Vu 1°), sous le n° 257341, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 mai et 30 septembre 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés par Mlle Francine Y, demeurant … ; Mlle Y demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir les articles 1, 2, 3, 5 et 7 du décret n° 2003-293 du 31 mars 2003 relatif à la sécurité routière et modifiant le code de procédure pénale et le code de la route ;
Vu 2°, sous le n° 257534, la requête, enregistrée le 2 juin 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Michel X, demeurant … ; M. X demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir l’article 3 du décret n° 2003-293 du 31 mars 2003 relatif à la sécurité routière et modifiant le code de procédure pénale et le code de la route ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, présentée par M. X enregistrée le 20 décembre 2004 ;
Vu la Constitution, notamment ses articles 55 et 61 ;
Vu la convention européenne de droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ;
Vu le code pénal ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de la santé ;
Vu le code de la route ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée ;
Vu la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 ;
Vu la loi n° 2003-87 du 3 février 2003 ;
Vu l’arrêté du ministre de la santé en date du 5 septembre 2001 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Xavier de Lesquen, Maître des Requêtes,
– les conclusions de M. Didier Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de Mlle Y et de M. X sont dirigées contre un même décret ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la légalité externe :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 123-2 du code de justice administrative : « Les sections administratives du Conseil d’Etat sont : la section de l’intérieur ; la section des finances ; la section des travaux publics ; la section sociale ; la section du rapport et des études » ; que l’article R. 123-3 du même code dispose que : « Les affaires ressortissant aux différents départements ministériels sont réparties entre les quatre premières de ces sections conformément aux dispositions d’un arrêté du Premier ministre et du garde des sceaux, ministre de la justice. / Toutes les affaires relevant d’un département ministériel sont soumises à la même section… » ; qu’aux termes de l’arrêté du 8 octobre 2002 portant répartition des affaires entre les sections administratives du Conseil d’Etat : « Sont examinées par la section des travaux publics les affaires dépendant : (…) du ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer » ;
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le projet de décret relatif à la sécurité routière et modifiant le code de procédure pénale et le code de la route, soumis par le ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer au Conseil d’Etat, devait être examiné par la section des travaux publics ; que le décret attaqué a été pris « Le Conseil d’Etat (section des travaux publics) entendu » ; que, par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait intervenu sur une procédure irrégulière faute d’avoir été soumis à la section des travaux publics et à la section de l’intérieur du Conseil d’Etat ;
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne le contrôle exercé par le Conseil d’Etat statuant au contentieux :
Considérant que l’article 61 de la Constitution du 4 octobre 1958 a confié au Conseil constitutionnel le soin d’apprécier la conformité d’une loi à la Constitution ; que ce contrôle est susceptible de s’exercer après le vote de la loi et avant sa promulgation ; qu’il ressort des débats tant du Comité consultatif constitutionnel que du Conseil d’Etat lors de l’élaboration de la Constitution que les modalités ainsi adoptées excluent un contrôle de constitutionnalité de la loi au stade de son application ;
Considérant cependant, que pour la mise en oeuvre du principe de supériorité des traités sur la loi énoncé à l’article 55 de la Constitution, il incombe au juge, pour la détermination du texte dont il doit faire application, de se conformer à la règle de conflit de normes édictée par cet article ;
Considérant toutefois, que, contrairement à ce que soutient la requête n° 257534, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée par le Conseil européen le 7 décembre 2000 et reprise dans un acte inter-institutionnel publié le 18 décembre 2000 est dépourvue, en l’état actuel du droit, de la force juridique qui s’attache à un traité une fois introduit dans l’ordre juridique interne et ne figure pas au nombre des actes du droit communautaire dérivé susceptibles d’être invoqués devant les juridictions nationales ;
En ce qui concerne les articles 1er et 2 du décret attaqué :
Considérant qu’aux termes de l’article 529 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l’article 9 de la loi du 23 juin 1999 : « Pour les contraventions des quatre premières classes dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire » ; qu’aux termes de l’article R. 48-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l’article 1er du décret attaqué, « Les contraventions des quatre premières classes pour lesquelles l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire sont les suivantes : 1° Contraventions réprimées par le code de la route qu’elles entraînent ou non un retrait des points affectés au permis de conduire (…) » ; que l’article 2 du décret attaqué assortit d’une peine complémentaire de suspension du permis de conduire les conducteurs reconnus coupables des infractions prévues aux articles R. 234-1, R. 412-8, R. 412-9, R. 412-10, R. 412-19, R. 414-4, R. 414-6, R. 414-7, R. 414-8, R. 414-10, R. 414-11, R. 414-16, R. 416-12, R. 417-9 et R. 421-5 du code de la route ;
Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l’article 529 du code de procédure pénale, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 23 juin 1999, méconnaîtrait des règles et principes de valeur constitutionnelle n’est pas, pour les motifs indiqués ci-dessus, de nature à être utilement invoqué devant le juge administratif ;
Considérant, en deuxième lieu, que le gouvernement tenait de l’article 529 du code de procédure pénale compétence pour fixer la liste des contraventions de quatrième classe relevant de la procédure de l’amende forfaitaire ; qu’il a, par suite, pu légalement décider d’inclure dans le champ de la procédure de l’amende forfaitaire l’ensemble des contraventions de quatrième classe y compris celles assorties d’une peine complémentaire de suspension du permis de conduire ;
Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement, et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) » ;
Considérant que si, ainsi qu’en dispose l’article 529 du code de procédure pénale, le paiement de l’amende forfaitaire éteint l’action publique en ce qui concerne l’ensemble des peines encourues y compris les peines complémentaires de suspension du permis de conduire et si les amendes susceptibles d’être infligées en cas de non-paiement et de contestation de l’amende forfaitaire sont plus sévères que celles résultant de l’acquittement du montant de l’amende forfaitaire et comportent en particulier l’éventualité d’une suspension du permis de conduire par le tribunal de police, cette circonstance ne saurait être regardée comme exerçant sur les contrevenants une contrainte telle qu’ils seraient conduits à renoncer à toute action juridictionnelle dans la mesure où le paiement de l’amende n’entraîne pas, pour un contrevenant, un avantage tel qu’il serait dissuadé de saisir le juge de sa contestation ; qu’il suit de là que le décret attaqué ne méconnaît pas les stipulations du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, en quatrième lieu, que compte tenu de ce que l’existence de la procédure de l’amende forfaitaire n’exclut pas que le ministère public choisisse d’exercer l’action publique dans les conditions du droit commun, la requête n° 237341 soutient qu’il en résulte une atteinte au principe d’égalité dans la mise en oeuvre de la répression des contraventions de la quatrième classe visées aux articles 529 et R. 48-1 du code de procédure pénale ; que, toutefois, ce dispositif général a vocation à s’appliquer à tous les conducteurs ; qu’en outre, la faculté de choix laissée aux agents verbalisateurs s’exerce sous la surveillance du ministère public auquel il appartient, dans le cadre de la politique définie par le gouvernement pour assurer la cohérence de l’action publique sur l’ensemble du territoire, de veiller à l’harmonisation des poursuites de manière à ce que des faits de même nature soient poursuivis localement selon la même procédure ; qu’il suit de là que le moyen susanalysé doit être écarté ;
Considérant, en cinquième lieu, qu’alors même que le gouvernement a rétabli par l’article 2 du décret attaqué la peine complémentaire de suspension de permis de conduire s’agissant de contraventions pour lesquelles cette peine avait été supprimée par un précédent décret, cette seule circonstance n’est pas de nature à entacher d’illégalité ledit article 2 dès lors qu’il n’existe pas une disproportion manifeste entre la gravité des infractions ainsi définies et les sanctions encourues ;
Considérant, enfin, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;
En ce qui concerne l’article 3 du décret attaqué :
Considérant que l’article 3 du décret attaqué, tout en maintenant le caractère non obligatoire du port de la ceinture de sécurité pour les catégories de conducteur ou de passager énumérées au II de l’article R. 421-1 du code de la route, a pour objet de ranger le non-respect de l’obligation du port de cette ceinture parmi les contraventions de la quatrième classe et non plus seulement de la deuxième classe ; qu’il prévoit également qu’au cas où l’infraction est commise par le conducteur, elle entraîne le retrait de trois points du permis de conduire au lieu d’un point antérieurement ;
Considérant, en premier lieu, que l’article L. 223-8 du code de la route habilite le gouvernement, agissant par voie de décret en Conseil d’Etat, à fixer les modalités d’application du régime du permis de conduire à points et notamment, en vertu du 2° de cet article à déterminer « les contraventions à la police de la circulation routière susceptibles de mettre en danger la sécurité des personnes et entraînant retrait de points » ; que ces dernières dispositions visent aussi bien les contraventions mettant en péril la sécurité d’autrui que celle du conducteur ; qu’il suit de là que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait outrepassé l’habilitation donnée par l’article L. 223-8 du code de la route n’est pas fondé ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’il n’existe aucune disproportion manifeste entre la gravité des infractions définies par les dispositions de l’article 3 du décret attaqué et les sanctions encourues ; que doit par suite être écarté le moyen tiré de la violation du principe de nécessité des peines découlant de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle renvoie le préambule de la Constitution de 1958 ; que doit pareillement être écartée la violation alléguée de l’article 111-1 du code pénal en vertu duquel les infractions pénales sont classées « suivant leur gravité », en crimes, délits et contraventions ;
Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l’article 3 du décret contesté n’ont ni pour objet ni pour effet, de porter atteinte au droit pour une personne qui contreviendrait à ses prescriptions de voir sa cause entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que, par suite, le moyen tiré de la violation du paragraphe 1 de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli ;
Considérant, en quatrième lieu, que si l’article R. 412-1 du code de la route ne rend pas obligatoire le port de la ceinture de sécurité pour les conducteurs de taxi en service et, en agglomération, pour tout conducteur ou passager d’un véhicule des services publics contraint par nécessité de service de s’arrêter fréquemment, ces dispositions ne constituent pas une violation du principe d’égalité dès lors que les personnes qu’elles visent sont placées dans des conditions différentes de celle des autres conducteurs ou passagers ; que la circonstance que les passagers omettant d’utiliser leur ceinture de sécurité ne s’exposent pas à un retrait de points du permis de conduire dont ils sont éventuellement titulaires n’implique pas davantage une méconnaissance du principe d’égalité dès lors que les passagers et le conducteur d’un véhicule ne sont pas placés dans la même situation ;
Considérant, en cinquième lieu, qu’il résulte de l’objet même des articles L. 223-1 et suivants du code de la route relatifs au permis à point qu’ils ne sont applicables qu’à des personnes titulaires d’un permis de conduire délivré par les autorités françaises ; qu’il s’ensuit que les requérants ne sauraient utilement soutenir que le décret attaqué, qui ne fait qu’appliquer la loi, introduirait une discrimination injustifiée entre titulaires du permis de conduire délivrés par les autorités françaises et étrangères ;
Considérant enfin que, pour les motifs indiqués ci-dessus, les moyens tirés de ce que l’article 3 du décret attaqué serait contraire aux articles 20 et 49, paragraphe 3, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont inopérants ;
En ce qui concerne l’article 5 du décret attaqué :
Considérant que l’article 5 du décret attaqué modifie la partie réglementaire du code la route pour mettre en concordance les dispositions des articles R. 235-1 et suivants de ce code avec la loi du 3 février 2003 et préciser les modalités de dépistage de la conduite après usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants ; qu’il ne lui incombait pas de définir les substances ou plantes classées comme stupéfiants ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué créerait une incertitude sur les types de stupéfiants concernés, lesquels sont au demeurant définis par l’article 2 de l’arrêté du ministre de la santé pris en application de l’article R. 235-4 du code de la route, est inopérant ;
En ce qui concerne l’article 7 du décret attaqué :
Considérant que l’article 7 du décret attaqué qui modifie à cet effet l’article R. 322-5 du code de la route, énonce les formalités qui doivent être remplies par le nouveau propriétaire d’un véhicule déjà immatriculé qui entend le maintenir en circulation ; qu’à cet égard, obligation est faite au nouveau propriétaire de fournir un certificat de non-opposition au transfert du certificat d’immatriculation et une attestation d’inscription ou de non-inscription de gage établis depuis moins d’un mois par le préfet ;
Considérant que la circonstance que le préfet pourrait par lui-même procéder aux vérifications en cause à l’aide d’un fichier informatique comportant les informations nécessaires et consultable par ses services n’implique pas que l’article 7 du décret contrevienne aux dispositions de l’article 1er de loi du 6 janvier 1978 aux termes desquelles « l’informatique doit être au service de chaque citoyen » ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mlle Y et M. X ne sont pas fondés à demander l’annulation des articles 1, 2, 3, 5 et 7 du décret du 31 mars 2003 relatif à la sécurité routière et modifiant le code de procédure pénale et le code de la route ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de Mlle Y et de M. X sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mlle Francine Y, M. Michel X, au ministre de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre des solidarités, de la santé et de la famille et à la ministre de l’outre-mer.