Recueil des arrêts du Conseil d’Etat 1892, p. 456
Le concessionnaire d’un casino municipal est déclaré déchu de sa concession faute d’avoir rempli les obligations de son cahier des charges ; il est procédé à une nouvelle adjudication en exécution d’un nouveau cahier des charges aux termes duquel le défaut de paiement du prix par le nouveau concessionnaire à l’ancien, dans le mois qui suit l’approbation par le préfet de l’adjudication, « rendrait nulle l’adjudication ».
Dans ces circonstances, l’inexécution des obligations par le deuxième adjudicataire entraîne-t-elle de plein droit la nullité de l’adjudication ? – Rés. nég.
Le conseil de préfecture est-il compétent pour statuer sur la demande de nullité formée par le maire ? – Rés. aff.
Le maire a-t-il qualité pour vérifier si le paiement est régulièrement fait par le nouvel adjudicataire au syndic de la faillite du premier concessionnaire et à invoquer sa prétendue irrégularité pour faire prononcer la nullité de la dernière adjudication ? – Rés. aff.
Cette nullité doit-elle être prononcée pour défaut de paiement du prix dans le délai stipulé, alors qu’il n’est justifié d’aucune mise en demeure régulière ? – Rés. nég.
Une mise en demeure faite avant l’expiration du mois qui suit l’approbation de la nouvelle adjudication par le préfet, et que le cahier des charges accordait au nouvel adjudicataire pour se libérer, est-elle opposable au débiteur ? – Rés. nég.
La ville peut-elle poursuivre les conséquences de la nullité de la nouvelle adjudication avant qu’elle ait été prononcée ? – Rés. nég. – En conséquence, la seconde adjudication ne saurait être annulée avant que des mises en demeure régulières aient été faites à l’adjudicataire d’avoir à payer son prix.
M. le commissaire du gouvernement Romieu a présenté dans cette affaire les conclusions suivantes :
En 1879, la ville de Nice a concédé à un sieur Lazard un ensemble de travaux comprenant notamment la construction d’un casino municipal sur le bord du torrent le Paillon et la couverture de ce torrent. Le sieur Lazard fut, quelque temps après, autorisé à se substituer une société anonyme, dite la Société du Casino municipal de Nice. L’art. 12 du cahier des charges de l’entreprise portait que si les travaux n’étaient pas exécutés dans le délai fixé l’administration « pourrait prononcer la déchéance du concessionnaire ».
La Société du Casino a été déclarée en faillite et la déchéance de la concession a été prononcée par arrêté du maire de la ville de Nice le 29 juin 1885. À la suite de pourparlers entre le syndic de la faillite et la ville de Nice une convention fut signée le 22 nov. 1886 et on rédigea le cahier des charges de l’adjudication de la concession le 12 mars 1887 ; on le modifia sur quelques points le 28 mars 1890. Le sieur Tessier fut déclaré adjudicataire le 30 avr. 1890, au prix de 2 400 000 F ; l’adjudication fut approuvée par le préfet du département des Alpes-Maritimes le 12 mai 1890 et l’approbation du préfet fut notifiée au sieur Tessier le 27 mai. Le cautionnement à fournir par l’adjudicataire avait été fixé à 300 000 F, dont la moitié devait rester acquise à la ville de Nice en cas de réadjudication de la concession.
L’art. 6 du cahier des charges portait : « Le prix d’adjudication sera versé dans le mois à partir de l’approbation définitive entre les mains de M. Beaugé, en sa qualité de syndic de la faillite de la Société du Casino municipal et sur sa seule quittance. Le défaut de paiement dudit prix dans ce délai rendrait nulle l’adjudication et il serait procédé à une adjudication nouvelle sur folle enchère, aux risques et périls de l’adjudicataire. »
Dès le 13 juin 1890, la ville de Nice faisait signifier par exploit d’huissier au sieur Tessier que, faute par lui d’avoir justifié du paiement du prix de l’adjudication dans le délai et dans la forme prévue par le cahier des charges, elle tenait pour nulle l’adjudication du 30 avr. et qu’en outre elle se considérait d’ores et déjà comme propriétaire de la somme de 150 000 F formant la moitié du cautionnement versé.
Le 26 juin 1890, le maire de la ville de Nice faisait signifier au sieur Tessier un nouvel exploit, aux termes duquel le sieur Tessier était mis eu demeure de justifier sous trois jours de l’accomplissement de toutes les charges de l’adjudication, notamment du paiement du prix, et le sieur Tessier était prévenu que, ledit délai expiré, il serait procédé contre lui à la folle enchère de la concession du Casino municipal de Nice, sous la réserve expresse du surplus de toutes les autres conséquences du défaut de paiement du prix déjà encourues. Le 28 juin, la ville demande au sieur Beaugé si le sieur Tessier a payé ; le sieur Beaugé déclare être prêt à accepter les offres que lui fait Tessier et à donner quittance, sous réserve que la ville renonce à demander la nullité de l’adjudication. La ville de Nice saisit alors le conseil de préfecture d’une demande tendant à faire déclarer nulle l’adjudication du 30 avr. 1890 et à faire reconnaître qu’à la date du 13 juin 1890, elle était devenue propriétaire de la moitié du cautionnement versé par le sieur Tessier. Le sieur Beaugé, syndic de faillite, fut mis en cause et à la date du 6 sept. 1890, le conseil de préfecture rendit un arrêté portant que le contrat de concession était déclaré résolu, depuis le 29 juin 1890, pour défaut de paiement du prix d’adjudication dans le délai convenu, – que depuis cette date le sieur Tessier n’a pu, ne peut et ne pourra payer valablement le prix de l’adjudication, – que dans un délai de 15 à 60 jours, il sera procédé à une nouvelle adjudication de la concession aux risques et périls du sieur Tessier, – que la moitié du cautionnement du sieur Tessier, soit 150 000 F, est attribuée à la ville de Nice.
Le sieur Tessier et le sieur Beaugé, syndic de la faillite de la Société du casino de Nice, défèrent au Conseil d’Etat cet arrêté. Ils exposent les moyens suivants :
1º Le cahier des charges de l’adjudication du 30 avr. 1890 dans son art. 6 ne déclare point l’adjudication nulle de plein droit, faute de paiement du prix dans le mois qui suivra l’approbation préfectorale. Il dit seulement : « le défaut de paiement dudit prix dans ce délai rendrait nulle « l’adjudication ». Cette stipulation permettait au conseil de préfecture d’examiner s’il devait ou non, conformément au droit commun, accorder sieur Tessier un délai pour se libérer. D’ailleurs ce n’était point à la ville qu’il appartenait d’user des clauses de rigueur, mais au syndic de la faillite, qui était bénéficiaire du prix d’adjudication et qui avait seule qualité pour en donner quittance.
2° En admettant même que le défaut de paiement du prix dans le délai d’un mois dût entraîner en principe la résolution du contrat de concession, la ville, à raison de ses agissements vis-à-vis du concessionnaire n’est point recevable à invoquer la clause résolutoire. En effet, le conseil de préfecture a reconnu lui-même que le délai n’expirait que le 28 juin 1890, l’approbation donnée par le préfet à l’adjudication n’ayant été notifiée au sieur Tessier que le 27 mai 1890. Or, dès le 13 juin, la ville de Nice déclarait par huissier qu’elle considérait l’adjudication comme nulle et cette déclaration portait atteinte au crédit du sieur Tessier et l’empêchait de trouver les fonds nécessaires à sa libération.
3º Il est de principe en matière de folle enchère que le fol enchérisseur peut jusqu’à la dernière heure empêcher la nouvelle adjudication en payant son prix et en consignant les frais. Le conseil de préfecture, en interdisant tout paiement postérieur au 29 juin 1890, a méconnu l’art. 738 du Code de procédure civile.
La municipalité de Nice soutient de son côté qu’elle avait qualité pour se prévaloir de toutes les stipulations du cahier des charges, même de celle relative au paiement du prix qui ne devait pas être fait entre ses mains. En second lieu, elle estime que le cahier des charges avait édicté la nullité de plein droit de l’adjudication, à défaut de paiement du prix dans le mois de l’adjudication. Enfin, elle fait observer que c’est le 14 mai 1890 et non le 27 mai, que l’approbation de l’adjudication par le préfet était notifiée au sieur Tessier.
Tels sont les faits qu’il était nécessaire d’exposer avant d’entrer dans l’examen des requêtes des sieurs Tessier et Beaugé ; tels sont en résumé les moyens développés par les parties en cause. Nous allons en apprécier la valeur.
La première question qui se pose est celle de savoir à qui il appartenait de prononcer la nullité du contrat intervenu.
En général, l’administration se réserve le droit de prononcer soit la résiliation du marché soit la déchéance du concessionnaire. Il n’appartient point alors au conseil de préfecture de connaître d’une semblable question ; c’est ce que le Conseil d’Etat a décidé le 16 juil. 1891 (Syndic de la faillite de la compagnie du Chemin de fer d’Orléans à Châlons, 3e espèce, p. 715). C’était le cas de l’adjudication primitive : l’art. 12 du traité intervenu entre la ville de Nice et le sieur Lazard portait effet qu’en cas d’inexécution des travaux dans le délai fixé, la ville pourrait prononcer la déchéance. Aussi, lorsque le maire de Nice saisit le conseil de préfecture de conclusions tendant à faire prononcer la déchéance du sieur Lazard, ce tribunal administratif se déclara avec raison incompétent par arrêté du 29 mai 1885 ; le maire prononça alors lui-même la déchéance du sieur Lazard le 29 juin de la même année. Mais dans le cahier des charges de l’adjudication de 1890, il en est tout autrement : l’art. 6 porte, en effet, que le défaut de paiement du prix dans le délai d’un mois rendra nulle l’adjudication. On ne prononce pas le mot de déchéance, on ne réserve plus aucun droit à l’administration. En l’absence de disposition du cahier des charges, qui réserve à l’administration le droit de prononcer la déchéance, ou peut seulement demander au conseil de préfecture la résolution du contrat (v. 19 déc. 1887, Fouque p. 938 ; v. aussi l’arrêt de 1881 cité plus haut). Dans l’espèce, le maire pouvait donc saisir le conseil de préfecture, il ne pouvait faire autre chose, et le conseil de préfecture était compétent pour statuer.
La seconde question qui se pose est celle de savoir si la ville de Nice avait le droit de provoquer la nullité. Nous n’hésitons point à nous prononcer dans le sens de l’affirmative. Sans doute, dans le cahier des charges de l’adjudication de 1890, la ville avait stipulé pour le syndic de la faillite de la Société du Casino, mais elle avait stipulé aussi pour elle-même ; elle s’était en effet assuré une subvention annuelle de 85 000 F et le droit de confisquer la moitié du cautionnement versé, en cas d’adjudication sur folle enchère. D’autre part, elle avait un intérêt certain à l’exécution des travaux et par suite à l’accomplissement des conditions imposées à l’adjudicataire. Si les conditions de l’adjudication n’étaient pas remplies, le syndic de la faillite de la Société du Casino pouvait demander la nullité en cours d’exécution des travaux et il en serait résulté une interruption nouvelle des ouvrages commencés. La ville de Nice avait un intérêt de premier ordre à surveiller le paiement du prix de l’adjudication, puisque de ce paiement dépendaient la validité du contrat, l’exécution des travaux et des droits éventuels sur le cautionnement. En troisième lieu, il ne faut point oublier que le contrat est intervenu entre la ville de Nice et le sieur Tessier, que c’est la ville qui a passé l’adjudication et cela non seulement parce que le traité de 1879 prévoyait le cas d’une nouvelle adjudication, mais aussi à raison même de la convention arrêtée avec le syndic de la faillite de la Société du Casino. D’après le contrat de 1890, c’est la ville de Nice qui adjuge les travaux à Tessier en présence de Beaugé. Si le prix de l’adjudication devait servir à désintéresser la faillite créancière de la ville, il n’en est pas moins certain que cette combinaison supposait une délégation de la ville qui dans la rigueur du droit aurait dû toucher le prix, sauf à en tenir compte ultérieurement à la faillite. Enfin, l’art. 6 du cahier des charges de 1890 établit, au moins implicitement, dans ses termes le droit pour la ville de demander la nullité de l’adjudication. Pour tous ces motifs, nous estimons que la ville de Nice avait à la fois qualité et intérêt pour provoquer les mesures de rigueur stipulées au contrat et pour réclamer la nullité de l’adjudication. Que par suite c’est avec raison que son action a été déclarée recevable par le conseil de préfecture.
La question de recevabilité écartée, nous arrivons à l’examen du fond.
Et tout d’abord à quelle date devait avoir lieu le paiement du prix d’adjudication ? L’art. 6 du cahier des charges porte que le paiement du prix devra être effectué dans le délai d’un mois à compter de l’approbation donnée par le préfet à l’adjudication, ce qui implique nécessairement une notification de la décision préfectorale. L’adjudication a eu lieu 30 avr. 1890 ; elle a été approuvée par le préfet le 12 mai. Le maire de la ville de Nice informe Tessier de l’approbation du préfet par une lettre en date du 14 mai, mais ce document ne constitue évidemment point une notification régulière. C’est seulement par exploit d’huissier en date du 27 mai, à la requête du syndic de la faillite de la Société du Casino, que la décision du préfet est portée à la connaissance de Tessier. La ville ne justifie d’aucune signification régulière, faite antérieurement au 27 mai 1890. Tessier avait donc jusqu’au 28 juin suivant pour se libérer.
La ville de Nice soutient, il est vrai, que Tessier n’a point payé régulièrement le 28 juin son prix d’adjudication : sans doute, le syndic de la faillite de la Société du Casino déclare bien, le 28 juin, être prêt à accepter les offres de Tessier, la somme de 2 400 000 F, mais ce paiement ne saurait être considéré comme libératoire, étant donnés les éléments divers dont se composait la somme offerte par Tessier.
Nous rappelons ici au Conseil l’art. 6 du cahier des charges qui portait : « Le prix d’adjudication sera versé dans le mois à partir de l’approbation définitive entre les mains de M. Beaugé, en sa qualité de syndic a de la faillite de la Société du Casino municipal et sur sa seule quittance ».
Assurément, en général, la ville aurait qualité pour recevoir le paiement du prix et donner quittance ; mais, dans l’espèce, nous nous trouvons en présence d’une disposition spéciale du cahier des charges. En principe, dans le contrat de concession, il ne peut y avoir cession, changement de concessionnaire, qu’avec l’approbation de l’administration. En cas de faillite, le syndic représente les créanciers, peut continuer les opérations commencées, mais se borne plutôt à réaliser le gage des créanciers (v. Cassation, 14 juil. 1862, chemin de fer de Graissessac à Béziers). L’administration a un pouvoir de surveillance sur les conditions nouvelles de l’exploitation (avis du Conseil d’Etat du 9 août 1871, chemin de fer de la Croix-Rousse à Sathouay). Le syndic seul est chargé des droits pécuniaires des créanciers.
Ici, d’après la convention de 1879 et celle de 1886, le montant de la nouvelle adjudication va à la faillite de la Société du Casino ; l’administration peut insérer au cahier des charges des conditions pour assurer la bonne exécution des travaux ; le syndic, lui, défend les droits des créanciers. L’administration a le droit d’exiger le paiement du prix de l’adjudication dans le délai d’un mois pour que tout soit fini et pour qu’elle soit libérée vis-à-vis de la faillite ; mais le syndic avait seul le droit de constater la libération de l’adjudicataire, l’art. 6 le dit expressément et du moment que le syndic acceptait le mode de paiement proposé par Tessier, la ville de Nice était libérée envers la faillite et n’avait ni intérêt, ni qualité pour contester le paiement effectué. Donc ici l’acceptation du syndic suffisait pour l’exécution de l’art. 6. Mais il est inutile d’insister sur ce point ; d’ailleurs la quittance du syndic, sans réserves, n’avait pas été produite le 28 juin 1890.
Reste à voir si l’inexécution au 28 juin des clauses du contrat entraînait de plein droit la nullité du contrat. Nous ne le pensons point. Tout d’abord il aurait fallu au moins une mise en demeure adressée à Tessier. L’art. 6 dit seulement que le défaut de paiement du prix dans délai fixé « rendrait nulle l’adjudication », il ne dispense pas la ville de mettre Tessier en demeure de payer son prix, il ne déclare point que la seule échéance du terme entraînera de plein droit la résolution l’adjudication.
Si nous consultons votre jurisprudence, nous trouvons plusieurs arrêts exigeant une mise en demeure préalable (v. Moreau, 31 juil. 1885 p. 743 ; Papin, 26 mars 1886, p. 291 ; Canaux agricoles, 11 juin 1885 p. 529 ; Sieur Germier, 22 févr. 1889, p. 849). lI est bien certain du reste que la dispense de mise en demeure peut être stipulée et alors la seule échéance du terme doit être considérée comme constituant une mise en demeure (v. faillite des chemins de fer d’intérêt local de la Savoie, 13 juil. 1883, p. 664) ; mais nous ne trouvons ici aucune dispense de ce genre, on restait donc dans le droit commun, nous le verrons bientôt.
Dans l’affaire actuelle, il n’y a pas eu de mise en demeure régulière. Sans doute, le 13 juin 1890, la ville de Nice faisait signifier, par exploit d’huissier, au sieur Tessier que, faute par lui d’avoir justifié du paiement du prix d’adjudication dans le délai fixé, elle tenait l’adjudication du 30 avr. comme nulle et non avenue et qu’en outre elle se considérait d’ores et déjà comme propriétaire de la moitié du cautionnement versé ; sans doute, le 26 juin elle impartissait au sieur Tessier un délai de trois jours pour justifier du paiement du prix d’adjudication et l’avertissait que passé ce délai il serait procédé à l’adjudication sur folle enchère ; mais tous ces actes étaient antérieurs à l’échéance du terme fixé, qui, nous l’avons vu, arrivait seulement le 28 juin. Il est donc bien certain que, le 28 juin, il n’y a pas eu de mise en demeure.
Le cahier des charges édictait-il, au moins, une nullité de plein droit de l’adjudication et, par suite, le juge pouvait-il ou non examiner s’il y avait lieu de prononcer la nullité de l’adjudication. Le moindre doute n’est possible sur cette question. Il résulte, en effet, de l’examen des pièces du dossier que, primitivement, l’intention du sieur Beaugé syndic et de la ville de Nice était d’insérer au cahier des charges une clause formelle portant que, faute de paiement du prix dans le délai d’un mois, l’adjudication serait nulle de plein droit ; mais ces mots ont été retranchés dans le nouveau cahier des charges dressé de concert avec la municipalité ; l’art. 6 porte seulement que le défaut de paiement du prix dans le délai rendrait nulle l’adjudication et qu’il serait procédé à une nouvelle adjudication sur folle enchère. L’intention des parties n’était donc pas d’attacher à la clause dont il s’agit la rigueur qui lui a été attribuée par le conseil de préfecture. Le juge avait, dès lors, le droit d’examiner si la nullité de l’adjudication devait être prononcée, si le paiement effectué en dehors du délai ne suffisait point, si, au cas où ce paiement n’aurait pas été effectué, il n’a point été empêché par des circonstances étrangères à l’adjudication qui écarteraient toute responsabilité de l’adjudicataire ; il pouvait voir enfin, sans crainte de violer la convention, s’il convenait ou non d’accorder au sieur Tessier un délai pour se libérer.
Nous allons plus loin : le juge, dans sa liberté d’appréciation, devait-il prononcer la nullité, pour défaut de paiement du prix, au moment où il a statué ? Nous ne le croyons point. Nous avons, en effet, montré qu’à la date du 8 juin, le sieur Tessier se déclarait prêt à payer son prix d’adjudication et que le syndic de la faillite de la Société du Casino voulait accepter les offres de Tessier et lui donner quittance à condition que la ville renonçât à demander la nullité de l’adjudication. Nous avons établi que la ville n’avait point à discuter les éléments du prix offert par Tessier ; que, du moment que le syndic se déclarait satisfait des offres du sieur Tessier et prêt à lui délivrer quittance de son prix, cette déclaration devait suffire à la municipalité. Le 28 juin 1890, le sieur Tessier pouvait donc être en état de payer valablement.
En tout cas, s’il ne l’était point, il semble bien que les agissements de la ville aient été la cause, au moins en partie, des retards dans le paiement du prix et c’est encore une des raisons pour lesquelles le conseil de préfecture n’aurait point dû prononcer la nullité de l’adjudication. Il est fort possible, en effet, qu’à la suite des deux exploits d’huissier des 13 et 26 juin, aux termes desquels la ville de Nice déclarait considérer l’adjudication comme nulle, le sieur Tessier ait été atteint dans son crédit. Il cherchait, à ce moment, à former une société ; il n’a pu y arriver : les doutes qui pesaient sur le sort de l’entreprise out écarté les capitaux. D’autre part, le syndic lui-même de la faillite de la Société du Casino ne voulait donner qu’une quittance conditionnelle. Tous ces faits ont été fort préjudiciables à Tessier et il est bien certain que si cet adjudicataire n’a pu payer son prix, le 28 juin, c’est pour une très large part la faute de ville de Nice.
En résumé, nous estimons que le cahier des charges n’avait pas édicté une nullité de plein droit en cas de défaut de paiement du prix de l’adjudication dans le délai fixé ; nous pensons que si la libération du sieur Tessier n’a point eu lieu à l’époque fixée, les agissements de la ville de Nice en ont été la cause et que, par suite, il n’y a point lieu d’appliquer l’art. 6 du cahier des charges.
Nous concluons, en conséquence, à l’annulation de l’arrêté du conseil de préfecture et au rejet des conclusions de la vile de Nice tendant à faire déclarer nulle l’adjudication du 30 avr. 1890.