L’accès aux emplois publics, prolongement de l’exercice de la souveraineté, est historiquement réservé aux nationaux français (Article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958). Cependant, l’évolution de la société contemporaine a tendance à favoriser les échanges internationaux dans un cadre européen mais également plus global. La recherche scientifique étant internationalisée sur de nombreux points, les échanges de personnels sont nombreux et il n’est pas rare que des chercheurs mettent en œuvre une « mobilité internationale ».
Le Premier ministre a saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis administratif (Il ne s’agit pas ici d’un avis juridictionnel rendu par les formations contentieuses en application des dispositions de l’article L.113‑1 du code de justice administrative issu de la loi n°87‑1127 du 31 décembre 1987) tendant à déterminer si une personne n’ayant pas la nationalité française pouvait diriger un établissement public et, le cas échéant, sous quelles conditions de forme et de fond. Bien que cette demande visait spécifiquement l’Agence nationale de la recherche (ANR), les termes dans lesquels le Conseil d’État a émis son avis sont transposables à de multiples organismes de droit public. Elle ne saurait toutefois être transposée aux organismes de droit privé chargés d’une mission de service public ni aux organismes régis par des textes spéciaux, notamment ceux présents dans le domaine de la défense.
A cette occasion, le Conseil d’État va préciser que, dans son principe, un étranger peut parfaitement avoir accès à l’ensemble des « emplois publics » sous les réserves posées par les règles à valeur constitutionnelle et législative. Il n’existe en effet nul obstacle juridique de portée générale à un tel accès même si le droit positif privilégie les ressortissants français et « européens ».
Cet avis, dont la publicité a été autorisée, constitue donc une contribution à la détermination des conditions d’emploi des étrangers au sein de l’administration publique française et systématise les solutions antérieures indépendamment du cadre d’emploi.
1°) Le Conseil d’État, juge administratif suprême, dispose d’activités consultatives dont l’une des caractéristiques demeure la discrétion. Qu’il s’agisse d’avis rendus à l’occasion de l’examen de projets de textes gouvernementaux, de propositions de loi (Articles 38 et 39 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; article L.112‑1 du code de justice administrative) ou d’avis rendus sur les « difficultés qui s’élèvent en matière administrative » (Article L.112‑2 du code de justice administrative), la confidentialité des avis est une condition requise pour que le Conseil d’État puisse librement exercer sa mission de conseil (Y. Gaudemet (et al.), Les grands avis du Conseil d’État, 3e éd., Dalloz, 2008, p. 48 et s).
Toutefois, la règle du secret –bien que légalement consacrée (Article 6 1° de la loi n° 78‑753 du 17 juillet 1978)– est mise en échec dans le cadre de la législation relative aux archives (Article L.213‑2 I du code du patrimoine) qui permet leur accès à l’expiration d’un délai de 25 années ou lorsque le Gouvernement, destinataire de ses avis, accepte de le rendre public (Pour être exhaustif, il convient de signaler qu’il arrive que de tels avis soient l’objet de « fuites » auprès de la presse. Ce phénomène est cependant exceptionnel).
Tel est le cas d’un certain nombre d’avis qui font l’objet d’une publication dans la collections des Rapports du Conseil d’État (anciennement Études et documents du Conseil d’État) (Publiées par La documentation française/DILA) ou lorsque la publicité est formellement accordée. C’est ainsi que certains auteurs ont pu publier des avis du Conseil d’État après « dé-classification » à leur demande (Y. Gaudemet (et al.), ibid) ou, lorsqu’en opportunité, le Gouvernement rend public une position du Conseil d’État pour asseoir sa doctrine administrative (Cf. CE Ass. gén., 27 novembre 1989, n° 346.893, obs. J. Rivero RFDA 1990 p. 1, obs. O. Schrameck et M. Guyomar in Y. Gaudemet (et al.), Les grands avis du Conseil d’État, 3e éd., Dalloz, 2008, p. 197 et s). La Cour européenne des droits de l’Homme a même eu l’occasion de consacrer cette pratique en indiquant qu’elle pouvait parfaitement être assimilée à l’édiction d’une loi (au sens matériel) en matière administrative (Cour EDH, 4 décembre 2008, Dogru c. France, n° 31645/04 et Kervanci c. France, n° 27058/08 [2 espèces]).
Au cas présent, le Gouvernement a souhaité autoriser la publicité de l’avis du 11 septembre 2014, rendu à sa demande dans le cadre des « difficultés administratives ». Il convient de signaler que, sur un plan formel, de tels avis ne sauraient avoir la même force qu’une décision du Conseil d’État statuant au contentieux. Toutefois, ils préfigurent souvent directement les solutions rendues au contentieux et, sur un plan doctrinal, ils peuvent être rapprochés des arrêts rendus par la section du contentieux lorsqu’ils sont délibérés en assemblée générale ordinaire (Article R.123‑14 du code de justice administrative) ou des arrêts rendus par l’Assemblée du contentieux lorsqu’ils sont délibérés par l’Assemblée générale plénière (Article R.123‑13 du code de justice administrative).
Inversement, les avis et notes rendus à l’occasion de l’examen de projets de texte n’ont nullement la même force doctrinale. En effet, ceux-ci sont rendus à l’occasion d’un examen in abstracto et soulèvent des questions souvent limitées par la lettre du texte examiné. Cependant, lorsque l’Assemblée générale se prononce, une position de principe peut être actée (Il est, à ce titre, fait usage d’applications informatiques internes au Conseil d’État [FANAL et Ariane]) mais de tels avis sont très rarement rendus publics (L’usage de transmettre cet avis au Conseil constitutionnel est cependant consacré).
Il convient donc d’assimiler, ici, la force de cet avis à celle d’un arrêt rendu par la Section du contentieux. C’est donc une position de principe qui a été adoptée et le raisonnement tenu peut être largement transposé (Y. Jegouzo, « A propos de la fonction consultative du Conseil d’État », Mélanges Labetoulle, Dalloz, 2007, p. 505).
2°) La question principale soulevée par cette demande d’avis a trait à la condition de nationalité qui peut être exigée à l’encontre des candidats aux « fonctions publiques ».
Le Conseil d’État avait eu l’occasion de préciser à de multiples occasions la portée des éventuelles restrictions fondées sur la question de la nationalité d’une manière qui n’était pas toujours d’une grande lisibilité. La distinction fondamentale en la matière est celle qui oppose les fonctionnaires, qui sont dans une situation « statutaire et réglementaire », des autre agents publics.
En ce qui concerne les personnes ayant la qualité de fonctionnaire, la loi du 13 juillet 1983 (Loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires) réservait initialement l’accès à cette qualité aux candidats ayant la nationalité française sauf disposition législative contraire (C’est le cas notamment des enseignants-chercheurs des universités [loi n° 68‑968 du 12 novembre 1968 d’orientation de l’enseignement supérieur, loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur codifiée aux articles L.952‑1 et s. du code de l’éducation] et chercheurs du CNRS [article 22 du décret n° 84‑1185 du 28 décembre 1984 relatif aux statuts particuliers des corps de fonctionnaires du CNRS]). Cette solution consacrait, en réalité, la position administrative adoptée par le Conseil d’État avant-guerre (CE, avis, 27 décembre 1934, D. 1935 p. 37, Revue critique de droit international privé 1936 p. 438) et reprise par le législateur postérieurement (Article 23 de la loi n° 46‑2294 du 19 octobre 1946). Cependant, sous les auspices du droit de l’Union européenne, le Parlement est revenu sur cette fermeture du fonctionnariat au profit des étrangers ayant la nationalité d’un État membre de l’Union européenne (Loi n° 91‑715 du 26 juillet 1991), puis de ceux ayant la nationalité d’un État membre de l’Espace économique européen (Loi n° 96‑1093 du 16 décembre 1996) lorsque les fonctions exercées ne comportent nulle mise en œuvre de prérogatives de souveraineté ou de puissance publique.
En ce qui concerne les personnes ayant la qualité d’agent non titulaire de droit public, nul principe général ne semblait faire obstacle à leur recrutement de manière générale. Cependant, le Conseil d’État avait exclu un temps (en réalité de 1971 jusqu’en 1973 ; cf. CE Sect., 23 avril 1971, Monnet et Syndicat national des vétérinaires, Rec. p. 288 Note J.‑P. C. AJDA 1971 p. 362, concl. M. Gentot RA 1971 p. 280 ; CE Ass. gén., avis, 17 mai 1973, n° 310.715, obs. B. Stirn, Grands avis du Conseil d’État, 1ère éd., Dalloz, p. 131 ; CE, 2 juin 1982, Georgescu, Rec. p. 195), les agents rémunérés par l’État. Toutefois, dans le dernier état du droit applicable, il était uniquement réservé la situation particulière où les tâches et fonctions en cause feraient obstacle à leur exercice par un citoyen étranger (Il sera fait ici abstraction des binationaux dans la mesure où ils sont, aux regards des autorités françaises, systématiquement considérés comme citoyens français). Désormais, tout emploi ou fonction d’agent non titulaire de droit public doit être réputé ouvert aux étrangers, sauf texte contraire, ou emploi touchant aux prérogatives régaliennes de l’État (CE Ass., 23 mai 2006, GISTI, n° 273638).
3°) C’est donc la question de la détachabilité des fonctions au regard de la souveraineté nationale ou des prérogatives de puissance publique mises en œuvre qui constitue la principale limite à l’accès des étrangers aux fonctions et mandats publics. Le Conseil constitutionnel a consacré, par une stricte réserve d’interprétation, cette restriction (CC, 5 mai 1998, « Loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile », n° 98‑399 DC, obs. A. Pena-Gaia RFDC 1998 p. 634) faisant ainsi écho au droit de l’Union européenne.
Ce dernier impose en effet la libre circulation des travailleurs hormis dans les « emplois dans l’administration publique » (Article 45 du TFUE). Interprétant ces dispositions, la Cour de Luxembourg avait opéré une lecture restrictive de cette exception par une définition matérielle de la notion d’« administration publique ». Pour le juge communautaire, c’est la « participation (…) à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’État ou des autres collectivités publiques » qui constitue ici la notion autonome d’« administration publique » (CJCE, 17 décembre 1980, Commission c. Belgique, n° 149/79). Cette position jurisprudentielle est absolument constante depuis (CJCE, 2 juillet 1996, Commission c. Luxembourg, n° C‑473/93 ; CJCE, 16 septembre 2004, Commission c. Autriche, n° C‑465/01).
On notera, également que la Cour européenne des droits l’Homme avait fait également sienne cette distinction (Cour EDH, Grande chambre, 8 décembre 1999, Pellegrin c. France, n° 28541/95), au regard des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention, avant d’y revenir dans un but de simplification (Cour EDH, Grande chambre, 19 avril 2007, Vilho Eskelinen et autres c. Finlande, n° 63235/00, obs. F. Rolin AJDA 2007 p. 1360).
4°) Toutefois, le Conseil d’État va prendre le soin de préciser que l’application de ces principes généraux peut soulever des difficultés particulières au regard du cas particulier qui lui était soumis. En effet, il s’agissait non de pourvoir un simple poste de fonctionnaire ou d’agent contractuel mais de confier la présidence d’un établissement public à caractère administratif (Décret n° 2006‑963 du 1er août 2006 portant organisation et fonctionnement de l’Agence nationale de la recherche).
Or, un tel recrutement se trouve être dans la catégorie des « emplois supérieurs à la discrétion du Gouvernement ». Le juge administratif suprême a eu l’occasion de juger que l’accès à de tels emplois ne conférait pas la qualité de fonctionnaire (CE, 5 janvier 1994, Chevrillon, n° 138.647, Rec. p. 2 ; CE, 27 mars 1995, Cospérec, Rec. p. T. 848) ce qui rendait nécessairement inopérant les dispositions des articles 5 et 5 bis de la loi du 13 juillet 1983 (Cf. mut. mut. CE Ass., 13 mars 1953, Teissier, Rec. p. 133) au cas présent.
Cependant, le président d’un tel établissement public a la qualité de « chef de service » (CE Sect., 7 février 1936, Jamart, Rec. p. 172, obs. J. Rivero S. 1937.III.113, GAJA n° 47) ce qui lui confère certaines compétences réglementaires et disciplinaires et celles-ci sont de nature à réaliser la politique gouvernementale ce qui ferait obstacle à l’accès des étrangers à de telles fonctions. Mais, c’est ici qu’intervient le principe de spécialité des établissements publics (CE Sect., 4 mars 1938, Consorts Le Clerc, Rec. p. 229 ; CE avis, 7 juillet 1994, n° 356.089, obs. Ch Vigouroux et D. Casas in Y. Gaudemet (et al.), Les grands avis du Conseil d’État, 3e éd., Dalloz, 2008, p. 297 et s). En effet, ce principe est entendu strictement et confère à l’établissement public en cause une définition exhaustive des activités dont il peut connaître.
Ainsi, les missions réglementairement confiées à l’établissement public en cause doivent être regardées, sauf situation particulière, comme le critère principal de détermination de la détachabilité des fonctions exercées au regard de la Souveraineté.
5°) C’est donc une analyse au cas par cas qui devra être réalisée par l’autorité de nomination pour déterminer si tel ou tel emploi ou fonction est détachable des fonctions souveraines de l’État.
Au regard des dispositions statutaires régissant l’Agence nationale de la recherche, cette dernière met principalement en œuvre la politique gouvernementale en matière de recherche sans pour autant la déterminer. Cette compétence est en effet exercée par le ministre chargé de la recherche. Les fonctions de président, mais également celles de directeur général, de cette « agence nationale » sont donc parfaitement détachables de la souveraineté nationale et, par voie de conséquence, peuvent être exercées par un étranger.
Toutefois, si le contrôle du Conseil d’État sur l’acte de nomination, compétent en premier et dernier ressort, est un contrôle qualifié de « restreint » (Cf. mut. mut. CE Ass., 16 décembre 1988, Bleton, Rec. p 451 ; CE Ass., 16 décembre 1988, Association générale des administrateurs civils, Rec. p. 449), il semble certain que la nationalité du président de l’ANR constituera l’un des critères de la recherche d’une erreur manifeste d’appréciation.
En effet, si la détermination de la politique gouvernementale n’est pas ici en cause, l’Agence nationale de la recherche peut être destinataire d’informations confidentielles protégées, soit au titre du droit de la propriété intellectuelle et industrielle (brevets, etc.), soit au titre du secret de la défense nationale. Il en résulte qu’un citoyen étranger, s’il peut être admis à faire valoir sa candidature, ne saurait être nommé si sa nationalité est de nature à mettre en péril l’indépendance de cet établissement ou la sauvegarde des secrets légalement protégés.