CE (2/1 SSR) 28 novembre 2001, Élection du maire et des adjoints de C., req. n° 235.438 – Mme Colmou, Rapp. – Mme Prada Bordenave, C. du G.
Conclusions de Emmanuelle Prada-Bordenave, commissaire du gouvernement
Par la présente requête, M. V., qui avait été élu maire de la commune de C., ainsi que plusieurs autres requérants qui avaient été élus adjoints, sont venus vous demander d’annuler le jugement du 31 mai 2001 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé l’élection du maire et des adjoints de cette commune à laquelle il avait été procédé le 17 mars 2001.
Les requérants soutiennent d’abord que le jugement serait irrégulier faute d’avoir visé leur mémoire en défense. Ce moyen sera écarté car la minute du jugement comporte bien le visa et l’analyse du mémoire en défense, l’exemplaire adressé aux parties étant un exemplaire abrégé.
Preuve du dépôt de la protestation
M. V. soutient, en outre, que la protestation était irrecevable parce que tardive. En effet, la protestation avait été adressée simultanément au greffe du tribunal administratif et à la sous-préfecture. Selon une attestation rédigée par l’attachée déléguée de la sous-préfecture, la protestation était parvenue à la sous-préfecture le 22 mars 2001, soit dans le délai de cinq jours imparti par l’article R. 119, en revanche, elle n’est parvenue que tardivement au greffe du tribunal.
M. V. se prévaut des dispositions de l’article R. 413-2 du Code de justice administrative selon lesquelles « dans le cas où en vertu d’une disposition spéciale, le dépôt ou l’envoi a été effectué à un autre bureau que le greffe, les requêtes ainsi que les pièces qui y sont jointes sont transmises à celui-ci, après avoir été marquées par l’autorité administrative responsable de ce bureau d’un timbre indiquant la date de leur arrivée ».
Vous avez jugé que la preuve de la date de dépôt d’un déféré au greffe annexe d’un tribunal ne peut pas résulter d’une attestation du secrétaire greffier adjoint et d’une copie de la transmission du déféré au bureau central du greffe alors que l’article R. 97 du Code de justice administrative alors en vigueur exigeait l’apposition d’un timbre à date à la réception des requêtes par le greffe annexe((CE 19 décembre 1986, Département de l’Aveyron : mentionné aux Tables.)).
Il nous paraît difficile de nous écarter de cette jurisprudence compte tenu de la rédaction très précise de l’article R. 413-2, du fait que le dépôt de la protestation en préfecture ou en sous-préfecture doit apporter les mêmes garanties de rigueur qu’un dépôt au greffe d’un tribunal et de l’importance du respect des délais dans le contentieux électoral.
Nous vous proposerons de considérer que la preuve du dépôt dans le délai imparti par l’article R. 119 n’est pas apportée par la seule attestation d’une attachée déléguée de la sous-préfecture, en l’absence de timbre à date sur la protestation. Vous annulerez le tribunal qui a accueilli la demande et vous rejetterez cette demande comme irrecevable.
Si vous ne nous suiviez pas, il conviendrait d’examiner les moyens de fond.
Cinq conseillers municipaux n’avaient pas été convoqués
Pour annuler l’élection, le tribunal administratif a en effet jugé que l’élection s’était déroulée au terme d’une procédure irrégulière dès lors que cinq conseillers municipaux n’avaient pas été convoqués à la séance.
Il résulte de l’instruction que dès la proclamation des résultats de l’élection municipale, le maire sortant a convoqué verbalement les élus à une séance du conseil municipal qui devait se tenir le samedi 17 mars.
Le lundi 12 mars les convocations écrites ont été adressées et la convocation a été affichée.
Mais, le 14 mars, cinq membres élus d’une liste ont démissionné. En application des dispositions de l’article L. 2121-4 du Code général des collectivités territoriales, leur démission est devenue définitive dès sa réception par le maire, en fait le jour même. À cette date, ils ont été immédiatement remplacés, en application des dispositions de l’article L. 270 du Code électoral, par cinq personnes venant ensuite sur la liste qui, elles, n’ont pas démissionné. Ces cinq personnes n’ont pas été convoquées à la réunion du 17 mars. Ce sont elles qui ont déposé la protestation.
Dans notre affaire, à l’inverse du cas de plusieurs jurisprudences anciennes et des situations contre lesquelles le législateur a entendu se prémunir par les dispositions de l’article L. 2122-9 du Code général des collectivités territoriales, le conseil municipal était au complet à la date de l’envoi des convocations, il l’était à nouveau à la date de la séance mais entretemps sa composition avait changé. La question qui se pose est donc de savoir s’il fallait convoquer les nouveaux membres et comment on pouvait, le cas échéant, combiner une obligation de convocation avec le respect des délais.
Obligation de convoquer tous les membres
Nous pensons que la réponse à cette question a déjà été donnée par votre décision du 25 juillet 1987, Élection du maire de Clichy. En effet, dans une hypothèse semblable à celle de la présente espèce, vous avez jugé « que si une convocation n’a été adressée à M. Gérald que le 3 janvier, soit moins de trois jours francs avant la séance du 6 janvier, cette circonstance n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la séance du conseil municipal, dès lors que M. Gérald n’était devenu conseiller municipal que le 2 janvier par suite de la démission d’un membre du conseil. »
L’article L. 2121-10 du Code général des collectivités territoriales prévoit que :
« Pour toute élection du maire et des adjoints, les membres du conseil municipal sont convoqués dans les formes et délais prévus aux articles L. 2121-10 à L. 2121-12. la convocation contient mention spéciale de l’élection à laquelle il doit être procédé. »
Vous avez fait prévaloir l’obligation que tous les membres du conseil municipal soient convoqués pour procéder à l’élection du maire, sur les règles de forme et de délai mentionnées à la fin de l’article.
Vous vous êtes éloignés de l’esprit de la jurisprudence traditionnelle qui, rendue sous l’empire de textes qui ne prévoyaient pas le remplacement immédiat de l’élu démissionnaire, avait toujours affirmé que l’élection pouvait avoir lieu alors même que le conseil municipal n’était plus au complet du fait de démissions intervenues alors que les convocations pour l’élection du maire avaient déjà été envoyées((CE 30 juin 1905 : Rec., p. 584.)). L’idée générale de cette jurisprudence étant d’éviter que des démissions intempestives ne viennent faire obstacle à l’élection du maire.
Cela dit, compte tenu du remplacement immédiat par le suivant de liste, le problème posé était différent : il ne s’agissait plus de savoir si le conseil municipal pouvait valablement siéger alors qu’il était incomplet, mais d’un simple problème matériel d’envoi de convocation.
Le maire nécessairement avisé de la démission d’un conseiller municipal sait qu’en application du Code électoral l’élu démissionnaire est immédiatement remplacé, et il connaît l’identité du remplaçant. Il lui appartient de lui adresser une convocation pour l’élection du nouveau maire et les règles de délai ne jouent plus puisqu’il s’agit, non de la convocation du conseil municipal dans son ensemble, mais seulement d’une personne qui se trouve dans une situation particulière.
Dans le cas de l’espèce vous ne pourriez que confirmer l’analyse faite par le tribunal et rejeter la requête.
Toutefois, pour les raisons que nous indiquions, nous pensons que la preuve de la date du dépôt de la protestation à la sous-préfecture n’est pas valablement rapportée par une simple attestation d’un attaché délégué en l’absence de timbre à date sur ce document et nous vous proposons d’annuler le jugement et de rejeter la protestation pour ce motif.
Par ces motifs nous concluons à l’annulation du jugement attaqué et au rejet de la protestation.
Décision
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juillet 2001 et 9 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour M. V. demeurant C . et autres demandent au Conseil d’État :
1°) d’annuler le jugement du 31 mai 2001 par lequel le tribunal administratif de Lille a annulé les opérations électorales qui ont eu lieu le 17 mars 2001 en vue de la désignation du maire et des maires-adjoints de la communC. Courcelleslès-Lens (Pas-de-Calais) ;
2°) de rejeter la protestation formée par MM. M. et K. contre cette élection et d’en valider les résultats ;
3°) de condamner MM. M. et K. à leur verser la somme de 18 000 F sur le fondement de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ; […]
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que la minute du jugement attaqué comporte le visa du mémoire en défense produit devant le tribunal administratif par M.V. et autres ; que le moyen tiré de l’absence de visa manque donc en fait ;
Sur la recevabilité de la protestation, présentée devant le tribunal administratif de Lille :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 119 du Code électoral : « Les réclamations contres les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine de nullité, dans les cinq jours qui suivent le jour de l’élection, au secrétariat de la mairie, ou à la sous-préfecture ou à la préfecture […] / Elles peuvent également être déposées au bureau central du greffe du tribunal administratif. » ; qu’aux termes de l’article R. 413-2 du Code de justice administrative : « Dans le cas où, en vertu d’une disposition spéciale, le dépôt ou l’envoi a été effectué à un bureau autre que le greffe, les requêtes ainsi que les pièces qui y sont jointes sont transmises à celui-ci, après avoir été marquées, par l’autorité administrative responsable de ce bureau, d’un timbre indiquant la date de leur arrivée. » ;
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que la protestation formée contre l’élection du maire et des adjoints de la commune de Courcelles-lès-Lens (Pas-de-Calais), qui se sont déroulées le 17 mars 2001, a été déposée le 22 mars 2001 à la sous-préfecture de Lens ; que, même si aucun timbre n’a été apposé sur la protestation, la preuve de son dépôt doit, en l’espèce, être regardée comme apportée par l’attestation signée par une attachée déléguée de la sous-préfecture ; qu’ainsi, le moyen tiré du défaut de preuve du dépôt de la requête dans les délais impartis par l’article R. 119 du Code électoral précité doit être écarté ;
Considérant, en second lieu, que cette protestation tendait à l’annulation de l’élection du maire et des adjoints de la commune de Courcelles-lèsLens et était fondée sur le grief tiré de ce que cinq conseillers municipaux n’avaient pas été convoqués pour cette élection ; que, par suite, les moyens tirés du défaut de conclusions et de l’absence de griefs manquent en fait ;
Considérant que M. V. et autres ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que la protestation présentée devant le tribunal administratif de Lille n’était pas recevable ;
Sur la régularité de l’élection attaquée :
Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 270 du Code électoral : « Le candidat venant sur une liste immédiatement après le dernier élu est appelé à remplacer le conseiller municipal élu sur cette liste dont le siège devient vacant pour quelque cause que ce soit. » ; que l’article L. 2121-4 du Code général des collectivités territoriales dispose que « Les démissions des membres du conseil municipal sont adressées au maire. / La démission est définitive dès sa réception par le maire, qui en informe immédiatement le représentant de l’État dans le département. » ; que selon le deuxième alinéa de l’article L. 2 122-8 du même code : « Pour toute élection du maire ou des adjoints, les membres du conseil municipal sont convoqués dans les formes et délais prévus aux articles L. 2121-10 à L. 2121-12. La convocation contient mention spéciale de l’élection à laquelle il doit être procédé. » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en cas d’urgence, le délai de convocation peut être abrégé par le maire jusqu’à un jour franc ;
Considérant que, par des lettres du 14 mars 2001, cinq membres de la liste « Courcelles l’avenir », proclamés élus conseillers municipaux de Courcelles-lès-Lens à l’issue du scrutin du 11 mars 2001, ont démissionné de leur mandat ; que ces lettres ont été reçues le lendemain par le maire demeuré en fonction après le renouvellement général jusqu’à l’installation du nouveau conseil municipal ; qu’à compter du 15 mars 2001, ces démissions sont devenues définitives et que les cinq candidats suivants sur la liste ont remplacé les élus démissionnaires ; que, si les convocations pour la séance du conseil municipal du 17 mars 2001, au cours de laquelle devaient être élus le maire et les adjoints, avaient été adressées dès le 11 mars 2001 aux membres qui composaient alors le conseil municipal, le maire disposait, en l’espèce, d’un délai de plus d’un jour franc avant la séance du 17 mars, pour convoquer les cinq nouveaux conseillers municipaux de la commune ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le défaut de convocation des nouveaux élus de la liste « Courcelles l’avenir » à la séance du conseil municipal du 17 mars 2001, entache d’irrégularité les délibérations adoptées au cours de cette séance et notamment l’élection du maire et des adjoints ; que les circonstances que le quorum était atteint lors de la séance du 17 mars, que les conseillers remplaçant les élus démissionnaires auraient pu venir spontanément siéger à cette réunion et que l’élection du maire au premier tour a été acquise sans difficulté ne peuvent être utilement invoquées ; que, par suite, M. V. et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé les opérations électorales qui ont eu lieu le 17 mars 2001 dans la commune de C. en vue de la désignation du maire et des adjoints ;
[…]
DÉCIDE :
Article 1 : La requête de M. V. et autres est rejetée.
[…]
Observations
1. Des conseillers municipaux avaient démissionné juste après avoir été élus et après que les autres conseillers aient été convoqués pour l’élection du maire. Le Conseil d’État considère que leurs remplaçants, suivants de liste, devaient être convoqués pour que cette élection soit régulière. L’arrêt relève que le maire disposait encore du délai d’un jour franc prévu par les articles L. 2121-11 et L. 2121-12, respectivement pour les communes de moins et de plus de 3 500 habitants, mais il nous semble ressortir des conclusions de Mme le commissaire du gouvernement qu’il en serait allé de même dans le cas inverse.
2. Par ailleurs, l’arrêt admet que la preuve du dépôt du recours dans le délai de cinq jours peut résulter d’une attestation d’un agent de la sous-préfecture, ce qui est à la fois bienveillant et contraire à un précédent il est vrai rendu à propos d’un déféré préfectoral((CE 19 décembre 1986, Département de l’Aveyron : Rec., T., p. 658.)).
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