La Grande-Région, composée des Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat, du Grand-Duché de Luxembourg, de la région Wallonne et de la Communauté germanophone de Belgique ainsi que de la région Lorraine, rencontre quotidiennement de nombreux flux transfrontaliers de population facilités par l’absence de frontières. Ces flux sont majoritairement liés au travail, à la consommation ou au lieu de résidence. D’une part, ces flux nécessitent d’offrir à chaque citoyen des soins et une prise en charge sanitaire de qualité. Cet accès aux soins devrait être facilité par des procédures administratives uniformisées, notamment au regard de leur prise en charge financière. D’autre part, la mobilité des professionnels de santé entre des pays voisins pourrait être une réponse aux fortes contraintes démographiques existantes dans le domaine de la santé (ex : manque de médecins, de soignants). Dès lors, la coopération sanitaire transfrontalière offre des perspectives concluantes dans un domaine sensible tel que la santé. Cependant, « l’objectif de ces projets de coopération ne saurait être une uniformisation des systèmes de santé des États membres de l’Union Européenne ou la création d’une situation de concurrence entre les États membres1 ».
La coopération sanitaire transfrontalière représente donc un outil qui permettrait de répondre aux problématiques suivantes :
- Problématique de démographies médicale et soignante
- Attractivité sanitaire et offre de soins en zone rurale
- Problématique de santé publique
- Réponse aux situations d’urgence
- Soutien d’établissement présentant des difficultés financières et structurelles
- Harmonisation des procédures de facturation des soins.
Les Etats membres de la Grande-Région ont conclu des accords-cadres qui permettent aux zones frontalières concernées par l’accord de conclure des conventions de coopération. L’accord-cadre franco-belge de coopération sanitaire transfrontalière a été signé le 30 septembre 2005 et est entré en vigueur le 1er mars 2011. Il s’applique aux régions françaises : Champagne-Ardenne, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais et Picardie ainsi qu’aux arrondissements belges suivants : Veurne, Leper, Kortrijk, Mouscron, Tournai, Ath, Mons, Thuin, Philippeville, Dinant, Neufchâteau, Virton et Arlon.
La France et l’Allemagne ont signé le 22 juillet 2005, l’accord cadre sur la coopération sanitaire transfrontalière, entré en vigueur en 2007, qui s’applique aux zones frontalières suivantes : en République française, à la région Alsace et à la région Lorraine ; en République fédérale d’Allemagne aux Länder de Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Sarre.
Ces accords-cadres prévoient également la création d’une commission mixte chargée de suivre les coopérations sanitaires transfrontalières. Les autorités compétentes en matière d’organisation de l’accès aux soins et de sécurité sociale mettent en œuvre ces accords-cadres. En outre, la finalisation d’un accord cadre franco-luxembourgeois sur la coopération sanitaire transfrontalière est envisagé2.
Les processus de coopération sanitaire transfrontalière sont principalement élaborés dans le cadre des programmes européens INTERREG, mis en place en 1989 et financés par le Fond Européen de Développement Régional (FEDER). Les programmes INTERREG ont pour objectifs de stimuler et promouvoir le développement économique des régions frontalières. En vue de favoriser le développement des projets, des structures de suivi et de promotion de la coopération, souvent à l’origine des premiers échanges dans ce domaine, ont été mis en place :
- L’Observatoire Franco-Belge de la Santé (OFBS), dès 1999, est un Groupement Européen d’Intérêt Economique (GEIE). Il est composé des principaux acteurs de l’assurance maladie et de l’offre de soins, des médecins libéraux, des pharmaciens ainsi que des centres hospitaliers situés dans la zone frontalière franco-belge. L’OFBS pilote plusieurs projets INTERREG.
- L’observatoire Transfrontalier de la Santé Wallonie-Lorraine-Luxembourg (GEIE LuxLorSan) depuis 2002. Il fédère des organismes de santé des régions membres et constitue un espace d’échanges, d’études et d’actions transfrontalières dans le domaine sanitaire, médico-social et de l’accès à des soins de qualité.
- Groupe de travail « Santé » de la Commission régionale Saar-Lor-Lux-Rhénanie-Palatinat-Wallonie dès 2006.
- Projet Gesundheit : Santé Saar: Moselle 2002-2006 : analyse comparative des systèmes de santé en vue de projets de coopérations.
Les coopérations sanitaires transfrontalières permettent de répondre à des problématiques diverses comme cela a été précisé précédemment. Cependant, les domaines de coopération suivants font l’objet d’une analyse approfondie dans le cadre de cette présentation : les coopérations en matière d’aide médicale d’urgence, en matière de coopération inter-hospitalière et en matière de formation et de recherche.
I. — L’aide médicale d’urgence
Les coopérations en matière d’aide médicale d’urgence permettent de réduire les délais d’intervention auprès du patient en faisant intervenir les secours du pays voisin. Cette complémentarité est favorisée par la liaison des moyens de communication entre les centres de régulation des secours des pays concernés. De plus, des actions de formation et d’échanges de personnel sont développées.
Les régions frontalières ont engagé des actions de formalisation de ces coopérations :
- Convention sur l’aide médicale urgente entre la France et la Belgique conclue en mars 2007 avec des annexes spécifiques pour les bassins frontaliers (ex : annexe Lorraine en 2008). En 2012, la convention franco-belge a enregistré 179 interventions du SMUR Belge en France et 50 interventions du SMUR Français en Belgique. Attention, il convient de préciser que la convention Franco-Belge comprend des zones frontalières non comprises dans la Grande-Région
- Convention franco-allemande sur l’aide médicale urgente conclue en 2008 entre la Lorraine et la Sarre. En 2012, le service d’urgence de la Sarre a effectué 88 sorties en France. Dans la même période, 81 sorties du SMUR Français ont été réalisées entraînant le transport des patients vers la France.
- Convention sur les services de secours entre le Royaume de Belgique et la Rhénanie-Palatinat de mai 2009 : intervention transfrontalière des ambulances et des médecins urgentistes dans les zones de coordination de Trèves et Liège
- Interventions transfrontalières des hélicoptères de sauvetage Luxembourg – Sarre – Rhénanie-Palatinat.
II. — La coopération inter-hospitalière
Dans le cadre de la coopération inter-hospitalière, deux coopérations particulièrement innovantes font l’objet dans le cadre de cette étude d’une présentation approfondie.
A. La coopération inter-hospitalière franco-belge
Au niveau de la zone frontalière lorraine (Meurthe-et-Moselle) et belge (arrondissement du Luxembourg), une coopération renforcée a été mise en place entre deux établissements par le biais de conventions et d’une ZOAST = Zone d’Accès aux Soins Transfrontaliers. Les ZOAST sont des zones géographiques au sein desquelles les populations ont librement accès aux soins des deux côtés de la frontière. L’originalité de la ZOAST repose sur les modalités de facturation de la prise en charge. En effet, les procédures administratives sont simplifiées pour les patients français grâce à l’utilisation de la carte vitale française par le biais de bornes installées dans l’établissement belge avec transmission des éléments à la CPAM française. Pour les patients belges, la procédure est identique sur présentation de la vignette de mutuelle.
La Zone d’accès aux soins transfrontaliers (ZOAST) Arlon Longwy, entrée en vigueur en juillet 2008, est née d’une coopération entre les Cliniques du sud Luxembourg (CSL) et l’Association ALPHA SANTE – Centre Hospitalier Hôtel Dieu à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), et permet aux patients de la zone frontalière de recevoir des soins au sein des deux établissements hospitaliers sans démarches préalables. L’établissement français d’une capacité de 350 lits est situé dans une commune voisine de Longwy qui est délimitée à l’ouest et au nord par la frontière belge, ainsi qu’à l’est par les frontières belge et luxembourgeoise. L’hôpital belge d’Arlon d’une capacité (avec Virton) de 403 lits (aigus, spécialité et psychiatrie) est l’hôpital de recours le plus proche (il est situé à 19 km) puisque le CHR de Metz Thionville, l’établissement de recours français, est situé à 48 km. Les patients français représentent 2-3% de la patientèle de l’établissement belge en 2012.
L’établissement français a récemment rencontré des difficultés financières et structurelles en raison d’une problématique de désertification médicale du bassin de Longwy3. La coopération avec l’établissement belge permet de soutenir la reprise de l’hôpital français grâce à l’intervention de médecins belges au sein de l’établissement français comme nous l’a précisé l’Agence Régionale de Santé (ARS) Lorraine que nous avons interrogée.
Afin de renforcer l’équipe médicale de l’établissement français, une quinzaine de médecins belges interviennent chaque semaine au sein du CH Hôtel-Dieu dans les spécialités suivantes : gastro-entérologie, urologie, orthopédie et pédiatrie. De plus, un Groupement d’intérêt économique « les trois frontières », permet aux radiologues des cliniques du sud Luxembourg d’Arlon d’exploiter les infrastructures d’imagerie médicale du CH Hôtel Dieu à Mont Saint-Martin et plus particulièrement le Scanner et l’IRM. Enfin, dans le cadre de la prise en charge des patients atteints de cancer, des séances de radiothérapie sont réalisées au Luxembourg à Esch-sur-Alzette à 20 km de Mont Saint-Martin.
Il convient de préciser que les ZOAST, en vigueur entre la France et la Belgique, font l’objet d’un projet Santransfor qui a pour objectif d’élargir le principe des ZOAST à la Grande-Région.
B. La coopération inter-hospitalière franco-allemande
La Moselle présente une surmortalité par maladies cardiovasculaires soit + 20%. Ces pathologies nécessitent une prise en charge rapide au sein d’une unité de soins intensifs de cardiologie (USIC). Cette activité est réalisée au sein du bassin houiller par le CHIC Unisanté situé à Forbach. Cependant, cet établissement présente un problème de démographie médicale et les premiers établissements de recours français sont situés à minima à plus de 50 km de Forbach (Metz et Nancy).
En réponse à ces difficultés, une convention de coopération a été conclue en mars 2013 entre le CHIC unisanté et le HerzZentrum Saar de la SHG Kliniken situé à Völklingen en Sarre, considéré comme un des 10 meilleurs établissements allemands spécialisés en cardiologie et plus particulièrement en cardiologie interventionnelle. Outre la prise en charge de patients, la convention prévoit la participation des cardiologues allemands à la permanence des soins de l’établissement français. Cette coopération n’est pas nouvelle et s’est construite depuis une dizaine d’année grâce à l’intervention de la chargée de la coopération sanitaire transfrontalière de la SHG Kliniken que nous avons interrogé.
Autour de la même problématique de prévention et de prise en charge des maladies cardiovasculaires, l’observatoire franco-belge de la santé a développé le projet ICAPROS, Instance de Coordination des Actions pour la PROmotion en Santé franco-Belge (2009-2014), qui vise à promouvoir des actions structurées dans ce domaine (prévention du risque cardio-vasculaire, promotion de l’information et de la formation en santé, diffusion des bonnes pratiques professionnelles).
III. — Recherche, innovation et formation
Outre la prise en charge des médicales des patients, les conventions de coopération intéressent d’autres domaines tels que la formation, la recherche et l’innovation:
- Association Saar-Lor-Lux des centres hospitaliers universitaires de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et Homburg (Sarre), et du laboratoire nationale de santé luxembourgeois dès 1996, pour la recherche dans les spécialités de la synthèse organique, de la virologie et de la recherche cardiovasculaire,
- Convention de coopération dans le domaine des stages du 14 octobre 2008, conclue entre l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de l’Hôpital du Parc de Sarreguemines (Moselle) et le centre cardiologique des SHG Kliniken – Völklingen (Sarre), permettant aux étudiants de l’IFSI d’y faire un stage d’une durée de quatre semaines. Une centaine d’étudiants de l’IFSI de Sarreguemines ont été reçus en stage depuis le début de la convention. Cette initiative favorise également les échanges linguistiques franco-allemands.
- Accord de coopération du Centre Hospitalier du Luxembourg et de l’Université de la Sarre de novembre 2008 dans les domaines de la formation initiale et de la formation continue ainsi que de l’assistance médicale transfrontalière,
- Accord de coopération du Centre Hospitalier du Luxembourg et de la Fachhochschule Trier (Rhénanie-Palatinat) Hochschule für Technik, Wirtschaft und Gestaltung de juin 2009 dans les domaines de la neurochirurgie, du développement de l’assistance chirurgicale robotisée,
- Accord de coopération de la clinique Caritas (Dilligen) et du Centre hospitalier universitaire Nancy dans la recherche expérimentale sur les accidents vasculaires cérébraux.
IV. — Le développement de nouveaux projets
Parallèlement à ces projets existants, de nouveaux projets sont en cours de développement en vue d’uniformiser et de rendre plus visibles les coopérations sanitaires transfrontalières :
- Le projet COSANTE, porté par le GEIE LuxLorSan dans le cadre d’INTERREG IV-A (2007-2013) et ayant pour objet d’améliorer l’accès aux soins des populations du Luxembourg (Belgique), de la Lorraine et du Grand-Duché du Luxembourg, a eu notamment pour objectif de développer un observatoire transfrontalier de la santé et de l’accès aux soins au sein de la Grande-Région. Depuis début 2014, la responsable de la coopération sanitaire transfrontalière des SHG Kliniken- Völklingen (Sarre) est rattachée à mi-temps à l’observatoire franco-belge de la santé en vue d’accompagner la création d’un tel observatoire et plus largement d’impulser la coopération sanitaire transfrontalière en Grande-Région en favorisant le développement de liens entre les régions frontalières concernées.
- Depuis le 1er juillet 2013, Recosantran, piloté par l’Observatoire franco-belge de la santé, prend le relais des projets arrivés à échéance dans l’espace transfrontalier France-Wallonie-Vlaanderen et a également pour objectif de se pencher sur la question de la dépendance. Cette intégration du secteur médico-social au sein du périmètre de la coopération sanitaire transfrontalière n’est pas nouvelle puisqu’un accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région wallonne du Royaume de Belgique sur l’accueil des personnes handicapées a été signé le 21 décembre 2011,
- De manière plus large, le projet d’appui à la création d’un réseau pilote des hôpitaux liés au paiement des soins pour les patients transfrontaliers (HoNCAB), lancé en octobre 2012 au Luxembourg, dont l’objectif général du projet est d’obtenir une meilleure compréhension des exigences financières et organisationnelles qui peuvent survenir à la suite des soins reçus par un patient en dehors de l’État membre d’affiliation.
V. — Les contraintes existantes
Cependant, la mise en place de la coopération sanitaire transfrontalière présente, de nombreuses contraintes qui sont un frein à l’avancée des projets : la barrière de la langue, des procédures administratives longues et complexes, des systèmes de santé et des modalités de planification hospitalière différents, des interlocuteurs qui changent alors que des relations de confiance se sont instaurées, des craintes fondées ou non (ex : risque de concurrence entre Etats membres). Pour exemple, il est possible de citer les modalités de conclusion des conventions de coopération entre la France et l’Allemagne. En effet, le rapport de la commission mixte franco-allemande de 2009, souligne que « du côté français, seules des organisations administratives régionales, expérimentées dans ce domaine, sont en mesure de signer des conventions tandis que, du côté allemand, des hôpitaux individuels, par exemple, sont autorisés à signer une convention ». Ou encore, la circulaire 2007 relative à la mise en œuvre de l’accord-cadre de coopération sanitaire transfrontalière franco-allemande qui précise que les « ARH sont chargées de veiller à ce que les conventions […] répondent à un déficit de l’offre de soins préalablement constaté sur le territoire français ». Cette notion de déficit a eu pour conséquence d’ouvrir un débat entre les partenaires puisque les allemands considéraient que « l’accord‐cadre et les conventions de coopération devaient créer une valeur ajoutée par rapport à la qualité et la quantité des soins4 ».
Conclusion
Malgré ces contraintes, la coopération sanitaire transfrontalière reste un sujet vaste qui évolue en raison de nouveaux enjeux tels que :
- l’évolution de la règlementation existante à travers notamment la directive du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers,
- les contraintes financières et concurrentielles existantes dans le secteur de la santé,
- les évolutions démographiques et de la protection sociale,
- l’augmentation de la technicité dans le domaine de la santé,
- l’évolution des droits du patient,
- la définition de nouveaux enjeux de santé publique,
- l’intégration de nouveaux domaines tels que la dépendance des personnes âgées ou la prise en charge du handicap.
Au regard de ces évolutions, la coopération sanitaire transfrontalière devrait d’une part être approfondie et d’autre part être régulièrement évaluée.
- Commission mixte sur la mise en œuvre de la coopération sanitaire transfrontalière franco-allemande, rapport 2010. [↩]
- Commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière, Communiqué de presse 2013. [↩]
- Projet médical du Centre hospitalier Hôtel-Dieu Mont Saint-Martin, version du 3 octobre 2012. [↩]
- Commission mixte sur la mise en œuvre de la coopération sanitaire transfrontalière franco-allemande, rapport 2010. [↩]
Table des matières