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Conclusions sur CE 5 mars 1897, 1er arrêt Verdier et Compagnie française de Kong c. Ministre des colonies, 2e arrêt Société commerciale, industrielle et agricole du Haut Ogooué (Daumas et Compagnie des héritiers Daumas) c. Ministre des colonies

Citer : Jean Romieu, 'Conclusions sur CE 5 mars 1897, 1er arrêt Verdier et Compagnie française de Kong c. Ministre des colonies, 2e arrêt Société commerciale, industrielle et agricole du Haut Ogooué (Daumas et Compagnie des héritiers Daumas) c. Ministre des colonies, ' : Revue générale du droit on line, 2022, numéro 62983 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=62983)


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Décision(s) commentée(s):
  • CE 5 mars 1897, 1er arrêt Verdier et Compagnie française de Kong c. Ministre des colonies, 2e arrêt Société commerciale, industrielle et agricole du Haut Ogooué (Daumas et Compagnie des héritiers Daumas) c. Ministre des colonies

Recueil Sirey 1898.3.17 

Lorsqu’une concession est accordée à un tiers sous la condition qu’une société à un capital fixé d’avance sera constituée dans un délai déterminé, appartient-il au ministre de vérifier l’utilité et la valeur des apports en nature faits à la société par les concessionnaires ? – Rés. aff. (Verdier, 1re esp. ; Daumas, 2e esp.)

Si la nature des éléments dont le capital social est formé (insuffisance des versements en espèces et exagération des apports en nature) peut motiver la déchéance de la concession, cette déchéance peut-elle être prononcée sans que la société ait été mise en demeure de parfaire le capital considéré comme insuffisant ? – Rés. nég. (Verdier, 1re esp. ; Daumas, 2e esp.). 

Le Ministre est-il encore recevable à prononcer la déchéance lorsqu’il a sans observation exécuté la convention jointe à la concession et qu’il a donné son adhésion aux statuts de la société constituée (Verdier, 1re esp.), ou lorsqu’avant toute mise en demeure la société augmentant son capital social a portée son capital espèces au chiffre prévu par la convention (Daumas, 2e est.) ? – Rés. nég. 

Le décès du concessionnaire rend-il caduque la concession qu’il a obtenue, alors que loin d’être personnelle elle implique la constitution d’une société anonyme ? – Rés. nég. (Daumas, 2e esp.).

La déchéance d’une concession prononcée à tort peut-elle donner droit à une indemnité ? – Rés. aff. (Verdier, 1re esp. ; Daumas, 2e esp.).

Messieurs, 

Laissant de côté les questions générales d’économie politique et de colonisation, ainsi que l’examen minutieux des faits auquel il a été procédé jusqu’ici, nous allons simplement chercher à dégager quels sont les principes juridiques nécessaires pour la solution des litiges qui nous sont soumis ; nous tâcherons ensuite d’en faire application à la situation de fait de la concession Verdier et de la concession Daumas. Nous nous proposons d’abord d’examiner quel est le caractère, la nature juridique des contrats de concessions au colonies, quels sont les droits et obligations qui en résultent, comment ces contrats peuvent être rompus : nous verrons ensuite si le ministre a appliqué régulièrement les principes du droit commun et le texte des conventions. 

Le contrat de concession aux colonies n’a d’analogue ni en droit civil, ni en droit administratif ; c’est un contrat assez mal précisé, un contrat do ut facias, dans lequel l’autorité concédante confère certains droits à la compagnie concessionnaire en échange de certaines obligations. Ces obligations consistent quelquefois à exécuter certains travaux, par exemple des chemins de fer ; quelquefois à mettre en valeur ou à exploiter des territoires ; en un mot, les droits concédés sont extrêmement variables. C’est une sorte de droit d’usage agricole ou forestier, suivi souvent, lorsque les terrains ont été mis en valeur, d’une concession de terre. 

Il y a également parfois une délégation partielle de souveraineté, une part de l’autorité concédée. On rencontre un échelonnement de droits dont la concession est possible à ces sociétés de colonisation, depuis le simple droit d’avoir une légère force de police pour assurer la sécurité des européens dans le cas où la métropole ne peut s’en charger, jusqu’à la création de grandes compagnies à charte qui constituent de véritables petits États. Dans l’espèce, nous nous trouvons en présence de contrats de concession comportant des pouvoirs assez peu étendus ; ce sont, pour la Société Verdier, un contrat de concession forestière et agricole, et, pour la Société Daumas, un contrat de même nature avec la faculté et même l’obligation d’avoir une certaine police et de pourvoir elle-même à sa sécurité. 

Les concessions de cette nature sont faites, bien entendu, au nom de l’Etat, car l’Etat n’a pas aliéné au profit des colonies nouvelles le domaine dont il est propriétaire, ainsi qu’il l’a fait pour d’anciennes colonies, en 1825 par exemple. C’est à lui de faire ces concessions qui peuvent impliquer et qui impliquent, comme dans les concessions Verdier et Daumas, une certaine concession de propriété.

Par quel acte se font les concessions de ce genre ? À moins d’un texte spécial donnant délégation à d’autres autorités spéciales, elles ne peuvent se faire que par le législateur colonial, c’est-à-dire par décret du Président de la République, en vertu du sénatus-consulte de 1854, ou par le pouvoir métropolitain s’il juge à propos de s’en occuper. Dans l’espèce, les concessions ont été faites par le législateur colonial ordinaire, c’est-à-dire par décret du Président de la République qui constitue le législateur colonial aux termes du sénatus-consulte de 1854. 

Les règles relatives à l’exécution de pareils contrats ne se trouvent nulle part, dans aucun texte de droit positif. Il faut donc consulter le texte des conventions et faire appel aux principes généraux du droit commun, s’inspirer aussi de ce qui se passe dans les contrats analogues que l’on peut rencontrer en droit administratif. Les contrats qui offrent le plus d’analogie avec ceux dont nous avons à nous occuper sont, d’une part, les concessions de travaux publics dans lesquelles on concède à une société le droit d’exploiter le travail public dont elle entreprend la concession ; ce sont, d’autre part, les concessions de terre en Algérie, par application du décret du 30 sept. 1878, où ceux qui ont résidé pendant cinq ans dans les terres qui leur sont concédées provisoirement peuvent, à l’expiration de ce délai devenir propriétaires définitifs. Nous ne citons ces exemples que par analogie ; n’oubliions pas que, s’il y a analogie, il n’y a pas identité.

Comment le gouvernement a-t-il été amené à chercher à se dégager des contrats de concession signés par décret du Président de la République en 1893 avec la Société Daumas et avec la Société Verdier ? Vous connaissez les discussions théoriques qui se sont élevées depuis 1890 sur le meilleur mode de colonisation à employer. Ces discussions ont occupé les délibérations du conseil supérieur de 1891 ; un projet de loi sur la matière a été déposé au Sénat ; enfin, en 1895, des interpellations ont eu lieu à la Chambre et au Sénat sur ce sujet. Deux écoles opposées se rencontraient sur le terrain des procédés de colonisation ; les uns voulaient de grandes compagnies ayant une grande puissance et investies d’un véritable monopole. L’école opposée était hostile à la constitution des grandes compagnies, ne voulait pas de monopole, mais seulement des concessions de terres en bordure sur le rivage de la mer, et émettait des doutes sur la légalité des grandes concessions faites par acte du pouvoir exécutif. 

On discuta longuement et on finit par s’arrêter au système suivant ; on ne créera pas de grandes compagnies à charte, avant que le législateur se soit prononcé sur la question, mais on constituera, en attendant, de grandes compagnies qui ne recevront pas une véritable délégation de souveraineté proprement dite, mais qui seront concessionnaires de grandes étendues de terrain. 

En attendant la législation à venir, le gouvernement usera du pouvoir qu’il tient du sénatus-consulte de 1854, c’est-à-dire que ce sera le législateur colonial qui fera ces concessions. C’est sous l’empire de ces idées qu’ont été faites les concessions de 1893 à la Société Verdier et à M. Daumas. Puis, au début de 1895, un mouvement d’opinion se dessine au Parlement et dans le public contre les grandes compagnies. Ce sont les idées de la seconde école qui reviennent en faveur. On craint d’avoir donné trop de millions d’hectares de terrains, d’avoir constitué des compagnies trop considérables, d’avoir créé des monopoles contre lesquels des réclamations très vives se produisent dans les colonies. Le gouvernement se demande s’il n’y a pas un moyen légal de revenir sur les concessions octroyées en 1893 dont l’application soulève tant de réclamations, tant de difficultés. 

Dans cette situation, de quelle manière pouvait-on rompre, annuler les contrats de concession, faits dans les conditions que nous indiquions tout à l’heure, par décret du Président de la République, par application du sénatus-consulte de 1854 ? Nous croyons qu’il y avait trois systèmes possibles. 

Le premier consistait à contester la légalité des concessions, à dire que ces concessions telles qu’elles avaient été faites excédaient les pouvoirs du gouvernement, même agissant comme législateur colonial ; qu’au législateur seul appartenait le droit de faire des concessions de cette importance, et dans ce cas on pouvait déclarer les contrats nuls comme émanes d’une autorité incompétente. Ce système offrait des inconvénients. D’abord, la controverse était possible sur le pouvoir du gouvernement. Le comité du contentieux des colonies, dont le rapport est au dossier, s’est prononcé formellement dans le sens de la légalité des décrets rendus en 1893. On conçoit donc que le gouvernement ne se soit pas arrêté à ce système, d’autant plus que son adoption pouvait soulever des questions d’indemnité à donner aux sociétés formées même en vertu d’un décret entache d’illégalité. Le gouvernement a déclaré lui-même, dans les arrêtés de déchéance qui nous sont déférés, qu’il n’examinait pas la question de la légalité des concessions. En conséquence, cette question de la légalité n’est pas au procès ; ce système n’a pas été employé par le gouvernement, nous n’avons pas à nous en préoccuper. 

Le second système aurait pu consister dans une décision du gouvernement rapportant les décrets de 1893 par voie législative ou par un autre décret pris par application du sénatus-consulte de 1854. C’est ce qu’on fait quand on veut racheter une concession en matière de travaux publics. Il faut l’intervention du législateur qui peut seul racheter ces concessions. Si, dans l’espèce, un acte du législateur colonial pouvait prononcer l’annulation, c’était une sorte d’expropriation des droits de la concession ; dans ce cas, c’est un acte émané uniquement du Président de la République qui aurait pu faire tomber l’acte du Président de la Républiquequi avait approuvé les contrats de concessions de 1893. Je n’ai pas besoin de signaler les inconvénients de ce système. Il y aurait une question d’indemnité sérieuse à discuter de la part des concessionnaires expropriés, et, en tout cas, cette mesure aurait pu produire un assez fâcheux effet ; aussi le gouvernement n’y a-t-il même pas songé. Donc, le premier système a été écarté et le second n’a pas été envisagé.

Nous arrivons au troisième ; c’est celui dans lequel le ministre chargé de veiller à l’exécution des contrats passés entre les concessionnaires et l’Etat prononce la déchéance pour inexécution des conditions du contrat, visant non pas un acte de puissance publique destiné à faire tomber une concession pour des motifs d’ordre supérieur, mais visant un simple acte de gestion, émettant la prétention que les conditions imposées par la convention n’ont pas été observées et se fondant sur cette affirmation pour prononcer la déchéance. C’est bien là une de ces questions qui sont habituellement soumises au Conseil d’Etat : les conditions prescrites par le cahier des charges ont-elles été observées par le concessionnaire ou l’entrepreneur ? S’est-il mis dans le cas d’encourir la mesure prise contre lui, et d’autre part l’administration a-t-elle régulièrement prononce la déchéance ? 

La seule question à examiner dans le système qui a été adopté par l’administration, qui a fait l’objet des deux arrêtés de déchéance, est donc la suivante : l’Etat, comme contractant, a-t-il pu légitimement rompre les contrats qui le liaient aux sieurs Verdier et Daumas ? Y a-t-il faute par l’Etat dans la façon dont il a prononce la déchéance ? Cette déchéance a-t-elle été régulièrement prononcée ? 

Cette question entraîne les deux suivantes : 

1º Dans les termes de chaque contrat, dans la situation de chaque concessionnaire, le ministre a-t-il pu régulièrement prononcer la déchéance en se fondant sur l’inexécution de certaines clauses de ces contrats ? 

2° Quelles sont les obligations imposées par le cahier des charges aux deux concessionnaires dans les deux affaires, et quels sont les droits corrélatifs de l’Etat ? 

L’obligation sur l’inexécution de laquelle est fondée la déchéance est l’obligation contenue dans l’art. 6 du cahier des charges, l’obligation pour le concessionnaire de constituer, dans le délai d’un an, une société anonyme ou en commandite, au capital de 2 millions. Si la société est anonyme, elle doit être constituée dans les conditions de la loi de 1867. Voilà l’obligation imposée par le contrat au concessionnaire. 

L’obligation imposée à un concessionnaire de constituer une société anonyme est assez fréquente dans les contrats de droit administratif, notamment pour les chemins de fer et pour les tramways. On veut garantir à l’entreprise une durée qui peut excéder les limites de la vie humaine ; on veut que les opérations personnelles du concessionnaire ne soient pas mélangées avec celles de la Société, et pour cela on exige la constitution d’une société anonyme ; mais on n’impose pas l’obligation que cette société soit formée à un capital déterminé. Dans l’espèce, nous avons, d’une part, l’obligation de constituer une société anonyme dans un délai fixé, et, d’autre part, l’obligation de constituer un capital de 2 millions. 

Pour les deux Compagnies Verdier et Daumas, la société a été régulièrement formée dans le délai prescrit ; pas de contestation possible sur ce point. La question est de savoir si le capital exigé a été régulièrement formé.

Ici se pose tout naturellement une question qui a été débattue à la barre :

Comment, en l’absence de toute explication du cahier des charges, un capital de cette nature doit-il être constitué ? Doit-il être constitué en espèces, ou a-t-on le droit d’y introduire des apports en nature ? 

Nous croyons qu’on ne peut refuser aux sociétés se constituant dans les conditions de l’art. 6 du cahier des charges, et en l’absence de toute interdiction contraire, le droit de faire entrer dans la constitution du capital des apports en nature. La société a le droit, une fois formée, d’acquérir l’outillage et les immeubles nécessaires à son fonctionnement ; il n’y a pas d’inconvénient à faire entrer dès l’origine ces éléments dans le capital social, sous forme d’apports, au lieu de constituer un capital argent pour les acheter ensuite. Le ministre des colonies admet, d’ailleurs, la possibilité d’apports en nature, et l’avis du comité du contentieux qui a précédé l’arrêté de déchéance le reconnaît également. 

Les apports en nature étant possibles, le ministre a-t-il le droit de les discuter ? Ou est-il obligé de s’en remettre à l’appréciation de l’assemblée générale des actionnaires intervenue dans les conditions de la loi de 1867 ? En un mot, est-il lié par ce qui s’est passé entre les actionnaires ? 

Nous croyons que, sur ce point, la doctrine soutenue par le comité du contentieux des colonies et par l’avocat qui a représenté les intérêts du ministère est fondée. Le fait qu’une société est en règle au point de vue des rapports des actionnaires entre eux, en application de la loi de 1867 qui ne vise que ces rapports entre les associés, n’a pu faire obstacle, selon nous, à la prétention du ministre de contester la régularité de la formation du capital. Nous pensons qu’il appartient au ministre de voir si les apports sont sérieux et si l’on peut admettre que le capital de 2 millions imposé aux concessionnaires est bien réalisé. S’il n’en était pas ainsi, le chiffre du capital qui a été fixé dans l’art. 6 serait, à l’égard de l’Etat, absolument illusoire. Les associés n’auraient s’entendre pour faire entrer dans le capital social des éléments vagues, des apports quelconques. Nous croyons que la constitution régulière de la Société, au point de vue de la loi de 1867, n’empêchait pas le ministre d’examiner si les obligations de la société au regard de l’Etat ont été remplies.

Mais quelle sera retendue de ce droit ? 

Le ministre pourra se demander si ces apports n’ont pas été majorés, s’ils servent à l’exploitation, s’ils ont une utilité directe avec cette exploitation, si on n’a pas constitué le capital presque en entier avec des éléments qui peuvent avoir une valeur propre, mais qui ne sont d’aucune utilité pour la société concessionnaire. Le ministre aura le droit de déclarer quels sont ceux de ces apports qui lui paraissent inutiles et excessifs. Enfin il appartient au ministre d’exclure d’une société formée, dans les conditions de l’art. 6 du cahier des charges, l’apport de la concession. Nous ne prétendons pas imposer aux concessions qui nous occupent les conditions de la loi de 1845 relative aux chemins de fer, mais il nous paraît que le fait même n’insérer dans l’art. 6 le chiffre du capital à réaliser entraîne l’impossibilité pour la société de faire figurer à un titre quelconque la concession comme apport. Sinon, on aurait pu estimer la concession à 2 millions, et alors l’apport de la concession aurait suffi à constituer le capital. Cette conséquence est absolument inadmissible. 

Du reste, nous allons vous montrer que cette question des apports et du droit de vérification des apports a été résolue par un arrêt du Conseil d’Etat que nous vous demandons la permission de placer sous vos yeux. Cet arrêt rendu à la date du 22 févr. 1889, dans une affaire Saint-Germier, est ainsi conçu : « Considérant qu’en vertu d’une convention du 30 avr. 1880, approuvée par un décret du même jour, concession a été faite au sieur Olléac Brunswick d’un canal d’irrigation, dit de Lalande ; que, par l’art. 1er de cette convention le sieur Olléac Brunswick prenait l’engagement, sous peine de déchéance, de justifier de la formation d’une société anonyme au capital de 1 200 000 F, et du versement, dans le délai de six mois, de la moitié du capital-actions ; Considérant que le sieur Saint-Germain, ès-qualités, soutient qu’aux termes de cet article et par application de la loi de 1867, le concessionnaire n’était tenu de justifier que du versement de la moitié du capital-actions, déduction faite des quatre cents actions libérées, attribuées au sieur Olléac Brunswick en representation de son apport, soit 500 000 F et non 600 000 F ; Mais considérant qu’il n’appartenait pas à la société, par l’attribution, postérieure à l’acte de concession, d’actions libérées qui ne sont la représentation d’aucun apport appréciable en argent, de restreindre une des clauses fondamentales de la convention ; qu’ainsi le ministre était fondé à exiger le versement intégral de la moitié du capital, soit 600 000 F. »

Le Conseil d’Etat, par cet arrêt de 1889, nous paraît avoir reconnu la possibilité des apports en nature et en même temps l’impossibilité de faire figurer la concession parmi les apports. Il est incontestable que les dispositions des concessions que nous avons à interpréter présentent de grandes difficultés, et qu’il serait préférable de nous trouver en présence d’une clause indiquant l’étendue du versement espèces à faire par les concessionnaires ; les difficultés n’existeraient pas alors ; mais étant données les concessions actuelles, nous sommes obligés, telles qu’elles sont rédigées, de reconnaître le droit du ministre des colonies de contester les apports, de déclarer à la Compagnie que le capital ne répond pas aux conditions de l’art. 6 et qu’elle ait à pourvoir à la constitution régulière de ce capital. 

Mais, d’autre part, le concessionnaire a le droit corrélatif de soutenir que les apports sont sérieux, qu’ils ne sont pas majorés, qu’ils sont utiles à l’exploitation de la concession. Des constatations que nous venons de faire résulte, en l’absence d’un texte précis, la nécessité d’une procédure de discussion d’apports entre le ministre des colonies et les sociétés concessionnaires. Or, nous ne trouvons rien dans les actes de concession, rien dans aucun texte pour étayer cette procédure de discussion des apports ; d’où les deux questions à résoudre qui viennent naturellement à l’esprit. 

La société coloniale prévue par le cahier des charges étant régulièrement formée dans les délais prescrits par l’art. 6 et conformément à la loi de 1867 : 

1º Pendant combien de temps le ministre pourra-t-il venir discuter les apports et contester la constitution régulière du capital ? À partir de quel moment le capital, tel qu’il a été constitué par la société, pourra-t-il être réputé définitivement établi à l’égard de l’Etat, et à partir de quel moment pourra-t-on dire que le ministre n’est plus recevable à contester cette question de la constitution du capital ? 

2º En admettant que le ministre soit encore dans cette période de vérification des apports où il lui est loisible de contester les conditions dans lesquelles le capital a été constitué, s’il est encore dans les délais où il peut utilement prononcer la déchéance, comment peut-il prononcer cette déchéance ? Peut-il la prononcer hic et nunc, sans aucune mise en demeure, pour inexécution par la société des obligations résultant pour elle de l’art. 6, ou bien le ministre ne peut-il prendre une pareille mesure qu’après avoir fait connaître à la Société en quoi elle n’a pas satisfait aux conditions de l’art. 6 et quel est le déficit qui, d’après lui, existe dans le capital ? Le ministre est-il obligé de mettre la Société en demeure de compléter le capital dans un délai qu’il lui appartiendra de fixer, conformément aux indications qu’il donnera ? Dans ce dernier cas, si on admet que cette mise en demeure est absolument nécessaire, et si, à un moment donné, quoique n’ayant pas été l’objet d’aucune mise en demeure du ministre de compléter son capital, la Société a pris sur elle d’apporter au capital social le complément qu’elle croit conforme aux intentions de l’administration ; dans ce cas, le ministre ne serait-il plus recevable à prononcer la déchéance ?

Telles sont les deux questions auxquelles se ramènent suivant nous les deux litiges qui vous sont soumis. 

Premiere question. 

Pendant combien de temps l’Etat pourrait-il se fonder sur le droit qui lui appartient pour contester la régularité de la constitution de la Société et soutenir que le capital n’est pas régulier ? 

II nous paraît que sur ce point on doit être assez large surtout en matière de concession coloniale. Il est évident que si l’on veut vérifier de près les apports pour les établissements de la Côte d’Ivoire ou du Haut-Ogooué, il faut un certain délai. On ne peut exiger que l’Etat fasse cette vérification avant le délai d’un an à impartir à la Société pour la constitution de son capital. D’où il suit qu’au-delà du délai qui est ainsi accordé à la Société pour constituer son capital, il faut laisser à l’Etat un certain délai à déterminer pendant lequel il pourra exercer son droit de vérification des apports. 

Si, aux termes du cahier des charges, les statuts doivent être soumis à l’approbation du ministre, la question est bien simple. Le fait par le ministre d’avoir formellement approuvé les statuts portant approbation, par les actionnaires, des apports, vaudra adhésion, approbation définitive de la part du ministre et le rendra non recevable à contester ultérieurement la composition du capital, à moins qu’il n’ait fait une réserve quelconque en ce qui concerne la vérification qu’il se promet de faire au sujet des apports. 

Si, comme dans l’espèce, les statuts ne prévoient pas l’approbation ministérielle, de quoi résultera, entre l’Etat et la Société, la constitution définitive du capital ? Elle résultera de certaines circonstances de fait qui sont de nature à impliquer l’adhésion de l’Etat, son approbation des conditions dans lesquelles le capital a été réalisé. On devra se demander si l’Etat a connu la façon dont le capital a été formé et la nature des apports, s’il a eu le temps nécessaire et les moyens de vérifier les apports, s’il n’y a eu ni dol, ni fraude de la part de la Société, s’il n’y a eu aucune réserve de la part du ministre, s’il n’y a pas eu de demandes de renseignements faisant connaître à la Société que son approbation n’était pas définitive, enfin si les conditions de l’envoi en possession peuvent être considérées comme ayant eu un caractère provisoire ou définitif. 

Ce sont des circonstances de fait d’après lesquelles le juge pourra former sa conviction. S’il y a eu adhésion implicite ou explicite de l’Etat, on doit dire que l’accord des parties est définitif et que l’Etat ne peut remettre en question la régularité de la constitution du capital. Si, au contraire, il n’y a eu aucun acte impliquant accord, adhésion de la part de l’Etat, le moment où le ministre ne pourra plus contester la constitution du capital pourra être plus difficile à préciser. Cependant, il faudra bien admettre que, pendant toute la durée de la concession, l’Etat ne pourra pas conserver le droit de soutenir que le capital social est irrégulièrement constitué, on devra admettre qu’à un moment donné le droit de l’Etat est épuisé. Il pourra y avoir difficulté sur la fixation de ce moment. C’est une question de fait à trancher par le juge ; elle trouve son application dans l’affaire Verdier. 

Deuxième question. 

La deuxième question, dont la solution intéresse plus spécialement l’affaire Daumas, est la suivante : au cas où le ministre n’a adhéré aux statuts en aucune façon, ni explicite, ni implicite, s’il n’existe aucun fait duquel puisse résulter l’accord en ce qui concerne la constitution du capital, si le ministre est en temps utile pour soutenir que le capital a été irrégulièrement constituée, a-t-il le droit de prononcer la déchéance sans mettre la Société en demeure de satisfaire aux obligations de l’art. 6 de son cahier des charges, ou est-il tenu, au contraire, d’adresser à la Société une mise en demeure avant de prononcer la déchéance ? Cette question a un intérêt capital pour la solution du litige qui vous est actuellement soumis ; nous vous demandons la permission de l’examiner le plus rapidement possible. 

En droit civil, la nécessité de la mise en demeure pour la sanction des obligations est absolument formelle ; elle résulte des art. 1146 pour les dommages et intérêts, 1230 pour l’application de la clause pénale, 1180 pour la condition résolutoire. 

Ce principe de droit général, qui implique la nécessité d’une mise en demeure, comporte cependant des exceptions. C’est le cas où on se trouve en présence d’une obligation qui ne peut, par sa nature, s’exécuter que dans un certain délai. Puis il y a le cas où les parties seraient dispensées formellement de la mise en demeure par une stipulation du contrat. En conséquence, le droit commun, c’est la nécessité absolue de la mise en demeure ; mais les parties ont le droit d’introduire dans le contrat une clause les dispensant de recourir à cette formalité. 

La jurisprudence reconnaît qu’il n’y a pas de formule sacramentelle nécessaire, qu’on n’a pas à exiger dans le contrat les mots dispense de mise en demeure ; mais il faut qu’il y ait une formule indiquant formellement la volonté des parties sur la dispense de cette formalité. C’est ainsi que lorsqu’on rencontre dans un contrat les mots de peine de déchéance, ces mots n’impliquent pas la dispense de la mise en demeure.

En droit administratif les règles sont les mêmes ; qu’il s’agisse de dommages-intérêts ou d’application de clause pénale, nous rencontrons toujours le principe général : nécessite de la mise en demeure et faculté de déroger à ce principe soit par la nature même du service, soit par une dispense formelle insérée au contrat. Donc, si le contrat prévoit que la résolution, par exemple, pourra se produire sans qu’il soit nécessaire d’une mise en demeure, mais, de plein droit, par l’échéance du terme, cette résolution est licite et la déchéance, en droit administratif, sera prononcée régulièrement. Dans ce cas, les arrêts du Conseil d’Etat ont soin de relever qu’un article du contrat dispense l’administration de recourir à la nécessité de la mise en demeure. Que si, au contraire, il n’y a pas d’article du contrat qui dispense l’administration de la mise en demeure, la déchéance est régulière. 

C’est ce que vous avez reconnu notamment dans un arrêt du 20 mai 1892, relatif à la concession du casino de Nice. L’administration avait prononcé la déchéance sans adresser une mise en demeure, et le Conseil d’Etat a reconnu l’illégitimité de cette déchéance, par la raison qu’elle n’avait pas été précédée d’une mise en demeure, qu’elle n’avait été précédée que de certains actes de sommation qui ne constituaient pas une véritable mise en demeure. 

C’est ce qui s’est passé le 22 févr. 1889 dans l’affaire Saint Germain. On soutenait, dans cette affaire, que la constitution du capital était irrégulière ; l’administration donna un délai de trois mois pour en permettre la régularisation. Au bout de ce délai, on a constaté que le capital n’était pas encore réalisé, alors on a pu légalement prononcer la déchéance de la concession. Nous ajouterons que la rigueur de la jurisprudence civile et administrative, en ce qui concerne la nécessité de la mise en demeure, s’explique fort bien. Il ne s’agit pas d’une formalité destinée à prolonger la procédure ; c’est la garantie de la bonne foi dans l’exécution des contrats ; c’est une règle grâce à laquelle on empêche le débiteur d’être égorgé par le créancier. Le terme a été prévu, on n’a pas dit que le contrat serait résolu de plein droit à l’expiration du terme ; le créancier laisse passer le terme, n’exige pas l’exécution de l’obligation, il est logique que le débiteur pense que le créancier se contente de l’exécution telle qu’elle a eu lieu. Si, au bout d’un certain temps, le créancier veut prononcer la résolution du contrat pour inexécution, il devra faire connaître au débiteur qu’il conteste les conditions dans lesquelles l’exécution a eu lieu. 

C’est une règle formelle, et autrefois on admettait même que la mise en demeure constituait une sorte de mesure d’ordre public à laquelle il ne pouvait être dérogé. Aujourd’hui le Code civil permet d’y déroger, mais il exige que la dérogation vienne de la volonté formellement exprimée par les parties. Cela peut être fort important dans le cas où il peut y avoir doute sur l’exécution de l’obligation. Quand il s’agit d’entamer une discussion sur les conditions dans lesquelles le capital a pu être réalisé, et que le ministre se réserve de dire que tels apports ne servent pas directement à l’exploitation, il est évident que la déchéance en pareil cas ne peut être une déchéance de plein droit. 

Tels sont les principes généraux sur lesquels l’administration peut s’appuyer pour prononcer la déchéance quand elle se trouve en présence de cahiers des charges comme ceux qui accompagnent les concessions Verdier et Daumas. Nous avons à faire l’application des deux principes que nous venons de dégager, d’une part à Verdier et d’autre part à Daumas. 

Le sieur Verdier devait, d’après l’art. 6 du contrat, constituer un capital de 2 millions dans le délai d’un an. Ce capital s’est élevé à 2 050 000 F composé de 1 300 actions en espèces représentant 650 000 F et 2 800 actions représentant les apports de Verdier, c’est-à-dire 1 400 000 F. 

La contestation porte sur la partie correspondant à des apports qui seraient majorés ou qui ne serviraient pas à l’exploitation de la Société. Nous n’entrerons pas dans la discussion de ces apports ; le ministre aurait pu les discuter à l’origine ; il aurait dû dire que quelques-uns de ces apports étaient exagérés, refuser de faire état de l’apport de la concession ; aujourd’hui, la question n’est plus là ; vous n’avez qu’à vous demander si le ministre était recevable à discuter, au mois de sept. 1895, la constitution du capital de la Société Verdier, en raison des circonstances qui s’étaient produites depuis le mois de juin 1894, époque à laquelle cette société s’était constituée. 

Le décret de concession porte la date du 21 oct. 1893 ; le délai accordé à la Société pour constituer le capital est d’un an ; la Société n’attend pas l’expiration de ce délai ; dès le mois de juin 1894, elle est constituée régulièrement, et, à la date du 29 juin 1894, M. Verdier écrivait au ministre des colonies pour lui faire connaître la date des assemblées générales, la composition du conseil d’administration et le versement du cautionnement. Il le priait, en conséquence, « de vouloir bien donner des instructions à M. le gouverneur de la Côte d’Ivoire pour que l’exploitation de la concession pût se faire dans les conditions spécifiées dans la convention du 20 sept. 1893 ». 

Sur cette pièce, je vois, écrite au crayon, la mention suivante que je dois indiquer au conseil : « Il faudrait voir un peu comment s’est constitué ce capital de 2 millions, urgent, demander les statuts ». 

Le 18 juil. 1894, la Compagnie écrit au ministre ; elle lui confirme sa lettre du 29 juin et demande à être mise en possession de son privilège. 

Le ministre lui répond, à la date du 19 juil. 1894, qu’avant de donner suite à sa requête, il lui était nécessaire d’avoir connaissance des statuts de la Société, et il la priait de lui envoyer ce document le plus tôt possible. Les statuts sont envoyés le lendemain au ministère. Nous sommes au 19 juil. 1894, et à la date du 8 août nous trouvons la lettre suivante adressée par le ministre des colonies à M. Verdier : « Monsieur, par lettres des 18 et 24 juil. dernier, vous avez demandé l’envoi à M. le gouverneur de la Côte d’Ivoire de toutes instructions nécessaires pour que l’exploitation forestière, dont la concession vous est accordée, peut-être dès maintenant commencée. J’ai l’honneur de vous informer que, par un télégramme en date du 27 juil., j’ai fait part à M. le gouverneur de la Côte d’Ivoire de la constitution définitive de votre Société, et l’ai prié de veiller désormais à l’entière exécution de la convention du 20 sept. 1893 ». 

Dans une dépêche au gouverneur de la Côte d’Ivoire en date du 26 août 1894, nous trouvons en effet reproduit le télégramme du 27 juil., que le ministre, dans sa lettre du 8 août, disait avoir expédié dès cette date au gouverneur. 

Il y a ici plusieurs circonstances qu’il importe de rapprocher. Au mois de juin 1894, quand la Société est fondée et que les statuts sont adoptés, le ministre, avant d’envoyer la Compagnie en possession, demande à prendre connaissance des statuts. La Société défère à ce désir, et dans ces statuts est indiquée la répartition des actions en actions d’apports et en actions souscrites en espèces. Si le ministre veut avoir des renseignements sur la valeur à attribuer à chacun des apports, il n’a qu’à consulter entre autres documents le rapport à l’assemblée générale du 23 juin 1894. 

À la suite de cette communication, il écrit au gouverneur de la Côte d’Ivoire qu’il estime que la Société est définitivement constituée, qu’on veille à l’exécution des obligations qui lui sont imposées et qu’on lui assure, d’autre part, l’exercice de ses droits. Puis il écrit directement à la Compagnie qu’il reconnaît que la Société est définitivement constituée et qu’il envoie des instructions au gouverneur. Il semble qu’il y ait, dès ce moment, un véritable accord des parties sur la régularité de la constitution du capital. Cependant, si, dans la période qui a suivi, on trouvait certaines traces d’hésitation de la part de l’Administration des colonies, des demandes de renseignements, des réserves adressées au sieur Verdier, peut-être pourrait-on avoir quelques doutes sur le caractère définitif de cet accord. 

En est-il ainsi ? Du mois d’oct. 1894 au mois de sept. 1895, époque de la déchéance, nous ne trouvons vis-à-vis de la Société aucun acte tendant à remettre en cause d’une façon quelconque la constitution du capital. On ne lui demande rien ; il n’est pas fait allusion nulle part à la constitution de ce capital. Le contrat est exécuté avec de nombreuses réclamations de la part de la Société qui prétend qu’on ne lui assure pas la protection effective de son monopole. L’Administration proteste qu’elle fait son possible pour assurer l’exécution du contrat. Pendant les deux semestres de 1895, la redevance de 2 500 F est perçue sans discussion, assure le sieur Verdier, et, le 4 avr. 1895, nous trouvons la lettre du gouverneur par laquelle il faisait savoir au représentant de la Compagnie française de Kong qu’il avait fixé au 15 oct. le dernier délai d’exportation des billes déclarées par les anciens exportateurs. Le gouverneur ajoutait qu’il considérait la Compagnie comme étant en pleine et effective possession de son privilège depuis le 19 sept. 1894 et comme obligée, à partir de cette date, au payement des droits et redevances fixés par l’acte de concession. 

Par conséquent, pendant la période qui suit le moment où on pouvait dire qu’il y avait accord entre l’Etat et le sieur Verdier, sur la constitution du capital, nous ne relevons aucun acte qui implique de la part de l’Etat l’intention de protester contre la formation de ce capital ; nous dirons même que, pendant toute cette période, il n’y a pas trace que le gouvernement, soit vis-à-vis de Verdier, soit au regard de lui-même, ait eu le moindre doute, qu’il ait cherché à provoquer la moindre explication. Un inspecteur des colonies a été envoyé dès la constitution définitive de la Société Verdier, sur la Côte d’Ivoire, pour se rendre compte des réclamations qui étaient suscitées et des conditions dans lesquelles la Société fonctionnait. Cet inspecteur est renvoyé à la fin de 1894, et, dans le rapport qu’il adresse au mois de mars 1895, il rappelle les instructions qu’on lui a données à son départ de Paris. 

Si, au mois d’oct. 1894, le gouvernement a eu quelque doute, il a dû le dire à cet inspecteur ; or, rien dans le rapport de ce fonctionnaire ne permet de supposer qu’il ait reçu des instructions dans ce sens. 

L’inspecteur se prononce nettement contre la concession Verdier ; il dit qu’il est déplorable pour l’avenir de la colonie de l’avoir accordée ; il fait valoir que cette Société a un capital insuffisant. II ne conteste pas que ce capital soit régulièrement établi, il déclare qu’il devrait être beaucoup plus considérable ; mais nulle part il n’est question de la composition du capital ; aussi, arrivé à la fin de son rapport, l’inspecteur ne songe pas à une déchéance possible de la Société, il ne prévoit qu’une révocation. 

Vous voyez que l’Administration n’envisageait, pour se débarrasser du contrat, que le procédé violent de la simple révocation. De la question de déchéance, d’inexécution du contrat relativement à la formation du capital, il n’en est pas trace. C’est dans cette situation que, le 4 déc. 1895, le ministre a prononcé la déchéance sans avoir adressé à aucun moment au sieur Verdier une mise en demeure. Le ministre s’est fondé sur un avis du contentieux, mais il est juste d’ajouter que la question posée au comité du contentieux était telle que les difficultés que nous avons examinées devant le Conseil n’apparaissaient pas. On lui avait demandé si les apports étaient réalisés, si le capital était régulier, et non si la déchéance pouvait encore être prononcée. Nous sommes d’avis que, dans ces conditions, l’arrêté de déchéance pris contre Verdier est illégal et entaché de nullité. 

Nous passons à Daumas ; nous ne nous arrêterons pas longuement à l’argument tiré de ce que la convention passée avec la Société Daumas serait caduque par la suite du décès du concessionnaire. Le comité du contentieux des colonies lui-même a fait justice de cet argument dans les termes suivants :  « Considérant que les termes de l’art. 1102, d’après lequel on est censé avoir stipulé pour soi et ses héritiers et ayants cause, à moins que le contraire ne soit exprimé ou ne résulte de la nature de la convention, ne s’appliquent pas seulement aux conventions entre particuliers, mais aux conventions entre l’Administration et les particuliers, spécialement aux concessions, comme cela est admis par la jurisprudence ; Que, dans l’espèce, la transmissibilité du bénéfice de la concession du 30 oct. 1893 n’est empêchée ni par une clause expresse, ni par la nature même de la concession ; Que la seule obligation mise à la charge de M. Daumas, étant la constitution d’une société anonyme dans des conditions déterminées, pouvait être remplie par d’autres personnes ; Considérant que, cette opinion étant admise, peu importe que la concession ait été faite à M. Daumas personnellement ou à la maison Daumas et Cie, puisqu’en fait la Société anonyme a été constituée par la liquidation de la maison Daumas ». 

Nous n’avons pas à examiner la question de la réalisation effective des apports par le sieur Daumas ; nous ferons remarquer cependant que, dans l’affaire Daumas, le comité du contentieux ne s’est pas prononcé nettement sur l’insuffisance des apports, et qu’il a déclaré seulement qu’il était permis de douter si la constitution du capital était régulière. Nous n’avons pas à envisager ce point spécial, parce que, dans la Société Daumas, en admettant que le capital fût sujet à critique, à contestation avant le 31 déc. 1894, depuis cette date, ce capital a été complété utilement, régulièrement et légalement. Les conditions imposées par l’art. 6 devaient être réalisées à la date du 31 déc. 1894 ; la Société a été constituée le 14 déc., et notification en a été faite au ministre le 26 déc. 1894, quatre jours avant l’expiration du délai. Ici, la situation n’est plus la même que dans l’affaire Verdier. Le ministre n’accuse pas réception au sieur Daumas de la lettre dans laquelle il lui fait part de la constitution de la Société. Nous ne trouvons aucune communication du ministre des colonies, par conséquent nous ne sommes pas en face d’un fait d’exécution qui engage l’Administration ; il n’y a aucune adhésion de sa part. On ne peut dire que le droit du ministre soit épuisé ; le ministre a conservé la faculté de prononcer la déchéance pour inexécution de la clause relative à la constitution du capital. S’il a conservé cette faculté, dans quelles conditions peut-il en user ? La solution est donnée par les principes généraux que nous avons exposés. Nous devons nous demander si le ministre pouvait prononcer cette déchéance sans une mise en demeure au concessionnaire, et pour cela, la seule question à nous poser est celle-ci : Y a-t-il dans le contrat une dispense de mise en demeure ? L’art. 14 dit que « lorsque la Société sera constituée, sa déchéance ne pourra être prononcée que par le ministre des colonies ». La déchéance sera obligatoire si la Société se montre impuissante à assurer la sécurité de ses établissements et de ses moyens de communication ; elle sera également obligatoire s’il est fait usage, par la Société, de procédés contraires aux principes des lois françaises ou des lois internationales. Toutefois la déchéance, si elle était prononcée, n’aurait d’effet que pour l’avenir : elle laisserait, dans tous les cas, la Société titulaire des droits de propriété quelle aurait acquis antérieurement et dont elle conserverait la libre disposition, et l’art. 13 porte que « dans le cas où, M. Daumas ne constituerait pas, dans le délai mentionné à l’art. 6, la Société prévue, il serait purement et simplement déchu de tous ses droits dans la présente convention qui deviendrait caduque, à moins d’arrangement spécial autorisant une prolongation de délai ». 

Voilà un article qui semble dire que la résolution pourra avoir lieu de plein droit à l’expiration du délai. Mais cet article s’applique-t-il à la constitution du capital ? Non ; il ne s’applique qu’à la constitution de la Société. En effet, l’art. 12 s’exprime ainsi : « La notification à la colonie, de la constitution de la Société et de la justification, par elle, de la constitution du capital social prévu à l’art. 6 ci-dessus, entraînera de plein droit, pour elle, l’entrée en jouissance des bénéfices et avantages stipules au présent contrat. » Puis l’art. 13 dont nous rappelons la disposition : « Dans le cas où M. Daumas ne constituerait pas, dans le délai mentionné à l’art. 6, la Société prévue, il serait purement et simplement déchu ». 

D’où il suit que la déchéance de plein droit n’est prévue que pour le défaut de constitution de la Société dans le délai imparti. Il n’y a, au contraire, pas de dispense de mise en demeure, pas de déchéance de plein droit, pour l’irrégularité de constitution du capital. Donc, le ministre a bien conservé le droit de vérifier si le capital est réalisé, de ne mettre la compagnie en possession de sa concession que lorsque ce capital aura été réalisé, et, s’il ne l’est pas, d’exiger, par une mise en demeure, la réalisation des conditions imposées par l’art.6. Si, à la suite d’une mise en demeure, la Compagnie n’obtempère pas, le ministre pourra prononcer la déchéance, par application de l’art. 14 ; mais si la Compagnie a augmenté son capital argent, remplacé les apports en nature par des apports espèces, si elle s’est mise en règle, la déchéance ne peut plus être prononcée. 

D’où il résulte que si la Compagnie du Haut-Ogooué, avant même d’être mise en demeure, a pris sur elle, instruite par l’affaire Verdier et pour éviter toute contestation, de voter un nouveau million, de façon qu’il ne soit plus question de vérification des apports, le ministre ne pourra plus prononcer la déchéance, puisque le capital aura été régularisé. 

C’est ce qui s’est passé. En 1894 la Société est constituée, puis, pendant dix mois, on n’entend plus parler de rien. Le 5 sept. 1895, on apprend que la concession Verdier vient d’être révoquée. On sait alors pour la première fois sur quel terrain l’Administration des colonies entend se placer pour procéder à la révocation de ces concessions. On sait quelle se fonde sur l’absence de régularité dans la constitution du capital ; alors la Société Daumas, pour éviter toute discussion, convoque une assemblée générale des actionnaires qui, le 24 oct. 1895, vote un nouveau million espèces. Par suite, au capital primitif de la Compagnie qui comprenait un million espèces et un million apports, vient s’ajouter un nouveau million espèces ; la Société est en règle avec l’art. 6. La souscription a lieu à la date du 25 oct. 1895 ; la liste des souscripteurs est jointe au dossier, et le versement du quart du nouveau million est effectué par les fondateurs pour garantir les versements des actionnaires. 

C’est le 27 févr. 1896 que le ministre des colonies prononce la déchéance de la Société pour irrégularité dans la constitution du capital à la date du 31 déc. 1894, et cela sans avoir adressé de mise en demeure, sans avoir égard à la régularisation qui venait d’avoir lieu. 

Nous disons qu’à cette date du 27 févr. 1896, le ministre n’avait plus le droit de prononcer la déchéance, puisque la Société s’était mise en règle. La faculté du ministre de discuter les apports de la Société du Haut-Ogooué, après le 31 déc. 1894, était corrélative à la faculté de la Société de les compléter. La Société n’a même pas attendu d’être mise en demeure ; en 1895 elle a augmenté son capital. Nous ne dirons pas que le ministre n’était pas recevable à discuter les apports, il n’avait plus à les discuter. Dans ces conditions, l’arrêté de déchéance pris vis-à-vis de Daumas est également entaché de nullité. 

En résumé, vis-à-vis de Verdier et vis-à-vis de Daumas, dans les deux cas, la déchéance prononcée par le ministre des colonies est entachée d’irrégularité comme n’ayant pas été précédé d’une mise en demeure. En outre, il est trop tard pour Verdier, puisque le ministre a exécuté la convention, et il n’y a plus à discuter la constitution du capital de la Société Daumas, puisque cette Société s’est mise en règle sans même que l’Administration l’y ait invitée. 

Nous n’avons plus qu’à examiner les conséquences de l’irrégularité de la déchéance ainsi constatée du point de vue des conclusions des parties et du dispositif de l’arrêt que vous êtes appelés à rendre. Il est entendu que le conseil ne peut, dans aucun cas, ordonner des mesures d’exécution vis-à-vis de l’Etat, c’est toujours le ministre qui est chargé d’exécuter ; mais le Conseil d’Etat peut ordonner l’annulation des actes illégaux, il peut dire si le contrat doit ou ne doit pas subsister. 

Si l’Administration avait prétendu rompre le contrat par un acte de puissance publique, ce n’est pas au ministre qu’il aurait appartenu de le faire, mais au Président de la République, par application du sénatus-consulte de 1854, et, dans ce cas, vous ne pourriez prononcer l’annulation de l’acte, mais il est certain que le ministre ne peut pas, par un simple arrêté de déchéance, du moment où cet arrêté est reconnu mal fondé révoquer un contrat régulièrement passé par le législateur colonial. Ajoutons que cette jurisprudence est établie à propos des concessions de terres en Algérie. La déchéance du concessionnaire de terres en Algérie est prononcée si, pendant le délai de cinq ans, ce concessionnaire n’a pas rempli les obligations qui lui sont imposées. Si la déchéance est considérée comme irrégulière, le concessionnaire fait opposition devant le conseil de préfecture qui doit confirmer l’arrêté, sinon la déchéance est considérée comme non avenue et le concessionnaire reste en possession. C’est ce que vous avez décidé dans un arrêt du 21 juin 1878. Vous décidez de même pour les concessions de travaux publics (8 févr. 1878, aff. Pasquet). 

Pour tous ces motifs, nous concluons à l’annulation des deux arrêtés de déchéance pris par le ministre des colonies au regard des concessions Verdier et Daumas et avec toutes les conséquences de droit. Et, comme il appartient au ministre d’assurer l’exécution de votre arrêt, nous concluons au renvoi de la Société Verdier et de la Société Daumas devant le ministre des colonies, pour y être procédé, s’il y a lieu, à la liquidation d’une indemnité à laquelle ces sociétés justifient avoir droit pour le préjudice à elles causé jusqu’à ce jour par le retard apporté dans l’exécution des contrats. 

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L'auteur

Jean Romieu

Conclusions

  • Conclusion sur “CE 28 juin 1889, Compagnie des chemins de fer de l’Est”
  • Conclusion sur “CE 14 févr. 1890, Héritiers Guilloteaux “
  • Conclusion sur ”CE 13 nov. 1891, Commune d’Albias”
  • Conclusion sur “CE 8 avr. 1892, Sieur Trucchi”
  • Conclusion sur “CE 20 mai 1892, Sieurs Tessier et Beaugé, syndic de la faillite de la Societé du Casino de Nice c. ville de Nice”
  • Conclusion sur “CE 24 juin 1892, Ministre des travaux publics c. Garrigou”
  • Conclusion sur “CE 24 juin 1892, Sieur et dame de Quatrebarbes”
  • Conclusion sur “CE 8 août 1892, Sieur Bardot”
  • Conclusion sur “CE 8 août 1892, Compagnie lyonnaise des tramways c. consorts Piraud”
  • Conclusion sur “CE 8 août 1892, Sieur de Molembaix”
  • Conclusion sur “CE 2 dec. 1892, Sieur Mogambury”
  • Conclusion sur “CE 17 mars 1893, Compagnie du Nord et de l’Est et autres c. Ministre de la Guerre”
  • Conclusion sur “TC 8 juillet 1893, Bastide frères c. Falgayrolles et autres”
  • Conclusion sur “CE 17 nov. 1893, Commune de Quillebœuf”
  • Conclusion sur “CE 12 janv. 1894, Héritiers Dufourcq”
  • Conclusion sur “CE 9 févr. 1894, Sieur Brocks”
  • Conclusion sur “CE 21 juin 1895, Sieur Cames”
  • Conclusion sur “CE 17 janv. 1896, Fidon et fils”
  • Conclusion sur “CE 13 mars 1896, Ville de Paris c. Ministre de la guerre”
  • Conclusion sur “CE 5 mars 1897, 1er arrêt Verdier et Compagnie française de Kong c. Ministre des colonies, 2e arrêt Société commerciale, industrielle et agricole du Haut Ogooué (Daumas et Compagnie des héritiers Daumas) c. Ministre des colonies”

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