Recueil des arrêts du Conseil d’Etat 1894, p. 21
En matière de dommages causés par des travaux publics, la demande d’indemnité adressé au préfet constitue-t-elle une réclamation faisant obstacle à l’application de la déchéance quinquennale, si l’administration a reconnu alors le principe de l’indemnité et en a accepté le règlement amiable ? – Rés. aff. – Dans ces circonstances, le retard dans le règlement provient du fait de l’administration.
En conséquence, le requérant a droit à une indemnité pour les dommages éprouvés dans les cinq ans qui ont précédé sa demande.
M. le commissaire du gouvernement Romieu a présenté dans cette affaire les conclusions suivantes :
Messieurs, les héritiers Dufourcq sont propriétaires de terrains situés dans la région connue sous le nom de Barthes-de-Saines, plaine formant presqu’île entre les gaves réunis de Pau et d’Oloron, la Bidouze et l’Adour. Toute cette plaine est basse, humide et exposée d’une part à l’invasion des eaux de la mer dont le reflux est encore considérable à cette distance et, d’autre part, à la stagnation des eaux de pluie. Aussi, à une époque déjà fort ancienne, des ingénieurs hollandais avaient créé tout un système de défense consistant en un ensemble savamment combiné de levées de terres dites baluhards, de canaux et de rigoles avec vannes et clapets automatiques, formant un obstacle contre les eaux de crues ordinaires et assurant en même temps aux eaux pluviales, ainsi qu’aux eaux de grandes crues, un écoulement assez rapide. En 1860, l’Etat entreprit la construction de la ligne ferrée de Bayonne à Toulouse, qui traverse aujourd’hui en remblai les Barthes-de-Saines. La famille Dufourcq dut céder une partie de ses terrains et une indemnité lui fut allouée de ce chef par le jury d’expropriation en 1864.
La construction de la ligne ayant amené la suppression de quelques-uns des anciens ouvrages de protection contre les eaux, l’Etat fit exécuter différents travaux qui devaient assurer l’écoulement des eaux, mais depuis 1868 ces travaux ont été insuffisants : les terrains ont été inondés, des tassements et des affaissements se sont produits, les maçonneries des aqueducs se sont disloquées et les voûtes se sont effondrées. Les dommages qui résultèrent de cet état de choses n’avaient point été prévus par le jury, ils étaient dus à l’insuffisance des travaux exécutés par l’Etat, travaux qui étaient terminés. Ils commencèrent en 1868, devinrent plus importants d’année en année jusqu’en 1878, où le maximum fut atteint, puis ils diminuèrent à partir de 1886. Le 30 janv. 1885, les héritiers Dufourcq saisirent le conseil de préfecture du département des Basses-Pyrénées d’une demande d’indemnité. Le conseil de préfecture, statuant après expertise, leur a alloué le 26 avr. 1890 la somme de 25 349 F ; il a estimé à 1 369 F par an la perte de revenu total et il a accordé aux propriétaires une indemnité annuelle croissant progressivement du 1er janv. 1868 au 31 déc. 1878 et s’élevant à 8 184 F en total, puis 8 329 F pour les années comprises entre le 1er janv. 1879 et le 31 janv. 1885 ; enfin pour les dommages subis du 1er févr. 1885 au 31 déc. 1889, il a réduit l’indemnité à 460 F par an et a alloué 4 003 F. L’ensemble de ces sommes donne avec les intérêts jusqu’au 30 avr. 1890 le chiffre total de 25 349 F que nous avons indiqué.
La dette de l’Etat a été ainsi reconnue et établie par le conseil de préfecture. Mais le ministre des travaux publics s’est refusé à l’acquitter en opposant aux héritiers Dufourcq la déchéance quinquennale : le 5 août 1891, il a pris une décision aux termes de laquelle il a déclaré prescrite au profit de l’Etat, par application de l’art. 9 de la loi du 29 janv. 1831, l’indemnité de 25 349 F allouée par l’arrêté précité du 26 avr. 1890, la réclamation des héritiers Dufourcq étant relative : 1° à des exercices antérieurs à l’année 1878 ; 2° à une dépréciation définitive survenue depuis 1878 et n’ayant été formée qu’en 1885.
Les héritiers Dufourcq vous défèrent cette décision et en tant que de besoin une décision, en date du 11 déc. 1891, confirmative de celle du 5 août précédent. Ils exposent que de nombreux actes interruptifs de la déchéance ont été accomplis par eux en 1861, 1863, 1874, 1876, 1878 et 1881.
Avant d’entrer dans les détails de l’affaire, nous vous demandons la permission de vous rappeler les dispositions de la loi du 29 janv. 1831 sur la déchéance quinquennale.
Les articles 9 et 10 de cette loi sont ainsi conçus :
« Art. 9: Seront prescrites et définitivement éteintes au profit de l’Etat, sans préjudice des déchéances prononcées par les lois antérieures ou consenties par les marchés ou conventions, toutes créances, qui, n’ayant pas été acquittées avant la clôture des crédits de l’exercice auquel elles appartiennent, n’auraient pu, à défaut de justifications suffisantes, être liquidées, ordonnancées et payées dans un délai de cinq années, à partir de l’ouverture de l’exercice, pour les créanciers domiciliés en Europe et de six années pour les créanciers résidant hors du territoire européen. Le montant des créances frappées d’opposition sera, à l’époque de la clôture des payements, versé à la Caisse des dépôts et consignations ».
« Art. 10.Les dispositions des deux articles précédents ne seront pas applicables aux créances dont l’ordonnancement et le paiement n’auraient pu être effectués dans les délais déterminés, par le fait de l’administration ou par suite de pourvois formés devant le Conseil d’Etat. Tout créancier aura le droit de se faire délivrer par le ministère compétent un bulletin indiquant la date de sa demande et les pièces produites à l’appui ».
Le législateur de 1831 a voulu décharger chaque exercice au bout de cinq ans ; passé ce délai, l’exercice est irrévocablement libéré de toute espèce de reliquat et il n’aura pas de charges à léguer aux exercices suivants. Aussi le décret du 31 mai 1862 dispose dans son art. 134 « qu’à l’expiration de la période quinquennale fixée par l’art. 9 de la loi du 29 janv. 1831 pour l’entier apurement des exercices clos, les crédits applicables aux créances restant encore à solder demeurent définitivement annulés et l’exercice, arrivé au terme de déchéance, cesse de figurer dans la comptabilité des ministères ».
Ainsi, le créancier de l’Etat a-t-il laissé cinq années s’écouler sans faire liquider, ordonnancer et payer sa créance, l’exercice est périmé, la caisse est légalement vide. Il faudra pour le payer qu’un crédit soit inscrit par le législateur au compte d’un nouvel exercice (art. 139 et 140 du décret du 31 mai 1862) et encore ne pourra-t-il en être ainsi que si le retard dans l’ordonnancement et le paiement n’est point imputable au créancier, que s’il provient du fait de l’administration. Tels sont les principes généraux qui se dégagent des art. 9 et 10 de la loi du 29 janv. 1831.
Pour l’application de la déchéance, il y a une question capitale à examiner, c’est la question de savoir quel est le point de départ du délai de cinq ans, c’est-à-dire à quel exercice appartient une créance. La réponse à cette question se trouve en principe dans l’art. 6 du décret du 31 mai 1862, qui considère comme appartenant à un exercice les services faits et les droits acquis du 1er janv. au 31 déc. de l’année qui lui donne son nom. Le point de départ du délai est donc l’exercice où le service est fait ou bien be droit acquis. Sur le mot de « services faits » il ne peut s’élever d’équivoque ; mais on a discuté au contraire sur les mots « droits acquis », on a prétendu notamment, en cas de procès engagé contre l’Etat par un de ses créanciers devant un tribunal, que c’était à dater du jour où était rendu le jugement qui condamnait l’Etat que le droit était acquis. Le Conseil d’Etat a toujours repoussé cette doctrine. Il est de principe en effet que les jugements reconnaissent les droits et ne les créent pas, qu’ils sont déclaratifs et non attributifs de droits (CE, Bordeaux et Richardière liquidateurs de la société Mirés, 28 mai 1866, p. 526 ; Compagnie la Providence, 9 févr. 1883, p. 145 ; Avis des sections réunies des travaux publics et des finances du 23 nov. 1875).
Il peut arriver que le montant de la créance ait été arrêté par une décision ministérielle ou par un jugement, que la liquidation ait été opérée, mais que l’ordonnancement et le paiement n’aient pu avoir lieu dans les cinq ans. Dans ce cas, une novation se produit ; le droit acquis pour l’ordonnancement et le paiement est de l’exercice pendant lequel la décision est intervenue et le délai de cinq ans court à partir de cette époque. Cette solution s’imposait ; sinon, toutes les fois que la décision aurait été rendue après cinq années, le créancier n’aurait pu se faire payer. C’est l’hypothèse prévue par l’art. 10 de la loi de 1831 qui parle d’ordonnancement et de paiement retardés par le fait de l’administration et qui, pour sauvegarder les droits du créancier, permet à ce dernier d’exiger du ministère un bulletin énonçant la date de sa demande et les pièces produites à l’appui. La jurisprudence du Conseil d’Etat est très nette sur tous ces points ; nous citerons les arrêts Julien, 14 janv. 1842, p. 19 ; Hayet, 26 juil. 1855, p. 559 ; Bornot, 2 juil. 1875, p. 653 ; Hugot, 8 juil. 1892, p. 611 et enfin l’avis des sections réunies de 1875 déjà cité.
Ainsi, c’est du 1er janv. de l’exercice du service fait que court le délai de cinq ans pour faire liquider et payer la créance due par l’Etat et c’est du 1er janv. de l’exercice où la décision ou bien be jugement qui liquide a été rendu que court le délai de cinq ans pour se faire payer. Spécialement, lorsqu’il s’agit de dommages résultant de travaux publics, en cas de dépréciation définitive, le délai court du 1er janv. de l’année où cette dépréciation s’est produite et en cas de dommages annuels du 1er janv. de chaque année. La jurisprudence du Conseil d’Etat est constante sur ce point ; nous nous bornerons à citer un arrêt Bellanger du 20 déc. 1889 (p. 1190) et l’avis des sections réunies du 23 nov. 1875.
Une seconde question se pose lorsqu’on étudie les dispositions de la loi de 1831 : à qui appartient-il d’opposer la déchéance quinquennale ? C’est exclusivement au ministre compétent pour ordonnancer la créance. Le Conseil d’Etat l’a établi par de nombreuses décisions : c’est ainsi qu’il a annulé pour excès de pouvoir des arrêtés de conseil de préfecture, qui, statuant sur les réclamations présentées par des entrepreneurs ou des propriétaires, au sujet de l’exécution de travaux publics, avaient opposé à leur demande la déchéance établie par la loi de 1831 (v. notamment 12 août 1854, Reig, p. 781 ; 28 mai 1862, Roumagoux, p. 435). Il a été décidé également que la déchéance ne peut être opposée par un avocat au nom du ministre dans un mémoire présenté à l’appui d’un pourvoi (ministre des travaux publics contre Nicquevert, 22 nov. 1889, p. 1066). Les juridictions soit administratives, soit civiles, peuvent reconnaître une créance contre l’Etat, mais leur décision ne fait point obstacle à ce que, lorsque le créancier se présentera devant le ministre ordonnateur pour demander son paiement, le ministre oppose la déchéance. (Arrêt Reig déjà cité ; Riveron, 8 mars 1851, p. 172 ; Avis des sections réunies de 1875). La décision du ministre, en pareil cas, peut être attaquée devant le Conseil d’Etat par la voie contentieuse.
Enfin, quelle est la nature juridique de la déchéance quinquennale ? Est-ce une véritable déchéance ? N’est-ce pas une prescription ? Elle a ceci de commun avec la prescription qu’elle éteint non seulement le droit au paiement, mais la dette même de l’Etat ; elle rend toute liquidation impossible parce qu’elle supprime la créance à liquider. Mais elle a surtout le caractère d’une déchéance ordinaire, opérant avec une rigueur qu’aucun moyen de fait ou de droit ne peut tempérer, en dehors des deux cas uniques prévus par l’art. 10. C’est une mesure d’ordre, de comptabilité. Aussi la déchéance est-elle encourue par le mineur ou par l’interdit aussi bien que par le mineur jouissant de ce droit et n’est-elle par interrompue par une action intentée devant le Tribunal incompétent ; de même enfin, le juge du fond ne peut statuer sur la déchéance. Il s’agit d’une mesure financière, comme celle qu’avait déjà prise la loi du 25 mars 1817 et que devait prendre plus tard la loi du 4 mai 1834. Par l’arrivée de ce terme de déchéance l’exercice périmé est complètement libéré, sauf dans le cas où le paiement aurait été empêché par une faute avérée de l’administration.
Nous avons vu quel est le point du délai de cinq années accordé aux créanciers de l’Etat pour faire liquider, ordonnancer et payer leurs créances ; quelle autorité était compétente pour opposer la déchéance édictée par la loi de 1831 ; enfin quelle était la nature de cette déchéance. Il nous reste à examiner les circonstances qui font obstacle à l’application de la déchéance et nous appliquerons ensuite à l’affaire actuelle les principes que nous aurons ainsi établis.
On sait que la prescription ne peut être interrompue que par une action en justice, mais qu’elle l’est même par une action intentée devant un Tribunal incompétent. Une demande de paiement formée devant une juridiction empêchera également l’application de la déchéance, mais il ne suffirait point de la porter devant une juridiction incompétente. D’autre part, pour écarter la déchéance, une demande en justice n’est point nécessaire, il suffit que le créancier justifie de diligences régulièrement faites par lui auprès de l’administration et que le retard apporté au paiement soit dû uniquement au fait de l’administration.
Nous venons de dire qu’en premier lieu une action en justice empêche l’application de la déchéance. L’art. 10 de la loi du 29 janv. 1831 ne parle sans doute que d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat, mais bien évidemment il statue de eo quod plerumque fit et toute action, devant une juridiction civile comme devant une juridiction administrative, serait suffisante.
Nous avons parlé en second lieu du fait de l’administration. Cette seconde cause d’interruption de la déchéance se produit lorsque l’administration, saisie en temps utile de la réclamation et des pièces à l’appui, n’a pas liquidé et ordonnancé la créance avant l’expiration du délai. Peu importe, d’ailleurs, que le retard provienne de négligence ou de formalités légitimes de vérification. Le créancier est à l’abri de la déchéance par cela seul qu’il a adressé en temps utile une demande régulière de paiement au ministre compétent.
Ici se pose la question de savoir quelles conditions doit remplir la demande de liquidation ou de paiement adressée à l’administration pour que le défaut de liquidation constitue le fait de l’administration dans le sens de l’art. 10 de la loi de 1831. Et tout d’abord, à qui la demande doit-elle être adressée ? N’est-ce pas au ministre ? C’est à lui en effet qu’il appartient de liquider et d’ordonnancer, c’est lui seul qui peut opposer la déchéance, enfin la loi de 1831 dans son art. 10 parle de pièces déposées au ministère. Il n’est pas nécessaire cependant que la demande soit adressée au ministre. Nous trouvons au-dessous du ministre des ordonnateurs secondaires, puis pour les divers services des représentants légaux qui transmettent les pièces à l’administration centrale et sont en rapports continuels avec elle ; d’ailleurs, l’art. 10 de la loi de 1831 parle de documents remis au ministère et non point au ministre ; enfin, l’ordonnance du 10 févr. 1838 dans son art. 1er et le décret du 31 mai 1862 dans son art. 138 disent que le bulletin de dépôt prévu à l’art. 10 de la loi de 1831 doit être dressé d’après les registres qui doivent constater dans chaque ministère la production des titres de créance. Il ne faudrait pas croire cependant que la demande pourrait être adressée utilement à un fonctionnaire quelconque ; elle doit l’être à un représentant légal de l’Etat, ainsi en matière de travaux publics, au préfet du département et non point aux ingénieurs des ponts et chaussées. Le Conseil d’Etat a décidé à plusieurs reprises qu’une demande adressée au préfet était suffisante (Bernard, 22 juin 1850, p. 608 ; Touillet, 19 mai 1853, p. 535 ; Lebobe, 21 déc. 1854, p. 996 ; Billard, 10 janv. 1856, p. 31 ; Raveaud, 25 févr. 1881, p. 211, implicitement dans ce dernier arrêt).
D’autre part, une simple demande ne suffit pas : les art. 9 et 10 de la loi de 1831 et l’art. 138 du décret du 31 mai 1862 exigent que la demande pour être valable soit accompagnée de pièces justificatives, mais ils n’ont pas indiqué autrement la nature de ces pièces et cela était impossible à dire, à raison de l’infinie variété des créances. S’agit-il d’un compte, le créancier doit indiquer les services faits ou produire des pièces formant les éléments du compte (Arrêt Lebobe, 21 déc. 1854, p. 996 ; Hugot, 8 juil. 1892, p. 611). S’agit-il d’une demande d’indemnité en matière de travaux publics, on ne peut généralement produire les documents nécessaires pour liquider et dès lors, le plus souvent, les pièces à l’appui exigées par la loi de 1831 faisant défaut, une réclamation adressée à l’administration ne suffira point pour empêcher la déchéance d’être opposée ; le créancier aura bien des difficultés à exiger le bulletin de dépôt prévu à l’art. 10 de la loi de 1831. La demande d’indemnité a, en effet, un caractère contentieux, son droit n’est pas établi et c’est au conseil de préfecture seul compétent ici qu’il faut s’adresser pour le faire reconnaître. L’administration n’a point à répondre à la réclamation qui lui est présentée et par suite elle n’est point en faute si elle ne répond pas et se laisse attaquer en justice.
Il résulte de là que le Conseil d’Etat, saisi d’un recours contre la décision du ministre qui a opposé la déchéance, a une question de fait à examiner : il a à rechercher si la demande du créancier a été formée dans des conditions telles qu’elle satisfaisait aux prescriptions des articles 9 et 10 de la loi de 1831 et que le défaut de liquidation était imputable à l’administration. C’est ce que le Conseil d’Etat a fait le 22 juin 1850 dans une affaire Bernard (p. 608) : il a examiné si la demande de règlement des comptes qu’un entrepreneur avait présentée au préfet contenait toutes les justifications nécessaires et si l’administration était responsable du retard apporté à la liquidation de la créance. Et cette solution est fort juste, on ne saurait admettre qu’une simple demande adressée au préfet ou au ministre, la simple production d’un morceau de papier, suffit pour rendre la déchéance inapplicable, alors qu’une action en justice formée devant un Tribunal incompétent ne suffit pas.
Que s’est-il passé dans l’affaire actuelle ? Il faut remarquer tout d’abord qu’il n’y a pas eu de dépréciation définitive de la propriété des héritiers Dufourcq, mais seulement des dommages annuels augmentant jusqu’en 1878, époque où ils ont atteint leur maximum d’intensité, restant toujours les mêmes de 1878 à 1885 et enfin diminuant depuis 1886, à la suite de travaux exécutés par l’Etat. Il s’agit en réalité de dommages variant annuellement, pour la réparation desquels c’est une indemnité annuelle qui doit être accordée ; dès lors le délai de cinq ans prévu par la loi de 1831 a pour point de départ le 1er janv. de chaque année depuis 1868. Les héritiers Dufourcq allèguent qu’ils ont adressé des réclamations nombreuses à l’administration en 1861, 1863, 1874, 1876, 1878 et 1881, mais le ministre fait observer que toutes ces réclamations, sauf celle de 1881, ont été formées par Dufourcq soit comme maire au nom de la commune de Sames, soit comme président du syndicat de défense de la région des Barthes et qu’elles ne peuvent par suite valoir comme actes interruptifs de la déchéance en ce qui concerne Dufourcq personnellement ; que, si l’on voyait là des actes interruptifs de déchéance, il en résulterait que l’adhésion donnée en 1880 par Dufourcq en qualité de président du syndicat aux travaux que l’Etat avait projeté d’exécuter impliquerait renonciation pour lui personnellement à toute indemnité. Enfin, en 1881, une réclamation a été adressée au préfet par Dufourcq agissant en son nom personnel, mais est-elle suffisante pour empêcher l’application de la déchéance ? Dans le sens de la négative, on peut dire qu’il ne s’agissait pas d’un simple compte ; que des pièces justificatives n’ont pas été produites, que l’administration n’était pas tenue de liquider, qu’il y avait là une question contentieuse de la compétence du conseil de préfecture ; que, dès lors, l’administration n’étant pas obligée de répondre n’avait commis dans l’espèce aucune faute.
Mais il y a un ensemble de circonstances de fait dont il faut tenir compte. Il ressort en effet d’une longue correspondance versée au dossier que l’administration a admis en 1881 le principe de l’indemnité réclamée ; qu’après avoir invité le sieur Dufourcq à s’adresser au conseil de préfecture, elle a adopté l’idée d’une liquidation amiable que proposait le sieur Dufourcq, elle a accepté d’envoyer des ingénieurs qui dresseraient des rapports, enfin elle a promis de faire des offres. C’est donc l’administration qui s’est engagée à fournir les éléments de la liquidation de la créance, et, par suite, c’est elle qui est en faute pour le retard apporté dans cette liquidation : elle attendait l’exécution des travaux d’ensemble que l’Etat comptait faire. Dans ces conditions spéciales, nous pensons que la demande formée en 1881 peut être considérée comme ayant saisi valablement l’administration et que c’est au fait de celle dernière qu’est imputable le retard dans la liquidation. La demande d’indemnité ayant été produite régulièrement en 1881, la déchéance quinquennale ne peut être opposée cinq ans en arrière, elle ne peut l’être que pour les années antérieures au 1er janv. 1877. Par ces motifs, nous concluons à l’annulation des décisions attaquées et au renvoi des héritiers Dufourcq devant le ministre pour qu’il soit procédé conformément à l’arrêté du conseil de préfecture à la liquidation de l’indemnité à eux due pour les dommages causes à leur propriété du 1er janv. 1877 au 31 déc. 1889.