Section II
Le pouvoir financier (Die Finanzgewalt)
§ 26. La loi du budget et le pouvoir financier
(177) Les finances sont les revenus de l’Etat ; l’administration des finances est l’activité de l’Etat concernant ses revenus. Le pouvoir financier, c’est la puissance publique dirigée vers les revenus de l’Etat.
Ce pouvoir n’apparaît pas dans les activités d’économie privée par lesquelles l’Etat peut se créer des revenus, dans les dispositions de droit civil sur les biens de l’Etat et leurs produits, contrats de bail à ferme et de bail à loyer, etc.
Mais nous ne le reconnaissons pas non plus dans tous les rapports de droit public, d’où résulte, pour l’Etat, un avantage pécuniaire. Les amendes et les confiscations, les rétributions pour des jouissances concédées et les droits à la restitution de deniers publics confiés aux comptables appartiennent à l’ensemble de leurs institutions juridiques spéciales, comme moyens ou comme résultats de rapports préexistants.
Nous n’appelons la puissance publique pouvoir financier que dans le cas où elle agit sur le sujet pour (178) le besoin des revenus de l’Etat, spontanément et en dehors de rapports spéciaux.
Ainsi limité, le pouvoir financier forme la notion supérieure qui réunit toute une série d’institutions juridiques qui la placent à côté du pouvoir de police comme un principe d’une nature essentiellement analogue et ayant avec elle une grande affinité.
Dans l’un et l’autre cas, la puissance publique se manifeste par des effets strictement unilatéraux. Elle se borne à commander, à imposer, à contraindre ; lorsqu’elle semble accorder au sujet quelque chose, c’est tout au plus un relâchement de cette force dominatrice.
Mais, d’un autre côté, les deux pouvoirs présentent, dès le début, une importante différence.
Derrière le pouvoir de police, nous avons trouvé un principe de droit naturel qui aide à interpréter et à compléter le droit de la police : c’est le devoir général de ne pas troubler le bon ordre. L’exercice du pouvoir financier n’a pas ce fondement de droit naturel ; le devoir général du sujet de payer des impôts est une formule dénuée de sens et de valeur juridique.
En revanche, dans l’organisation de l’Etat constitutionnel, on a placé au-dessus de tout le mouvement des finances et spécialement au-dessus de la manifestation la plus importante du pouvoir financier — la perception des impôts—un autre régulateur suprême.
C’est le budget de l’Etat ; il est déterminé, à son tour, par le droit budgétaire de la représentation nationale ; il apparaît dans la loi du budget.
La signification de cette loi est, dans la doctrine du droit public, l’objet de vives controverses. La plupart des théories auraient pour conséquence logique d’attribuer à la loi du budget un effet juridique, qui agirait fortement sur la sphère du droit administratif.
(179) D’après certains, les articles de la loi du budget sont des règles de droit, obligatoires pour l’administration des finances : comme règles de droit, ces articles auraient forcément leur effet direct pour et contre les sujets intéressés aux dépenses et aux recettes ordonnées1. D’autres appellent la fixation du budget un acte administratif.
S’il s’agissait sérieusement d’un acte administratif, nous devrions rechercher les rapports juridiques des sujets qu’il détermine2. On parle aussi d’une procuration (Vollmacht), donnée au gouvernement pour percevoir les recettes et faire les dépenses, et qui, comme toute procuration, serait la condition de la validité de ses actes vis-à-vis des tiers, des sujets3. Ou bien on attribue à cette loi la signification d’une instruction pour les fonctionnaires chargés de l’exécution du budget, instruction qui déterminerait les obligations de leurs fonctions4.
Nous ne pouvons pas laisser de côté la loi du budget sans déterminer exactement l’influence qu’elle est appelée à exercer sur notre matière.
De même que pour la formation de la notion de la loi (Comp. t. I, § 5 ci-dessus), le droit constitutionnel moderne s’est inspiré, pour fixer la part de la représentation nationale dans l’administration des finances, (180) d’idées juridiques de la période précédente. Dans les Constitutions primitives, cela apparaît dans la réglementation des impôts. Cette réglementation est, en principe, temporaire et ne représente pas seulement, comme la loi constitutionnelle ordinaire, un acte commun édicté pour les sujets de concert avec la représentation nationale et par le gouvernement ; elle est considérée comme une concession (Bewilligung) faite au gouvernement par la représentation nationale. Jamais on ne verrait dans une loi de police, en même temps, la « concession » de mesures de police faite par l’un des facteurs de la législation à l’autre. Mais, dans cette concession d’impôts, revit l’idée des Etats du pays « venant au secours de leur prince avec une somme d’argent »5. Il est vrai que les formules du nouveau droit constitutionnel nous ont été fournies par la France, directement ou par la voie de la Belgique. Mais, là aussi, on ne saurait méconnaître l’influence des mêmes idées transmises par les anciens Etats6.
Dès lors, d’après cette manière de voir, nous sommes ici en présence d’un rapport entre le gouvernement et la représentation nationale. Celle-ci est obligée de consentir ce qui est nécessaire pour que l’autre puisse gérer les affaires. Mais, d’un autre côté, elle apprécie elle-même ce qui est nécessaire et ce (181) pourquoi les impôts doivent être consentis ; elle fait accompagner les deniers d’impôt consentis d’une affectation obligatoire pour le gouvernement. C’est en ce sens que l’on parle d’un droit qu’a la représentation nationale de consentir les impôts et qui se développe aujourd’hui, de lui-même, dans son droit du budget avec tous ses détails. Dès qu’il s’agit de lever des impôts, il faut soumettre à la représentation nationale un état de prévoyance contenant un tableau des recettes et des dépenses à faire7. Elle évalue les recettes, constate les dépenses d’après leur objet et leur montant, en tant qu’elle les juge nécessaires ; elle consent les impôts nécessaires pour couvrir la différence. Dès lors, dans toutes les dispositions sur les moyens de l’Etat, on est tenu d’observer les limites des dépenses consenties. Dans chaque dépense, en effet, il y a des deniers d’impôts8. Dépasser ces crédits, c’est, de la part du gouvernement, une violation du droit de la représentation nationale de consentir les impôts ; cela engage la responsabilité ministérielle.
C’est ainsi que la chose se présente dans les Constitutions primitives. Dans le développement ultérieur, ces idées n’ont fait que revêtir des formes nouvelles. Cela s’est produit surtout sur deux points :
1) La fixation du budget est essentiellement une résolution de la représentation nationale ; le gouvernement, à moins de conflit, n’a qu’à l’accepter9.
Mais bientôt l’usage a prévalu de donner à cet accord la forme d’une loi et de le publier comme telle10. Des textes de chartes constitutionnelles plus récentes (182) ont prescrit expressément cette forme11. La signification juridique de l’acte n’est pas changée pour cela. La loi de finances ne doit exprimer autre chose que le droit budgétaire de la représentation nationale, tel qu’il est compris dans le système constitutionnel. Aussi, gouvernement et représentation nationale, en traitant ultérieurement du budget, ne se font-ils pas scrupule d’abandonner la forme de la loi, qu’elle soit prescrite ou choisie volontairement : par une inconséquence apparente, il est procédé, par de simples résolutions de la représentation nationale, à l’approbation des comptes sur l’exécution du (183) budget, à la décharge du gouvernement et même à la régularisation de dépenses ayant dépassé les prévisions12. Ici, la nature des choses veut simplement qu’en matière de budget, la représentation nationale agisse à l’encontre du gouvernement et non pas, comme dans une loi qui produit un effet extérieur, par des règles de droit, par des actes administratifs, par des autorisations de vendre, etc., avec le gouvernement.
2) La force obligatoire du budget, une fois fixée, repose originairement sur le consentement d’impôts qui y est attaché. Il est logique que les impôts soient consentis pour la période restreinte pour laquelle le budget doit être valable. Le fait que l’une ou l’autre classe d’impôts devient stable — ce qui surtout arrive pour les impôts indirects — n’empêche pas ce système de fonctionner.
La limite de dépenses fixée par le budget reste obligatoire aussi longtemps qu’il y a encore des impôts consentis en vertu de cette fixation pour couvrir les nécessités.
Le seul résultat est un certain affaiblissement du système. La forme originaire contenait, pour le gouvernement, une contrainte juridique double : en faisant des dépenses non reconnues, il viole le droit de la représentation nationale ; et en levant des impôts qui ne sont pas consentis chaque fois à nouveau, il viole, en outre, le droit de chaque contribuable individuellement selon l’effet de la réserve constitutionnelle de la loi. Ce dernier côté, avec l’extension des impôts permanents, perdra son importance. L’autre côté ne changera pas.
Mais ce second côté peut disparaître complètement ; (184) et, par conséquent, la connexité du droit de consentir les impôts et du droit budgétaire peut s’évanouir. Tel est le cas lorsqu’il devient de principe que tous les impôts soient permanents, consentis une fois pour toutes. Alors disparaît la cause juridique qui, originairement, a donné au budget sa force obligatoire pour le gouvernement.
Mais alors la clause de la charte — qui, sans cela, est superflue — d’après laquelle le budget doit être fixé dans la forme d’une loi, acquiert une importance souveraine13. Elle n’est autre chose que la reconnaissance directe du droit budgétaire qui, sans elle, n’existerait pas. Quel est ce droit budgétaire ? En tout cas, ce n’est pas un droit nouveau. Ni la charte belge, ni celle de la Prusse qui l’imite, ni celle de l’Empire — qui, de son côté, suit cette dernière — n’ont prétendu mettre au monde, par leurs formules peu claires, une idée nouvelle fondamentale. Elles ne veulent que confirmer le droit budgétaire, tel qu’il est donné dans l’organisation commune de l’Etat constitutionnel.
Or, cette clause porte :
Le gouvernement est obligé de soumettre le budget à la représentation nationale — même quand il n’y a pas à donner spécialement un consentement d’impôts — afin que ce budget soit fixé dans la forme d’une loi. — Et encore :
Le gouvernement est lié, vis-à-vis de la représentation nationale, au budget fixé, de manière à ne pas pouvoir dépenser les deniers publics pour autre chose et pour des sommes supérieures à ce qui est prévu dans ce budget, absolument comme si un consentement d’impôts avait été fait sur cette base14.
Ainsi, l’importance de la fixation du budget est partout la même dans toutes (185) nos Constitutions ; elle est partout celle qu’on avait primitivement en vue. On peut ajouter à cette fixation, pour figurer dans le même acte législatif, toute sorte de choses : des dispositions d’ordre administratif, telles que des règles de droit administratif concernant l’exécution du budget, des instructions pour les fonctionnaires, des autorisations de vendre des immeubles de l’Etat ; ou des dispositions d’ordre constitutionnel ou politique, telles que des manifestations pour ou contre un ministère. Nous devons faire ici abstraction de tout cela. Nous devons nous en tenir à ce qu’il y a, dans cette fixation du budget, d’essentiel et de constant. Quel est, d’après cela, le caractère juridique de l’acte ?
La loi du budget ne présente, par son contenu, qu’un compte, un devis, un plan de l’exercice futur. Le gouvernement, placé vis-à-vis de la représentation nationale comme administrateur responsable des deniers publics, manquerait à son devoir s’il voulait procéder sans ce plan. Mais ce plan, il pourrait le faire seul15.
Ce qu’il y a de particulier, c’est que ce plan doit (186) être accompagné d’une déclaration de la représentation nationale approuvant ses articles.
Cette approbation est d’abord une constatation et une attestation de la nécessité des dépenses qui y sont portées ; elle a pour effet juridique de décharger d’avance le gouvernement de sa responsabilité matérielle vis-à-vis de la représentation nationale, s’il s’y conforme16.
Mais cette constatation préalable est, en même temps, une condition de forme imposée par la Constitution au gouvernement vis-à-vis de la représentation nationale. Le gouvernement lèse le droit de cette dernière et se rend responsable vis-à-vis d’elle, quand il veut procéder à la gestion financière sans cette constatation préalable ou en dehors d’elle17.
Quant aux détails de cette responsabilité, à la façon (187) dont elle est mise en jeu, dont elle peut être couverte, cela dépend évidemment du droit constitutionnel seul.
Ce sont des questions internes des grands pouvoirs constitués. Elles ne concernent ni les tiers, ni les sujets, ni les fonctionnaires personnellement.
Que le gouvernement soit devenu responsable ou non, la validité de son acte de gestion vis-à-vis des tiers dépend exclusivement de l’ordre juridique qui règle les rapports de ces derniers avec l’Etat, soit le droit civil, soit le droit administratif.
C’est seulement d’une manière indirecte que la loi du budget exerce une influence sur le droit administratif. Son contenu forme la matière des instructions à donner aux fonctionnaires qui seront chargés de (188) l’exécution du budget ; il forme la base pour la fixation du salaire afférent aux différents emplois qui pourront même s’y référer tacitement ; il sert de motif aux impositions de taxes par acte administratif. Et même, en dehors de ces questions financières directes, la nécessité de se conformer au budget fixé se fait sentir dans tout ce que l’administration fait ou ne fait pas.
Mais, cela ne fait pas que la fixation du budget, par elle-même, entre dans les institutions du droit administratif ; cette fixation ne fait pas partie des manifestations du pouvoir financier que nous étudions ici.
- Le représentant principal de cette opinion est Haenel, Ges. im form. u. mat. Sinne, p. 291 ss. Comp. la critique de Laband, St. R., 4e édit. all. IV, p. 846 ss. ; édit. française, VI, p. 381 et s. [↩]
- Nous rencontrons cette expression surtout chez Jellinek. Ges. u. Verord., p. 288 ; G. Meyer, St. R., p. 609 ; Arndt, dans Arch. f. öff. R., III, p. 540 ss. Mais il faut remarquer que ces auteurs ne pensent pas à un véritable acte administratif ; ce mot, pour eux, doit seulement signifier que la loi du budget n’est pas une règle de droit. Cela n’est pas inexact ; mais cela ne nous dit rien du tout. [↩]
- V. Roenne, Preuss, St. R., I, p. 633, 634 ; v. Martitz dans Tüb. Ztschft, XXXVI, p. 271 ; Seidler. Budget u. Budgetrecht, p. 221 ss. [↩]
- Bornhak, Preuss. St. R., II, p. 59 ss. ; Arndt, dans Arch., f. öff. R, III, p. 540 ss. Comp. la critique de Laband, St, R., 4e éd, all. IV, P. 497, note 2 ; édit. franç., VI, p. 368 et s. [↩]
- Pour l’historique : Gneist, Ges. u. Budget, p. 133 ss. ; Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 291, Pfizer, R. der Steuerverwilligung, va trop loin, quand il trouve que, dans la Constitution de son pays, le « droit de l’imposition autonome du vieux Württemberg » est directement réalisé ; Etats et représentation nationale, imposition autonome et consentement à la loi d’impôt sont des choses bien différentes. [↩]
- Gneist, Ges. u. Budg., p. 118, voit dans le droit public français moderne en général, et spécialement en ce qui concerne cette matière, une négation complète de la « continuité du droit ». C’est le contraire qui est vrai. On n’a qu’à citer Tocqueville, l’Ancien régime et la Révolution. Pour les origines du droit budgétaire en particulier : Leroy-Beaulieu, Science des fin., 6e éd., II, p. 4 ss., et surtout Desmousseaux dans le Correspondant, tome XXXXII, p. 217 s. [↩]
- Leroy-Beaulieu, Science des fin., II, p. 3 : « L’origine de ces budgets ou états de prévoyance, c’est le droit, qu’a la nation de refuser ou d’accorder des impôts ». Il ne s’agit donc pas de simples mesures de prudence de l’administration des finances. Le véritable motif apparaît, d’une manière éclatante, dans les Constitutions de l’Allemagne du Sud : Bornhak, Preuss. St. R., III, p. 575 ss. [↩]
- Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 399, note 1. Il compare (p. 401 ss.) très justement l’effet du consentement d’impôts qui engage la totalité du budget à celui de la clause d’appropriation du droit anglais. [↩]
- La Déclaration des droits de l’homme de 1789, art. 14, ne proclame, comme droit des citoyens, que celui « de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement et d’en suivre l’emploi ». Dans cette maxime, lui contient toute l’essence du droit budgétaire, il n’est pas question de loi. Une loi du budget n’est mentionnée que dans la Constitution du 22 frimaire an VIII, art. 45. C’est que, d’après cette Constitution, tous les actes du Corps législatif — qui est aussi appelé à fixer le budget — doivent porter le nom de lois. La Constitution de Reuss A. L. ne connaît que des consentements périodiques d’impôts ; elle ne connaît pas de loi du budget. On publie tous les ans une loi sous le nom de « Patente concernant les contributions à payer dans l’année… ». Elle n’indique que le taux des impôts consentis. En même temps, le texte « du budget fixé en recettes et dépenses » est imprimé ; mais ceci seulement à titre de « communication ». Toutefois, le gouvernement est lié par ce plan, aussi bien que, ailleurs, par la loi du budget. [↩]
- La Const. Bav. ne connaît pas de loi du budget ; néanmoins, on propose le budget comme « partie d’une loi de finances » : Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 389. La Saxe qui, par sa Constitution, est dans le même cas, publie une « loi de finances » contenant le total des recettes et dépenses fixées et, de plus, le consentement des impôts ; Loebe, Staatshaushalt des Kgr. Sachsen, p. 45 ss. [↩]
- C’est surtout le cas dans les Constitutions qui ne supposent pas de consentement périodique des impôts (Const. de la Prusse, Const. de l’Empire) ; aussi y a-t-il ici une raison spéciale, dont nous parlerons tout à l’heure. Lorsque l’un et l’autre sont prescrits — consentement périodique des impôts et loi du budget — cette dernière n’est quelquefois publiée que dans un extrait et pour note ; évidemment, pour l’effet à produire, il suffit du consentement des impôts pour ce budget. Ainsi, par exemple, Schwarzburg-Rudolstadt. [↩]
- Régularisation de dépenses faites en dehors du budget par de simples résolutions : Laband, St. R., 4e édit. All., IV, p. 503 ; édit. fr., VI, p. 303 ; de même, pour un bill d’indemnité : Seydel, Bayr. St. R., IV, p. 437. [↩]
- Const. Pruss., art. 99 : Const. de l’Empire, art. 69. [↩]
- Puisque cette loi ne doit pas avoir d’effet extérieur, on peut bien s’abstenir d’en publier les détails ; entre le gouvernement et la représentation nationale qui l’ont faite, ces détails produiront quand même leur effet : Laband, St. R., IV, édit, all., p. 499 ; édit. fr., VI, p. 292. Logiquement, on ne devrait rien publier du tout, parce que cette « loi » ne vise pas les sujets ; mais par respect pour le nom de loi, on fait un simulacre de publication. Haenel, Ges. im form. u. mat. Sinne, p. 292, proteste énergiquement contre ceux qui veulent « construire sur la même forme » le droit budgétaire de la Saxe et de la Bavière d’un côté, celui de la Prusse et de l’Empire de l’autre ; ce sont, d’après lui, des « types différents dans le principe ». Mais la différence ne concerne pas ce qui est l’essentiel : au point de vue de l’effet pratique, elle ne se fait même pas beaucoup sentir dans cette question de forme, à laquelle Haenel attache tant d’importance : comme nous l’avons vu (Comp. la note 10 ci-dessus), en fait, ce budget reçoit partout la forme d’une loi. [↩]
- Laband, St. R., 1re édit. all., III, p. 353, avait encore défini le budget de l’Empire simplement comme « un programme de l’administration de l’Empire, établi par les organes suprêmes du pouvoir de l’Empire ». Ce droit budgétaire assez affaibli a été critiqué avec raison par Haenel, Ges. im form. u. mat. Sinne, p. 310 ss. [↩]
- En ce sens, Laband, St. R., 2e édit. all., p. 1001, 4e édit. all., p. 497 ; édit. franç., VI, p. 292 ; mais l’importance juridique de la fixation du budget se restreint, d’après lui, à cet effet. Il ne s’agirait donc que d’un moyen de tranquilliser des ministres ayant horreur de leur responsabilité. Si les ministres ne réussissent pas à obtenir une loi du budget, quelle en sera la conséquence? « Le gouvernement n’est pas obligé de suspendre son activité administrative ; mais il exerce cette activité sous sa propre responsabilité » (loc. cit., 4e édit. all., IV, p. 509 ; édit, franç., VI, p. 314 et 315). Qu’il l’exerce raisonnablement, et tout est parfait. Sur ces bases, il nous est donné (4e édit. all., p. 570 ss. ; édit. fr., VI, p. 314 et s.) tout un guide d’administration sans loi du budget. Dans le même sens, Bornhak, Preuss. St. R., III, p. 601, propose, comme conséquence unique de l’absence d’une loi du budget, que, « désormais, les autorités auront à apprécier et à décider souverainement quelles dépenses dans l’intérêt de l’Etat elles ont à faire ou à ne pas faire ». Cela, estime-t-il, est très désagréable.
Cette doctrine est évidemment insuffisante. Le droit budgétaire qui, en réalité, est en vigueur dans toute l’Allemagne ; a un caractère plus sérieux. [↩]
- Jellinek, Ges. u. Verord., p. 292 ss. appelle le budget constitutionnellement établi « la condition de l’administration financière au point de vue du droit ». Mais contrairement à ce que nous venons d’exposer, il entend par là que la validité juridique des actes de l’administration financière — et, par suite, leur effet extérieur — dépend de l’accomplissement de cette condition. Zorn, dans Annalen, 1889, p. 392, et Laband, St. R., édit. all., IV p. 536 ; édit. franç., VI, p. 364, lui opposent, avec raison, que cela revient au système combattu par Jellinek lui-même, et d’après lequel la fixation du budget serait l’autorisation nécessaire pour rendre la gestion du gouvernement juridiquement possible et valable.
Laband, loc. cit., édit. all., p. 538 ; édit. franc., VI, p. 367, ajoute que la théorie exposée par moi n’en diffère pas au fond ; l’attestation dont je parle ne serait autre chose que l’autorisation constitutionnellement nécessaire ; ce serait seulement une expression moins précise. Mais « attestation » me semble être une expression très précise ; elle a été choisie à bon escient pour éviter l’équivoque qui s’attache, comme on le voit, au mot autorisation. Autoriser quelqu’un, cela s’entend trop facilement dans le sens de le rendre capable de produire un effet juridique ; ce qui serait faux ici. Mais, abstraction faite de l’effet extérieur, il serait également faux de ramener le pouvoir du gouvernement de gérer les finances à une autorisation de la représentation nationale. Cela peut se dire dans les pays où la souveraineté nationale et le gouvernement parlementaire forment la base de la Constitution (Boncard et Jèse, Elements de la science des fin., 2e édit., I, p. 165 ss. ). Mais en Allemagne, le gouvernement reçoit l’autorisation de gérer les finances directement de la Constitution même. La constatation préalable de la nécessité des dépenses n’est qu’une formalité à observer à l’occasion de cette fonction, une condition de forme, comme nous le disions. Notre définition renferme tout ce que Laband attribue à la fixation du budget, en y ajoutant un élément nouveau qui doit être indispensable. Naturellement, toute l’importance juridique de cet acte se concentre sur les dépenses. Laband, loc. cit., édit. all., p. 538, édit. franç., VI, p. 368, me reproche que, d’après ma définition, le côté des recettes « tombe dans le vide ». Mais il me semble qu’il n’en est pas autrement dans son système (loc. cit., édit. all., IV, p. 500 ; édit. franç., VI, p. 297). Toutefois, il y a une différence : pour lui, en fin de compte, c’est le droit budgétaire tout entier qui tombe dans le vide, puisque toute importance juridique sérieuse lui est enlevée. [↩]
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