CHAPITRE II – LA COMPETENCE DE LA JURIDICTION ADMINISTRATIVE
160. Une double question. Le droit public est un droit foncièrement sensible aux questions de compétence. Le droit processuel l’est tout autant. C’est dire si la question de la compétence juridictionnelle revêt une importance cruciale pour la procédure juridictionnelle administrative. C’est à présent une chose trop bien sue, la compétence de la juridiction administrative est en principe exclusive de celle de la compétence de l’autorité judiciaire. Saisie d’un litige, il importe donc à la juridiction administrative de statuer sur sa compétence externe (Section 1). Pour peu que cette condition soit satisfaite, il incombe ensuite à la juridiction de s’assurer que la compétence interne (Section 2) n’est pas davantage méconnue.
Section 1 – La compétence externe
161. L’ordre dans le chaos. La compétence externe de la juridiction administrative découle des règles présidant à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction (Sous-section 1) et des mécanismes de régulation existent, qui règlent les conflits de compétence (Sous-section 3). On ne saurait cependant appréhender le contentieux administratif à l’aune de cette seule question. En effet, l’organisation de cette régulation entre les deux ordres de juridiction ne doit pas occulter l’existence d’une concurrence de compétences (Sous-section 2).
Sous-section 1 – La répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction
162. Le législateur ne pouvant pas tout prévoir… Il est heureux qu’un certain nombre de domaines de compétence juridictionnelle soit défini par le législateur (§ 1). Toutefois, parce que le législateur ne saurait tout prévoir, des principes existent permettant de répartir les compétences dans le silence de la loi (§ 2).
§ 1 : La compétence par détermination de la loi
163. Une répartition législative dans le respect de la Constitution. Les règles législatives définissant la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction ne sont que la traduction (II) d’un cadre constitutionnel qui s’avère aujourd’hui suffisamment abouti (I) pour être intelligible et efficient.
I. Le cadre constitutionnel
164. Un cadre constitutionnellement défini. La compétence de la juridiction administrative a reçu sa consécration avec la décision Conseil de la concurrence du 23 janvier 1987. A cette occasion, le Conseil constitutionnel a énoncé que, « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (Cons. const., décision numéro 86-224 DC du 23 janv. 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, Rec. Cons. const., p. 8 ; AJDA 1987, p. 345, note J. Chevallier ; D. 1988, p. 117, note F. Luchaire ; RDP 1987, p. 1341, note Y. Gaudemet ; RFDA 1987, p. 287, note B. Genevois). Il en résulte, d’une part, que certaines matières échappent en principe à la compétence de la juridiction administrative, d’autre part, que les actions en annulation ou en réformation des décisions prises par l’administration active sont de la compétence de la seule juridiction administrative. Au principe de séparation des autorités administratives se superpose définitivement ainsi celui de la séparation des pouvoirs.
165. Un cadre partiellement malaisé. La ligne de démarcation entre les deux ordres de juridiction n’est pas si évidente qu’il y paraît. L’administration peut parfois être fondée par la loi à agir dans des matières qui se rapportent à la puissance publique en touchant dans le même temps à des matières relevant par nature du champ de compétence de la juridiction judiciaire. Dans pareille hypothèse, la régulation opérée par le Conseil constitutionnel s’avère difficile à prédire.
Par exemple, que le Conseil constitutionnel avait considéré que, en tant qu’ils portaient sur l’usage par une autorité exerçant le pouvoir exécutif, ou par un de ses agents, de prérogatives de puissance publique, les recours tendant à l’annulation des décisions administratives relatives à l’entrée et au séjour en France des étrangers devaient relever de la compétence de la juridiction administrative (Cons. const., décision numéro 89-261 DC du 28 juill. 1989, Loi relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France, Rec. Cons. const., p. 81 ; AJDA 2989, p. 619, note J. Chevallier ; RFDA 1989, p. 691, note B. Genevois). Il statuera cependant en sens inverse s’agissant du maintien des étrangers en zone de transit, la compétence de l’autorité judiciaire s’imposant eu égard à la contrainte qui avait pour conséquence d’affecter la liberté individuelle de la personne (Cons. const., décision numéro 92-307 DC du 25 févr. 1992, Loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, Rec. Cons. const., p. 48 ; RFDC 1992, p. 311, note P. Gaïa).
Par exemple encore, si les missions de visite et d’enquête administratives peuvent être de la compétence du juge administratif pour en connaître (Cons. const., décision numéro 87-240 DC du 19 janv. 1988, Loi sur les bourses de valeurs, Rec. Cons. const., p. 28 ; RDP 1989, p. 430, note L. Favoreu), le juge judiciaire doit être compétent lorsque le degré d’investigation devient plus poussé, notamment eu égard aux pouvoirs de perquisition et de saisie octroyés à l’administration (Cons. const., décision numéro 89-271 DC du 11 janv. 1990, Loi relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, Rec. Cons. const., p. 21 ; RFDC 1990, p. 332, note A. Roux).
166. Les blocs de compétence. On ne saurait soutenir que le législateur ne dispose d’aucune marge de manœuvre. Le Conseil constitutionnel l’a rappelé : le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires n’a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle et il est donc loisible au législateur de conférer, à l’un ou l’autre ordre juridictionnel, compétence pour connaître de l’intégralité d’un contentieux qui, normalement, ressortirait partiellement à la compétence de l’autre ordre de juridiction. Cette faculté reconnue au législateur n’est cependant pas laissée à la discrétion du législateur. D’une part, la constitution des blocs de compétence doit s’opérer au profit de l’ordre juridictionnel principalement intéressé. D’autre part, cette constitution doit intervenir « lorsque l’application d’une législation ou d’une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire » et ce, d’autre part, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice » (Cons. const., décision numéro 86-224 DC du 23 janv. 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, préc.).
II. La traduction législative
167. Les choses pourraient tout de même être plus simples. A bien y regarder, le législateur n’épuise pas les pouvoirs que la jurisprudence constitutionnelle lui reconnaît, et c’est regrettable. En témoignait l’inutile répartition des compétences entre les juridictions administrative et civile pour connaitre du contentieux de la passation des contrats passés sur le fondement de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, suivant que le contrat était administratif ou de droit privé. L’occasion a été donnée au législateur délégué de mettre fin à cette difficulté avec l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics. Il s’y est partiellement employé, en énonçant que « les marchés publics relevant de la présente ordonnance passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs » (art. 3). Foncièrement, toutefois, il n’est pas satisfaisant de constater la permanence de contrats passés par des personnes dont on peut raisonnablement se demander si elles sont publiques ou privées. Ceci conduit inévitablement à des erreurs de juridiction. Etait-il à ce point nécessaire de conserver ici toute son importance au critère organique ? Malgré tout, des blocs de compétence existent et le phénomène tend même à croître. Dans un certain nombre d’hypothèses, la loi confère compétence au juge administratif (A) ou au juge judiciaire (B) pour connaître de certaines catégories de litiges.
A. La compétence du juge administratif par détermination de la loi
168. Les litiges en lien avec l’occupation du domaine public. Suivant l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, doivent être portés devant le juge administratif les litiges relatifs « aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ». Le principe est consacré de longue date. Son énoncé est toutefois trompeur. A tout le moins, la jurisprudence en tempère la rigueur. Le Tribunal des conflits a ainsi maintenu sa jurisprudence suivant laquelle le litige né de la résiliation d’un contrat de droit privé passé par deux personnes de droit privé relève de la compétence des juridictions judiciaires même si cette convention comportait occupation du domaine public (TC, 14 mai 2012, Mme Gilles, requête numéro 3836, Rec., p. 512). Il en va cependant différemment si l’une des parties s’est vue déléguer la gestion d’un service public et doit être regardée comme un concessionnaire au sens et pour l’application des dispositions de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques (TC, 9 déc. 2013, EURL Aquagol c. Association réunionnaise de développement de l’aquaculture, requête numéro 3925, Rec., T., p. 500 ; BJCP 2014, p. 114, concl. D. Boccon-Gibod). Sont encore soumis au juge administratif les litiges relatifs au principe ou au montant des redevances d’occupation ou d’utilisation du domaine public ; aux contraventions de grande voirie ; à la location et à l’administration des établissements d’eaux minérales sur le domaine de l’Etat ; aux baux emphytéotiques administratifs.
169. Les litiges relatifs aux marchés publics. En énonçant que les contrats passés par les personnes publiques sur son fondement sont administratifs, l’article 3 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 précitée confère l’essentiel du contentieux des marchés publics au juge administratif. Mais contrairement à l’état du droit antérieur (loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier), une partie des marchés publics échappe aujourd’hui au juge administratif. On soulignera encore que, en certaines hypothèses, l’existence d’un marché public ne suffit pas à attraire le litige dans le giron de la juridiction administrative. Le Tribunal des conflits a ainsi pu constituer un bloc de compétence en matière de droit de la propriété intellectuelle : le juge judiciaire est compétent pour connaître du litige en matière de propriété littéraire et artistique (C. propr. intell., art. L. 331-1), quand bien même le litige résulterait de l’exécution d’un marché public (TC, 7 juill. 2014, M. Minisimi c. Département de la Meurthe-et-Moselle, requête numéro 3955, Rec., p. 468 ; AJDA 2014, p. 2364, note J.-M. Pontier ; RDI 2015, p. 180, obs. N. Foulquier).
170. S’agissant des travaux publics. La loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures a entièrement abrogé la loi du 28 pluviôse an VIII, en sorte que la compétence administrative pour connaître des litiges en matière de travaux publics ne repose plus sur le fondement légal qui était le sien jusqu’alors. Doit-on y voir une maladresse ou une inattention du législateur ? Peut-être… Reste que, juridiquement, c’est dans les seuls principes généraux du droit administratif que la compétence administrative trouve aujourd’hui son fondement. Même si la jurisprudence ne laisse pas de doute quant à la pérénité des solutions antérieures (Cass. civ. 1ère, 16 nov. 2016, Sté Eurovia, pourvoi numéro 15-25.370), le contentieux des travaux publics n’est donc plus administratif par détermination de la loi. On précisera que l’effet attractif des travaux publics tel qu’il est généralement observé a ses limites. Notamment, le Tribunal des conflits a jugé que la compétence pour connaître de l’action en responsabilité des ayants droit d’un participant à l’exécution de travaux publics dirigée contre un autre participant à titre personnel reste celle de la juridiction judiciaire (TC, 15 mai 2017, Mme H. c. Sté Electricité de France et a., requête numéro 4080, Rec., T.).
171. Pour d’autres matières encore. La compétence de la juridiction administrative peut être prévue par un texte pour des matières toutes aussi hétérogènes que nombreuses. Ainsi, l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 a transféré aux juridictions administratives le contentieux des dommages résultant de la fourniture des produits sanguins, quelle que soit la date de survenance du dommage. Ainsi encore, la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 confère au juge administratif la compétence pour connaître des contentieux afférents à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
B. La compétence du juge judiciaire
172. Beaucoup… et trop… Le discours autour du maintien ou de la suppression du dualisme juridictionnel n’est pas forcément et irrévocablement révolu. Certaines voix s’élèvent encore pour demander l’unification des deux ordres de juridiction (par ex., P. Léger, « Le dualisme juridictionnel a-t-il encore une raison d’être ? » in Mélanges en l’honneur de Jean-François Burgelin, Paris, Dalloz, 2008, pp. 233 et s.), à tout le moins pour l’envisager (par ex., A. Van Lang, « Le dualisme juridictionnel en France : une question toujours d’actualité », AJDA 2005, pp. 1760 et s.). On finirait presque – mais seulement à des fins rhétoriques… – par adhérer à ce mouvement, tant la répartition des compétences verse dans l’abscons. Et c’est tout de même un paradoxe que de constater qu’à une époque où la compétence de la juridiction administrative a été constitutionnalisée, autant de matières dont on pourrait estimer qu’elles devraient ressortir à la compétence de la juridiction administrative sont dévolues au juge civil, que le contentieux relève par nature (1) de sa compétence ou non (2).
1. Les contentieux relevant « par nature » de la compétence judiciaire
173. Liberté individuelle et propriété privée. L’article 66 de la Constitution fait de l’autorité judiciaire la garante de la liberté individuelle. Il n’est dès lors pas surprenant de constater que certains types d’atteintes à la liberté individuelle sont de sa compétence par application de la loi (a). Le rôle de garant de la liberté individuelle n’est pas le seul dévolu au juge judiciaire. En effet, un principe fondamental reconnu par les lois de la République en faisant le garant de la propriété privée (Cons. const., décision numéro 89-256 DC du 25 juill. 1989, Loi portant dispositions diverses dispositions en matière d’urbanisme et d’agglomérations nouvelles, Rec. Cons. const., p. 53 ; CJEG 1990, p. 1, note B. Genevois ; RFDA 1989, p. 1009, note P. Bon), le juge judiciaire est inévitablement compétent par détermination de la loi pour connaître d’un certain nombre de litiges en lien avec la propriété privée (b).
a. la liberté individuelle
174. En matière d’atteintes à la liberté individuelle. L’article 136 du code de procédure pénale dispose que les tribunaux judiciaires sont « toujours exclusivement compétents » dans « toute instance civile fondée sur des faits constitutifs d’une atteinte à la liberté individuelle ou à l’inviolabilité du domicile prévue par les articles 432-4 à 432-6 et 432-8 du code pénal, qu’elle soit dirigée contre la collectivité publique ou contre ses agents ». On notera que cette dérogation à la loi de séparation des autorités administratives et judiciaires ne va pas jusqu’à autoriser les tribunaux judiciaires, hors l’hypothèse de la voie de fait, à faire obstacle à l’exécution des décisions prises par l’administration. Ainsi, le Tribunal des conflits a-t-il dénié au juge des référés du tribunal de grande instance toute compétence pour connaître de l’action engagée par les passagers clandestins d’un navire à la suite de la décision de l’administration refusant leur entrée sur le territoire national et les consignant à bord (TC, 12 mai 1997, Préfet de police c. Ben Salem et Taznaret, requête numéro 3056, Rec., p. 528 ; AJDA 1997, p. 575, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot ; RFDA 1997, p. 514, concl. J. Arrighi de Casanova). C’est donc bien, et uniquement, en matière indemnitaire que l’autorité judiciaire est compétente ici.
175. Le contentieux des soins psychiatriques sans consentement. Le code de la santé publique prévoit la possibilité d’hospitaliser sans leur consentement – évidemment sous conditions qu’il n’est pas l’objet d’étudier ici – certaines personnes atteintes de troubles mentaux (CSP, art. L. 3212-1 ; art. L. 3214-3). Le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel l’établissement d’accueil se situe doit statuer sur la mesure d’hospitalisation avant l’expiration d’un délai fixé par le législateur, délai différant suivant les situations (CSP, art. L. 3211-12-1). En outre, le juge des libertés et de la détention peut être saisi, à tout moment, afin d’ordonner la fin des mesures de contrainte (CSP, art. L. 3211-12). Les ordonnances de ce juge sont susceptibles d’appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué (CSP, art. L. 3211-12-4).
b. la propriété privée
176. Le rôle du juge de l’expropriation. Le juge judiciaire est le garant de la propriété privée (Cons. const., décision numéro 89-256 DC du 25 juill. 1989, Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et d’agglomérations nouvelles, préc.). On ne se surprendra pas que, à ce titre, il s’agisse d’une compétence qui lui est traditionnellement dévolue d’ordonner le transfert de propriété (C. expr., art. L. 220-1) et de se prononcer sur le montant des indemnités (C. expr., art. L. 311-5) en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. C’est également le juge de l’expropriation qui est compétent en matière de préemption, en cas de désaccord entre les parties sur le prix d’acquisition du bien (C. urb., art. L. 213-4). Il intervient encore, par application de la loi, pour fixer le montant des indemnités dues au titre d’un certain nombre de servitudes. C’est le cas, par exemple, des servitudes résultant du classement d’un immeuble comme monument historique (loi du 31 décembre 1913, art. 5), de la pose de canalisation publique d’eau (loi du 4 août 1962), de l’instauration de passage et d’aménagement en vue d’assurer la continuité de défense contre les incendies (loi du 4 décembre 1985, art. 56), etc…
2. Les autres contentieux dévolus à la juridiction judiciaire
177. Le contentieux relatif à l’état des personnes. Gardienne de l’état des personnes, la juridiction judiciaire est d’abord compétente pour connaître du contentieux du service de l’état civil. Ainsi le juge civil est-il compétent pour statuer sur les décisions des officiers d’état civil et des ministres, autant que sur les actions en réparation pour les préjudices subis du fait de ces décisions. Relèvent de ce contentieux, par exemple, les décisions relatives au livret de famille (TC, 17 juin 1991, Mme Maadjel, requête numéro 2650, Rec., p. 465), le refus de procéder à un mariage (CE, Sect., 25 oct. 1963, Compan, requête numéro 56773, Rec., p. 504) ou encore le refus d’apposer, sur l’acte de décès, la mention « mort pour la France » (CE, 26 juill. 1985, Mme Abbou, requête numéro 49585). La juridiction judiciaire est ensuite compétente pour connaître du service de la tutelle légale exercée sur les pupilles de l’Etat dans les services de l’aide sociale à l’enfance (CASF, art. L. 224-1 et s.). La juridiction civile est enfin compétente s’agissant du contentieux portant sur le service de l’assistance éducative (C. civ., art. 375-1 et s.). Le juge administratif ne saurait s’immiscer dans ces domaines, pas même lorsque son acte ne conduirait pas à une décision au fond. Ainsi le juge administratif ne peut-il pas ordonner une expertise en référé tendant à établir, au moyen de tests génétiques, un lien de filiation (CE, 11 mars 2010, M. Niombo, requête numéro 336326, Rec., T., pp. 693 et 766). Le juge administratif ne peut davantage ordonner une expertise aux fins d’identifier, au moyens de relevé d’empreintes génétiques, un sportif faisant l’objet de poursuites pour des faits de dopage (CE, 25 mai 2010, Stanislas, requête numéro 332045, Rec., T., p. 906).
178. Le contentieux de la nationalité. L’article 26-3 du code civil attribue la compétence au tribunal d’instance pour connaître des refus d’enregistrement des déclarations de nationalité opposées par le ministre chargé des naturalisations. L’article 29 du code civil dispose sans ambiguïté que « la juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques ». Il en résulte que le juge administratif est tenu de surseoir à statuer et adresser, le cas échéant, une question préjudicielle au juge judiciaire, lorsque la solution du litige qui lui est soumis dépend de la résolution de cette question de nationalité (par ex., pour la Cour nationale du droit d’asile : CE, 26 mai 2014, M. Gao, requête numéro 344265, Rec., p. 141 ; AJDA 2014, p. 1611, concl. E. Crépey). Evidemment, encore faut-il que la difficulté présente un caractère sérieux, la juridiction administrative étant seule compétente pour statuer sur cette question. Il n’est pas certain, pour dire les choses pudiquement, que le juge administratif ressente l’envie d’en rencontrer souvent. Il en rencontre donc rarement…
179. L’électorat. Le juge judiciaire est compétent pour connaître du contentieux relatif aux inscriptions sur les listes électorales. Reprenant l’économie générale de l’ancien article L. 25, le nouvel article L. 20 du code électoral, dont l’entrée en vigueur interviendra selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat et, au plus tard, le 31 décembre 2019, dispose que les électeurs inscrits sur la liste électorale de la commune et le représentant de l’Etat dans le département peuvent demander, auprès du tribunal d’instance, l’inscription ou la radiation d’un électeur omis ou indûment inscrit ou contester la décision de radiation ou d’inscription d’un électeur (loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, art. 4).
180. Le contentieux relatif à la gestion des régimes de sécurité sociale. Le contentieux portant sur les questions d’affiliations, de cotisations, de prestations, et intéressant la législation de la sécurité sociale, échappe à la compétence de la juridiction administrative (CSS, art. L. 142-1). Considérant que de tels litiges portent sur des rapports de droit privé, le législateur a même institué, pour le contentieux de premier ressort, une juridiction particulière : le tribunal des affaires de la sécurité sociale. Les usagers, les praticiens, et même les personnels, dans leurs rapports aux organismes de sécurité sociale, doivent donc saisir la juridiction judiciaire alors même que l’acte aurait la qualité de décision administrative. Le principe a cependant ses limites. Ainsi le contentieux des actes réglementaires (par ex., TC, 22 avr. 1974, Directeur général de la sécurité sociale d’Orléans c. Blanchet, requête numéro 1989, Rec., p. 791) et le contentieux des actes disciplinaires (sur les juridictions disciplinaires relevant du contrôle du Conseil d’Etat, supra n°s 130 et s.) restent de la compétence de la juridiction administrative.
181. Le contentieux des impositions indirectes. Par une dérogation contemporaine à la loi de séparation des autorités administratives et judiciaires, le législateur a conféré compétence aux tribunaux judiciaires pour connaître du contentieux des impôts indirects (loi des 6 et 11 septembre 1790), à l’exception des taxes sur le chiffre d’affaires. Ainsi, en matière de droits d’enregistrement, de taxes de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées, la juridiction judiciaire est compétente (LPF, art. L. 199). Ainsi encore, la juridiction est compétente pour statuer sur les contestations concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toute nature recouvrées par l’administration des douanes et des autres affaires de douane n’entrant pas dans le champ de compétence de la juridiction pénale (C. douanes, art. 357 bis). La jurisprudence a étendu cette compétence du juge judiciaire aux demandes de réparation des préjudices causés par ces opérations (pour les droits de douanes, par ex., TC, 24 avr. 1978, SARL Jean de Saint-Laurent, requête numéro 2075, Rec., p. 648 ; en matière de timbre et d’enregistrement, TC, 14 mai 1984, Bonnet, requête numéro 2302, Rec., p. 53).
182. Le contentieux de la réparation des dommages commis ou subis par les élèves. Trouvant ses origines dans la dérogation à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction à laquelle la loi du 5 avril 1937 avait consenti en matière de responsabilité des instituteurs, l’article L. 911-4 du code de l’éducation dispose que l’action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ayants droit, contre l’Etat substitué de droit aux membres de l’enseignement public et de l’enseignement privé sous contrat d’association responsables des dommages commis ou subis par les élèves et étudiants, à raison de leurs fonctions, est portée devant le tribunal de l’ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé. La compétence est judiciaire dans la seule mesure où le fait dommageable a été causé par une faute de l’agent sous la garde duquel était placé l’élève ou l’étudiant. Il en résulte que la juridiction administrative reste compétente « lorsque le préjudice doit être regardé comme indépendant du fait de l’agent, soit qu’il ait son origine dans un travail public, soit qu’il trouve sa cause dans un défaut d’organisation du service » (TC, 14 janv. 1980, Falanga, requête numéro 2136, Rec., p. 20).
183. Le contentieux des accidents causés par les véhicules de l’administration. Par dérogation à la loi de séparation des autorités administratives et judiciaires, le législateur a confié au juge judiciaire compétence pour connaître des dommages causés par les véhicules de l’administration. La loi n° 57-1424 du 31 décembre 1957, qui a institué ce bloc de compétence, participe de cette idée qu’un accident de la circulation en vaut bien un autre et l’énoncé de l’arrêt Blanco, pas plus qu’aucune autre considération, ne devait justifier que ce contentieux soit partagé entre les deux ordres de juridiction. La volonté de systématiser pour simplifier a été poussée assez loin, la notion de véhicule faisant l’objet d’une appréciation extensive : il s’agit de tout engin se déplaçant de manière autonome, au moyen de roues ou de chenilles (Cass. civ. 2ème, 30 juin 2004, Sté Colas Sud-Ouest, Bull. civ. II, n° 334), à la faveur d’un moteur ou d’un autre dispositif de propulsion (voile, pédalier…). Reste que la compétence n’est judiciaire en application de la loi du 31 décembre 1957 que pour autant qu’il s’agit d’un dommage causé par le véhicule. Ce qui importe ici, c’est que le véhicule soit la cause de l’accident. Il n’est pas nécessaire, en revanche, que le véhicule ait été en mouvement, ni même qu’il y ait eu collision. Peu importe que le véhicule ait été utilisé ou non dans le cadre d’un service public ou pour la réalisation d’un travail public et c’est une limite remarquable ici de l’effet attractif des travaux publics. Encore faut-il distinguer deux hypothèses. Le Tribunal des conflits réserve en effet la compétence à la juridiction administrative lorsque le dommage « se rattache à une opération d’ensemble consistant en l’exécution de travaux publics, et non à la seule intervention d’un véhicule » (TC, 12 févr. 2001, Commune de Courdimanche, requête numéro 3243, Rec., p. 735). Il importe encore que l’agent gardien du véhicule ait été dans l’exercice de ses fonctions. A tout le moins, suivant un raisonnement classique en droit administratif, son comportement ne doit pas avoir été dépourvu de tout lien avec celles-ci. D’autres limites à l’application de la loi du 31 décembre 1957 existent. En premier lieu, une règle spéciale peut déroger à la règle générale et organiser un régime spécifique de réparation. C’est le cas, par exemple, si le dommage résulte du comportement d’un collaborateur occasionnel du service public (CE, 10 déc. 1969, Simon, Quarteron et Visserias, requêtes numéros 73996 à 73998 Rec., p. 567). En second lieu, la loi ne s’applique pas, comme on peut s’en douter, lorsque le dommage a été causé à une dépendance du domaine public.
184. En matière d’accidents nucléaires. On se satisfera de la rareté des cas d’application des lois du 30 octobre 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire et du 12 novembre 1965 sur la responsabilité civile des exploitations de navires nucléaires. Suivant ces textes, le juge civil est compétent pour connaître des demandes d’indemnisation en la matière.
§ 2 : La compétence dans le silence de la loi
L’exclusion des actes de gouvernement. Il n’y a pas lieu ici de traiter de la question des actes de gouvernement. Ces actes, dont on rappellera qu’ils concernent les rapports entre les pouvoirs publics (par ex., CE, 3 nov. 1933, Desreumeaux, requête numéro 25040, Rec., p. 993 ; S. 1934, 3, p. 9, note R. Alibert ; CE, Ass., 2 mars 1962, Rubin de Servens et a., requêtes numéros 55049 et 55055, Rec., p. 143 ; RDP 1962, p. 288, note Berlia et concl. J.-F. Henry ; AJDA 1962, p. 214, chron. J.-M. Galabert et M. Gentot ; CE, Ass., 9 avr. 1999, Mme Ba, requête numéro 195616, Rec., p. 124 ; RFDA 1999, p. 566, concl. F. Salat-Baroux ; AJDA 1999, p. 409, chron. F. Raynaud et P. Fombeur) ou les rapports entre l’Etat français et les Etats étrangers (par ex., CE, 16 mars 1962, Prince Sliman Bey, requête numéro 47177, Rec., p. 179 ; CE, 23 sept. 1992, GISTI et MRAP, requêtes numéros 120437 et 120737, Rec., p. 346 ; RFDA 1992, p. 752, concl. D. Kessler ; CE, 30 déc. 2015, M. A., requête numéro 384321, Rec.) ou les organisations internationales (CE, 10 févr. 1978, Confédération française démocratique du travail, requête numéro 05225, Rec., p. 61), sont des actes éminemment politiques qui leur confèrent une immunité de juridiction. Pour les autres actes, il est possible de distinguer les litiges s’inscrivant dans le cadre d’un service public (I) et ceux qui y sont étrangers (II).
I. Les litiges dans le cadre d’un service public
Le cas particulier du service public de la justice judiciaire. Deux considérations ont conduit le Tribunal des conflits à attribuer la compétence au juge civil pour connaître des actions en responsabilité liées à la marche des services judiciaires (TC, 27 nov. 1952, Officiers ministériels de Cayenne, requête numéro 1420, Rec., p. 642 ; JCP 1953, II, 7598, note G. Vedel) : la loi de séparation des autorités administratives et judiciaires d’une part, le rattachement de ce service public, non pas au pouvoir exécutif mais à l’autorité judiciaire, d’autre part.
Ceci explique que la juridiction administrative reste compétente pour connaître des litiges en lien avec l’organisation du service, qu’il s’agisse notamment de la détermination de la carte judiciaire (par ex., CE, 19 févr. 2010, Molline et a., requêtes numéros 322407 et a., Rec., p. 20), la nomination (CE, Ass., 27 mai 1949, Véron-Réville, requêtes numéros 93122 et 96949, Rec., p. 246), l’avancement (CE, Ass., 5 nov. 1976, Lyon-Caen, requête numéro 94227, Rec., p. 472 ; AJDA 1977, p. 29, chron. Nauwelaers et L. Fabius), la notation (CE, Ass., 31 janv. 1975, Volff et Exertier, requêtes numéros 84791 et 88338, Rec., p. 70 ; AJDA 1975, p. 124 ; chron. M. Franc et F. Boyon) ou encore la sanction (CE, Sect., 1er déc. 1972, Dlle Obrégo, requête numéro 80195, Rec., p. 751 ; RDP 1973, p. 516, concl. S. Grévisse ; AJDA 1973, p. 31, chron. P. Cabanes et F. Léger) des magistrats de l’ordre judiciaire, autant que – et à plus forte raison – des questions touchant aux collaborateurs de la justice judiciaire (TC, 12 oct. 2015, M. Hoareau, requête numéro 4019, Rec. ; AJDA 2015, p. 2370, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet). La jurisprudence est constante.
La juridiction judiciaire est revanche compétente pour connaître des décisions d’affectation des magistrats de l’ordre judiciaire et de l’organisation interne à chaque juridiction qui en procéderait (CE, 23 juill. 2010, Syndicat de la magistrature, et Mme Trebucq, requêtes numéros 328463 et 328722, Rec., p. 337). La juridiction judiciaire est encore compétente pour connaître des actes qui se rattachent à l’activité juridictionnelle de l’autorité judiciaire, ce qui inclue les activités de police judiciaire (CE, Sect., 11 mai 1951, Consorts Baud, requête numéro 2542, Rec., p. 265), les actes d’instruction (TC, 19 déc. 1988, Rey, requête numéro 2548, Rec., p. 496) et les actes qui s’inscrivent dans le cadre d’une procédure judiciaire (CE, 15 avr. 2011, Garde des sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, requête numéro 346213, Rec., p. 165) et des actes d’exécution des décisions rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire (CE, Sect., 9 nov. 1990, Théron, requête numéro 101168, Rec., p. 313 ; AJDA 1991, p. 546, note N. Belloubet-Frier). Il en va ainsi même si l’acte a été pris par une autorité administrative comme ce peut être le cas lorsque l’administration chargée des domaines a procédé à la destruction d’un bien qui avait été saisi dans le cadre d’une information judiciaire (TC, 15 avr. 2013, Imbert, requête numéro 3895, Rec., T., p. 511).
S’agissant des autres services publics. La répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction repose sur la combinaison classique de deux critères. Le premier critère est organique, et il convient à ce titre de rechercher si le service public est pris en charge par une personne publique (A) ou par une personne privée (B). Le second critère sera matériel, la compétence pouvant différer suivant que le service public est administratif ou industriel et commercial.
A. Les services publics pris en charge par une personne publique
Les services publics administratifs. En matière contractuelle, le principe est simple : sont de la compétence de la juridiction administrative tous les litiges nés de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat administratif. Et, inversement, sont de la compétence du juge judiciaire tous les contrats de droit privé conclus par une personne publique. En matière extracontractuelle, le principe est plus simple encore : le contentieux ressortit entièrement à la compétence de la juridiction administrative sans qu’il soit nécessaire, comme ce sera le cas pour les services publics industriels et commerciaux, de distinguer suivant que le litige oppose la personne publique à un usager, un tiers ou un agent. Qu’importe encore que l’acte soit réglementaire ou individuel, qu’il traduise ou non l’exercice de prérogatives de puissance publique.
Les services publics industriels et commerciaux. Il convient de distinguer plusieurs hypothèses.
S’agissant des litiges avec les cocontractants, la circonstance que la personne publique prenne en charge un service public industriel et commercial n’influe pas sur la compétence juridictionnelle. De deux choses l’une ici : soit les critères de qualification du contrat administratif sont réunis et la compétence pour connaître du litige est dévolue à la juridiction administrative ; soit le contrat reste de droit privé et le juge judiciaire est compétent.
S’agissant des litiges avec les usagers, le principe est depuis longtemps connu : les liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers sont des liens de droit privé et les litiges opposant la personne publique à l’usager sont de la compétence du juge judiciaire (TC, 22 janv. 1921, Sté commerciale de l’Ouest africain, requête numéro 0706, Rec., p. 91 ; CE, 23 déc. 1921, Sté générale d’armements, requête numéro 66686, Rec., p. 1109 ; RDP 1922, p. 74, concl. C. Rivet). Le principe est particulièrement attractif puisque l’existence d’un contrat, même comportant des clauses exorbitantes du droit commun, ne retire pas sa compétence au juge judiciaire (CE, Sect., 13 oct. 1961, Etablissements Campanon-Rey, requête numéro 44689, Rec., p. 567 ; AJDA 1962, p. 98, concl. C. Heumann et note A. de Laubadère). Dans le même sens, les dommages de travaux publics dont peut être victime l’usager reste de la compétence judiciaire (CE, 14 mai 1937, Sté des forces motrices de la Tarde, requête numéro 41515, Rec., p. 503 ; TC, 24 juin 1954, Dame Galland, requête numéro 1453, Rec., p. 717), y compris lorsque l’action est dirigée non contre le service mais contre une personne ayant collaboré à l’exécution de celui-ci (TC, 21 mars 2005, X. c. Syndicat départemental des collectivités publiques électrifiées de la Dordogne, requête numéro 3442). C’est l’évidence, dans cette hypothèse, la victime du dommage doit l’avoir été en qualité d’usager du service et non en qualité d’usager de l’ouvrage public. Ainsi le dommage reste-t-il de la compétence du juge administratif lorsque l’usager du service de distribution du gaz aura été victime de la rupture d’une canalisation principale (et non particulière) car il sera alors considéré comme tiers au service (CE, Sect., 22 janv. 1960, Gladieu et a., requêtes numéros 39796, 39824, 39844 à 39850 et 39886, Rec., p. 52 ; RDP 1960, p. 686, concl. J. Fournier).
S’agissant des litiges avec les tiers, le traitement est semblable à celui opposant la personne publique et les usagers : le juge judiciaire est compétent, en principe, pour en connaître (TC, 11 juill. 1933, Dame Mélinette, Rec., p. 1237, concl. Rouchon-Mazerat). Par ailleurs, les actes traduisant l’exercice de prérogatives de puissance publique (TC, 22 nov. 1993, Matisse, requête numéro 2876, Rec., p. 410 ; CJEG 1994, p. 599, concl. R. Abraham) sont également de la compétence du juge administratif. En revanche, étant tierce au service, la victime d’un dommage résultant d’un ouvrage devra en toute hypothèse porter son action devant le juge administratif, sans qu’il soit question ici de s’interroger sur la cause de ce dommage, lequel est nécessairement un dommage du fait de l’ouvrage public (CE, Sect., 25 avr. 1958, Dame veuve Barbaza et Sté d’assurances La mutuelle générale française, requêtes numéros 8477 et 12435, Rec., p. 228 ; AJDA 1958, p. 222, chron. J. Fournier et M. Combarnous).
S’agissant des litiges avec les agents, ils sont soumis ici à un régime de droit privé. La compétence pour connaître des litiges y afférents est donc celle de la juridiction judiciaire. Celle-ci n’est toutefois pas absolue. En effet, et sans préjudice de certaines dispositions législatives conférant un statut de droit public aux agents et donc compétence à la juridiction administrative pour connaître des litiges, même individuels, les concernant (par ex., pour les agents de l’ONF, C. forest., art. L. 122-3 ; pour les agents de La Poste, loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service de la poste et des télécommunications, art. 29), restent de la compétence de la juridiction administrative les litiges concernant le directeur de ce service, le comptable s’il a la qualité de comptable public, (CE, Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau, requête numéro 15219, Rec., p. 158), ainsi que les fonctionnaires détachés (TC, 4 juill. 1991, Mme Pillard, requête numéro 2670, Rec., p. 469). En outre, et comme en ce qui concerne les usagers et les tiers, les litiges concernant l’organisation du service sont de la compétence du juge administratif (CE, 10 nov. 1961, Missa et Association les Résistants de la Radiodiffusion française, requête numéro 51071, Rec., p. 636).
B. Les services publics pris en charge par une personne privée
La compétence judiciaire de principe. S’agissant des litiges relatifs aux services publics pris en charge par une personne privée, la compétence de principe est sans surprise celle du juge judiciaire. Il en est ainsi des litiges à l’égard des usagers comme à l’égard des tiers. Encore faut-il ici réserver deux hypothèses de dérogation.
En premier lieu, il en va des services publics pris en charge par une personne privée comme pour ceux pris en charge par une personne publique, le contentieux afférent aux actes réglementaires reste de la compétence du juge administratif (CE, 31 mars 1995, Touzet et Desaunay, requête numéro 147731, Rec., p. 150 ; CE, 4 mai 2011, Bernardie, requête numéro 331153, Rec., p. 198).
En second lieu, la compétence administrative s’impose en cas de décision traduisant l’exercice de prérogatives de puissance publique (CE, 23 mars 1983, SA Bureau Véritas, requêtes numéros 33803 et 34462, Rec., p. 134).
Par exemple :
– en tant que l’exercice du pouvoir disciplinaire par une fédération sportive à l’égard de ses membres est inhérent à son organisation, il ne traduit pas, par lui-même, l’exercice de prérogatives de puissance publique et la compétence pour connaître des contestations visant ce type de décisions échappe donc à l’ordre administratif (CE, 19 mars 2010, Chotard c. Union cycliste internationale, requête numéro 318549, AJDA 2010, p. 1443, note J.-C. Lapouble) ;
– restent de la compétence de la juridiction judiciaire les décisions se rapportant aux cartes de membres d’une association communale de chasse agréée, prises en dehors de l’exercice des prérogatives de puissance publique (CE, 21 juill. 1989, Houvert, requête numéro 69130, Rec., T., p. 431) ;
– ne relèvent pas davantage de la compétence du juge administratif les décisions d’un établissement d’enseignement privé, reconnu d’utilité publique et participant à l’accomplissement des missions de service public de l’enseignement supérieur, relative au passage d’une année de scolarité dans l’année suivante, après un contrôle de connaissances opéré par un jury propre à l’école (CE, 28 juin 1995, Dubois, requêtes numéros 75258, 108281 et 110416, Rec., T., p. 823).
Le contentieux indemnitaire est également de la compétence judiciaire en l’absence de prérogatives de puissance publique d’une personne privée, même si celle-ci agit dans l’intérêt général (TC, 20 févr. 2008, Peney c. Association Orange Plan de Dieu, requête numéro 3591) ou assure l’exécution d’un service public administratif (CE, Sect., 13 oct. 1978, Association départementale pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles du Rhône, requête numéro 03335, Rec., p. 368).
II. Les litiges en dehors du cadre d’un service public
Une compétence principalement judiciaire. La juridiction administrative n’est compétente – et elle doit le rester – que pour autant que la nature du litige justifie qu’il soit fait application d’un droit exorbitant du droit commun. Ici encore, et pour l’essentiel, la compétence suit le fond. Ainsi, les litiges en lien avec le domaine privé des personnes publiques (A) autant que les litiges purement privés (B) doivent rester essentiellement de la compétence du juge judiciaire.
A. Les litiges en lien avec le domaine privé des personnes publiques
Le principe de la compétence du juge judiciaire. En dépit du lien étroit qu’entretient la domanialité privée à l’intérêt général, et bien que le propriétaire public se distingue du propriétaire privé, il est de jurisprudence constante que, en tant que telle, la gestion du domaine privé ne constitue pas une activité de service public (TC, 24 mai 1884, Veuve Linas, Rec., p. 436). Dès lors, le juge judiciaire est compétent pour connaître du contentieux relatif à la gestion du domaine privé.
Il en résulte que les litiges d’ordre contractuel sont de la compétence du juge judiciaire. C’est le cas notamment des contrats liant l’autorité gestionnaire du domaine et les agents chargés d’en assurer la conservation (TC, 18 juin 2001, Lelaidier, requête numéro 3241, Rec., p. 743). Rien ne s’oppose cependant à ce qu’un contrat relatif à la conservation ou à l’exploitation du domaine privé soit administratif, en raison de la présence d’une clause exorbitante (CE, Sect., 17 déc. 1954, Grosy, requête numéro 82271, Rec., p. 674) ou de ce que le contrat confie au cocontractant une activité de service public (CE, Sect., 20 avr. 1956, Ministre de l’Agriculture c. Consorts Grimouard, requête numéro 33961, Rec., p. 168 ; RDP 1956, p. 1058, concl. M. Long).
Le juge judiciaire est également compétent pour connaître des litiges extracontractuels. Ainsi statue-t-il sur les actions indemnitaires formées contre les préjudices nés d’une gestion défectueuse du domaine privé (CE, Sect., 28 nov. 1975, Office national des forêts c. Abamonte et CPAM de Haute-Saône, requête numéro 90772, Rec., p. 601 ; AJDA 1976, p. 148, note J. Julien-Lafferière ; D. 1976, p. 355, note J.-M. Auby ; RDP 1976, p. 1051, note M. Waline). Le Tribunal des conflits a encore jugé qu’un litige qui a pour objet la mise en œuvre de la responsabilité extracontractuelle de la commune, encourue à l’occasion de la gestion de son domaine privé, en raison de la rupture de pourparlers qui n’avaient pas trait à l’exercice d’une mission de service public sur le domaine privé relève de la compétence de la juridiction judiciaire (TC, 24 avr. 2006, Sté Fraday, requête numéro 3500). Il en va de même d’une action en responsabilité formée à son encontre par des vendeurs qui auraient été conduits à céder leur bien à un prix désavantageux en raison des agissements de la personne publique (CE, 10 févr. 2016, Mme G, requête numéro 386892, Rec.).
L’effet attractif des travaux publics. Ici comme ailleurs, l’effet attractif des travaux publics est indéniable, qui transfère à la juridiction administrative compétence pour connaître des dommages de travaux publics survenus sur le domaine privé (TC, 8 févr. 1965, Sté Henri Martin c. Sauvadet et a., requête numéro 1842, Rec., p. 811). Encore faut-il prendre garde de caractériser l’existence de travaux publics. En effet, il a été jugé que ne constitue pas un travail public le fait de construire une route destinée à la seule exploitation d’une forêt domaniale, à l’exclusion de toute affectation à la circulation générale (TC, 10 juin 1963, Sté Lombardi et Morello c. Commune de Laruns et SNCF, requête numéro 1785, Rec., p. 786).
Les demandes d’expulsion. Les tribunaux judiciaires sont également compétents pour connaître des demandes d’expulsion des occupants sans titre du domaine privé (CE, 29 janv. 1986, Commune de Hartmannswiller, requête numéro 57844, Rec., T., p. 444). On précisera ici que, lorsque la dépendance n’est pas manifestement insusceptible d’appartenir au domaine public, le juge administratif peut être utilement saisi d’une demande tendant à l’expulsion de l’occupant sans titre (CE, 22 oct. 2010, Putswo, requête numéro 335051, Rec., p. 420 ; AJDA 2011, p. 562, note P. Caille ; JCP adm. 2011, n° 20, p. 31, note H. de Gaudemar), ce qui ne trahit en rien le sens de ce qui précède.
La réserve des actes détachables. La théorie des actes détachables est susceptible de donner compétence au juge administratif pour connaître d’actes qui, sinon, seraient de la compétence du juge judiciaire. Déjà doit-on mentionner le cas des actes réglementaires relatifs à la gestion du domaine privé, lesquels sont de la compétence de la juridiction administrative (CE, 9 juill. 1948, Bourgade et a., requêtes numéros 68956 et 68957, Rec., p. 314), autant que les actes individuels se rattachant à une mission de service public (CE, 3 mars 1975, Courrière et a., requête numéro 85544, Rec., p. 165). Mais encore la juridiction administrative a-t-elle accepté de statuer sur les recours pour excès de pouvoir dirigés contre des actes détachables de contrats de droit privé. On soulignera à quel point le tâtonnement a pu être grand s’agissant de la question de la compétence pour connaître des actes relatifs au domaine privé des personnes publiques. L’état du droit se veut à présent stabilisé. Suivant la jurisprudence du Tribunal des conflits, « la contestation par une personne privée de l’acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu’en soit la forme, dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire ; (…) il en va de même de la contestation concernant des actes s’inscrivant dans un rapport de voisinage » (TC, 22 nov. 2010, Brasserie du Théâtre, requête numéro 3764, Rec., p. 590 ; AJDA 2010, p. 2423, chron. D. Botteghi et A. Lallet ; RDI 2011, p. 450, obc. P. Caille). Ainsi, la décision de non-renouvellement d’un contrat portant occupation du domaine privé relève de la compétence du juge judiciaire (TC, 22 nov. 2010, Brasserie du Théâtre, requête numéro 3764, préc.). En revanche, la contestation de l’acte par lequel une personne publique décide d’acquérir un bien destiné à faire partie de son domaine privé (CE, 30 déc. 2013, Commune de La Motte-en-Provence, requêtes numéros 365610 et 365611), décide de le vendre (TC, 6 juin 2011, Préfet de Seine-et-Marne c. Sté Participations Premières, requête numéro 3806), ou encore refuse de conclure un contrat d’occupation de locaux relevant du domaine privé (TC, 5 mars 2012, Dewailly c. Caisse communale d’action sociale de Caumont, requête numéro 3833, Rec., p. 506 ; AJDA 2012, p. 1684, note F. Mokhtar ; RDI 2013, p. 159, obs. N. Foulquier) relèvent de la compétence du juge administratif.
B. Les litiges purement privés
La compétence judiciaire, en principe. En principe, les litiges nés des actes unilatéraux pris par une personne privée et qui ne sont pas édictés en vertu de prérogatives de puissance publique (CE, 12 déc. 2003, Syndicat national des enseignants professionnels de judo, jujitsu, requête numéro 219113, Rec., T., p. 710), des contrats conclus entre deux personnes privées (un litige opposant un cocontractant de l’administration et son sous-traitant reste ainsi de la compétence du juge judiciaire : CE, 17 févr. 1967, Hardy et Fourgassié, requête numéro 62277, Rec., T., p. 732), de la responsabilité délictuelle (CE, Sect., 30 oct. 1964, Commune d’Ussel, requête numéro 58134, Rec., p. 501) d’une personne privée, échappent à la compétence du juge administratif. Il en va de même, comme on sait, des actions en responsabilité engagées contre les fonctionnaires pour faute personnelle (TC, 30 juill. 1873, Pelletier, Rec., suppl. p. 117, concl. David).
La (non) question de la subrogation. L’hypothèse de la subrogation reste ici indifférente. En effet, si la créance ne relève, en principe, du juge judiciaire que si elle est issue d’une « subrogation dans les droits d’une personne privée » (TC, 26 novembre 1973, Compagnie d’Assurances et de Réassurances « Le Secours », requête numéro 1987, Rec., p. 850), la subrogation par une personne publique aux droits d’une personne privée détenant une créance de nature privée ne transfère pas à la juridiction administrative la compétence pour connaître du litige qui lui est relatif (CAA Nantes, 14 nov. 2002, Maniguet, requête numéro 99NT02817).
L’exception de l’action « pour le compte de ». A rebours de ce qui vient d’être dit, la compétence est dévolue à la juridiction administrative pour connaître de l’action intentée contre une personne privée si celle-ci dispose d’un mandat exprès d’une personne publique (CE, 10 mars 1971, Maurin, requête numéro 76482, Rec., p. 199). La même logique préside à l’hypothèse du mandat tacite qu’exprime la notion du « pour le compte de ». C’est en matière contractuelle que la notion de « pour le compte » trouve essentiellement à se déployer. Mais, à tout bien considérer, cette notion repose sur la même logique que celle qui octroie à la juridiction administrative compétence pour statuer sur les actes unilatéraux pris par des personnes privées en charge de missions de service public. Ici, en concluant un contrat, la personne privée agit pour le compte de la personne publique. La jurisprudence récente amorce toutefois un virage restrictif. Ainsi le Tribunal des conflits a-t-il considéré qu’un contrat passé par un délégataire de service public en exécution de la convention de la délégation ne faisait pas naitre de contrat administratif, le délégataire ayant agi pour son propre compte (TC, 9 juill. 2012, Cie générale des eaux c. Ministre de l’écologie et du développement durable, requête numéro 3834, Rec., T., p. 653). Ainsi encore le Tribunal des conflits a-t-il jugé qu’un contrat passé par une personne privée chargée par une personne publique d’exploiter un ouvrage public en vue de réaliser des travaux sur cet ouvrage, restait un contrat de droit privé (TC, 16 juin 2014, Sté d’exploitation de la Tour Eiffel c. Sté Séchaud-Bossuyt, requête numéro 3944, Rec., p. 463 ; BJCP 2014, p. 426, concl. N. Escaut). Sans doute donc le champ de l’exception au critère organique se réduit-il, mais la notion de « pour le compte » n’en a pas pour autant été sèchement abandonnée. Nul doute cependant que se maintient, en droit positif, la jurisprudence du Conseil d’Etat suivant laquelle le contrat de service de prestation aéroportuaire conclu entre deux personnes privées est administratif dès lors que la mission d’inspection et de filtrage des passagers, des personnels et des bagages est réalisée pour le compte de l’Etat dans le cadre de son activité de police administrative des aérodromes (CE, 3 juin 2009, Sté Aéroports de Paris, requête numéro 323594, Rec., p. 126).
L’abandon de la jurisprudence Sté Entreprise Peyrot. Le mouvement jurisprudentiel le laissait préjuger, c’en est en revanche fini de cet arrêt par lequel le Tribunal des conflits avait jugé que la construction des routes nationales avait le caractère de travaux publics et appartenait « par nature » à l’Etat et que, à ce titre, le juge administratif était compétent pour connaître des litiges résultant de cette activité, alors même que celle-ci aurait été prise en charge par une personne privée, en l’occurrence un concessionnaire d’autoroutes (TC, 8 juill. 1963, Sté Entreprise Peyrot c. Sté de l’autoroute Estérel Côte-d’Azur, requête numéro 1804, Rec., p. 787 ; RDP 1963, p. 776, concl. C. Lasry ; AJDA 1963, chron. M. Gentot et J. Fourré). Cet arrêt, qui traduisait le souci du Tribunal des conflits de ne pas renoncer au critère organique, a été abandonné (TC, 9 mars 2015, Mme Rispal c. Sté des Autoroutes du sud de la France, requête numéro 3984, Rec. ; TC, 9 mars 2015, Sté des Autoroutes du sud de la France c. Garage des pins, requête numéro 3992, Rec.), en tant que, « en l’absence de conditions particulières », de tels contrats ne peuvent être regardés comme conclus « pour le compte de l’Etat ». C’est donc la fin des personnes privées agissant, « par principe », pour le compte d’une personne publique.
La théorie du fonctionnaire de fait. Expression de la théorie des apparences (CE, 10 mars 1911, Lachenaud, requête numéro 35879, Rec., p. 311) ou conséquence logique des circonstances exceptionnelles (CE, Sect., 5 mars 1948, Marion et a. et Commune de Saint-Valéry-sur-Somme, requêtes numéros 86937 et 77688, Rec., p. 113) suivant les cas, les actes accomplis par une personne sans qualité pour ce faire peuvent être regardés comme des actes administratifs. La compétence juridictionnelle pour connaître de ces litiges qui opposent deux personnes privées, redevient administrative. Mais après tout, ici encore, c’est bien la notion de « pour le compte de » qui trouve à s’exprimer…
Les personnes privées transparentes. Compte tenu de ses modalités d’organisation, de fonctionnement et de financement, ainsi que ses relations avec une personne publique, une personne privée peut être qualifiée par le juge de « transparente ». Les décisions unilatérales que la personne privée prend (CE, 11 mai 1987, Divier c. Association pour l’information municipale, requête numéro 62459, Rec., p. 168) autant que les contrats qu’elle passe (CE, 21 mars 2007, Commune de Boulogne-Billancourt, requête numéro 281796, Rec., p. 130 ; AJDA 2007, p. 915, note J.-D. Dreyfus ; BJCP 2007, p. 230, concl. N. Boulouis), y compris en matière de recrutement (CE, 1er juin 2011, Mme Roulleau, requête numéro 332036), pourront alors être de la compétence du juge administratif.
Sous-section 2 – La concurrence de compétences entre les deux ordres de juridiction
Une séparation souple. La question de la répartition des compétences, à titre principal, entre les deux ordres de juridiction s’accompagne de celle de leur concurrence à titre accessoire. En effet, au sein d’un ordre de juridiction, le juge du principal est celui de l’accessoire. Il en va différemment entre les deux ordres, le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires s’opposant en grande part à ce que le juge saisi de la question principale s’empare de questions qui ne ressortissent pas de sa compétence. Ceci appelle cependant deux précisions :
– d’une part, la prohibition faite au juge de s’immiscer dans un domaine de compétence qui lui est étranger n’a jamais été absolu et il l’est encore moins compte tenu des dernières avancées jurisprudentielles, notamment dans les rapports entretenus par le juge administratif et le juge civil (§ 2) ;
– d’autre part, eu égard aux spécificités des fonctions au juge pénal, il convient d’appréhender distinctement les rapports qu’il entretient avec le juge administratif (§ 1).
§ 1 : Juge administratif et juge pénal
L’indépendance des procédures. Le juge administratif et le juge pénal entretiennent inévitablement des rapports réciproques. D’une part, le juge pénal est confronté, dans son office, à certains actes administratifs. La plénitude de compétence qui est la sienne lui confère, sur ces actes, une autonomie absolue à l’égard du juge administratif (I). Dans son office, notamment de juridiction répressive, le juge administratif peut se trouver également face à des situations dont le juge pénal a eu à connaître et se pose alors la question, à la marge cependant, de la chose jugée au pénal (II).
I. La plénitude de compétence du juge pénal
La plénitude de juridiction du juge pénal. Sous l’empire de l’ancien code pénal, les juridictions répressives étaient compétentes pour interpréter toutes les décisions administratives et pouvaient se prononcer sur la validité des actes administratifs réglementaires. S’agissant des actes individuels, les choses pouvaient sembler moins évidentes : là où le Tribunal des conflits l’excluait (TC, 5 juill. 1951, Avranches et Desmarets, requête numéro 1187, Rec., p. 638), la chambre criminelle de la Cour de cassation permettait au juge pénal de contrôler les actes administratifs individuels si ceux-ci servaient de base aux poursuites, mais non s’ils étaient invoqués en défense (Cass. crim., 21 déc. 1961, Dame Leroux, Bull. crim. n° 551). L’entrée en vigueur, le 1er mars 1994, du nouveau code pénal, a clarifié heureusement l’état du droit. En effet, aux termes de l’article 111-5 du code pénal, « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».
L’obligation pour le juge pénal d’épuiser sa compétence. C’est non seulement une compétence reconnue au juge pénal, mais c’est encore une obligation pour lui que de statuer, au besoin en soulevant d’office le moyen (Cass. crim., 30 oct. 1989, Bull. crim., n° 387), sur toute question de légalité de l’acte administratif dont dépend l’issue procès pénal (Cass. crim., 20 févr. 1996, Bull. crim. n° 81), quand bien même une instance serait pendante devant la juridiction administrative, relative à cette question de légalité (Cass. crim., 2 mars 1971, Bull. crim., n° 72) ou que la juridiction administrative ait préalablement rejeté un recours en annulation formé contre l’acte administratif litigieux (Cass. crim. 17 déc. 2014, numéro 13-86686, Bull. crim.).
L’obligation pour le juge pénal de rester dans sa sphère de compétence. Mais telle est encore la limite de sa compétence. En effet, les juridictions pénales ne sont compétentes pour interpréter ou pour apprécier la validité d’un acte administratif que pour autant que la solution du procès pénal qui leur est soumis en dépend (Cass. crim., 1er oct. 2002, Bull. crim., n° 216).
II. L’autorité de la chose jugée au pénal
L’opposabilité limitée de la chose jugée au pénal devant la juridiction administrative. La juridiction administrative n’est pas totalement liée par les décisions du juge pénal. Il faut en effet distinguer.
D’une part, l’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge administratif tant en ce qui concerne les faits litigieux que le dispositif des décisions rendues (CE, Sect., 12 juill. 1929, Vesin, requête numéro 81701, Rec., p. 716, concl. R. Latournerie) et encore doit-on préciser que, très logiquement, l’arrêt de la Cour de cassation qui annule une décision d’une juridiction pénale revêtue de l’autorité de la chose jugée s’impose au juge administratif (CE, 29 mai 2009, Commune de Ligne, requête numéro 319334, Rec., T., p. 904). Pour le reste, l’autorité de la chose jugée au pénal est relative. C’est à certains égards une nécessité qu’il en soit ainsi : il n’appartient pas au juge pénal de prononcer l’annulation d’une décision administrative (Cass. crim., 7 nov. 1908, Bull. crim., n° 427) et une illégalité constatée par le juge pénal n’emporte pas nécessairement l’annulation de l’acte par le juge administratif (par ex., CE, 12 nov. 1990, Madhaoui, requête numéro 105308). Cela ne saurait surprendre : le juge pénal n’est pas le juge naturel de l’administration et la plénitude de juridiction dont il dispose par application de la loi le dispense de poser une quelconque question préjudicielle au juge administratif, rien de plus.
En revanche, et d’autre part, il n’y a pas d’autorité de la chose jugée pour les décisions de non-lieu (CE, 5 mai 1976, Lerquemain, requête numéro 98276, Rec., p. 228, concl. G. Guillaume), pour les faits délaissés au bénéfice du doute (CE, Sect., 11 mai 1956, Chomat, requête numéro 23524, Rec., p. 200), ou encore pour les interprétations ou appréciations des faits ou de droit par la juridiction pénale (CE, Sect., 7 mars 1980, SARL Cinq-Sept, requête numéro 03473, Rec., p. 129, concl. J. Massot).
Concernant les juridictions disciplinaires. On ne saurait que trop souligner ici l’indépendance des procédures et l’inopposabilité aux juridictions administratives disciplinaires des décisions rendues au pénal (CE, 26 juill. 1946, Botella, requête numéro 80963, Rec., T., p. 416). Il a été ainsi rappelé que « l’autorité de la chose jugée ne s’étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal que lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servent de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que si, en application des articles L. 321-2 du code de justice militaire et 57 du décret du 15 juillet 2005, le fait de s’absenter sans autorisation de son corps ou détachement, de sa base ou formation, au terme des six jours après celui de l’absence constatée, est constitutif à la fois d’une faute disciplinaire passible de sanction disciplinaire et d’une infraction passible d’une sanction pénale, la légalité de la sanction disciplinaire n’est pas subordonnée à la condition que les faits sur lesquels elle est fondée correspondent à l’ensemble des éléments constitutifs d’une telle infraction » (CE, 21 sept. 2011, Min. Défense et Anciens Combattants, requête numéro 349222, Rec., T., p. 1089). Par ailleurs, l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux juridictions des ordres professionnels qu’en ce qui concerne les constatations matérielles de faits que le juge pénal a retenus et qui sont le support nécessaire de sa décision. Il appartient en revanche à ces juridictions d’apprécier l’intention dans laquelle l’auteur des faits réprimés par le juge pénal a agi (CE, 30 déc. 2013, Devulder, requête numéro 356775, Rec., T., p. 420).
§ 2 : Juge administratif et juge civil
Une concurrence nouvelle pour des préoccupations nouvelles. La concurrence de compétences entre juge administratif et juge civil a assurément évolué ces dernières années. Il serait même tentant de dire qu’elle a évolué dans un sens favorable à une lecture plus juste de la loi des 16 et 24 août 1790 (sur l’ensemble de la question, par ex., P. Delvolvé, « Paradoxes du (ou paradoxes sur le) principe de séparation des autorités administrative et judiciaire » in Mélanges René Chapus, Paris, Montchrestien, 1992, pp. 135 et s.). Il serait toutefois hâtif, et à de nombreux égards faux, d’y voir la marque d’une révolution. Le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, dans l’application qu’on a toujours – et abusivement donc – entendu lui donner, demeure. Mais il est indéniablement relu aujourd’hui à la lumière d’autres préoccupations toutes aussi fondamentales, au nombre desquelles celle d’une bonne administration de la justice. Ainsi, l’immixtion du juge civil dans le champ de l’action administrative se trouve davantage facilitée que par le passé (I). En sens inverse, le juge administratif s’est (ré)approprié, en matière de voie de fait et d’emprise, une grande partie de la compétence qui lui échappait jusqu’à encore récemment (II).
I. Le juge civil face aux actes administratifs
De la jurisprudence Septfonds… C’était un principe acquis de longue date, longtemps non démenti, suivant lequel, si le juge civil pouvait interpréter un acte administratif réglementaire – et réglementaire seulement –, il n’appartenait qu’à la seule juridiction administrative d’en apprécier la légalité (TC, 16 juin 1923, Septfonds, requête numéro 0732, Rec., p. 498). Ainsi, en cas de doute quant à la légalité d’une décision administrative, individuelle comme réglementaire, dont dépendait la solution du litige qui lui était soumis, le juge civil devait surseoir à statuer et adresser une question préjudicielle au juge administratif. Une telle jurisprudence avait le mérite d’être tournée vers le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Elle se trouvait encore confortée par la jurisprudence constitutionnelle suivant laquelle la juridiction administrative est seule compétente, au regard de la conception française de la séparation des pouvoirs, pour statuer sur les demandes d’annulation ou de réformation des actes pris par les autorités administratives dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique (Cons. const., décision numéro 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, préc.).
… à la décision SCEA du Chéneau. Pour toute logique que la jurisprudence classique du Tribunal des conflits pouvait paraitre, l’heure était probablement à une évolution, à la fois nécessaire et prévisible. Nécessaire, d’une part, à deux égards. En premier lieu, en ce que de nombreuses questions, en opportunité, ne méritaient pas que fût maintenue l’obligation pour le juge civil de poser des questions préjudicielles au juge administratif, parce que ne présentant pas de difficulté sérieuse. En second lieu, en qu’il y a comme une incohérence à reconnaître la faculté pour le juge civil de se prononcer sur la conventionnalité d’une loi (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Sté des cafés Jacques Vabre, D. 1975, p. 497, concl. A. Touffait ; AJDA 1975, p. 567, note J. Boulouis) et lui dénier cette faculté en présence d’un acte réglementaire. Au demeurant, la faculté laisse place à l’obligation en application du Traité de Rome (CJCE, 9 mars 1978, affaire numéro 106/77, Simmenthal ; CJCE, 19 juin 1990, Factortame e.a, numéro C-213/89, Rec., p. I-2433), et la Cour de cassation avait déjà apporté un tempérament à la jurisprudence Septfonds lorsque le droit communautaire était en cause (Cass. com, 6 mai 1996, France Telecom, numéro 94-13.347 ; AJDA 1996, p. 1033, note M. Bazex ; RFDA 1996, p. 1161, note B. Seiller). Prévisible, d’autre part, eu égard au principe d’une bonne administration de la justice, érigé en objectif de valeur constitutionnelle (Cons. const., décision numéro 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, Rec. Cons. const., p. 138). On mesure aisément les inconvénients qu’emporte pour le juge civil – mais alors et surtout pour le justiciable – l’obligation de saisir l’autre ordre de juridiction : l’allongement, a fortiori inutile, des durées de procédures dont on sait qu’elles sont déjà trop longues, n’apporte rien sinon le risque d’engager la responsabilité de l’Etat pour durée anormalement longue de la procédure juridictionnelle. Le Tribunal des conflits a pris acte de ces considérations, en énonçant, d’une part, que « si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d’un acte administratif, les tribunaux de l’ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir jusqu’à ce que la question préjudicielle de légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu’il apparaît manifestement, au vu d’une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal », d’autre part, que concernant le droit de l’Union européenne, le juge civil doit, « lorsqu’il s’estime en l’état de le faire, appliquer le droit de l’Union, sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d’une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d’un acte administratif au droit de l’Union européenne » (TC, 17 oct. 2011, Préfet de la Région Bretagne, Préfet d’Ille et Vilaine, SCEA du Chéneau c. INAPORC c. Cherel c. CNIEL, requêtes numéros 3828 et 3829, Rec., p. 698, concl. J.-D. Sarcelet ; AJDA 2012, p. 27, chron. M. Guyomar et X. Domino). Le principe trouve à s’appliquer également aux contrats administratifs auxquels le juge civil peut être confronté (Cass. civ. 1ère, 24 avr. 2013, numéro 12-18.180). La jurisprudence SCEA du Chéneau ne vaut d’ailleurs pas pour la seule question de la compétence du juge civil. En effet, le parallélisme existe aujourd’hui pour la juridiction administrative qui, sur le même fondement, s’autorise par exemple à apprécier la validité d’un acte de droit privé en absence de contestation sérieuse (CE, Sect., 23 mars 2012, Fédération Sud Santé sociaux, requête numéro 331805, Rec., p. 102 ; RFDA 2012, p. 429, concl. C. Landais ; AJDA 2012, p. 1583, note E. Marc ; Dr. adm. 2012, comm. 56, note F. Melleray).
II. Le juge administratif face à la voie de fait et à l’emprise
Les lignes ont bougé. C’était traditionnellement une compétence dévolue au juge civil que celle de statuer sur les voies de fait (A) et les emprises irrégulières (B). La jurisprudence du Conseil d’Etat a toutefois eu pour effet mécanique de restreindre le champ d’application de ces deux notions, sans préjudice d’une concurrence partielle mais effective pour en connaître.
A. La voie de fait
Une réponse aux carences du contentieux administratif. La voie de fait est une construction purement prétorienne qui, en dépit des critiques récurrentes formulées à son encontre, ne manque pas de pertinence. Certains actes, en effet, sont entachés d’une illégalité si grave et si attentatoire à la liberté ou au droit de propriété qu’ils doivent être disqualifiés, ne pouvant plus, eu égard à leurs effets, être appréhendés comme des actes administratifs. Dès lors, la juridiction administrative n’est plus compétente pour connaître de ces actes, au bénéfice du juge de droit commun, c’est-à-dire du juge civil. A cette considération – qui pouvait, au moins théoriquement, se suffire à elle-même – s’ajoutait une autre, d’ordre plus pratique mais non moins déterminante : le juge administratif ne disposait traditionnellement pas de pouvoirs d’injonctions permettant de mettre utilement fin à ce type d’atteintes et, quand bien même le juge administratif en aurait disposé, le contentieux administratif n’offrait pas une procédure d’urgence autorisant une intervention décisive du juge administratif. Dans ces conditions, on comprend le succès initial de la voie de fait. En effet, en cas de voie de fait, le juge judiciaire se voit reconnaître plénitude de juridiction, y compris en référé. Il a compétence pour condamner l’administration à l’allocation de dommages-intérêts (TC, 30 juin 1969, Sté civile immobilière des Praillons c. Commune de Boissettes et du Mée-sur-Seine, requête numéro 1928, Rec., p. 684). Il dispose d’un pouvoir d’injonction lui permettant de faire cesser, autant que prévenir, efficacement les comportements constitutifs de voie de fait (TC, 30 oct. 1947, Epoux Baristein c. Lemonnier, requête numéro 983, Rec., p. 511), le cas échéant sous astreinte.
Critique de la voie de fait. La voie de fait n’a cependant pas manqué de susciter la critique, moins dans son principe que dans ses conséquences. En premier lieu, l’identification de la voie de fait n’a jamais été chose aisée, et les magistrats de l’ordre judiciaire ont parfois été trop enclins à identifier une voie de fait là où il n’y en avait pas vraiment, avec pour avantage de pouvoir alors s’immiscer dans l’action administrative. En second lieu, le juge administratif se devait de décliner sa compétence là où il aurait pu, et parfois voulu, connaître efficacement du litige. On mesure à cet égard le palliatif que pouvait constituer l’inexistence juridique.
De la distinction avec l’inexistence juridique. La voie de fait ne doit pas être confondue avec l’inexistence juridique de l’acte mais il faut admettre ici que l’inexistence est un moyen utile au juge administratif pour recouvrer sa compétence sur des actes qui, en application des principes, devraient lui échapper. On rappellera ici qu’il existe deux types d’inexistence. Un acte peut être matériellement inexistant parce qu’il n’a jamais été pris (CE, 28 févr. 1986, Commissaire de la République des Landes, requête numéro 62206, Rec., p. 50 ; AJDA 1986, p. 326, note J. Moreau ; RDP 1986, p. 1468, note J.-J. Luby ; RFDA 1987, p. 219, note J.-C. Douence) ou qu’il reste introuvable (CE, Sect., 26 janv. 1951, Galy, requête numéro 87811, Rec., p. 46). Un acte peut encore être juridiquement inexistant. Les contours de cette inexistence sont plus difficiles à tracer. Il existe en réalité plusieurs catégories d’actes juridiquement inexistants. La première catégorie englobe quelques séries d’actes dont le Conseil d’Etat entend marquer nettement l’irrégularité par une sanction plus solennelle (L. Derepas, concl. sur CE, 26 janv. 2007, Commune de Neuville-sur-Escaut, BJCL 2007, pp. 126 et s.) : nominations pour ordre (CE, Sect., 30 juin 1950, Massonaud, requête numéro 1326, Rec., p. 400, concl. J. Delvolvé), actes pris à l’égard d’un fonctionnaire en contradiction avec la règle de la limite d’âge dans la fonction publique (CE, Sect., 3 févr. 1956, de Fontbonne, requête numéro 8035, Rec., p. 45 ; AJDA, 2, p. 93, chron. F. Gazier ; RDP 1956, p. 859, note M. Waline) ou encore décision prise par la municipalité en lieu et place soit du maire soit du conseil municipal (CE, 9 nov. 1983, Saerens, requête numéro 15116, Rec., p. 453). La seconde catégorie englobe les actes qui s’apparentent à une voie de fait. Il n’existe certes pas une équivalence parfaite entre inexistence juridique et voie de fait et le Conseil d’Etat a considéré certains actes constitutifs d’une voie de fait comme illégaux et non comme inexistants (CE, Sect., 31 janv. 1958, Sté des établissements Lassalle-Astis, requête numéro 26910, Rec., p. 63). En outre, là où la voie de fait peut également consister dans des comportements ou dans l’exécution matérielle d’une décision, l’inexistence juridique n’intéresse que des actes juridiques. En dépit de cette non-concordance parfaite, le Tribunal des conflits a pu, en certaines occasions, regarder ces deux notions comme équivalentes (TC, 27 juin 1966, Guigon c. Armées, requête numéro 1889, Rec., p. 830) et le Conseil d’Etat d’adopter le même réflexe (CE, 13 juill. 1966, Guigon, requête numéro 54130, Rec., p. 476 ; CE, 11 mars 1998, Ministre de l’Intérieur c. Mme Auger, requête numéro 169794, Rec., p. 676). L’intérêt est donc bien celui-ci : le juge administratif a pu, grâce à l’inexistence juridique, connaître d’actes qui, constitutifs de voies de fait, ressortissaient à la compétence de la juridiction civile, étant précisé toutefois que le juge administratif ne disposait que du seul pouvoir de déclarer la décision nulle et non avenue (CE, Ass., 18 juin 1976, Konaté, requête numéro 02714, Rec., p. 321). L’évolution de la jurisprudence administrative récente a pu faire perdre à cette assertion une partie de sa pertinence.
La mouvance des contours de la voie de fait. La voie de fait n’a pas toujours reçu la même définition suivant les époques. Si l’on veut remonter à la conception originelle, il y avait voie de fait, pour peu cependant qu’une liberté fondamentale ou que la propriété privée, mobilière (TC, 15 mars 1951, Comptoir linier, requête numéro 1319, Rec., p. 630) comme immobilière (TC, 15 févr. 2010, Mme Taharu c. Haut commissaire de la République en Polynésie française, requête numéro 3722, Rec., p. 575 ; AJDA 2010, p. 372, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi), fut atteinte, dans deux séries hypothèses. Tel était le cas, d’une part, toutes les fois où l’administration adoptait une décision ou un comportement étrangers, par leur objet, à l’exercice de la fonction administrative (CE, Ass., 18 nov. 1949, Carlier, requêtes numéros 77441 et 77442, Rec., p. 490). Tel était le cas, d’autre part, en cas d’exécution forcée irrégulière (par ex., pour une expulsion d’office d’un logement de fonction en l’absence d’urgence et en dehors de la procédure juridictionnelle offerte à l’administration : TC, 25 nov. 1963, Epoux Pelé c. Maire de Pré-en-Pail, requête numéro 1833, Rec., p. 795), sauf si l’exécution d’office était autorisée par la loi (TC, 15 juin 1970, Dame Audebert c. SNCF, requête numéro 1950, Rec., p. 887), en cas d’urgence (TC, 25 nov. 1963, Commune de Saint-Just-Chaleyssin et Rey c. Epx Thomas, requête numéro 1828, Rec., p. 793, concl. J. Chardeau), ou lorsque l’obligation expressément imposée par une loi n’était pas accompagnée d’une sanction réprimant expressément les conséquences de cette obligation (TC, 12 mai 1949, Dumont c. Bonnel, requête numéro 1106, Rec., p. 596). L’avènement du référé liberté par la loi du 30 juin 2000 n’y a sans doute pas été étranger, le Tribunal des conflits a rendu, en 2000, un arrêt tenant lieu de synthèse : il y avait alors voie de fait « de la part de l’administration (…) que dans la mesure où l’administration, soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction du droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété et qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative » (TC, 23 oct. 2000, Boussadar c. Ministre des affaires étrangères, requête numéro 3227, Rec., p. 775 ; AJDA 2001, p. 143, chron. M. Guyomar et P. Collin).
Définition actuelle de la voie de fait. Il est vrai que, pour logique et pertinente que la construction de la notion a pu être, la combinaison de la loi du 8 février 1995 et du 30 juin 2000 a considérablement amoindri l’intérêt de réserver au juge civil le traitement des voies de fait. Le Conseil d’Etat a fini par considérer que le juge administratif est compétent pour connaître de telles atteintes, en référé liberté, implicitement d’abord (CE, 12 mai 2010, Alberigo, requête numéro 333565, Rec., T., p. 904) puis expressément (CE, 23 janv. 2013, Commune de Chirongui, requête numéro 365262, Rec., p. 6 ; AJDA 2013, p. 788, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA 2013, p. 299, note P. Delvolvé). Il le fera même contra legem, l’article L. 521-2 du code de justice administrative réservant la compétence du juge du référé liberté aux hypothèses où l’acte ou le fait juridiques s’inscrivent dans l’exercice de ses pouvoirs par l’autorité administrative. L’assaut frontal du juge administratif contre la voie de fait ne pouvait rester sans conséquence, à plus forte raison parce qu’il traduisait une évolution de la réflexion autour de cette notion. Le Tribunal des conflits en a pris acte et a procédé à une nouvelle délimitation de la notion, jugeant qu’« il n’y a voie de fait de la part de l’administration (…) que dans la mesure où l’administration, soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction du droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété et qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative » (TC, 17 juin 2013, Bergoend c. ERDF Annecy Léman, requête numéro 3911, Rec., p. 370 ; AJDA 2013, p. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau ; RFDA 2013, p. 1041, note P. Delvolvé ; RJEP 2013, p. 17, note B. Seiller).
Conséquences de l’évolution de la définition. La notion de voie de fait ainsi resserrée, les hypothèses de compétence du juge judiciaire en sont d’autant moins fréquentes. La soumission de la Cour de cassation à cette évolution rend le constat plus net encore : la réalisation de travaux sur une propriété privée ne conduit pas à l’extinction d’un droit de propriété (Cass. civ. 1ère, 13 mai 2014) ; l’implantation irrégulière d’un ouvrage public sur un terrain privé n’est pas insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration (Cass., civ. 3ème, 11 mars 2015), sans compter qu’elle ne conduit rarement à une extinction du droit de propriété.
B. L’emprise
Définition classique de l’emprise. L’emprise peut être régulière ou irrégulière. L’emprise est régulière lorsque l’administration y a procédé après avoir respecté les conditions posées par le texte qui lui sert de fondement. L’emprise irrégulière a sans conteste prospéré – sans se limiter à ce cas de figure – à l’ombre de la théorie de l’expropriation indirecte. L’emprise irrégulière consistait (car il faut bien parler ici au passé) dans la prise de possession irrégulière d’une propriété immobilière par l’administration. Dans une telle hypothèse, la compétence pour connaître de l’action en réparation du préjudice subi ressortissait à la seule compétence du juge judiciaire. Trois conditions devaient être réunies : il fallait une occupation ou une dépossession même temporaire (CE, 21 déc. 1923, Sté française des Nouvelles-Hébrides, requête numéro 70351, Rec., p. 871), irrégulière (TC, 29 juin 1895, Sanières, Rec., p. 559), de la propriété immobilière ou d’un droit réel immobilier (TC, 14 nov. 1938, Baudéan, requête numéro 850, Rec., p. 1011, concl. P.-L. Josse). Les conditions d’ouverture de l’emprise irrégulière s’avéraient donc moins contraignantes que celles de la voie de fait. Dans le même temps, les pouvoirs du juge de l’emprise irrégulière – juge judiciaire ici encore – étaient moins importants, celui-ci ne disposant que du pouvoir d’indemniser le propriétaire à raison du préjudice subi, sans même disposer de la faculté de reconnaître par lui-même l’irrégularité de l’emprise (TC, 30 juin 1949, Nogier, requête numéro 1041, Rec., p. 604) sauf l’hypothèse de l’acte clair (TC, 17 mars 1949, Sté « Hôtel du Vieux Beffroi », requête numéro 1077, Rec., p. 592). C’est, du reste, l’une des critiques récurrentes formulées à l’encontre de cette théorie, la répartition des rôles entre juge administratif et juge judiciaire ayant été jugée coupable de lourdeurs et de lenteurs procédurales. Le resserrement de la notion de voie de fait sonnait comme la fin annoncée de celle de l’emprise irrégulière.
Une trajectoire similaire à celle de la voie de fait. La théorie traditionnelle de l’emprise irrégulière ne pouvait pas rester à l’abri des conséquences du resserrement de la notion de voie de fait par l’arrêt Bergoend. Et le Tribunal des conflits n’a pas tardé à en donner la preuve la plus éclatante : « dans le cas d’une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur les recours en annulation d’une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l’administration, l’est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l’extinction du droit de propriété » (TC, 9 déc. 2013, M. et Mme Panizzon c. Commune de Saint-Palais-sur-mer, requête numéro 3931, Rec., p. 376 ; AJDA 2014, p. 216, chron. A. Bretonneau et J. Lessi ; RDI 2014, p. 171, obs. N. Foulquier). Si cet énoncé conduit à réduire l’emprise irrégulière à peau de chagrin, il semble excessif – et donc faux – de prétendre qu’elle a été purement et simplement abandonnée par le Tribunal des conflits. On ne saurait, en effet, considérer que les seules voies de fait justifient depuis 2013 la compétence du juge judiciaire pour condamner l’administration à réparer les atteintes au droit de propriété : certaines de ces atteintes, qui conduisent à l’extinction du droit de propriété, sont manifestement insusceptibles de se rattacher à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative (en ce sens, CAA Marseille, 5 juin 2014, Del Negro, requête numéro 12MA00144). On admettra cependant que l’essentiel de la compétence en matière d’emprise est à présent dévolu au juge administratif.
Sous-section 3 – Le règlement des conflits de compétence
Une institution indispensable pour régler des problèmes inévitables. Le Tribunal des conflits (§ 1) est une juridiction dont les décisions « s’imposent à toutes les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif » (loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, art. 11). Il trouve son origine dans la Constitution du 4 novembre 1848 et son organisation a été initialement déterminée par une loi du 3 mars 1849. Avec la loi du 24 mai 1872, le Tribunal des conflits a acquis sa pérennité, et même une forme d’immutabilité. Ce n’est qu’en 2015 qu’il a pu être rénové et modernisé (loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, et décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles) lui permettant de répondre encore mieux aux différentes hypothèses de conflits de compétence (§ 2).
§ 1 : Le Tribunal des conflits
La composition du Tribunal des conflits. Le Tribunal des conflits était composé du garde des sceaux, qui en était le président, de trois conseillers d’Etat en service ordinaire élus par les conseillers en service ordinaire, de trois conseillers à la Cour de cassation nommés par leurs collègues, de deux membres et de deux suppléants qui étaient élus par la majorité des autres juges déjà mentionnés. La loi du 16 février 2015 a rénové cette composition. Ainsi, dans sa formation ordinaire, le Tribunal des conflits comprend, pour une durée de trois ans renouvelables deux fois, quatre conseillers d’Etat en service ordinaire élus par l’assemblée générale du Conseil d’Etat, quatre magistrats élus par et parmi les magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation, deux suppléants élus, l’un par l’assemblée générale du Conseil d’Etat parmi les conseillers d’Etat en service ordinaire et les maîtres des requêtes, l’autre par l’assemblée générale des magistrats du siège de la Cour de cassation parmi les conseillers hors hiérarchie et référendaires (loi du 24 mai 1872, art. 2). Le Tribunal des conflits ne peut délibérer que si cinq membres au moins sont présents (loi du 24 mai 1872, art. 5) et revenant sur sa jurisprudence antérieure (TC, 13 janv. 1958, Alioune Kane, requête numéro 1623, Rec., p. 790), le Tribunal des conflits a admis la faculté de de demander la récusation de ceux dont l’impartialité est en cause (TC, 18 mai 2015, M. Grégoire K. c. Premier ministre, requête numéro 3955). Dans le cas où, après une seconde délibération, les membres du tribunal n’ont pu se départager, l’affaire est examinée en formation élargie. A la formation ordinaire, s’ajoutent dans ce cas deux conseillers d’Etat en service ordinaire et deux magistrats du siège hors hiérarchie de la Cour de cassation élus, dans les mêmes conditions que celles présidant à l’élection des membres de la formation ordinaire. Le Tribunal ne peut alors siéger que si tous les membres sont présents ou suppléés (loi du 24 mai 1872, art. 6).
A l’exception des suppléants, les membres choisissent, au scrutin secret et à la majorité des voix, parmi eux, pour trois ans, un président issu alternativement du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation (loi du 24 mai 1872, art. 3). Lorsque la solution de la question soumise au Tribunal des conflits s’impose avec évidence, le président, conjointement avec le membre le plus ancien appartenant à l’autre ordre de juridiction, peut statuer par voie d’ordonnance dans les cas prévus par décret en Conseil d’Etat (loi du 24 mai 1872, art. 10).
Les fonctions de rapporteur public sont prises en charge, pour une durée de trois ans renouvelables deux fois, par deux membres du Conseil d’Etat, élus par l’assemblée générale du Conseil d’Etat parmi les rapporteurs publics, et deux membres du parquet général de la Cour de cassation, élus par l’assemblée générale des magistrats hors hiérarchie du parquet général parmi eux (loi du 24 mai 1872, art. 4).
La procédure devant le Tribunal des conflits. La procédure devant le Tribunal des conflits est écrite (décret du 27 février 2015, art. 3). A l’exception de l’Etat, qui peut être représenté par le ministre ou un fonctionnaire ayant reçu délégation à cette fin, les parties sont représentées par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation (décret du 27 février 2015, art. 5). Les interventions sont admises (décret du 27 février 2015, art. 6). Un rapporteur est désigné par le président après qu’il ait décidé de la date de la séance durant laquelle l’affaire sera appelée, les parties devant être avisées de cette date cinq jours au moins avant la séance (décret du 27 février 2015, art. 8). Une fois étudié par le rapporteur, le dossier est adressé à un rapporteur public, appartenant à l’autre juridiction suprême que celle à laquelle appartient le rapporteur, désigné par le président (décret du 27 février 2015, art. 9). Le déroulement de l’audience est identique à celui connu devant les juridictions administratives (décret du 27 février 2015, art. 10).
§ 2 : Les hypothèses de conflits de compétence
Deux hypothèses de conflits. Il existe deux hypothèses de conflits : le conflit positif (I) et le conflit négatif (II).
I. Le conflit positif
Signification du conflit positif. Conçu fondamentalement comme le moyen de garantir l’indépendance gouvernementale, le conflit positif a pour finalité de soustraire à l’autorité judiciaire un litige dont elle est saisie, en raison du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le conflit peut être élevé, non seulement en présence d’un acte administratif, mais également en présence d’un acte de gouvernement (TC, 18 juin 1852, Héritiers d’Orléans, Rec., p. 252). Aucun texte ne recense les juridictions de l’ordre judiciaire susceptibles d’être destinataires d’un déclinatoire de compétence. Il y a lieu, cependant, et au regard de la rédaction des textes, de réserver cette possibilité aux seules juridictions pourvues d’un ministère public assumé par un magistrat. Il s’agit donc essentiellement des tribunaux de grande instance et des cours d’appel, mais également des tribunaux de commerce (TC, 17 nov. 1975, Cie française des pétroles c. Sté pétrolière française en Algérie, requête numéro 2019, Rec., p. 799), des tribunaux d’instance, des tribunaux de police (TC, 28 févr. 1977, X. c. Jouvent et Fifis, requête numéro 2050, Rec., p. 663, concl. J. Morisot), des juridictions prud’hommales, des juridictions de sécurité sociale (TC, 2 mars 1987, Commissaire de la République de la région Centre, requête numéro 2465, Rec., p. 446).
Le déclinatoire de compétence. Le conflit positif peut être élevé tant qu’il n’a pas été statué sur la compétence par une décision passée en force de chose jugée (décret du 27 février 2015, art. 18). Il en résulte que le donné acte d’un désistement s’oppose à la recevabilité d’un déclinatoire de compétence postérieur (TC, 1er févr. 1954, Bailone et Bourgade c. Gilloux, requête numéro 1491, Rec., p. 701). Le préfet territorialement compétent (il peut s’agir également du préfet maritime : TC, 15 avr. 1905, Commune de Mimizan c. Etat, requête numéro 584, Rec., p. 399), en cas d’absence ou d’empêchement le secrétaire général de la préfecture (TC, 27 nov. 1952, Sté des lièges des Hamendas et de la Petite Kabylie, requête numéro 1309, Rec., p. 640), en aucun cas le ministre de l’Intérieur (TC, 22 mars 2004, M. Le Sourd et Sté Bristol Myers Squibb c. Ministre de l’Intérieur, requête numéro 3398, Rec., p. 516) adresse son déclinatoire de compétence motivé au greffe de la juridiction (décret du 27 février 2015, art. 19 al. 1er). Les parties en sont informées et disposent d’un délai de quinze jours, à compter de la notification, pour faire connaître leurs observations écrites (décret du 27 février 2015, art. 19 al. 2). Le ministère public reçoit également communication du déclinatoire et dispose du même délai pour adresser son avis au greffe, lequel le communique alors au préfet et aux parties (décret du 27 février 2015, art. 19 al. 3). L’urgence peut justifier la fixation de délais plus courts par le président de la juridiction (décret du 27 février 2015, art. 19 al. 4). La juridiction statue sans délai sur le déclinatoire de compétence (décret du 27 février 2015, art. 20). Déclinatoire sur déclinatoire ne vaut et le préfet ne peut donc déposer un nouveau déclinatoire de compétence, quand bien même celui-ci reposerait sur des motifs différents (TC, 24 juill. 1939, Dlle Ducousso, requête numéro 864, Rec., p. 669, concl. Dayras).
L’arrêté de conflit. L’arrêté de conflit peut intervenir dans deux hypothèses, soit contre le rejet du déclinatoire de compétence par la juridiction ou lorsque la juridiction a passé outre le déclinatoire et jugé au fond (décret du 27 février 2015, art. 22 al. 1er), soit contre l’arrêt rendu en appel infirmant l’admission du déclinatoire de compétence (art. 22 al. 2). Le préfet dispose d’un délai de 15 jours pour élever le conflit (décret du 27 février 2015, art. 22) et, passé ce délai, le conflit ne peut plus être élevé (décret du 27 février 2015, art. 25). Il y a tout lieu de croire que la jurisprudence est toujours en vigueur, suivant laquelle, lorsque l’arrêté de conflit soulevé en première instance était tardif, il est toujours possible au préfet de prendre un nouvel arrêté de conflit au cours de l’instance au fond devant la cour d’appel (TC, 17 juill. 1952, Sté « Les tanneries de France », requête numéro 1415, Rec., p. 634). L’arrêté de conflit doit être motivé (art. 23). Il contraint la juridiction à surseoir à statuer (décret du 27 février 2015, art. 26). Il est tenu à la disposition des parties, pendant 15 jours, au greffe de la juridiction, lesquelles peuvent formuler des observations et produire des pièces qui seront versées au dossier (art. 27). Le dossier est alors adressé au Tribunal des conflits (décret du 27 février 2015, art. 28) qui statue dans le délai de trois mois à compter de sa réception (art. 29) à peine de délier la juridiction saisie de l’affaire (décret du 27 février 2015, art. 30).
II. Le conflit négatif
La prévention du conflit négatif. La prévention du conflit négatif est un cas de saisine institué par un décret du 25 juillet 1960 qui se décline en deux hypothèses. Lorsqu’une juridiction est saisie et estime qu’une question sérieuse mettant en cause le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, elle peut renvoyer cette question, par une décision motivée, au Tribunal des conflits afin qu’il statue sur la compétence (décret du 27 février 2015, art. 35). Lorsqu’une juridiction a, par une décision devenue définitive (ce qui ne concerne que les voies de recours ordinaires : TC, 27 juin 1966, Dame Pérou c. Dame Bouvet, requête numéro 1888, Rec., p. 832), décliné la compétence de son ordre de juridiction, toute juridiction de l’autre ordre qui viendrait à être saisie de l’affaire et qui considèrerait à son tour ne pas être compétente, doit surseoir à statuer et saisir le Tribunal des conflits afin qu’il tranche la question (décret du 27 février 2015, art. 32). Le Tribunal des conflits détermine l’ordre de juridiction compétent et déclare nuls et non avenus les jugements et actes de procédure pris par la ou les juridictions de l’ordre incompétent (décret du 27 février 2015, art. 34). Le Tribunal des conflits se prononce dans les deux cas dans un délai de trois mois, lequel pourra être porté à cinq mois en cas de nécessité ou en cas de réouverture des débats et de renvoi (décret du 27 février 2015, art. 36).
La survenance du conflit négatif. Lorsque la prévention du conflit négatif n’a pas été mise en œuvre et que les deux ordres de juridiction se sont déclarés incompétents sur la même affaire, les parties intéressées peuvent saisir le Tribunal des conflits afin qu’il désigne l’ordre de juridiction compétent (décret du 27 février 2015, art. 37), dans les deux mois suivant la date à laquelle la plus tardive des décisions juridictionnelles est devenue irrévocable (décret du 27 février 2015, art. 38). On soulignera le bon sens dont peut faire preuve le Tribunal des conflits dans son appréciation de l’existence d’un conflit négatif : une autorité administrative demande au juge judiciaire qu’il ordonne la libération d’une dépendance qu’il estime appartenir au domaine public routier, et le juge décline sa compétence en estimant que le bien n’appartient pas au domaine routier ; l’autorité administrative s’adresse alors au juge administratif en tirant les conséquences de ce qui précède et en demandant ainsi la libération du domaine public, mais le juge administratif décline sa compétence au motif que la dépendance relevait du domaine privé ; le Tribunal des conflits a cependant accepté d’y voir un conflit négatif et a tranché la question (TC, 19 mai 2014, Département du Nord, requête numéro 3942). Le rigorisme n’aurait rien apporté de plus…
Le recours en cas de contrariété de décisions de fond. Le recours en cas de contrariété de décisions de fond est un cas de saisine du Tribunal des conflits issu d’une loi du 20 avril 1932. Il s’agit ici de ce que l’on connaît des règlements de juge à l’intérieur de chaque ordre de juridiction (infra). Il peut arriver que les juridictions de l’ordre administratif et judiciaire soient simultanément saisies pour un même litige et que les décisions rendues conduisent à un déni de justice. Peu importe ici que le requérant ait renoncé à se pourvoir en cassation (TC, 16 juin 2014, SCI Lou, requête numéro 3941, Rec., p. 464). La partie qui y a intérêt peut alors saisir le Tribunal des conflits (décret du 27 février 2015, art. 39), dans les deux mois à compter du jour où la plus tardive des décisions statuant sur le fond est devenue irrévocable (décret du 27 février 2015, art. 40).
Section 2 – La compétence interne
La prohibition des jugements d’incompétence. La question de la compétence interne est certainement moins fondamentale que ne l’est celle de la compétence externe. En effet, concernant les juridictions administratives générales, le principe est celui de la prohibition des jugements d’incompétence interne (décret n° 72-143 du 22 février 1972). Il est vrai que les juridictions administratives spécialisées n’y sont pas soumises, ce qui est à certains égards regrettable. Sans doute la répartition des compétences au sein de la juridiction administrative (Sous-section 1) n’est-elle pas simple à appréhender. Mais les dispositifs existent, qui autorisent la résolution des problèmes de compétence (Sous-section 2).
Sous-section 1 – La répartition des compétences au sein de la juridiction administrative
Compétence matérielle et compétence territoriale. Seule sera examinée ici la compétence de premier ressort. Celles notamment en appel et en cassation feront l’objet de développements opportuns à l’étude des voies de recours (infra). Avant même de s’interroger sur la juridiction territorialement compétente pour connaître du litige (§ 2), il importe de rechercher quelle sera la juridiction compétente à raison de la matière (§ 1).
§ 1 : La compétence en raison de la matière
Un principe simple. Suivant l’article L. 311-1 du code de justice administrative, « les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences que l’objet du litige ou l’intérêt d’une bonne administration de la justice conduisent à attribuer à une autre juridiction administrative ». La compétence de principe est donc celle des tribunaux administratifs. Nombre de litiges ressortissent cependant à la compétence des autres juridictions administratives générales (I) ou à celle des juridictions administratives autres que générales (II).
I. La compétence des autres juridictions administratives générales
Toutes aujourd’hui concernées. C’est une exception fréquente et traditionnelle à la répartition des compétences, le Conseil d’Etat est compétent en premier et dernier ressort dans un certain nombre d’hypothèses (A). De manière bien plus nouvelle, les cours administratives d’appel peuvent se voir aujourd’hui reconnaître une telle compétence (B).
A. Le Conseil d’Etat
Des chefs de compétence de premier et dernier ressort opportuns. Le législateur et le pouvoir réglementaire attribuent au Conseil d’Etat compétence pour connaître en premier et dernier ressort d’un certain nombre de litiges. La liste de ces matières est évolutive, le choix de retenir la compétence du Conseil d’Etat n’étant finalement pas toujours nécessaire ou pertinent, soit que d’autres solutions ont pu être trouvées qui ont au surplus le mérite d’uniformiser la compétence juridictionnelle pour le même type d’actes, soit que le contentieux s’apparente à un contentieux qui ne présente plus l’intérêt d’être dévolu au Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. Ainsi, et par exemple, le Conseil d’Etat n’est plus compétent pour connaître des refus d’octroi de visas d’entrée sur le territoire national (décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives), pour connaître des décisions en matière d’autorisation d’exploitation commerciale (décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative), ou encore des décisions émanant d’autorités administratives dont les sièges excèdent le ressort d’un seul tribunal administratif (décret n° 2010-164 du 22 février 2010 préc.). Si l’on veut s’essayer à un exercice de systématisation, il est possible de retenir deux catégories de litiges de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. Il y a, d’une part, les litiges concernant les actes les plus importants, litiges qui supposent l’intervention de la seule Haute assemblée. Il y a, d’autre part, les litiges concernant des décisions dont le champ d’application est général et mérite une unicité de juridiction. Pour dire les choses autrement, la compétence du Conseil d’Etat procède parfois de la révérence due à l’acte ou à son auteur, parfois de l’importance des effets de la décision juridictionnelle à intervenir.
En certaines matières d’élections et de désignations. Suivant l’article L. 311-3 du code de justice administrative, sont de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’Etat les protestations dirigées contre :
– l’élection des représentants au Parlement européen ;
– les élections aux conseils régionaux et à l’assemblée de Corse, la jurisprudence ayant étendu cette compétence à l’élection du président et des membres du bureau des conseils (CE, 16 janv. 1987, Elections du président du conseil régional de Picardie, requête numéro 77085, Rec., p. 6) ainsi qu’aux recours concernant la démission d’office des conseillers (CE, 15 avr. 1996, Epron, requête numéro 162512, Rec., T., p. 797) ;
– les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que l’élection des membres, du président et du vice-président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les recours concernant la démission d’office des membres du gouvernement, du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ;
– les élections à l’assemblée de la Polynésie française, du président de la Polynésie française et les recours concernant la démission d’office des membres du gouvernement et des représentants à l’assemblée de la Polynésie française ;
– les élections à l’assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ;
– les élections au conseil territorial de Saint-Barthélemy, ainsi que l’élection du président du conseil territorial et des membres du conseil exécutif et les recours concernant la démission d’office des membres du conseil territorial ;
– les élections au conseil territorial de Saint-Martin ainsi que l’élection de président du conseil territorial et des membres du conseil exécutif et les recours concernant la démission d’office des membres du conseil territorial ;
– les élections du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon ainsi que l’élection du président du conseil territorial et des membres du conseil exécutif et les recours concernant la démission d’office des membres du conseil territorial ;
– les élections des conseillers et délégués consulaires et des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger ;
– les consultations organisées en application des articles 72-4 et 73 de la Constitution.
En matière de changements de nom. La compétence pour connaître des oppositions aux changements de noms est une compétence historiquement dévolue au Conseil d’Etat puisqu’elle était déjà organisée ainsi aux termes de la loi du 11 germinal an XI. L’article L. 311-2 du code de justice administrative réaffirme le principe et on soulignera l’inutilité de cette disposition. En effet, l’article 61 du code civil énonçant que les changements de noms sont autorisés par décret, le Conseil d’Etat est inévitablement compétent pour connaître des recours en ce domaine, en application de l’article R. 311-1 du code de justice administrative. En tant qu’il porte sur une décision individuelle, le refus de prendre un décret portant changement de nom reste de la compétence du tribunal administratif et non du Conseil d’Etat (CE, 2 oct. 1996, Pichon, requête numéro 174195, Rec., p. 364).
Certains contentieux de pleine juridiction. L’article L. 311-4 du code de justice administrative rappelle la liste des recours de pleine juridiction dont la compétence de premier et dernier ressort est dévolue au Conseil d’Etat. Il ne s’agit bien ici que d’un rappel, ces cas de compétence ayant été prévus par des dispositions législatives étrangères au code de justice administrative.
Il s’agit :
– du IV de l’article L. 612-16 du code monétaire et financier contre les décisions prises par l’Autorité de contrôle prudentiel ;
– des articles L. 342-14 et L. 342-15 du code de la construction et de l’habitation contre les décisions de sanction prises par le ministre chargé du logement seul ou conjointement avec le ministre chargé des collectivités territoriales ;
– des articles L. 5-3 et L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques contre les décisions prises par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
– de l’article 42-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 contre les décisions du Conseil supérieur de l’audiovisuel, visées aux articles 42-1, 42-3 et 42-4 de cette loi ;
– de l’article 71 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 contre les décisions de sanction prises par l’Autorité des marchés financiers à l’encontre des prestataires de service d’investissement agréés ;
– de l’article L. 623-3 du code monétaire et financier ;
– des articles L. 232-24 et L. 241-8 du code du sport ;
– de l’article 40 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 contre les décisions de sanction prises par la Commission de régulation de l’énergie ;
– de l’article 17 de la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports contre les décisions de sanction prises par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
Au regard du caractère pour le moins épars et ponctuel des dispositions énumérées, l’on comprend – et l’on y souscrit – l’intention du législateur de les recenser dans le code de justice administrative. L’article L. 311-4 du code n’en constitue pas moins une disposition dite de « code suiveur », sans portée normative en elle-même (CE, 23 oct. 2013, Mme Pionneau, requête numéro 331098, Rec., T., p. 388).
Dans le domaine du renseignement. Créé par la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, l’article L. 311-4-1 du code de justice administrative dispose que « le Conseil d’Etat est compétent, pour connaître en premier et dernier ressort, des requêtes concernant la mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées au titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure et la mise en œuvre de l’article 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, pour certains traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté de l’Etat ».
En matière d’autorisation de plaider. C’était une compétence dévolue au Conseil d’Etat, en tant que conseil du Gouvernement, que de connaître des refus d’autorisation de plaider opposés par les tribunaux administratifs (infra), le Premier ministre ayant longtemps eu à statuer sur la demande par un décret conforme à l’avis du Conseil d’Etat. Depuis le décret n° 92-180 du 26 février 1992 relatif à l’exercice, par un contribuable, des actions en justice appartenant à la commune, et conformément à l’article L. 311-5 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat est compétent, en pleine juridiction, pour connaître de ces refus, les tribunaux administratifs adoptant en ce domaine des décisions administratives.
Certains actes des collectivités d’outre-mer. Aux termes de l’article L. 311-7 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours formés contre le règlement intérieur de l’assemblée de la Polynésie française, de ceux prévus aux articles 70, 82, 116 et 117 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française ainsi que des recours juridictionnels spécifiques prévus à l’article 140 de la loi organique et ceux dirigés contre les délibérations décidant l’organisation d’un référendum local prévues à l’article 159. Les articles L. 311-10 à L. 311-12 du code de justice administrative retiennent la même compétence pour connaître des délibérations des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre et Miquelon. Enfin, l’article L. 311-8 du code de justice administrative prévoit la compétence du Conseil d’Etat pour connaître des recours juridictionnels formés contre les délibérations des conseils des départements d’outre-mer et des conseils des régions d’outre-mer pris sur le fondement des deuxième et troisième alinéas de l’article 73 de la Constitution.
Les ordonnances du Président de la République et les décrets. Suivant le 1° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, « le Conseil d’Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ». S’agissant des ordonnances, il est entendu ici que l’ordonnance cesse d’être contrôlée par le Conseil d’Etat à compter de sa ratification expresse par le Parlement, celle-ci lui conférant une valeur législative. S’agissant des décrets, l’état du droit s’avère plus clair aujourd’hui qu’il a pu l’être par le passé. La compétence du Conseil d’Etat s’étend ici aux décrets signés par le Président de la République ou le Premier ministre, qu’ils soient réglementaires ou individuels. Le refus de prendre (CE, 7 nov. 1969, Sigala, requête numéro 72339, Rec., T., p. 776), de rapporter (CE, 4 déc. 1957, Brandstetter, requête numéro 39741, Rec.¸ p. 651), de modifier (CE, 17 févr. 1965, Commune de Saint-Hyppolyte, requêtes numéros 63110 et 63111, Rec., p. 110) ou d’abroger (CE, Ass., 3 févr. 1989, Cie Alitalia, requête numéro 74052, Rec., p. 44 ; RFDA 1989, p. 391, concl. N. Chahid-Nourai, notes O. Beaud et L. Dubouis ; AJDA 1989, p. 387, note O. Fouquet) un décret procède pour l’essentiel du même principe. Pour l’essentiel seulement… En effet, seules les décisions, ici, présentant un caractère réglementaire sont de la compétence du Conseil d’Etat, la compétence pour connaître d’un refus de prendre un décret non réglementaire étant de la compétence du tribunal administratif (CE, 1er oct. 1958, Noguès, requête numéro 41220, Rec., p. 462).
Les actes réglementaires et les circulaires et instructions de portée générale des ministres et autres autorités à compétence nationale. 311-1 du code de justice administrative, les actes réglementaires des ministres, auxquels il convient d’inclure ceux des secrétaires d’Etat (CE, Sect., 18 mars 1977, CCI de La Rochelle, requêtes numéros 97939, 97940, 97941, Rec., p. 153, concl. J. Massot), sont de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. Il en va de même, ici encore, des refus de prendre de tels actes (CE, 12 juin 1968, Paoletti, requête numéro 71395, Rec., T., p. 899), y compris si le ministre n’avait pas compétence pour prendre l’acte (CE, 27 mars 2000, Syndicat des travailleurs du transport SUD, requête numéro 205503). En revanche, la décision prise sur recours hiérarchique contre un acte réglementaire relève de la compétence de premier ressort du tribunal administratif (CE, Sect., 13 mai 1983, Syndicat de l’énergie nucléaire CEA CESTA CGT-FO, requête numéro 31662, Rec., p. 195).
S’agissant des autorités à compétence nationale, d’une part, il importe peu que l’autorité à compétence nationale soit publique ou qu’il s’agisse d’un organisme de droit privé chargé d’une mission de service public (CE, 16 nov. 2011, Darties, requête numéro 339582, Rec., T., p. 851 ; AJDA 2012, p. 386, concl. M. Vialettes). D’autre part, il s’agit indistinctement d’autorités collégiales ou non, qu’il s’agisse, par exemple, du premier président de la Cour des comptes (CE, 20 mars 2013, Association des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes, requête numéro 358732) ou du directeur générale de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (CE, 7 avr. 2011, Syndicat des médecins d’Aix et région, requête numéro 339813). En revanche, l’acte pris par le directeur d’un établissement public national ne sera de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort que pour autant qu’un pouvoir réglementaire lui ait été attribué (CE, 26 juill. 2011, Syndicat SNUTEFI-FSU et a., requête numéro 346771, Rec., p. 422 ; CE, 28 mars 2012, Confédération générale des petites et moyennes entreprises, requête numéro 341067). Très logiquement, dans l’esprit toujours en vigueur de la jurisprudence Jamart (CE, Sect., 7 févr. 1936, Jamart, requête numéro 43321, Rec., p. 172 ; S. 1937, 3, p. 113, note J. Rivero), le Conseil d’Etat est compétent pour connaître des actes réglementaires pris y compris au titre du pouvoir d’organisation dont dispose chaque chef de service, par un directeur d’administration centrale (CE, 9 mars 2016, UNSA-ITEFA, requête numéro 382868, Rec., T.).
Le recrutement et la discipline des agents nommés par décret du Président de la République. Le 3° de l’article R. 311-1 énonce que les litiges concernant le recrutement et la discipline des agents nommés par décret du Président de la République en application de l’article 13 al. 3 de la Constitution ou des articles 1er et 2 de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’Etat, sont de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort. Il ne s’agit là que des seuls fondements autorisant la compétence du Conseil d’Etat, en sorte que les litiges intéressant des fonctionnaires nommés par le Président de la République en application d’autres textes, échappent à la compétence du Conseil d’Etat (par ex., CE, 4 juin 1999, Mme Bistac, requête numéro 193341, Rec., T., p. 717). Il faut encore que le litige, lequel peut être d’ordre indemnitaire (CE, Sect., 21 juin 2013, Mme Tamru, requête numéro 354299, Rec., p. 173), porte effectivement sur le recrutement ou la discipline de l’agent. Ainsi, la nomination à un poste de sous-directeur d’une administration centrale de l’Etat n’entre pas dans le champ d’application de l’article R. 311-1 du code de justice administrative (CE, 10 nov. 2010, Mme Weiner et a., requête numéro 341356, Rec., T., p. 698), contrairement à la décision relative à une reconstitution de carrière (CE, 22 mai 2015, Peyrat, requête numéro 384186, Rec.). Il faut encore que le litige présente un caractère statutaire, ce qui exclut, par exemple, les litiges d’ordre pécuniaire ne portant pas sur la rémunération statutaire (CE, 23 juill. 1993, Sallier, requête numéro 130522, Rec., T., p. 689).
Les décisions prises par les organes de certaines autorités, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation. Le 4° de l’article R. 311-1 du code de justice réserve encore au Conseil d’Etat la compétence pour connaître des litiges concernant les décisions prises par certaines autorités de régulation. La liste de ces autorités concernées est limitative.
Il s’agit de :
– l’Agence française de lutte contre le dopage ;
– l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
– l’Autorité de la concurrence ;
– l’Autorité des marchés financiers ;
– l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ;
– l’Autorité de régulation des transports ferroviaires ;
– l’Autorité de sûreté nucléaire ;
– la Commission de régulation de l’énergie,
– le Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
– la Commission nationale de l’informatique et des libertés ;
– la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ;
– la Commission de contrôle des interceptions de sécurité.
Encore faut-il que les décisions aient été prises au titre des missions de contrôle ou de régulation, faute de quoi la compétence pour en connaître redevient celle de principe (par ex., CE, 10 juin 2013, Sté Bigben Interactive, requête numéro 363082, Rec., T., p. 520 ; CE, 18 déc. 2013, Mme Longo-Ciprelli, requête numéro 365844, Rec., T., p. 520).
Les actions en responsabilité dirigées contre l’Etat pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative. Une décision du Conseil d’Etat peut emporter des conséquences non négligeables, non seulement d’ordre pécuniaire (F. Rolin, « Le coût du retard à juger devant les juridictions administratives », AJDA 2004, p. 2145) mais également en termes d’attribution de compétences. La décision Magiera, par laquelle a été admise la responsabilité pour faute simple de l’Etat pour méconnaissance, par les juridictions administratives, du droit à un délai raisonnable de jugement (CE, Ass., 28 juin 2002, Garde des sceaux c. Magiera, requête numéro 239575, Rec., p. 247, concl. F. Lamy ; AJDA 2002, p. 596, chron. F. Donnat et D. Casas ; RFDA 2002, p. 756, concl. F. Lamy ; RFDA 2003, p. 85, note J. Andriantsimbazovina) a conduit le Conseil d’Etat à proposer, et obtenir, la compétence pour connaître en premier et dernier ressort de ce contentieux. Le but, ici, est de mettre le plus rapidement possible un terme au litige. Il est vrai que, à bien y penser, il serait remarquable qu’un tel litige prenne fin lui-même dans un délai déraisonnable…
Les recours en interprétation et en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d’Etat. Le 6° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative dispose que le Conseil d’Etat est compétent en premier et dernier ressort pour connaître des recours en interprétation et en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève directement de la compétence du Conseil d’Etat. Cette solution est logique en ce qu’elle évite les contradictions qui pourraient résulter de l’existence de compétences concurrentes entre plusieurs juridictions. Une telle analyse est encore moins contestable depuis que le Tribunal des conflits reconnait un office renforcé, bien que conditionné, du juge civil sur les actes administratifs (TC, 17 oct. 2011, SCEA du Chéneau, préc. Sur cette question, voir, supra) : les renvois préjudiciels en appréciation de légalité ou en interprétation, décidés par le juge civil, concernent aujourd’hui les cas les plus épineux, pour lesquels le tribunal administratif ne serait pas davantage certain de la réponse que ne le serait la juridiction civile…
Les décisions ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques. Conformément au 7° de l’article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat connaît en premier et dernier ressort des décisions prises par le ministre chargé de l’Economie sur le fondement de l’article L. 430-7-1 du code de commerce, ainsi que des décisions prises dans le cadre des pouvoirs de contrôle autres que ceux prévus par cette disposition, qui autorisent ou refusent une prise de participation relevant d’une opération de concentration notifiée à une autorité de concurrence au titre du contrôle des concentrations économiques (CE, 23 déc. 2011, Sté Groupe Partouche, requête numéro 340834, Rec., T., p. 852 ; AJDA 2012, p. 578, chron. M. Lombard, S. Nicinski et E. Glaser).
En application de certains textes. Le code de justice administrative n’épuise pas la liste des compétences conférées au Conseil d’Etat par le législateur. Ainsi, le Conseil d’Etat est encore compétent pour connaître en premier et dernier ressort, notamment, des recours dirigés contre la désignation des membres du Conseil supérieur de la magistrature (loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature) et du Conseil économique, social, et environnemental (ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental, art. 10). Ainsi encore le Conseil d’Etat est-il compétent pour connaître en premier et dernier ressort de des décisions du Conseil national de l’ordre des pharmaciens refusant une inscription au tableau de l’ordre (CSP, art. R. 4222-4-2).
B. Les cours administratives d’appel
Un compromis. Depuis la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, le code de justice administrative autorise l’hypothèse d’une compétence de premier et dernier ressort au bénéfice d’autres juridictions que le tribunal administratif et le Conseil d’Etat. Il n’est pas exclu que la liste des compétences ainsi dévolues aux cours administratives d’appel continue de s’étoffer. Il existe en effet un certain nombre de contentieux qui ne nécessitent pas l’intervention du Conseil d’Etat au fond mais qui supposent qu’il soit rapidement mis fin à la discussion. Le double degré de juridiction n’étant une obligation ni constitutionnelle ni légale, la compétence des cours administratives d’appel se pose comme un juste compromis.
Les compétences spécifiquement attribuées à la cour administrative d’appel de Paris. La cour administrative d’appel de Paris est compétente en premier et dernier ressort, conformément à l’article R. 311-2 du code de justice administrative, pour connaître de deux catégories de litiges. En premier lieu, depuis le décret n° 2012-1130 du 5 octobre 2012 modifiant l’attribution des compétences au sein de la juridiction administrative en matière de représentativité des organisations syndicales, il s’agit « des recours dirigés contre les arrêtés du ministre chargé du travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales, pris en application de l’article L. 2122-11 du code du travail ». En second lieu, et ce depuis le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 portant modification du code de justice administrative, il s’agit « des litiges relatifs aux décisions prises par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en application des articles 28-1, 28-3 et 29 à 30-7 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à l’exception de celles concernant les services de télévision à vocation nationale ».
La compétence des cours administratives d’appel en matière d’aménagements commercial et cinématographique. Le décret n° 2013-730 du 13 août 2013 précité a encore transféré, et cette fois à l’ensemble des cours administratives d’appel, la compétence pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs aux décisions prises par la Commission nationale d’aménagement commercial en application de l’article L. 752-17 du code de commerce. Le décret n° 2015-268 du 10 mars 2015 modifiant la partie réglementaire du code du cinéma et de l’image animée et relatif à l’aménagement cinématographique a étendu cette compétence aux litiges concernant les décisions prises par la Commission nationale d’aménagement cinématographique en application de l’article L. 212-10-3 du code du cinéma et de l’image animée. Ces dispositions sont codifiées à l’article R. 311-3 du code de justice administrative. Disons-le brutalement, le Conseil d’Etat ne voulait plus s’embarrasser davantage avec un contentieux qui ne présentait pas de questions juridiques essentielles à juger. Mais les opérateurs économiques se satisfaisaient péniblement du temps à consentir avant d’obtenir une décision insusceptible d’être remise en cause, à partir du moment où il existe un double degré de juridiction possible, assorti d’un recours en cassation. L’attribution de la compétence aux cours administratives d’appel passe pour être un compromis satisfaisant. Mais il eût été encore possible de faire des tribunaux administratifs les juges de premier et dernier ressort de ce type de décisions…
II. La compétence des juridictions administratives autres que générales
La compétence des juridictions administratives spécialisées. Le panorama des juridictions administratives esquissé (supra) s’accompagne inévitablement d’un morcellement des compétences. Celles-ci sont d’ordre public et une juridiction administrative générale saisie là où un texte reconnaît compétence à une juridiction spécialisée doit décliner sa compétence et transmettre la requête (CE, 19 oct. 2012, M. Kessabi, requête numéro 342763, Rec., T., pp. 665 et 954).
Pas d’arbitrage sans texte… et peu de textes… L’article L. 311-6 du code de justice administrative dispose qu’il est possible de déroger aux dispositions déterminant la compétence des juridictions et recourir à l’arbitrage. C’est un mode alternatif de règlement des litiges dont on doit cependant souligner ici le caractère juridictionnel. Le contentieux administratif est traditionnellement rétif à ce type de règlement et si celui-ci a vocation à se développer, la liste des hypothèses admissibles n’en est pas moins réduite pour l’heure.
Suivant le code de justice administrative, le recours à l’arbitrage est autorisé sur le fondement :
– de l’article 69 de la loi du 17 avril 1906 portant fixation du budget général des dépenses et des recettes de l’exercice 1906, repris à l’article 132 du nouveau code des marchés publics ;
– de l’article 7 de la loi n° 75-596 du 9 juillet 1975 portant dispositions diverses relatives à la réforme de la procédure civile ;
– de l’article L. 321-4 du code de la recherche ;
– de l’article 25 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;
– de l’article 9 de la loi n° 86-972 du 19 août 1986 portant dispositions diverses relatives aux collectivités locales ;
– de l’article 28 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications ;
– de l’article 24 de la loi n° 95-877 du 3 août 1995 portant transposition de la directive 93/7 du 15 mars 1993 du Conseil des Communautés européennes relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un Etat membre ;
– de l’article 3 de la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l’établissement public « Réseau ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire.
§ 2 : La compétence territoriale
Les tribunaux administratifs, pour l’essentiel. Il est bien évident que la question de la compétence territoriale n’intéresse pas le Conseil d’Etat. On écartera encore, un peu arbitrairement il est vrai, la compétence territoriale des juridictions administratives spécialisées, eu égard à leurs spécificités. Tout au plus précisera-t-on que leur champ de compétence est pour la plupart régional, quand certaines sont compétentes pour l’ensemble du territoire national (c’est le cas, par exemple, de la Cour nationale du droit d’asile, du Conseil supérieur de la magistrature, de la juridiction nationale pour les personnels hospitaliers universitaires…). Reste alors la compétence territoriale des tribunaux administratifs (I) et, dans une moindre mesure, des cours administratives d’appel (II).
I. La compétence des tribunaux administratifs
Moins simple qu’il y parait. La compétence territoriale des tribunaux administratifs n’est pas d’ordre public et un jugement ne sera pas annulé au motif qu’il aurait été rendu par une juridiction territorialement incompétente pour connaître du litige (CJA, art. R. 312-2 al. 2). Il n’en demeure pas moins que le principe (A) autant que ses exceptions (B) existent, qui doivent être respectés et doivent donc être connus.
A. Le principe
La simplicité du principe. Le principe est posé à l’article R. 312-1 al. 1er du code de justice administrative : « lorsqu’il n’en est pas disposé autrement (…), le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l’autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée ou a signé le contrat litigieux.
Lorsque l’acte a été signé par plusieurs autorités, le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel a son siège la première des autorités dénommées dans cet acte ».
Le dispositif « antiremontée ». En cas de recours administratif préalable, « la décision à retenir pour déterminer la compétence territoriale est celle qui a fait l’objet du recours administratif ou du pourvoi devant une juridiction incompétente » (CJA, art. R. 312-1 al. 2). Cette précision est d’autant plus importante qu’elle vaut, non seulement pour les recours administratifs facultatifs, mais encore et surtout ici pour les recours administratifs préalables obligatoires à l’issue desquels, pourtant, la décision rendue se substitue à la décision initiale.
B. Les exceptions
Des exceptions inévitables. Une application indifférenciée du principe posé à l’article R. 312-1 du code de justice administrative aurait conduit à une saturation insurmontable du tribunal administratif de Paris. L’on comprend aisément, dans ces conditions, que des dérogations aient été apportées, qui attribuent la compétence à d’autres tribunaux administratifs, en prenant en considération le lieu de résidence du destinataire de la décision (1) ou son lieu d’exécution (2), sans préjudice d’attributions spécifiques (3).
1. En considération du lieu de résidence du destinataire de la décision
En certaines matières de reconnaissances et de décorations. Suivant l’article R. 312-6 du code de justice administrative, les litiges relatifs à la reconnaissance d’une qualité telle que celles de combattant, d’évadé, de déporté, de résistant ainsi qu’aux avantages attachés à l’une de ces qualités relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel le bénéficiaire ou le candidat au bénéfice des dispositions invoquées a sa résidence lors de l’introduction de la réclamation. Le même principe préside aux litiges relatifs aux diverses décorations et à ceux en matière d’emplois réservés, à l’exception de ceux portant sur une nomination critiquée comme intervenue en violation des droits d’un bénéficiaire de la législation sur les emplois réservés. Dans cette dernière hypothèse, la compétence est celle du tribunal administratif dans le ressort duquel l’agent nommé est affecté.
Les décisions individuelles prises dans l’exercice de pouvoirs de police. Conformément à l’article R. 312-8 du code de justice administrative, « les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l’encontre de personnes par les autorités administratives dans l’exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l’objet des décisions attaquées à la date desdites décisions ». Les litiges relatifs aux décisions ministérielles échappent cependant au champ de l’exception lorsqu’elles :
– prononcent l’interdiction administrative du territoire à l’encontre d’un ressortissant étranger conformément à l’article L. 214-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, fixent le pays de renvoi de celui-ci ou assignent à résidence l’étranger qui a fait l’objet d’une décision d’interdiction administrative du territoire et qui ne peut déférer à cette mesure ;
– prononcent l’expulsion d’un ressortissant étranger, fixent le pays de renvoi de celui-ci ou assignent à résidence l’étranger qui a fait l’objet d’une décision d’expulsion et qui ne peut déférer à cette mesure ;
– assignent à résidence un étranger ayant fait l’objet d’une décision d’interdiction judiciaire du territoire et qui ne peut déférer à cette mesure ;
– interdisent de se trouver en relation avec une personne nommément désignée en application de l’article L. 563-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
– interdisent de sortie du territoire sur le fondement de l’article L. 224-1 du code de la sécurité intérieure ;
– interdisent de transport sur le fondement de l’article L. 232-8 du code de la sécurité intérieure ;
– gèlent des avoirs en application des articles L. 562-1, L. 562-2 ou L. 562-5 du code monétaire et financier.
2. En considération du lieu d’exécution de la décision
Les litiges relatifs aux immeubles. Suivant l’article R. 312-7 du code de justice administrative, les litiges mettant en cause un immeuble public ou privé relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve l’immeuble. Il s’agit notamment des litiges relatifs aux déclarations d’utilité publique, au domaine public, aux affectations d’immeubles, au remembrement, à l’urbanisme et à l’habitation, au permis de construire, d’aménager ou de démolir, au classement des monuments et des sites. La notion d’immeuble est entendue strictement (CE, Ass., 13 déc. 1957, Ministre de la Reconstruction et du Logement c. Sté coopérative de reconstruction de Nantes, requête numéro 36987, Rec., p. 679). L’article R. 312-7 al. 2 du code de justice administrative retient la même compétence en matière de réquisition.
Les litiges relatifs à la désignation des membres des assemblées et organismes représentatifs. L’article R. 312-9 du code de justice administrative dispose que « les litiges relatifs à la désignation, soit par voie d’élection, soit par nomination, des membres des assemblées, corps ou organismes administratifs ou professionnels relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le siège de l’assemblée, corps ou organisme à la composition duquel pourvoit l’élection ou la nomination contestée. Toutefois, le contentieux des opérations préliminaires aux élections parlementaires est, lorsqu’il ressortit à la juridiction administrative, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le département où l’élection a lieu ».
Les litiges relatifs aux activités professionnelles. Suivant l’article R. 312-10 al. 1er du code de justice administrative, les litiges relatifs aux législations régissant les activités professionnelles, notamment les professions libérales, les activités agricoles, commerciales et industrielles, la réglementation des prix, la réglementation du travail, ainsi que la protection ou la représentation des salariés, ceux concernant les sanctions administratives intervenues en application de ces législations relèvent, lorsque la décision attaquée n’a pas un caractère réglementaire, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve soit l’établissement ou l’exploitation dont l’activité est à l’origine du litige, soit le lieu d’exercice de la profession. Ainsi, et par exemple, le tribunal administratif compétent pour connaître d’un recours contre une décision individuelle du Conseil national de l’ordre des pharmaciens est celui dans le ressort duquel se situe le lieu d’exercice de la profession (CE, 29 oct. 2012, Hubert, requête numéro 345471, Rec., T., p. 659). Lorsque, pour ces litiges, la décision litigieuse présente un caractère réglementaire, il faut distinguer. Soit elle ne s’applique que dans le ressort d’un seul tribunal administratif, celui-ci est alors compétent (CJA, art. R. 312-10 al. 2). Soit son champ d’application excède le ressort d’un seul tribunal administratif, le tribunal administratif compétent étant alors le tribunal administratif de Paris (CJA, art. R. 312-19). L’article R. 312-10 al. 3 du code de justice administrative réserve encore l’hypothèse des décisions prises par les autorités administratives en matière de composition et d’élection des institutions représentatives du personnel, sur le fondement des dispositions des titres Ier, II et III du livre III de la deuxième partie du code du travail. Les litiges en la matière sont portés devant le tribunal administratif dans le ressort duquel se situe le siège de l’entreprise. Par exemple, la décision par laquelle l’autorité administrative valide ou homologue un plan de sauvegarde de l’emploi doit être contestée devant le tribunal administratif dans le ressort duquel sont situés l’entreprise ou l’établissement concernés (CE, 24 janv. 2014, Comité d’entreprise de la société Ricoh France, requête numéro 374163, Rec., p. 9 ; AJDA 2014, p. 863, concl. G. Dumortier).
En matière de contrats et quasi-contrats. La chose est déjà évoquée à l’article R. 312-2 du code de justice administrative : aux termes de l’article R. 312-11 du code, les litiges relatifs aux contrats administratifs et aux quasi-contrats relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel ils sont exécutés. En cas de pluralité de ressorts ou en cas d’indétermination du lieu d’exécution, la compétence sera celle du tribunal administratif dans le ressort duquel siège l’autorité publique signataire ou la première des autorités publiques signataires dénommées dans l’acte. Il est cependant permis, sauf à ce qu’un intérêt public s’y oppose (voir, par ex., CE, Sect., 29 mars 1957, Roger, requête numéro 33132, Rec., p. 223), de compromettre. Et encore n’est-il pas possible de porter atteinte à la compétence matérielle de la juridiction (CE, 5 janv. 1972, Sté Unitchadienne, requête numéro 78436, Rec., p. 4).
Les litiges d’ordre individuel intéressant les agents publics. L’article R. 312-12 du code de justice administrative dispose que les litiges d’ordre individuel intéressant les agents publics, y compris les agents ou employés de la Banque de France, relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu d’affectation de l’agent que la décision attaquée concerne. Si cette décision prononce une nomination ou entraîne un changement d’affectation, la compétence est déterminée par le lieu de la nouvelle affectation. Si cette décision prononce une révocation, une admission à la retraite ou toute autre mesure entraînant une cessation d’activité, ou si elle concerne un ancien fonctionnaire ou agent, ou un fonctionnaire ou un agent sans affectation à la date où a été prise la décision attaquée, la compétence est déterminée par le lieu de la dernière affectation de ce fonctionnaire ou agent. Dans l’hypothèse où la décision a un caractère collectif et si elle concerne des agents affectés ou des emplois situés dans le ressort de plusieurs tribunaux administratifs, l’affaire relève logiquement de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel siège l’auteur de la décision attaquée.
En matière de pensions. L’article R. 312-13 al. 1er du code de justice administrative énonce que « les litiges relatifs aux pensions des agents des collectivités locales relèvent du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le siège de la personne publique dont l’agent intéressé relevait au moment de sa mise à la retraite ». Suivant l’article R. 312-13 al. 2, « pour les autres pensions dont le contentieux relève de la juridiction des tribunaux administratifs, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu d’assignation du paiement de la pension ou, à défaut, soit qu’il n’y ait pas de lieu d’assignation, soit que la décision attaquée comporte refus de pension, la résidence du demandeur lors de l’introduction de sa réclamation ».
Le contentieux de la responsabilité. Il résulte de l’article R. 312-14 du code de justice administrative que les actions en responsabilité fondées sur une cause autre que la méconnaissance d’un contrat ou d’un quasi-contrat relèvent :
– lorsque le dommage invoqué est imputable à une décision qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un recours en annulation devant un tribunal administratif, de la compétence de ce tribunal ;
– lorsque le dommage invoqué est un dommage de travaux publics ou est imputable soit à un accident de la circulation, soit à un fait ou à un agissement administratif, de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu où le fait générateur du dommage s’est produit.
Dans tous les autres cas, la compétence est celle du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouvait, au moment de l’introduction de la demande, la résidence de l’auteur ou du premier des auteurs de cette demande, s’il est une personne physique, ou son siège, s’il est une personne morale. Deux hypothèses d’indemnisation font l’objet d’un traitement particulier :
– d’une part, créé par le décret n° 2010-251 du 11 mars 2010 relatif à l’indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d’immunodéficience humaine ou par le virus de l’hépatite C causées par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang ainsi qu’à l’indemnisation des victimes de préjudices résultant de vaccinations obligatoires, l’article R. 312-14-1 du code de justice administrative dispose que les actions engagées en application de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique contre le rejet par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales d’une demande d’indemnisation ou contre une offre d’indemnisation jugée insuffisante relèvent de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé le lieu de résidence du demandeur ;
– d’autre part, avec le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, l’article R. 312-14-2 du code de justice administrative énonce que les litiges relatifs aux décisions mentionnées au I de l’article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence du demandeur au moment de l’introduction de la demande.
Les contributions au bénéfice de l’Office des migrations internationales et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. En application de l’article R. 312-6 du code de justice administrative, les contestations relatives à l’application de la contribution spéciale instituée par les articles L. 8253-1 et L. 8253-7 du code du travail, et de la contribution forfaitaire instituée par l’article L. 626-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont portées devant le tribunal administratif dans le ressort duquel l’infraction a été constatée.
3. Les attributions spécifiques
La compétence par défaut du tribunal administratif de Paris. Les litiges qui ne relèvent de la compétence d’aucun tribunal administratif par application des dispositions des articles R. 312-1 et R. 312-6 à R. 312-18 du code de justice administrative, ont été attribués au tribunal administratif de Paris par le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 précité (CJA, art. R. 312-19).
En matière de délivrance de visas et de naturalisation. L’article R. 312-18 du code de justice administrative attribue au tribunal administratif de Nantes compétence pour connaître des litiges relatifs au rejet des demandes de visa d’entrée sur le territoire de la République française relevant des autorités consulaires. Il en va également ainsi des recours dirigés contre les décisions du ministre chargé des naturalisations, seule autorité compétente pour statuer sur les recours administratifs formés contre les décisions du préfet de département ou, à Paris, du préfet de police.
II. La compétence des cours administratives d’appel
Des hypothèses encore rares. Le pouvoir réglementaire a jusqu’à présent retenu deux options :
– soit, comme cela a été dit plus haut, il accorde un bloc de compétences au profit de la cour administrative d’appel de Paris (c’est le cas des recours dirigés contre les arrêtés du ministre chargé du travail relatifs à la représentativité des organisations syndicales, pris en application de l’article L. 2122-11 du code du travail et des recours contre les décisions prises par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en application des articles 28-1, 28-3 et 29 à 30-7 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, à l’exception de celles concernant les services de télévision à vocation nationale) ;
– soit (comme en matière d’aménagements commercial et cinématographique) la cour administrative d’appel territorialement compétente pour connaître de ces recours est celle dans le ressort de laquelle a son siège la commission départementale qui a pris la décision initiale (CJA, art. R. 311-3 al. 2). Ainsi le pouvoir réglementaire organise-t-il ici encore un dispositif antiremontée. En effet, les décisions des commissions départementales étant nécessairement soumises, suivant les cas, à un recours administratif préalable obligatoire devant la commission nationale de l’aménagement commercial ou devant la commission nationale d’aménagement cinématographique, la cour administrative d’appel de Paris aurait été, autrement, inopportunément surchargée d’affaires.
Sous-section 2 – La résolution des problèmes de compétence
Un système éprouvé. Les difficultés relatives à la répartition des compétences au sein de la juridiction sont inévitables. Deux mécanismes existent, qui ont fait leur preuve et qui permettent de les résoudre efficacement. Le premier est préventif et s’apparente à certains égards à une reconfiguration ponctuelle des compétences au nom d’une bonne administration de la justice. C’est la question de la connexité (§ 1). Le second est curatif en ce qu’il permet de régler les difficultés de compétence. C’est la question de la transmission de la requête (§ 2).
§ 1 : La prévention des problèmes de compétence : la connexité
Notion de connexité. Demande connexe et demande accessoire sont deux notions qui ne doivent pas être confondues. En effet, demande principale et demande accessoire sont portées devant la même juridiction, là où les demandes connexes sont portées devant deux juridictions distinctes, avec cette circonstance supplémentaire que la résolution d’un des litiges suppose qu’il soit statué à l’occasion de l’autre. En prononçant la connexité des deux affaires, le juge déroge sans doute aux règles qui président à la répartition des compétences au sein de la juridiction administrative, mais il le fait dans le souci d’une bonne administration de la justice. La connexité, en effet, est une réponse au risque de contrariété de décisions juridictionnelles intéressant pourtant le même litige.
Un seul degré de juridiction pour une seule voie de recours. La connexité n’est permise que pour un même degré de juridiction. Il ne saurait y avoir connexité entre une demande de premier ressort et un appel ou un pourvoi en cassation (CE, Sect., 6 oct. 1961, Demarze, requête numéro 41856, Rec., p. 548). Il ne saurait y avoir, par ailleurs, de connexité qu’entre litiges relevant des mêmes voies de recours (CE, 16 juin 2004, Bianchin, requête numéro 265915, Rec., T., p. 636).
L’exclusion des juridictions administratives spécialisées. Contrairement aux questions accessoires, la connexité ne joue qu’entre les seules juridictions administratives générales, ce qui évince donc les juridictions administratives spécialisées.
La question du lien de subordination entre les recours. Dans son état initial, la jurisprudence conditionnait la connexité à l’existence d’un strict lien de subordination entre les deux demandes. Avec le temps, ce lien s’est assoupli, autorisant la connexité alors que les demandes relèvent, pour l’une, du contentieux de pleine juridiction, pour l’autre, du contentieux de l’excès de pouvoir (CE, Ass., 7 déc. 1962, Coursières-Berthezène, requête numéro 52089, Rec., p. 662, concl. P. Nicolaÿ) et ce même si les deux demandes émanent de requérants distincts (CE, Ass., 2 févr. 1987, Sté TV6, requête numéro 81131, Rec., p. 28). Sont également connexes les conclusions d’une demande présentée au Conseil d’État tendant à l’indemnisation du préjudice résultant du retard de l’administration à exécuter une décision du Conseil d’État, relevant en principe du tribunal administratif territorialement compétent, et les conclusions présentées dans la même demande, tendant à ce que le Conseil d’État, juge de l’exécution, prononce une astreinte afin d’assurer l’exécution de sa décision (CE, 1er avr. 2015, Mme Roseline Menchon et M. Freddie Menchon, requête numéro 374536, Rec., T.).
Par delà, et si l’on veut tenter de systématiser une jurisprudence toute en nuance, la connexité suppose que de la solution d’un des litiges dépende de la solution de l’autre. Ainsi existe-t-il encore connexité lorsque la seconde décision attaquée a été prise sur recours administratif préalable contre la première (CE 28 janv. 2011, Mme Latrasse, requête numéro 338513, Rec., T., p. 852). Par exemple encore, saisi d’une demande tendant à ce qu’il soit statué sur la nature d’un bien et sur son appartenance au domaine public, le Conseil d’Etat est également compétent pour connaître de conclusions connexes tendant à l’annulation d’un arrêté d’alignement relevant normalement de la compétence d’une cour administrative d’appel (CE, 5 mai 2010, M. Le Palud, requête numéro 327239, Rec., T., p. 696). En revanche, il n’y a pas de lien de connexité entre un recours tendant à l’annulation d’un acte réglementaire et celui tendant à l’annulation d’une décision individuelle prise sur le fondement de ce règlement (CE 28 juill. 2000, Tameze et Girard, requête numéro 188494, Rec., T., p. 909).
Connexité entre des demandes de la compétence du Conseil d’Etat et d’une autre juridiction administrative générale. Aux termes de l’article R. 341-1 du code de justice administrative, « lorsque le Conseil d’Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel ». Reste la question ici de savoir à qui revient l’initiative du renvoi de l’ensemble au Conseil d’Etat. Les deux hypothèses sont prévues. Ainsi, dans le cas où un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel est saisi de conclusions relevant normalement de sa compétence mais connexes à des conclusions présentées devant le Conseil d’Etat et relevant de la compétence en premier et dernier ressort de celui-ci, son président renvoie au Conseil d’Etat lesdites conclusions (CJA, art. R. 341-2 al. 1er) ou le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, saisi par la chambre intéressée, ordonne le renvoi au Conseil d’Etat de la demande soumise au tribunal administratif ou à la cour administrative d’appel (CJA, art. R. 341-2 al. 2). Il en va de même dans le cas où un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel est saisi de conclusions distinctes mais connexes relevant les unes de sa compétence et les autres de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d’Etat (CJA, art. R. 341-3). Les mêmes principes prévalent en appel (CJA, art. R. 343-1 et s.).
Connexité entre des demandes relevant de la compétence d’une cour administrative d’appel et d’un tribunal administratif. Avec la dévolution de compétences de premier et dernier ressort au profit des cours administratives d’appel, l’hypothèse d’une connexité de demandes avec celle au bénéfice d’un tribunal administratif devient envisageable. Le pouvoir réglementaire en a très logiquement tenu compte et réglé ce cas de figure (décret n° 2015-1145 du 15 septembre 2015 modifiant le code de justice administrative), suivant un schéma équivalent à celui intéressant le Conseil d’Etat par rapport aux autres juridictions administratives générales (CJA, art. R. 345-1 et s.).
Connexité entre des demandes relevant de la compétence de deux tribunaux administratifs. Suivant l’article R. 342-1 du code de justice administrative, « le tribunal administratif saisi d’une demande relevant de sa compétence territoriale est également compétent pour connaître d’une demande connexe à la précédente et relevant normalement de la compétence territoriale d’un autre tribunal administratif ». Le cas peut se produire où deux tribunaux administratifs sont simultanément saisis de demandes distinctes mais connexes, relevant normalement de leur compétence territoriale respective. Le problème se pose alors de déterminer la compétence pour connaître du tout. Dans cette hypothèse, chacun des deux présidents intéressés saisit le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat et lui adresse le dossier de la demande (CJA, art. R. 342-2). Le président de la section du contentieux se prononce alors sur l’existence du lien de connexité et détermine la ou les juridictions compétentes pour connaître des demandes (CJA, art. R. 342-3). Les mêmes mécanismes sont organisés pour les cas de connexité entre des demandes relevant de la compétence de deux cours administratives d’appel (CJA, art. R. 344-1 et s.)
§ 2 : Le règlement des problèmes de compétence : la transmission de la requête
Une obligation de transmission. Il arrive que les règles afférentes à la compétence interne à la juridiction administrative ne soit pas respectées par les requérants. Le code de justice administrative règle ces hypothèses d’incompétence matérielle ou territoriale, étant rappelé qu’un jugement rendu par un tribunal administratif territorialement incompétent n’est pas irrégulier pour ce motif. En toute hypothèse, les actes de procédure accomplis régulièrement devant la juridiction saisie en premier lieu demeurent valables devant la juridiction de renvoi à laquelle incombe le jugement de l’affaire, sous réserve, le cas échéant, des régularisations imposées par les règles de procédure propres à cette juridiction (CJA, art. R. 351-7).
La saisine indue du Conseil d’Etat. Deux hypothèses peuvent se présenter ici.
La première hypothèse est celle de l’incompétence externe. L’article R. 351-5-1 du code de justice administrative dispose que « lorsque le Conseil d’Etat est saisi de conclusions se rapportant à un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, il est compétent, nonobstant les règles relatives aux voies de recours et à la répartition des compétences entre les juridictions administratives, pour se prononcer sur ces conclusions et décliner la compétence de la juridiction administrative ». Créée par le décret n° 2015-1145 du 15 septembre 2015 précité, cette disposition permet au Conseil d’Etat de rejeter la requête au titre de l’incompétence de la juridiction administrative, par dérogation aux règles qui président à la répartition des compétences au sein de l’ordre administratif. On doit bien y souscrire dès lors que la célérité de la justice y gagne là où le justiciable ne perd rien.
La seconde hypothèse est celle de l’incompétence interne. Lorsque le Conseil d’Etat est saisi de conclusions relevant de la compétence d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel, le président de la section du contentieux, saisi par la chambre chargée de l’instruction du dossier, règle la question de compétence et attribue, le cas échéant, le jugement de tout ou partie de l’affaire à la juridiction qu’il déclare compétente (CJA, art. R. 351-1). Lorsque la compétence est autre que celle d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat est compétent pour rejeter les conclusions entachées d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance ou pour constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions (CJA, art. R. 351-5). Il en va de même si la compétence était normalement celle d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel (CJA, art. R. 351-4).
La saisine indue d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d’appel. En sens inverse, lorsqu’une cour administrative d’appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu’il estime relever de la compétence du Conseil d’Etat, son président transmet sans délai le dossier au Conseil d’Etat qui poursuit l’instruction de l’affaire. Si l’instruction de l’affaire révèle que celle-ci relève en tout ou partie de la compétence d’une autre juridiction, la chambre d’instruction saisit le président de la section du contentieux qui règle la question de compétence et attribue, le cas échéant, le jugement de tout ou partie des conclusions à la juridiction qu’il déclare compétente (CJA, art. R. 351-2). Dans la même logique, lorsqu’une cour administrative d’appel ou un tribunal administratif est saisi de conclusions qu’il estime relever de la compétence d’une juridiction administrative autre que le Conseil d’Etat, son président, ou le magistrat qu’il délègue, transmet sans délai le dossier à la juridiction qu’il estime compétente (CJA, art. R. 351-3 al. 1er), y compris s’il s’agit d’une juridiction administrative spécialisée (CE, 19 oct. 2012, M. Kessabi, requête numéro 342763, Rec., T., pp. 665 et 954). En cas de doute, le dossier est transmis sans délai au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l’affaire à la juridiction qu’il déclare compétente (CJA, art. R. 351-3 al. 2). Lorsque le président de la cour administrative d’appel ou du tribunal administratif (CJA, art. R. 351-6 al. 2) ou d’une juridiction administrative autre que celles-ci (CJA, art. R. 351-6 al. 3) à laquelle un dossier a été transmis en application du premier alinéa de l’article R. 351-3 du code de justice administrative, estime que cette juridiction n’est pas compétente, il transmet le dossier, dans le délai de trois mois suivant la réception de celui-ci, au président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, qui règle la question de compétence et attribue le jugement de tout ou partie de l’affaire à la juridiction qu’il déclare compétente.
Pour les cas où le traitement du non-lieu ou de l’irrecevabilité pourrait précéder l’incompétence… Comme pour le Conseil d’Etat, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peuvent rejeter les conclusions entachées d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance ou pour constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur tout ou partie des conclusions (CJA, art. R. 351-4). Il y a là un cas de dérogation à l’ordre normal d’examen des questions préalables… L’irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance mentionnée à l’article R. 351-4 du code de justice administrative ne peut concerner, s’agissant d’une requête présentée devant une cour administrative d’appel, que les conclusions présentées devant cette cour. Dès lors, en l’absence d’une telle irrecevabilité manifeste, ces dispositions ne permettent pas à une cour administrative d’appel de s’affranchir, au motif de l’irrecevabilité, même manifeste, de la demande de première instance, du respect des règles de répartition des compétences entre juridictions administratives (CE, 25 janv. 2012, Piasco, requête numéro 344705, Rec., T., p. 661).
Le dépaysement. Lorsque des considérations de bonne administration de la justice l’imposent, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat, de sa propre initiative ou sur la demande d’un président de tribunal administratif ou de cour administrative d’appel, attribue, par une ordonnance motivée qui n’est pas susceptible de recours, le jugement d’une ou plusieurs affaires à la juridiction qu’il désigne (CJA, art. R. 351-8).
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