Recueil des arrêts du Conseil d’État 1890, p. 159
Centimes additionnels. – Lorsqu’une imposition extraordinaire est autorisée par une loi pendant 30 ans, la perception de cet impôt est-elle régulière, alors même que l’emprunt qu’elle devait gager n’a été réalisé qu’en partie et que l’excédent des centimes additionnels reçoit une affectation non prévue ? – Rés. aff. – L’irrégularité dans l’affectation n’affecte pas la régularité de la perception.
M. le commissaire du gouvernement Romieu a présenté les observations suivantes :
Une loi du 12 août 1882 a autorisé la ville de Versailles : 1º à contracter un emprunt de 3 500 000 F réalisable en 5 ans, et remboursable en 30 ans à partir de chaque réalisation ; 2° à percevoir pendant 30 ans, de 1882 à 1912, 19 centimes additionnels destinés, avec un prélèvement sur les ressources ordinaires, à assurer le service de l’emprunt. L’emprunt n’a été réalisé que jusqu’à concurrence de 1 800 000 F, et le produit des 19 centimes additionnels s’est trouvé ainsi dépasser le montant des sommes à payer chaque année à titre d’intérêts et d’amortissement et le reliquat a été confondu avec les ressources générales de la caisse municipale. En 1888, le délai de 5 ans pour la réalisation de l’emprunt étant expiré, des contribuables ont soutenu que la perception des 19 centimes était illégale et qu’on ne pouvait percevoir que le nombre de centimes nécessaires pour le service de la partie de l’emprunt effectivement réalisé. Ils ont par ce motif demandé réduction de leur imposition devant le conseil de préfecture, puis devant le Conseil d’Etat.
Le mode de procéder employé par la ville de Versailles a été reconnu irrégulier par le ministre de l’intérieur, mais il s’agit de savoir si cette irrégularité peut donner ouverture à un recours contentieux devant le juge de l’impôt. La négative ne paraît pas douteuse. Le conseil de préfecture et le Conseil d’Etat peuvent vérifier la légalité de l’imposition perçue par une commune, mais non l’emploi que la commune fait des fonds légalement perçus, et notamment le changement qu’elle peut faire subir à leur affectation ; c’est là une question d’administration communale qui ne relève que de l’autorité administrative supérieure. Elle ne pourrait être discutée devant le juge de la taxe que s’il fallait, pour vérifier la légalité de l’imposition, examiner dans quelles conditions l’emprunt a été effectué, si, par exemple, la loi qui autorise l’emprunt se bornait à prescrire la perception d’une contribution extraordinaire pour en assurer le service, sans déterminer la quotité des centimes additionnels à percevoir et la durée pendant laquelle ils pourraient être perçus. Or, tel n’est pas le cas de l’espèce. La loi a autorisé la perception de 19 centimes pendant 30 ans : il en résulte que la commune a le droit de percevoir sur les contribuables ces 19 centimes durant cette période. Il est vrai que cette imposition doit servir à gager un emprunt à réaliser dans certaines conditions : si ces conditions ne sont pas remplies, si le produit de l’imposition reçoit une autre destination, la taxe n’en aura pas moins été légalement perçue, et, à l’administration supérieure, seule, appartiendra le droit d’examiner si les fonds ont reçu l’affectation à laquelle ils étaient destinés et de prendre à cet égard les mesures qu’elle jugera nécessaires.
La jurisprudence du Conseil d’Etat semble s’être inspirée de ces principes dans plusieurs espèces ayant une certaine analogie avec le cas qui nous occupe (7 août 1883, p. 756, d’Aboville ; 25 juil. 1884, p. 654, Guilhem de Pothuau ; 28 janv. 1887, p. 87, société Immobilière marseillaise ; 20 juil. 1888, p. 661, Bertrand).
En conséquence, l’irrégularité signalée dans l’espèce ne saurait motiver une demande en décharge et le recours doit être rejeté.