Section III
Principes généraux du droit administratif
§ 17 Suite. — La responsabilité civile des fonctionnaires
(293) L’activité administrative tout entière est dominée par la possibilité de rendre le fonctionnaire civilement responsable du dommage causé par sa faute. Les tribunaux civils appelés à statuer sur les contestations qui en résultent assurent une protection du droit en matière administrative ; c’est une protection indirecte, mais très efficace et qui, par son importance générale, forme le couronnement logique du système.
I. L’obligation qui incombe au fonctionnaire de réparer le dommage qu’il a causé dans l’exercice de ses fonctions est, sans doute, de nature civile. Elle est soumise aux règles que le droit civil a établies pour les obligations résultant de faits illicites, des délits privés pour employer la terminologie de l’ancien droit.
Avant le 1er janvier 1900, ces questions — si importantes pour l’administration — recevaient une solution très différente à raison de la variété des législations civiles qui régissaient les Etats confédérés. Aujourd’hui, toute la matière est réglée d’une manière uniforme par le Code civil allemand, §§ 823 ss.
De tout temps, la responsabilité du fonctionnaire a été régie par des principes spéciaux qui la faisaient différer de la responsabilité du simple particulier. Ce droit spécial ne s’applique, bien entendu, qu’aux faits relatifs à sa qualité de fonctionnaire, aux faits accomplis (294) par lui dans l’exercice de ses fonctions. Hors de là, le fonctionnaire est un simple particulier, tant au point de vue de sa responsabilité qu’à tout autre point de vue.
Il y a donc dans la fonction publique même quelque chose qui s’oppose à l’application pure et simple du droit commun et qui exige certaines adaptations. Ces nécessités, résultant de la nature de la fonction publique, avaient déjà, dans l’ancien droit, trouvé leur expression adéquate dans certaines règles qui aboutissaient à la fois à une extension et une restriction de la responsabilité. Malgré leur diversité, les législations anciennes sur ce point étaient, pour l’essentiel, d’accord. Et le nouveau Code civil ne s’en est pas écarté : dans le § 839, qui règle surtout la matière, il n’a pas créé un droit nouveau ; il a fixé et formulé des idées communes qu’il avait recueillies dans la succession des anciens droits1. Dès lors, il sera permis de se servir, pour interpréter le Code civil, de l’ancienne doctrine et de l’ancienne jurisprudence.
Le principe capital qui apparaît dans cette législation est celui-ci : les devoirs du fonctionnaire envers l’Etat sont censés avoir un effet juridique direct sur les rapports du fonctionnaire avec les tiers. On s’apercevra facilement du caractère exceptionnel de cette idée, en établissant une comparaison avec la situation juridique de l’employé ordinaire. Lorsque cet employé cause un dommage à un tiers, la responsabilité de l’employé peut être couverte par un droit du patron vis-à-vis de ce tiers, droit dans l’exercice duquel l’employé a agi. Mais le rapport personnel de l’employé avec le patron est, pour le tiers, une chose complètement indifférente. Qu’il ait désobéi à l’ordre du patron en refusant (295) un service, qu’il ait excédé les limites du droit du patron sur son ordre exprès, cela ne regarde que le rapport intérieur ; cela reste tout à fait en dehors de la question de la responsabilité de l’employé vis-à-vis du tiers.
Les services publics, au contraire, concernent tout le monde ; le devoir du fonctionnaire qui y est employé, — que ce devoir soit bien ou mal rempli —, est pris, dans une certaine mesure, en considération en faveur et à l’encontre du tiers, lorsqu’il s’agit de rechercher si un fait ou une omission dommageable a été illicite2.
De là les deux règles suivantes :
1) Le fonctionnaire est responsable quand il a négligé de faire ce qu’il était de son devoir de faire vis-à-vis d’un tiers. Il faut donc que son devoir lui commande de faire quelque chose en vue de ce tiers et à son profit. Il ne suffit pas que le fonctionnaire ait manqué à un devoir quelconque et qu’il en résulte un dommage pour le tiers ; il faut que ce devoir ait ce caractère spécial de viser des tiers.
En premier lieu, on songera aux nombreux services publics destinés à offrir au public certains avantages : la juridiction gracieuse qui surveille la tutelle des mineurs et veille aux inscriptions sur le livre foncier des transmissions d’immeubles3, les offices administratifs (296) institués pour délivrer des certificats4, vérifier les poids et mesures, donner des renseignements, les services des communications, postes, télégraphes5, les caisses de dépôts, les hôpitaux, les écoles, etc.6. Les fonctionnaires que l’Etat emploie dans ces services sont dirigés par lui, en partie, par des lois et par des ordonnances ; mais, pour la plus grande partie, leurs devoirs sont déterminés par de simples prescriptions administratives, instructions, (297) circulaires, statuts, qui, en principe, n’ont aucun effet juridique sur les sujets autres que ceux compris dans le rapport de sujétion particulière (Comp. § 9, I, no 2 ci-dessus). Cependant, ici le fonctionnaire devient responsable vis-à-vis du tiers, lorsque, par sa faute, ce devoir n’a pas été rempli correctement7.
Il y a une autre série de devoirs, peut-être plus importants, qui peuvent être invoqués ici. Lorsqu’il s’agit d’exercer la puissance publique sur le sujet et contre lui, de le frapper de condamnations, de lui imposer des charges, de le contraindre par la force, l’Etat, en autorisant ses fonctionnaires à agir ainsi, prend soin de leur fixer des limites, des formes et des conditions, soit par des lois, soit par des prescriptions administratives. Il est du devoir des fonctionnaires vis-à-vis de l’Etat de s’y conformer. Mais tout cela encore touche l’intérêt de la personne contre laquelle l’acte du fonctionnaire va être dirigé. Le fonctionnaire devient responsable vis-à-vis du tiers à l’égard duquel il a manqué à ce devoir8.
2) D’un autre côté, le fonctionnaire n’est responsable que dans le cas où, par sa faute, il aura manqué en même temps à ses devoirs vis-à-vis de l’Etat. Le Code civil, dans son § 839, a créé un droit spécial pour les fonctionnaires : ceux-ci ne sont pas, comme les particuliers, responsables lorsqu’ils ont lésé un droit ou (298) agi contrairement à une loi tendant à la protection des individus ; il faut qu’ils aient « violé leurs devoirs ». Ceci entraîne, nous venons de le voir, une aggravation relative de leur responsabilité ; mais cela peut également servir à leur fournir des moyens de défense particuliers. Il se peut, en effet, que le fait illicite en soi — et que le fonctionnaire aurait peut-être dû savoir être tel —, ne constitue cependant pas une violation de ses devoirs9 ; il y a, dans la fonction publique, certaines nécessités juridiques qui le couvrent.
Il y a d’abord l’ordre du supérieur. On reconnaît que le fonctionnaire n’a qu’un pouvoir limité d’examiner la légalité de l’ordre qu’il reçoit ; en dehors de ces limites, il est de son devoir d’obéir, alors même qu’il est convaincu que son acte sera contraire à la loi et lèsera les droits d’un tiers. Il ne peut donc pas être responsable de dommages-intérêts. Cela se comprend. Aussi la loi a rédigé son § 839 de manière à le mettre à l’abri : « le fonctionnaire n’a pas violé son devoir »10.
La question de l’erreur, à raison de laquelle le fonctionnaire aurait occasionné un dommage, offre une particularité analogue. En général, l’erreur n’exclut la responsabilité qu’autant qu’elle est excusable, c’est-à-dire qu’autant qu’elle n’est pas elle-même le produit d’une négligence : il faut qu’elle n’ait pas pu être (299) évitée par la diligence qu’on se doit réciproquement dans la société civile11. Ceci ne peut pas s’appliquer au fonctionnaire. Pour lui, la question doit être celle de savoir si, agissant par erreur, il a manqué à son devoir12. Cela conduit à des résultats bien différents. Tandis qu’au particulier, en effet, on peut dire : « Si tu n’es pas sûr de ton affaire, réfléchis encore ou abstiens-toi », le fonctionnaire, lui, ne peut pas s’abstenir ; son devoir même le pousse en avant, très rapidement d’ordinaire ; il faut qu’il agisse au risque de se tromper. Cette nécessité ne peut entraîner des charges pour lui ; il est mis, par son devoir, à l’abri des conséquences de toute erreur qu’il aura commise de bonne foi13.
(300) Pour se rendre compte de l’économie de ce système de droit spécial, il faut se demander ce que la loi entend par « fonctionnaires ». Elle ne définit pas cette expression, Il convient, par une interprétation saine, de rechercher ce qui répond le mieux aux intentions de la loi. Nous ne pouvons pas nous laisser renvoyer simplement à la définition du § 359 du Code pénal, qui se place à d’autres points de vue. La doctrine appelle « fonctionnaires » les personnes qui sont entrées d’une manière permanente au service de l’Etat pour exercer une fonction publique. Mais cela encore ne peut pas nous suffire. Les échevins, les jurés, d’après cela, ne sont pas des fonctionnaires ; leur responsabilité dépendrait donc du droit commun. Supposons que le tribunal d’échevins rende un jugement inique : le juge-président est protégé par les alinéas 2 et 3 du § 839 du Code civil, les deux échevins, au contraire, tombant simplement sous l’application du § 823, paieraient forcément le dommage qu’ils ont causé par leur inadvertance. Les soldats aussi, qui accomplissent leur service obligatoire, ne sont pas des fonctionnaires. Leur subordination est tellement forte qu’ils sont même exempts de pénalité, quand, obéissant à un ordre de leur supérieur, ils ont commis un délit. Si, au lieu du § 839, on leur applique le § 823, ils paieront cependant des dommages-intérêts, ce que la loi n’a assurément pas pu vouloir. Il semble (301) donc que l’on doive comprendre ici sous le nom de fonctionnaire tout individu qui est au service de l’Etat à un titre quelconque de droit public, sans restriction. Il faut cependant distinguer à un autre point de vue. Lorsque l’Etat gère une industrie, exploite un bien rural et met à la tête de cette exploitation un véritable conseiller du gouvernement, un fonctionnaire dans le sens technique du mot, ce fonctionnaire sera-t-il personnellement responsable envers le tiers auquel, manquant à son devoir envers l’Etat, il n’aurait pas fait les livraisons promises ? C’est encore impossible. Le § 839 ne vise que les serviteurs de l’Etat employés dans des services publics ; il ne peut pas être question ici d’entreprises d’économie privée14. D’un autre côté, le salarié qui, en vertu d’un contrat de louage d’ouvrage, est employé dans le service des postes, d’un hôpital, de la juridiction gracieuse, peut-il être traité autrement, au point de vue de la responsabilité, que ses collègues, qui font la même besogne, mais qui ont un titre de droit public ? Le tiers ne peut pas faire de distinction et l’intérêt du service public s’y oppose. Il est évidemment de son intérêt que le devoir, l’obligation envers le service même régisse tout, même la responsabilité vis-à-vis des tiers.
Dès lors, il faut dire que le mot « fonctionnaire », dans le sens du § 835 du Code civil, s’entend de tout individu qui est au service de l’Etat (ou d’un corps d’administration propre) pour l’accomplissement d’un intérêt public.
II. — La poursuite judiciaire contre le fonctionnaire en vue d’obtenir des dommages-intérêts est soumise à des restrictions spéciales.
1) Il faut partir, chez nous, du principe incontestable (302) que le tribunal ne sort pas du cercle de ses attributions lorsque, pour statuer sur cette demande en dommages-intérêts, il apprécie la question préjudicielle de savoir si le fonctionnaire a manqué à son devoir15. Ce n’est qu’en vue de procurer au fonctionnaire une certaine protection — réputée nécessaire dans l’intérêt de la bonne marche de l’administration — qu’on a créé des entraves pour la justice. Et c’est le droit français, on ne saurait le méconnaître, qui en a fourni les modèles.
Or, en droit français, il y a deux choses bien distinctes : d’un côté, nous voyons une simple conséquence des règles générales sur les limites des attributions judiciaires, limites d’après lesquelles, à la différence du droit allemand, les tribunaux sont incompétents pour interpréter un acte administratif ou en apprécier la validité (Comp. § 16 note 11 ci-dessus) ; d’un autre côté, nous trouvons ce qu’on appelle la garantie constitutionnelle, c’est-à-dire l’interdiction adressée par la constitution du 22 frim. VIII, art. 75, de diriger des poursuites judiciaires contre un agent du gouvernement sans l’autorisation préalable du Conseil d’Etat : sans cette autorisation, toute la procédure judiciaire est inadmissible ; lorsqu’elle est obtenue, le tribunal devient compétent pour statuer même sur la question préjudicielle du droit public16.
Pour réaliser l’intention de procurer au fonctionnaire une certaine protection, il suffisait de l’un ou de l’autre de ces deux procédés. Avant la législation judiciaire de l’Empire, les deux formes se trouvaient (303) appliquées dans nos Etats, séparément ou cumulativement17. Les législations bavaroise et prussienne nous serviront d’exemples.
En Bavière, il existait, pour le Palatinat — cela remontait à l’époque française — la garantie constitutionnelle, le système de l’autorisation de poursuite ; dans les autres provinces, le principe s’était établi que les tribunaux sont incompétents pour statuer, l’occasion d’une demande en dommages-intérêts dirigée contre un fonctionnaire, sur la question préjudicielle de la validité d’un acte administratif ; ainsi les règles du droit français concernant les limites de la compétence avaient été adoptées18.
En Prusse, la loi du 11 mai 1842 § 6 avait admis la voie judiciaire pour le cas où « une disposition de police avait été annulée, par la voie du recours, comme illégale ou inopportune ». Il y a là cette idée du droit français que le tribunal est incompétent pour apprécier la validité de l’acte administratif, même pour résoudre une question préjudicielle. Mais, tandis que le droit français permet de scinder l’affaire et n’ordonne que de surseoir jusqu’à ce que la question préjudicielle soit vidée par l’administration, le droit prussien tirait de cette idée une conséquence plus rigoureuse : le tribunal était incompétent pour statuer sur la question préjudicielle, il est incompétent pour la demande entière ; il ne devient compétent qu’autant que l’administration elle-même supprime la barrière et abandonne l’acte19. Ainsi construite, (304) l’institution du droit prussien se rapproche quelque peu de la garantie constitutionnelle ; elle en diffère en ce qu’elle entraîne une incompétence du tribunal au lieu d’une irrecevabilité de la demande, et en ce que l’autorité administrative, pour rendre le tribunal compétent, prend une décision selon les principes du droit, au lieu d’accorder une permission discrétionnaire. La loi du 13 février 1854 réalise, sur ce dernier point, la conformité avec le droit français : la poursuite dirigée contre un fonctionnaire civil ou militaire à raison des actes de sa fonction, peut être arrêtée par l’autorité supérieure par l’élévation du conflit. La Cour des conflits d’attributions sera appelée à décider « s’il y a, à la charge du fonctionnaire un excès de pouvoirs propre à devenir l’objet d’une poursuite judiciaire » ; selon son appréciation, elle admettra la voie judiciaire ou l’interdira20.
2) La législation judiciaire de l’Empire intervient dans cet état de choses par les dispositions — adoptées après une vive lutte — du § 11 de la loi d’introduction au Code civil : la législation des Etats confédérés peut faire dépendre la recevabilité de la poursuite judiciaire dirigée contre un fonctionnaire d’une décision préalable réglée par la législation de l’Empire ; mais elle ne peut pas (305) établir d’autres restrictions. Cette décision préalable tient la place de l’autorisation de poursuivre du droit français dans le système de la garantie constitutionnelle ; toute autre forme de restriction qui correspondrait à l’autorisation préalable, est exclue par le § 11 susmentionné.
Ne sont pas touchées, au contraire, par le § 11 les prescriptions du droit particulier qui, dans le sens de l’autre principe du droit français, déclarent le tribunal incompétent pour connaître de la question de validité d’un acte administratif, et nécessitent ainsi un sursis à la procédure. En revanche, ces prescriptions sont en contradiction avec le § 148 Code procédure civile qui laisse le tribunal libre de surseoir ou non ; par conséquent elles sont abrogées par ce dernier paragraphe21.
De même, reste intact le § 6 de la loi prussienne de 1842, qui contient, lui aussi, un règlement de compétence. Il ne tombe pas sous le coup du § 148 du (306) Code de procédure civile, parce qu’il n’ordonne pas un sursis de la procédure ; il enlève l’affaire entière à la compétence judiciaire. Mais cette affaire a la nature d’une contestation de droit civil ; elle doit donc appartenir, d’après le § 13 de la loi d’organisation judiciaire de l’Empire, à la compétence civile. On a cru pouvoir sauver le § 6 de la loi de 1842 par la faculté qui, dans ce même § 13 de la loi d’organisation judiciaire, est reconnue à la législation particulière d’enlever aux tribunaux même des contestations de droit civil. Mais le § 13 n’accorde cette faculté qu’à la condition de reconnaître, en même temps, pour cette affaire, la compétence d’une autorité administrative ou d’un tribunal administratif. C’est ce que le § 6 de la loi de 1842 ne fait pas ; il ne dit pas que l’autorité administrative est compétente pour juger la demande en dommages-intérêts ; il est, au contraire, acquis que l’autorité administrative n’est jamais compétente pour statuer sur cette contestation de droit civil. Le § 6 dit seulement que, si l’acte n’a pas été annulé au préalable, les tribunaux ne sont pas compétents ; il ne crée, pour ce cas, aucune autre compétence. Or, c’est ce que le § 13 ne permet pas ; d’après la règle, l’Etat est obligé de fournir, pour des contestations de droit civil, une compétence quelconque. Une simple négation, telle que celle du § 6, est inadmissible22.
On pourrait songer à attribuer à l’autorité administrative, à la place du tribunal, pleine compétence (307) pour statuer sur la demande en indemnité. Le § 148 du Code de procédure civile ne s’y opposerait pas et le § 13 de la loi d’organisation judiciaire le permettrait. Dans ce cas, le § 11 de la loi d’introduction au Code civil cesserait également d’être applicable, parce qu’il ne se rapporte qu’à des affaires qui doivent se terminer par la voie judiciaire ordinaire ; la législation particulière aurait toute liberté pour faire dépendre la poursuite dirigée contre un fonctionnaire de la permission d’un maire quelconque. C’est justement parce qu’il en est ainsi qu’il faut dire que la volonté du § 11, est que ces contestations de droit civil ne puissent être enlevées aux tribunaux en vertu du § 13 de la loi d’organisation judiciaire23. Dès lors, tout ce que la législation particulière, au point de vue de la procédure, peut faire pour la protection spéciale des fonctionnaires, se restreint à la décision préalable dans le sens du droit de l’Empire.
3) L’institution telle qu’elle est tracée par le § 11 de la loi d’introduction à la loi d’organisation judiciaire de l’Empire, dans ses parties essentielles, se présente comme suit :
Elle trouve sa sphère d’application dans la poursuite judiciaire dirigée contre des fonctionnaires publics. La législation particulière peut la restreindre à certaines catégories de fonctionnaires. Si elle se sert, comme le § 11, simplement de l’expression « fonctionnaires publics », il n’y aura pas lieu de suivre l’interprétation extensive que nous avons trouvée (308) nécessaire pour l’application du § 839 du Code civil. Cette protection spéciale au moyen d’entraves apportées à la voie judiciaire ne s’est appliquée de tout temps qu’aux fonctionnaires les plus exposés et en même temps assez importants pour qu’on leur donnât ce privilège24.
Ainsi, il faut nous attacher au sens strict du mot qui ne comprend alors que les personnes au service de l’Etat en vertu d’un titre de droit public et d’une manière permanente. Il faut exclure les serviteurs à titre de droit privé, et aussi les jurés, les échevins, les simples soldats. Par contre, nous ajouterons le fonctionnaire préposé à une entreprise d’économie privée : c’est la qualité de la personne qui prévaut ici25.
Mais, dans tous les cas, le fonctionnaire ne doit pas avoir agi comme personne privée, il doit avoir agi comme représentant de l’Etat : « dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa fonction »26.
Quant à la procédure, la loi de l’Empire laisse le choix entre deux modalités. La décision préalable peut être établie comme condition absolue : dans ce cas, la demande est irrecevable dès le début ; elle ne peut devenir recevable que par une décision préalable affirmative ; c’est aux parties intéressées à s’adresser à l’autorité compétente pour provoquer celle ci. Il se peut aussi que la décision préalable ne soit nécessaire (309) que dans le cas où l’autorité supérieure du fonctionnaire l’exige : alors, la déclaration de cette autorité interrompt, à la manière du conflit d’attribution, le procès intenté ; suivant l’issue de l’incident, la poursuite pourra être continuée ou bien la demande deviendra irrecevable.
La décision préalable est, d’après § 11, chiffre 2, toujours rendue par un tribunal ; ce sera soit la Cour administrative suprême du pays, soit le Tribunal de l’Empire. Ce tribunal observera plus ou moins ses formes ordinaires de procédure. On entendra surtout les intéressés. Mais, comme dans la procédure sur conflit d’attributions, ce n’est pas un procès véritable ; les intéressés n’ont pas le caractère de parties ; la décision n’est pas un jugement ; il n’y a pas de force de chose jugée27.
L’objet de la décision est de constater si le fonctionnaire a manqué à son devoir, soit qu’il ait « excédé ses pouvoirs », soit qu’il ait « négligé de remplir un acte de ses fonctions ». C’est de cette question du devoir envers l’Etat que dépend aussi, nous le savons, la responsabilité vis-à-vis des tiers. Le tribunal examinera cette question d’après les principes que nous venons d’établir (I, no 1 et 2 ci-dessus). Il examinera aussi si la violation du devoir peut entraîner une responsabilité vis-à-vis du demandeur ; l’Etat lui-même peut être le demandeur ; naturellement, l’Etat peut invoquer tous les devoirs ; le tiers, au contraire, ne peut se prévaloir que des devoirs qui doivent être remplis vis-à-vis de lui (I, no 6 ci-dessus)28.
(310) Le tribunal peut donc arriver à un résultat négatif de deux manières : ou bien il déclare que le défendeur n’a pas manqué à son devoir ; ou bien il déclare que, même s’il a manqué à son devoir, cela ne regarde pas le demandeur. Dans l’un et dans l’autre cas, la demande est irrecevable.
Pour rendre la demande recevable, le tribunal doit constater que le fonctionnaire a agi contre son devoir.
Il faut aussi prévoir le cas où la décision préalable a été demandée à tort, parce qu’on n’est pas dans les conditions où elle est nécessaire. Le tribunal le constatera afin de rendre la justice libre. L’effet sera le même que si le tribunal avait déclaré le fonctionnaire coupable29.
C’est qu’en effet, le résultat de la décision préalable n’est jamais autre chose que l’autorisation de poursuivre ou le refus de cette autorisation. La loi a soumis l’action du tribunal ordinaire à la condition d’avoir cette autorisation ; mais si celui qui doit la donner déclare qu’elle n’est pas nécessaire, cela vaut autorisation. Ainsi, par le caractère juridique de son effet, la décision préalable ressemble à l’autorisation du Conseil d’Etat prévue dans le système de l’ancienne (311) garantie constitutionnelle du droit français. Elle n’en diffère que par les motifs où doit être trouvé ce résultat : l’autorisation du Conseil d’Etat était donnée ou refusée comme bon lui semblait, les intérêts politiques y jouaient le principal rôle ; notre décision préalable, au contraire, est une véritable décision dans le sens technique, un acte de juridiction qui n’a qu’à dire ce qui est de droit, sans qu’il y ait libre appréciation30. La décision n’a cependant pas la nature d’un jugement ; elle ne décide rien sur l’affaire en question, elle ne préjuge même rien sur le procès en cours. Elle donne ou refuse à la demande le caractère de recevabilité, elle ressemble en cela au soi disant jugement sur conflit ; ces deux actes ressemblent plutôt à des actes juridiques du droit matériel : le juge qui statue seul est lié par la marque juridique que ces actes auront donnée à l’affaire31.
III. — C’est par application des principes du droit civil adoptés à cet effet que le fonctionnaire est responsable du dommage qu’il a causé par sa faute. Le droit civil contient également des règles de droit qui soumettent à la même responsabilité le commettant du coupable. Le commettant du fonctionnaire, c’est (312) l’Etat, ou — ce qui doit toujours être sous-entendu — une autre personne morale de droit public. La question se pose donc de savoir : comment ce commettant peut-il devenir responsable par application des règles du droit civil ?
La réponse est donnée par le principe établi au § 11, II ci-dessus. L’Etat est soumis, dans ses rapports avec les individus, aux règles du droit civil, en tant qu’il se place vis-à-vis d’eux sur le terrain de l’économie privée en poursuivant ses intérêts comme un particulier. Il importe donc que l’illégalité qui a causé le dommage résulte d’un rapport de ce genre et dans lequel l’Etat se trouve impliqué. Que, pour la personne du fonctionnaire, le fait illicite qu’il a commis constitue toujours un rapport de droit civil, cela ne regarde pas l’Etat. Car le délit n’était pas l’action de l’Etat ; 1’Etat ne peut pas s’être soumis au droit civil par le délit même. Il faut que le rapport qui soumet l’Etat à l’application du droit civil ait déjà existé, pour que les suites du délit qui résultent de ce rapport puissent l’atteindre selon les règles du droit civil32. Par conséquent, la responsabilité de l’Etat trouve sa sphère naturelle surtout dans les administrations fiscales (Comp. § 11, III, no I ci-dessus). D’ailleurs, même dans l’administration publique, certains rapports d’un caractère d’économie privée peuvent intervenir qui se détachent nettement de la nature générale de celle-ci : entretien des édifices publics, acquisition et administration de provisions et matériaux, acquisition de montures par l’administration militaire, etc. …33.
(313) En dehors de ces cas qui, en principe, ont un caractère exceptionnel, le droit civil ne sera pas applicable à l’Etat ; par conséquent, l’Etat n’encourra pas de responsabilité civile.
Mais alors même que le droit civil serait reconnu applicable, cela ne veut pas dire encore que la responsabilité de l’Etat existe. Cela dépendra maintenant des règles du droit civil à appliquer. Il faut dire que les règles de notre droit civil commun sont peu favorables au demandeur qui voudrait s’en prendre à l’Etat.
Tout d’abord, le § 831 du Code civil, tout en déclarant le commettant responsable des fautes commises par son préposé, lui permet cependant de se décharger en prouvant qu’il n’a rien négligé dans le choix et l’instruction de son préposé. Cela revient donc toujours à une question de faute de sa part. Or l’Etat n’étant pas, en sa qualité de personne morale, susceptible de faute serait indemne si la loi ne lui donnait pas, comme toutes les personnes morales, des « représentants dans la faute ». Voici comment la loi procède. Le § 31 du Code civil déclare la corporation directement responsable des fautes commises par « sa direction ou par un membre de la direction ou par une autre personne appelée par le statut à la représenter ». Le § 89 du Code civil déclare ensuite cette disposition applicable aux personnes morales du droit public. Mais cette assimilation est très malheureuse. L’Etat ne serait directement responsable que des personnes qui le représentent d’après « son statut », c’est-à-dire d’après sa Constitution : à savoir le roi, seul ou avec la représentation nationale, et peut-être bien aussi le (314) ministre. Si, en vertu de cette législation, l’Etat n’est responsable que dans les cas où ces personnes ont causé, par leur faute un dommage illicite ou commis quelque négligence en nommant ou instruisant le vrai coupable, l’Etat peut dormir tranquille34.
Dans plusieurs Etats, on a cru devoir combler ici une lacune ; on a profité des lois d’exécution pour la mise en vigueur du Code civil, pour établir une responsabilité plus sérieuse de l’Etat. L’Etat est déclaré débiteur direct de l’indemnité dans le cas où un fonctionnaire « aura, au sens du § 839 du Code civil, manqué à son devoir dans l’exercice de la puissance publique qui lui a été confiée »35.
C’est une obligation de droit civil que de cette manière on a imposée à l’Etat. Elle sort franchement du système du Code civil puisqu’elle n’exige ni la faute du débiteur, ni la faute de son représentant constitutionnel36. Elle n’existe pas dans le cas où l’Etat, pour un rapport d’économie privée, est soumis aux règles du droit civil ordinaire ; il faut qu’il s’agisse de la sphère du droit public, parce que « l’exercice de la puissance publique » doit être en cause. Chose singulière, la responsabilité civile de l’Etat est ici plus sûrement établie et d’une manière plus intense que si l’Etat s’était placé directement sur le terrain du droit civil comme simple particulier. D’ailleurs, il n’est pas (315) facile de découvrir ce qu’on a voulu dire par « exercice de la puissance publique ». Ce n’est pas l’administration publique entière, ce n’est pas toute l’activité administrative qui se manifeste sous le régime du droit public ; on a évidemment songé à un cercle plus étroit, peut-être à des actes d’autorité, à la contrainte37. En tout cas, il reste une troisième sphère assez large où l’Etat n’est responsable de ses fonctionnaires, ni selon le droit commun ni selon le droit particulier des lois d’exécution, c’est-à dire n’est pas du tout responsable.
Il est vrai que l’œuvre du Code civil, en ce qui concerne la responsabilité de l’Etat, est incomplète. Il y a bien de cas où l’équité et la justice exigent un système d’indemnités plus larges au profit des individus qui, du fait des fonctionnaires et employés, éprouvent un préjudice. Mais il ne faut pas chercher ce complément dans un rapiècetage de droit civil illogique et insuffisant. Il se trouve dans les institutions du droit public mêmes ; il ne s’agit que de les reconnaître et de les développer. Mais ces institutions, par leur nature, n’appartiennent plus au chapitre qui traite des voies de droit. Nous en parlerons à leur place.
- Code civil, § 839 : « Si un fonctionnaire viole à dessein ou par négligence le devoir qui lui incombe vis-à-vis d’un tiers, il doit réparer le dommage qui en résulte ». [↩]
- Krais, dans Bl. f. adm. Pr. XXXIII, p. 56 : « Si le fonctionnaire… porte préjudice à un tiers, ce n’est qu’envers l’Etat qu’il manque à un devoir, et non envers le tiers ; avec ce dernier, le fonctionnaire n’a pas de rapport juridique ». Si, néanmoins, le fonctionnaire est responsable vis-à-vis du tiers, c’est, comme Krais le remarque très bien, un droit spécial ; mais cela s’expliquerait, d’après lui, par le fait que le fonctionnaire agit alors « en dehors de la sphère de la puissance politique ». Cette explication ne peut pas nous suffire : ces devoirs du fonctionnaire vis-à-vis de l’Etat ne coïncident pas avec ses pouvoirs vis-à-vis du sujet. [↩]
- Les responsabilités de ces branches sont spécialement consacrées par le § 841 du Code civil et (avec une modification qui ne nous intéresse pas ici) par le § 12 de la loi sur le livre foncier (Grund. buch. Ordnung). Les Mot. z. Burg. Ges. Buch, II, p. 844 considèrent sous le même point de vue le juge qui rend la justice en matière civile et dont « le devoir de procéder dans l’exercice de ses fonctions avec la diligence nécessaire existe non seulement vis-à-vis de l’Etat mais aussi vis-à-vis des parties ». [↩]
- Pfizer, dans Arch. f. civ. Pr. LXXII, p. 96 ss. [↩]
- Cette responsabilité des employés des postes et télégraphes est surtout intéressante. On a voulu l’expliquer par une actio cessa : l’Etat envers qui le devoir a été violé, cède tacitement au tiers son droit à des dommages-intérêts ; Meili, Haftpflicht der Postanstalten p. 141 ss. [↩]
- Sur le principe général : Freund, dans Arch. f. öff. R., 1, p. 362 ; Bornhak, Preuss. St. R. II, p. 43 ss. Ce dernier croit pouvoir nous rendre plus familier ce droit particulier par l’expression « excès de compétence négatif ». Très solide et très original est Pfizer dans Arch. f. civ. Pr. LXXII, p. 91 ss. Il oppose ces activités « tutélaires et profitables » au simple exercice de la puissance publique ; il constate que, dans les premières, la responsabilité des fonctionnaires est plus étendue ; pour lui, la cause en est qu’il n’y a pas là responsabilité pour délit ou quasi-délit, mais responsabilité quasi ex contractu. Les règles ordinaires concernant le délit ne suffisent pas ici, cela est vrai ; mais le quasi-contrat nous semble être plutôt un mot nouveau qu’une explication. — Nous devons insister sur ce point que seules certaines branches de l’administration ont cette particularité d’engager ainsi leurs fonctionnaires vis-à-vis des tiers. Il ne suffit pas de pouvoir dire : je n’aurais pas éprouvé le dommage, si le fonctionnaire avait fait son devoir, C. C. H., 13 février 1864 (J. M. Bl. 1864 p. 63) : le garde-fou du pont était en mauvais état, la vache est tombée, le propriétaire n’est pas fondé à demander des dommages-intérêts à l’inspecteur des ponts-et-chaussées ; ce dernier n’est responsable que vis-à-vis de l’Etat. V. G. H., 26 septembre 1882 (Samml. IV, p. 170) ; un cadavre a été trouvé, le maire néglige d’en faire la déclaration prescrite au juge du lieu ; demande en dommages-intérêts de la part des héritiers parce que les vêtements ont disparu ; ils n’ont rien à réclamer le fonctionnaire n’ayant pas commis de lésion de droit vis-à-vis d’eux. » — Krais, dans Bl. f. adm. Pr. XXX p. 73 veut à tort rendre responsable un fonctionnaire de la police, lorsqu’il a « négligé de donner les ordres devenus nécessaires par l’état du bâtiment menaçant incendie », et qu’il y a maintenant un dommage. A quoi cela conduirait-il ? [↩]
- Plank, Comment. z. B. II, au § 839, no 1. En principe on ne devrait pas faire une distinction entre les instructions générales (Dienstvorschriften) et les ordres individuels du supérieur ; les uns et les autres sont égaux quant à leur effet sur le devoir. [↩]
- Plank, Comment. z. B. G. B. II, p. 638 observe avec raison, qu’il y a relation étroite entre cet effet direct du devoir du fonctionnaire au profit du tiers et la disposition du § 823 al, 2 du Bürg. Ges. B., déclarant responsable « celui qui contrevient à une loi ayant pour but la protection d’autrui ». Seulement, on ne peut pas dire que l’un soit la « conséquence » de l’autre. — Au cours des débats devant la Chambre des députés bavaroise, on a désigné ce cas spécial par l’expression un peu bizarre, mais assez significative, d’ « excès du devoir de la fonction » (Amtspflichtüberschreitung ; Lippmann, dans Annalen, 1885, p. 445). [↩]
- Ainsi un acte du fonctionnaire peut être illégal, et pour ce motif annulable et cependant ne pas être illicite, c’est-à-dire ne pas compter comme illégal pour le fonctionnaire, en tant qu’il s’agit de sa responsabilité vis-à-vis du tiers. Pour exprimer cette double manière de compter, Freund dans Arch. f. Oeff. R. I., page 423 parle de la « légalité de l’acte » d’une part, et de sa « conformité au droit » d’autre part. [↩]
- Laband, St. R., édit. all. I, p. 439, ss. (édit. franç. II, 147 ss.) ; Binding, Stf. R. I, p. 805 ss. ; Seydel, Bayr. St. R. III, p 390 ss. — C’est une généralisation fausse que de dire (Mot. z. B. G. B. II, p. 730), que, partout où il y a un devoir légal d’obéir, on n’est pas responsable de l’action commandée. L’ordre de la police ne protège nullement contre les réclamations en dommages-intérêts qui pourraient être faites à la suite du fait prescrit. Il s’agit d’une particularité de l’ordre du supérieur. [↩]
- Plank, Comment. z. B. G. B. au § 823, n° 2, b., II, p. 610 : « L’erreur est excusable, quand elle était possible malgré la diligence usitée dans les rapports humains ». [↩]
- Komgiesser, R. d. Reichsbeamten, p. 66 : « le fonctionnaire est responsable de l’acte illégal commis par erreur, quand il a manqué à la diligence à laquelle il était tenu ». [↩]
- Il ne s’agit pas ici de l’ « excusabilité » de l’erreur dans le sens du droit civil, qui compte avec sa règle abstraite : l’erreur est excusable, lorsqu’elle pouvait exister chez un « homme normal ». Ici tout dépend de la « violation du devoir in concreto » (Hahn, Mot. z. Ger.Verw. Ges. p. 1617) ; il faut, que le fonctionnaire ait eu la conscience qu’il agissait contre son devoir. Dès lors, dès qu’il y a erreur, la responsabilité cesse, sans qu’il y ait à distinguer la qualité de l’erreur. C. C. H., 14 juillet 1866 (J. M. BI., 1866, p. 289) : le fonctionnaire, à l’occasion d’un incendie, a fait démolir une grange sans nécessité ; « erreur rend libre ». O. V. G., 16 janvier 1886 (pas de responsabilité, quand il y a erreur de fait, après avoir examiné selon son devoir. O. V. G., 15 février 1882 (Samml. VIII, p. 420) : le fonctionnaire de la police avait fait jeter de la crême qu’il prenait pour du lait trempé, erreur assez ridicule ; mais il croyait faire son devoir ; pas de responsabilité. Comp. C. C. H., 11 janvier 1873 (J. M. BI. 1873, p. 50) ; O. V. G., 21 septembre 1881 ; B. G., 18 décembre 1883 (Reger, IV, p. 331). Il y a une expression très significative dans C. C. H. 10 octobre 1868 (J. M. Bl. 1868, p. 360) : le douanier était « autorisé » à saisir la marchandise, s’il était convaincu qu’il y avait contrebande. Ainsi il n’est pas question d’excuse : au point de vue de leur responsabilité, les fonctionnaires sont censés être autorisés à faire ce qu’ils sont convaincus être de leur devoir. — L’erreur de droit a été toujours vue d’un mauvais œil en justice. Ainsi, on a également refusé d’admettre cette conviction, cette bonne foi nécessaire, quand il aurait fallu admettre une erreur de droit. O. V. G., 22 octobre 1887 : une erreur sur le droit positif est toujours une violation du devoir de la fonction. Quand il s’agit d’acquitter le fonctionnaire qui s’est trompé, on a toujours soin de constater qu’il y a erreur de fait. Mais il y a un cas où le préjudice par erreur de droit est inévitable et régulier, parce qu’on n’y traite que des questions de droit. C’est le cas du tribunal. Il a donc fallu une protection spéciale aux fonctionnaires qui exercent cette profession particulièrement dangereuse : le juge, d’après le § 839 al. 2, B. G. B., ne peut être recherché à raison du préjudice qu’il aurait causé illégalement que dans le cas où il aurait, en même temps, encouru une peine publique c. à. d. dans le cas où il aurait agi de mauvaise foi. Considéré dans l’ensemble du système, le privilège des juges n’a rien d’exorbitant. [↩]
- Pfizer dans Arch. f. civ. Pr., LXX, p. 77 distingue suivant que le fonctionnaire représente l’Etat « comme res publica ou comme fisc » ; dans ce dernier cas, il n’y a pas lieu au droit spécial. [↩]
- Comp. § 16, III, ci-dessus ; Wach, C. Pr. R., I, p. 109 ; v. Sarwey, Œff. R. u. V. R. Pfl., p. 305. [↩]
- La nécessité d’une permission de poursuivre dissimulait donc l’incompétence résultant des règles générales. Quand, en 1870, la première fut abolie, on commença par se heurter à la seconde ; Otto Mayer, Theorie d. Franz. Verw. R., p. 100. [↩]
- Freund dans Arch. f. öff. R., I, p. 398 ss. fait une énumération de ces systèmes. [↩]
- Kahr, Ges. der Errichtung eines V. G. H. betr., p. 65 ; Seydel, Bayr. St. R., II, p. 449 ss. [↩]
- Un jugement du tribunal régional de Cologne du 14 février 1843 (rapporté, par Oppenhoff, Ressortverh., p. 360 note 135) comprend le § 6 tout à fait dans le sens du droit français : au lieu de rejeter la demande en dommages-intérêts, il surseoit à statuer jusqu’à ce que le demandeur ait apporté une décision de l’instance supérieure adminisrative sur la question de validité. Mais le § 6 s’entend dans le sens indiqué au texte ; si donc le tribunal ne fait que surseoir à statuer, il y a lieu d’élever le conflit d’attributions : Oppenhoff, Ressortverh., p 480, note 63. Comp. C. C. H., 16 décembre 1834 (J. M. Bl., 1855, p. 51) ; 6 octobre 1855 (J. M. Bl. 1855, p. 411) ; R. G., 16 février 1888 (Samml. XX, p. 301). — Comme s’il était dans la nature des choses que le tribunal n’ait, vis-à-vis des fonctionnaires, que cette compétence conditionnelle, on a appliqué le § 6 même dans des cas où il ne s’agissait pas de demandes en dommages-intérêts à raison d’une disposition de police, p. e. à des demandes dirigées contre des militaires : C. C. H., 3 juin 1848, cité par Sydow, Zulässigkeit des Rechtswegs, p. 65. [↩]
- Ce « conflit » naturellement est tout autre chose que le conflit d’attributions ; il serait préférable qu’il portât un autre nom ; C.C. H., 6 octobre 1855, (Kossmann, II, p. 16) ; O. V. S., 15 février 1882, 24 juin 1885. Les expressions sont confondues dans C. C. H., 11 décemb. 1858, (J. M. Bl. 1864, p. 52). [↩]
- Cela s’appliquerait spécialement à l’ancien droit de la Bavière, (Comp. note 18 ci-dessus). La loi bavaroise du 8 août 1879, art. 7, al. 2, a remplacé ces règles par une décision préalable dans le sens du § 11. E. G. z. G. V. S. Ce n’était pas une erreur de la part du gouvernement et de la représentation nationale, quoiqu’on leur reproche généralement de croire que le partage des attributions concernant la question préjudicielle, tel qu’il existait jusque-là en Bavière, n’était plus soutenable par rapport au nouveau droit de l’Empire (Kahr, V. G. H. Ges. p. 68, note 1 ; Hauser dans Ztschft f. Reichs. u. Landes. R. IV, p. 285, 303 se. ; Krais dans Bl. f. adm. Pr. XXXIII, p. 114 ; Seydel, Bayr, St. R., II., p. 461 ; Lippmann dans Annalen 1885, p. 467, note). Leur seule erreur était de croire que c’était le § 11 E. G. z. S. V. G. qui avait cet effet. — Selon Hauser, le partage des attributions subsisterait même à coté de la décision préalable. La demande en dommages intérêts suivrait donc la marche suivante : il faut d’abord que le demandeur provoque une décision de l’autorité administrative compétente sur la légalité de la mesure dommageable ; l’illégalité ayant été constatée, il provoque, de la part du tribunal administratif suprême ou du tribunal de l’Empire, une décision préalable sur l’admissibilité de la poursuite ; si l’admissibilité est affirmée, il arrive enfin — troisième procédure ! — devant le tribunal civil compétent pour faire statuer sur sa demande (Ztschft f. Reichs. u. Landes. R., IV, p. 306, V., p. 21). Hauser s’imagine que les choses se passaient ainsi dans le droit Français. [↩]
- Il paraît être généralement admis que la limitation de la compétence, effectuée par le § 6 de la loi de 1842, subsiste à côté de la décision préalable du droit de l’Empire ; on arrive de cette manière à la procédure proposée par Hauser (voir la note précédente) : O. V. G. 4 février 1882 distingue consciencieusement les trois procès qui sont nécessaires. Le tribunal de l’Empire aussi, après quelques hésitations (R. G., 10 juin 1881 ; Samml. V, p. 48) s’est associé à cette opinion : R. S., 26 avril 1887 (Samml. XVIII, p. 123) ; 16 février 1888 (Samml. XX, p. 245 ss). [↩]
- La supposition que, en vertu du G. V. G., § 13, la législation particulière pourrait enlever à la compétence du tribunal la demande entière, est toujours le grand argument invoqué pour prétendre que le partage des attributions concernant la question préjudicielle subsiste : Hauser dans Ztschft f. Reichs. u. Landes. R., IV, p. 303 ss. ; v. Sarwey, Oeff. R. u. V. R. Pfl., p. 309 ss. ; dans le même sens R. G., 10 juin 1887, 16 février 1888. Nadbyl dans Wörterbuch, I, p. 822 est du même avis. Cependant, les législateurs, eux aussi, se doivent réciproquement une certaine bonne foi. [↩]
- Les agents du gouvernement, Otto Mayer, Theorie des Franz. V. R., p. 99 ; les autorités de la police, d’après la loi prussienne de 1842, § 6. [↩]
- Seydel, Bayr. St. R. I, p. 605. Contrà : Krais dans Bl. f. adm. Pr. 1883, pp. 163,169 ; Bl. f. adm. Pr. 1886 p. 8. On pourrait dire que le devoir du fonctionnaire, dans ces cas, ne regarde pas le tiers ; dès lors, la décision préalable est sans objet (Comp. la note 14 ci-dessus). Mais c’est ce qu’il s’agit de faire constater par la décision préalable même (Comp. la note 29 ci-dessous). Il faut aussi admettre le cas où l’Etat lui-même est, contre son fonctionnaire, le demandeur en dommages-intérêts ; alors, la question du devoir sera décisive, même si le fonctionnaire représentait l’Etat « comme fisc ». [↩]
- E. G. z. G. V. G. § 11, al. 1. [↩]
- Keller, Comment. z. G. V. G. p. 258 § 1. Il s’agit d’une résolution (Beschluss) à prendre, qui ne nécessite pas l’audition des parties, mais ne l’exclut pas non plus : Hauser, Ztschft f. Reichs. u. Landes, R. IV. pp. 33 ss. ; Löwe, Stf. Pr. Ordn. p 17. [↩]
- Le Sénat des conflits d’attributions Bavarois a établi comme principe que la décision préalable « a non seulement à statuer sur la légalité extérieure d’une mesure administrative, mais encore sur la faute au point de vue du devoir du fonctionnaire poursuivi en justice ». Hauser dans Ztschft f. Reichs. u. Landes. R. V, p. 22, note 42, lui fait le reproche de confondre la faute et l’illégalité. A cela Krais, dans Bl. f. adm. Pr., 1883, p. 84, répond : « qu’il ne s’agit pas d’une faute de droit civil, mais de la constatation de la violation du devoir ». La solution est que, d’après le droit spécial de la responsabilité des fonctionnaires, l’acte, pour le tiers qu’il touche, est également apprécié au point de vue du devoir du fonctionnaire. [↩]
- V. G. H., 30 déc. 1884 (Reger VI, p. 350) déclare qu’il n’y a pas lieu à la décision préalable, puisque le fonctionnaire avait agi comme représentant la personnalité civile ; or la décision suppose qu’il s’agit de « l’exercice du droit de supériorité ». Il faut cependant reconnaître que cette déclaration même est une décision préalable ; la Cour n’a pas été invoquée inutilement, car, évidemment, le tribunal n’a plus le droit de déclarer la demande non recevable par le motif qu’il fallait une décision préalable. [↩]
- Sur l’opposition entre le conflit du droit prussien et l’autorisation de poursuivre du droit français, comp. les débats sur le projet du G. V. G. dans Hahn, Mat. II, pp. 1615, ss. [↩]
- Hahn, Mot. z. G. V. G. II, p. 1633 ; Löwe, Stf. Pr. O. p. 17 ; Keller, G. V. G. p. 259 ; Hauser, dans Ztschft f. Reichs. u. Landes. R. V. p. 30 ; Nadbyl, dans Wörterbuch, I, p. 825 ; Lippmann, dans Annalen, 1885, p. 467. — Pour la Bavière, Kahr, Comment. z. V. G. H. Ges., p. 71, et Seydel, Bayr. St. R. I, p. 602, revendiquaient, pour la décision préalable, le caractère de jugement partiel, conformément au droit bavarois antérieur à la législation judiciaire de l’Empire. La loi bavaroise du 9 juin 1899 concernant l’exécution du Code civil leur a donné raison ; elle dispose dans son article 165, I : La décision préalable lie le tribunal. Il y aurait donc jugement, force de chose jugée, parties véritables. On peut encore se demander si cela est conforme au droit de l’Empire. Mais l’autorité d’une loi particulière est assez grande pour amener à une interprétation favorable. [↩]
- Zachariæ, dans Ztschft f. R. W., 1863, p. 619 ; Lœning, die Haftung des Staates p. 51, p. 53 : Krais dans Bl. f. adm. Pr. XXXIII, p. 171 : Seydel, Bayr. St. R. 1, p. 609, note 88. [↩]
- Lœning, die Haftung des Staates, p. 88. R. G., 16 mai 1887 (Reger, VIII, p. 158) : l’Etat est déclaré responsable pour n’avoir pas éclairé les abords d’un palais de justice (Comp. R. G.. 31 janv. 1889 (Samml. XXIII, p. 221) ; 8 août 1884 (Reger, V, p. 260). Comme, d’après les principes du droit allemand (Comp. § 16 ci-dessus), le tribunal est également compétent pour allouer une indemnité pour des raisons de droit public, une confusion se fait très facilement. Quand nous aurons exposé la doctrine de cette indemnité de droit public, la responsabilité civile de l’Etat se dessinera plus nettement. [↩]
- Lenel, dans Deutsche Juristenzeitung, 1902, pp. 9 ss. [↩]
- Ce sont les lois d’exécution pour Bade, Bavière, Hesse, Württemberg et plusieurs petits Etats. Il y a entre ces lois cette différence que les unes établissent l’Etat seul débiteur vis-à-vis du tiers, sauf son recours contre le fonctionnaire coupable, et que les autres le condamnent à être caution de son fonctionnaire coupable. [↩]
- La loi Bavaroise du 9 juin 1899, article 61, déclare même l’Etat responsable dans le cas où le fait dommageable ne pourrait pas être imputé au fonctionnaire lui-même, par suite d’un dérangement mental, etc. On a voulu mettre ici à la place du principe de la « culpabilité », le principe de la « causalité » (Böhm et Klein, Comment. p. 108). Mais c’est justement le principe de la causalité que nous retrouverons dans notre indemnité de droit public. [↩]
- Böhm et Klein, Comment. p. 104 : l’inspecteur des écoles a une puissance publique, l’instituteur n’en a pas. La formule commune à toutes ces lois d’exécution est empruntée à l’art. 77 E. G. z. B. G. B. qui renvoie cette matière aux lois particulières. Le droit de l’Empire, dans la sphère du droit civil, étant maître, on n’a pas osé s’éloigner de ses termes assez vagues. Si on avait voulu régler l’affaire selon les principes du droit public, on aurait eu la voie libre. [↩]
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