La profession de notaire est très ancienne : elle existait au Moyen Âge et trouve même son origine chez les fonctionnaires romains qui l’introduisirent en Gaule.
En France, le notaire est l’officier public chargé de recevoir et d’authentifier les actes juridiques tels que le testament, le contrat de mariage, la donation, la vente immobilière, et d’en conserver les minutes. Il en assure la publication auprès des registres nationaux, spécialement en matière de publicité foncière. Outre ces cas où son intervention est obligatoire, le notaire peut encore donner l’authenticité à tout acte (et notamment tout contrat) s’il en est requis par un client1. Dans son activité, le notaire délivre ses conseils et apporte une grande sécurité juridique, car en tant qu’officier public il engage sa responsabilité non seulement à l’égard de son client, mais de toutes les parties à l’acte. De plus l’acte ainsi passé en la forme authentique2 est directement exécutoire, ce qui permet par exemple de procéder à une saisie sans devoir passer par l’étape judiciaire.
Ce notaire des « pays latin » ne doit pas être confondu avec le « public notary » des pays de Common Law et de certains pays scandinaves, qui peut délivrer ou légaliser des actes, notamment pour leur production à l’étranger, mais ne peut pas leur conférer la force exécutoire.
En France, les notaires relèvent d’un statut réglé par décret3 et sont soumis à une déontologie sous le contrôle de leur Ordre ; leurs émoluments sont fixés par l’Etat. Ils tiennent divers fichiers, notamment le Fichier central des déclarations de dernières volontés où sont enregistrés tous les testaments authentiques4. Les notaires de France sont réunis en chambres départementales et régionales, et sont représentés au niveau national par le Conseil supérieur du Notariat (CSN) dont l’une des missions est de contribuer à l’évolution et au rayonnement de leur profession, en participant à la sécurité juridique et notamment à la sécurité foncière5.
Les missions et l’organisation du Notariat allemand sont très proches. Ces officiers publics6 dressent des actes authentiques, notamment en matière de vente immobilière et de contrat de mariage, ils sont soumis à une déontologie et leurs émoluments sont fixés par l’Etat. Ils sont également regroupés en Chambres7.
Les instruments de coopération transfrontalière entre notaires sont multiples, souvent sous forme de réseaux ayant le statut d’association à but non lucratif8. On citera en particulier le CNUE (Conseil des Notariats de l’Union Européenne9) auquel on doit notamment le site internet « Successions en Europe »10 cofinancé par la Commission européenne et accessible en 22 langues, et plus récemment sur le même modèle le site « Couples en Europe »11, accessible en 21 langues.
Les notariats européens adhèrent également à l’UINL (Union internationale des notaires12) qui prévoit la coopération entre notaires frontaliers pour les questions relevant de leur spécialité.
Les Notaires, en professionnels du droit, n’hésitent donc pas à communiquer entre eux pour résoudre des cas concrets. Par ailleurs, ils peuvent intervenir auprès des législateurs des différents Etats comme force de proposition pour l’évolution de la législation, mais ils n’ont évidemment pas le pouvoir de modifier eux-mêmes la règle de droit.
Ainsi, la coopération professionnelle entre notaires n’a pas suffi pour répondre aux difficultés soulevées par les disparités de la loi applicable aux successions internationales dans les différents Etats membres de l’Union européenne ; c’est un Règlement communautaire du 4 juillet 201213 qui soumet désormais14 les successions internationales à une loi unique15 et donne aux citoyens des Etats membres16 un certain droit d’option pour choisir la loi applicable à leur succession. Sur le même modèle, un projet de règlement est encore en cours d’élaboration, pour proposer une règle de conflit de loi commune en matière de régimes matrimoniaux.
Il est pourtant un domaine où le notaire dispose en droit français d’une grande latitude pour fournir à ses clients l’acte le plus adapté à leurs besoins et à leur demande. Ce domaine est celui des régimes matrimoniaux : en France comme en Allemagne, le législateur impose un régime légal aux couples qui n’ont pas fait d’autre choix, mais laisse une grande liberté aux époux qui veulent organiser eux-mêmes leur régime, par un contrat de mariage qui doit prendre la forme notariée17. Les trois grands types de régimes proposés dans le Code civil peuvent être aménagés au moyen de clauses appropriées dont le nombre n’est certainement pas fini, et que le notaire reste libre d’aménager dès lors qu’elles ne contreviennent pas à l’ordre public.
Aucun principe n’interdit donc d’intégrer dans un contrat de mariage français des dispositions inspirées d’un droit étranger. Tel était d’ailleurs le cas pour le régime conventionnel de participation aux acquêts, déjà proposé par des notaires français18 avant même d’être inscrit dans le Code civil par la loi du 13 juillet 1965.
Mais cela ne suffit pas à résoudre les difficultés rencontrées par les couples binationaux, ou même les couples de français s’installant à l’étranger. Tel était précisément l’objectif fixé au groupe de travail très restreint19 à l’origine du nouveau régime optionnel franco-allemand20 : proposer un régime unique, qui s’applique et se liquide de manière identique dans les deux pays21. L’accord bilatéral22 signé le 4 février 2010 par la République fédérale d’Allemagne et la République française est entré en vigueur le 1er mai 201323, ayant été ratifié dans ces deux Etats, respectivement par lois du 15 mars 2012 et du 28 janvier 201324.
Ainsi, la France et l’Allemagne ont inscrit dans leurs droits nationaux respectifs ce régime qui s’ajoute aux autres régimes conventionnels proposés. La méthode consistant à créer une véritable législation commune à deux Etats est originale en ce qu’elle dépasse la simple harmonisation, et pourrait même encourager d’autres expériences de rapprochement de ce type en droit de la famille25. A cet égard, le nouveau régime suscite l’intérêt de la doctrine26, mais on peut se demander si ce sera suffisant pour assurer son succès.
En pratique, ce régime devra être choisi par contrat de mariage établi avant le mariage par de futurs époux27 ou dans le cadre d’un changement de régime d’un couple déjà marié sous un autre régime28. Pour que les notaires français recommandent ce régime optionnel à leurs clients, il faudra qu’ils soient convaincus de sa supériorité (I) par rapport aux autres solutions juridiques à leur disposition29, mais aussi qu’ils soient en mesure d’anticiper suffisamment clairement sa liquidation (II).
I. — Pourquoi conseiller le régime optionnel franco-allemand de participation aux acquêts
La participation aux acquêts figure au nombre des régimes conventionnels proposés par le Code civil français, aux articles 1569 à 1581 du Code civil, issus de la loi du 13 juillet 196530. Sa ressemblance formelle avec le régime allemand de communauté différée des augments31 – qui est le régime légal allemand – en faisait le candidat idéal (B) pour un régime commun à proposer aux couples ne pouvant pas se contenter d’un régime français ou d’un régime allemand (A).
A. Les candidats au régime optionnel franco-allemand
Selon les documents de présentation du décret de 2013, le « cœur de cible » est constitué des couples franco-allemands. Mais le domaine d’application qui résulte de l’article 1er est plus large, puisque « le régime optionnel de la participation aux acquêts peut être choisi par des époux dont la loi applicable au régime matrimonial est celle d’un Etat contractant », donc la loi française ou la loi allemande, sans même qu’il soit besoin d’établir un élément d’extranéité32. Il faudra donc dans un premier temps appliquer les règles de conflit de loi, françaises et allemandes, pour s’assurer que les époux relèvent bien de l’une ou l’autre législation33.
Le choix de ce régime n’implique pas pour les époux de choisir la loi d’un Etat contractant, mais il sera prudent de leur suggérer de désigner dans leur contrat de mariage la loi applicable à leur régime matrimonial34 !
En application des règles de droit international privé françaises et allemandes, il suffit donc que l’un ou l’autre des époux ait la nationalité française ou allemande, ou que les époux résident habituellement en France ou en Allemagne, ou qu’ils y aient établi leur première résidence35.
Ainsi, un couple de Français pourrait adopter ce régime, par exemple parce qu’ils envisagent d’acquérir un bien immobilier de l’autre côté du Rhin, ou même parce qu’ils prévoient de s’établir à l’étranger et qu’ils veulent profiter des règles des articles 5 et 6, qui reprennent certaines des dispositions protectrices du régime primaire français. Il s’agit en l’espèce d’interdire à un époux de disposer, sans le consentement de son conjoint, des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ou d’objets du ménage36, ou encore de donner pouvoir à chacun des époux pour passer seul les contrats ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, en obligeant son conjoint solidairement37, sauf si cette dette présente un caractère manifestement excessif eu égard au train de vie des époux et que ce caractère était connu ou aurait dû être connu du cocontractant38. L’article 5, §2 prévoit même une autorisation judiciaire permettant à un époux d’accomplir seul un acte pour lequel le consentement du conjoint serait nécessaire, lorsque ce dernier ne peut pas ou ne veut pas s’y prêter39.
Le fait que le régime optionnel soit un régime de participation aux acquêts pourrait inciter un couple franco-allemand à le choisir, car il semblera familier à chacun des époux, et surtout le notaire français ou allemand qui liquidera le régime n’aura pas à appliquer la loi de l’autre Etat40, puisque ce régime appartient à son propre ordre juridique interne.
B. L’intérêt d’un régime de participation aux acquêts
Sur le papier, le régime français de participation aux acquêts a tout pour séduire, combinant les avantages de la séparation de biens à ceux de la communauté d’acquêts. Les patrimoines des époux y restent séparés, ce qui assure leur parfaite autonomie dans l’administration et la disposition de leurs biens41 et garantit leur protection contre les créanciers du conjoint42, tout comme dans le régime de séparation de biens. Mais si le régime de séparation des biens évite à un époux d’être entraîné dans l’appauvrissement de son conjoint, il lui interdit aussi de profiter de son enrichissement. C’est la raison pour laquelle on parle de régime d’égoïste, la négation même d’un régime matrimonial selon le Doyen Carbonnier.
La participation aux acquêts n’encourt pas ce reproche : sa liquidation permet d’associer un époux à la prospérité de son conjoint, en donnant à l’époux qui s’est le moins enrichi pendant le mariage une créance contre l’autre, à la mesure de la moitié de la différence de leurs enrichissements, calculés par soustraction du patrimoine originaire de chaque époux à son patrimoine final.
Les règles de composition et d’évaluation du patrimoine final et du patrimoine originaire sont établies dans de façon à ce que le résultat de la liquidation soit le même, en valeur, que si les époux s’étaient mariés sous le régime de communauté d’acquêts43.
Le régime allemand de communauté différée des augments assure également la séparation des biens des époux pendant le mariage, et les associe finalement à parts égales dans les acquêts réalisés durant l’union.
Le régime optionnel franco-allemand étant un compromis entre la participation aux acquêts de droit français et la communauté différée des augments de droit allemand, les Allemands devraient y retrouver la structure de leur régime légal (sous quelques modifications), et les Français le moyen de participer à l’enrichissement du conjoint sans courir le risque d’être entraîné dans sa faillite.
Mais cette familiarité avec chacun de nos droits nationaux ne doit pas faire oublier que le nouveau régime optionnel a sa propre économie. Issu d’un texte de compromis, il ne se calque exactement ni sur la participation aux acquêts française, ni sur la communauté différée des augments allemande, et les notaires qui seraient appelés à le liquider en sont déjà bien conscients.
II. — Comment liquider le régime optionnel franco-allemande de participation aux acquêts
Le régime français de participation aux acquêts reste très peu choisi (moins de 0,5% des couples mariés)44, les notaires se plaignant en particulier de la complexité de sa liquidation45, ainsi que de son caractère incertain dans la mesure où l’article 1579 du Code civil comporte une sorte de sauvegarde judiciaire, la possibilité pour le juge d’écarter les règles légales d’évaluation du patrimoine si leur application devait conduire à un résultat manifestement inéquitable46. On peut craindre que le nouveau régime optionnel ne soulève pas plus d’enthousiasme, même si l’on ne peut pas nier l’avantage résultant du fait que le régime se liquide de la même manière de part et d’autre de la frontière47.
La liquidation risque donc de réserver des surprises48. Certes l’économie générale reste celle d’une participation aux acquêts49, à savoir l’établissement d’une créance de participation (C) calculée à partir de la différence entre les acquêts nets des conjoints, obtenus par soustraction du patrimoine originaire (A) de l’époux à son patrimoine final (B). Mais le résultat pourrait surprendre le juriste français, qui serait peut-être bien inspiré d’user de la faculté de l’article 3, §3 qui permet de déroger, dans le contrat de mariage, aux règles du chapitre V (détermination de la créance de participation) et à celles de l’art. 14 du chapitre VI (liquidation de la créance de participation).
A. Les particularités du patrimoine originaire
Les différences sont grandes à cet égard entre le système français et le système allemand, qu’il s’agisse de la composition (1) ou de l’évaluation (2) du patrimoine originaire. Le nouveau régime y reflète les compromis qui ont été faits, et comporte aussi une règle bien sévère relative à l’inventaire (3).
1) Quant à sa composition
En France, on fait figurer dans le patrimoine originaire tous les biens qui seraient propres sous le régime de communauté d’acquêts, à savoir les biens présents au jour du mariage50, mais aussi les biens acquis à titre gratuit pendant le mariage51, ainsi que les biens propres par nature, notion inconnue du droit allemand.
Dans le nouveau régime optionnel, le patrimoine originaire d’un époux comprend les biens présents au jour de l’entrée en vigueur du régime, les biens acquis ultérieurement par succession ou donation, ainsi que les indemnités reçues en réparation d’un dommage corporel ou moral, ce qui ne reflète qu’une partie des biens propres par nature du droit français.
De plus, selon l’article 8 §3, il convient de retirer du patrimoine originaire52 les biens originaires qui ont été donnés53 par un époux à des parents en ligne directe au cours du régime matrimonial.
Le passif comporte les dettes antérieures et celles qui sont afférentes à un bien du patrimoine originaire acquis pendant le mariage. Le passif peut excéder l’actif, art. 8, § 1 et 254.
2) Quant à son évaluation
Il a fallu trouver un compromis entre la règle française de la valorisation au jour de la liquidation et la règle allemande de l’absence de réévaluation (ce dont il résulte un accroissement de l’enrichissement, les plus-values des biens originaires n’étant pas neutralisées), sauf décision du juge55.
Le résultat, exprimé dans l’art. 9, est mixte, inspiré pour partie du droit français et pour partie du droit allemand. On retiendra que la règle d’évaluation n’est pas la même selon que le bien est mobilier ou immobilier.
Les biens originaires sont évalués au jour du mariage ou au jour de leur acquisition, cette valeur étant indexée sur la variation moyenne de l’indice général des prix à la consommation des Etats contractants entre l’entrée dans le patrimoine originaire et le jour de la dissolution.
Pour les immeubles56, on retient la valeur au jour de la dissolution, compte tenu de leur état d’origine. Mais s’ils ont été aliénés, la valeur au jour de l’aliénation sera indexée suivant la règle déjà énoncée.
Les dettes sont évaluées suivant les mêmes modalités que les meubles (art. 9, §4).
3) Quant à l’absence d’inventaire
Comme en droit français, les époux établissent la consistance et la valeur de leur patrimoine originaire au moyen d’un inventaire, lequel est présumé exact lorsque les deux époux l’ont signé. L’art. 8, §5 ajoute que « si aucun inventaire n’a été établi, le patrimoine originaire est présumé nul. » On perçoit aisément les conséquences d’une telle règle sur la créance de participation, surtout si les époux avaient des patrimoines originaires très inégaux et qu’ils n’ont fait ni l’un ni l’autre d’inventaire. On pourrait même envisager une stratégie patrimoniale sur fond de remariage, qui consisterait à s’abstenir volontairement d’établir l’inventaire du patrimoine originaire d’un époux ayant des enfants d’un premier lit, et ainsi majorer ses acquêts, et donc augmenter indirectement la créance de participation de son nouveau conjoint, sans avoir à craindre une quelconque qualification d’avantage matrimonial.
B. Les particularités du patrimoine final
Ici encore, les règlent reflètent les négociations entre droit français et droit allemand, pour la composition et l’évaluation du patrimoine final.
En cas de divorce57, la date à retenir pour la composition et l’évaluation du patrimoine est celle de la date d’introduction de la demande58 en justice, selon l’art. 13.
1) Quant à sa composition
Le patrimoine final d’un époux se compose des biens appartenant à cet époux au jour de la dissolution du régime. Les dettes s’inscrivent au passif, si bien que le patrimoine final peut être négatif, tout comme le patrimoine originaire.
Selon l’article 10 (§ 2, 2 et 3), il faut ajouter fictivement au patrimoine final d’un époux les biens qu’il a dissipés, cédés dans l’intention de léser son conjoint ou donnés, sauf si la donation, l’aliénation frauduleuse ou la dissipation a été approuvée par le conjoint. Mais il n’y a pas d’ajout lorsque la donation, l’aliénation frauduluse ou la dissipation a lieu plus de 10 ans avant la dissolution du régime matrimonial (art. 10 in fine). Voilà une règle originale59 et périlleuse, une prescription60 extinctive très courte qui pourrait être utilisée à mauvais escient par un époux de mauvaise foi61 !
Le cas de la donation donne encore lieu à d’autres dispositions : aucune réunion fictive n’est due si cette donation n’était pas excessive eu égard au train de vie des époux (art. 10, §2, 1, a). La donation faite par un époux à des parents en ligne directe n’est jamais réunie fictivement, mais il convient néanmoins d’ajouter au patrimoine final, s’il y a lieu, la valeur des améliorations réalisées pendant la vie du régime avec des deniers ne relevant pas du patrimoine originaire (art. 10, §2, 1, b).
2) Quant à son évaluation
La date retenue pour l’évaluation du patrimoine final (dans son actif comme dans son passif) est celle de la dissolution, art. 11 §162.
Toutefois lorsqu’il y a lieu à réunion fictive en cas de donation, dissipation ou aliénation frauduleuse, c’est la valeur au jour de la disposition qui est retenue, et indexée sur la variation moyenne de l’indice général des prix à la consommation des Etats contractants.
C. Les particularités de la créance de participation
Comme en droit français et en droit allemand, les acquêts de chaque époux sont déterminés en déduisant le patrimoine originaire du patrimoine final, même si cette règle n’est pas formellement exposée dans l’accord franco-allemand. Il conviendra ensuite de comparer les acquêts des deux époux, selon l’art. 12, et celui dont les acquêts sont les plus faibles peut faire valoir contre son conjoint une créance de participation égale à la moitié de la différence.
Selon l’article 15, le droit à la créance de participation se prescrit par 3 ans, comme en droit français, avec un point de départ original : le jour de la connaissance par l’époux de la dissolution du régime, sans pouvoir excéder 10 ans après cette dissolution63.
Le régime franco-allemand fait une place originale à l’équité64 : un époux peut l’invoquer pour obtenir du juge des délais de paiement pendant lesquel la créance produira intérêts (art. 17) ou même demander à s’acquitter de sa créance en nature, par dation en paiement (art. 12, §2).
Sa plus grande originalité tient dans le plafonnement65 de la créance de participation à « la moitié de la valeur du patrimoine de l’époux débiteur tel qu’il existe, après déduction des dettes, à la date retenue pour la détermination de cette créance » (art. 14)66.
Conclusion
Il faut signaler que le nouveau texte n’aborde pas, car ce n’était pas son objet, de nombreuses questions connexes très importantes pour les époux, qu’il s’agisse de la répartition des droits à pension et leur réversion en droit allemand, de la combinaison avec les règles successorales67 ou avec les règles du divorce… sans parler des conséquences fiscales de la dissolution du régime68.
En conclusion, pour que le nouveau régime optionnel franco-allemand de participation aux acquêts puisse espérer devenir un jour le droit commun des couples binationaux de l’Union européenne69, il faudra que les notaires, de part et d’autres du pont de Kehl, se l’approprient70 en usant de la faculté d’aménager conventionnellement certaines dispositions, telles que le calcul de la créance. Et surtout, qu’ils coopèrent entre eux pour la bonne application de ce régime, car certaines de ses dispositions paraissent bien dangereuses71, notamment la faculté quasiment offerte à un époux de vider son patrimoine final72 en donnant ses biens, puisque la réunion fictive ne se fait plus après dix ans pour les biens « sortis » du patrimoine, même s’ils avaient été acquis au cours du régime.
- Y compris par une personne publique : v. le thème du 109e Congrès des notaires, Lyon, 2013 : « Propriétés publiques, quels contrat pour quels projets ? » [↩]
- V. les travaux de la Commission de réflexion sur l’Authenticité présidée par le professeur Laurent AYNÈS et son rapport remis au président du Conseil supérieur du notariat : AYNÈS (Laurent) (sous la dir.), L’authenticité, La Documentation française, 2013 ; MEKKI (Mustapha), « Retour vers le futur de l’acte authentique ! », La semaine juridique, édition notariale 2013, act. 1064 ; « Entretien avec Laurent AYNÈS », La semaine juridique, édition notariale 2013, act. 1004 : « On aura toujours besoin d’une autorité de vérification sur laquelle les parties, le tribunaux et les tiers puissent s’appuyer » ; MEKKI (Mustapha), « Voyage au pays l’authenticité. Quelques réflexions à partir du rapport de la commission présidée par le professeur Laurent Aynès », La semaine juridique, édition notariale 2013, n° 41, 1237. [↩]
- Il existe aussi, pour des raisons historiques, un régime dérogatoire applicable aux notaires des 3 départements d’Alsace-Moselle. [↩]
- Consultable notamment par internet : http://www.adsn.notaires.fr/fcddvPublic/home.htm. [↩]
- On citera à ce titre le récent établissement d’un Notariat en Chine, en 2012. [↩]
- Sous quelques différences locales de régime dans certains Länder. [↩]
- V. le site internet (en français) de la Bundesnotarkammer : http://www.bnotk.de/fr/. [↩]
- Par exemple l’ARERT (Association du réseau européen des registres testamentaires) comprend 17 membres et 2 partenaires, tous Etats membres de l’Union européenne, comme le Luxembourg qui l’a rejoint le 6 septembre 2013. Ou encore l’ANF (association du notariat francophone), qui vise à assurer la sécurité foncière et à doter tous les enfants d’Afrique d’un état civil. [↩]
- Créé en 1993, le CNUE représente les notariats de tous les États membres connaissant cette institution : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie. La Turquie bénéficie quant à elle du statut d’observateur : http://www.notaries-of-europe.eu/fr/presentation/vue-d-ensemble. Le CNUE offre notamment aux notaires le Réseau Notarial Européen, un service destiné à les aider à résoudre les cas transfrontaliers. [↩]
- http://www.successions-europe.eu/fr/ : le site décrit sommairement le droit applicable aux successions dans chacun des Etats membres. Les citoyens peuvent ainsi s’informer sur l’autorité compétente et sur la manière dont les héritiers sont identifiés. Le site répond également aux questions relatives aux successions internationales : « Quelle législation s’applique lors du décès d’un citoyen européen propriétaire d’une maison ou titulaire d’un compte bancaire dans un autre Etat membre de l’Union européenne ? », en précisant également s’il est possible de choisir une législation plutôt qu’une autre. [↩]
- http://www.coupleseurope.eu/fr/home : couples unis par mariage ou engagés dans un partenariat. [↩]
- Anciennement « Union internationale du notariat latin », ce réseau créé en 1948 a gardé parmi ses finalités de « promouvoir des relations avec des organisations autres que celles du système de droit continental afin de collaborer avec elles dans des domaines d’intérêt commun ». Il comporte aujourd’hui 83 membres (v. la carte : http://www.uinl.org/6/notariats-membres-pays). Cette OING est actuellement présidée par un notaire français, Maître Jean-Paul DECORPS, qui s’exprime dans un entretien avec C. Larée : « UINL : « Faire prendre conscience de l’existence d’un réseau mondial du notariat » », La semaine juridique, édition notariale 2013, n° 23, 659. [↩]
- PE et Cons UE, règl (UE) n° 650/2012, 4 juil. 2012, Journal officiel de l’Union européenne n° L 201/107, 27 juillet 2012. Voir notamment L’avenir du droit européen des successions internationales, Lexis-Nexis, coll. Travaux du CREDIMI, 2011, vol. 36. [↩]
- Le règlement sera applicable à compter du 17 août 2015, aux successions ouvertes à compter de cette date, mais cela n’empêche pas les personnes concernées d’exprimer dès aujourd’hui leur option : JACOBY (Edmond), « Application du règlement communautaire sur les successions internationales : le compte à rebours a commencé ! », La semaine juridique, édition notariale 2012, n° 35, 777 et 785. [↩]
- Unité de loi allant de pair avec unité de compétence judiciaire. La loi crée également un instrument nouveau, le certificat successoral européen, appelé à circuler, et censé faciliter la preuve de la qualité d’héritier dans les différents Etats membres. [↩]
- Et même aux autres, car il est d’application universelle. [↩]
- Code civil, art. 1394. [↩]
- Inspirés par la législation des Etats voisins. [↩]
- V. notamment KLEITZ (Clémentine), « Au cœur de l’élaboration du régime matrimonial franco-allemand : entretien avec Brigitte Weiss-Gout », Gazette du Palais 2010, n° 63, p. 7 ; SIMLER (Philippe), « Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts », La Semaine juridique, édition notariale 2013, n° 4, 1052, p. 25-33. [↩]
- SIMLER (Philippe), précité ; NAUDIN (Estelle), « Un nouveau modèle de régime matrimonial : le régime franco-allemand de la participation aux acquêts », Revue Lamy Droit civil /1, p. 45-50 ; FARABOLINI (Isabelle), « Droit international privé notarial », La semaine juridique, édition notariale 2013, n° 42, 1242, spéc. n° 2. [↩]
- « Tour de force » salué par la doctrine : LETELLIER (Hugues), « Un nouveau régime matrimonial à la disposition de tous les couples : le régime commun franco-allemand », Gazette du Palais 2010, n° 12, p. 24. [↩]
- Publié par D. n° 2013-488, 10 juin 2013, Journal officiel de la République française, 12 juin 2013, p. 9733. [↩]
- Soit « le premier jour du mois suivant l’échange des instruments de ratification », conformément à l’art. 20, § 2. [↩]
- L. n° 2013-98, 28 janvier 2013, Journal officiel de la République française 29 janvier 2013, p. 1721. Voir notamment SIMLER (Philippe), « L’accord franco-allemand sur le régime matrimonial optionnel de participation aux acquêts est définitivement approuvé », La semaine juridique, édition notariale 2013, n° 6, act. 238. [↩]
- V. FONGARO (Eric), « Vers un droit européen de la famille ? », La semaine juridique, édition notariale 2013, n° 15, 1079 (Travaux du Colloque de l’IRDAP « Vers un droit patrimonial européen de la famille ? », Bordeaux, 25 janvier 2013). [↩]
- V. les auteurs cités supra, note 22 ; TISSERAND-MARTIN (Alice), « Un nouvel instrument optionnel : le régime matrimonial franco-allemand de la participation aux acquêts », in L’avenir européen du droit des successions internationales, précité, p. 85 ; NAUDIN (Estelle), « Les instruments optionnels destinés à régler les difficultés de la famille européenne », Les Petites Affiches, 29 juin 2012, n° 130, p. 47 ; MEIER-BOURDEAU (Alice), « Le nouveau régime matrimonial franco-allemand », La semaine juridique, édition générale 2013, 163. [↩]
- Code civil, art. 1395. [↩]
- Code civil, art. 1397. [↩]
- Or selon Me Edmond JACOBY, notaire à Forbach (ville frontalière voisine de Sarrebruck) qui pratique quotidiennement des opérations binationales entre Allemands et Français, les Allemands apprécient en général le régime légal français de communauté d’acquêts, de même que la dévolution successorale de droit commun française. [↩]
- V. notamment PILLEBOUT (Jean-François), La participation aux acquêts, LexisNexis Litec, 2ème éd. 2005 ; PIEDELIEVRE (Stéphane), Juris-Classeur civil, art. 1569 à 1581. [↩]
- Régi par les articles 1373 et suiv. du BGB. [↩]
- LETELLIER (Hugues), précité. [↩]
- V. FARABOLINI (Isabelle), « Droit international privé notarial », précité. [↩]
- PERROTIN (François), « La famille à l’heure européenne », Les Petites Affiches 2010, n° 76, p. 4. [↩]
- Ou possèdent des biens immobiliers en France ou en Allemagne, pour ces biens. [↩]
- Article 5, §1, rappelant l’article 215 al 3 du Code civil qui exige le consentement des deux époux pour tout acte de disposition portant sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille ainsi que les meubles meublants qui le garnissent. La notion de « biens du ménage » sera beaucoup plus claire pour le juriste allemand. [↩]
- Article 6 §1, rappelant l’article 220 al 1er du Code civil. [↩]
- Article 6 §2, rappelant l’article 220 al 2 du Code civil. [↩]
- Parce qu’il est hors d’état de manifester sa volonté, ou parce que son refus n’est pas justifié par l’intérêt de la famille, ce qui rappelle l’article 217 Code civil. [↩]
- Sous réserve de ce qui sera dit en conclusion sur les autres règles applicables en cas de divorce et en matière successorale. [↩]
- Sauf pour ce qui relève du régime primaire des articles 212 à 226 du Code civil. [↩]
- Ces créanciers ne peuvent même pas demander la liquidation anticipée de la créance de participation de leur débiteur avant la dissolution du régime. [↩]
- Toutefois, il ne s’agit pas d’une obligation légale, mais de l’esprit qui a animé le législateur. Il se peut que le résultat soit différent, notamment en raison de l’évaluation du passif ou lorsque les acquêts d’un époux sont « négatifs », le passif excédant l’actif. [↩]
- On saluera toutefois la vivacité des réflexions menées par les praticiens pour aménager ce régime et l’adapter aux besoins particuliers des époux, signe de son intérêt au moins théorique : DUCHANGE (Nicolas), « La minoration du taux de participation aux acquêts », Répertoire du notariat Defrénois 1993, art. 35.618, p. 1393 ; MARIE (Annabelle), « Réflexions sur l’appauvrissement des époux dans les régimes de communauté légale et de participation aux acquêts », Répertoire du notariat Defrénois 2001, p. 1307 ; LETELLIER (François), « La clause d’exclusion des biens professionnels sous le régime de participation aux acquêts à l’épreuve du divorce. Quelques éléments de réponse à une question angoissante », La semaine juridique, édition notariale 2008, n° 12, 1150 ; DUCHANGE (Nicolas), « Quelques précisions sur l’évaluation des avantages matrimoniaux à propos d’une formule de participation aux acquêts », Répertoire du notariat Defrénois 1993, p. 1089 ; FÉNARDON (Clément), « La participation aux acquêts élargie : vers une participation universelle en nature », La semaine juridique, édition notariale 2009, n° 27, 1226 ; « La participation aux acquêts et la protection des biens professionnels. Des billevesées ? » ibid, n° 30-34, 1245 ; DUCHANGE (Nicolas), « La participation aux acquêts antérieurs », Répertoire du notariat Defrénois 2009, art. 38.939, p. 91. [↩]
- V. un exemple de différend dans la liquidation du régime français de participation aux acquêts adopté par un couple bi-national français-allemand : Cass. 1ère civ., 18 juillet 1995, pourvoi n° 93-15.981, Bulletin des arrêts de la Première chambre civile de la Cour de cassation 1995, n° 325, p. 228 ; Répertoire du notariat Defrénois 1996, p. 411, note CHAMPENOIS (Gérard). [↩]
- En droit allemand l’inéquité peut être invoquée par le débiteur pour refuser de payer la créance de participation : v. Ph. SIMLER, op. cit., n° 21, p. 32. [↩]
- Si bien que le notaire français est dispensé d’appliquer le BGB, et le notaire allemand n’est pas tenu de connaître le Code civil. [↩]
- Sur la liquidation, voir les exemples précis et l’analyse détaillée par le Doyen SIMLER, in « Le nouveau régime… », préc. [↩]
- Pour les causes de dissolution, voir l’art. 7. En outre, le régime conventionnel prévoit aussi, comme le droit français, la faculté pour un époux de demander en justice la liquidation anticipée de cette créance à titre de sanction (article 18), pour passer en séparation de biens. [↩]
- Ou de l’application du régime, en cas de changement de régime matrimonial. [↩]
- Sauf si la donation a été faite aux époux conjointement. [↩]
- Outre les fruits des biens qui le composent. [↩]
- Mais pas les biens qui auraient été dissipés ou cédés dans le but de léser l’autre : ces biens seront seulement fictivement réunis au patrimoine final, dans certains cas. [↩]
- En droit français, sous le régime ordinaire de participation aux acquêts, si le passif originaire excède l’actif originaire, « cet excédent est réuni fictivement au patrimoine final », art. 1571, al 2, du Code civil. [↩]
- Le juge allemand peut indexer la valeur des biens originaires sur l’indice des prix à la consommation : CALLÉ (Pierre), « Publication de l’accord franco-allemand instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts », Répertoire du notariat Defrénois 2013, p. 917-920. [↩]
- Ainsi que les droits réels immobiliers, à l’exception de l’usufruit et du droit d’usage et d’habitation. [↩]
- Ou « si le régime matrimonial est dissous par une autre décision judiciaire », ce qui fait penser à la séparation de corps ainsi qu’à la séparation judiciaire de l’art. 18, mais sans doute pas au changement de régime judiciaire sur requête conjointe (en ce sens, l’article 7). [↩]
- Pour un divorce français, on retiendra en général la date de la demande introductive d’instance postérieure à l’ordonnance de non conciliation (plutôt que la demande initiale) ; pour les détails, voir l’article 262-1 du Code civil. [↩]
- Mais qui est conforme au droit allemand, art. 1375 du BGB. [↩]
- Alors que selon le droit français la prescription extinctive ne court pas entre époux (c. civ., art. 2236). [↩]
- Il faut toutefois reconnaître que cela évite de compliquer la liquidation. [↩]
- Et non pas la date de la liquidation, comme en droit français. [↩]
- Il faudrait imaginer, par exemple, que les époux aient été séparés de fait, et que l’un d’eux soit décédé sans que son conjoint l’apprenne. [↩]
- Mais de la même manière que droit allemand ou le droit français. [↩]
- Ce plafonnement est à rapprocher de la règle française de l’article 1575 al 1er selon lequel « si le patrimoine final d’un époux est inférieur à son patrimoine originaire, le déficit est supporté par cet époux ». [↩]
- Limite relevée de la moitié de la valeur ajoutée fictivement en cas de donation, dissipation ou aliénation frauduleuse (art. 10, §2, sauf s’il s’agit de biens originaires donnés à des parents en ligne directe (art. 10, §2, 1, b). [↩]
- Ainsi, les époux doivent savoir que le choix du régime optionnel franco-allemand interdira au conjoint, si la succession est régie par le droit allemand, de réclamer sa part forfaitaire (en ce sens, Ph. SIMLER, précité, n° 21, p. 32). [↩]
- Sur tous ces points, v. LETELLIER (Hugues), précité. [↩]
- Il est prévu à l’art. 21 que « tout Etat membre de l’Union européenne peut adhérer » à cet accord. Cette ambition affichée est très improbable, surtout auprès des Etats membres ne connaissant pas la participation aux acquêts. [↩]
- Les notaires français s’y préparent : v. les Formules proposées par COLLARD (Fabrice), « Formules contenant adoption du régime optionnel franco-allemand de participation aux acquêts », La semaine juridique, édition notariale 2013, n° 4, 1053, p. 35-38. [↩]
- V. toutefois la conclusion de SIMLER (Philippe), « Le nouveau régime… », préc. [↩]
- Et donc de réduire d’autant son enrichissement, à son détriment mais aussi au détriment de ses héritiers, y compris ses héritiers réservataires. [↩]
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