Le Recueil Lebon mentionne que ces conclusions sont rapportées sous forme de résumé
Le pourvoi, se fonde sur trois catégories de moyens. On soutient d’abord que le décret du 17 sept. 1900, en composant les conseils du travail de membres élus par les syndicats et en leur conférant des fonctions d’arbitres et de conciliateurs, viole la législation relative aux syndicats professionnels, aux conseils de prud’hommes et à l’arbitrage.
On prétend ensuite que les attributions qui leur sont conférées pour la détermination du salaire normal et du maximum de durée de travail dans les marchés passés par les administrations publiques, constituent une violation des dispositions des règlements d’administration publique du 10 août 1899 sur les conditions du travail dans cette nature de marches.
Enfin, on affirme qu’en dehors même de toute violation d’un texte positif de loi ou de règlement, le gouvernement a excédé ses pouvoirs en créant, par voie de décret simple, un organisme qui, en raison de son importance, de son influence économique, de son ingérence dans les rapports entre le capital et le travail, ne pouvait être institue que par le législateur.
Aucun de ces moyens ne paraît pouvoir être retenu.
En effet, la faveur donnée aux syndicats et l’exclusion des non syndiques dans la composition des conseils du travail, comme le rôle d’arbitres ou de conciliateurs qui leur est attribué, ne sauraient être considérés comme contraires à la loi, du moment où les conseils du travail, qui sont à l’égard de l’Administration un corps purement consultatif, n’ont à l’égard des tiers qu’un rôle exclusivement facultatif et n’interviennent que s’ils en sont sollicités par les parties elles-mêmes, lesquelles demeurent libres de ne pas recourir à leurs bons offices.
En ce qui concerne les bordereaux d’adjudication des marches de l’État, des départements, des communes, dans lesquels se trouvent contenues pour les entrepreneurs les obligations relatives au salaire et à la durée de travail des ouvriers, on sait que les règlements d’administration publique du 10 août 1899 ont prescrit qu’ils devaient être établis par les administrations intéressées, après une instruction dans laquelle ces administrations devraient se référer aux accords existants entre syndicats patronaux et ouvriers, ou provoquer l’avis de commissions mixtes d’ouvriers et de patrons.
Si le décret attaqué avait entendu, comme on le prétend, charger les conseils du travail de rédiger ces bordereaux aux lieu et place des administrations intéressées, ou même les substituer seulement aux commissions mixtes prévues, par les décrets du 10 août 1899, nul doute qu’il ne fût, de ce chef, entaché d’illégalité.
La réglementation de 1899 laisse, en effet, aux diverses administrations le droit de former, comme elles l’entendent, les commissions mixtes, à la seule condition de les composer pour moitié de patrons et pour moitié d’ouvriers, et leur permet, en conséquence, de prendre ces éléments parmi les syndiqués ou les non syndiqués. En leur imposant l’obligation de recourir, aux lieu et place des commissions mixtes, aux conseils du travail, recrutés exclusivement parmi les syndiqués, le gouvernement aurait porté atteinte aux droits que des décrets en Conseil d’État ayant le caractère de règlements d’administration publique pris par délégation du législateur, avaient entendu réserver aux départements, aux communes et aux divers services publics de l’État.
Mais telle n’est pas la portée du secret qui a créé les conseils du travail. Si la rédaction de ce texte n’offre pas toute la clarté désirable et semble, à première vue, pouvoir conduire à l’interprétation qui vient d’être indiquée, elle cesse d’avoir cette portée, pourvu qu’on ait égard aux mots « le cas échéant », qui se trouvent dans le texte. Ces mots accompagnent la mention que les bordereaux dressés par les conseils du travail tiendront lieu aux administrations intéressées des constatations confiées aux commissions mixtes.
C’est en ce sens, du reste, que s’est prononcé le ministre même qui a contresigné le décret, M. Millerand, non seulement à l’occasion du pourvoi actuel, mais encore dans le rapport qu’il a soumis au Président de la République, en présentant le décret à sa signature. Il résulte des déclarations de M. Millerand que le gouvernement n’a entendu modifier en rien les dispositions des règlements d’administration publique de 1899, qu’il n’a voulu priver les administrations intéressées d’aucune liberté, ni leur imposer aucune obligation, qu’il a eu uniquement en vue de leur procurer certaines facilités.
Les différents services publics, ministères, départements, communes, arrêtent eux-mèmes les bordereaux annexes aux cahiers des charges de leurs marchés, dans les conditions fixées par les règlements de 1899 : ils composent, comme ils l’entendent, les commissions mixtes dont ils doivent prendre l’avis ; ils peuvent, à leur gré, les composer de syndiques ou de non syndiqués. Les conseils du travail constituent seulement un type de commission mixte, répondant aux prescriptions des règlements de 1899 qui est mis d’une manière permanente à la disposition des diverses administrations et que celles-ci peuvent, dès lors, si cela leur convient, considérer pour la rédaction de leur cahier des charges comme la commission mixte prévue par ces règlements.
Dans ces conditions et sous la réserve de lui donner sans ambiguïté cette interprétation, qui est celle de l’auteur même de l’acte attaqué, le décret du 17 sept. 1900 ne contredit aucune des dispositions des règlements du 10 août 1899 et n’est encore, à ce point de vue, entaché d’aucun excès de pouvoir.
Enfin, il est difficile de voir sur quel principe de droit public on pourrait se fonder pour refuser au gouvernement le droit de créer des corps administratifs, composés comme il l’entend, soit de fonctionnaires, soit de personnes quelconques désignées par lui ou élues par telle ou telle catégorie de citoyens, dès lors que ces corps ont un caractère simplement consultatif ou que leur intervention possible dans les rapports des tiers est purement facultative et amiable. Il ne faut pas, en effet, confondre deux points de vue essentiellement différents : celui du juge et celui du Parlement.
Le Parlement peut toujours empêcher le gouvernement de réaliser une reforme qu’il estime inopportune ou qu’il prétend se réserver le soin de réaliser. Mais tant qu’il n’est intervenu aucun texte législatif limitant, en fait, ou en droit, les pouvoirs du gouvernement, celui-ci peut toujours prendre les mesures d’administration qu’il croit nécessaires à l’intérêt général du moment qu’il n’impose aucune obligation à personne, qu’il ne porte atteinte à aucun droit et ne lèse même directement aucun intérêt. S’il peut encourir éventuellement la censure du Parlement, il est à l’abri de l’action juridique des tiers.