par ordonnance, les lois en vigueur en métropole aux collectivités d’outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie. Il a été jugé qu’une loi d’habilitation ne saurait par elle-même, sans disposition expresse en ce sens, autoriser le gouvernement à procéder à une telle extension. Cet oubli peut toutefois être corrigé. Ainsi, même si les ordonnances prévues par l’article 38 de la Constitution et celles prévues par son article 74-1 sont prises sur le fondement d’habilitations différentes et n’obéissent pas aux mêmes règles de ratification, cette circonstance ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu’une même ordonnance puisse comporter des dispositions prises en vertu d’une loi d’habilitation adoptée sur le fondement de l’article 38 et des dispositions prises, après avis des assemblées délibérantes intéressées, en vertu de l’habilitation donnée au gouvernement par l’article 74-1 (CE, 15 juillet 2020, requête numéro 436155, Polynésie française : AJDA 2020, p. 2501, note Verpeaux).
- Ordonnances prises sur l’habilitation référendaire
86.- Une pratique non prévue par la Constitution.- Il existe également une catégorie dégagée par la pratique : celle des ordonnances prises sur habilitation référendaire en application de l’article 11 de la Constitution (CE Ass., 19 octobre 1962, requête numéro 58502, Canal, Robin, Godot : AJDA 1962, p. 612, obs. de Laubadère ; Rev. adm. 1962, p. 623, note Liet-Veaux ; JCP G 1963, II, comm. 13068, note Debbasch.- V. également TA Montpellier, 4 décembre 1966, Douaita : Rec. tables, p. 773).
Si l’on s’en tient au texte de la Constitution, dans sa rédaction actuelle, il faut distinguer quatre autres catégories d’ordonnances.
- Ordonnances de l’article 16
87.- Une hypothèse réservée aux crises graves.- Il s’agit tout d’abord des ordonnances de l’article 16 qui permettent au chef de l’Etat de prendre des mesures rapides en cas de situation de crise grave. Leur régime est tout à fait particulier et fera l’objet de développements ultérieurs.
- Ordonnances de l’article 47, alinéa 3
88.- Une hypothèse réservée à la procédure d’adoption de la loi de finances.- Doivent ensuite entre mentionnées les ordonnances de l’article 47 alinéa 3 qui touchent au domaine de l’adoption de la loi de finances. Selon ce texte « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet (de loi de finances) peuvent être mises en vigueur par ordonnance. ». La possibilité ouverte par cet article n’a toutefois jamais été utilisée.
- Ordonnances de l’article 47-1
89.- Une hypothèse réservée à la procédure d’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale.- Dans le même ordre d’idée, les ordonnances de l’article 47-1 ont été introduites dans la Constitution par la loi constitutionnelle n°96-138 du 22 février 1996. Ces ordonnances concernent l’adoption de la loi de financement de la sécurité sociale. Selon cet article « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet (de loi de financement de la sécurité sociale) peuvent être mises en œuvre par ordonnance ».
- Ordonnances de l’article 38
90.- Une hypothèse fréquente.- Enfin, la principale catégorie d’ordonnances est celle visée par l’article 38 de la Constitution. Ces ordonnances succèdent aux décrets-lois des troisième et quatrième Républiques. Les décrets-lois, comme les ordonnances, constituent une entorse à la répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir règlementaire. Leur intervention est fréquente même si, d’un gouvernement à l’autre, la pratique en la matière est très variable.
En application de l’article 38, le Parlement va adopter une loi autorisant le gouvernement à prendre par ordonnances des mesures qui relèvent normalement de sa compétence. Ceci signifie que les détenteurs du pouvoir règlementaire vont pouvoir prendre des mesures relevant normalement de l’article 34 de la Constitution.
Plus précisément, le Parlement est amené à intervenir deux fois.
91.- Loi d’habilitation.- En premier lieu, il adopte une loi d’habilitation qui doit impérativement préciser trois éléments.
Il s’agit, d’abord, des domaines dans lesquels le gouvernement est habilité à intervenir, c’est-à-dire nécessairement l’une des matières visées par l’article 34 de la Constitution.
La loi doit également mentionner la durée de l’habilitation. A l’issue du délai d’habilitation, qui est généralement compris entre trois mois et un an, le gouvernement ne peut plus prendre d’ordonnances. Si tel était le cas, la mesure prise serait illégale en raison de l’incompétence de son auteur. En outre, à l’issue de ce délai, les ordonnances prises ne peuvent plus être modifiées que par le législateur.
Enfin, la loi d’habilitation doit mentionner une date avant laquelle le gouvernement doit déposer un projet de loi de ratification. Si le gouvernement ne respecte pas cette obligation, les ordonnances deviennent caduques (CE, 2 avril 2003, requête numéro 246748, Conseil régional de Guadeloupe : Rec., p. 162 ; Dr. adm. 2003, comm. 163, note Maugüé). Ceci signifie qu’elles disparaissent de l’ordonnancement juridique, comme dans l’hypothèse où le Parlement refuse de ratifier les ordonnances en rejetant le projet de loi de ratification.
La loi d’habilitation doit respecter les principes constitutionnels (CC, 5 janvier 1982, numéro 81-134 DC, Loi d’orientation autorisant le gouvernement par application de l’article 38 de la Constitution, à prendre des mesures d’ordre social). Le projet de loi doit indiquer de façon précise la finalité des mesures et leur domaine d’intervention (CC, 26 juin 1986, numéro 86-207 DC, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social), mais ces indications peuvent également être données lors du dépôt du projet de loi ou des débats parlementaires (même décision). Cependant, il n’est pas exigé du gouvernement qu’il fasse connaître au Parlement la teneur exacte des ordonnances qu’il entend prendre (même décision).
La loi d’habilitation produit effet jusqu’au terme qu’elle prévoit « sans qu’y fasse obstacle la circonstance que le gouvernement en fonction à la date de l’entrée en vigueur de la loi d’habilitation diffère de celui en fonction à la date de signature d’une ordonnance » (CE Sect., 5 mai 2006, requête numéro 282352, Schmitt : AJDA 2006, p. 1362, chron. Landais et Lenica ; RFDA 2006, p. 678, concl. Kessler).
92.- Loi de ratification.- En second lieu, le Parlement adopte une loi de ratification.
La jurisprudence admettait à l’origine que cette ratification puisse être seulement implicite. Comme l’a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision numéro 72-73 DC du 29 février 1972 (Nature juridique de certaines dispositions des articles 5 et 16 de l’ordonnance, modifiée, du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises) cette ratification devait résulter d’une volonté « implicite, mais clairement exprimée ». De même, dans sa décision numéro 86-224 DC du 23 janvier 1987 (Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, préc.), le Conseil constitutionnel avait admis que la ratification pouvait procéder d’une loi « qui, sans avoir cette ratification pour objet direct, l’implique nécessairement ».
Cette solution n’est toutefois plus d’actualité depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, l’article 38 de la Constitution précise désormais que les ordonnances « ne peuvent être ratifiées que de manière expresse ». Il en résulte qu’une loi qui modifie une disposition introduite par voie d’ordonnance n’entraîne plus sa ratification (CC, 5 juillet 2013, numéro 2013-331 QPC, Numéricâble).
Tant que la loi de ratification n’a pas été adoptée les mesures prises par ordonnance ont valeur réglementaire (CE Ass., 24 novembre 1961, requête numéro 52262, Fédération nationale des syndicats de police : Rec., p. 658). En revanche, la loi de ratification confère rétroactivement valeur législative aux ordonnances, ce qui a pour effet de rendre sans objet une requête en annulation (CE, 23 octobre 2002, requête numéro 232945, Laboratoire Juva-Santé : Rec., p. 881 ; AJDA 2003, p. 27, note Costa ; Dr. adm. 2003, 5).
Cette position a toutefois été nuancée par le Conseil d’Etat qui a admis que la légalité d’une ordonnance pouvait être contestée si la loi de ratification est incompatible avec une convention internationale, ou, dans un domaine entrant dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, avec les stipulations de cet article (CE, 17 mai 2002, requête numéro 232359, Hoffer : Rec., p. 584 ; AJDA 2000, p. 985, chron. Guyomar et Collin ; RFDA 2002, p. 917, concl. Maugüé).
Surtout, le Conseil constitutionnel considère désormais qu’une fois expiré le délai d’habilitation, l’ordonnance constitue une « disposition législative » au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Elle est en conséquence susceptible de faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (CC, 28 mai 2020, numéro 2020-843 QPC, Association Force 5 : Dr. adm. 2020, comm. 48, note Eveillard ; D. 2020, p. 1390, note Perroud ; JCP G 2020, comm. 779, obs. Levade .– CC, 3 juillet 2020, numéro 2020-851/852 QPC, Aït Oufella et Herif : JCP G 2020, comm. 915, obs. Levade ; JCP A 2020, act. 350, Libres-propos Verpeaux; JPC G 2020, doctr. 1267, étude Avril. ; RFDA 2020, p. 887, note Barthélemy ; RTD civ. 2020, p. 596, note Deumier). Ceci ne signifie pas pour autant que l’ordonnance non ratifiée dispose d’une valeur législative, mais seulement qu’elle rentre dans le champ du contrôle du juge constitutionnel, ce qui apparaît logique dès lors qu’après l’expiration du délai d’habilitation, malgré sa valeur juridique inchangée, l’ordonnance ne peut plus être modifiées ou abrogée que par le législateur ou sur le fondement d’une nouvelle habilitation qui serait donnée au gouvernement (CE Ass., 11 décembre 2006, requête numéro 279517, Conseil national de l’ordre des médecins : Rec., p. 510 ; AJDA 2007, p. 133, chron. Landais et Lenica). Cette évolution de la jurisprudence constitutionnelle a conduit le Conseil d’Etat à adapter sa propre jurisprudence, mais sans pour autant la bouleverser (CE, Ass., 16 décembre 2020, requête numéro 440258, CFDT-Finances et a. : Rec., p. 467, concl. Villette ; AJDA 2021, p. 258, chron. Malverti et Beaufils ; Dr. adm. 2021, comm. 12, note Eveillard; JCP A 2020, act. 736, obs. Erstein ; JCP A 2021, comm. 2037, Pauliat ; JCP G 2021, comm. 192, note Prétot ; Procédures 2021, comm. 54, note Chifflot ; RFDA 2021, p. 171, concl. Villette).
Comme le précise dans ses conclusions sur l’arrêt Conseil national des architectes du 1er juillet 2020 le rapporteur public Guillaume Odinet, si les dispositions de l’ordonnance sont législatives son « enveloppe, quelle que soit la nature de son contenu, demeure administrative» (requête numéro 429132). Ainsi, tant que l’ordonnance n’a pas été ratifiée, elle peut toujours être contestée devant le Conseil d’Etat. Mais lorsque le délai d’habilitation accordé par le Parlement est expiré, la contestation de l’ordonnance non ratifiée au regard des droits et libertés garantis par la Constitution peut désormais prendre la forme d’une question prioritaire de constitutionnalité. Dans ce cas si la question est « sérieuse ou nouvelle », le Conseil d’Etat devra la transmettre au Conseil constitutionnel (CC, 15 janvier 2021, numéro 2020-872 QPC). Cela n’empêchera toutefois pas le Conseil d’Etat de contrôler la conformité de l’ordonnance aux autres règles et principes de valeur constitutionnelle que ceux invoqués dans le cadre du renvoi au Conseil constitutionnel, aux engagements internationaux de la France, aux limites fixées par le Parlement dans la loi d’habilitation et aux principes généraux du droit, ainsi qu’à des règles de compétence, de forme et de procédure. Il pourra ainsi annuler l’ordonnance illégale, indépendamment du sort réservé à la question prioritaire de constitutionnalité transmise pour un autre motif au Conseil constitutionnel.
La sanction infligée à l’ordonnance entachée d’inconstitutionnalité n’est pas la même selon le juge saisi : si le Conseil d’Etat dispose du pouvoir d’annuler rétroactivement l’acte, le Conseil constitutionnel ne peut qu’abroger les dispositions inconstitutionnelles. Cette différence dans les pouvoirs des juges est susceptible de poser des difficultés. Le Conseil d’Etat considère que lorsqu’il est conduit à renvoyer au Conseil constitutionnel l’acte dont il est lui-même saisi, l’abrogation des dispositions litigieuses prononcées par le Conseil constitutionnel ne rend pas sans objet les conclusions à fin d’annulation déposées devant lui, celles-ci pouvant d’ailleurs se fonder sur d’autres moyens que l’inconstitutionnalité. Mais par souci de cohérence, et pour respecter l’autorité de la chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel (Constitution 4 octobre 1958, art. 62), le Conseil d’Etat a précisé que lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré l’inconstitutionnalité d’une ordonnance de l’article 38 non ratifiée sans moduler les effets dans le temps de sa décision, le Conseil d’Etat doit procéder à l’annulation rétroactive de cette ordonnance (CE Sect., 26 juillet 2022, requête numéro 449040, UNSA Fonction publique : AJDA 2022, p. 1779, chron. Janicot et Pradines Dr. adm. 2022, comm. 40, note Eveillard ; JCP A 2022, act. 500, obs. Erstein ; JCP A 2022, comm. 2281, note Etame Sone ; RFDA 2022, p. 793, concl. Cytermann). En revanche, toujours au regard du respect de l’autorité de la chose jugée, si le Conseil constitutionnel utilise son pouvoir de modulation et précise en conséquence le champ d’application temporel de sa déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil d’Etat a l’obligation de respecter le cadre temporel ainsi défini (CE, 4 août 2021, requête numéro 447916, requête numéro 448388, requête numéro 448962, Syndicat des avocats de France et a.).
Une ordonnance ratifiée peut elle aussi – bien évidemment – faire l’objet de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (CC, 17 mars 2011, numéro 2010-107 QPC, Syndicat mixte chargé de la gestion du contrat urbain de cohésion sociale de l’agglomération de Papeete).
Il est important de relever que s’il existe un délai pour le dépôt du projet de loi de ratification, il n’en existe aucun concernant la ratification elle-même par le Parlement. Dans ce cas, l’ordonnance ne sera pas pour autant frappée de caducité (CE Sect., 3 novembre 1961, requête numéro 53155, Damiani : Rec., p. 607).
Tant que les ordonnances présentent ce caractère, elles peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, dans le délai de recours contentieux, y compris celles qui sont prises sur une habilitation référendaire en application de l’article 11 de la Constitution (CE Ass., 19 octobre 1962, requête numéro 58502, Canal, Robin, Godot, préc.).
L’annulation de l’ordonnance sera prononcée si ses dispositions ne sont pas conformes à la loi d’habilitation, c’est-à-dire si le gouvernement empiète dans des matières de l’article 34 pour lesquelles il n’a pas reçu d’habilitation.
Enfin, dans le cas où le délai du recours pour excès de pouvoir est expiré, les requérants seront autorisés à exciper de l’illégalité de la mesure prise par voie d’ordonnance dans le cadre d’un recours dirigé contre un acte administratif pris en application d’une telle mesure.
Exemple :
– CE, 1er décembre 1997, requête numéro 176352, CPAM de la Sarthe : l’article 1er (3°) de la loi n°95-1348 du 30 décembre 1995 habilitait le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnances dans le cadre de l’article 38 de la Constitution, toutes mesures relatives aux relations entre les organismes de sécurité sociale et les professions médicales et paramédicales en vue « d’améliorer la qualité des soins et la maîtrise des dépenses de santé ». Le gouvernement, en prévoyant que les litiges qui peuvent survenir à l’occasion de la décision d’une caisse primaire d’assurance maladie de placer un professionnel hors de l’une des conventions, qui relevaient de la compétence des tribunaux administratifs, relèveraient désormais de la compétence des tribunaux des affaires de la sécurité sociale, a, sans y avoir été autorisé, modifié les règles de répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires. L’article 28-I de l’ordonnance du 24 avril 1996 modifiant l’article L.162-34 du Code de la sécurité sociale est donc illégal. La décision de la commission nationale de conciliation de la convention médicale prise sur le fondement de ces dispositions est annulée.
b- Pouvoir de nomination
93.- Fondement constitutionnel.- L’article 13 alinéa 2 de la Constitution prévoit que « le Président de la République nomme aux emplois civils et militaires de l’Etat ».
94.- Décrets de nomination en conseil des ministres.- L’article 13 alinéa 3 énumère les emplois de la fonction publique dont la nomination est réservée au Président de la République par décret en conseil des ministres. Ceci concerne : « les conseillers d’Etat, le grand chancelier de la Légion d’honneur, les ambassadeurs et envoyés extraordinaires, les conseillers maîtres à la Cour des Comptes, les préfets, les représentants de l’Etat dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officiers généraux, les recteurs des académies, les directeurs des administrations centrales ».
Cette liste n’est cependant pas limitative puisque l’article 13 alinéa 4 précise qu’une « loi organique détermine les autres emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres ainsi que les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être par lui délégué pour être exercé en son nom ».
En application de ces dispositions, l’ordonnance n°58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’Etat a été adoptée. L’article 1er de ce texte prévoit que « outre les emplois visés à l’article 13 (§ 3) de la Constitution, il est pourvu en Conseil des ministres : à l’emploi de procureur général près la Cour des comptes ; aux emplois de direction dans les établissements publics, les entreprises publiques et les sociétés nationales quand leur importance justifie inscription sur une liste dressée par décret en conseil des ministres ; aux emplois pour lesquels cette procédure est actuellement prévue par une disposition législative ou réglementaire particulière ». Il est à noter que ce texte a été modifié par la loi n°2016-1090 du 8 août 2016 qui soustrait au pouvoir de nomination du Président de la République les emplois de procureur général près la Cour de cassation et de procureur général près une cour d’appel, et cela dans le but de renforcer l’indépendance des magistrats du parquet.
95.- Décrets simples de nomination.- Selon l’article 2 du même texte sont nommés par le Président de la République, mais par décret simple, c’est-à-dire en dehors du Conseil des ministres « les membres du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes ; les magistrats de l’ordre judiciaire ; les professeurs de l’enseignement supérieur, les officiers des armées de terre, de mer et de l’air. Sont en outre nommés par décret du Président de la République, à leur entrée dans leurs corps respectifs, les membres des corps dont le recrutement est normalement assuré par l’Ecole Nationale d’Administration (aujourd’hui l’Institut national du service public), les membres du corps préfectoral, les ingénieurs des corps techniques dont le recrutement est en partie assuré conformément au tableau de classement de sortie de l’Ecole Polytechnique ».
Ce texte n’est donc pas très bien rédigé puisqu’il vise par recoupement certains emplois déjà mentionnés par l’article 13 alinéa 3 de la Constitution. Par exemple, alors que cet article vise les « conseillers d’Etat » et les « conseillers maîtres à la Cour des comptes », ce qui correspond aux grades les plus élevés dans ces institutions, l’ordonnance du 28 novembre 1958 mentionne « les membres du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes ». Il vise également le corps préfectoral qui a disparu depuis l’entrée en vigueur du décret n°2022-491 du 6 avril 2022 relatif aux emplois de préfet et de sous-préfet.
L’article 1er de l’ordonnance du 28 novembre 1958 précise également que le pouvoir présidentiel de nomination s’étend « aux emplois pour lesquels cette procédure est actuellement prévue par une disposition législative ou règlementaire particulière ».
96.- Encadrement du pouvoir de nomination.- Enfin, en vue de mieux encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété l’article 13 de la Constitution par un alinéa 5 qui prévoit que « une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée » (V. sur ce point la loi organique n°2010-837, 23 juillet 2010). Selon les mêmes dispositions « le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés » (V. loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, modifiée par la loi n°2013-1028 du 15 novembre 2013, par la loi n°2015-990 du 6 août 2015, par la loi n°2017-1339 du 15 septembre 2017, par la loi n°2020-366 du 30 mars 2020 et par la loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021).
Exemple :
– L’article 3 de la loi du 23 juillet 2010 prévoit que « dans chaque assemblée parlementaire, la commission permanente compétente pour émettre un avis sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel, effectuées sur le fondement du premier alinéa de l’article 56 de la Constitution, est la commission chargée des lois constitutionnelles ».
La loi organique n°2009-257 du 5 mars 2009 (JO 7 Mars 2009) avait soumis à cette procédure la nomination des présidents des sociétés France Télévisions et Radio-France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. Toutefois ces dispositions ont été abrogées par la loi susvisée du 15 novembre 2013, qui revient au principe d’une nomination de ces autorités par le Conseil supérieur de l’audiovisuel devenu l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique.
La Constitution ne vise expressément, comme relevant de la procédure du dernier alinéa de l’article 13, que les fonctions de membres du Conseil constitutionnel, de personnalités qualifiées au Conseil supérieur de la magistrature et de Défenseur des droits (Constitution, art. 56, 65 et 71-1). Cette liste est complétée par une cinquantaine d’institutions énumérées par l’annexe de la loi organique du 23 juillet 2010 qui vise notamment les présidents de différentes autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes.
Notons aussi qu’il a été jugé que le refus du président d’une assemblée de réunir la commission compétente pour se prononcer sur une nomination en application de l’article 13, alinéa 5, de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que cette nomination soit prononcée par l’autorité compétente, dès lors que la commission a disposé d’un délai raisonnable pour émettre son avis (CE, 13 décembre 2017, requête numéro 411788, Président du Sénat : Dr. adm. 2018, comm. 19, note Eveillard).
On peut enfin douter de l’efficacité de ce garde-fou. De fait, il a fallu attendre le 12 avril 2023 pour voir les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et de Sénat bloquer la nomination d’un candidat proposé par le chef de l’Etat (il s’agissait en l’occurrence de M. Boris Ravignon en vue de sa reconduction à la tête de l’Agence pour la transition écologique).
c- Compétences exceptionnelles
97.- Ordonnances de l’article 16.- Il s’agit des compétences qui sont visées par l’article 16 de la Constitution selon lequel: « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel ».
Ces dispositions ont été complétées par un dernier alinéa suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui tente de mieux encadrer le pouvoir présidentiel : « après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée ».
Les mesures prises dans ce cadre par le Président de la République sont des ordonnances. L’article 16 n’a été utilisé qu’une seule fois entre le 23 avril et le 29 septembre 1961, lors du « putsch des généraux » organisé par des militaires partisans de l’Algérie française.
En raison de la crise, le Président de la République peut intervenir à la fois dans le domaine règlementaire et dans le domaine législatif défini à l’article 34 de la Constitution. En revanche ces dispositions n’autorisent pas le chef de l’Etat à réviser la Constitution (CC, 15 mars 1999, numéro 99-410 DC, Loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie).
Le statut des ordonnances de l’article 16 a été précisé par le Conseil d’Etat dans un arrêt d’Assemblée du 2 mars 1962, Rubin de Servens et a. (requête numéro 55049, requête numéro 55055 : Rec. p.143 ; AJDA 1962, p.214, note Galabert et Gentot ; D. 1962, p.109, note Morange ; JCP 1962, I, comm. 1711, note Lamarque ; JCP 1962, II, comm. 12613, concl. Henry ; RDP 1962, p.288, note Berlia ; S. 1962, p.147, note Bourdoncle). Il résulte de cet arrêt deux apports majeurs.
D’une part, la décision même de recourir à l’article 16 est insusceptible de recours contentieux. D’autre part, pour ce qui concerne les mesures prises en application de l’article 16, deux cas de figure doivent être envisagés. Si la mesure contestée relève du domaine de loi, en vertu de l’article 34 de la Constitution, le recours pour excès de pouvoir est irrecevable. En revanche, si cette mesure relève du domaine réservé au pouvoir règlementaire par l’article 37 de la Constitution, le recours pour excès de pouvoir est recevable.
2° Services
98.- Personnels.- Les services de l’Elysée regroupent environ 1000 personnes qui sont nommées de façon discrétionnaire par décret du Président de la République. Jusqu’à récemment, ces agents, lorsqu’ils sont fonctionnaires, étaient mis à disposition par leur administration d’origine qui assurait leur rémunération. A compter de 2008, l’intégralité des salaires de ces agents a été réintégré dans le budget global de la présidence.
99.- Cabinet.- Il n’existe aucun texte relatif à l’organisation des services de la présidence de la République. Le principal de ces services est le cabinet du Président de la République. On trouve à la tête de cette structure un secrétaire général assisté d’un ou de plusieurs secrétaires généraux adjoints. Le cabinet est également composé de conseillers techniques spécialisés et de conseillers adjoints qui ont pour mission de conseiller le Président de la République dans des domaines précis. Chaque conseiller est chargé de suivre l’actualité dans le domaine qui lui est affecté et il réunit toutes les informations utiles à la décision présidentielle. Sous la présidence Hollande, ces conseillers ont été répartis entre cinq pôles. Sous la présidence Macron, en 2021, ils sont répartis en 8 pôles : régalien ; diplomatique ; social et santé ; éducation nationale, enseignement supérieur, recherche et innovation, sports, culture ; économie ; écologie, agriculture, énergie, transports, logement ; politique et parlementaire ; communication.
Il existe, par ailleurs, des conseillers qui dépendent plus directement du Président. Ils constituent ce qu’il est coutume d’appeler « l’équipe rapprochée du Président ». C’est le cas par exemple, sous la présidence Macron, du conseiller « conseiller diplomatique, sherpa G20, sherpa G7 », du conseiller « mémoire » ou encore du « conseiller en charge du conseil national de la refondation » (V. A. 14 septembre 2022 portant cessation de fonctions et nomination à la présidence de la République : JO 16 septembre 2022, texte n°1).
Le cabinet a également pour mission de préparer les conseils des ministres et d’assurer la liaison avec son homologue à Matignon, le secrétariat général du Premier ministre, ainsi qu’avec les différents ministères. Bien évidemment, le rôle de cet organe est prépondérant en période de concordance des majorités. En revanche, son rôle décroît, au bénéfice du secrétariat général du gouvernement, durant les périodes de cohabitation.
Il faut également souligner l’existence d’un directeur de cabinet lequel, contrairement au secrétaire général, a une fonction plus administrative que politique. Il est principalement chargé de coordonner les différents services de la présidence et d’établir le budget de la présidence. Le chef de cabinet a quant à lui pour principale mission l’organisation de la vie quotidienne du Président de la République. Il organise notamment son emploi du temps ainsi que ses voyages.
100.- Etat-major particulier du Président de la République.- Enfin, en dehors des services civils de l’Elysée, il faut également relever l’existence de l’Etat-major particulier du Président de la République qui est également rattaché au cabinet du Président de la République. D’après l’article 15 de la Constitution, en effet « le Président de la République est le chef des armées ». Il en résulte qu’il est compétent pour décider des actions extérieures, en ayant recours, le cas échéant, à l’engagement des forces nucléaires.
Ce service regroupe des officiers généraux des différents corps d’armée. Son rôle en matière militaire est équivalent à celui du secrétariat général en matière civile. Il a pour objet d’informer le Président de la République sur les questions de défense nationale et de l’aider dans la prise de décisions relevant de sa compétence : nomination d’officiers, préparation des conseils de défense. Cet organe travaille en liaison étroite avec l’Etat-major du Premier ministre et le ministère de la défense.
Le chef d’Etat-major particulier relève de l’autorité directe du Président de la République.
101.- Autres services.- Parmi les autres services de la présidence, le décret n°2017-1095 du 14 juin 2017 a créé un coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, à la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et au centre national de contre-terrorisme. Comme le précise l’article R. 1122-8 du Code de la défense il a notamment pour mission de conseiller le Président de la République dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Les autres services de la présidence relèvent d’un directeur général des services.
B- Premier ministre
102.- Attributions et services.- On étudiera les attributions du Premier ministre avant d’évoquer les services placés sous son autorité.
1° Attributions
103.- Une compétence étendue.- S’il ne dispose pas de pouvoirs exceptionnels reconnus par la Constitution, le Premier ministre exerce une compétence de droit commun en matière administrative. Le domaine très étendu de cette compétence est une conséquence logique de la combinaison des articles 20 et 21 de la Constitution. Selon l’article 20 : « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée ». L’article 21 précise quant à lui que « le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir règlementaire et nomme aux emplois civils et militaires. ». Par ailleurs, dans la logique d’un régime parlementaire, le Premier ministre contresigne la majorité des actes édictés par le Président de la République.
a- Direction de l’action du gouvernement
104.- Une direction plus ou moins affirmée.- La direction effective de l’action gouvernementale dépend essentiellement du rapport de force existant entre le Premier ministre et le Président de la République. Si en période de cohabitation la primauté du Premier ministre est incontestable en la matière, elle l’est beaucoup moins en période de concordance des majorités.
Il faut noter, par ailleurs, que cette fonction de direction du gouvernement n’implique pas l’existence d’un lien hiérarchique entre le Premier ministre et les différents membres du gouvernement (CE, 12 novembre 1965, requête numéro 55315, Compagnie marchande de Tunisie : AJDA 1966, p. 167). En revanche, il existe une hiérarchie protocolaire ainsi qu’une hiérarchie politique qui est liée au choix discrétionnaire des ministres par le Président de la République sur proposition du Premier ministre. Au final, la mission du Premier ministre s’apparente toutefois davantage à une mission de coordination de l’action gouvernementale qu’à une mission de direction au sens hiérarchique du terme.
b- Exécution des lois
105.- Pouvoir réglementaire général.- La formulation employée par l’article 21 de la Constitution signifie que le Premier ministre est titulaire du pouvoir règlementaire général, ce qui n’était pas le cas sous les Troisième et Quatrième Républiques, durant lesquelles ce pouvoir appartenait au Président de la République. Il est donc compétent pour prendre des mesures règlementaires, y compris lorsque aucun texte ne lui confère expressément cette compétence (CE, 28 juin 1918, requête numéro 63412, Heyriès : Rec., p. 651 ; S. 1922, III, p. 49, note Hauriou.- CE, 8 août 1919, requête numéro 56377, Labonne : Rec., p. 737).
Dans ce sens, le Conseil d’Etat a jugé qu’il résulte « des dispositions combinées des articles 13 et 21 de la Constitution qu’à l’exception des décrets délibérés en Conseil des ministres, le Président de la République n’exerce pas le pouvoir règlementaire » (CE, 27 avril 1962, requête numéro 50032, requête numéro 50052, requête numéro 50053, requête numéro 50065, requête numéro 50066, requête numéro 50067, requête numéro 52187, Sicard et a. : Rec., p. 279 ; AJDA 1962, p. 284, chron. Galabert et Gentot).
Le Premier ministre est donc compétent dès lors qu’un décret n’est pas délibéré en Conseil des ministres, et sous réserve qu’un texte n’ait pas attribué compétence à une autre autorité administrative.
c- Pouvoir de nomination
106.- Une compétence étendue.- Selon l’article 21 alinéa 2 de la Constitution « sous réserve des dispositions de l’article 13 (le Premier ministre) … nomme aux emplois civils et militaires ».
Cependant, le Premier ministre exerce assez largement la faculté qui lui est conférée par ce même article qui prévoit également « (qu’il) peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres ». Il peut lui-même recevoir délégation du Président de la République pour certains emplois relevant de la compétence de celui-ci, ainsi que le prévoit l’article 13 alinéa 4 de la Constitution, qui renvoie lui-même à l’article 3 de l’ordonnance n°58-1136 du 28 novembre 1958.
d- Contreseing des actes pris par le Président de la République
107.- Une conséquence de la nature parlementaire de la Cinquième République.- L’article 19 de la Constitution précise que les actes du Président de la République «autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ». Cette exigence concerne à la fois des actes réglementaires et des actes individuels (CE, 31 janvier 1986, requête numéro 62347, Legrand : Rec., p. 23).
L’exigence du contreseing est la contrepartie de la nature parlementaire de la Cinquième République. En effet, dans un régime parlementaire, le chef de l’Etat, contrairement au Premier ministre, est irresponsable politiquement. Sous la Cinquième République le Président de la République n’est responsable pénalement des actes pris dans le cadre de ses fonctions qu’en cas de haute trahison (Constitution, art. 68).
Ceci signifie que le Parlement ne peut pas renverser le chef de l’Etat en cas de désaccord politique. En contresignant les actes du Président de la République, le Premier ministre endosse la responsabilité politique de ses actes, ce qui peut permettre au Parlement de le renverser.
2° Services
108.- Cabinet et secrétariat général.- Les principaux services dont dispose le Premier ministre sont le cabinet et le secrétariat général.
a- Cabinet
109.- Un organe à la discrétion du Premier ministre.- Le cabinet du Premier ministre regroupe les collaborateurs les plus proches du Premier ministre qui l’assistent dans l’élaboration de la politique gouvernementale. Le cabinet joue également un rôle de liaison avec les différents ministères et les services de la présidence de la République. Il est également en contact avec les principaux acteurs de la vie politique et sociale : Parlement, partis politiques, syndicats, médias, etc.
Le nombre d’agents affectés au cabinet du Premier ministre est variable en fonction des gouvernements, puisque cela va d’une quinzaine à plus d’une soixantaine de membres.
L’organisation du cabinet est laissée à la discrétion du Premier ministre. Cependant, on observe une certaine constance dans les structures. Le cabinet a à sa tête un directeur, assisté d’un ou de plusieurs directeurs adjoints, qui vont coordonner l’activité des conseillers – parfois dénommés conseillers techniques- qui en font partie et qui sont répartis entre différents pôles correspondant aux différents champs de compétence gouvernementale. Il peut également exister des conseillers personnels du Premier ministre, qui échappent à l’autorité du directeur de cabinet. Il existe aussi un chef de cabinet dont le rôle consiste principalement à organiser l’agenda du Premier ministre (V. par ex. A. 9 juin 2022 relatif à la composition du cabinet de la Première ministre : JO 10 juin 2022, texte n°25).
110.- Cabinet militaire.- Relevons également l’existence d’un cabinet militaire. L’existence du cabinet militaire est une conséquence de l’article 21 de la Constitution qui précise que le Premier ministre « est responsable de la défense nationale ».
b- Secrétariat général du gouvernement
111.- Composition.- Créé en 1935, cet organe, à la tête duquel est placé le secrétaire général du gouvernement assisté par un directeur, comprend environ entre 50 et 100 membres. Ce service comprend des conseilleurs, des chefs de missions, des chargés de missions ainsi que leurs adjoints.
112.- Missions.- Le secrétariat général du gouvernement assure quatre principales missions qui sont toutes d’ordre non pas politique mais technique.
Il est d’abord le conseiller juridique du gouvernement. Cette mission est assurée par le service législatif qui est notamment chargé de suivre la préparation des projets de lois, des mesures règlementaires et des décisions de nomination.
Il dirige ensuite les services qui relèvent directement du Premier ministre, comme par exemple la Direction de l’information légale et administrative (DILA), le Service d’information du Gouvernement (SIG), le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) ou encore le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Plus généralement le secrétariat général permet au Premier ministre d’exercer concrètement sa mission de direction des services administratifs de l’Etat qui lui sont rattachés.
Il est aussi chargé de préparer le Conseil des ministres et les comités interministériels. A ce titre, le secrétaire général du gouvernement assiste au conseil des ministres dont il prépare l’ordre du jour.
Il joue enfin un rôle essentiel dans le cadre de la formation d’un nouveau gouvernement – par exemple en préparant les arrêtés de délégation qui vont définir le champ de compétence des différents membres de ce nouveau gouvernement – ce qui est rendu possible par le fait qu’il s’agit d’une structure pérenne.
II- Membres du gouvernement
113.- Présentation.- Il existe différentes catégories de membres du gouvernement, dotés de pouvoirs plus ou moins importants, et dont la plupart sont placés à la tête d’une structure administrative organisée de façon pyramidale.
A- Catégories de membres du gouvernement
114.- Nombre de membres du gouvernement.- Le nombre de membres du gouvernement est très variable d’un gouvernement à l’autre. Cependant, ce nombre est généralement compris entre 25 et 30 membres.
115.- Ministres et autres membres du gouvernement.- Tous les membres du gouvernement n’ont pas le titre de ministre et parmi les ministres, tous n’ont pas les mêmes pouvoirs en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent.
On notera également la quasi-disparition, depuis les débuts de la Cinquième République, de la catégorie des ministres sans portefeuille, c’est-à-dire des ministres sans affectation précise, ce qui est en revanche plus habituel s’agissant des secrétaires d’Etat et des ministres délégués. Le titre de ministre permettait avant 1958 de distinguer certaines personnalités sans pour autant leur attribuer de département ministériel. Cette catégorie est réapparue dans le gouvernement Philippe II dont la composition est fixée par un décret du 22 juin 2017 (jusqu’au 16 octobre 2018 Mme. Gouraud est ainsi ministre auprès du ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur).
De nouvelles catégories sont également susceptibles d’apparaître, comme c’est le cas dans le gouvernement Fillon I (mai 2007 – juin 2008) qui a créé un haut-commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté auprès du Premier ministre.
Ces particularités mises à part, il existe quatre grandes catégories de membres du gouvernement : les ministres d’Etat, les ministres, les ministres délégués et les secrétaires d’Etat.
1° Ministres d’Etat
116.- Un titre honorifique.- Le titre de ministre d’Etat présente un caractère honorifique et il n’a d’effet qu’en matière protocolaire. Pour le reste, les ministres d’Etat ont les mêmes pouvoirs que les autres ministres.
L’attribution du titre de ministre d’Etat, que l’on ne retrouve pas dans la totalité des gouvernements (il y en avait deux dans le gouvernement Philippe II nommé le 21 juin 2017, mais à la date du dernier ajustement survenu le 16 février 2020 il n’y en avait plus aucun, comme dans l’actuel gouvernement Borne formé au mois de mai 2022), peut être liée à trois types de motivations.
Il peut s’agir d’insister sur l’importance du ministère en cause.
Le but recherché peut également être de distinguer une ou plusieurs personnalités émanant des partis politiques composant une coalition gouvernementale.
Enfin, il peut s’agir de distinguer une personnalité – comme André Malraux en 1959- dont la notoriété n’est pas liée à l’activité politique.
2° Ministres
117.- Un titre répandu.- Il s’agit en principe, même s’il n’existe aucune obligation en la matière, du titre le plus répandu dans les gouvernements.
Il est à noter que même si l’hypothèse est rarissime, rien n’empêche le Premier ministre de proposer au chef de l’Etat sa nomination comme ministre. Cette hypothèse ne s’est rencontrée que deux fois sous la Cinquième République. En 1976, le Président Valery Giscard d’Estaing a nommé Raymond Barre Premier ministre, ministre de l’Economie et des Finances. De façon plus anecdotique, François Fillon, qui était déjà Premier ministre, a été nommé également ministre de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement à partir du 23 février 2012. Il s’agissait de permettre à l’ancienne titulaire de cette fonction, Mme. Kosciusko-Morizet, d’assurer la mission de porte-parole pour la campagne présidentielle de M. Sarkozy.
Notons enfin que rien n’interdit de placer un ministre auprès du Premier ministre ou d’un autre ministre, ce qui n’est toutefois pas le cas dans l’actuel gouvernement Borne.
3° Ministres délégués
118.- Une présence variable dans les gouvernements.- Le titre de ministre délégué est assez répandu sous V° République. Toutefois, il n’y a pas eu de ministres délégués nommés dans les différents gouvernements qui se sont succédés depuis le gouvernement Ayrault II (18 juin 2012 – 31 mars 2014). Ce titre a en revanche été attribué à plusieurs membres du gouvernement Borne qui compte pas moins de 15 ministres délégués. En principe, ils sont rattachés, et en quelque sorte subordonnés, à un ou plusieurs membres du gouvernement, ou au Premier ministre.
119.- Les deux catégories de ministres délégués.- Certains d’entre eux se voient déléguer une mission précise, ce qui permet d’alléger les tâches assumées par leur ministre de rattachement. Ils ont un budget et des services administratifs qui leurs sont propres.
Ensuite, beaucoup plus rarement, d’autres ministres délégués, contrairement aux premiers, ne se voient pas confier une mission permanente, mais seulement des missions ponctuelles qui leur sont attribuées par leur ministre de rattachement. Ils n’ont pas de budget propre ni de services administratifs. Par conséquent, lorsqu’une mission leur est confiée, ils utilisent les moyens financiers et humains du ministère de rattachement.
Tous les ministres délégués du gouvernement Borne relèvent de la première sous-catégorie.
120.- Participation au conseil des ministres.- On soulignera enfin que depuis le gouvernement Fabius (1984-1986) les ministres délégués assistent en principe au Conseil des ministres. Avant 1984, ils ne participaient au Conseil des ministres que lorsqu’ils y étaient invités, c’est-à-dire lorsque y était traitée une affaire relevant de leur compétence.
4° Secrétaires d’Etat
121.- Les deux catégories de secrétaires d’Etat.- Cette catégorie de membres du gouvernement recouvre, comme celle des ministres délégués, deux sous-catégories.
122.- Secrétaires d’Etat délégués.- Il s’agit, d’une part, des secrétaires d’Etat délégués qui sont subordonnés aux ministres auxquels ils sont rattachés ou au Premier ministre. Ils ne disposent d’aucun budget propre ni de services administratifs, ce qui rapproche leur statut de celui des ministres délégués chargés de missions ponctuelles. Cependant, à la différence de ces derniers, le décret de composition du gouvernement peut prévoir qu’ils ne siègent au Conseil des ministres que s’ils y sont conviés. C’est le cas par exemple du décret du 26 août 2014 relatif à la composition du deuxième gouvernement Valls ou encore des décrets du 6 et du 26 juillet 2020 relatifs à la composition du gouvernement Castex. Le décret de composition du gouvernement peut aussi prévoir que seuls certains secrétaires d’Etat ont vocation à participer au conseil des ministres pour les affaires relevant de leurs attributions. Tel est le cas du gouvernement Fillon II (18 mai 2007 – 13 novembre 2010).
123.- Secrétaires d’Etat autonomes.- Sont concernés, d’autre part, les secrétaires d’Etat autonomes. Beaucoup plus rares, comme les ministres délégués chargés de missions permanentes ils sont dotés de services administratifs et d’un budget propre. Mais à l’opposé de ces derniers, ils n’assistent au Conseil des ministres que s’ils y sont conviés et surtout ils ne sont pas rattachés à un ministre.
Cette hypothèse est rare et, à titre d’exemple, les neuf secrétaires d’Etat que compte le gouvernement Borne sont tous rattachés à un ministre et se sont vus attribuer un domaine de compétence précis.
124.- Conséquences de la distinction.- Il résulte de cette distinction qu’un secrétaire d’Etat « autonome » est compétent pour contresigner seul un décret du Premier ministre pris dans le domaine de ses attributions (CE, 21 janvier 1977, requête numéro 02910, requête numéro 03109, requête numéro 03128, Peron-Magnan : Rec., p. 30), ce qui n’est pas le cas en revanche pour un secrétaire d’Etat délégué (CE, 8 juillet 1988, requête numéro 48679, requête numéro 48841, requête numéro 48842, requête numéro 48843, requête numéro 48844, requête numéro 48931, requête numéro 48948, Union nationale syndicale de médecins des hôpitaux publics : Rec., p. 281), ni d’ailleurs pour un ministre délégué (CE, 12 février 2007, requête numéro 290164, requête numéro 290217, requête numéro 290219, requête numéro 290331, requête numéro 290653, Société Les Laboratoires Jolly-Jatel).
B- Pouvoirs des différents membres du gouvernement
125.- Fonction politique et fonction administrative.- Comme le Président de la République et le Premier ministre, les différents membres du gouvernement ont en principe une double fonction politique et administrative. Cependant, cette fonction administrative est beaucoup plus réduite chez les secrétaires d’Etat délégués et chez les ministres délégués chargés de missions ponctuelles. En effet, ceux-ci ne disposent pas de services administratifs placés sous leur autorité.
Dans tous les autres cas, les membres du gouvernement sont les chefs de l’administration qui leur est confiée et ils sont donc situés au sommet de la structure pyramidale ministérielle. Toutefois, les ministres délégués chargés de missions permanentes relèvent, en théorie au moins, de l’autorité de leur ministre de rattachement, au nom duquel ils exercent la direction des services nécessaires à leur action.
126.- La question du pouvoir réglementaire des ministres.- Par ailleurs, à la différence du Président de la République et du Premier ministre, les différents membres du gouvernement ne disposent pas, en vertu de la Constitution, d’un pouvoir règlementaire général. De même, un ministre ou un secrétaire d’Etat délégué n’est investi d’aucune compétence propre (V. ainsi CE, 26 juillet 2011, requête numéro 342454, Syndicat national des pilotes de ligne France Alpa).
Cependant, il existe trois hypothèses très fréquentes dans lesquelles les ministres disposent d’un pouvoir réglementaire. Dans ces différentes hypothèses, toutefois, ils ne prennent pas des décrets mais des arrêtés.
Tout d’abord, le pouvoir règlementaire peut être délégué aux ministres par la loi.
Ensuite, ce pouvoir peut être également délégué par le Premier ministre, comme le prévoit l’article 21 alinéa 2 de la Constitution. Cette solution vaut également pour les actes individuels et elle est très largement utilisée.
Une troisième hypothèse résulte enfin de l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt de Section Jamart du 7 février 1936 (requête numéro 43321 : Rec., p. 172 ; S. 1937, III, p. 113, note Rivero). Cet arrêt reconnaît la compétence des ministres pour règlementer l’organisation de leurs services. Le ministre a en effet le droit « comme tout chef de service de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité ».
Exemple :
– Dans l’arrêt Jamart, le Conseil d’Etat admet la compétence d’un ministre, dans la mesure où l’exige l’intérêt du service, pour interdire l’accès des locaux qui y sont affectés aux personnes dont la présence serait susceptible de troubler le fonctionnement régulier dudit service. Il ne saurait cependant, sauf dans des conditions exceptionnelles, prononcer, par une décision nominative, une interdiction de cette nature contre les personnes qui sont appelées à pénétrer dans les locaux affectés au service pour l’exercice de leur profession.
127.- Contreseing ministériel.- Il existe également des hypothèses où le pouvoir règlementaire n’est pas délégué aux ministres, mais où ils sont associés à son exercice par le Président de la République ou par le Premier ministre. Cette association se matérialise par le contreseing ministériel qui est visé par deux dispositions de la Constitution.
Tout d’abord, l’article 19 précise que « les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier Ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables ».
Ensuite, l’article 22 prévoit que « les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ». Il ne s’agit pas ici, comme dans le cas précédent, de leur faire endosser la responsabilité politique de ces actes, mais d’indiquer que le ministre a bien connaissance de la décision prise par le Premier ministre et qu’il assurera sa mise en œuvre. Cette obligation de contreseing vaut à la fois pour les actes réglementaires et pour les actes individuels (CE Ass., 4 juin 1993, requête numéro 138952, Association des anciens élèves de l’ENA : Rec., p. 468 ; JCP G 1993, comm. 22127, note Vandendriessche ; RFDA 1993, p. 657, concl. Schwartz).
Enfin, il est fréquent qu’un ministre sollicite le Premier ministre pour qu’il prenne un décret relevant du champ de sa compétence.
C- Structure des ministères
128.- Eléments de la structure.- Il faut ici distinguer le cabinet ministériel, qui est composé des plus proches collaborateurs du ministre, des services centraux également appelés administrations centrales.
1° Cabinet ministériel
129.- Nombre de membres.- L’organisation des cabinets ministériels est régie par le décret n°48-1233 du 28 juillet 1948 encore partiellement en vigueur portant règlement d’administration publique en ce qui concerne les cabinets ministériels.
Ce texte limite entre 10 et 12 le nombre de personnes qui peuvent faire partie d’un cabinet ministériel. Cependant, dans la pratique, cette limite n’était presque jamais respectée, pas plus que celle émanant de circulaires (par exemple la circulaire n°5223/SG du 18 mai 2007 indique que l’effectif du cabinet d’un ministre ne doit pas dépasser vingt personnes, et trois ou quatre pour les membres du gouvernement placés auprès d’un ministre). En effet, la plupart des cabinets des ministres étaient composés de 20 à 40 personnes et de 10 à 20 personnes pour les secrétaires d’Etat et les ministres délégués.
Finalement le décret n°2017-1063 du 18 mai 2017 relatif aux cabinets ministériels – qui curieusement n’a pas abrogé le décret du 28 juillet 1948 – a prévu que le cabinet d’un ministre ne peut comprendre plus de dix membres, celui
d’un ministre délégué plus de huit membres et celui d’un secrétaire d’Etat plus de cinq membres. Il apparaît toutefois que ces limitations n’étaient pas plus respectées que celles prévues par le décret de 1948. Ainsi, à titre d’exemple, dans le gouvernement Philippe II, le cabinet du ministre de l’Intérieur comportait quatorze membres et celui du garde des Sceaux onze membres (au 1er avril 2020).
Le décret du 18 mai 2017 a été modifié à de nombreuses reprises (pas moins de six fois en 2020), en dernier lieu par le décret n°2022-825 du 1er juin 2022 . En l’état actuel de la réglementation, le cabinet d’un ministre ne peut désormais comprendre plus de quinze membres mais, par dérogation, le cabinet du ministre chargé de la santé peut comprendre, en outre, un conseiller en charge du covid-19. Le cabinet d’un ministre délégué ne peut comprendre plus de treize membres et celui d’un secrétaire d’Etat plus de huit membres. Enfin, le cabinet du membre du gouvernement exerçant les attributions de porte-parole du gouvernement peut comprendre un membre supplémentaire. Ces dispositions ne sont toutefois toujours pas systématiquement respectées. Il en va ainsi, par exemple, du cabinet de ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, qui ne comprend pas moins de dix-neuf membres.
La restriction du nombre de membres qui peuvent composer les cabinets ministériels est susceptible de poser des difficultés et constitue l’une des explications au recours massif aux cabinets de consultants privés pour l’élaboration des politiques publiques. Comme le relate un rapport sénatorial, l’Etat a dépensé plus d’un milliard d’euros en prestations de conseil en 2021, soit plus du double de ce qui était dépensé en 2018 (Un phénomène tentaculaire : l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques : Rapport n°578 (2021-2022). Si ce rapport a conduit l’Etat à limiter le recours aux consultants privés, la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques n’a pour l’heure été adoptée que par le Sénat.
130.- Organisation.- Le cabinet a à sa tête un directeur de cabinet et un chef de cabinet. Le premier bénéficie généralement d’une délégation du ministre, ce qui lui permet de prendre des actes administratifs. Le second a un rôle davantage protocolaire. En général, le cabinet comporte également un nombre plus ou moins important de conseillers spéciaux, de conseillers techniques et de chargés de mission, un attaché de presse et un attaché parlementaire.
2° Services centraux
131.- Subdivisions des services administratifs des ministères.- Les services centraux –appelés également administrations centrales- correspondent aux subdivisions, en fonction de leurs spécialités, des services administratifs des ministères. A la différence du cabinet, qui joue un rôle en partie politique et qui n’est pas pérenne dans sa composition, les services centraux sont concentrés exclusivement sur les tâches administratives et ils permettent d’assurer la continuité de l’activité administrative.
132.- Missions des administrations centrales.- L’article 2 du décret n°92-604 du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentration prévoyait que « les administrations centrales assurent au niveau national un rôle de conception, d’animation, d’orientation, d’évaluation et de contrôle. A cette fin, elles participent à l’élaboration des projets de loi et de décret et préparent et mettent en œuvre les décisions du gouvernement et de chacun des ministres, notamment dans les domaines suivants :
1° La définition et le financement des politiques nationales, le contrôle de leur application, l’évaluation de leurs effets ;
2° L’organisation générale des services de l’Etat et la fixation des règles applicables en matière de gestion des personnels ;
3° La détermination des objectifs de l’action des services à compétence nationale et des services déconcentrés de l’Etat, l’appréciation des besoins de ces services et la répartition des moyens alloués pour leur fonctionnement, l’apport des concours techniques qui leur sont nécessaires, l’évaluation des résultats obtenus ».
Ces dispositions ont été reprises pratiquement à l’identique par le décret n°2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration. S’agissant de ce troisième point, le décret de 2015 a précisé que les services à compétence nationale, les services déconcentrés mais également « les organismes publics rattachés à l’Etat » se voient fixer des « directives annuelles » (que l’on devrait plutôt appeler, comme on le verra plus loin, des lignes directrices au regard de l’évolution de la terminologie employée par le juge administratif). Ces directives sont déclinées au niveau des circonscriptions territoriales de l’Etat pour ce qui concerne les services déconcentrés.
Par ailleurs, le même décret du 7 mai 2015 a assigné un nouvel objectif aux administrations centrales :
«4° L’apport des concours techniques qui sont nécessaires aux services déconcentrés et l’évaluation des résultats obtenus ».
Enfin, les services centraux peuvent se voir confier des missions opérationnelles qui présentent un caractère national.
133.- Une organisation pyramidale.- Dans les ministères la coordination des différents services centraux est confiée à un secrétariat général.
Les services centraux sont organisés de façon pyramidale. Leur structure est notamment rappelée par une circulaire du 9 mai 1997 relative aux règles d’organisation des administrations centrales et des services à compétence nationale et de délégation de signature des ministres. Doit également être mentionné le décret n°87-389 du 15 juin 1987 relatif à l’organisation des services de l’administration centrale dont l’article 2 précise que l’organisation de chaque ministère est définie par décret. Relevons ici que depuis l’entrée en vigueur du décret n°2008-208 du 29 février 2008, l’avis du Conseil d’Etat n’est plus requis dans cette matière.
Chaque ministère est d’abord divisé en directions et en directions générales. Les directions sont plus nombreuses que les directions générales. Elles se situent généralement au même niveau hiérarchique, mais il arrive qu’une direction générale soit subdivisée en directions.
Cependant, on trouve généralement l’expression de direction générale dans trois hypothèses : lorsque le ministère a été réorganisé et plusieurs directions ont été fusionnées, lorsque la direction générale renvoie à des services déconcentrés ou plus généralement en raison de l’importance de ses missions et de ses effectifs.
Exemple :
– Le décret n°2009-707 du 16 juin 2009 (JO 18 juin 2009) fixe l’organisation des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques. Il s’agit des directions régionales des finances publiques, des directions départementales des finances publiques, des directions spécialisées des finances publiques et des directions locales des finances publiques.
On peut également trouver, à côté des directions et des directions générales, des délégations. Il peut aussi exister, dans l’organigramme des ministères, des pôles, des départements et des services.
En principe, toutefois, les directions ainsi que les directions générales sont divisées en sous directions qui sont elles-mêmes divisées en bureaux ce qui correspond au plus grand degré de spécialisation au niveau de l’administration centrale.
134.- Réformes.- Il faut aussi mentionner que l’organisation des services centraux a été profondément modifiée par la révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en œuvre à partir de 2007. Cette révision a abouti, dans de nombreux ministères, dans un souci affiché de rationalisation, d’amélioration des services publics et – surtout d’économies – au regroupement d’anciennes directions dans de nouvelles directions générales.
Exemple :
– Au niveau du ministère de l’Economie et des Finances, la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services a été créée en janvier 2009, par le regroupement de trois directions (direction générale des entreprises, direction du tourisme et direction du commerce, de l’artisanat, des services et des professions libérales). Le but affiché était de mieux soutenir l’activité économique sur le territoire national et de créer un environnement favorable à la création et au développement des entreprises. Cette direction a ensuite été renommée direction générale des entreprises par le décret n°2014-1048 du 15 septembre 2014, sans que cela ait impacté de façon significative les missions qui lui sont dévolues.
A partir de 2012, ce mouvement a été poursuivi dans le cadre de la modernisation de l’administration publique (MAP), qui succède à la RGPP. La MAP poursuivait des objectifs en partie comparables à la RGPP mais elle insistait moins sur la nécessité de réduire de façon drastique le nombre de fonctionnaires. Cette politique se poursuit sous la présidence Macron sous la nouvelle appellation « Action publique 2022 ». L’objectif principal qui est poursuivi est de dématérialiser l’ensemble des démarches administratives, avec un objectif affiché de diminution des dépenses de l’Etat de 25 milliards d’euros et du nombre de fonctionnaires de 120 000.
§II- L’administration consultative
135.- Multiplicité des organes consultatifs.- Les organes qui relèvent de l’administration consultative sont associés à l’élaboration des décisions. Le moins que l’on puisse dire, s’agissant de ces organes, c’est que la situation est extrêmement confuse. En effet, on dénombre, au niveau des différents ministères, et entre les différents ministères pour les structures interministérielles, plusieurs centaines de conseils, comités et autres commissions « théodule » – selon l’expression fameuse du général de Gaulle – dont les structures sont très diverses et l’efficacité souvent contestable. En effet, la multiplication de ces organes aboutit à une certaine dilution de l’autorité et ils permettent trop fréquemment aux ministres de se délester de questions épineuses qui sont renvoyées à des commissions dont les avis vont souvent demeurer lettre morte.
136.- Réduction du nombre d’organes consultatifs.- Dans le cadre du premier comité interministériel de modernisation de l’action publique (CIMAP) qui s’est tenu le 18 décembre 2012, a été annoncée la suppression de 100 commissions consultatives dont « l’utilité n’est pas démontrée », ce qui représente 15 % des commissions rattachées aux ministères. De même, étaient prévues la fusion ou la réorganisation d’autres structures similaires avec l’objectif qu’avant le 13 juin 2013, le nombre de ces organismes aura diminué de 25 %.
Depuis la loi de finances pour 1996, le gouvernement a l’obligation de présenter au Parlement, en annexe au projet de loi finances, la liste des commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre, des ministres ou de la Banque de France.
Une nouvelle vague de réduction du nombre de ces organismes a été entamée par le décret n°2019-1379 du 18 décembre 2019 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif, et poursuivie par la loi n°2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) qui supprime différents organes consultatifs, comme par exemple le Comité central du lait, l’Observatoire de la récidive et de la désistance ou encore l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement.
Ces organismes demeurent toutefois nombreux puisque l’annexe au projet de loi de finances pour 2023 en dénombre pas moins de 314 – contre 394 en 2020 – et dans certains cas les recoupements paraissent difficilement évitables.
Exemple :
– Dans l’organigramme du ministère de la Culture apparaissent – en dehors des commissions qui peuvent être ponctuellement constituées par le ministre en vertu de ses pouvoirs de chef de service (CE Sect., 25 février 2005, requête numéro 265482, Syndicat de la magistrature : JCPA 2005, comm. 1129, note Jean-Pierre) – 12 commissions, conseils et autres instances consultatives comme par exemple la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art, le Conseil national des villes et pays d’art et d’histoire ou encore le Conseil national de la recherche archéologique.
137.- Conseil d’Etat, Cour des comptes et Conseil économique, social et environnemental.- Certains organes relevant de l’administration consultative ont néanmoins une importance cruciale. Tel est le cas du Conseil d’Etat, dans ses fonctions de conseil du gouvernement et de la Cour des comptes qui « assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques » (Constitution, art. 47-2). Doit également être mentionné le Conseil économique, social et environnemental qui « saisi par le gouvernement, donne son avis sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de lois qui lui sont soumis » (Constitution, art. 69). Plus généralement il « peut être consulté par le gouvernement et le Parlement sur tout problème de caractère économique, social ou environnemental. Le gouvernement peut également le consulter sur les projets de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des finances publiques. Tout plan ou tout projet de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental lui est soumis pour avis » (Constitution, art. 70).
§III- L’administration de contrôle
138.- Typologie.- Il faut ici distinguer deux catégories d’organes centraux de contrôle.
139.- Organes centraux de contrôle interne.- Il s’agit tout d’abord des organes centraux de contrôle interne qui constituent des services des ministères chargés de contrôler les autres services du même ministère. Certains – de plus en plus – ont une vocation interministérielle.
Exemple :
– Le décret n°2019-1001 du 27 septembre 2019 a créé l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), qui regroupe les compétences jusqu’alors dévolues aux inspections générales des ministères chargés de l’Education, de l’enseignement supérieur et de la recherche, des sports et de la jeunesse et de la culture.
– Le décret n°2016-1675 du 5 décembre 2016 crée l’Inspection générale de la justice qui se substitue à l’inspection générale des services judiciaires, celle des services pénitentiaires et celle des services de la protection judiciaire de la jeunesse.
Le plus prestigieux de ces organismes de contrôle est l’Inspection générale des finances. Ce service a une vocation interministérielle puisqu’il exerce notamment un contrôle des agents des services extérieurs du ministère des Finances mais également des ordonnateurs secondaires des autres ministères.
140.- Réforme de la haute fonction publique et suppression des grands corps rattachés à l’inspection.- Notons toutefois qu’au printemps 2021 le gouvernement avait commencé à travailler à la suppression de certains grands corps de l’Etat, notamment ceux rattachés à l’inspection. Ce mouvement avait été initié par l’ordonnance n°2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’Etat, prise sur le fondement de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.
Cette évolution a abouti non pas à la disparition de l’Inspection générale des finances mais à la disparition du corps des inspecteurs généraux des finances qui a été dissous dans la nouvelle catégorie des administrateurs d’Etat. La même évolution concerne également d’autres corps prestigieux, comme celui de l’Inspection générale de l’administration et celui l’Inspection générale des affaires sociales. Concrètement, le décret n°2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l’Etat place en extinction au 1er janvier 2023 pas moins de 13 corps de hauts fonctionnaires, dont également – entre autres –les corps des préfets et des sous-préfets et ceux des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires. Notons toutefois cette évolution ne concerne pas les corps rattachés à la Cour des comptes et aux Conseil d’Etat dont l’existence est garantie par le Constitution.
Le décret n°2022-335 du 9 mars 2022 a ensuite défini les règles communes à l’ensemble des emplois au sein des services d’inspection générale ou de contrôle, ainsi que les dispositions relatives aux chefs de ces services. Il prévoit les modalités de sélection des candidats à ces emplois, il en définit le vivier et il fixe les conditions d’expérience professionnelle exigées pour les occuper.
L’idée est de dépasser la logique statutaire et de privilégier une logique d’emploi, le nouveau corps interministériel des administrateurs de l’Etat, formés par l’Institut national du service public (INSP) qui remplace l’Ecole nationale d’administration (ENA) suite à l’entrée en vigueur du décret n°2021-1556 du 1er décembre 2021, constituant un vivier de recrutement des hauts fonctionnaires. Par ailleurs, le classement de sortie de l’INSP a été supprimé par le décret n°2023-30 du 25 janvier 2023 au profit d’un régime d’appariement profil-poste supposant un acte de candidature pour les emplois et un entretien pour l’ensemble des agents. Ceux-ci sont désormais censés occuper des postes opérationnels, par exemple dans les services déconcentrés, avant de pouvoir rejoindre des postes plus prestigieux notamment en inspection générale.
Pour accompagner ces évolutions, l’Etat a voulu renforcer ses capacités de gestion des ressources humaines avec la création par le décret n°2021-1775 du 24 décembre 2021 d’une délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’Etat (DIESE). Il prévoit également de doter chaque ministère d’un délégué ministériel à l’encadrement supérieur chargé de coordonner et mettre en œuvre la politique des ressources humaines ministérielle dans le cadre de la politique interministérielle fixée par la DIESE. Enfin, le décret crée un comité de pilotage stratégique de l’encadrement supérieur de l’Etat, présidé par le délégué interministériel.
141.- Organes centraux de contrôle externe.- Il faut enfin mentionner l’existence d’organes centraux de contrôle externe. Ces organes ne sont pas rattachés aux ministères qui font l’objet de leur contrôle. Les principaux sont le Conseil d’Etat et la Cour des comptes dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.
§IV- Les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes
142.- Des organismes récents.- Les autorités administratives indépendantes puis les autorités publiques indépendantes sont apparues assez récemment dans le paysage administratif français. Elles sont nombreuses, parfois dissemblables, et leur identification pose un certain nombre de difficultés.
I- Apparition des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes
143.- Des organes de l’administration d’Etat hors contrôle hiérarchique.- L’article 20 de la Constitution précise que le gouvernement « dispose de l’administration ». A cette fin, comme on l’a vu, la structure administrative de l’Etat, qu’elle soit centrale ou déconcentrée, est entièrement organisée autour du principe hiérarchique. Ce principe permet à l’autorité supérieure, et notamment au sommet de la hiérarchie aux ministres, de donner des instructions à des autorités subordonnées, d’annuler leurs actes, voire de sanctionner des agents.
A côté de l’Etat, il existe d’autres personnes morales qui échappent à cette hiérarchie : il s’agit des institutions décentralisées. Mais on le verra, en application de l’article 72 de la Constitution, ces personnes morales de droit public demeurent soumises à un contrôle de l’Etat.
Mais surtout, au sein même de l’administration de l’Etat, il existe certains organes qui échappent au contrôle hiérarchique. Comme l’a écrit Jacques Chevalier « il s’agit de structures placées hors hiérarchie, échappant à tout pouvoir d’instruction et de contrôle et disposant d’une liberté d’action juridiquement garantie » (Réflexions sur l’institution des autorités administratives indépendantes, JCP G, 1986, I, comm. 3254). Selon le rapport public du Conseil d’Etat de 2001 les autorités administratives indépendantes peuvent « être définies comme des organismes administratifs, qui agissent au nom de l’Etat et disposent d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement ».
144.- Modèles étrangers et apparition en France.- Elles existent dans des domaines variés et elles trouvent leur origine dans la pratique des commissions fédérales américaines et dans l’institution de l’ombudsman de certains pays d’Europe de nord et notamment de la Suède.
La première autorité administrative indépendante à être apparue est la Commission des opérations de bourse (COB) créée par une ordonnance du 28 septembre 1967. La COB a ensuite fusionné avec le Conseil des marchés financiers (CMF) pour devenir l’Autorité des marchés financiers (AMF) avec la loi n°2003-706 de sécurité financière du 1er août 2003. Doivent ensuite être mentionnées la Commission nationale du droit de réponse (décret n°75-341 du 13 mai 1975), la Commission des sondages (loi n°77-808 du 19 juillet 1977) et la Commission des infractions fiscales (loi n°77-453 du 29 décembre 1977).
Sont ensuite apparues les premières autorités publiques indépendantes lesquelles, contrairement aux autorités administratives indépendantes, sont dotées de la personnalité morale, ce qui implique notamment qu’elles ont un budget propre et qu’elles peuvent ester en justice. C’est l’Autorité des marchés qui a bénéficié en premier lieu de ce statut conformément à la loi n°2003-706 du 1er août 2003 (Code monétaire et financier, art. L. 621-1).
Cependant, si les différentes institutions créées dans les années 1960 et 1970 ont été généralement qualifiées d’autorités administratives indépendantes par la doctrine, cette expression n’avait pas été utilisée à l’origine par le législateur. D’ailleurs, certains auteurs contestaient vivement cette qualification en raison d’une apparente antinomie entre les notions mêmes d’administration et d’indépendance. En effet, comme a pu l’exposer le président Braibant « dans notre tradition législative, l’administration n’est pas indépendante, elle est subordonnée au gouvernement et à travers lui au Parlement » (Droit d’accès et droit à l’information, Mélanges Charlier 1981, p.703).
Ces critiques n’ont pourtant pas empêché le législateur de reprendre à son compte cette expression pour qualifier la Commission nationale informatique et liberté à l’occasion de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978. Le Conseil d’Etat a fait de même dans son rapport de 1983, ainsi que le Conseil constitutionnel à l’occasion de sa décision numéro 84-173 DC du 26 juillet 1984 sur la Haute-Autorité de l’audiovisuel.
145.- Protection des libertés fondamentales et régulation économique.- Les autorités administratives indépendantes apparaissent aujourd’hui comme un rouage essentiel de l’administration d’Etat, principalement dans les domaines où les libertés fondamentales sont en cause et en matière de régulation économique. La notion d’autorité administrative indépendante a d’ailleurs été récemment confortée par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 9 mars 2010 (affaire numéro C-518/07) qui a condamné l’Allemagne pour ne pas avoir respecté ses obligations au titre de la directive n°95/46 CE relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données qui exige une « totale indépendance » des autorités chargées de garantir la protection des données.
Il faut aussi noter que l’article 72 de la loi de finances n°2011-1977 du 28 décembre 2001 oblige le gouvernement à présenter, en annexe générale au projet de loi de finances, un rapport sur les autorités publiques indépendantes et sur les autorités administratives indépendantes dont les effectifs ne sont pas inclus dans un plafond d’autorisation des emplois rémunérés par l’Etat.
146.- Critiques. En dépit de ce contexte favorable, un certain nombre de critiques ont été récemment formulées, notamment par le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes du 15 novembre 2015. Ce rapport pointe notamment la prolifération de ces organismes, les incertitudes concernant leur identification et le fait qu’ils alimenteraient un sentiment de défiance à l’égard des structures habituelles de l’Etat. L’insuffisance du contrôle parlementaire est également mentionnée ainsi que le mode de recrutement des membres de ces autorités qui favoriserait la « consanguinité » ou « l’endogamie » notamment en raison d’une surreprésentation des membres issus du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel.
147.- Définition d’un statut général.- Ce sont ces critiques qui ont finalement conduit à l’adoption de la loi organique n°2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes et à la loi n°2017-55 du même jour portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Désormais, la création de ces autorités doit résulter obligatoirement d’un texte de loi.
II- Identification des autorités administratives indépendantes
148.- Etat des lieux.- Selon le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques publié en mai 2010 il n’existait pas moins de 43 autorités administratives indépendantes. Le chiffre retenu plus récemment par la commission d’enquête sénatoriale de 2015 est de seulement 42, ce qui tend à démentir ce qui avait été pointé par les sénateurs comme une « prolifération » de ces organismes. Ceci étant c’est bien une réduction drastique du nombre de ces autorités qui a été opérée par la loi du 20 janvier 2017 qui désigne 26 entités soit 18 autorités administratives indépendantes et 8 autorités publiques indépendantes. Dans sa version actuelle, au 1er janvier 2022, l’annexe à cette loi ne désigne plus que 22 entités dont sept autorités publiques indépendantes. En application de la loi n°2019-1063 du 18 octobre 2019, la mission de régulation du secteur de la distribution de la presse, précédemment exercée par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) et par le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), est dorénavant confiée à l’ARCEP. L’ARCEP est devenue à cette occasion l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEPP). Notons aussi que l’ordonnance n°2019-761 du 24 juillet 2019 a remplacé l’autorité de régulation des activités ferroviaires et routières par l’autorité de régulation des transports. De même, l’ordonnance n°2019-1015 du 2 octobre 2019 a remplacé l’autorité de régulation des jeux en ligne par l’autorité nationale des jeux. Enfin, le Conseil supérieure de l’audiovisuel (CSA) et la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) ont fusionné et été remplacés par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) créée par la loi n°2021-1382 du 25 octobre 2021.
De fait, le législateur a exclu de cette liste un certain nombre d’entités qui étaient qualifiées avant 2017 d’autorités administratives indépendantes. C’est le cas, par exemple, de la Commission des sondages qui était pourtant, on l’a vu, l’une des plus anciennes autorités administratives indépendantes. En revanche, la loi a procédé à trois nouvelles qualifications d’autorités administratives indépendantes concernant la Commission de régulation de l’énergie, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes – ce qui rejoint dans les deux cas des qualifications jurisprudentielles – et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Il arrive aussi que des institutions qui n’étaient pas qualifiées d’autorités administratives indépendantes ou d’autorités publiques indépendantes lors de leur création ont été qualifiées comme telles par des lois modifiant ultérieurement leur statut. Il en va ainsi, par exemple, du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) créé par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dont le statut a été modifié dans ce sens par l’article 53 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 et qui figure dans la liste annexée à la loi du 20 janvier 2017.
149.- Critères d’identification.- Cette loi n’a en revanche pas précisé quels sont les critères d’identification de ces autorités ou, plus précisément, elle retient comme seul critère d’identification la qualification expresse opérée par elle. Ceci étant, si l’intervention du législateur devrait éviter à l’avenir toute qualification jurisprudentielle divergente, la liste annexée à cette loi vise des autorités qui répondent – presque toutes on le verra -aux trois critères qui permettaient, avant cette intervention, leur identification, ces critères renvoyant à la dénomination de l’institution.
A- Appartenance à l’administration d’Etat
150.- Des autorités administratives étatiques.- Le caractère administratif des autorités administratives indépendantes n’est plus contesté de nos jours. Cette qualification a des conséquences importantes puisque les actes pris par ces autorités sont des actes administratifs qui peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif voire, si la loi le prévoit expressément, devant le juge judiciaire.
Un problème s’est toutefois posé à propos du cas particulier du Médiateur de la République (aujourd’hui le Défenseur des droits depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008). Ce problème était lié au fait que la loi du 3 janvier 1973 qui l’instituait se bornait à le qualifier « d’autorité indépendante ». Pour certains auteurs, ceci signifiait clairement que le médiateur n’appartenait pas à l’administration et qu’il présentait un caractère sui generis.
Dans son arrêt d’Assemblée Retail du 10 juillet 1981 (requête numéro 05130 : Rec., p. 303 ; RDP 1981, p. 1441, concl. Franc et p. 1687, note Auby, p. 1687), le Conseil d’Etat est allé implicitement à l’encontre de cette analyse en décidant que les actes pris par le Médiateur de la République, auquel a succédé le Défenseur des droits, pouvaient faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Or, seuls les actes administratifs peuvent faire l’objet d’un tel recours, ce qui signifie bien que le Médiateur de la République était une autorité administrative indépendante. Il s’agissait d’ailleurs de la seule autorité administrative indépendante qui soit dotée d’un statut constitutionnel (c’est le cas également du Défenseur des droits en application de l’article 71-1 de la Constitution).
151.- Personnalité morale des autorités publiques indépendantes.- Une autre difficulté concerne la question de la personnalité morale. En effet, les autorités administratives indépendantes ne bénéficient pas de la personnalité morale. Ainsi, lorsque leur activité est à l’origine d’un préjudice, c’est la responsabilité de l’Etat qui est susceptible d’être engagée (CE, 22 juin 1984, requête numéro 183171, Société Pierre et Cristal : Rec., p. 731 ; D. 1986, inf. rap. p. 25, obs. Moderne et Bon).
Toutefois, des textes récents ont attribué la personnalité morale à des autorités indépendantes, qui ont alors été qualifiées « d’autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale », ce qui implique bien évidemment toute une série de conséquences, notamment sur les questions de responsabilité et en terme de budget (CE Ass. gén., avis, 8 septembre 2005 : CJEG 2006, p. 359, note Labetoulle). Ce mouvement a été initié, comme on l’a vu, par la loi n°2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière, qui concerne l’Autorité des marchés financiers (Code monétaire et financier, art. L. 621-1). D’autres instances se sont ensuite vues attribuer cette qualification, une annexe au projet de loi de finances pour 2015 en dénombrant pas moins de neuf (Rapport sur les autorités publiques indépendantes, annexe au projet de loi de finances pour 2015), dont le Conseil supérieur de l’audiovisuel depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, modifiant l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (aujourd’hui l’ARCOM). En revanche, c’est une liste réduite à huit autorités publiques indépendantes qui a été retenue par la loi du 20 janvier 2017. En effet, ne relève plus de cette catégorie l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Cette liste est aujourd’hui réduite à sept, suite à la fusion du CSA et de HADOPI au sein de l’ARCOM.
Relèvent de cette catégorie au 1er janvier 2022 : l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ; l’Autorité des marchés financiers (AMF) ; l’Autorité de régulation des transports ; l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) ; la Haute Autorité de santé (HAS) ; le Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C) ; le Médiateur national de l’énergie.
B- Existence d’une autorité
152.- Notion d’autorité.- Avant l’entrée en vigueur de la loi organique et de la loi du 20 janvier 2017, le terme « d’autorité » ne se référait pas nécessairement à l’exercice d’un pouvoir de décision. En effet, certaines autorités qualifiées d’autorités administratives indépendantes n’étaient compétentes que pour émettre des recommandations, des propositions ou bien encore des avis et elles disposaient donc d’un simple pouvoir d’influence ou d’incitation.
Exemple :
– La Commission de sécurité des consommateurs créée par la loi n°83-66 du 21 juillet 1983 était chargée d’émettre des avis et de proposer toute mesure de nature à améliorer la prévention des risques en matière de sécurité des produits ou des services. Elle recherchait et recensait les informations de toutes origines sur les dangers présentés par les produits et services (Code de la consommation, art. L. 534-5 ancien).
Ces différents actes relèvent de ce que l’on appelle communément le droit souple. En principe les recours dirigés contre ces actes sont irrecevables. Toutefois, le Conseil d’Etat a récemment admis que certains de ces actes émanant d’autorités administratives ou publiques indépendantes sont désormais susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, alors même qu’ils sont dépourvus d’effets juridiques (V. infra Quatrième partie, Chapitre I, Section I).
153.- Pouvoir d’influence.- Un certain nombre d’entités qui ne détiennent qu’un « pouvoir d’influence » ont été écartées de la liste des autorités administratives indépendantes. Désormais, relèvent normalement de cette catégorie que les seuls organes détenteurs d’un pouvoir de décision. Ainsi, par exemple, l’article 54 de la loi n°2017-55 du 20 janvier 2017 a supprimé la Commission de sécurité des consommateurs dont le rôle, on l’a vu, consistait exclusivement à formuler des avis et des recommandations. Toutefois, l’ambition initiale du projet de loi qui était de faire sortir les simples instances consultatives ne disposant pas de pouvoir de contrainte sur des tiers de la catégorie des autorités administratives indépendantes n’a pas toujours été respectée. C’est particulièrement le cas concernant la Commission du secret de la défense nationale dont la mission consiste seulement « à donner un avis sur la déclassification et la communication d’informations ayant fait l’objet d’une classification » (Code de la défense, art. L. 2312-1).
154.- Pouvoir de décision.- Ceci étant la grande majorité des autorités administratives indépendantes visées par la loi du 20 janvier 2017 disposent d’un pouvoir de décision.
Tout d’abord, elles peuvent être compétentes pour prendre des décisions individuelles dans le cadre du pouvoir d’autorisation ou de nomination qui leur est reconnu.
Elles peuvent également exercer un pouvoir de sanction. C’est le cas, par exemple, de l’Autorité de la concurrence, de l’autorité des marchés financiers ou de l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et du numérique. . Dans le cadre de ce pouvoir, les autorités administratives indépendantes sont tenues de respecter les règles du procès équitable (CE Sect., 3 novembre 1999, requête numéro 207434, Didier : AJDA 2000, p. 172, chron. Guyomar et Collin ; Dr. adm. 2000, comm. 2 ; Bull. Joly bourse janvier-février 2000 ; RFDA 2000, p. 210 ; Rev. Adm. 2000, p. 42, étude Brière).
Plutôt que d’utiliser leur pouvoir de sanction, certaines autorités, peuvent faire usage d’un pouvoir transactionnel. Tel est le cas en particulier de l’AMF (Code monétaire et financier, art. L. 621-14-1.- V. CE Ass., 20 mars 2020, requête numéro 422186, Président de l’AMF et a. : AJDA 2020, p. 934, chron. Malverti et Beaufils ; Dr. sociétés 2020, comm. 82, note de Bailliencourt ; RD bancaire et fin. 2020, comm. 69, note Pailler ; RFDA 2020, p. 473, concl. Dutheillet de Lamothe).
Les autorités indépendantes peuvent aussi détenir un pouvoir règlementaire dans le secteur d’activité qui relève du champ de leur compétence. Cette question a été longuement débattue et le Conseil constitutionnel dans sa décision Commission nationale communication et libertés (CNCL) du 18 septembre 1986 (numéro 86-217 DC) a finalement considéré que l’article 21 de la Constitution ne fait pas obstacle à ce que la loi confie à une autorité de l’Etat autre que le Premier ministre « le soin de fixer, dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements des normes permettant de mettre en œuvre la loi ». Par conséquent, s’il est reconnu, le pouvoir règlementaire des autorités administratives indépendantes (ou des autorités publiques indépendantes) n’en a pas moins un champ réduit. La précision la plus importante est certainement celle qui vise la soumission aux règlements du pouvoir règlementaire de ces autorités. En particulier, dans la décision CNCL ceci a conduit le Conseil à censurer les dispositions du texte déféré qui subordonnait l’exercice du pouvoir de prendre des décrets en Conseil des ministres à des normes édictées par la CNCL. Cette jurisprudence a été confirmée et précisée par la décision Conseil supérieur de l’audiovisuel du 17 janvier 1989 (numéro 88-247 DC). Dans cette décision, le Conseil constitutionnel précise que les autorités administratives indépendantes ne peuvent prendre que « des mesures règlementaires de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu ».
Exemple :
– L’article 34 VIII de la loi n°2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne précise que l’Autorité nationale des jeux en ligne fixe les caractéristiques techniques des plates-formes et des logiciels de jeux et de paris en ligne des opérateurs soumis au régime d’agrément.
C- Indépendance de l’autorité
155.- Manifestations de l’indépendance.- °L’indépendance se conçoit d’abord vis-à-vis du gouvernement : la principale caractéristique des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes c’est qu’elles sont soustraites au pouvoir hiérarchique des ministres.
Mais leur indépendance ne se limite à cette question puisqu’elle est aussi censée s’exercer vis-à-vis du monde politique en général et des groupes de pression.
Evidemment, une telle indépendance est très difficile à réaliser, notamment parce que les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes sont nommés par le pouvoir politique et essentiellement par le Premier ministre. Pour beaucoup d’observateurs, ces autorités seraient donc marquées par ce que M. Gentot appelle « un péché originel » (Les autorités administratives indépendantes, Montchrestien 1991, p.12).
Cependant, une fois nommées, elles bénéficient d’une réelle indépendance qui se caractérise principalement par le fait que leurs décisions ne peuvent être annulées ou réformées par le gouvernement. Cette indépendance est d’ailleurs renforcée pour les autorités publiques indépendantes qui disposent de leur propre budget.
156.- Existence de contrôles.- En réalité, il existe plusieurs types de contrôles sur ces organismes. Tout d’abord, un contrôle en amont par le législateur qui décide de leur création ou de leur suppression, et par le pouvoir exécutif qui dispose en général du pouvoir de nomination des membres de l’autorité. Ensuite, un contrôle en aval par le juge administratif ou le juge judiciaire sur les actes et les décisions des autorités qui leur sont déférées. Un contrôle en aval est également opéré par le Parlement, le gouvernement devant, comme on l’a vu, assortir son projet de loi de finances d’un rapport concernant ces autorités. De même, chaque autorité a l’obligation d’adresser chaque année, avant le 1er juin, au gouvernement et au Parlement un rapport d’activité (L. n°2017-55, 20 janvier 2017, art. 21). A la demande d’une commission parlementaire, elle peut aussi être amenée à rendre compte annuellement de son activité devant elle (Ibid., art. 22). Enfin, l’avis d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante sur tout projet de loi est rendu public (Ibid.).
157.- AAI, API et agences.- L’indépendance est un élément qui permet de clairement distinguer ces autorités des agences. Souvent constituées sous la forme d’un établissement public administratif, mais également sous la forme d’un groupement d’intérêt public ou même d’une société privée, l’agence se caractérise en effet non pas par son indépendance, mais par son autonomie. De fait, « le pouvoir exécutif n’a pas vocation à intervenir dans sa gestion courante mais il lui revient de définir les orientations politiques que l’agence met en œuvre ». (Conseil d’Etat, rapp. annuel, T. II, Les agences, une nouvelle action publique ?, p. 12).
Exemples :
– Créée par la loi n°90-588 du 6 juillet 1990, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger est un établissement public administratif rattaché au ministère des affaires étrangères qui a notamment pour mission « d’assurer, en faveur des enfants français établis hors de France, les missions de service public relatives à l’éducation » (Code de l’éducation, art. L. 452-2).
– L’agence française d’expertise technique internationale (expertise France), créée sous la forme d’un établissement public industriel et commercial par la loi n°2014-773 du 7 juillet 2014, précisée par le décret n°2014-1656 du 29 décembre 2014, a pour vocation de mettre à la disposition des gouvernements et des pouvoirs publics des pays partenaires les compétences des experts publics français.
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