Chapitre II- Les voies de recours spéciales
Le recours en interprétation. Les soucis d’intelligibilité et d’accessibilité que nourrit la juridiction administrative ne suffisent pas toujours à permettre d’appréhender avec certitude les implications de ses décisions. Un recours en interprétation existe afin de lever la difficulté. Les – seules – parties à l’instance ayant donné lieu à la décision (CE, 4 juill. 2001, Marza, requête numéro 235295, Rec., T., p. 1087) disposent de la faculté de saisir, sans condition de délai, la juridiction ayant statué (CE, Sect., 28 janv. 1966, Sté « La Purfina française », requête numéro 60273, Rec., p. 68). Il importe logiquement que la décision à exécuter soit ambiguë ou obscure, à peine d’irrecevabilité du recours (CE, 13 mars 2013, Département du Tarn-et-Garonne, requête numéro 339943, Rec., T., p. 759).
Le recours dans l’intérêt de la loi. Il arrive qu’une décision juridictionnelle soit entachée d’une irrégularité qui, bien que n’ayant pas été remise en cause par les parties, mérite néanmoins d’être condamnée. Il en va ainsi, par exemple, lorsque la décision repose sur l’interprétation erronée d’un texte, même pertinent, dont le juge devait faire application (CE, 23 juin 2000, Ministre de l’Equipement, des Transports et du Logement, requête numéro 201780, Rec., p. 238) ou lorsque la décision fait une application, même pertinente, d’un texte inapproprié (CE, 23 juill. 1976, Secrétaire d’État aux PTT c. Dame Ruffenach, requête numéro 99520, Rec., p. 361). A cet égard, seul un moyen de pur droit est opérant dans le cadre de ce recours (CE, 25 févr. 2015, Ministre de la Défense, requête numéro 383015, Rec., T.). La finalité du recours dans l’intérêt de la loi est de permettre que la décision définitive (CE, 26 juill. 1978, Ministre de l’Economie et des Finances, et ministre de la Défense c. Veuve Pons, requêtes numéros 100091 et 11364, Rec., T., p. 925) ne soit pas considérée comme un précédent et ne soit pas prise en considération dans les affaires à venir. On comprendra aisément, dès lors, que ce recours soit ouvert à chaque ministre juridiquement intéressé (CE, 3 déc. 1965, Secrétaire d’Etat au Budget c. Mourgues, requête numéro 63669, Rec., p. 656), sans condition de délai et même sans texte, devant toutes les juridictions souveraines (CE, 1er oct. 1997, Ministre de la Défense c. Martin, requête numéro 180661, Rec., p. 324), à l’encontre aussi bien du dispositif que des motifs (CE, Sect., 12 juin 1959, Ministre des Affaires économiques et financières c. Filaire, requête numéro 40007, Rec., p. 365 ; AJDA 1959, 2, p. 191, concl. H. Mayras) sans possibilité pour le juge de procéder à une substitution de motifs (CE, Sect., 19 mars 1971, Ministre d’Etat chargé de la Défense nationale, requête numéro 79460, Rec.¸ p. 230). On comprendra tout autant que, eu égard à la finalité de ce recours, la sanction de l’irrégularité doive rester purement doctrinale et ne doive exercer d’influence sur la situation des parties à l’instance initiale, et que, dépourvues de l’autorité de la chose jugée, les ordonnances rendues en référé ne peuvent être ainsi contestées par les ministres (CE, 14 sept. 2007, Ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, requête numéro 300911, Rec., T., p. 1050). En revanche, se faut-il qu’il soit jaloux du crédit à donner à ses propres décisions que le Conseil d’Etat admette la recevabilité de ce recours devant lui, mais non à l’encontre de ses propres décisions (CE, 31 janv. 1996, Ministre de l’Equipement, requête numéro 160446, Rec., p. 26) ? Lorsque l’on sait que les recours en révision et en rectification d’erreur matérielle sont ouverts contre les décisions du Conseil d’Etat (infra), on ne comprend pas en quoi le recours dans l’intérêt de la loi soit ainsi écarté et la justification d’un tel principe mériterait – ce que le Conseil d’Etat n’a pas jugé utile de faire – d’être donnée.
Par delà les recours en interprétation et dans l’intérêt de la loi. Même si leur existence méritait d’être rappelée, le recours en interprétation et le recours dans l’intérêt de la loi sont statistiquement les moins importants des voies de réformation spéciales, qui explique au demeurant qu’elles soient peu connues. D’autres voies de recours sont davantage utilisées, le requérant pouvant avoir été absent à l’instance initiale (Section 1), cette instance initiale pouvant par ailleurs s’être déroulée dans des conditions irrégulières (Section 2).
Section 1 – Les voies de recours pour absence à l’instance initiale
L’influence du principe de la contradiction. Une personne à qui une décision juridictionnelle préjudicie sans qu’elle ait préalablement fait valoir ses observations est, en principe, en droit d’en demander le rejugement par la voie de l’opposition (Sous-section 1) ou de la tierce opposition (Sous-section 2) suivant qu’elle a ou non effectivement participé à l’instance.
Sous-section 1 – L’opposition
Définition. Il est parfois superflu, pour expliciter une notion, de trouver d’autres termes que ceux retenus par le code de justice administrative. C’est le cas de l’opposition : aux termes de l’article R. 831-1 du code de justice administrative, « toute personne qui, mise en cause par la cour administrative d’appel ou le Conseil d’Etat, n’a pas produit de défense en forme régulière est admise à former opposition à la décision rendue par défaut, sauf si celle-ci a été rendue contradictoirement avec une partie qui a le même intérêt que la partie défaillante ». Tout est dit ici, qui ne fait appel qu’à quelques précisions complémentaires, tant en ce qui concerne les décisions susceptibles d’opposition (§ 1) que l’exercice de cette voie de recours (§ 2).
§ 1 : Les décisions susceptibles d’opposition.
Une règle générale de procédure. Le droit de former opposition contre une décision juridictionnelle rendue par défaut (CE, Ass., 9 juin 1939, Caubet, requête numéro 66857, Rec., p. 382) est au nombre des règles générales de procédure (CE, 12 oct. 1956, Desseaux, requête numéro 813, Rec., p. 364 ; RDP 1957, p. 115, concl. C. Lasry). Aussi bien, l’opposition est recevable tant qu’une disposition législative ni réglementaire n’en décide pas autrement. C’est ainsi que l’opposition à l’encontre des jugements et ordonnances rendus par les tribunaux administratifs est exclue (CJA, art. R. 831-6). Il n’y a là d’ailleurs rien de choquant dès lors, d’une part, qu’il importe de ne pas favoriser les comportements dilatoires, d’autre part, qu’une partie défaillante devant le tribunal administratif peut interjeter appel du jugement qui lui est défavorable.
Des décisions rendues par défaut. Le défaut suppose que la partie a été mise en cause et qu’elle n’a produit de défense en forme régulière. Une décision est ainsi rendue par défaut lorsque le défendeur n’a pas eu communication du dossier du recours et n’a donc pas été mis en mesure de présenter ses observations (CE, 29 juill. 1983, M. X., requête numéro 41836). Reste toute autant rendue par défaut et peut faire l’objet d’une opposition – ce qui peut davantage surprendre – une décision alors même que le défendeur a été invité à plusieurs reprises par la juridiction à présenter ses observations (CE, 9 janv. 1991, Aouad, requête numéro 115846, Rec., p. 9). Lorsque des observations ont été produites à l’instance, encore faut-il que celles-ci l’aient été en forme régulière, ce qui n’est pas le cas par un mandataire non fondé à représenter la défenderesse (CE, 29 mars 1957, Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, requêtes numéros 34077 et 34078, Rec., p. 227) ou encore une personne non habilitée par la personne morale qu’elle est réputée représenter (CE, 23 janv. 1959, Commune d’Huez, requêtes numéros 39532 et 39793, Rec., p. 67). En revanche, la circonstance qu’une commune n’ait produit qu’un mémoire, devant la cour administrative d’appel, tendant principalement à ce que cette juridiction décline sa compétence, avant que celle-ci ne transmette la requête au Conseil d’Etat ne constitue pas un cas de décision rendue par défaut (CE, 28 juill. 1999, Commune de Bonne-sur-Ménoge, requête numéro 189193, Rec., T., p. 991).
Le cas de la décision contradictoire visant une partie ayant le même intérêt. A la lecture de l’article R. 831-1 du code de justice administrative, il ressort que la voie de l’opposition est fermée lorsque le jugement a été rendu contradictoirement à l’égard d’une autre partie ayant le même intérêt que la partie défaillante. Ainsi, si deux parties avaient déféré au tribunal le même acte, la décision de la juridiction statuant en appel rendue contradictoirement à l’égard de l’une ferme la voie de l’opposition à l’autre, les deux parties ayant eu le même intérêt à agir (CE, 20 févr. 1980, Schwetzoff, requête numéro 04509, Rec., p. 101). Il existe encore identité d’intérêt entre l’auteur d’une décision administrative et son bénéficiaire (CE, 22 juill. 1992, Cazaux, requête numéro 121041, Rec., T., p. 1265).
§ 2 : L’exercice de l’opposition
Le délai pour former opposition. L’opposition est recevable dans un délai de deux mois à compter de la notification (CJA, art. R. 831-2 al. 2), ou – même si le code ne le précise pas – de la signification de la décision rendue par défaut. Les délais de distance organisés en matière d’appel sont applicables à l’opposition (CJA, art. R. 831-3).
Les autres conditions de recevabilité. Les autres conditions de recevabilité ne dérogent pas au droit commun. L’article R. 831-4 du code de justice administrative renvoie aux dispositions applicables en matière d’introduction de l’instance d’appel ou de cassation, suivant la juridiction dont s’agit. Deux moyens au moins doivent figurer dans la requête : le premier démontrant que la décision initiale a bien été rendue par défaut ; le second étant soulevé à l’appui des conclusions tendant à la rétractation de cette décision (CE, 28 févr. 1990, Département de l’Ille-et-Vilaine, requête numéro 99831, Rec., T., p. 946). On soulignera que l’opposition tend au rejugement de la même affaire et ne saurait à ce titre excéder le cadre du débat initial. Il a ainsi été jugé que, en tant qu’elles sont étrangères à l’objet du recours en opposition, les conclusions relatives à la capitalisation des intérêts échus ne sont pas recevables (CE, 30 juin 1993, Syndicat des copropriétaires du 67 rue de la Convention à Paris 15, requête numéro 104469, Rec., T., p. 990). On soulignera encore que, en tant qu’elle défend le maintien de la décision juridictionnelle contre laquelle il a été fait opposition, la partie défenderesse ne saurait présenter des conclusions ou moyens autres que ceux sur lesquels la juridiction doit se prononcer à la demande de l’opposant (CAA Versailles, 5 janv. 2012, Sté nouvelle Issy Decor, requête numéro 10VE01089 ; JCP adm. 2012, 2095, note J.-P. Markus).
La procédure et le jugement. Ici encore, la procédure à suivre reste celle du droit commun, l’article R. 831-4 du code de justice administrative renvoyant à l’application de ses livres 6 (procédure) et 7 (jugement). L’exercice de l’opposition n’emporte pas, en principe, le sursis à exécution de la décision rendue par défaut, l’article R. 831-2 du code de justice administrative disposant que « l’opposition n’est pas suspensive, à moins qu’il en soit autrement ordonné ».
Les conséquences de l’opposition. L’article R. 831-5 du code de justice administrative énonce que « la décision qui admet l’opposition remet, s’il y a lieu, les parties dans le même état où elles étaient auparavant ». La décision litigieuse sera alors déclarée non avenue (CE, 9 janv. 1959, Ville de Nice, requête numéro 42631, Rec., p. 26) et le juge de retenir à la suite la même solution (CE, 12 juill. 1995, Commune de Margency, requête numéro 106882) ou de retenir une solution partiellement (CE, 29 déc. 1993, Soldaini, requête numéro 104774) ou totalement contraire (CE, 7 avr. 1995, Bernard, requête numéro 144624).
Sous-section 2 – La tierce opposition
Définition. La tierce opposition est une voie de recours ouverte à ceux qui ont été ni parties ni intervenants dans une instance ayant donné lieu à une décision juridictionnelle préjudiciant à leurs droits. Elle est exercée devant la juridiction de laquelle émane la décision litigieuse (CE, 10 déc. 1975, Union des commerçants de Saint-Nazaire et a., requêtes numéros 99357 et 99362, Rec., p. 640). Les conditions de recevabilité (§ 1) et les conséquences de l’admission de la tierce opposition (§ 2) diffèrent partiellement de l’opposition.
§ 1 : Les conditions de recevabilité de la tierce opposition
Un recours généralisé. L’article R. 832-1 du code de justice administrative dispose que « toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu’elle représente n’ont été présents ou régulièrement appelés dans l’instance ayant abouti à cette décision ». La tierce opposition n’est cependant pas ouverte que contre les seules décisions rendues par les juridictions administratives générales : contrairement à l’opposition, la voie de la tierce opposition est ouverte, sans texte, contre les décisions de toute juridiction administrative (CE, 3 nov. 1972, Dame de Talleyrand-Périgord, requêtes numéros 77508 et 77816, Rec., p. 707). Il importe même de préciser que ce recours est ouvert quel que soit le contentieux concerné. En effet, revenant sur sa jurisprudence antérieure (CE, 8 déc. 1899, Ville d’Avignon, Rec., p. 719, concl. H. Jagerschmidt), le Conseil d’Etat a étendu cette faculté de former tierce opposition aux décisions juridictionnelles rendues en excès de pouvoir (CE, 29 nov. 1912, Boussuge, requête numéro 45893, Rec., p. 1128, concl. L. Blum). La jurisprudence ultérieure a également consacré cette faculté en matière d’appréciation de légalité (CE, 8 nov. 1961, Commune de Sospel, requête numéro 46652, Rec., p. 633) et de référé (CE, Sect., 18 juin 1982, SA Bureau Veritas, requête numéro 28536, Rec., p. 240, concl. J. Biancarelli).
Un recours formé par un tiers à l’instance initiale. La tierce opposition doit émaner d’une partie n’ayant été ni mise en cause ni régulièrement représentée dans l’instance initiale (CE, Ass., 21 janv. 1938, Cie des chemins de fer P.L.M., requête numéro 54723, Rec., p. 70, concl. P.-L. Josse). Il en résulte que le demandeur initial ne saurait devenir tiers opposant (CE, Sect., 23 févr. 1968, Perdereau, requêtes numéros 65466, 71207, 71208 et 72096, Rec., p. 136) sauf à ce qu’il n’ait pas été régulièrement représenté. C’est ainsi qu’un mari n’est pas représenté par son épouse (CE, Sect., 15 mai 1936, Epoux Reynard, requêtes numéros 34966 et 34967, Rec., p. 543), et réciproquement… La solution vaut également pour le défendeur. Deux débiteurs solidaires par exemple se représentent ainsi mutuellement (CE, 19 mars 1956, Jean, requête numéro 76745, Rec., p. 130). Par delà, ne saurait être considéré comme tiers à l’instance la personne ayant adressé à la juridiction une défense ou des observations (CE, 5 déc. 2007, Winling, requête numéro 270717, Rec., T., p. 1049). Une partie mise en cause mais restée défaillante au cours de l’instance initiale ne peut former tierce opposition (CE, 11 mai 2001, Sté Télé Caraïbes International Guadeloupe et Sté Télé Caraïbes International Martinique, requête numéro 188219), ce qui explique le réflexe du juge de recourir à l’appel en déclaration de jugement commun, afin de fermer la voie de la tierce opposition.
L’exigence d’un droit lésé. La tierce opposition ne peut être exercée qu’à l’encontre de décisions juridictionnelles préjudiciant aux droits du tiers. Pour dire les choses autrement, parce que la décision a préjudicié à ses droits, le tiers aurait dû être appelé dans la cause afin de pouvoir utilement faire valoir ses arguments. Il en résulte qu’une décision de rejet n’est en principe pas susceptible de faire l’objet d’une tierce opposition dès lors qu’elle n’est pas réputée préjudicier aux droits du tiers (CE, 5 janv. 1951, Dame Guiderdoni, requêtes numéros 367 et 2210, Rec., p. 5). En toute hypothèse, la lésion s’apprécie au regard du dispositif de la décision et non au regard des motifs retenus par la juridiction (CE, Ass., 29 nov. 1929, Baumann, requête numéro 83104, Rec., p. 1061). On le comprend aisément, la décision d’annulation d’un règlement est susceptible de tierce opposition par toute personne ayant un intérêt au maintien de celui-ci (par ex., CE, Sect., 8 juill. 1955, Ville de Vichy, requête numéro 4383, Rec., p. 396). L’annulation de la délibération habilitant l’exécutif d’une collectivité territoriale à acquérir une propriété privée, sans que le cédant n’ait été appelé à l’instance, fonde celui-ci à former tierce opposition contre le jugement (CE, 2 juill. 2014, M. Gérin et a., requête numéro 366150, Rec., T., p. 820). En revanche, ne faisant pas naître un certificat d’urbanisme positif, l’annulation d’un certificat d’urbanisme négatif n’est pas susceptible de tierce opposition (CE, 5 avr. 2006, Dupont et a., requête numéro 275742, Rec., T., p. 1042).
Tierce opposition ou intervention en appel ? Un jugement est rendu qui préjudicie aux droits d’un tiers, qui entend le contester. Deux cas de figure doivent être distingués. Soit aucun appel n’a été interjeté, la tierce opposition est alors recevable. Soit le jugement a déjà été frappé d’appel, la tierce opposition devient alors irrecevable. Le choix est laissé au tiers, qui peut intervenir en appel ou former tierce opposition contre l’arrêt qui sera rendu à l’issue de l’appel (CE, 2 juill. 2014, M. Gérin et a., requête numéro 366150, préc.).
Le délai de recours. L’article R. 832-2 du code de justice administrative dispose que la personne à qui la décision été régulièrement notifiée ou signifiée ne peut former tierce opposition que dans le délai de deux mois à compter de cette notification ou de cette signification. Les délais de distance sont par ailleurs opposables (CJA, art. R. 832-4). Par dérogation, la tierce opposition contre une ordonnance en matière de constat est de 15 jours (CJA, art. R. 531-1). Si la décision n’a pas été régulièrement divulguée, le délai ne court pas même si le tiers opposant a eu par ailleurs connaissance de cette décision (CE, 8 janv. 1958, Consorts de Batz de Tranquelléon, requête numéro 31224, Rec., p. 18). Il en résulte des situations parfois peu commodes : l’arrêt de 1911 qui a donné lieu à la décision Boussuge a fait l’objet d’une tierce opposition qui fut jugée par le Conseil d’Etat en 1953 (CE, Sect., 29 juill. 1953, Minart et Chambre syndicale des approvisionneurs cautionnés aux Halles, requête numéro 75997, Rec., p. 408)! L’on comprend, dans ces conditions, et eu égard au souci de sécurité juridique qui l’anime, qu’il soit loisible au juge d’ordonner dans son jugement la mise en œuvre des mesures de publicité prévues, par exemple, par le I de l’article R. 512-39 du code de l’environnement lorsqu’il délivre une autorisation d’exploiter une installation classée (CE, 29 mai 2015, Association Nonant Environnement, requête numéro 381560, Rec.). Encore faut-il rappeler ici que le code de justice administrative ne s’applique qu’aux juridictions administratives générales. Dès lors, pour les autres juridictions, un texte doit organiser le délai. A défaut, la tierce opposition peut être formée à tout moment.
§ 2 : Les conséquences de l’admission de la tierce opposition
Les moyens examinés. Parce que la tierce opposition, qui peut être jugée sans instruction préalable (CE, 20 oct. 1972, Dame Zanardi, requête numéro 84094, Rec., p. 663), ne remet en cause la décision juridictionnelle que dans la mesure des moyens développés par le tiers opposant, la juridiction saisie de ce recours n’examine que ces moyens (CE, Sect., 3 juill. 1959, Ministre des Travaux publics et SNCF c. Sté des Produits alimentaires et diététiques et Association nationale des propriétaires et usagers d’embranchements particuliers, requêtes numéros 16358 et 31455, Rec., p. 422 ; RDP 1960, p. 665, note M. Waline).
La décision de la juridiction. Si la tierce opposition n’est pas fondée, elle est, comme on peut s’en douter, rejetée par le juge (CE, Ass., 5 févr. 1926, Boussuge et autres, requête numéro 45893, Rec., p. 127). En cas d’admission de la tierce opposition, le juge déclare non avenue en tout ou partie la décision litigieuse. Si la décision contre laquelle il a été formé tierce opposition a également été l’objet d’un recours en appel ou en cassation par l’une des parties initiales, l’admission de la tierce opposition conduit nécessairement au non-lieu de l’appel ou du pourvoi, celui-ci devenant sans objet (CE, 28 juill. 1999, Ministre de l’agriculture, de la pêche, et de l’alimentation, requête numéro 116353). La tierce opposition étant une voie de rétractation, le principe d’impartialité n’est pas méconnu lorsque la décision est rendue par les mêmes juges que ceux ayant rendu la décision initiale (CE, 10 déc. 2004, Sté Resotim, requête numéro 270267, Rec., p. 853).
Section 2 – Les voies de recours pour irrégularité de l’instance initiale
Deux voies de recours. Deux voies de rétractation sont organisées afin de régler les difficultés nées de l’irrégularité de l’instance initiale. La première est le recours en révision (Sous-section 1), qui a vocation à permettre le rejugement de l’affaire dans certaines hypothèses qui, toutefois, restent limitées. La seconde est le recours en rectification d’erreur matérielle (Sous-section 2), qui permet d’obtenir de la juridiction qu’elle rectifie les erreurs qu’elle aurait commises lors de l’instance initiale et qui auraient exercé une influence sur l’issue du litige.
Sous-section 1 – Le recours en révision
Définition. Connu du contentieux administratif depuis le décret du 22 juillet 1806, le recours en révision est une voie de rétractation permettant la remise en cause d’une décision contradictoire définitive, qui permet d’obtenir de la juridiction qu’elle instruise et qu’elle juge de nouveau l’affaire.
Un recours à présent ouvert par défaut. A rebours des autres voies de réformation spéciales, le recours en révision n’était traditionnellement ouvert qu’à la condition d’être expressément prévu par un texte (CE, 20 oct. 1954, Bougeard, requête numéro 25196, Rec., p. 544), et son exercice, pour les avocats, en dehors des cas prévus était passible, jusqu’à la loi du 10 juillet 1991, de sanctions (sur ce point, B. Pacteau, « La suppression des sanctions envers les avocats pour avoir présenté d’injustifiés recours en révision devant le Conseil d’Etat », RFDA 1992, pp. 485 et s.). Tout ceci peut expliquer la parcimonie avec laquelle un tel recours a pu longtemps être exercé. Rares sont en contentieux administratif, en effet, les hypothèses pour lesquelles le recours en révision est organisé. Sont d’une part visées les décisions rendues par le Conseil d’Etat (CJA, art. R. 834-1) et celles rendues par le président de la section du contentieux (CE, 7 mars 1990, M. Robert, requête numéro 112296, Rec., p. 61). Sont d’autre part visées les décisions rendues certaines juridictions dont la cour de discipline budgétaire et financière (CJF, art. L. 315-3), la Cour des comptes (CJF, art. R. 143-1), les chambres régionales des comptes (CJF, art. L. 243-2), la Cour nationale du droit d’asile (CESEDA, art. R. 733-6), et certaines décisions rendues par la chambre disciplinaire qui interdisent à un praticien d’exercer ou le radient du tableau de l’ordre (CSP, art. R. 4126-53). Le principe a cependant vécu. Depuis une décision Serval du 16 mai 2012, un tel recours peut être exercé à l’encontre de toute décision rendue par une juridiction administrative spécialisée (CE, Sect., 16 mai 2012, Serval, requête numéro 331346, Rec., p. 225 ; AJDA 2012, p. 1397, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA 2012, p. 730, concl. C. Roger-Lacan). Aux conclusions contraires sur ce point du rapporteur public Cyril Roger-Lacan, le Conseil d’Etat n’a pas été jusqu’à admettre le recours en révision devant toute les juridictions. Pour dire les choses autrement, il est loisible au pouvoir réglementaire d’écarter devant certaines juridictions, la possibilité d’exercer un recours en révision, à l’instar des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CE, Sect., 5 déc. 1997, Ovet, requête numéro 159707, Rec., p. 459 ; AJDA 1998, p. 107, chron. T.-X. Girardot et F. Raynaud).
Un encadrement nécessairement strict. Le recours en révision est volontiers présenté comme le moyen d’attenter à l’autorité de la chose jugée. On ne voit cependant pas en quoi il le serait davantage que les autres voies de réformation spéciales. Il n’en demeure pas moins que, eu égard à cette considération, les cas d’ouverture (§ 1) et les conditions de recevabilité (§ 2) du recours en révision ont pour effet de limiter la faculté de le mettre en œuvre.
§ 1 : Les cas d’ouverture
L’énumération des cas d’ouverture. La liste des cas d’ouverture est exhaustive. L’article R. 834-1 du code de justice administrative dispose que le recours en révision peut être exercé dans trois cas : si la décision a été rendue sur pièce fausse ; si la partie a été condamnée faute d’avoir produit une pièce décisive qui était retenue par son adversaire ; si la décision est intervenue sans qu’aient été observées les dispositions du code de justice administrative relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu’à la forme et au prononcé de la décision.
Décision rendue sur pièce fausse. Le premier cas d’ouverture est celui de la décision rendue sur pièce fausse. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une hypothèse d’école, le Conseil d’Etat n’ayant semble-t-il jamais révisé une de ces décisions sur ce fondement. Le faux doit être entendu au sens du droit pénal (CE, 17 juin 1921, Manrot c. Commune de Chantelle, requête numéro 52764, Rec., p. 607). L’article 441-1 du code pénal se contente de définir le faux comme « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quel que moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ». Il peut ainsi s’agir, d’une part, d’un faux matériel, fruit par exemple d’une falsification de document (par ex., Cass. crim., 15 nov. 1982, Bull. crim. 252), de l’apposition d’une fausse signature (Cass. crim., 13 oct. 1999, numéro 99-81107, Bull. crim. 218) ou encore d’un écrit réalisé à main guidée (Toulouse, 20 mars 1973, D. 1974, somm. 79). Il peut s’agir, d’autre part, d’un faux intellectuel, consistant dans un défaut de véridicité (par ex., Cass. crim., 5 févr. 2008, numéro 07-84.724 ). Dans tous les cas, l’existence du faux doit être constatée, en révision, par le Conseil d’Etat, qui exige que le document ait été « délibérément falsifié » (CE, 17 déc. 2014, Serval, requête numéro 369035, Rec., T., p. 833), la simple inexactitude des mentions contenues dans l’acte ne pouvant par ailleurs suffire à justifier l’admission d’un recours en révision (CE, 11 janv. 1961, David, requête numéro 44104, Rec., p. 30 ; CE, 22 mars 1974, Grandvuillemin, requête numéro 86204, Rec., T., p. 1126). En outre, le faux doit avoir exercé une influence décisive sur l’issue du litige (CE, 30 déc. 1822, Corsaire de Brave c. Bacry, Rec., p. 305 ; CE, Sect., 23 juill. 1937, Roque, requête numéro 52055, Rec., p. 777), quand bien même son existence aurait été reconnue le juge pénal (CE 25 juin 2010, Jean-Claude A. c. Commune de Saint-Just-Malmont, requête numéro 334875).
Pièce décisive retenue par la partie adverse. Le deuxième cas d’ouverture du recours en révision est celui d’une pièce retenue par l’autre partie. Cette rétention doit avoir été décisive, c’est-à-dire que le Conseil d’Etat aurait statué différemment s’il en avait eu initialement connaissance (CE, 20 mars 1953, Fillete, requêtes numéros 85092 et 85993, Rec., p. 145). L’élément intentionnel, ici, importe peu. Il n’est pas besoin que la rétention ait été opérée afin de l’emporter au contentieux. La simple circonstance que cette pièce, décisive, ait été distraite du débat alors qu’elle aurait influé sur son issue suffit à justifier l’admission du recours en révision. Encore faut-il que la partie qui demande la révision n’ait pas eu connaissance de cette pièce au cours de l’instance initiale (CE, 22 juin 1934, Guien, requête numéro 19027, Rec., p. 726) ou que, en ayant eu connaissance, ne se soit pas abstenue d’en demander la communication (CE, 4 mai 1835, Gilbert Lefort, Rec., p. 327 ; CE, 21 juill. 1972, Poujol, requête numéro 80722, Rec., p. 593) ou ne se soit pas rendue coupable d’une demande tardive (CE, 23 févr. 1949, Bertereau, requête numéro 86406, Rec., p. 90). Il n’y a là rien que de très logique, le recours en révision ne devant pas devenir une planche de salut pour les étourdis et les négligents qui n’ont pas conduit le juge à user de ses pouvoirs inquisitoriaux. Il convient cependant de rappeler que l’obligation pèse sur l’administration de produire spontanément toute pièce nécessaire au jugement de l’affaire, à peine de justifier le recours en révision (CE, Sect., 5 déc. 1975, Sieur Murawa, requête numéro 93814, Rec., p. 634), peu important ici que l’administration ait été dans l’impossibilité de produire une pièce qu’elle aurait dû détenir (CE, Sect., 5 avr. 1996, Treiber, requête numéro 093234, Rec., p. 122), mais encore qu’une disposition législative ou réglementaire lui ait fait obligation de la conserver (CE, 27 oct. 2004, M. Frédéric X., requête numéro 360995). Dans le droit fil logique de ce qui précède, la circonstance que la partie qui a succombé connaissait par ailleurs l’ensemble des éléments contenus dans la pièce retenue fait obstacle à l’admission du recours en révision (CE, 25 juin 1958, Sté des automobiles Berliet, requête numéro 6991, Rec., p. 386, concl. A. Bernard).
Vices substantiels de procédure entachant la décision attaquée. Le troisième cas d’ouverture du recours en révision a été consacré plus tardivement puisque il est apparu avec la loi du 24 mai 1872. Il est paradoxalement celui appréhendé avec le plus de libéralisme par le juge, le Conseil d’Etat ayant de lui une lecture extensive. Tout manquement procédural mettant en cause la perfection de la décision rendue est de nature à justifier sa révision. Il serait à cet égard vain de tenter ici une recension de tous les vices de procédure fondant la révision.
A titre d’exemples, on peut citer :
- la composition irrégulière de la formation de jugement (CE, 7 janv. 2000, Sté Lady Jane, requête numéro 187042, Rec., T., p. 1203) ;
- le silence de la minute quant à la publicité de la séance de jugement de l’affaire, lequel fait présumer le défaut de publicité (CE, 10 mai 1995, Mme Paris, requête numéro 142984, Rec., T., p. 1110) ;
- le silence de la minute quant à la production d’une note en délibéré (CE, 7 avr. 2011, Amnesty International section française et Groupe d’information et de soutien des immigrés, requête numéro 343595, Rec., T., p. 1111) ;
- la méconnaissance de l’obligation de transmission du sens des conclusions du rapporteur public à la partie qui en formule la demande avant l’audience (CE, 10 juill. 2013, Sté Stanley International Betting Limited, requête numéro 357359, Rec., T., p. 809) ;
- la méconnaissance de l’obligation faite à la juridiction d’informer une partie de l’inscription de la requête au rôle de la séance (CE, 7 juill. 2004, Association de défense des intérêts du sport, requête numéro 241293, Rec., p. 324).
En revanche, parce que ces vices restent susceptibles d’être sanctionnés en appel ou en cassation, ils ne constituent pas un cas d’ouverture du recours en révision contre les décisions rendues par les juridictions administratives spécialisées (CE, Sect., 16 mai 2012, Serval, requête numéro 331346, préc.).
Par delà, et y compris en ce qui concerne les décisions du Conseil d’Etat, ne sont pas susceptibles de prospérer les moyens tirés :
- du non respect, par le Conseil d’Etat, du délai d’envoi de l’avis d’audience 7 jours au moins avant l’audience, l’article R. 711-2 du code de justice administrative n’étant pas applicable au Conseil d’Etat (CE, 11 sept. 2006, Serge A, requête numéro 286647) ;
- du défaut de motivation d’un refus d’admission d’un pourvoi en cassation (CE, 10 oct. 2011, François A, requête numéro 342764) ;
- de la mention, éventuellement erronée, sur la décision de la présence d’un avocat à l’audience (CE, 10 oct. 2011, Mme Burger, requête numéro 338719, Rec., T., p. 1111) ;
- de ce que l’état de santé du requérant l’avait privé de la possibilité de produire le mémoire complémentaire annoncé (CE, 9 févr. 2011, Serge A, requête numéro 343695) ;
- de ce qu’un mémoire n’ait pas été analysé dans la décision de refus d’admission du pourvoi en cassation (CE, 18 nov. 2015, Mme C, requête numéro 373568, Rec., T.).
§ 2 : Les conditions de recevabilité
L’existence d’une décision juridictionnelle faisant grief. Le recours en révision n’est recevable que pour autant que la décision juridictionnelle dont la révision est demandée ne lui a pas donné satisfaction (CE, 7 avr. 2011, Amnesty International section française et Groupe d’information et de soutien des immigrés, requête numéro 343595, préc.).
Le délai de recours. Conformément à l’article R. 834-1 du code de justice administrative, le recours en révision est formé dans le même délai que l’opposition, soit deux mois à compter de la notification de la décision définitive. Cependant, dans les cas de décision rendue sur pièce fausse ou à la suite de la rétention d’une pièce décisive par l’adversaire, le délai ne commence à courir qu’à compter du jour où la partie a eu connaissance de la cause de révision qu’elle invoque.
Le ministère d’avocat. Le recours en révision doit impérativement être présenté par un avocat au Conseil d’Etat (CJA, art. R. 834-3). La seule exception, qui ne surprendra d’ailleurs pas, concerne les recours en révision présentés au nom de l’Etat (CE, Sect., 12 mars 1976, Ministre des Finances c. Dame Bersoulle, requête numéro 99853, Rec., p. 156). Le cas échéant, l’irrecevabilité reste régularisable en cours d’instance (CE, 17 nov. 1965, Sieur Marne, requête numéro 58998, Rec., p. 620).
Recours en révision sur recours en révision ne vaut. Il y a bien un moment où la discussion doit être définitivement achevée et il ne serait pas satisfaisant de permettre au requérant de remettre trop longtemps en cause, par voie de recours en révision successifs, la chose jugée. L’article R. 834-4 du code de justice administrative dispose ainsi que « lorsqu’il a été statué sur un premier recours en révision contre une décision contradictoire, un second recours contre la même décision n’est pas recevable ». Il en va ainsi alors même que le requérant découvrirait successivement l’existence de plusieurs faits entrant dans les différents cas d’ouverture prévus par les textes.
Sous-section 2 – Le recours en rectification d’erreur matérielle
Définition. Le recours en rectification d’erreur matérielle est une création prétorienne du Conseil d’Etat, existant depuis les premières années au moins du XXe siècle (notamment, CE, 23 janv. 1918, Ministre des Travaux publics et des Transports c. Mohin et la-Meslée, requête numéro 53518, Rec., p. 58) aujourd’hui codifiée (CJA, art. R. 833-1) et qui permet d’obtenir du juge qu’il apporte les correctifs nécessaires à la décision rendue. L’appellation de cette voie de recours est trompeuse : là où cette dénomination laisse à penser qu’il s’agit d’une voie de recours destinée à apporter les correctifs nécessaires aux simples – mais déjà bien regrettables – maladresses de rédaction, lapsus, omission de mots dénaturant le sens de la décision juridictionnelle, le recours en rectification d’erreur matérielle vise en réalité un champ d’application bien plus important.
En cela, le recours en rectification d’erreur matérielle ne doit pas être confondu avec la demande tendant à ce que la décision entachée d’une erreur matérielle fasse l’objet, par voie d’ordonnance, des corrections que la raison commande (CJA, art. R. 741-11). Mais l’élargissement du champ, tel qu’il résulte de l’enrichissement progressif de la jurisprudence, ne doit pas laisser croire qu’il est sans limite. Celle-ci, précisément, existe et il importe de préciser que cette voie de recours ne doit pas avoir pour objet de permettre un examen nouveau de l’ensemble de l’affaire (F. Borella, « La rectification d’erreur matérielle devant les juridictions administratives », RDP 1962, p. 482). L’on comprend, dès lors, la teneur des conditions de recevabilité (§ 1) et de fond (§ 2) auxquelles ce recours est soumis, autant que les pouvoirs dont dispose le juge dans ce cadre (§ 3).
§ 1 : Les conditions de recevabilité
Les décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en rectification d’erreur matérielle. Une décision d’une cour administrative d’appel ou du Conseil d’Etat, entachée d’une erreur matérielle susceptible d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire, peut faire l’objet d’un recours en rectification, par la partie intéressée, devant la juridiction qui a rendu la décision (CJA, art. R. 833-1). Par-delà l’énoncé du code de justice administrative, le recours en rectification d’erreur est ouvert même en l’absence de texte (CE, Ass., 4 mars 1955, Dame veuve Sticotti, requête numéro 32905, Rec., p. 131 ; RDP 1955, p. 733, concl. A. Jacomet). Cette voie de réformation est donc susceptible d’être exercée devant les juridictions spécialisées, et même devant le Tribunal des conflits (TC, 7 juin 1999, Bergas, requête numéro 3158), l’important étant que la juridiction statue alors en dernier ressort.
Les délais de recours. Le recours doit être nécessairement exercé dans le délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision litigieuse (CJA, art. R. 833-1). Le délai de recours est nécessairement de deux mois, quand bien même la décision litigieuse a pu être contestée dans un délai plus long (CE, 20 janv. 1965, Tricaud, requête numéro 64410, Rec., T., p. 1013). Les délais de distance sont cependant applicables. On soulignera qu’un mémoire en intervention présenté à l’appui d’un recours en rectification d’erreur matérielle par une personne qui avait été partie à l’instance ayant conduit à la décision contestée doit être requalifié en recours pour rectification d’erreur matérielle, lequel doit être présenté dans le délai de deux mois, à peine d’irrecevabilité (CE, 30 mars 2001, Cne de Montesquieu-Lauragais, requête numéro 214734, Rec., T., p. 1139).
L’intérêt à former un recours en rectification. Toute partie à qui la décision litigieuse n’a pas donné satisfaction peut exercer un recours en rectification matérielle (par ex., CE, 3 juin 2005, Conroy, requête numéro 276957, Rec., T., p. 1073). Il en résulte qu’un intervenant en appel n’est pas recevable à former un recours en rectification d’erreur matérielle contre la décision rendue, s’il s’avère qu’il n’aurait justifié ni d’un intérêt lui donnant qualité pour agir en première instance contre la décision attaquée, ni d’un intérêt pour faire appel du jugement rendu (CE, Sect., 16 mai 1980, Comité de coordination professionnel des éclusiers, requête numéro 18741, Rec., p. 230).
La représentation du requérant. Les formes présidant à l’exercice du recours en rectification d’erreur matérielle sont les mêmes que celles dans lesquelles la requête initiale devait être introduite. Il en résulte que si le recours ayant donné lieu à la décision litigieuse était dispensé de ministère d’avocat obligatoire, il en ira également ainsi du recours en rectification d’erreur matérielle (CE, 9 févr. 1968, Grandin, requête numéro 72343, Rec., T., p. 1081).
§ 2 : Les conditions de fond
Une erreur matérielle. L’erreur doit être matérielle, ce qui exclut l’erreur juridique. Le principe est simple, son application parfois malaisée. C’est que, en effet, le Conseil d’Etat a de longue date renoncé à cette idée que le recours en rectification d’erreur matérielle ne devait prospérer qu’en présence d’erreurs véritablement matérielles (CE, 21 nov. 1930, Dame Benoît, requête numéro 17179, Rec., p. 969 ; S. 1931, 3, p. 36, concl. P.-L. Josse).
Pour des hypothèses où il n’y a pas d’erreur matérielle. Sans doute faut-il continuer d’écarter les erreurs d’appréciation :
- des faits (CE, 4 juill. 1997, Association bananière camerounaise « ASSOBACAM » et SA Cie Fruitière Import, requête numéro 161025, Rec., p. 289) ;
- des pièces du dossier (CE, 22 févr. 1957, Casanova, requête numéro 32907, Rec., p. 124) ;
- d’un moyen (CE, 9 avr. 1993, Mme Beaudouin, requête numéro 142311, Rec., T., p. 991).
Ne doivent pas plus être vues comme des erreurs matérielles les erreurs d’analyse juridique, qu’il s’agisse d’une erreur :
- de qualification juridique (CE, 5 févr. 1954, Sieur Sarotte, requête numéro 98185, Rec., p. 81) ;
- sur le champ d’application ou sur l’interprétation d’un texte (CE, Sect., 3 nov. 1961, Communauté du Bon Pasteur, requête numéro 48648, Rec., p. 614) ;
- de raisonnement (CE, 25 mai 1954, Secrétaire d’Etat à la Guerre c. Dame Ambert, requête numéro 22543, Rec., T., p. 871).
Pour des hypothèses où il peut y avoir erreur matérielle. Entrent au nombre des erreurs matérielles susceptibles de faire l’objet d’un recours :
- l’erreur sur l’identité d’une partie (CE, 26 juin 1929, Ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales, requête numéro 7600, Rec., p. 631) ;
- l’erreur sur la date d’introduction d’un recours (CE, 23 févr. 2001, de Bragelongne, requête numéro 222524, Rec., p. 82) ou sur la date d’une notification (CE, 17 févr. 1965, Picard, requête numéro 57396, Rec., p. 113) ;
- l’absence de prise en compte d’un mémoire pourtant dûment enregistré pendant l’instruction (CE, 29 avr. 1988, Mme Grounin, requêtes numéros 47294 et 65942, Rec., p. 175) ;
- l’omission de donner acte d’un désistement (CE, 17 juill. 1936, Trocmé, requête numéro 49747, Rec., p. 790) comme le fait d’en donner acte à tort (CE, 19 mars 1986, Mme Roberge, requête numéro 60115, Rec., T., p. 681) ;
- l’omission de répondre à un moyen (CE, Sect., 29 mars 2000, GIE Groupe Victoire, requête numéro 210988, Rec., p. 144) pour peu que celui-ci ne fût pas inopérant (CE 27 mars 2015, Cts Mutaner, requête numéro 386887, Rec., T.) ;
- l’omission de répondre à des conclusions du demandeur (CE, 11 juill. 1952, Sté des vins Achille Hauser et Sté des laiteries parisiennes et a., requêtes numéros 18248 et 18251, Rec., p. 372) ;
- l’erreur sur le calcul d’une indemnité (CE, 5 janv. 1948, Ministre des Finances, requête numéro 87983, Rec., p. 1).
Symptomatique de la propension du juge à recevoir un nombre important d’hypothèses d’erreur matérielle, le Conseil d’Etat a encore jugé que le recours en rectification d’erreur matérielle pouvait être exercé pour méconnaissance du principe d’impartialité qui s’impose à toute juridiction (CE, 22 juin 2005, M. et Mme Hespel, requête numéro 261847, Rec., p. 248 ; RFDA 2006, p. 58, concl. E. Glaser et p. 64, note D. Pouyaud).
Une erreur ayant exercé une influence sur l’issue du litige. Il n’y aurait aucun intérêt à rectifier ici des erreurs n’ayant pas exercé une influence sur l’issue du litige et il ne serait pas souhaitable que cela soit possible. La rectification doit donc être nécessaire. C’est le cas, évidemment, lorsque l’erreur porte sur le dispositif de la décision, mais elle peut également porter sur les motifs, pour peu, et c’est classique en contentieux administratif, qu’ils aient été le soutien nécessaire du dispositif (CE, 20 juill. 1988, Huntziger, requête numéro 95155, Rec., T., p. 965).
Une erreur commise par le juge. Le recours en rectification n’est pas une voie de réformation ouverte aux parties qui auraient fait montre d’une certaine légèreté au cours de l’instance initiale. Ainsi, les erreurs affectant la décision qui leurs sont imputables ne sont pas susceptibles d’être rectifiées, alors même qu’elles auraient exercé une influence sur le sens de cette décision (Par ex., CE, Sect., 1er juill. 1977, Ministre du Travail c. Montet et Caussel, requête numéro 03162, Rec., p. 304, concl. J. Morisot). Ainsi encore, les oublis initiaux des parties ne pourront être corrigés à la faveur d’un recours en rectification d’erreur matérielle, que ces oublis portent sur les pièces ou autres éléments de preuve (CE, 29 juill. 1983, Bert, requête numéro 48192, Rec., T., p. 841), mais également, sur certaines conclusions (CE, 10 janv. 1992, Commune de Mareil-sur-Mauldre c. Baurin et a., requête numéro 124260, Rec., T., p. 1265).
§ 3 : Les pouvoirs du juge
Rectification si besoin, rejugement le cas échéant. De degré certes variable, les conséquences de la rectification n’en sont pas moins importantes. Si l’erreur matérielle est reconnue, le juge modifie la partie de sa décision qu’affecte cette erreur (CE, 2 juill. 2001, Mme Portelli et a., requête numéro 217632, Rec., T., p. 1164) sans revenir sur les éléments de la décision initiale non viciés par l’erreur. Il ne peut, à ce titre, revenir sur le montant de l’indemnité principale quand l’erreur a affecté le montant d’une indemnité accessoire réclamée par le requérant (CE, 30 juin 2003, Mme de Cadaran, requête numéro 250650, Rec., T., p. 965). Il peut cependant arriver que la rectification emporte des conséquences plus importantes, en affectant l’ensemble de la décision, laquelle doit alors être déclarée nulle et non avenue (CE, Sect., 28 sept. 1958, Titeca-Beauport, requête numéro 24349, Rec., p. 502). A charge alors pour la juridiction de trancher de nouveau le litige, dans la limite toutefois du dossier tel qu’il était constitué lors de l’instance initiale, les conclusions nouvelles devant être jugées irrecevables (CE, 30 juin 2003, Mme de Cadaran, requête numéro 250650, préc.).
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