Le recueil Sirey indique qu’il s’agit d’un résumé des conclusions du commissaire du gouvernement.
Les attributions des corps locaux sont limitées par leur nature même. Ils ne peuvent, en dehors d’une délégation législative, porter atteinte à tout ce qui concerne certains droits généraux ou individuels, à la liberté du commerce ou de l’industrie, aux rapports économiques des citoyens entre eux, etc. En un mot, ils ne peuvent porter atteinte à ce qui constitue l’administration générale par rapport à l’administration locale, et à ce qui intéresse, suivant les termes employés par une instruction de l’Assemblée Constituante, la nation en corps et l’uniformité du régime général.
Spécialement, pour les conseils municipaux, la loi du 5 avr. 1884 porte seulement qu’ils règlent les affaires de la commune ; elle détermine celles de leurs délibérations qui doivent être approuvées par l’autorité supérieure, mais elle s’abstient de définir la sphère d’action du corps municipal et les matières sur lesquelles, par des délibérations exécutoires ou non, il lui appartient de statuer, en un mot, ce qui doit être entendu par les mots « affaires de la commune ». C’est donc au juge qu’il appartient de délimiter, beaucoup plus par l’examen des espèces que par voie de théorie générale, les pouvoirs des conseils municipaux. II faut tenir compte de la législation générale, des intentions du législateur au moment du vote de la loi municipale actuelle, du but que se proposent les corps municipaux dans leurs délibérations, des nécessités auxquelles ils sont légitimement, amenés à pourvoir, ou des considérations théoriques, – étrangères à leur mission – par lesquelles ils se laissent dominer.
Les conseils municipaux ne peuvent, « en principe », exercer un commerce ou une industrie : d’abord, parce que cela constitue une modification économique au régime de la liberté du commerce et de la libre concurrence, auquel le législateur seul peut porter atteinte ; ensuite, parce qu’il n’est pas sans inconvénient d’engager les finances communales dans les hasards d’une entreprise commerciale. C’est ainsi que l’assemblée générale du Conseil d’État n’a pas admis la création de pharmacies municipales (Avis Cons. d’État, 2 août 1894, Rev. gén. d’admin., 1894, t. 3, p. 435), de même qu’elle s’est refusée à autoriser la création de caisses départementales d’assurances à primes fixes contre l’incendie (Avis Cons. d’État, 21 mai 1896, S. et P. Lois annotées de 1897, p. 219).
Mais, lorsqu’il s’agit d’une industrie qui, par sa nature, par l’emploi des voies publiques en particulier, constitue un véritable monopole, comme la distribution d’eau et de gaz par exemple, rien ne fait obstacle à ce qu’elle soit érigée en service public. Dans une affaire où le Conseil d’État n’a pas donné, il est vrai, son approbation au service projeté (vidanges municipales de Lille), en raison de circonstances de fait, il a reconnu que la gestion d’un service de vidanges pourrait, dans certains cas, être constituée en service municipal, s’il était établi que ce procédé, fût le seul satisfaisant au point de vue de la santé publique (Avis Cons. d’État des 1er et 15 mars 1900, Revue gén. d’admin., 1900, t. 1, n° 433).
De même, les conseils, municipaux et généraux ne peuvent, « en principe », consacrer les deniers communaux et départementaux à des subventions en faveur de particuliers pour régler les rapports entre les producteurs et les consommateurs ou entre les patrons, et les ouvriers, car la encore il y aurait intrusion des assemblées locales dans le domaine, économique et dans la fixation du prix des denrées ou des salaires, qui, par sa nature, échappe à leur compétence, à moins de délégation formelle du législateur. C’est ainsi que l’assemblée générale du Conseil d’État a annulé des délibérations de conseils généraux allouant, non pas des secours aux familles des grévistes à la suite d’une grève, secours qui auraient constitué un acte de charité, mais des subventions pendant la grève aux grévistes eux-mêmes (V. Cons. d’État [décret], 7 juin 1886, Rev, gén. d’adm., 1886.2.339 ; 17 déc. 1892 (Ibid., 1893.1.49) ; et Rep. gén. du dr. fr., v° Conseil général, n° 274 et s.).
Au contraire, lorsqu’il s’agit, non de s’immiscer dans les conflits économiques à l’aide des deniers des contribuables, mais de pourvoir à des nécessités urgentes intéressant la salubrité, la santé, l’alimentation publique, à défaut ou en cas d’insuffisance des moyens fournis par l’initiative privée, l’intervention du conseil municipal est légitime et légale.
C’est ainsi qu’un arrêt du Conseil d’État au contentieux a reconnu la légalité de la subvention votée par un conseil municipal en faveur d’un médecin chargé de soigner gratuitement tous les malades dans une commune où il n’y avait aucun médecin (V. Cons. d’État, 7 août 1896, Bonnardot, S. 1898.3.107).
Appliquant ces principes au cas de l’affaire actuelle, on est obligé de reconnaître qu’il ne se présentait à Poitiers aucun des cas exceptionnels pouvant justifier le vote d’une subvention par le conseil municipal en faveur de la boulangerie coopérative. L’alimentation publique, que la taxe du pain peut d’ailleurs assurer autrement dans une certaine mesure, n’était pas compromise, et l’essai de socialisation, partielle du commerce de la boulangerie, tenté par la ville de Poitiers, ne rentrait pas, en l’état de notre législation, dans les attributions du conseil municipal.