En vertu de l’habilitation prévue par la loi de programme pour l’outre-mer (loi n° 2003-660, 21 juillet 2003, article 62, JO 22 juillet 2003 p. 12320), le gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2005-56 du 26 janvier 2005, relative à l’extension et à l’adaptation du droit de santé et de la sécurité sociale dans les départements d’outre-mer, à Mayotte et à Wallis-et-Futuna (JO 28 janvier 2005 p. 1504). L’article 6 de l’ordonnance complète l’article L. 4131-5 du code de la santé publique pour prévoir le droit pour le représentant de l’Etat dans la région de Guyane d’autoriser par arrêté l’exercice professionnel, sur le territoire de cette collectivité, de médecins ne remplissant pas les conditions de nationalité ou de diplôme exigées des médecins exerçant en métropole. Alors que le délai prévu par la loi d’habilitation est expiré, le Conseil national de l’ordre des médecins sollicite, en vain, de la part de l’autorité investie du pouvoir réglementaire l’abrogation de l’article 6 de l’ordonnance. Amené à se prononcer sur la légalité d’un tel refus, le Conseil d’État précise la portée de l’alinéa 3 de l’article 38 de la Constitution de 1958 aux termes duquel, à l’issue de la période d’habilitation, « les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ».
L’article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958 permet au Gouvernement, pour l’exécution de son programme, de solliciter de la part du Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances des mesures qui relèvent en principe du domaine de la loi. Cet article prévoit un double délai : celui pendant lequel le Gouvernement est habilité à prendre les ordonnances et celui au cours duquel un projet de loi de ratification doit être déposé devant le Parlement.
À l’expiration de ce second délai, les ordonnances conservent une forme réglementaire en l’absence de ratification par le Parlement (CC, décision n° 72-73 L, 29 février 1972, Nature juridique de certaines dispositions des articles 5 et 16 de l’ordonnance, modifiée, du 17 août 1967 relative à la participation des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises, rec. p. 31).
Dans cette affaire, l’Assemblée du contentieux relativise la dimension formelle de l’ordonnance non ratifiée. Elle précise que les dispositions de l’ordonnance relevant du domaine législatif ne peuvent être abrogées ou modifiées, en vertu de l’alinéa 3 de l’article 38 de la Constitution de 1958, que par le seul Parlement, une fois que le premier délai, celui de l’habilitation, est passé. Par suite, l’autorité réglementaire est incompétente pour les abroger et ce, « quand bien même seraient-elles entachées d’illégalité ».
Bien entendu, lorsque les dispositions de l’ordonnance sont intervenues dans une matière relève cette fois du pouvoir réglementaire, l’autorité investie de ce pouvoir recouvre la faculté de les modifier ou de les abroger jusqu’à leur ratification par le Parlement. À l’instar des dispositions de l’ordonnance qu’il modifie ou abroge, le décret doit être pris en Conseil d’État et délibéré en conseil des ministres (CE, 30 juin 2003, Fédération nationale ovine du Sud-Est, requête n° 236571, rec. p. 292)
La solution posée par l’arrêt Conseil national de l’ordre des médecins constitue une exception à la jurisprudence Compagnie Alitalia selon laquelle l’administration est obligée de faire droit à une demande d’abrogation d’un acte réglementaire illégal, soit que ce règlement ait été illégal dès l’origine, soit que l’illégalité résulte d’un changement dans les circonstances de droit ou de fait (CE Ass., 3 février 1989, Compagnie Alitalia, requête n° 74052, rec. p. 44). Observons que, par la même occasion, le juge administratif semble se priver de la possibilité d’enjoindre à l’administration d’abroger les dispositions illégales d’une ordonnance non ratifiée. Si le Gouvernement souhaite modifier les dispositions de l’ordonnance non ratifiée intervenue dans le domaine législatif, il devra solliciter une nouvelle habilitation de la part du Parlement. Cette hypothèse est à rapprocher de la situation dans laquelle le Gouvernement ne peut de son propre chef, en dehors des limites de l’habilitation dont il dispose, procéder par ordonnance à l’abrogation de dispositions de forme législative adoptées postérieurement à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958 et portant sur une matière réglementaire (CE, 13 juillet 2006, France Nature Environnement, requête n° 286711, rec. p. 337).
Dorénavant le régime des ordonnances non ratifiées se singularise nettement de celui d’autres catégories d’actes de forme réglementaire intervenus dans le domaine réservé à la loi. Le Conseil d’État a ainsi pu admettre que le Premier ministre soit compétent pour abroger les dispositions devenues illégales d’un décret pris par le Président de la République sur le fondement du Sénatus-Consulte du 3 mai 1854 l’habilitant à agir comme « législateur colonial » dans des matières ressortissant, depuis 1958, du domaine de la loi (CE Ass., 20 décembre 1995, Vedel et Jannot, requête n° 132183, requête n° 142913, rec. p. 440). De la même façon, la Haute juridiction administrative a reconnu la compétence du Premier ministre pour abroger l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 relative aux publications étrangères, dont la rédaction est issue d’un « décret-loi » non ratifié et dont le contenu relève d’une matière législative aux yeux de la Constitution de 1958 (CE, 7 février 2003, Groupe d’information et de soutien des immigrés, requête n° 243634, rec. p. 30).
Outre le respect de la lettre de l’article 38 de la Constitution du 4 octobre 1958, la solution retenue par l’Assemblée du contentieux s’appuie sur le principe du parallélisme des compétences selon lequel l’autorité compétente pour modifier, abroger ou retirer un acte juridique est celle qui, à la date de la modification, de l’abrogation ou du retrait, est compétente pour prendre cet acte (CE Sect., 30 septembre 2005, Ilouane, requête n° 280605, rec. p. 402).