Voilà deux ans désormais que j’ai rejoint la Direction générale des services du Conseil départemental de la Mayenne. J’occupais auparavant les mêmes fonctions au Conseil départemental de la Charente.
Ces deux départements figurent dans la même strate des départements ruraux de 300/350 000 habitants. Ce qui m’a permis de comparer naturellement leurs grandes masses budgétaires.
Beaucoup d’indicateurs financiers s’inscrivent dans les mêmes tendances. L’un d’entre eux est malgré tout différent. C’est le volume des dépenses affectées au versement du RSA. Il y a deux fois moins de bénéficiaires du RSA en Mayenne qu’en Charente. Et ce constat n’est pas sans impact.
La Charente consacre autour de 70 millions pour payer l’allocation RSA quand la Mayenne verse près de 30 millions d’euros. Ce qui fait un différentiel de 40 millions d’euros. L’État compense globalement la moitié de cette dépense. La non-dépense au bénéfice du département de la Mayenne est donc d’une vingtaine de millions chaque année, ce qui offre des opportunités pour un décideur politique.
Preuve en est, le niveau exceptionnel de l’investissement porté par le Département de la Mayenne. On est à plus de 80 millions d’investissement par an ces dernières années pour 60 millions en Charente, ce qui est déjà un bon chiffre.
I. Les finances de la Mayenne épousent globalement les tendances structurelles observées depuis 20 ans…
II. … Cependant, dans le contexte d’une autonomie financière très relative des départements, le Conseil départemental de la Mayenne affiche sa singularité via le premier budget vert.
I. Les finances de la Mayenne épousent globalement les tendances structurelles observées depuis 20 ans…
A. Une forte hausse des dépenses de fonctionnement. Des départements « dépensiers » ?
On observe une croissance constante des dépenses de fonctionnement sur les 20 dernières années. Les départements seraient-ils donc « dépensiers » ? Pas si sûr !
1. Une hausse importante et continue des dépenses sur la première décennie
1.1 L’évolution la plus remarquable des dépenses des départements sur ces 20 dernières années est leur hausse importante et continue sur la période 2001 / 2009 avec un taux de croissance moyen de près de 8% par an.
Cette croissance est inhérente aux importants transferts de compétences aux départements en termes d’action sociale mais aussi de gestion de personnel, notamment des collèges et du réseau routier suite à l’acte II de la décentralisation de 2004. Difficile donc d’incriminer les départements dans leur gestion.
On observe une rupture de tendance au début du dernier mandat. Entre 2015 et 2018, les dépenses totales sont assez stables. Cela s’explique en partie par les transferts de compétences dans le domaine des transports scolaires qui sont intervenus en 2017 et 2018 des départements vers les régions.
Il n’est pas à exclure aussi que le gel de la DGF (dotation globale de fonctionnement) de 2014 à 2017 puis la mise en œuvre des « contrats » de Cahors à compter de 2018 aient aussi joué dans cette évolution. Nous y reviendrons dans quelques minutes.
1.2 Depuis 2019, les dépenses des départements sont réorientées à la hausse sans pour autant que cela puisse traduire une réelle tendance pour les années à venir puisque les raisons qui expliquent cette augmentation sont différentes selon les années.
C’est en priorité une relance des investissements qui a dynamisé les dépenses en 2019.
L’exercice 2020, lui, est marqué par l’impact de la crise sanitaire sur les dépenses de fonctionnement, avec notamment :
- une forte hausse liée à la hausse du nombre de bénéficiaires du RSA,
- l’achat par les départements de produits de première nécessité face à la COVID,
- le versement de primes aux personnels, notamment ceux des établissements médico-sociaux et des services d’aide à domicile.
Certains esprits critiques estimeront que cela tient aussi de la suspension des contrats de Cahors décidée en mars 2020 par l’année 2020, dernière année d’exécution des dits contrats.
1.3 En 2020, le fonctionnement concentre 85 % des dépenses totales des départements, l’investissement 15 %. La tendance générale est à une augmentation du poids des dépenses de fonctionnement ces vingt dernières années.
Cette tendance est la résultante de
- la forte hausse des charges au cours de la décennie 2001/2010
- de la baisse des investissements qui a caractérisé la majeure partie de la décennie 2011/2020.
En 2001, les dépenses d’investissement représentaient un peu plus de 30 % des dépenses. Il représente moins de 15% des dépenses en 2020. La hausse des dépenses de fonctionnement a impacté les capacités d’épargne brute, d’autofinancement des départements, ce qui a eu un impact sur leur capacité d’investissement.
Il convient malgré tout de signaler que le Département de la Mayenne se singularise par une préservation de ses marges avec une répartition de l’ordre de 75/25. Cette marge tient pour une part – comme on l’a dit – à un niveau de RSA faible.
Car…
2. La hausse des dépenses s’articule autour de celle des dépenses sociales sur lesquelles les Départements ont peu de marges de manœuvre.
2.1 Sur ces 20 dernières années, la composante principale des dépenses de fonctionnement est assez largement dédiée à l’action sociale. Les autres principales composantes occupent une part relativement stable sur la période, autour de 20% pour les dépenses de personnel et de 5% à la fois pour les contributions aux SDIS (services départementaux d’incendie et de secours) ainsi que pour les dépenses de fonctionnement dédiées aux collèges.
Les dépenses sociales ont guidé l’essentiel de la variation des dépenses des départements depuis 2001.
2.2 – L’impact des trois allocations individuelles de solidarité (AIS) sur cette tendance à la hausse est important.
- l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) créée en 2002
- la prestation de compensation du handicap (PCH) en 2006
- le revenu de solidarité active (RSA) en 2004 pour sa partie allocation (l’ancien RMI). La parte « insertion » relevait déjà des départements depuis 1989.
En complément de l’autonomie, du handicap et de l’insertion, la quatrième composante essentielle de l’action sociale départementale est la protection de l’enfance qui occupe une place significative.
Représentation des dépenses sociales BP 2022 CD 53
Prévention et Protection de l’enfance | 40,7 |
Insertion et Action sociale de proximité | 32,3 |
Dont RSA | 25,8 |
Autonomie | 98,4 |
Dont APA | 28,3 |
Dont PCH | 6,4 |
Total | 171,4 |
B. Le panel des recettes allouées aux Départements a beaucoup évolué depuis les années 2000.
1. La part prise par les impôts indirects (impôts et taxes sur lesquels les Départements n’ont pas de pouvoir de taux) est devenue prépondérante.
1.1 Le poids des impôts indirects a régulièrement augmenté depuis le début des années 2000. Cette tendance réduit d’autant l’autonomie fiscale des départements.
- En 2001, les impôts directs représentaient encore un peu plus de 50% des recettes de fonctionnement et les impôts indirects étaient autour de 15%.
- En 2021, c’est environ 65% des recettes de fonctionnement qui seront composées d’impôts indirects alors que les impôts directs passeront en deçà de 8%.
1.2 La tendance à la baisse des impôts directs fait suite à 3 réformes fiscales :
- En 2004 : réduction de la part départementale sur le foncier non bâti et la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle
- En 2010 avec la suppression de la taxe professionnelle
- En 2021 avec la suppression de la taxe d’habitation accompagnée pour les départements du transfert du foncier bâti aux communes.
1.3 La hausse du poids des impôts indirects s’explique aussi au travers de nouvelles recettes reçues depuis les années 2000 :
- la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), anciennement TIPP,
- la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA)
- un complément du produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), les « frais de notaire », qui ont par ailleurs connu une croissance importante,
- une fraction de taxe sur la valeur ajoutée suite au transfert du foncier bâti aux communes
2. Sur les vingt dernières années, la tendance à la hausse des DMTO est marquée. Elle est malgré tout très liée à la conjoncture économique.
2.1 La croissance des DMTO a marqué les deux décennies.
Les DMTO ont globalement bien résisté en 2020 avec cependant des évolutions très hétérogènes selon les collectivités. Ils ont atteint un nouveau record en 2021.
CA 2019 | 31,0 |
CA 2020 | 34,5 |
CA 2021 | 45,3 |
BP 2022 | 37,0 |
2.2 Plusieurs facteurs se combinent pour expliquer cette dynamique :
- le prolongement des premiers comportements d’achat résultant de la crise sanitaire, que certains nomment de manière schématique « exode urbain »,
- des prix immobiliers considérés comme élevés dans beaucoup de territoires,
- la faiblesse persistante des taux d’intérêt,
- le gonflement de l’épargne des ménages, notamment les plus aisés, au cours de la crise sanitaire.
L’évolution 2020 avait été une des plus importantes de France, la Mayenne figure parmi les 9 départements où les recettes immobilières ont progressé de plus de 8%.
C. Après une décennie de baisse, la dynamique des investissements a repris depuis 2018
1. Les investissements sont des dépenses vertueuses.
Les investissements sont communément considérés comme des dépenses vertueuses puisqu’ils participent du maintien voire du développement du tissu économique local et régional.
1.1 Un dernier mandat contrasté
Le mandat qui vient de se terminer peut-être divisé en deux périodes En début de mandat (2015 à 2017), les investissements départementaux ont diminué chaque année, dans le prolongement de ce qui a été observé tout au long du précédent mandat. À partir de 2018, les investissements départementaux sont repartis à la hausse. La Mayenne s’inscrit totalement dans cette dynamique.
La Mayenne se singularise d’ailleurs par un niveau d’investissement de 57% supérieur à la moyenne de sa strate.
1.2 Sur chacun des trois mandats, l’épargne nette ou autofinancement est en moyenne la principale source de financement des investissements, suivie des emprunts puis des dotations et subventions.
1.3 Sur le dernier mandat (2015/2021), l’épargne nette a permis de financer la moitié des investissements réalisés par les départements.
2. L’endettement des départements est limité. La dette ne finance que les dépenses d’investissements, dépense qui sont autofinancées à hauteur de 70%.
2.2 Après une décennie de hausse, l’encours de dette a diminué au cours du dernier mandat hormis en 2020 ; le délai de désendettement reste globalement satisfaisant
Le poids de la dette de la Mayenne se situe à moins de la moitié de celle de la strate.
La capacité de désendettement du CD de la Mayenne se situe au 3ème rang sur 27 des départements de la strate.
I. Les finances de la Mayenne épousent donc globalement les tendances structurelles observées depuis 20 ans… Des dépenses sociales sur lesquelles les départements n’ont que peu de prise car définies par le législateur. Des recettes sur lesquelles les départements n’ont plus d’influence car ils ne bénéficient plus d’impôts directs.
II. Dans le contexte d’une autonomie financière très relative des départements, le Conseil départemental de la Mayenne affiche sa singularité via le premier budget vert
A. Malgré le principe constitutionnel d’autonomie des finances locales, les Départements ne sont que partiellement maitres de leurs dépenses et de leurs recettes.
1. La baisse des concours financiers de l’État.
La participation des collectivités à la maîtrise des finances publiques prend notamment, depuis 1996, la forme de mécanismes d’encadrement des concours financiers de l’État.
Entre 2014 et 2017, la contribution au redressement des finances publiques a conduit à une réduction des concours financiers aux collectivités, via une baisse de la dotation globale de fonctionnement, à hauteur de 9,2 Md€.
2. Les Contrats de Cahors
Dans la même logique mais en se tournant cette fois côté dépenses, la démarche de contractualisation entre l’État et les collectivités, initiée lors de la conférence nationale des territoires (CNT) tenue en 2017 à Cahors, visait à associer les collectivités à la maîtrise de la dépense publique.
Les collectivités territoriales étaient intégrées à l’objectif de ralentissement de la croissance de la dépense publique des administrations. Il leur avait été demandé, pour le quinquennat, de réaliser des économies à hauteur de 13 Md€ en dépenses de fonctionnement par rapport à leur évolution spontanée, soit 2,6 Md€ chaque année sur la période 2018/2020
En contrepartie de l’effort demandé aux collectivités, l’État garantissait la prévisibilité et la stabilité de ses concours financiers, renonçant aux baisses de DGF mises en œuvre entre 2014 et 2017.
La contractualisation de la trajectoire financière visait les 322 collectivités (régions, départements, EPCI et communes) dont le budget principal dépassait 60 M€. Tous les départements étaient donc concernés. Les contrats conclus entre les collectivités et l’État fixaient un objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement compris entre +0,75 % et +1,65 %, en tenant compte des spécificités locales. Celles qui dépassaient l’objectif en dépenses se voyaient appliquer une reprise financière sur les dotations versées par l’État.
Sur les 322 collectivités concernées, 229 ont conclu un contrat avec l’État, soit 71 % d’entre elles. Les autres se voyaient notifier par arrêté préfectoral un taux annuel d’évolution non négocié.
Au final, si la mise en œuvre de ce pacte n’a pu aller jusqu’à son terme, du fait de l’avènement de la crise sanitaire en 2020, cette nouvelle approche semble avoir généré la limitation de l’évolution des dépenses de fonctionnement. Pour les 322 collectivités concernées par la contractualisation, l’évolution a même été négative (-0,2 %). Pour l’ensemble des collectivités, ces dépenses ont progressé de seulement +0,3 % en 2018.
3. Autre réforme récente qui met à mal l’autonomie fiscale des Département c’est la fin du foncier bâti pour les départements.
Cette réforme ne va pas dans le sens d’une visibilité accrue pour les départements. À partir de 2022, il est prévu que la fraction de TVA dédiée à chaque département varie en fonction de l’évolution annuelle de la TVA à l’échelle nationale. Cette évolution dépend directement, contrairement au foncier bâti, de la vitalité de l’économie. Le passé récent, typiquement les chocs intervenus sur la TVA en 2009 et 2020 à la suite de crises financière et sanitaire illustrent qu’une application mécanique de cette évolution pourrait mettre en difficulté les finances départementales certaines années, essentiellement en période de récession. Cette dernière représente pour la Mayenne près de 61 M€ au budget 2022, ce qui est loin d’être négligeable.
Et inversement, les départements ne disposent plus du pouvoir de taux qui caractérisait le foncier bâti. Ce levier fiscal a pu être mobilisé dans le passé en cas de fortes augmentations de dépenses ou de diminutions de recettes.
4. Les compensations
Les départements ont vu leurs recettes fiscales progressivement compensées avec les réformes successives intervenues en matière de fiscalité directe locale. Ces compensations aux noms évocateurs : dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) ou Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) ont permis de maintenir le niveau de ressources antérieur sans possibilité toutefois de l’élever. Les compensations ont tendance à s’édulcorer avec le temps car dé-correlées bien souvent de l’inflation ou de l’augmentation des dépenses sociales qu’elles sont censées compenser.
Pour conclure, le ratio d’autonomie fiscale en 2015 était de :
Bloc communal 41,1 % -Départements 22,6 % – Régions 9,2 %
Ce ratio d’autonomie fiscale pour 2022 sera de :
Bloc communal 38,3 % – Départements 1,7 % – Régions 9,2 %
B. Le Budget Vert : vers une nouvelle donne en termes de lecture et d’analyse financière
La fin des années 2000 avait été marquée par l’introduction au sein des collectivités importantes d’une nouvelle approche de la performance publique avec les démarches de type LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) dans laquelle la Mayenne a joué un rôle de précurseur au sein des départements. Cette nouvelle Gouvernance lui a permis de créer de nouveaux outils pour assurer une meilleure compréhension et accroître la lisibilité de son action face à l’accroissement des dépenses et à la stagnation des recettes). L’idée qui en ressort : trouver des marges de manœuvre et dessiner une vision pluriannuelle (notamment en investissement), en clair être plus efficient.
Cette démarche s’est traduite notamment par une architecture budgétaire du Département totalement rénovée avec une segmentation stratégique développée en missions, programmes, actions et la remise à plat de la stratégie de l’ensemble des politiques publiques mais aussi par une révision complète du cycle budgétaire qui prend désormais appui sur la réalisation du budget précédent et des objectifs pour l’exercice suivant déclinés au sein de projets annuels de performance (PAP).
La démarche innovante conduite en matière de budget vert se fonde de la même façon sur cette idée que le Département se doit de jouer la carte de l’innovation et de la performance. S’étant fixé comme objectif d’être le 1er département bas carbone à travers de nouvelles actions innovantes, l’idée de mesurer l’impact environnemental de ses actions a été assez naturelle et logique.
Il constitue ainsi un véritable outil pédagogique à destination des élus, agents et des Mayennais, dans une dynamique d’amélioration continue, tant en termes d’impact direct que concernant la méthode d’évaluation retenue pour mesurer cet impact. Le but est de tracer un chemin vertueux et de mesurer, année après année, la progression du Département sur ce chemin
En recherchant des améliorations pour que cet impact soit le plus favorable, le budget vert constitue un outil d’aide à la décision dans une démarche positive et vertueuse. Idéalement, chaque fois qu’une décision est prise, son impact sur l’environnement doit être connu. Si cet impact est négatif ou insuffisamment positif, se pose alors collectivement la question de comment le réduire ou l’améliorer.
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