192• En France, la protection des droits et libertés a une histoire, « qui, à l’inverse des généralités pieuses, met en lumière un parcours complexe, sinueux, fruit de conjonctures politiques singulières et où les effets du hasard paraissent plus faciles à discerner que les progrès de la Raison dans l’histoire » (J.-M. Denquin, « Des droits fondamentaux à l’obsession sécuritaire : mutation ou crépuscule des libertés publiques, conclusion d’un colloque », Jus Politicum 2010, n°5). Cette histoire peut, ainsi, être entamée avant la révolution dans la mesure où l’absolutisme monarchique n’a pas empêché la garantie, successivement par le Roi et les Parlements d’Ancien Régime, de droits et libertés. L’avènement du siècle des Lumières et la mise en place de la DDHC de 1789 va constituer une 2nde étape fondamentale même si le texte ne va pas faire partie intégrante de l’ordre juridique positif et que les textes constitutionnels du XIXème siècle ne s’y attacheront que de manière indirecte. Malgré les vicissitudes politiques et constitutionnelles qui ont suivi tout au long du XIXème siècle, les droits de 1789 ne seront jamais frontalement désavoués, y compris par des régimes qui se présentent, d’abord, comme des restaurations de l’Ancien Régime (à travers les Chartes constitutionnelles de 1814 ou de 1830) ou des régimes plus autoritaires (1er et 2nd Empire). Mais la période républicaine (IIème, IIIème et IVème républiques) va clairement confirmer un mouvement entamé dès la période révolutionnaire visant à ce que la protection des droits serait atteinte plus par la volonté politique que par la vigilance du juge, toute confiance étant accordée au législateur pour traduire juridiquement l’ensemble des droits et libertés. A la tradition de subordination et de dépendance du pouvoir judiciaire (1) va ainsi succéder le dogme révolutionnaire de la loi (2).
1. La tradition de subordination et de dépendance du pouvoir judiciaire
193• Si la monarchie absolue avait pour conséquence de supprimer et limiter les autres formes de pouvoir (celui de l’église romaine, celui du clergé, de la noblesse ainsi que des Parlements), elle n’empêcha pas la reconnaissance de droits et libertés avant 1789. Contrairement à l’opinion répandue, le Roi reconnaissait des libertés à ces sujets. Ces libertés concernaient le plus souvent des groupes sociaux et étaient placées sous la protection du Roi, source de toute justice, ou de ses Parlements. Au XIIème et XIIIème siècle, la plupart des villes s’autogouvernaient et faisaient leurs propres lois. Les libertés existantes se présentaient alors sous la forme de chartes, de simples franchises ou de privilèges accordées aux villes, celles-ci reconnaissant une assez large autonomie aux « francs-bourgeois », c’est-à-dire aux citadins libres. La qualité de « bourgeois de Paris » donnait des privilèges presque égaux à ceux de la noblesse, tels que le droit d’avoir des armoiries timbrées, de porter l’épée ou d’être exempt de la taille (Cf. article 173 de la Coutume de Paris, codifiée en 1510, qui établissait la qualité pour devenir bourgeois de Paris : il fallait, par exemple, habiter dans la ville, au minimum, durant un an et un jour, payer les taxes de la ville ou encore contribuer à la charité publique voir s’armer à ses frais pour pouvoir participer à la milice urbaine ; Cf. C. Du Moulin, La Coustume de Paris, conférée avec les autres coustumes de France et expliquée par les conférée avec les autres coustumes de France et expliquée par les notes de Me Charles Du Moulin, Paris, Ed. J. Guignard, 1666, p. 213-214 et J. Favier, Le Bourgeois de Paris au Moyen-Age, Paris, Ed. Tallandier, 2012).
194• Les droits ancestraux ainsi consacrés étaient considérés comme des libertés auxquels les seigneurs féodaux ne pouvaient porter atteinte, droits garantis par le Roi. Il en était de même des statuts et règlements des corps professionnels (corporations, jurandes) ou des compagnies d’officiers (les magistrats spécialement) que le Roi ne pouvait ignorer. Enfin, le statut des personnes, leur appartenance à l’un des trois ordres selon le modèle tri partite fondé au XIème siècle par Adalbéron de Laon (c’est dans son Poème au Roi Robert qu’il expose la tripartition de la société : ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores). Cf. C. Carozzi, Poème au Roi Robert, CLVIII, Les belles lettres, 1979 et « Les fondements de la tripartition sociale chez Adalbéron de Laon », Annales Economie, Société, Civilisations 1978, vol. n°33, p. 683), déterminait des droits et privilèges particuliers conçus comme autant de libertés qui devaient rester à l’abri du pouvoir royal. Le Roi s’engageait même à les protéger et à les garantir. L’appartenance au clergé et à la noblesse était assortie de privilèges. L’ecclésiastique était exempté de la taille et du service militaire, le noble ne payait pas non plus la taille et l’impôt royal direct puisqu’il versait théoriquement l’impôt du « sang » (l’obligation du service militaire).
195• En outre, le pouvoir royal se devait de respecter les coutumes ou les adages, c’est-à-dire les règles de droit privé, qui différaient selon les régions. Ces dispositions consacrées par l’usage s’imposaient dans les rapports entre les personnes, les formes de possession, les procédures judiciaires ou encore les droits et prérogatives des différentes communautés en matière politique, civile et criminelle. En droit français, par exemple, l’adage « paterna paternis, materna maternis » était une survivance d’une règle coutumière qui voulait que les biens d’un défunt retournassent lors de sa succession dans sa famille par le sang (on retrouve, aujourd’hui, cette idée dans le principe de la fente successorale de l’article 737 du Code civil). Etre jugé en vertu de sa propre coutume locale était une liberté pour les sujets du Roi sous l’Ancien Régime. Ces coutumes étaient des normes dont le Roi n’était souvent pas l’auteur mais le protecteur et qui ne s’adressaient pas à tous : elles étaient, au sens strict, des privilèges, des privata leges, des lois privées. Le Roi ne remettait en cause telle coutume ou privilège que lorsqu’il portait atteinte au bien commun du Royaume, aux bonnes mœurs ou à une action que la morale chrétienne réprouve. La mise en cause des libertés devait être puissamment justifiée par une nécessité publique et devait rester exceptionnelle.
196• Dans cette société très communautarisée, le rôle du Roi était de préserver l’harmonie sociale en n’altérant pas les « droits acquis » et en répartissant équitablement les droits, libertés et privilèges des uns et des autres à l’image du « Roi philosophe » de Platon (Platon, La République, Paris, Flammarion, 2002) ou du « Roi chrétien » ayant comme tâche de réaliser la Cité de Dieu sur Terre de Saint Augustin (Saint Augustin, La Cité de Dieu, Paris, Seuil, 3 tomes, 2004). Tel était le sens 1er de l’intérêt général et du bien commun jusqu’à ce que ces droits et libertés, qui sont censés précéder le Roi et lui être supérieurs, cèdent devant l’intérêt du royaume. Souvent qualifié d’âge sombre, le Moyen-âge et la monarchie médiévale s’inclinaient devant des droits et libertés qui leur précédaient et qu’ils étaient chargés de préserver, de protéger et de garantir jusqu’à ce que l’intérêt du Royaume supplante les intérêts particuliers nouvellement définis. La protection et la garantie des droits, jusque-là l’apanage du Roi, sont devenues, ensuite celles des Parlements d’Ancien Régime conservateurs alors de l’ordre ancien et de la « Constitution du royaume ». Ces derniers vont s’affirmer dès le XIVème siècle dans la défense des intérêts supérieurs de l’Etat et de la nation et se positionner en tant que gardien des lois fondamentales du royaume provoquant des conflits renouvelés avec la monarchie qui s’accentuèrent à la fin du XVIème siècle. On a pu parler, à leur égard, d’obstruction systématique voire égoïste à tel point qu’on pouvait évoquer, certes avec un peu d’avance, un certain « gouvernement des juges » sous l’Ancien Régime. Luttant ainsi contre le despotisme royal, c’est ce rôle politique qui allait pourtant et paradoxalement faire craindre leur influence par la suite. Alors qu’ils avaient préparé la révolution, ils allaient en être la 1ère victime faisant naitre, après cette dernière, toute une tradition de soumission de l’autorité judiciaire au pouvoir.
a) La raison : le « gouvernement des juges » sous l’Ancien-Régime
i) Un Roi, initialement et traditionnellement « fontaine de justice » au Moyen-Age avant une certaine spécialisation
197• Au XVIème et XVIIème siècle, les droits et les libertés issus du Moyen-Âge ont progressivement été mis à mal parl’absolutisme et par la loi du Roi qui s’est progressivement imposée. A l’origine, le Roi n’est en France ni un pouvoir exécutif, ni un pouvoir législatif, il est d’abord un juge. Jusqu’au XVIème siècle, lorsqu’il prend un édit ou une ordonnance générale, c’est avant tout pour appliquer la justice (ces normes étaient plutôt rares dans la mesure la loi du Roi était une source infiniment marginale par rapport au droit romain, au droit canonique et aux coutumes). Après le XVIème siècle, l’accroissement des interventions législatives royales n’a pas modifié le fondement du pouvoir du monarque : il reste « fontaine de justice » (c’est sous Philippe IV Le Bel, Roi de France de 1285 à 1314, grâce à la montée en puissance des légistes qu’on assimile le Roi comme un dispensateur de la justice et un organisateur du droit : Cf. S. Menegaldo et B. Ribemont, Le Roi fontaine de justice. Pouvoir justicier et pouvoir royal au Moyen-âge et à la Renaissance, Paris, Klincksieck, 2012) mais il apparaît néanmoins une certaine spécialisation des fonctions contrairement à cette image d’absolutisme qui ressort en 1er lieu. Le Roi et son conseil exerce les activités gouvernementales et font les principaux choix politiques, la justice déléguée règles les différends entre particuliers et juge les crimes et délits. L’activité normative est, quant à elle, partagée entre le Roi législateur et son conseil des ministres et les Cours souveraines puisque ces dernières avaient l’obligation d’enregistrer les actes royaux, c’est-à-dire de les publier dans leurs registres pour assurer leur publicité et leur conservation, après avoir vérifié leur compatibilité avec le droit, les usages et les coutumes locales.
ii) Des Cours de justice qui deviennent progressivement protectrices des « Lois fondamentales du Royaume »
198• Avec le terrain gagné par la loi du Roi, les libertés et droits ont été relégués au rang de privilèges mais, cette fois, au sens péjoratif du terme c’est-à-dire comme intérêts particuliers contraires à l’intérêt du Royaume. Mais ils n’ont pas disparu à la veille de la Révolution et les nouveaux défenseurs des droits, des franchises et des privilèges sont alors les Cours de justice qui jouissent d’une indépendance de fait très large. Ces Parlements d’Ancien-Régime se veulent conservateurs de l’ordre ancien et de la « Constitution du royaume », ce corps de principes de droit public impératifs et consacrés par l’usage progressivement formulées en « Lois du Royaume » puis, vers 1575, en « Lois fondamentales du royaume » (Cf. Par ex. I. Brancourt, « Les « lois fondamentales de l’Estat » dans quelques délibérations cruciales du parlement de Paris », Mélanges Harouel, Ed. Panthéon-Assas, 2015, p. 131). Si la dévolution de la Couronne et le consentement à l’impôt par les assemblées sont les plus représentatifs de ces coutumes, il faut aussi mentionner l’obligation de respecter les droits coutumiers des provinces, l’inamovibilité des magistrats ou encore le respect des droits procéduraux. Il y a, immanquablement, de nombreux conflits entre la Monarchie et les Cours, la monarchie soutenant que le juge s’immisce dans les affaires d’Etat gouvernées par la raison d’Etat par rapport à laquelle les juges sont doublement incompétents techniquement et juridiquement. Les Parlements faisant valoir, quant à eux, que légiférer sans respecter les droits et l’ordre constitutif de la Monarchie revient à s’exposer à la tyrannie.
iii) La mise en place par les Parlements d’Ancien-Régime d’un droit à la sûreté à travers le contrôle des « lettres de cachet » (1)
199• Grace au travail des Parlements, on assiste, sous l’Ancien Régime, à la mise en place d’un véritable « habeas corpus à la française » pour lutter contre l’arbitraire du Prince. Les parlementaires vont développer un droit à la sûreté dans leur opposition aux « lettres de cachet » ou aux « ordres particuliers », stigmatisées comme étant le symbole marquant de l’absolutisme monarchique. Définies comme étant des mesures restrictives de liberté ordonnées par le Roi, elles permettaient l’incarcération sans jugement, l’exil ou l’internement de personnes jugées indésirables par le pouvoir. D’abord utilisées dans un cadre politique (l’exemple le plus souvent citée est celui de l’arrestation du surintendant Fouquet le 5 septembre 1661 diligentée par d’Artagnan sur ordre de Louis XIV) puis par convenance personnelle par le Roi, elles ont fini, contrairement aux idées reçues, par échapper à ce dernier et être établies, le plus souvent, à la demande et aux frais de la famille, pour empêcher un scandale à venir ou étouffer une affaire sensible (on cite souvent comme exemple les lettres de cachet obtenues par le père de Mirabeau pour l’enfermer au château d’If, près de Marseille, ou au donjon de Vincennes pour dettes de jeu, le but étant de lui éviter la condamnation à mort ; Ce qui n’empêcha pas une critique des plus virulentes du principal intéressé contre cet instrument malgré son caractère bienfaiteur le concernant : Cf. H.-G.-R. Comte de Mirabeau, Des Lettres de cachet et des Prisons d’état in Œuvres de Mirabeau, Paris, Ed. Lecointe et Poucin, Didier, tome n°7, 1835). Elles ont aussi été utilisées pour éviter une condamnation criminelle (le cas de Donatien de Sade est l’exemple le plus souvent citée, il a été enfermé à Vincennes le 13 février 1777 à la demande de sa famille après avoir été rattrapé par plusieurs scandales et éviter la honte d’une condamnation à mort en conséquence) ou pour se débarrasser d’un héritier gênant (Voir, l’essai historique, très bien documenté, sur tous ses exemples de C. Quétel, Les Lettres de cachet. Une légende noire, Paris, Ed. Perrin, 2011).
La mise en place par les Parlements d’Ancien-Régime d’un droit à la sûreté à travers le contrôle des « lettres de cachet » (2)
200• Il y a ainsi un côté assez paradoxal dans l’utilisation des lettres de cachet. La détention dans une prison royale confère, en effet, à l’époque, une immunité qui met hors de portée du système judiciaire ordinaire. L’emprisonnement apparait comme une « porte de sortie » car elle n’est pas en soi une peine à cette époque mais un lieu où l’on attend une condamnation ou l’exécution d’une sentence. Là encore, contrairement aux idées reçues, les Rois ont cherché à limiter les excès et ont fait procéder à des contrôles pour éviter les accusations farfelues. Louis XVI a ainsi encadré la pratique par la circulaire du Baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, rédigée en 1784, qui limite la durée de la détention consécutive aux lettres de cachet sollicitées par les familles (Cf. Lettre circulaire de M. le baron de Breteuil, Ministre d’Etat, à MM. les Intendants des Provinces de son département au sujet des Lettres de Cachet et Ordres de détention in L. Petit de Bachaumont et J.-T. Merle, Mémoires historiques, littéraires et critiques depuis l’année 1762 jusqu’en 1788, Paris, Ed. Léopold Collin, 1808, p. 160). Les lettres de cachet concernant les affaires d’Etat ne représentaient qu’une faible minorité du corpus (de l’ordre de 4 à 5 %). Au-delà de la pratique assez paradoxale de ces lettres, les Parlements, par leur contrôle, ont saisi l’occasion de s’opposer à la souveraineté du Roi en cas d’arbitraire en affirmant, par exemple, le droit à l’inviolabilité de la magistrature ou la garantie pour un citoyen de n’être privé de liberté qu’après instruction légale, par une juridiction ordinaire. À la fin de la période, les parlementaires influencés par les philosophes des lumières se prévalent du « droit naturel » pour étayer leurs prétentions.
iv) Un pouvoir d’enregistrement des lois qui s’apparente à un contrôle a priori de constitutionnalité
201• L’opposition des Parlements au caractère absolu du régime va être, surtout, marquante dans l’exercice du pouvoir d’enregistrement des lois. L’idée de soumission des lois du Roi à des normes hiérarchiquement supérieures fait peu à peu son chemin et laisse place à une « sorte d’ancêtre du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois ». Ce dernier s’analysant comme le « droit des cours de vérifier, dans chaque province, les volontés du roi, et n’en ordonner l’enregistrement qu’autant qu’elles étaient conformes aux lois constitutives de la province, ainsi qu’aux lois fondamentales » (Cf. F. Saint-Bonnet, « Le pouvoir normatif des anciens juges. Le contrôle juridictionnel a priori des lois du royaume », Cahiers du CC 2008, n°24). Lors de cet enregistrement, la loi du Roi faisait l’objet d’un examen préalable, une « vérification » demandée par le Roi à sa Cour consistant à parfaire juridiquement la loi. A l’origine, au XIVème siècle, le contrôle des Parlements portait, essentiellement, sur des opérations matérielles, l’équité ou la satisfaction du bien du Roi ou du Royaume. Le Roi n’y voyait aucune offense ou un quelconque contre-pouvoir, les Cours complétant la mission du Roi pour l’utilité du bien commun. Mais les Parlements vont peu à peu dépasser ce rôle de complément visant à renforcer l’autorité royale pour, au contraire, dépasser cette dernière à travers des refus obstinés quant à certains édits, ordonnances et autres lettre patentes. Plusieurs tactiques vont alors être envisagées pour contourner l’obstacle « parlementaire » avec, notamment, des réformes qui auront plus ou moins de succès à court ou à moyen terme.
v) Un droit de remontrance équivalent aux réserves d’interprétation actuelles du Conseil constitutionnel
202• Au XVIème siècle, les Parlements vont développer une technique ayant beaucoup de similitudes avec celle des réserves d’interprétation utilisée aujourd’hui par le Conseil constitutionnel. Cette technique, qu’on évoque sous le nom de « droit de remontrance », permettait à la Cour, après délibération, de présenter des observations critiques sur un texte qui méconnaissait des ordonnances de principe ou des principes juridiques jugés fondamentaux. Le Roi pouvait ne pas en tenir compte et imposer sa volonté au Parlement en émettant, en 1er lieu, des « lettres de jussion ». Elles ordonnaient expressément à ce dernier d’enregistrer (les lettres de jussion sont assez nombreuses sous Henri III où l’on parle d’« expresse jussion » ou de « première et finale jussion »). La Cour pouvait encore s’obstiner par des « remontrances itératives » qui pouvaient, à leur tour, être suivies de la tenue d’un lit de justice(séance solennelle en présence du Roi) pour forcer l’enregistrement (avec la présence du Roi, le Parlement perd sa qualité de juge pour redevenir simple conseiller suivant l’adage : « adveniente principe, cessat magistratus » (« quand le Prince arrive, les magistrats se taisent »)). Le lit de justice pouvait s’apparenter à une véritable Cour constitutionnelle du royaume spécialement lorsqu’il était question de l’application des traités internationaux. Tout traité qui n’était pas conforme aux Lois du royaume pouvait se voir censurer d’un ou plusieurs articles (ex : François 1er a évité à la France la perte de la Bourgogne en faisant déclarer par les Pairs que cette province était inaliénable).
vi) Un contre-pouvoir politique au pouvoir législatif du Roi : la remise en cause de la validité du droit de remontrance
203• Du XVIème siècle à la révolution, la réglementation de l’ensemble des procédures, jusque-là décrites, a beaucoup changé attestant de la réalité de la participation des juges au processus normatif. Face à ce qui apparaît comme une forme de contrôle politique sur son pouvoir législatif, le Roi doit régulièrement rappeler aux Cours souveraines les limites de leurs compétences (Cf. Le lit de justice des 24, 26 et 27 juillet 1527 au Parlement de Paris où François 1er rappelle aux parlements qu’ils ne sont que des juges délégués soumis aux lois du Roi et leur interdit de s’immiscer dans les affaires d’Etat ou dans tout autre chose que la justice). Les Parlements se considèrent comme l’équivalent du Sénat romain, ils font partie du « corps du prince », ils ne sont pas de simples délégués du Roi mais partagent avec lui la même nature donc le même pouvoir (cette doctrine a été théorisée dès les débuts du XVIème siècle dans un ouvrage rédigé par Bernard de La Roche Flavin, Treze Livres des Parlemens de France, Bordeaux, Simon Millanges, 1617 réédité sous le titre Treize livres des parlemens de France, Genève, M. Berjon, 1621). L’arme principal des juges, le droit de remontrance est, tour à tour, supprimé puis restauré. S’il est impossible ici de détailler la teneur de l’ensemble des textes, on peut néanmoins faire référence à certains d’entre eux : ce droit a d’abord été limité par l’ordonnance de Moulins de février 1566 sur la réforme de la justice (Recueil général des anciennes lois françaises, t. XIV, p. 189) puis l’ordonnance royale du 15 janvier 1629 dite Code Michau (Cf. M. de Marillac Ordonnance du roy Louis XIII… sur les plaintes et doléances faites par les députés des Etats de son royaume, convoqués et assemblés en la ville de Paris en l’année 1614… publiée en Parlement le 15 janvier 1629, Paris, A. Estienne, 1629 et L. Kadlec, « Le Code Michau : la réformation selon le garde des sceaux Michel de Marillac », Les dossiers du Grihl (En ligne)). C’est Louis XIII, Roi de France de 1610 à 1643, qui va, ensuite, condamner solennellement le Parlement de Paris pour son attitude pendant sa minorité jusqu’à supprimer le droit de remontrance par l’édit de Saint-Germain-en-Laye du 21 février 1641 (Recueil général des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 529) qui défend aux Parlements et autres cours de justice de prendre connaissance à l’avenir des affaires d’Etat et d’administration (« Très expresses inhibitions et défenses » aux corps judiciaires « de prendre à l’avenir connaissance d’aucunes affaires qui peuvent concerner l’Etat, l’administration et le gouvernement d’icelui que nous réservons à notre seule personne »).
vii) Un contre-pouvoir politique au pouvoir législatif du Roi : la période de la Fronde (1648-1653) et l’arrêt d’Union
204• Quand Richelieu est mort en 1642 puis Louis XIII en 1643, le pouvoir royal se retrouve en position de faiblesse et doit faire face à une période de régence (menée par Anne d’Autriche de 1643 à 1651) et à une situation financière et fiscale difficile en raison des prélèvements nécessaires à effectuer pour subvenir aux besoins de la guerre de Trente Ans. Mais l’autorité monarchique redore, peu à peu, son blason. La montée de son autorité, qui va connaitre son apogée sous le règne de Louis XIV, va provoquer la rencontre de multiples oppositions, qu’elles soient, parlementaires, aristocratiques ou populaires. Ces oppositions marqueront la période de la Fronde (1648-1653) (Voir, par ex., J.-M. Constant, C’était la Fronde, Paris, Flammarion, 2016) où les Cours souveraines ont joué un rôle prépondérant. Le 13 mai 1648, les Cours souveraines rendent « l’arrêt d’Union » qui propose aux 4 cours souveraines de délibérer en commun (Parlement, Chambre des comptes, Cour des Aides, Grand Conseil) et qui les fédèrent « pour la défense du public et la réforme de l’Etat ». C’est un défi institutionnel lancé à l’exécutif pour protéger les intérêts de l’Etat et défendre le bien public contre un pouvoir absolu. La régente essayera, en premier lieu, de s’y opposer mais, le 15 juin, le Parlement fait front et appelle les autres cours du royaume à le rejoindre le lendemain à la chambre Saint-Louis du Palais de justice. Au début de l’été 1648, ces assemblées élaborent un texte de 27 articles dont l’objectif est de réformer l’Etat. Elles proposent, spécialement, de donner un droit de veto à la chambre Saint-Louis en matière de création d’impôts royaux, de supprimer les intendants, d’abolir les juridictions d’exception et les lettres de cachet ou de contrôler la création des offices en exigeant au préalable leurs enregistrements par les Cours souveraines. Si le texte ou l’arrêt a été une tentative visant à freiner la tendance absolutiste de la Monarchie, en mettant des barrières au pouvoir absolu du Roi en matière financière, il n’empêche pas une remise en ordre et reprise en main du pouvoir royal en 1953 (un lit de justice avait pourtant accepté le 31 juillet 1648 presque toutes les propositions avant que Mazarin fasse arrêter, le 26 août, les 3 chefs de la contestation parlementaire (Blancmesnil, Charton et Broussel) entrainant l’épisode des 3 journées de barricades puis la libération forcée des prisonniers. Retiré à Saint-Germain avec la régente et Louis XIV, Mazarin organise le blocus de Paris où le Parlement, qui s’est emparé du gouvernement, organise la résistance. Mais craignant l’agitation populaire, il négocie la paix par la signature du compromis de Rueil, le 11 mars 1649, où en échange de l’amnistie des parlementaires, il s’engage à renoncer à s’imposer comme un contre-pouvoir indépendant. Un lit de justice solennel pris le 22 octobre 1652 au Louvre, après le retour du Roi sur Paris, interdit aux magistrats de « prendre aucune connaissance des affaires de l’Etat ») Les Parlements, ou plutôt le Parlement de Paris, sortent affaiblis et diminués de leur tentative de prédominance sur l’autorité royale. Leur audace leur vaut une censure et mise au silence délibérée orchestrée par le pouvoir royal même s’ils ne vont pas cesser de mener une guerre d’influence avec le Roi Louis XIV jusqu’à sa mort en 1715.
viii) Une guerre d’influence permanente avec le Roi Louis XIV
205• Louis XIV fera tout pour affaiblir les Parlements qui sont à l’origine de la « Fronde » et ceci dès son arrivée au pouvoir. Le 13 avril 1655, il entre dans la grande chambre du Parlement de Paris en habit de chasse, un fouet à la main pour faire enregistrer des édits bursaux destinés à faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat au moyen de la création d’offices et de nouvelles impositions (Le président du Parlement lui parlant alors de l’intérêt de l’Etat dans cette affaire, le jeune Louis XIV se serait écrié : « l’Etat, c’est moi ! » même si les historiens ne sont pas tous d’accord sur ce point). Dès 1665, un lit de justice pouvait s’effectuer sans la présence du Roi et Louis XIV enleva le nom de « Cour souveraine » aux Parlements pour le remplacer par celui de « Cour supérieure ». Deux ans plus tard, l’ordonnance civile d’avril 1667 (Cf. D. Jousse, Nouveau commentaire sur l’ordonnance civile d’avril 1667 (Ed. 1771), Hachette BNF, 2012) n’autorisa les remontrances que dans un délai très bref après la présentation d’un édit et pour une seule fois. La déclaration du 24 février 1673 (Voir Déclaration du Roy qui règle la forme de l’enregistrement des Edits, Lettres patentes et règlements concernant les affaires du Roy dans les compagnies supérieures, Paris, Ed. Antoine Jullieron, 1673) impose, ensuite, l’enregistrement des édits royaux dès réception sans même pouvoir opiner, les remontrances éventuelles étant repoussées (à Paris, les Cours ont 8 jours pour adresser les leurs, celles de province six semaines). Le Roi emporte alors une victoire durable sur les Cours portant l’autorité monarchique à un degré inégalé. Pour Colbert en 1679, « les bruits du parlement ne sont plus de saison » (Cité par P. Clément, Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Paris, Imprimerie impériale, 1868, t. IV, p. 136).
ix) La révolte des juges dès 1715 et le droit de libre vérification des lois du Roi
206• Le 2 septembre 1715, Philippe d’Orléans, qui a obtenu le soutien des membres du Parlement de Paris, est proclamé, après la mort de Louis XIV, régent du royaume et détenteur effectif du pouvoir, durant la minorité du jeune Louis XV. Le 15 septembre 1715, il restitue au Parlement de Paris son droit de remontrance pour acquérir leurs faveurs et se voir confirmer la régence du Royaume pendant la minorité de Louis XV. Dès 1718 le régent tente de restaurer le texte de Louis XIV, sans succès. Les conflits sont récurrents à partir des années 1750 et les Parlements ont, avec eux, l’opinion publique qui rejette le pouvoir absolu au nom d’une royauté traditionnelle modérée. Les Parlements multiplient les lettres itératives, les remontrances sont de plus en plus longues. Normalement écrites et secrètes, elles font l’objet d’une publication, sont diffusées, et participent à l’élaboration d’une propagande. Les lettres de jussion et lits de justice sont impuissants, puisque les cours s’obstinent et répondent par des démissions collectives et des grèves de la justice. Au XVIIIème siècle, les Cours estiment disposer d’un droit de libre vérification des lois du Roi et, de la sorte, du pouvoir d’empêcher leur entrée en vigueur si elles étaient contraires aux règles constitutives de la Monarchie développant ainsi l’idée que les lois du Roi étaient déjà implicitement soumises à des normes qui leur étaient supérieures comme s’il existait une sorte de contrôle de constitutionnalité a priori tel qu’il existe aujourd’hui.
x) Les Parlements, Louis XV, la séance de la « flagellation » et la réforme Maupeou
207• Après plusieurs provocations du Parlement, le Roi Louis XV réagit par un discours prononcé lors du lit de justice du 3 mars 1766. Louis XV, mesurant la gravité de la révolte des juges et de la fronde parlementaire, réaffirme fermement, dans son discours, la position de la monarchie absolue. Cette séance au Parlement de Paris est qualifiée de séance de la « flagellation » ou de « coup de majesté » car Louis XV, en reprenant d’autorité la justice qu’il a déléguée au Parlement, tient des propos assez durs, « flagellant » l’orgueil des Parlementaires. Pour en finir de la guerre entre Parlements et pouvoir royal, le garde des sceaux, René Nicolas de Maupeou, met en place, en 1771, une réforme spectaculaire pour contrôler à nouveau le pouvoir judiciaire. La réforme a amené à l’arrestation et l’exil des parlementaires parisiens, à la confiscation de leurs charges et à leur rachat par l’Etat. Elle a aussi séparé le Parlement de Paris en 6 circonscriptions pour y placer, à l’intérieur de chacune, un Conseil supérieur, nouvelle juridiction souveraine (le Parlement de Paris subsiste mais n’a plus qu’une circonscription réduite). La vénalité des offices est abolie, les magistrats sont nommés et révoqués par le Roi qui choisit seul ceux d’entre eux qui sont inamovibles. Le rôle des nouveaux conseils se limitent à la promulgation des lettres patentes. La remontrance n’est plus qu’un devoir de conseil. A partir du moment où les magistrats sont révocables, ils ne peuvent plus être dans une éternelle opposition au Roi.
xi) Une révolution initiée par leur action qui allait finalement provoquée leur perte
208• Louis XVI, soucieux de sa popularité personnelle, a rétabli les anciens Parlements dès 1774 et rend, en conséquence, le droit de remontrance aux Parlements. Le 12 novembre 1774, au cours d’un lit de justice, le jeune Roi (20 ans) réintègre les magistrats exilés dans leurs anciennes fonctions. C’est le début de la marche en avant vers la Révolution. Louis XVI reculera désormais chaque fois devant l’opposition des Parlements qui joueront un rôle important dans l’agitation pré-révolutionnaire des années 1780. Ce ne fut pas sans un dernier baroud d’honneur. Un arrêt du 3 mai 1788 du Parlement de Paris, qui, se sentant menacé de suppression, avait exposé les Lois fondamentales de la Monarchie tout en faisant des corps intermédiaires liés à la société d’ordre le caractère essentiel de la Constitution monarchique. Pour imposer les décisions du Roi, le garde des sceaux, le 8 mai 1788, fait une réforme de la justice en retirant aux Parlements leur droit d’enregistrement et de remontrance, qu’il confie à une Cour plénière dont il contrôle les membres. Cette réforme trop tardive ne sauvera pas la Monarchie. Les Parlements sont soutenus par une partie du peuple dont ils prétendent être les protecteurs contre le « despotisme » royal. En empêchant toute réforme de celui-ci, ils préparent la Révolution, dont ils seront, paradoxalement, les premières victimes. Leur rôle politique n’a, au final, jamais été accepté même si le but était de lutter contre l’absolutisme royal. En définitive, la volonté de faire des magistrats de l’Ancien Régime de simples automates appliquant mécaniquement la loi du Roi ne se traduira jamais dans les faits faisant de la monarchie absolue une monarchie pas si absolue que cela. Paradoxalement, ce sont les révolutionnaires qui parviendront à systématiser en entier ce côté absolu en interdisant tout contrôle a priori ou a posteriori de la loi.
b) La conséquence : une autorité judiciaire au service du pouvoir après la Révolution
i) Montesquieu et sa conception a priori négative de la fonction de juger
209• La conception que l’on se fait du rôle des juges en 1789 est déterminante : ils ne doivent être, comme le dit Montesquieu que « le bouclier qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force, ni la rigueur »(L’esprit des lois (1748), chapitre « De la Constitution d’Angleterre », chapitre VI, Livre XI, http://classiques.uqac.ca/classiques/montesquieu). Ils doivent se limiter à confronter un cas concret à une loi par essence respectueuse des droits et libertés : ils sont des automates qui n’ont pas à disposer de lumières particulières en droit. Les jugements ne devant jamais être « qu’un texte précis de la loi. S’ils étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans la société sans savoir précisément les engagements que l’on y contracte » (p. 48). Dans ses propos, l’auteur attribue un rôle très réduit à la puissance de juger qui apparaît comme une branche du pouvoir exécutif : « la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit civil » (p. 47). Il n’en fait pas un égal des deux autres pouvoirs : « des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle. Il n’en reste que deux » (p. 50). Il a une approche très restrictive de la faculté laissée aux juges d’interpréter la loi, a fortiori, de la compléter ou de la suppléer par la jurisprudence. Il juge que cette puissance serait « terrible parmi les hommes » (p. 48) et qu’elle serait « dangereuse si elle était jointe à la puissance législative ou à la puissance exécutrice » (p. 47). Il ne veut pas que ce pouvoir soit autonome, il ne doit pas être confié à un corps spécialisé permanent : « la puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du peuple dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant la nécessité le requiert » (p.48). Il vaut mieux qu’elle soit confiée à des personnes tirées temporairement du peuple comme à Athènes ou à des pairs de l’accusé c’est-à-dire à des personnes qui ne sont ni attachés à un certain Etat, ni attachés à une certaine profession. En réalité, la fonction de juger est pour l’auteur « invisible et nulle » (p. 48). Pour lui, le jugement des nobles et des crimes qui violent les droits du peuple doit être réservé à la chambre haute. Montesquieu était véritablement opposé à la constitution d’un pouvoir judiciaire fort disposant de la faculté d’empêcher.
ii) Montesquieu et une conception a posteriori positive de la fonction de juger
210• L’approche de Montesquieu peut sembler paradoxale lorsqu’on sait que l’auteur était un défenseur des Parlements d’Ancien Régime, lui-même ancien président à mortier (l’une des charges les plus importantes de la justice d’Ancien Régime, le mortier étant le nom de leur couvre-chef, une toque de velours noir rehaussée de deux galons dorés) au Parlement de Guyenne (ancienne province située dans le sud-ouest de la France autour de Bordeaux). Mais, il faut noter, qu’à contre-pied de la vision traditionnelle, l’auteur ne s’est pas arrêté là concernant la fonction des juges. Il a conçu, en réalité, 2 mécanismes distincts destinés à assurer la modération ou l’équilibre entre les pouvoirs et, en définitive, le respect des droits et libertés (voir, en ce sens, par ex., F. Saint-Bonnet, « Le pouvoir normatif des anciens juges. Le contrôle juridictionnel a priori des lois du Roi », Cahiers du CC 2008, n°24 et E. Gojosso, « L’encadrement juridique des pouvoirs selon Montesquieu. Contribution à l’étude des origines du contrôle de constitutionnalité », RFDC 2007, n°3, p. 228 et suiv. ; S. Roland, « Les figures organiques de la légitimité dans la doctrine constitutionnelle de Montesquieu », Revue française d’histoire des idées politiques 2009, n°29, p. 3 et suiv.) A la « distribution des fonctions » bien connue des étudiants mais classiquement voire abusivement présentée comme étant une « séparation des pouvoirs », s’ajoute, en effet, ce que l’auteur a qualifié comme étant la pratique de « dépôt des lois » (Esprit des lois, Livre II, Chapitre 4, p. 46).
iii) Montesquieu et la pratique judiciaire et politique du « dépôt des lois »
211• Lorsque Montesquieu examine les monarchies dans son ouvrage, il les caractérise toutes par le fait que le prince y détient « la puissance exécutrice et la législative, ou du moins une partie de la législative […] » Esprit des lois, Livre XI, chapitre XI). Elles sont, de ce fait, davantage exposées au risque despotique que les républiques démocratiques ou aristocratiques. Pour pallier à ce risque, l’auteur imagine confier à un corps politique la fonction d’annoncer les « lois fondamentales » établies par l’autorité monarchique et la fonction de les rappeler lorsqu’on les oublie. Cette procédure appelée « dépôt des lois » serait destinée à rappeler les limites attachées au pouvoir de l’autorité monarchique car si le prince détient « la puissance exécutrice et la législative, ou du moins une partie de la législative […] il ne juge pas » (Esprit des lois, Livre XI, chapitre XI). Pour l’auteur, ce « dépôt des lois » ne peut être confié au « conseil du Prince » qui est, « par sa nature, le dépôt de la volonté momentanée du prince qui exécute, et non pas le dépôt des lois fondamentales » (p. 46). Ce dépôt ne peut être confié qu’aux « corps politiques, qui annoncent les lois lorsqu’elles sont faites et les rappellent lorsqu’on les oublie » (p. 46). L’auteur pense, à cet égard, aux Parlements dont les missions sont la conservation des lois (enregistrement), leur publicité et leur bonne application dont il a déjà pu relever le rôle essentiel (Voir, par ex., dans les Lettres persanes où les Parlements apparaissaient comme porteurs de « vérités » tout aussi « tristes » que nécessaires (Lettres persanes, in Œuvres complètes de Montesquieu, éd. R. Caillois, Paris, Gallimard, 1951, CXL, t. 1, p. 340-341) et comme acteurs principaux de la modération (En ce sens, E. Gojosso, « L’encadrement juridique des pouvoirs selon Montesquieu. Contribution à l’étude des origines du contrôle de constitutionnalité », précité). Le but n’est pas de s’opposer à la Monarchie mais simplement de la modérer en rappelant certaines valeurs essentielles. Les Parlements apparaissant ainsi comme les derniers remparts contre les atteintes à la liberté et à la sûreté. Au final, Montesquieu n’a pas attribué positivement aux magistrats la prérogative de censurer les lois, ou une certaine « faculté d’empêcher », préservant ou défendant en cela le régime monarchique qui repose sur la confusion des fonctions législative et exécutive, assumées par le seul Prince. Il a tenu compte de ce qu’on pouvait appeler, avant la lettre, du « gouvernement des juges » dans l’action des Parlements par leur obstruction à l’enregistrement des lois. Mais, s’il n’a pas placer la puissance de juger au même rang que les pouvoirs exécutif et législatif, il raisonne différemment pour ce qui relève du « dépôt des lois » qui apparaît bien comme une prérogative judiciaire. La justice en ce sens est conçue par l’auteur comme un pouvoir politique sans pour autant empiéter sur le pouvoir législatif royal et sans porter atteinte à la souveraineté comme pouvoir absolu.
iv) La défiance révolutionnaire envers la fonction de juger
212• Les révolutionnaires, une fois arrivés au pouvoir, ne vont pas tenir compte de la mécanique du « dépôt des lois » prônée par Montesquieu. En provoquant la réunion des Etats généraux le 24 janvier 1789 (les Etats généraux ont vocation à lever des impôts exceptionnels et ne se sont plus réunis depuis 1614, ils sont le dernier moyen restant au Roi Louis XVI pour tenter de sauver le Royaume de la faillite et contenir la révolte qui gronde) ils vont, avant tout, s’attarder aux considérations qui avaient amenées les juges à paralyser le pouvoir royal sous l’Ancien Régime. Si, comme on l’a vu, les magistrats ont pourtant joué un rôle considérable dans la mécanique de la révolution, c’est, surtout, le souvenir des coups portés au pouvoir royal qui va prédominer. A cela s’ajoute l’impopularité tardive du Parlement de Paris qui, lors de la convocation des Etats généraux, s’est montré plus préoccupé de défendre ses privilèges que de promouvoir un nouvel ordre social plus libre et plus juste (le Parlement de Paris sera notamment hostile au doublement du nombre des députés du tiers état, ce qui lui fera perdre toute popularité). L’ensemble conduit les membres de l’Assemblée constituante à se défier du pouvoir judiciaire. Il y a, aussi, les attaques répétées des avocats et intellectuels de l’époque qui, si elles ont fait naitre les prémisses de l’existence d’une certaine opinion publique avec déjà tous les travers que l’on peut lui connaître aujourd’hui, ont stigmatisé les reproches voire la cruauté de certains procédés employés par la magistrature de l’époque. On peut citer Beccaria (C. Beccaria, Traité des Délits et des Peines, Livourne, 1764, rééd. aux éd. du Boucher, 2002 (En ligne) ou M. Porret (dir.), Beccaria et la culture juridique des lumières, Genève, Librairie Droz, 1997) ou Voltaire (ces gravures de brodequins, permettant l’application de la question et autres roues en place de Grève, ont mis à la postérité les coutumes barbares de l’Ancien Régime même si l’image peut parfois se révéler inexacte ou faussée. Voir, en ce sens, B. Garnot, C’est à la faute à voltaire… une imposture intellectuelle, Belin éditions, 2009 ou « Voltaire et la justice d’Ancien Régime : la médiatisation d’une imposture intellectuelle », Le temps des médias 2010, n°15, p. 26). L’intolérance religieuse du système judiciaire a également été relevé (affaires Calas, Sirven, Chevalier de la Barre qui sont autant de fait divers qui témoignaient de l’intolérance religieuse qui existait sous l’Ancien Régime et qui avaient été notamment dénoncés par les philosophes des lumières comme étant la marque de l’arbitraire du système judiciaire. Cf. Par ex. N. Castan, « La justice en question en France à la fin de l’Ancien Régime », Déviance et Société 1983, vol. n°7, n°1, p. 23).
v) La loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire
213• C’est la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire (Rec. Duvergier, p. 361), confirmée par le décret du 16 fructidor an III (JO, 21 août 1944, p. 315), qui va marquer la méfiance des révolutionnaires vis-à-vis des tribunaux de droit commun et leur volonté de protéger l’administration. Rédigée exclusivement sous une forme négative, la loi va se borner à poser deux grandes interdictions à l’encontre des Parlements. La 1ère interdiction vise à protéger le pouvoir législatif du pouvoir judiciaire en interdisant aux tribunaux judiciaires de s’immiscer dans l’exercice de l’activité législative. Les « tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif […] » (article 10) et « […] ils ne pourront point faire de règlements » (article 12). Ceci implique, notamment, l’interdiction des arrêts de règlement, c’est-à-dire des décisions de justice posant des règles de portée générale. La 2nde interdiction vise à protéger le pouvoir exécutif du pouvoir judiciaire et interdit aux tribunaux ordinaires de s’immiscer dans l’activité administrative. L’article 13 prévoyant que « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». Cette règle sera rappelée avec vigueur par le décret du 16 fructidor an III selon lequel « défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque manière que ce soit, aux peines de droit ».
vi) La tradition conséquente de dépendance du pouvoir judiciaire dans tous les régimes postérieurs : la période 1791-1814
214• Pour s’assurer contre toute tentation du juge de sortir de son champ de compétence, l’assemblée nationale, dans la Constitution du 3 septembre 1791, fixe de strictes limites au pouvoir judiciaire en le « subordonnant » à la puissance législative et en le « séparant » du pouvoir administratif : « Les tribunaux ne peuvent, ni s’immiscer dans l’exercice du Pouvoir législatif, ou suspendre l’exécution des lois, ni entreprendre sur les fonctions administratives, ou citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » (art. 3 chapitre V, titre II). Confiance dans le législateur, défiance envers le juge, ces deux éléments, mis en place par les révolutionnaires, vont ainsi se perpétuer chez leurs successeurs. L’article 203 de la constitution de l’an III (constitution du 5 fructidor an III) établit que « les juges ne peuvent s’immiscer dans l’exercice du Pouvoir législatif, ni faire aucun règlement » (art. 203). L’article 5 du Code civil dispose qu’il est « défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » et l’article 127 du Code pénal (1810) punit les juges qui « se seront immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif […] par des règlements contenant des dispositions législatives » (Cf. J.-L. Halperin, « Le juge et le jugement en France à l’époque révolutionnaire » in J. Robert (dir.), Le juge et le jugement dans les traditions juridiques européennes, Paris, LGDJ, 1996, p. 223). A la fin de la période de tradition révolutionnaire, Napoléon met en place des « fonctionnaires juges ». La Justice devient une administration de l’Etat, entourée d’un certain prestige, certes, mais une administration, avant tout, comme une autre, au service de l’Etat. Sous le Consulat et l’Empire, l’esprit de caserne a substitué une vassalité à une autre, l’autorité judiciaire étant exercée par un corps de fonctionnaire maintenant subordonné au gouvernement. Le consulat et l’empire vont consacrer l’autorité judiciaire dans l’Etat. L’ordre judiciaire est présenté de manière globale comme un grand corps de l’Etat. On réhabilite la jurisprudence civile et Napoléon appelle de ses vœux une justice criminelle très imposante. Cependant cette consécration de l’autorité judiciaire s’accompagne d’une perte d’indépendance pour les magistrats. L’autorité judiciaire agissait librement mais sous la surveillance de l’Empereur duquel émanait le pouvoir suprême.
vii) La tradition conséquente de dépendance du pouvoir judiciaire dans tous les régimes postérieurs : la période du XIXème siècle
215• L’autorité judiciaire mise au service du pouvoir inspira, aussi, la Monarchie restaurée en 1814. Les institutions existantes sont maintenues mais la Charte de 1814 déclare notamment que « toute justice émane du roi. Elle s’administre en son nom par des juges qu’il nomme et qu’il institue » (art. 57). La justice est plus que jamais réduite à une fonction qui s’administre au moyen de juges nommés par l’exécutif (Cf. J.-L. Halperin, « 1789-1815 : un quart de siècle décisif pour les relations entre la Justice et le Pouvoir en France », Justices 1995, p. 13). Les Régimes monarchiques et républicains, qui se sont succédés tout au long du XIXème siècle, ont apporté des aménagements mais n’ont pas modifié le moule : des juges fonctionnaires, hiérarchisés, appelés à faire carrière et soumis au pouvoir politique. Cette soumission s’est alors logiquement illustrée par des procédures de destitution des magistrats suspectés de ne pas partager la politique des nouveaux gouvernants. Chaque révolution s’est ainsi traduite en épuration de la magistrature pendant un siècle et demi d’histoire de la justice française. Plus le changement politique est radical, plus l’épuration a été importante, sans que le principe d’inamovibilité ne constitue un quelconque obstacle (Cf. A. Bancaud et H. Rousso (dir.), L’épuration de la magistrature de la révolution à la libération, Paris, Ed. Loysel, 1994).
viii) Des procédures d’épuration de magistrats constantes à chaque changement de régime au XIXème et XXème siècle
216• Après la période du 1er Empire, le pouvoir royal procéda, de septembre 1815 à avril 1816 (période des 100 jours entre le retour en France de l’empereur Napoléon Ier, le 1er mars 1815, et la dissolution de la Commission Napoléon II, chargée du pouvoir exécutif après la 2nde abdication de Napoléon Ier, le 7 juillet 1815), à une réduction massive des effectifs des magistrats (l’opération permit d’écarter 1700 magistrats impériaux des cours et tribunaux). La Révolution de Juillet 1830 (27, 28, 29 juillet 1830 dites des « Trois glorieuses ») impose l’obligation de prêter serment à la nouvelle dynastie et amène 213 magistrats à démissionner. En même temps le nouveau pouvoir remplace un grand nombre de magistrats du parquet. Avec l’avènement de la 2nde République, les républicains rappellent, dans un article unique du décret du 17 avril 1748 concernant la suspension ou la révocation des magistrats (Rec. Général des lois et des décrets 1848 (SER2), p. 50) que « le principe de l’inamovibilité de la magistrature, incompatible avec le gouvernement républicain, a disparu avec la charte de 1830 ». Le décret vise en fait à justifier l’épuration conduite au lendemain de la Révolution. Comme lors des changements précédents de régime, les procureurs généraux ont, pratiquement, tous été changés dans les quelques semaines suivant les journées de février 1848. La purge fut cependant limitée par l’évolution politique après juin 1848.
ix) Un conflit majeur entre pouvoir politique et magistrature sous les débuts de la IIIème République
217• Le conflit entre pouvoir politique et magistrature est réapparu avec une intensité plus grande aux premiers temps de la IIIème République. Le corps judiciaire, recruté pour une grande partie pendant le 2nd Empire, s’accommoda assez aisément des premiers gouvernements d’ordre moral mis en place dès les débuts de la République mais le triomphe républicain qui suivit les élections de 1877 faisait, par la suite, de l’épuration de la magistrature une exigence politique de 1ère importance. Les magistrats avaient été largement recrutés dans les élites catholiques traditionnelles et ils refusèrent notamment d’appliquer les décrets de Jules Ferry anti-congrégations concernant les Jésuites et autres congrégations religieuses (Cf. Supra n°65). L’inamovibilité des juges est, d’abord, suspendu pour trois mois afin, officiellement, de procéder à une réduction du personnel des cours d’appel et des tribunaux (article 11 de la loi du 30 août 1833 sur la réforme de l’organisation judiciaire (JO, 31 août 1883, p. 4569)). Le quart des effectifs est alors révoqué (611 juges), dix premiers présidents de cour d’appel et 117 présidents de tribunal, pour l’essentiel ceux qui avaient manifesté leur indépendance au moment des décrets (Cf. J.-P. Machelon, « L’épuration républicaine. La loi du 30 août 1833 », in A. Bancaud et H. Rousso (dir.), L’épuration de la magistrature de la révolution à la libération, Paris, Ed. Loysel, 1994, p. 87). Le Conseil d’Etat est épuré, quant à lui, en 1879 (loi du 13 juillet 1879 (JO, 14 juillet 1879, p.6633) relative au Conseil d’Etat) où la composition de l’institution est presque entièrement renouvelée à la suite, là encore, de démission de membres en marge de protestations.
2. La consécration du dogme révolutionnaire de la loi
218• A l’époque de la révolution française, la plupart des démocraties occidentales vont théoriser ou constitutionnaliser le principe de séparation des pouvoirs tel qu’il a été évoqué par Montesquieu et les philosophes des lumières mais l’application même du principe va différer selon les us et coutumes de chacun puisque le principe était avant tout défini de façon négative comme étant destiné à éviter le despotisme et à garantir les droits et libertés. Il n’y avait pas de définition positive, d’explications sur la manière dont il devait être conçu ou interprété. On a ainsi longtemps eu en France une autre lecture de la séparation des pouvoirs que celle qui a, par exemple, été mise en place aux Etats-Unis. La constitution américaine adoptée le 17 septembre 1787 a été fondée, dès l’origine, sur une séparation équilibrée des pouvoirs selon le principe des freins et contrepoids mais une séparation incluant un pouvoir judiciaire fort, symbolisé et incarné par la Cour suprême des Etats-Unis. Même si plusieurs arrêts de cette Cour ont été et demeurent encore controversés, la pérennité de la Constitution américaine et l’affermissement de la garantie des droits et libertés démontrent avec éclat l’apport de cette séparation équilibrée incluant un véritable pouvoir judiciaire (Cf. Supra n°185 et suiv.).
219• La cause de l’immense pouvoir des juges américains ne tient qu’à un seul fait : leur pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois. Si les révolutionnaires français ont reconnu l’existence d’un pouvoir judiciaire à part entière, contrairement à ce qu’a pu écrire Montesquieu, ils ont surtout joué sur l’ambiguïté du terme « pouvoir judiciaire » en lui donnant essentiellement une définition formelle et matérielle. Ce dernier est cantonné dans une sphère réduite au règlement des litiges entre individus dans les matières civiles ou pénales. Les tribunaux ne peuvent s’immiscer dans le domaine législatif ni entreprendre sur les fonctions administratives. Le pouvoir judiciaire est le seul « pouvoir » à n’avoir aucun moyen d’action sur les deux autres pouvoirs et, bien entendu, pas question, à l’époque, d’en faire un pouvoir équivalent au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif. On ne lui donne pas les moyens d’intervenir dans la sphère politique que ce soit à travers le contrôle de la conformité des lois à la Constitution ou la sanction des fautes commises par les agents du pouvoir. Cette vision des choses amènera à un refus traditionnel et historique d’un quelconque contrôle juridictionnel de la loi. Les constituants pensent qu’un bon agencement du pouvoir politique ou une bonne répartition des pouvoirs pour confectionner la loi la plus représentative de la volonté générale doit suffire à garantir les droits et libertés.
a) L’absence traditionnelle de contrôle juridictionnel de la loi
i) La conception française de la séparation des pouvoirs : une « théorie anti-juge »
220• Tous les textes de la période de tradition révolutionnaire (1789-1799) vont consacrer le refus explicite d’un quelconque contrôle juridictionnel de la loi. « Les tribunaux ne pourront […] empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps législatif […] » (article 10 du titre II de la loi des 16 et 24 août 1790 précitée) ou « Les tribunaux ne peuvent […] suspendre l’exécution des lois » (article 3, chapitre V, titre II de la Constitution du 3 septembre 1791). Les juges « ne peuvent arrêter ou suspendre l’exécution d’aucune loi » (article 203 de la Constitution de l’an III). Sont punis les juges « qui se seront immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif […] en arrêtant ou en suspendant l’exécution d’une ou de plusieurs lois » (article 127 du Code pénal de 1810). Ces dispositions entraînent, évidemment, une interdiction absolue de tout contrôle juridictionnel sur la conformité des lois à la Constitution. L’application de la loi ne peut être refusée par les juges dans aucun cas, même dans le cas où le juge estimerait qu’une loi est contraire à la Constitution. Le refus ou la suspension de l’application de la loi, même de la loi inconstitutionnelle, par les juges est censé être une violation de la règle de spécialisation des pouvoirs. Ce serait une participation indirecte, et donc proscrite, à la fonction législative. La conception française de la séparation des pouvoirs devient une « théorie anti-juge » où l’on s’oppose, de manière marquante, à la mise en place d’un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois et où l’on consacre le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Les constituants révolutionnaires prononcent, en ce sens, dès le 3 novembre 1789, « la mise en vacance des parlements pour une durée illimitée », prélude à la suppression pure et simple (Voir, par ex., M. Figeac, « Les magistrats en révolte en 1789 ou la fin du rêve politique de la monarchie des juges », Histoire, Economie et société 2006, n°25-3, p. 385 et suiv.). Ils ne se contentent pas d’interdire au juge toute immixtion dans le domaine de la législation ou de l’administration, ils leur dénient, au surplus, tout pouvoir d’interprétation et les soumettent au législateur par l’interdiction des arrêts de règlement (art. 12 Titre II de la loi des 16 et 24 août 1790 qui dispose qu’« ils (les tribunaux) ne pourront point faire des règlements, mais ils s’adresseront au corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle »).
ii) Le Tribunal de cassation, le référé législatif et les articles 4 et 5 du Code Civil de 1804
221• La loi des 27 novembre et 1er décembre 1790 (Loi et Actes du gouvernement, t. II, p. 156), après avoir dissout les Parlements, institue le Tribunal de cassation en lui interdisant de juger du fond des affaires. Son rôle est limité au contrôle du respect de la loi et de la régulation de la jurisprudence. Le nouveau vide laissé par l’impossibilité d’interpréter loi par la jurisprudence est comblé par la création du référé législatif institué par la Constituante avec les lois des 16 et 24 août 1790 (art. 12 du titre II précité) et du 27 novembre et 1er décembre 1790 (art. 21). Le référé était articulé en deux institutions différentes : à savoir le « référé facultatif », demandé par un juge du fond en cas de doute interprétatif ou de lacune législative, et le « référé obligatoire » provoqué par un conflit entre l’interprétation du Tribunal de Cassation et celle du juge de renvoi. Dans ce dernier cas, le Tribunal de cassation avait l’obligation d’en référer au Corps législatif, lorsqu’après deux cassations une 3ème juridiction du fond jugeait de la même manière que les deux premières. Le référé facultatif des juges du fond fut supprimé par l’article 4 du Code civil qui restituait au juge le pouvoir d’interprétation nécessaire à l’exercice de sa fonction (« le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice »). L’article 5 de ce même Code réitérait, quant à lui, la condamnation des arrêts de règlement (« Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ») rappelant, ainsi, qu’il n’était, cependant, pas question de rétablir les errements de l’Ancien-Régime. Si certains ont pu parler de « semi-résurrection de la « puissance de juger » » (P. Remy, « La part faites au juge », Pouvoirs 2003, n°107, p. 26), il y avait, surtout, une complémentarité entre les deux articles du Code civil. La liberté d’interprétation qui découlait ainsi de l’obligation de juger dans le silence ou l’obscurité de la loi avait, en quelque sorte, pour limite l’interdiction de disposer de façon générale et réglementaire (En ce sens, L. Condé, « La prohibition des arrêts de règlement. Le mode juridictionnel », Jurisclasseur Civil Code, 2014, art. 5, n°1). Comme pouvait le relever le conseiller d’Etat Portalis lorsqu’il présenta au corps législatif le futur Code civil de 1804 et les articles 4 et 5 jamais modifiés jusqu’à aujourd’hui, s’il fallait laisser « à l’exercice du ministère du juge toute la latitude convenable », il fallait lui rappeler « les bornes qui dérivent de la nature même de son pouvoir. Un juge est associé à l’esprit de législation ; mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte de souveraineté, une décision n’est qu’un acte de juridiction ou de magistrature » (P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris, Videcoq, t. VI, 1836, p. 361).
iii) Un pouvoir judiciaire dont l’autonomie est progressivement accentuée
222• Les lendemains du Code civil sont difficiles pour le juge judiciaire français, le poids du passé et la remise en cause du rôle joué par les Parlements d’Ancien-Régime impliquent un retour très net à la discipline même si derrière les apparences, cela n’a pas empêché les juges de faire œuvre prétorienne ou de création (Cf. J. Hauser, « Les juges et la loi », Pouvoirs 2005, n°114, p. 139 et suiv.). L’autonomie du pouvoir judiciaire est ainsi accentuée et on libère sa jurisprudence par la suppression du référé législatif pour les juges du fond. Restait encore à affranchir le Tribunal de cassation du législateur. Une 1ère réforme fut apportée en l’an VIII (la loi du 27 ventôse an VIII sur l’organisation des tribunaux, Rec. Duvergier, p. 166) pour préciser, qu’après une 1ère cassation, si une 2nde décision sur le fond était attaquée par les mêmes moyens que la 1ère, la question était portée devant toutes les sections réunies du Tribunal de cassation (article 78 de la loi). Auparavant, l’interprétation de la loi, en dernière instance, dans ce cas de figure, relevait du référé législatif et donc, in fine, du législateur. Par la suite, le Tribunal de cassation est devenu, entre-temps, la « Cour de cassation » en 1804 (Constitution de l’an XII ou sénatus-consulte du 28 floréal an XII, article 136, www.conseil-constitutionnel.fr) puis il est définitivement libéré du législateur en 1837 sous la Monarchie de juillet (la loi du 1er avril 1837 (Bulletin des lois 9e S. B. 490, n° 6769) relative à l’autorité des arrêts rendus par la Cour de cassation après 2 pourvois). La loi supprime effectivement et entièrement le référé législatif (il avait connu un dernier baroud d’honneur avec la loi du 16 septembre 1807 qui le fit renaitre et qui avait octroyé à l’Empereur Napoléon 1er le droit d’arbitrer les conflits persistants entre les juges de cassation et les juges d’appel, l’interprétation de la loi étant donnée, en cas de résistance des juges du fond à une 2nde cassation, par un règlement d’administration publique).
iv) Une autorité judiciaire libre mais surveillée sous le Consulat et l’Empire
223• Sous le Consulat et l’Empire, beaucoup d’honneur couvre « l’ordre judiciaire » présenté désormais, de manière globale, comme un grand corps de l’Etat. La robe, les titres et les appellations d’Ancien-Régime sont rétablis ce qui pourrait faire croire à un surcroit de pouvoir. Il n’en est rien en réalité car seule « l’autorité judiciaire » dans l’Etat est consacrée, l’Empereur s’affirmant comme étant le « pouvoir suprême » à l’égal des Rois de France. L’autorité judiciaire agit librement mais sous la surveillance du souverain et du « Grand juge » (Ministre de la justice depuis l’an X et preuve supplémentaire de la subordination des magistrats). De plus, la Constitution de l’an VIII accentue l’incapacité des tribunaux à traiter des questions administratives ou tant soit peu politiques. La création d’un Conseil d’Etat (article 52 de la Constitution du 22 frimaire an VIII, www.conseil-constitutionnel.fr) chargé de résoudre les difficultés s’élevant en matière administrative, renforce la spécificité du contentieux administratif (notamment à partir des décrets des 11 juin et 22 juillet 1806 (JO, 21 août 1944, p. 11) créant la commission du contentieux chargé de recevoir les litiges avant la délibération du Conseil d’Etat, avant ce dernier n’était saisi que par le chef de l’État et ne pouvait entendre les arguments de la personne privée, ni verbalement ni par écrit). Enfin, reprenant un principe révolutionnaire, l’article 75 de la Constitution de l’an VIII interdit de poursuivre des « agents du gouvernement » pour des faits relatifs à leurs fonctions sans l’autorisation du Conseil d’Etat. Dès 1815, les habitudes sont prises pour tout le XIXème siècle et même au-delà pour que le pouvoir judiciaire ne se mêle pas trop du politique.
v) Le refus du Conseil d’État de connaitre de la constitutionnalité de la loi par voie d’exception
224• La position traditionnelle du Conseil d’État a été systématisée assez tardivement par deux arrêts de principe du 6 novembre 1936, Arrighi et Dame Coudert. Par ces arrêts, le juge suprême a, en effet, refuser de contrôler la constitutionnalité d’une loi en estimant qu’en « l’état actuel du droit public français, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi n’est pas de nature à être discuté devant le Conseil d’État statuant au contentieux » (CE, sect., 6 novembre 1936, Arrighi, req. n°41221, Rec. CE, p. 966, D. 1938, 3, 1, concl. Latournerie, note C. Eisenmann, RDP 1936, p. 671, concl. Latournerie, S. 1937, 3, 33, concl. Latournerie, note A. Mestre. L’arrêt Dame Coudert du même jour n’est pas reproduit au Recueil Lebon). C’est une solution qui n’allait pas de soi en 1936 et la question était très largement discutée, beaucoup d’avis militant en faveur du contrôle de constitutionnalité. Il suffit de se référer, à cet égard, aux conclusions du président Latournerie qui pouvait concéder qu’un tel contrôle pouvait se recommander de « considérations de logique pure ». Il a pu ainsi relever que « lorsqu’un régime juridique établit […] une hiérarchie entre les lois, c’est-à-dire lorsqu’il existe ce qu’on a appelé une « super- légalité » […] le juge, dans cette […] conception, ne fait rien que de conforme à sa mission […] en faisant céder, le cas échéant, à la loi supérieure celle du degré inférieur. Il ne fait […], en pareil cas, que statuer sur un conflit de lois qui ne diffère guère par nature d’autres conflits qui se présentent devant lui entre lois […] ». En dépit de ce raisonnement, le commissaire du gouvernement a invité le Conseil d’Etat à ne pas s’engager dans la voie ainsi tracée et à tenir compte plutôt de critères d’opportunité. Il s’est appuyé sur la conception française de la séparation des pouvoirs « entièrement dominée par la souveraineté de la loi » et sur la jurisprudence des tribunaux de l’ordre judiciaire qui avait jusque-là toujours écarté la possibilité du contrôle de la loi (excepté deux arrêts rendus par la Cour de cassation sous la 2nde République : Cass., crim., 15 mars 1851, Gauthier, D. 1851, 1, 42, S. 1851, 1, 214 et Cass., crim., 17 novembre 1851, Gent, D. 1851, 1, 333, S. 1851, 1, 708). Il montre bien ainsi que le juge administratif ne souhaite ni prendre le risque de mettre à mal la souveraineté de la loi , ni outrepasser ses fonctions et usurper sa place dans la théorie de la séparation des pouvoirs. Il fallait, pour ainsi dire et toujours selon les mêmes conclusions du président Latournerie, « se résigner […] tout au moins provisoirement, même aux dépens de l’harmonie des plus belles constructions juridiques, même aux dépens parfois de l’apparente équité, à ce que certaines parties du droit restent à l’état de droit imparfait, à l’état de droit sans sanction ».
vi) Un refus globalement critiqué par la doctrine
225• Ce sont la révérence extrême envers la loi écrite et la vision restrictive du rôle du juge dans la séparation des pouvoirs qui sont à l’origine du refus des juridictions françaises de contrôler les lois et donc de la théorie de la loi écran. Les critiques et questionnements de la doctrine, même avant l’arrêt de 1936, avaient, pourtant, déjà été marquants pour dénoncer la primauté des motifs d’opportunité sur les pures motifs de logique juridique (Cf. F. Larnaude, « L’inconstitutionnalité des lois et le droit public français », RDP 1926, p. 181 ; M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2nde éd., 1929, p. 266 et suiv. ; L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, 2nde éd., t. III, p. 659 ; G. Jèze, « Le contrôle juridictionnel des lois », RDP 1924, p. 399 ; Ch. Eisenmann, note sous CE Sect., 6 novembre 1936, Arrighi, D. 1938, 3, 1 ; R. Carré de Malberg, « La constitutionnalité des lois et la Constitution de 1875 », RDP 1927, p. 339 ; H. Berthélémy, « Les lois inconstitutionnelles devant les juges », RDP 1927, p. 183 ; P. Duez, « Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois en France », Mélanges Hauriou, Paris, Sirey, 1929, p.21). Cela n’a pas empêché le Conseil d’Etat de réaffirmer sa position durant toute la IIIème République même si certains auteurs avaient pu signaler « la nuance de regret qui semble transparaitre dans la formule : en l’état actuel du droit public » (Cf. Note A. Mestre, S. 1937, 3, 33) et l’idée que si le pouvoir constituant en décidait ainsi, le Conseil d’Etat était disposé à exercer le contrôle ainsi refusé.
vii) Un refus toujours persistant même si tendance actuelle à une remise en cause
226• La résignation du Conseil d’Etat est vite apparue comme n’étant pas irrémédiable et comme attendant, au contraire, une évolution ou une habilitation. Celle-ci tardera à venir et sera finalement écartée par les choix opérés par les constituants de 1946 et 1958 qui privilégieront la création d’une institution spécialisée, respectivement le Comité constitutionnel puis le Conseil constitutionnel, dont les caractéristiques seront très révélatrices de la crainte que suscitera encore ce contrôle. Sous l’empire des deux dernières Constitutions, le Conseil d’Etat réitère son refus d’exercer un tel contrôle mais en se fondant, cette fois, sur des arguments juridiques tenant à l’existence de ces institutions spécialisées, seules compétentes pour opérer un tel contrôle (Cf., par ex., CE, 5 janvier 2005, Deprez et Baillard, req. n°257341, Rec. CE, p. 1, RFDA 2005, p. 56, note B. Bonnet). Depuis, le Conseil d’Etat, suivant une formulation qui remonte à un arrêt d’assemblée du 4 février 1949 (CE, Ass., 4 février 1949, Chambre syndicale des agents généraux d’assurance de la Martinique, req. n°94997, Rec. CE, p. 49) et avant la mise en place de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), écarte tout moyen tiré de ce qu’une disposition législative serait contraire à la Constitution au motif qu’un tel moyen n’était pas « de nature à être utilement présenté devant la juridiction contentieuse ». C’est aussi l’application de la théorie de loi écran ou de l’écran législatif qui fait que dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des actes administratifs, le juge distingue 2 hypothèses : si aucune loi ne s’interpose entre la Constitution et l’acte administratif, le juge effectue normalement son contrôle, par contre, si l’acte administratif est fondé directement sur une loi, celle-ci fait écran entre cet acte et la Constitution et le juge refuse tout contrôle en ce sens. Contrôler la constitutionnalité de l’acte reviendrait à contrôler indirectement la constitutionnalité de la loi car l’acte serait toujours conforme à la loi même si non-conforme à la Constitution. Néanmoins, si la théorie est très bien ancrée dans la jurisprudence administrative, elle est de plus en plus, aujourd’hui, remise en question par le recours à certaines techniques ou l’évolution jurisprudentielle ou constitutionnelle.
b) La mise en place de la Constitution politique pour protéger les droits fondamentaux
i) Une Constitution servant longtemps à fixer le statut de l’État et non celui du citoyen
227• Toute Constitution a normalement deux fonctions : limiter le pouvoir et garantir les droits des citoyens. On a longtemps, en France, tenu compte que du 1er aspect de la notion de Constitution, jadis distingué par Maurice Hauriou (M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, Sirey, 1929), voulant que cette dernière ne soit considérée, simplement, que comme une Constitution politique fixant le statut de l’Etat et non comme une Constitution sociale fixant également le statut du citoyen pour préserver les droits et libertés. Il y a ainsi eu beaucoup de mystères autour de la notion de « garantie des droits » à laquelle fait référence l’article 16 DDHC notamment dans ses relations avec le principe de séparation des pouvoirs. Ces mystères ont cependant été progressivement éclairés. Ainsi, l’on ignore plus que, pour les révolutionnaires, la garantie des droits devait résulter, en quelque sorte mécaniquement, d’un bon agencement constitutionnel. Les constituants pensaient que la seule organisation politique du pouvoir suffisait à protéger les droits et libertés. A partir du moment où la séparation des pouvoirs est clairement définie dans la Constitution et correctement appliquée en pratique, cela doit suffire à garantir les droits et libertés, pas besoin de déclaration des droits définissant le statut du citoyen et d’organe spécialisée chargée de faire respecter cette déclaration des droits. La meilleure répartition des pouvoirs entre les organes doit permettre à ce que chacun d’eux puisse rappeler à celui qui s’égarerait ce que sont les droits et libertés par le pouvoir d’empêcher et ceci, même si, dans ce jeu d’empêchements réciproques, le pouvoir judiciaire est singulièrement absent. Mais dans cette combinaison entre les organes et les fonctions pour se protéger contre l’arbitraire, c’est la compétence attribuée au législateur pour concrétiser la loi naturelle qui constitue, néanmoins, le point central du système de garantie des droits pensé par les révolutionnaires.
ii) Les révolutionnaires et la « mystique rousseauiste » de la loi
228• Les révolutionnaires sont imprégnés de la « mystique rousseauiste » de la loi qui, votée par les représentants de la nation et censée exprimer la volonté générale, se trouve investie d’une puissance toute particulière au sein de l’ordre juridique. Si Rousseau incarne, plutôt, aujourd’hui, l’individualisme le plus anarchique et le naturisme le plus anti-social, c’est pourtant l’un des auteurs qui a le plus fortement éprouvé et exprimé le sentiment du caractère sacré du lien social, ainsi que de la loi par où il se manifeste. Comme peut le noter Jean-Jacques Chevallier, « Rousseau a de la loi l’idée la plus haute, la plus religieuse. A ses yeux, elle relève, elle aussi, du sacré, elle est le reflet, ici-bas, d’un ordre transcendant, elle relève de la moralité avant de relever de la puissance. Le caractère propre et la beauté propre de la loi, c’est sa généralité, son impersonnalité, qui excluent l’arbitraire et l’instabilité des volontés particulières, bêtes noires de Rousseau ». L’auteur ajoutant que « la loi permet à l’homme d’imiter dans sa sphère les décrets immuables de la divinité ; c’est à elle seule que sont dues la justice et la liberté ; c’est elle qui rétablit dans le droit social l’égalité naturelle […] Et le meilleur gouvernement est celui qui par sa nature même, se tient « toujours le plus près de la loi » » (J.-J. Chevallier, « Jean-Jacques Rousseau ou l’absolutisme de la volonté générale », RFSP 1953, n°1, p. 5). La loi est donc un acte par naissance général, impersonnel et inflexible, elle ne peut jamais considérer un homme comme individu ni une action particulière. Son objet est toujours général comme est toujours générale la volonté qui l’édicte et, en ce sens, elle ne peut être injuste. Mais si la volonté générale est toujours droite, le jugement qui la guide, selon Rousseau, n’est pas toujours éclairé. Le peuple est à demi-aveugle. Il veut certes toujours le bien mais, de lui-même, ne le voit pas toujours. Il a besoin, en ce sens, d’un être d’exception pour l’éclairer. Dans le Contrat social, Rousseau brosse le portrait de cet « être d’exception » respectueux de la souveraineté du peuple : le législateur. Il est « à tous égards un homme extraordinaire dans l’État […] par son génie » (J.-J. Rousseau, Du Contrat social, chapitre VII du livre II, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 241) et sa force lui vient de « sa grande âme […], vrai miracle qui doit prouver sa mission […] » (Ibid., p. 384). Ainsi, si la figure du législateur dominait déjà les Lois de Platon (les cités grecques ont été le théâtre de la naissance de la loi mais aussi d’une réflexion sur la meilleure manière de les établir et ses limites. Cf. L. Brisson et J.-F. Pradeau, Les lois de Platon, Paris, PUF, 2007), la philosophie des Lumières et la Révolution française l’élevèrent au rang de quasi-divinité, de guide éclairé de la Cité.
iii) La souveraineté du principe de légalité dès la DDHC
229• La confiance en la loi est attestée dès la rédaction de la DDHC elle-même, qui, si elle fixe, à la loi, quelques limites (art. 5 à 8), renvoie systématiquement à elle pour la détermination concrète des conditions d’exercice des droits proclamés et la détermination de leur étendue. Il n’y a pas de prééminence accordée aux droits de l’homme et de mise hors d’atteinte par rapport aux pouvoirs institués. A cela s’ajoute la logique même du gouvernement représentatif qui, en transférant la souveraineté à la nation et à ses représentants, seuls chargés d’exprimer sa volonté, déséquilibre, d’emblée, l’agencement des pouvoirs. La hiérarchie des normes s’interprète alors comme l’expression de la simple prééminence de la loi et s’assimile en définitive au principe de légalité. C’est la théorie de l’Etat légal, tel que défini par Raymond Carré de Malberg (R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 1920-1922, 2 tomes, p. 490) qui se met ainsi progressivement en place, cet Etat qui tend purement à assumer la suprématie du corps législatif et à confier à ce dernier une puissance quasi indéfinie forcément dangereuse pour le respect des droits et libertés. Le principe de légalité implique pourtant une confiance absolue dans le droit et en conséquence un pouvoir qui se voit encadré et limité.
iv) Des pouvoirs constitués au service du principe de légalité
230• L’Etat de police était fondé sur le bon plaisir du Prince, il n’y avait ni véritable limite à l’action du pouvoir, ni réelle protection des individus contre lui. Avec le principe de légalité, les gouvernants se retrouvent soumis à des règles qui s’imposent à eux de façon contraignante. Le pouvoir alors détenu ne se présente plus que comme une simple fonction assujettie au droit ramenant les autorités publiques au même niveau que les citoyens. Cela est très explicite lorsque l’on regarde les représentants du pouvoir exécutif dont la fonction est censée se réduire à l’application des lois, les gouvernants et l’administration ne pouvant agir qu’en vertu d’un titre légal. La fonction exécutive est une fonction purement subordonnée placée au service exclusif de la loi et on ne peut, en conséquence, lui octroyer la moindre dimension normative. Comme on a aussi pu le relever, si le juge se voit assigner la fonction de garantir le respect des lois, cette fonction est avant tout perçue comme une fonction « objective » excluant toute marge de libre détermination pour que le contrôle juridictionnel ne se transforme pas en « gouvernement des juges ». Les juges doivent être au service de la loi et n’avoir qu’une démarche purement déductive. Enfin, le législateur, lui-même, doit plus agir par raison que par volonté, le débat parlementaire n’étant pas perçu comme une manifestation de puissance des élus mais comme un moyen d’activer la représentation de la nation, seule source légitime de pouvoir.
v) La Constitution érigée en loi spéciale et les déclarations de droits assimilées à des engagements idéologiques
231• En réalité, aucun des gouvernements français qui se succèdent au XIXème siècle n’a la volonté de porter atteinte aux droits et libertés, ils s’efforcent même de les promouvoir lorsque leur légitimité n’est pas contestée quelles que soient leurs orientations dynastique et politique mais ils le font en considérant la loi comme un dispositif de garantie et de protection suffisant. Cette loi dominée par un idéal de justice destinée à préserver l’égalité des individus dans leurs rapports mutuels ou dans leur rapport avec le groupe. Cette loi qui, tout en étant un rempart contre le pouvoir et l’absolutisme, sert aussi à corriger les inégalités sociales et à satisfaire les aspirations de chacun. Mais la perception quant aux éléments classiques de l’Etat de droit était à l’époque différente. Théoriquement, une hiérarchie est forcément établie entre la Constitution et la Loi puisque même si cette dernière bénéficie d’une « autorité supérieure », elle ne peut porter atteinte, ni mettre obstacle à l’exercice des « droits naturels et civils » garantis par la Constitution. Mais, il y a une telle confiance dans la loi, incarnation de la vérité, de la raison, de la justice qu’elle est perçue comme un acte incontestable dont le bien-fondé ne saurait être mis en doute. Ce privilège d’incontestabilité poussera le mythe de la loi jusqu’à ces conséquences ultimes rejetant un quelconque mécanisme de contrôle. On ne considérait pas, d’abord, une déclaration ou un préambule comme une norme juridique (donc une collection de droits opposables par les citoyens) et la Constitution n’a jamais, ensuite, été regardée autrement que comme une loi spéciale, dont l’objet est le pouvoir politique, même si cette loi est adoptée selon une procédure plus rigide que la loi ordinaire. Autrement dit, les textes qui réunissaient des énoncés de droits et de libertés restaient avant tout des engagements idéologiques et des programmes politiques à l’attention des législateurs souverains qui prenaient à témoin les citoyens mais qui ne leur offraient pas d’autres garanties que l’action dans la vie politique, la pétition ou la résistance à l’oppression.
vi) Une application variée selon les régimes mais avec une constante tenant toujours à la remise en cause des droits et libertés
232• C’est l’agencement du pouvoir politique qui doit traduire dans la réalité juridique le respect de ces droits et libertés. En l’occurrence, la meilleure façon de confectionner une loi qui protège les lois et libertés est d’établir une bonne répartition du pouvoir et un bon recrutement du législateur (en y incluant l’exécutif quand il participe à la fonction législative). Sur le 1er élément comme sur le 2nd, les recettes ont divergé selon les familles politiques (légitimiste, orléaniste, bonapartiste et républicains) et les périodes de tradition révolutionnaire (1789-1799), césariste (1800-1814 et 1852-1870) ou parlementaire (1814-1848 et 1875-1958) allant, indistinctement, de l’exécutif simple exécutant à celui quasi législateur, alternant le recrutement dynastique, plébiscitaire ou électif du chef de l’Etat, la sélection au suffrage censitaire ou au suffrage universel de l’Assemblée, le monocamérisme ou le bicamérisme dans les différents parlements s’étant succédés, etc… Les variations sur ce thème ont été aussi nombreuses que les Constitutions et le respect des droits et libertés la plupart du temps remis en cause jusqu’à l’avènement du nouvel Etat de droit et de ces mécanismes de protection des droits et libertés affirmant la primauté de l’individu dans l’organisation politique et sociale.
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