NB du 15 novembre 2015 : la présente note de « Jurisprudence Clef » est une ébauche rédigée entre le 14 et le 15 novembre 2015, qui sera rapidement complétée et probablement mise à jour en fonction de l’actualité jurisprudentielle provoquée par les attentats du 13 novembre 2015 et l’adoption du décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 déclarant l’état d’urgence.
NB du 15 novembre 2017 : La note n’a finalement jamais été mise à jour. La richesse des développements ultérieurs de la légalité de crise a dépassé notre capacité de suivi et probablement suscité notre désintérêt alors que les questions s’éloignaient de la simple technique pour s’engager sur le terrain du (très légitime) combat contre les abus de l’Etat administratif et policier. Certains de nos collègues ont heureusement été très actifs en ligne sur le sujet, notamment les indispensables Roseline Letteron (http://libertescheries.blogspot.fr/) ou Serge Slama (http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr/)
1. La légalité administrative connait des adaptations dans les circonstances particulières qui ne sont pas toutes liées à un état de guerre. Si le terme de « guerre » a été utilisé par le Président de la République après les attentats de la nuit du 13 au 14 novembre 2015, la déclaration de l’état d’urgence ne nécessite pas, juridiquement, que la France soit en état de guerre.
La publication du décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 est une occasion malheureuse de revenir sur la notion et les implications de l’état d’urgence et d’une manière générale sur la légalité de crise en droit administratif.
Plusieurs régimes juridiques existent, permettant de déroger à la légalité administrative « en temps normal » : l’article 16 de la Constitution, la théorie des circonstances exceptionnelles, l’état de siège prévu par l’article 36 de la Constitution et le régime législatif de l’état d’urgence. Tous ces régimes sont distincts de l’organisation en temps de guerre, prévue sommairement par le titre premier du livre Ier de la deuxième partie du Code de la défense, abrogeant et remplaçant les dispositions de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre. Notons d’ailleurs que le code de la défense distingue l’état de guerre, l’état de siège et l’état d’urgence, ce qui indique bien que ces deux derniers régimes ne sont pas nécessairement des régimes de guerre. Nous n’examinerons pas ci-dessous les dispositions legislatives et réglementaires dont l’application serait limitée à une situation de guerre.
2. Parmi les quatre régimes juridiques spéciaux précités, le plus dérogatoire est sans doute celui de l’article 16 de la Constitution. Aux termes de l’article 16 :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée ».
L’effet le plus notable de cet article est de permettre au Président de la République de réunir en ses mains l’exercice des pouvoirs législatif et exécutif, comme un « dictateur » au sens antique du terme.
Il n’a été recouru qu’une seule fois à l’article 16, par le Général de Gaulle par une décision du 23 avril 1961. Il est notable que, dans une sorte de gradation des réponses légales à la situation créée par la tentative de putsh militaire d’avril 1961, le Président de la République ait dans un premier temps décidé de recourir à l’état d’urgence (v. infra) déclaré par un décret n°61-395 du 22 avril 1961 portant déclaration de l’état d’urgence. D’une manière alternative autant que cumulative, le Président de la République a ensuite recouru à l’arme absolue de l’articte 16 par sa décision du 23 avril 1961. Notons, c’est un insignifiant détail, qu’il s’agit là à notre connaissance des seuls actes adoptés par le seul Président de la République et qui, pris en application de la Constitution, ne portent pas le nom de « décret ».
Comme la Constitution le prévoit, le Conseil constitutionnel a donné son avis le 23 avril 1961 considérant « qu’en raison de ces actes de subversion, d’une part, les institutions de la République se trouv[ai]ent menacées d’une manière grave et immédiate » et d’autre part que « les pouvoirs publics constitutionnels ne [pouvaient] fonctionner de façon régulière ». Beaucoup a été dit sur l’indétermination des termes de l’article 16 et sur les risques dictatoriaux qu’il faisait courir à la France, tant les contremesures prévues par la Constitution elle-même sont légères. Il n’a jamais été déterminé dans quelle mesure un avis négatif du Conseil constitutionnel empêcherait le Président de la République de recourir à l’article 16. Il semble qu’un avis négatif resterait sans effets juridiques, même s’il est évident que son usage nécessite la pleine coopération de toutes les institutions de la République, ce qui serait difficile sans un véritable consensus institutionnel. Il est évident également qu’une interprétation « raisonnable » limite l’article 16 aux situations dans lesquelles l’intégrité du territoire national et le fonctionnement normal des institutions sont menacés : en cas de guerre territoriale ou de putsh militaire.
Dépourvues de véritables armes contitutionnelles de défense, les institutions de la République ont créé de faibles anticorps. C’est le cas de la célèbre décision du Conseil d’Etat Rubin de Servens (Conseil d’Etat, Assemblée, 2 mars 1962, Rubin de Servens et autres, requête numéro 55049, rec. p. 143). En premier lieu, le Conseil d’Etat y indique qu’il ne lui revient pas de contrôler la décision, prise par le Président de la République, de recourir à l’article 16. Il s’agit d’un « acte de gouvernement » (sur cette notion v. : Didier Girard, ‘ Les « actes de Gouvernement » demeurent insusceptibles de tout recours juridictionnel en France, Note sous TC, 6 juillet 2015, K. et autres, n° C 03995 ‘ : Revue générale du droit on line, 2015, numéro 22851 www.revuegeneraledudroit.eu/?p=22851). Tout au plus le Conseil d’Etat peut-il contrôle la régularité externe de l’acte (le respect des procédures prévues par l’article 16 et l’existence même de la décision de recours à l’article 16. V. Les Grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 19ème édition, p. 539). Ensuite, le Conseil indique que les décisions du Président de la République prises dans le domaine de compétence habituel du législateur sont insusctibles de faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative. Mais, et c’est toute la subtilité de cette décision, celà signifie a contrario que les décisions du Président de la République prises dans le domaine habituel du pouvoir réglementaire (article 37 de la Constitution) peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel par le juge administratif. Il n’existe cependant aucun exemple d’un tel contrôle, toutes les décisions adoptés en application de l’article 16 ayant été considérées comme relevant du domaine de la loi (Conseil d’Etat, 13 novembre 1964, Livet, p.534; Conseil d’Etat, Section, 22 avril 1966, Société Union africaine de presse, p. 276). Tout au plus peut-on noter une décision, importante, assurant le contrôle non des décisions du Président de la République mais des décisions individuelles d’application prises par l’administration faisaient l’objet d’un contrôle, même si la décision présidentielle étai de nature législative (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 octobre 1964, d’Oriano, p. 486).
Pour certains auteurs, les décisions du Président de la République pris en application de l’article 16 et qui relèveraient du champ de la compétence législative pourraient faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité en application de l’article 61-1 de la Constitution qui dispose que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » (v. notamment Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 19ème édition, p. 542, n° 7 in fine). Il est vrai que le Conseil constitutionnel peut examiner à ce titre les « dispositions législatives » et non seulement celles qui ont formellement pris la forme d’une loi. Peuvent ainsi être contrôlées les ordonnances ayant rang législatif. Cette question reste heureusement en suspens.
2. En dehors de tout texte, le Conseil d’Etat a construit bien avant l’entrée en vigueur de la Constition de 1958 une jurisprudence dite des « circonstances exceptionnelles ». Cette théorie, liée aux pouvoirs de guerre de l’administration, est illustrée par deux célèbres décisions Heyriès (Conseil d’Etat, Section, 28 juin 1918, Sieur Heyriès, requête numéro 63412, publié au recueil; Maurice Hauriou, ‘ Pleins pouvoirs du gouvernement pendant la guerre et droit à la communication du dossier, Note sous Conseil d’Etat, 28 juin 1918, Heyriès, S. 1922.3.49 ‘ : Revue générale du droit on line, 2015, numéro 15499, www.revuegeneraledudroit.eu/?p=15499) et Dames Dol et Laurent (Conseil d’Etat, 28 février 1919, Dol et Laurent, requête numéro 61593, publié au recueil; Maurice Hauriou, ‘ Limites des pouvoirs de police en temps de guerre, Note sous Conseil d’Etat, 28 février 1919, Dol et Laurent, S. 1918-1919.3.33 ‘ : Revue générale du droit on line, 2014, numéro 13270, www.revuegeneraledudroit.eu/?p=13270).
Les décisions Heyriès et Dol et Laurent portent sur les pouvoirs de l’administration en temps de guerre. Dans la décision Heyriès le Conseil d’Etat avait à connaître d’un décret ayant suspendu l’application d’un texte prévoyant la communication aux fonctionnaires civils de leur dossier avant toute mesure disciplinaire. Relevant que le Président de la République devait, en application de l’article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, assurer l’exécution des lois, le Conseil d’Etat en déduit que « qu’il lui incombe dès lors de veiller à ce qu’à toute époque, les services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner, à ce que les difficultés résultant de la guerre n’en paralysent pas la marche ». Par voie de conséquence le Conseil d’Etat rejettera le recours qui lui était soumis par un fonctionnaire sanctionné. Saisi par des prostituées d’arrêtés du préfet maritime de Toulon restreignant le commerce charnel dans les débits de boissons, le Conseil d’Etat rejettera le recours qui, portant atteinte à la liberté d’aller et venir et à la liberté du commerce et de l’industrie, aurait normalement prospéré en notant que « les limites des pouvoirs de police dont l’autorité publique dispose pour le maintien de l’ordre et de la sécurité, tant en vertu de la législation municipale, que de la loi du 9 août 1849, ne sauraient être les mêmes dans le temps de paix et pendant la période de guerre où les intérêts de la défense nationale donnent au principe de l’ordre public une extension plus grande et exigent pour la sécurité publique des mesures plus rigoureuses ; qu’il appartient au juge, sous le contrôle duquel s’exercent ces pouvoirs de police, de tenir compte, dans son appréciation, des nécessités provenant de l’état de guerre, selon les circonstances de temps et de lieu, la catégorie des individus visés et la nature des périls qu’il importe de prévenir ».
Contrairement à l’article 16, la jurispruence sur les circonstances exceptionnelles est dense. Un grand nombre d’acte adoptés à la fin de la Seconde guerre mondiale ont bénéficié de cette jurisprudence. L’autorité administrative peut ainsi empiéter sur le domaine de la loi (Conseil d’Etat, Assemblée, 16 avril 1948, Laugier, p. 161) ou s’afrranchir des règles de forme habituelles (Conseil d’Etat, 16 mai 1941, Courrent, p. 89).
3. L’article 36 de la Constitution enfin prévoit que l’état de siège peut être déclaré par décret délibéré en conseil des ministres. Pour être plus exact, si l’article 36 dispose que « L’état de siège est décrété en Conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement », il ne s’agit pas d’un régime spécifique mais d’une attribution constitutionnelle de compétences : le Premier ministre et le Président de la République décrètent l’état de siège. Il peut être prolongé par le Parlement au-delà de douze jours.
L’état de siège permet le déssaisissement partiel des autorités civiles au bénéfice des autorités militaires. Son régime n’est pas défini par la Constitution mais par le Code de la défense, qui remplace des textes parfois anciens (loi du 9 août 1849 sur l’état de siège, modifiée par la loi du 3 avril 1878, relative à l’état de siège et la loi du 27 avril 1916, relative au fonctionnement et à la compétence des tribunaux militaires en temps de guerre; textes abrogés par l’ordonnance n° 2004-1374 du 20 décembre 2004 relative à la partie législative du code de la défense).
Aux termes de l’article 2121-1 du code de la défense, l’état de siège ne peut être déclaré « qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée » (l’article 1er de la loi de 1849 disposait que « l’état de siège ne peut être déclaré qu’en cas de péril imminent pour la sécurité intérieure ou extérieure »). Le même article prévoit que le décret « désigne le territoire auquel il s’applique et détermine sa durée d’application ». Si le code de la défense prévoit que « nonobstant l’état de siège, l’ensemble des droits garantis par la Constitution continue de s’exercer », c’est seulement dans la mesure où « leur jouissance n’est pas suspendue en vertu » de l’état de siège ! (art. 2121-8 du code de la défense). Or l’état de siège permet de limiter drastiquement la liberté d’aller et de venir, la liberté de réunion et de confier à des juridictions militaires le jugement de certains crimes et délits.
Sur le plan administratif, la déclaration d’état de siège entraîne un désaisissement des pouvoirs de l’autorité civile « pour le maintien de l’ordre et la police » au profit de l’autorité militaire (article 2121-2 code déf.). Investie du pouvoir de police administrative, l’autorité militaire peut notamment de manière semble-t-il assez large interdire les publications et les réunions qu’elle juge de nature à menacer l’ordre public (art. L. 2121-7 code déf.).
Sur le plan juridictionnel la déclaration d’état de siège a pour effet, lorsqu’elle est la réponse à un péril imminent résultant d’une guerre étrangère, de transférer à des juridictions militaires le jugement de certains crimes et délits dont la liste est établie à l’article L2121-3 du code de la défense, comme la séquestration la rébellion, l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, etc. Les pouvoirs des juridictions militaires sont bien moindres en cas de « simple » insurrection à main armée (art. L. 2121-4 code déf.). En outre et quel que soit le motif du recours à l’état de siège, l’autorité miliaire se trouve investie de larges pouvoirs appartenant habituellement à l’autorité juridiciaire aux fins notamment de réaliser des « perquisitions domiciliaires de jour et de nuit » ou « éloigner toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation devenue définitive pour crime ou délit et les individus qui n’ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l’état de siège » (art. L. 2121-7 code déf.).
L’état de siège n’a, à notre connaissance, par été déclaré depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Il n’est pas possible, aux termes du code de la défense (article L. 2131-1 al. 2) de faire application sur un même territoire des dispositions relatives à l’état de siège et à l’état d’urgence. Le recours à ce dernier régime a semblé suffire depuis 70 ans, couplé à l’usage de l’article 16, durant la guerre d’Algérie. Et précisément, c’est en raison des inconvénients du régime de l’état de siège confiant des pouvoirs importants à l’autorité militaire au détrimant de autorités civiles que le gouvernement d’Edgar Faure a souhaité créer le régime de l’état d’urgence en 1955 (v. conclusions Marie-Hélène Mitjaville sur Conseil d’Etat, Assemblée, 24 mars 2006, Rolin et Boisvert, requête numéro 286834, publié au recueil).
4. Les pouvoirs que peut exercer le Président de la République ou l’autorité militaire (placée sous le commandement du Président de la République mais dont dispose le Premier ministre) relèvent tous d’un état de guerre ou d’insurrection armée. Par comparaison, l’état d’urgence pourrait presque paraître relever d’un régime modéré de dérogation au fonctionnement normal des institutions : il ne suppose pas de confusion des fonctions législative et exécutive comme l’article 16 ni de restriction de la compétence juridictionnelle au profit de juridictions militaires comme dans le cas de l’état de siège. Présenté par Edgar Faure comme un régime plus libéral que celui de l’état de siège, l’état d’urgence confère pourtant à l’autorité administrative des pouvoirs tout-à-fait exceptionnels remettant en cause la garantie normale des libertés publiques et il constitue le plus strict des régimes de suspension des droits susceptible d’être mis en oeuvre (Frédéric Rolin, « L’état d’urgence », in : Bertrand Mathieu (dir.), 1958-2008 Cinquantième anniversaire de la Constitution française, Dalloz, 2008, pp. 611-619, p. 612). Le principal intérêt de ce régime est double. Tout en conférant aux pouvoirs publics des pouvoirs aussi considérables qu’en cas d’état de siège, il a permis en 1955 et dans les années qui ont suivi de ne pas confier à l’autorité militaire, dont le pouvoir politique se méfait légitimement, des pouvoirs exceptionnels qui étaient plus sûrement exercés par l’autorité civile. Par ailleurs, l’état d’urgence permettait de ne pas se référer à une situation de guerre ou d’insurrection armée en Algérie, que supposait l’état de siège, mais de manière plus neutre à une « atteinte grave à l’ordre public » (Frédéric Rolin, « L’état d’urgence », précité, p. 612).
A. Les conditions et les modalités de la déclaration de l’état d’urgence
5. Nous avons vu que le régime de l’état d’urgence a été créé en 1955 pour conférer au gouvernement une alternative à celui de l’état de siège. Le premier usage du régime de l’état d’urgence a été rendu possible par l’adoption de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, modifiée par la loi n° 55-1080 du 7 août 1955 et l’ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960. Or trois ans plus tard était adoptée la Constitution de 1958 qui prévoit en son article 36 le recours à l’état de siège. Saisi en 2005 d’un recours visant à ce qu’il constate l’abrogation implicite1 de la loi relative à l’état d’urgence en raison de la pérennisation par la nouvelle constitution du régime de l’état de siège (article 7 de la constitution de 1946, article 36 de la constitution de 1958) le juge des référés du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, ORD., 21 novembre 2005, B., requête numéro 287217, publié au recueil) a répondu
Considérant que la consécration du régime de l’état de siège sur le plan constitutionnel aussi bien par le second alinéa ajouté à l’article 7 de la Constitution du 27 octobre 1946 par la loi constitutionnelle du 7 décembre 1954 que par l’article 36 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que le législateur, institue, dans le cadre des compétences qui lui sont constitutionnellement dévolues, un régime de pouvoirs exceptionnels distinct du précédent reposant, non comme c’est le cas pour l’état de siège sur un accroissement des pouvoirs de l’autorité militaire, mais, ainsi que le prévoit le régime de l’état d’urgence, sur une extension limitée dans le temps et dans l’espace des pouvoirs des autorités civiles, sans que leur exercice se trouve affranchi de tout contrôle ; qu’au regard de ces exigences, il n’y a pas entre le régime de l’état d’urgence issu de la loi du 3 avril 1955 et la Constitution du 4 octobre 1958 une incompatibilité de principe qui conduirait à regarder cette loi comme ayant été abrogée par le texte constitutionnel ;
Ainsi les régimes de l’état d’urgence et de l’état de siège coexistent mais ne peuvent, nous l’avons noté, être utilisés concomitamment sur le même territoire (article L. 2131-1 al. 2). La même analyse avait été portée par le Conseil constitutionnel vingt ans plus tôt (Conseil constitutionnel, décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances; v. infra).
6. Mais la question de l’abrogation implicite, argument quelque peu spécieux, n’épuise pas la question de la constitutionnalité du dispositif. La saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés et 60 sénateurs contre le projet de loi portant prorogation de l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie (Conseil constitutionnel, décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances, précité) a donné au Conseil constitutionnel l’occasion de porter son analyse sur un argument bien plus intéressant, prenant place dans un argumentaire très bien charpenté. L’analyse du Conseil est comme à l’accoutumée très sommaire mais le moyen qui lui était, entre autres, soumis était intéressant. Les auteurs de la saisine constataient que si l’article 36 de la Constitution prévoyait bien le recours à l’état de siège, aucun fondement constitutionnel n’existait pour autoriser le recours à l’état d’urgence. Or le législateur n’aurait pas eu compétence pour déroger à l’ordre constitutionnel, seule la constitution pouvant prévoir une telle dérogation.
On le voit, l’argument est double : la nécessité qu’a ressentie le constituant de prévoir expressément l’état de siège implique qu’il n’a pas entendu déroger à la constitution pour permettre l’état d’urgence.
Le Conseil constitutionnel répond que le le législateur peut déroger au fonctionnement normal des institutions car le législateur étant chargé par l’article 34 de la Constitution de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, il lui appartient « d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré » ; l’objectif de valeur constitutionnel de maitien de l’ordre public aura servi, ce ne sera ni la première ni la dernière fois, à justifier une atteinte aux libertés publiques garanties par la Constitution (sur la notion d’OVC : Pierre de Montalivet, « Les objectifs de valeur constitutionnelle », Cahiers du Conseil constitutionnel n° 20, juin 2006, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-20/les-objectifs-de-valeur-constitutionnelle.50643.html [consulté le 15 novembre 2015]). Le Conseil constitutionnel, mais il ne semble pas qu’il y ait été invité (cette invitation n’était pas nécessaire), n’a pas même recherché si les dispositions de la loi de 1955 lui semblaient proportionnées aux risques d’atteintes à l’ordre public auxquels elles permettaient de faire face (pour un exemple d’un tel contrôle : CC, décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, loi pour la sécurité intérieure). Il est vrai que par la généralité de ses termes, la loi de 1955 sur l’état d’urgence ne permet pas d’envisager les situations précises auxquelles les pouvoirs publics peuvent avoir à faire face; le contrôle de constitutionnalité, nécessairement abstrait, s’adapte mal à la situation et le contrôle de l’état d’urgence est reporté sur la juridiction administrative qui pourra se prononcer, au cas pas cas, dans le cadre d’une analyse concrète.
Cet examen de la loi de 1985 ne portait pas spécifiquement sur la loi de 1955. La question de la constitutionnalité de la loi relative à l’état d’urgence de 1955 n’a pas été examinée dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ce qui laisse ouverte, pour l’avenir, la voie à une question prioritaire de constitutionnalité; de la même manière, est ouverte une QPC contre la loi qui, peut-être, prorogera l’état d’urgence douze jours après l’adoption du décret du 14 novembre 2015. Sur les chances de succès d’une QPC mettant en cause la loi de 1955, les espoirs de succès semblent réduits, l’analyse abstraite réalisée par le Conseil constitutionnel en 1985 semblant encore pouvoir être valable aujourd’hui. Plus ouverte (bien que restant très limitée) est l’hypothèse de l’inconstitutionnalité d’une éventuelle loi de prorogation, qui dépendra plus directement de la pérennité des risque d’atteintes graves à l’ordre public.
7. Les articles 1 et 2 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence définissent les conditions de mise en oeuvre et les parties du territoires sur lesquelles l’état d’urgence peut être déclaré.
Les conditions de la mise en oeuvre de l’état d’urgence sont établies à l’article 1er qui dispose que
L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.
Aux termes de l’article 2 :
L’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur.
Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l’état d’urgence recevra application seront fixées par décret.
La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi.
Jusqu’en 1960, seul le législateur pouvait déclarer l’état d’urgence. C’est désormais le Président de la République et le gouvernement qui peuvent procéder à la déclaration initiale de l’état d’urgence, depuis la modification de l’article 2 par l’ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960. La prolongation de l’état d’urgence au-delà de 12 jours nécessite l’intervention du législateur.
Le décret réglementaire déclarant l’état d’urgence n’est pas un acte de gouvernement et peut être soumis au contrôle du Conseil d’Etat qui examaminera les conditions de son adoption (Conseil d’Etat, ORD., 14 novembre 2005, Rolin, requête numéro 286835, publié au recueil).
Entre 1955 et 2015, l’état d’urgence a été décrété six fois :
-en 1955, 1958 et 1961 en réponse à la guerre d’Algérie (loi n°55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d’urgence et en déclarant l’application en Algérie ; décret n°55-386 du 6 avril 1955, application de l’état d’urgence en Algérie dans les circonscriptions de Tizi-Ouzou, Batna, Tebessa; décret n°55-1147 du 28 août 1955 extension à tout le territoire algérien de l’état d’urgence ; loi n°55-1080 du 7 août 1955 relative à la prolongation de l’état d’urgence en Algérie ; Loi n°58-487 du 17 mai 1958 déclarant l’état d’urgence sur le territoire métropolitain pour 3 mois ; décret n° 61-395 du 22 avril 1961 portant déclaration de l’état d’urgence);
– en 1985 en raison des événements de Nouvelle-Calédonie (arrêté 85-35 du 12 janvier 1985 du Haut-commissaire de la République adopté sur le fondement de la loi de 1955 et de l’article 119 de la loi n°84-821 du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances; état de siège prolongé par la loi n°85-96 du 25 janvier 1985 relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances) ;
– en 2005 dans tout le territoire métropolitain suite aux émeutes « dans les banlieues » (décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955; décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005, relatif à l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955; loi n° 2005-1425 du 18 novembre 2005 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955).
– en 2015 suite à la série d’attentats perpétrés à Paris dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015 (décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955).
Les cinq premières fois, l’état d’urgence a été décrété pour faire face à des situations de guerre civile ou de tentatives de coup d’Etat. Cette « tradition » n’a pas interdit au gouvernement de recourir à ce régime pour faire face aux émeutes de 2005. Saisi en référé-suspension contre les deux décrets ayant déclaré et défini les modalités de mise en oeuvre de l’état d’urgence en 2005, le Conseil d’Etat a à dessein interprété les termes de l’article 2 de la loi de 1955 de manière aussi extensive et imprécise que la loi elle-même.
Tandis que la loi prévoit le recours à l’état d’urgence « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique », le Conseil précise que le texte « a eu pour objet de permettre aux pouvoirs publics de faire face à des situations de crise ou de danger exceptionnel et imminent qui constituent une menace pour la vie organisée de la communauté nationale » (Conseil d’Etat, ORD., 14 novembre 2005, Rolin, requête numéro 286835, publié au recueil). A tout prendre, nous préférons les termes de la loi, qui évoquent des atteintes graves à l’ordre public (le terme est connu, il recouvre la salubrité, la tranquillité et surtout la sécurité publiques, peut-être la dignité mais l’hypothèse est difficile à envisager). Quant aux calamités publiques, elles font sans doute référence aux catastrophes naturelles (le Robert définit la « calamité » comme un « grand malheur public »; le dictionnaire encyclopédique Quillet définit la calamité publique comme un « Événement dommageable, d’une exceptionnelle gravité, survenant de façon imprévisible et provoqué par des forces naturelles »). Le fait de l’homme ou de la nature, quant il est d’une exceptionnelle gravité, justifie le recours à l’état d’urgence.
A cet égard, le Conseil d’Etat a en tout cas laissé une grande marge de manoeuvre au Président de la République qui « dispose d’un pouvoir d’appréciation étendu lorsqu’il décide de déclarer l’état d’urgence et d’en définir le champ d’application territorial » (même arrêt).
8. Ce champ d’application territorial est, en quelques sortes, double. D’une part l’article 2 alinéa 1 prévoit que soient définies des « circonscriptions » dans lesquelles le décret ou la loi déclarant l’état d’urgence entrent en vigueur. A l’intérieur de ces circonscriptions, des « zones » d’application de l’état d’urgence sont ensuite définies, aux termes de l’alinéa 3 du même article. Cette distinction entre circonscriptions et zones permet une application adaptée du régime de base et des régimes spécifiques supplémentaires prévus par la loi de 1955 (v. infra). Par exemple, le décret n° 2005-1386 du 8 novembre 2005 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 a déclaré l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire métropolitain. Le décret du même jour n° 2005-1387 a défini des zones dans lesquelles certains articles spécifiques s’appliquaient.
B. Les pouvoirs exceptionnels liés à l’état d’urgence
9. Dans les temps et sur le territoire définis par le décret initial ou la loi de prorogation, deux régimes juridiques peuvent s’appliquer : le régime « de base » et un régime juridique renforcé.
Sans que ni le décret d’état d’urgence ni la loi n’aient à le prévoir expressément, la déclaration de l’état d’urgence entraîne l’application de plein droit des articles 5 à 9 de la loi de 1955. Sur tout ou partie du territoire visé par l’état d’urgence peuvent en outre être adoptées des dispositions prévues par les articles 11 et 12.
10. Les articles 5 à 9 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence permettent l’adoption de mesures à caractère général ou spécifiquement liées à des individus déterminés.
Au titre des mesures générales, l’article 5 prévoit que
La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l’article 2 :
1° D’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;
2° D’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;
[…]
L’article 8 prévoit en outre que
Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire où est institué l’état d’urgence, et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l’article 2.
Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.
L’article 9 prévoit enfin que le ministre de l’intérieur peut « ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories ». Il s’agit évidemment d’une mesure visant la détention légale, la détention illégale ne pouvant par définition faire l’objet d’un ordre de remise et, comme le prévoit l’article 9, d’une remise de récépissé.
Les mesures spécifiques permettent de viser des individus en particulier.
L’artile 5 3° prévoit que le préfet a le pouvoir
3° D’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics.
L’article 6 prévoit qu’une personne puisse faire l’objet d’une assignation à résidence.
L’article 7 pour sa part prévoit qu’une personne ayant fait l’objet d’une interdiction de séjour en application de l’article 5 3° ou d’une assignation à résidence en application de l’article 6 peut engager un recours gracieux. D’une manière générale l’article 7 laisse une étranger impression. Il prévoit :
Toute personne ayant fait l’objet d’une des mesures prises en application de l’article 5 (3°), ou de l’article 6 peut demander le retrait de cette mesure. Sa demande est soumise à une commission consultative comprenant des délégués du conseil départemental désignés par ce dernier.
La composition, le mode de désignation et les conditions de fonctionnement de la commission seront fixés par un décret en Conseil d’Etat.
Les mêmes personnes peuvent former un recours pour excès de pouvoir contre la décision visée à l’alinéa 1er ci-dessus devant le tribunal administratif compétent. Celui-ci devra statuer dans le mois du recours. En cas d’appel, la décision du Conseil d’Etat devra, intervenir dans les trois mois de l’appel.
Faute par les juridictions ci-dessus d’avoir statué dans les délais fixés par l’alinéa précédent, les mesures prises en application de l’article 5 (3°) ou de l’article 6 cesseront de recevoir exécution.
L’on ne peut qu’être perplexe devant le système instauré par l’article 7. En premier lieu, et alors que des pouvoirs tout-à-fait exceptionnels sont confiés aux autorités administratives dans le cadre de l’état d’urgence, un recours administratif préalable obligatoire est instauré, qui est lui-même précédé de l’avis d’une étrange commission émanant du Conseil départemental. Il s’agit là d’un étrange mélange des genres alors que le Conseil départemental ne dispose pour ainsi dire d’aucuns pouvoirs de police en temps normal. En second lieu, le maire de la commune faisant l’objet d’une assignation à résidence ne fait pas partie de cette commission. En troisième lieu et sauf erreur de notre part, le décret en Conseil d’Etat déterminant les modalités de désignation et de fonctionnement de cette commission ne semble pas avoir été adopté. Saisi de recours en référé-suspension contre les décrets déclarant l’état d’urgence en 2005, le Conseil d’Etat avait rappelé « qu’il incombe aux autorités compétentes de pourvoir à la constitution effective de cette instance aux fins d’assurer que l’application concrète des articles 5 (3°) et 6 sera assortie des garanties prescrites par la loi, lesquelles ont vocation à être mises en oeuvre sans préjudice des dispositions du même article 7 imposant en cas de recours contentieux, au juge administratif, de se prononcer à bref délai » (Conseil d’Etat, ORD., 14 novembre 2005, Rolin, requête numéro 286835, publié au recueil, précité).
En outre, l’article 7 est ambigu en ce qu’il semble indiquer que c’est la commission départementale qui instruit la demande de « retrait », ce qui est contradictoire avec la notion même de retrait qui suppose que ce soit l’auteur initial ou son supérieur hiérarchique (l’on parle souvent alors de « rapporter la décision ») qui agisse. Le Conseil d’Etat a précisé dans son ordonnance du 14 novembre que le recours gracieux était distinct de la saisine de la commission départementale : « l’examen d’un recours gracieux formé à l’encontre d’une de ces mesures doit être précédé de l’avis d’une commission départementale où siègent des représentants du conseil général ». Dans un arrêt d’assemblée du 24 mars 2006 il a en revanche indiqué qu’ « un recours gracieux peut être formé à l’encontre d’une telle mesure devant une commission départementale où siègent des représentants du conseil général » (Conseil d’Etat, Assemblée, 24 mars 2006, M.A et M.B, requête numéro 286834, publié au recueil). La contradiction doit en principe être tranchée au bénéfice de l’arrêt d’Assemblée. La procédure ainsi instituée reste pour le moins incertaine, à tel point que le Conseil d’Etat a pu se contredire sur ses termes les plus élémentaires à moins de quatre mois de distance. Un recours pour excès de pouvoir peut en tout cas être formé et doit être jugé dans le délai d’un mois.
Il fait peu de doute en outre que si l’article 7 prévoit que l’auteur d’une mesure prise sur le fondement des article 5 3° ou 6 peut exercer un recours pour excès de pouvoir, la voie d’un référé d’urgence et notamment le référé-liberté ne lui est pas fermée.
11. Si les pouvoirs qui viennent d’être décrits peuvent être mis en oeuvre sans qu’une disposition spécifique du décret déclarant l’état d’urgence ou définissant son champ d’application territorial ne le précise, le pouvoir réglementaire précise habituellement des circonscriptions et des zones d’application des articles 6 et 8. Tel fut le cas du décret n° 2005-1387 du 8 novembre 2005 suivant le décret du même jour déclarant l’état d’urgence. Tel est encore le cas du décret du 14 novembre 2015 n° 2015-1476, remplacé par le décret du 14 novembre 2015 n° 2015-1478. Aux termes de l’article 1er du décret 2015-1476 modifié par le décret 2015-1478 : « Outre les mesures prévues aux articles 5, 9 et 10 de la loi du 3 avril 1955 susvisée, sont applicables à l’ensemble du territoire métropolitain et de la Corse les mesures mentionnées aux articles 6, 8 et au 1° de l’article 11″.
Concernant les pouvoirs devant faire l’objet d’une habilitation spécifique, il s’agit de ceux prévus aux articles 11 et 12.
L’article 11 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peuvent, par une disposition expresse :
1° Conférer aux autorités administratives visées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ;
2° Habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections ciné-matographiques et des représentations théâtrales.
Le Conseil d’Etat a précisé la loi devait être interprétée comme n’excluant pas que l’autorité juridiciaire puisse connaître de la légalité des perquisitions ainsi autorisées (Conseil d’Etat, ORD., 14 novembre 2005, Rolin, requête numéro 286835, publié au recueil, précité).
Allant plus loin encore, l’article 12 prévoit que dans un département, sur le rapport du garde des sceaux et du ministre de la défense, un décret peut autoriser la juridiction militaire à se saisir de crimes et délits connexes relevant de la cour d’assises de ce département. La compétence des tribunaux militaires fait partie de celles qui sont également prévues, nous l’avons vu, par le régime de l’état de siège. Ni les décrets de 2005, ni ceux de 2015 ne prévoient une telle procédure dérogatoire.
- sur cette notion voir CE Ass. 16 décembre 2005, Ministre des affaires sociales, requête numéro 259584; Ferrari (Sebastien), “De l’art du trompe-l’oeil : l’abrogation implicite de la loi par la Constitution au service d’un continuum constitutionnel”, Revue française de droit constitutionnel, 2013 n° 83, pp. 497-521 [↩]
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