Chapitre deux – Services publics
1393.- Plan.- Il conviendra de tenter de définir la notion de service public avant d’évoquer les grands principes de son fonctionnement et les modalités selon lesquelles ces activités peuvent être prises en charge.
Section I – Notion de service public
1394.- Une notion insaisissable et profondément impactée par le droit de l’Union européenne.- Il est particulièrement malaisé de définir ce qu’est un service public. Il s’agit d’un concept vague dont l’existence même, ou en tout cas les spécificités, sont remises en cause par l’influence grandissante du droit de l’Union européenne.
§I – Difficultés d’appréhension de la notion de service public
1395.- Différentes approches de la notion de service public.- Comme on l’a déjà évoqué il existe trois approches possibles de la notion de service public.
Une approche organique qui désigne les agents et les services d’une personne publique qui est en charge d’une mission de service public.
Une approche matérielle qui désigne une activité d’intérêt général prise en charge par l’administration.
Une approche formelle selon laquelle le service public se caractérise par le caractère exorbitant des règles qui lui sont appliquées.
1396..- Crises du service public.- Ces trois approches concordaient à l’époque de l’arrêt Blanco, mais suite à ce qu’on a appelé les « crises » du service public, les éléments matériels et organiques de la définition du service public ont été remis en cause. D’une part, il est aujourd’hui admis qu’une activité de service public peut être prise en charge selon des règles similaires à celles appliquées dans le secteur privé, ce qui a donné naissance à la notion de service public industriel et commercial. D’autre part, il est également acquis qu’une mission de service public peut être prise en charge par une personne privée.
1397..- le « label » service public.- Seule l’approche matérielle demeure donc pertinente pour rendre compte de ce qu’est un service public. Cependant, cette approche matérielle, c’est-à-dire la justification de l’application d’un régime juridique qui est de moins en moins spécifique par le caractère d’intérêt général de l’activité en cause, et donc la notion de service public elle-même, est aujourd’hui remise en cause par une partie de la doctrine. On ne peut en effet que constater que réduire la notion de service public à la notion d’intérêt général aboutit à une impasse, ces deux notions étant aussi imprécises l’une que l’autre.
C’est ce constat qui a conduit M. Truchet à considérer que le service public serait non pas une notion juridique devenue insaisissable mais un simple « label » attribué à certaines autorités par les pouvoirs publics ou par le juge dans les affaires qui lui sont soumises (Nouvelles récentes d’un illustre vieillard, label de service public et statut de service public » : AJDA 1982, p. 427). En d’autres termes, pour reprendre l’expression du président Chenot, le service public relèverait d’une approche « existentialiste » qui rendrait une définition d’ensemble impossible (B. Chenot, La notion de service public dans la jurisprudence économique du Conseil d’Etat : EDCE 1950, p. 77).
Un exemple récent de cette approche est fourni par la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui porte création d’un nouveau service public de la donnée dont la mission consiste en la « mise à disposition des données de référence en vue de faciliter leur réutilisation ». Il ne s’agit donc pas ici de créer de nouvelles catégories de données mais de constituer un « élément structurant » de la nouvelle infrastructure de données. En d’autres termes, comme l’expose l’étude d’impact de la loi de 2016 il s’agit de « constituer, dans un univers de données très dense et dont les sources ne sont pas toujours indentifiables ou maîtrisées, une ressource fiable et authentifiée par la puissance publique ». Il s’agit non seulement de prendre en compte la valeur économique de ces données, dans le cadre de la nouvelle économie numérique, mais également d’afficher la volonté de replacer la puissance publique au centre du jeu, ce que permet la reconnaissance du caractère de service public de l’activité en cause.
§II – Influence du droit de l’Union européenne
1398.- Droit de l’Union eurpéenne et « services publics à la française ».- La remise en cause de la notion de service public est en partie liée à l’influence du droit de l’Union européenne. Plus précisément est en cause la confrontation du « service public à la française » à la notion de service d’intérêt économique général qui est issue des traités.
Traditionnellement, dans la conception française, le service public est considéré comme un facteur de cohésion sociale. Selon la formule de Léon Duguit la notion de service public désigne « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par l’intervention de la force gouvernementale » (Traité de droit constitutionnel, Fontemoing, 2ème éd. 1911, p. 71).
1399.- SIG, SIEG et service universel.- Pour dire les choses simplement, si le service public est traditionnellement considéré comme « hors du marché », il est conçu « dans le marché » par le droit de l’Union européenne. Plus précisément, le droit de l’Union européenne fait référence aux services d’intérêt général (SIG) qui sont des services marchands ou non marchands « que les autorités publiques considèrent comme étant d’intérêt général et soumettent à des obligations de service public » (Livre blanc de la Commission européenne du 12 mai 2005). C’est une notion fonctionnelle, ce type de service pouvant être indifféremment pris en charge par une personne publique ou privée. Les services non marchands sont exclus de la logique du marché et ils échappent aux règles de la concurrence. Il s’agit notamment des services régaliens, mais également de l’éducation, de la culture, de la santé ou encore de l’environnent.
A l’opposé, parmi les services d’intérêt général, figurent les services d’intérêt économique général (SIEG) qui concernent « les activités de service marchand remplissant des missions d’intérêt général et soumises de ce fait, par les Etats membres à des obligations spécifiques de service public » (Communication de la commission, 20 septembre 2000). C’est le cas en particulier des services en matière de réseaux de transport, d’énergie, de communication ou plus récemment en matière d’accès au progrès génétique au bénéfice des éleveurs (V. Ord. n°2021-485 du 21 avril 2021 relative à la reproduction, à l’amélioration et à la préservation du patrimoine génétique des animaux d’élevage).
Relevons cependant qu’il existe également dans le droit de l’Union européenne une notion de « service universel » qui sous-tend, appliquée dans le secteur des services de réseau, l’idée de mise à disposition des personnes les plus démunies d’un service de qualité mais avec des prestations basiques, à un coût abordable (V. par exemple les dispositions des articles L. 1 et suivants du Code des postes et des communications électroniques définissant le service public universel postal et les articles L. 35-2 et R. 20-30 du même code définissant le service public universel des communications électroniques).
Très proches par la nature des activités en cause de la notion de service public, les services d’intérêt économique général sont en principe ouverts à la concurrence. En effet, selon l’article 106-1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne « les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus ».
Toutefois l’article 106-2 prévoit un assouplissement en mentionnant que « les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».
La Cour de justice a ainsi considéré que des droits exclusifs conférés à une entreprise en charge d’un service d’intérêt économique général n’étaient pas incompatibles avec les principes susvisés, dès lors qu’ils étaient « nécessaires pour permettre à l’entreprise investie d’une telle mission d’intérêt général d’accomplir celle-ci » (CJCE, 19 mai 1993, affaire numéro C-320/91, Corbeau : AJDA 1993, p. 865, note Hamon ; LPA 15 mars 1995, note Raymundie ; Europe 1993, comm. 304, note Idot ; RTDE 1994, p. 125, étude Wacshmann et Berrod). – CJCE, 27 avril 1994, affaire numéro C-393/92, Commune d’Almelo : AJDA 1994, p. 637, note Hamon ; CJEG 1994, p. 623, concl. Darmon ; D. 1995, jurispr. p. 17, note Dutheil de la Rochère) et qu’elles n’affectaient pas le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté (CJCE, 23 octobre 1997, affaire numéro C-158/94, Commission c. Italie. – CJCE, 23 octobre 1997, affaire numéro C-159/94, Commission c. France).
Ces solutions ont manifestement inspiré le Conseil d’Etat à l’occasion d’un arrêt Union nationale des industries de carrières et de matériaux de construction et a. du 30 avril 2003 (requête numéro 244139 : Rec. p.191 ; AJDA 2003, p. 1508, note Frier ; Dr. adm. 2003, 168, note Bazex et Blazy ; JCP A 2003, comm. 1516, obs. Moreau). Dans cette affaire, les juges considèrent que les activités de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), qui consistent en la réalisation de diagnostics et d’opérations de fouilles d’archéologie préventive, doivent être regardées comme des activités économiques. Malgré son statut d’établissement public à caractère administratif, l’INRAP doit donc être considéré, du fait de l’exercice de telles activités, comme une entreprise au sens de l’art. 86 du Traité instituant la communauté européenne (actuel article 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Toutefois, les juges considèrent que ces activités relèvent, compte tenu de la nécessité de protéger le patrimoine archéologique à laquelle elles répondent et de la finalité scientifique pour laquelle elles sont entreprises, de missions d’intérêt général. Eu égard aux liens que ces opérations comportent avec l’édiction des prescriptions d’archéologie préventive et le contrôle de leur respect par l’Etat, aux conditions matérielles dans lesquelles elles doivent être entreprises, et au besoin de garantir l’exécution de ces opérations sur l’ensemble du territoire et, en conséquence, de les financer par une redevance assurant une péréquation nationale des dépenses exposées, le législateur pouvait doter l’établissement public national de droits exclusifs en vue de permettre l’accomplissement des missions d’intérêt général.
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