Je vous remercie très cordialement de l’invitation à cet évènement impor-tant. Il faut tout particulièrement remercier et féliciter le Centre juridique franco-allemand pour cette conférence.1 Cette dernière marque le coup d’envoi pour recenser et analyser la thématique de la législation dans l’espace frontalier et pour identifier des solutions. Il convient de souhaiter beaucoup de succès à la réalisation de ces objectifs ambitieux.
La démarche de ce congrès montre qu’une telle thématique requiert une approche transfrontalière au sujet. Il est particulièrement réjouissant qu’avec le congrès d’aujourd’hui, vous ayez réussi à réunir déjà un nombre important d’experts réputés ici à Sarrebruck.
Dans ce contexte, je tiens tout particulièrement à saluer les représentants de la région voisine, la Lorraine.
Soyez toutes et tous les bienvenus ici à Sarrebruck !
La question de la législation de l’espace frontalier franco-allemand n’est pas seulement une affaire franco-allemande, mais représente également un intérêt européen. Je me réjouis que la conférence d’aujourd’hui se soit vue décerner le label « local event des open days 2013 ». Ce sont ces manifestations décentralisées des open days européens qui ont lieu ces jours-ci à Bruxelles. En coopération avec le Rhin supérieur, la Grande Région est également de nouveau représentée dans un atelier sur les coopérations interrégionales de recherche pour y présenter l’Université de la Grande Région.
À cette occasion, dans sa dernière édition du 7 octobre 2013, l’hebdoma-daire « Die Zeit » a publié un rapport détaillé sur ces coopérations transfrontalières de recherche en constatant :
« La Sarre, la Lorraine, le Luxembourg, le Wallonie et la Rhénanie-Palatinat – il n’existe guère d’autres grandes régions en Europe, dans lesquelles la coopération et la recherche sont si intenses. »
Nous pouvons légitimement en tirer une grande fierté. Car ce congrès contribue également à cette position privilégiée.
1. Point de départ historique
En cette année 2013, la France et l’Allemagne célèbrent le cinquantenaire du traité d’amitié franco-allemand. Le Traité de l’Élysée n’était certaine-ment pas le début de la réconciliation franco-allemande, mais il en a marqué un jalon important.
Charles de Gaulle a conclu son fameux discours, lors duquel il s’est adressé à la jeunesse allemande à Ludwigsburg, par les paroles suivantes :
« L’avenir de nos deux pays, la base sur laquelle peut et doit se construire l’union de l’Europe, le plus solide atout de la liberté du monde, c’est l’estime, la confiance, l’amitié mutuelles du peuple français et du peuple allemand. »
Si l’on remonte dans l’histoire commune de nos deux peuples jusqu’au 19ème siècle, le Traité de l’Élysée constitue un tournant majeur de l’histoire franco-allemande ainsi qu’européenne.
L’inimitié héréditaire s’est transformée en amitié entre les peuples.
Les champs de bataille d’autrefois sont devenus des lieux de rencontre.
Les frontières se sont transformées en jonctions.
Cette politique unique de réconciliation est le résultat de sagesse politique et de grandeur humaine.
2. La coopération franco-allemande comme contribution à l’intégration européenne
Aujourd’hui, la France et l’Allemagne entretiennent tout naturellement des relations étroites en matière de politique, d’économie, d’échanges scolaires ou universitaires et dans le cadre de nombreux jumelages. La réconciliation entre l’Allemagne et la France compte parmi les plus grandes histoires à succès du 20ème siècle.
Il n’y a pas de doutes : le projet initié il y a 50 ans dans le Palais de l’Élysée par Charles de Gaulle et Konrad Adenauer porte ses fruits, et il est vivant dans les cœurs des citoyens.
Depuis bien longtemps, l’amitié franco-allemande est devenue une réalité.
Quand en décembre dernier, le prix Nobel à été remis aux Européens, un fait capital a été soulignée : le fait que l’Union Européenne a pu devenir un projet exceptionnel de paix est principalement le mérite de la réconciliation franco-allemande.
3. La particularité des relations franco-allemandes
Récemment, l’historien français Pierre Nora a constaté au sujet des rela-tions franco-allemandes dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung : « Notre quotidien commun nous a éloignés ». Je voudrais répliquer : « Non, au contraire : Notre quotidien commun nous a rapprochés. Il est devenu si normal, que nous l’ignorons ! »
Mais chaque nouvelle génération doit de nouveau reconnaître l’importance de l’amitié franco-allemande pour elle-même. Et cela, par contre, n’est pas une évidence.
C’est pourquoi l’engagement pour l’avenir de notre amitié franco-allemande reste si important.
4. Comment cela peut se présenter et se mettre en œuvre concrètement ?
L’Année de la France et la Stratégie France en Sarre
Étant le plus français des Länder allemands, c’est une évidence pour la Sarre de célébrer l’anniversaire du Traité de l’Élysée dignement. Le gou-vernement sarrois a déclaré l’année 2013 Année de la France en Sarre. C’est une joie particulière de voir à quel point l’Année de la France mobilise les acteurs en Sarre, représentant une mission commune de la recherche, de l’économie, de la société civile, des associations, fédérations et municipalités.
Avec l’Année de la France, nous souhaitons expliciter le profil particuliè-rement français de la Sarre par rapport aux autres Länder allemands.
Nous visons à souligner le rôle de la Sarre en tant que passerelle entre l’Allemagne et la France.
5. Sujets et projets communs sarro-lorrains
Déjà aujourd’hui, notre région frontalière sarro-lorraine abrite une multi-tude impressionnante d’institutions et centres de compétence franco-allemands, parmi lesquels :
- le Centre juridique franco-allemand au sein de l’Université de la Sarre, fondé par la République française délivrant jusqu’à aujourd’hui des diplômes français en Allemagne ;
- le Secrétariat franco-allemand d’Échanges en Formation profes-sionnelle
- l’Université franco-allemande à Sarrebruck ;
- le DFHI-ISFATES,
- le Centre franco-allemand CEFALOR au sein de l’Université de Lorraine,
- sans oublier le Haut Conseil culturel franco-allemand qui transférera sous peu son bureau français de Berlin à Sarrebruck,
- l’inauguration imminente d’un bureau de l’Office franco-allemand pour la Jeunesse à Sarrebruck,
- l’un des trois lycées franco-allemands, implanté à Sarrebruck,
- ainsi que le Consulat général de la République française à Sarre-bruck, et bien d’autres. Présenter une liste exhaustive dépasserait de loin le cadre de ce congrès.
Nulle part ailleurs entre Paris et Berlin, le bilinguisme est aussi répandu dans les crèches et dans les écoles que dans notre région frontalière. Une coopération étroite existe entre les universités populaires de part et d’autre de la frontière ainsi qu’entre les associations de citoyens du troisième âge, entre les services d’urgences ainsi que les forces de sécurité, entre les offices de travail et entre les administrations locales des finances. Bref : un réseau étroit de coopération franco-allemande.
Lors de cette Année de la France, la Sarre est par ailleurs le lieu de nom-breuses réunions franco-allemandes de haut niveau ainsi que de manifes-tations attirant l’attention des capitales sur notre région frontalière :
- l’ouverture officielle de l’Année franco-allemande de l’Élysée a eu lieu le 9 septembre 2013 au Staatstheater de Sarrebruck, dans le cadre d’une grande cérémonie.
- La conférence sur la coopération dans l’espace frontalier franco-allemand des deux ministres chargés des relations franco-allemandes, Thierry Repentin et Michael Link, le 15 juillet 2013 à la Villa Europa à Sarrebruck, avec la signature de la Déclaration de Sarrebruck sur la coopération entre les régions frontalières.
- La visite de la Ministre française de la Culture et des Médias, Auré-lie Filippetti, à Sarrebruck le 9 Septembre 2013 dans le cadre de l’ouverture de la journée allemande du patrimoine.
- Le congrès stratégique franco-allemand sur la formation professionnelle du 25 septembre 2013 a eu lieu au Château de Sarrebruck avec la signature d’une déclaration d’intention sarro-lorraine sur la formation professionnelle transfrontalière.
- Jusqu’à la fin de l’année 2013, environ 200 manifestations auront lieu en Sarre sous le label de « l’Année de la France », dont notamment cette conférence d’experts du CJFA.
Le magazine renommé « Paris-Berlin » a récemment fait une proposition intéressante : pour continuer à donner corps au Traité de l’Élysée à l’avenir, l’axe transfrontalier entre Sarrebruck et Metz devrait être transformé en capitale franco-allemande.
La Lorraine et la Sarre peuvent en être fières !
6. L’histoire commune en tant que mission – Une politique pour l’espace frontalier
Malgré tous les acquis incontestables, malgré les progrès réalisés souvent avec des efforts considérables, même 50 ans après le Traité de l’Élysée et plus de 25 ans après les accords de Schengen sur la liberté de circulation au sein de l’Union européenne, des barrières et des frontières persistent.
Celles-ci apparaissent au fur et à mesure que l’on se rapproche de la frontière géographique et disparaissent souvent de la perception des pouvoirs législatifs nationaux dans les capitales avec une distance croissante. Les régions frontalières se trouvent souvent dans une « zone grise ».
Et pourtant les frontières ne sont pas négatives en soi. Le politologue Ulrich von Aleman a même postulé dans son article dans l’hebdomadaire « Die Zeit » : « Grenzen schaffen Frieden » [Les frontières créent la paix] – une idée néanmoins paradoxale pour notre région frontalière, compte tenu ses expériences historiques douloureuses !
Le sujet de la « frontière » cependant, auquel ce congrès se consacre d’un point de vue juridique, constitue un sujet tout à fait ambivalent et com-plexe : en allemand, la notion de « Grenze » [frontière] est utilisée pour des conceptions pour lesquelles l’anglais connaît quatre termes différents : frontier, limit, border et boundary.
Si la notion de frontière est utilisée pour définir une clôture [Umfriedung] et une « délimitation » positive créant un lieu de paix [Frieden], la duplicité de la notion de frontière devient évidente.
Du point de vue du droit international, il est incontesté qu’un État se définit entre autres par ses frontières. Du point de vue historique, l´idée était une distinction claire, la dichotomie de la ligne de démarcation permettant une distinction très schématique entre les deux côtés. La distinction « ami/ennemi » derrière cette conception des frontières était et est trop souvent la cause de conflits. Le fait que nous l’ayons durablement surmontée ici au sein de notre région frontalière, est également le mérite de la coopération franco-allemande. Même si nous nous apercevons de moins en moins les frontières, beaucoup d’entre elles persistent au niveau juridique ainsi que factuel.
Pour surmonter les frontières qui existent également dans nos esprits, nous devons changer de perspective. Cela présuppose la volonté de se mettre dans la peau du voisin et de considérer les choses à partir d’une autre perspective.
Ce changement de perspective, qui favorise la compréhension et promeut l’empathie pour des comportements supposés différents, constitue une chance pour les régions frontalières. Dialoguer et se comprendre, c’est une compétence interculturelle intrinsèque dans la région frontalière entre la Sarre et la Lorraine.
Ce n’est pas par hasard qu’un grand européen comme Robert Schuman soit originaire de notre région frontalière. En tant que frontalier lorrain-luxembourgeois, il expérimentait la vie pratique commune, de même que les effets désunissant des frontières au quotidien dans la région. Il a com-pris ce qui constitue pour nous aujourd’hui une évidence : les régions frontalières sont les jonctions de l’Europe.
Le rapprochement entre l’Allemagne et la France se produit surtout le long des frontières. Il s’agit de poursuivre cette histoire à succès.
Cultiver cette compréhension, c’est une mission perpétuelle qui doit tou-jours être retransmise – de génération en génération.
Dans ce contexte, il y a de nombreux exemples réussis qui sont réputés bien au-delà des frontières de notre région, comme le manuel d’histoire franco-allemand offrant une comparaison explicative de l’histoire com-mune et des différentes perspectives nationales respectives, ou le calen-drier mural pédagogique de la Grande Région s’adressant à des élèves de l’école primaire, ainsi que le marketing touristique interrégional soulignant justement la diversité culturelle de la Grande Région, pour ne citer que quelques exemples.
L’ancien président fédéral allemand Richard von Weizsäcker a souligné à juste titre : « Il ne s’agit pas de déplacer les frontières, mais de leur enlever leur caractère séparateur pour les peuples. »
7. Structures et législation dans les espaces frontaliers
Une question centrale de ce colloque est de savoir comment réussir à créer de nouveaux champs d’action et de nouvelles marges de manœuvre à partir de cette situation frontalière.
Pour cela, nous disposons d’une variété de possibilités.
Il existe un riche réseau de structures de coopération servant de plate-forme pour discuter et résoudre des problèmes administratifs :
- les structures permanentes du Sommet de la Grande Région, son Comité économique et social ayant une fonction consultative, ainsi que la Commission régionale établie lors des années 1970 sur la base d’un traité intergouvernemental ;
- depuis les années 1990, le Comité parlementaire interrégional se réunit régulièrement ;
- au niveau communal, les Accords de Karlsruhe de 1986 constituent la base du nouvel instrument juridique, le GECT, applicable pour l’ensemble de l’Union européenne depuis 2006, et permettant la création de « Groupements européens de coopération territoriale ». Ou bien la création d’un Task Force Frontaliers de la Grande Région analysant les incompatibilités du droit des frontaliers et cherchant des solutions. Plusieurs de ces institutions feront objet de ce congrès.
Au niveau des experts, des accords bilatéraux prévoient des dispositions spéciales permettant des exceptions pour les régions frontalières, du « droit local » historique d’Alsace-Moselle, qui est en partie encore valable aujourd’hui, en passant par la législation cadre franco-allemande pour la coopération dans le domaine de la santé, l’instrument juridique inhérent à la législation française du droit à l’expérimentation, jusqu’à la création de dispositions spéciales pour les espaces frontaliers dans l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) ou dans le cadre de la convention franco-allemande contre la double imposition.
Des initiatives comme la Mission parlementaire de l’ancien Président français visant à identifier des propositions de solution pour une meilleure politique de coopération dans les espaces frontaliers français, ou la réflexion européenne pour la prise en compte de l’« impact territorial » dans le cadre des projets législatifs illustrent l’importance et l’intérêt du sujet de cette conférence.
Je vous souhaite pour cette conférence des débats constructifs et fruc-tueux. Je suis convaincu que nous allons réussir, car il ne s’agit pas seule-ment d’échanger des discours, mais de présenter et de discuter des sujets et des expériences extrêmement complexes.
Dans cet esprit, je vous souhaite un bon démarrage et je me réjouis de résultats prometteurs.
- Discours tenu au nom du ministre par Dr. Martin NIEDERMEYER: Représentant du ministre, directeur du département „coopération transfrontlière Sarre-Lorraine-Luxembourg“ au sein du Ministère des Affaires européennes de la Sarre. [↩]
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