Section III – Contentieux des contrats administratifs
1304.- Reconfiguration du contentieux contractuel.- Le contentieux des contrats administratifs est soumis à des règles qui divergent de celles du contentieux de l’annulation des actes administratifs unilatéraux : les règles de compétence juridictionnelle ne sont pas les mêmes et, surtout, le recours pour excès de pouvoir est en principe irrecevable en matière contractuelle. Le contentieux contractuel a été entièrement reconfiguré par plusieurs décisions récentes du Conseil d’Etat, qui sont inspirées par la recherche d’un équilibre entre sécurité des contractants et légalité, qu’il s’agisse du contentieux de la formation des contrats administratifs comme du contentieux de leur exécution. Par ailleurs, le recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle demeure recevable, par exception, contre certaines clauses des contrats et contre une catégorie particulière de contrats administratifs.
§I – Contentieux de la formation des contrats administratifs
1305.- Mutiplicité des voies de recours.- L’illégalité de la procédure de conclusion de certaines catégories de contrats administratifs peut être sanctionnée dans le cadre d’une procédure de référé précontractuel. Une fois le contrat conclu, il est également possible pour certains tiers de faire sanctionner la méconnaissance des règles relatives à sa formation dans le cadre d’une procédure de référé contractuel ou dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat. Les parties disposent quant à elles d’un recours de plein contentieux. En revanche, le recours contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat n’est plus en principe ouvert aux requérants.
I – Référé précontractuel
1306.- Objet et pouvoirs du juge.- Conformément aux directives communautaires « recours » (Directives 86/665 du 21 décembre 1989 et 92/13 du 25 février 1992, modifiées par la directive 2007/66/CE du 11 décembre 2007), en vue de mieux sanctionner les manquements aux obligations de publicité préalable et de mise concurrence, notamment en matière de marchés publics et de contrats de concession, le législateur a créé une procédure de référé précontractuel.
Selon l’article L. 551-1 du Code de justice administrative sont concernés les « contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, la délégation d’un service public ou la sélection d’un actionnaire opérateur économique d’une société d’économie mixte à opération unique ». Saisi avant la conclusion du contrat – étant précisé que l’autorité compétente doit respecter un délai en principe de 11 jours entre l’attribution du contrat et sa signature (art. R. 2182-1 du Code de la commande publique pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée et art. R. 3125-2 pour les contrats de concession) – le juge dispose d’un délai de 20 jours pour statuer (Code de justice administrative, art. R. 551-5). Il peut « ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat » (Code de justice administrative, art. L. 551-2) Il peut également « annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations » (Ibid.). Toutefois le juge du référé précontractuel dispose d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet de renoncer à de telles mesures « s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages » (Ibid.).
1307.- Irrecevabilité du référé précontractuel après la signature du contrat.- Le référé précontractuel est irrecevable dès lors qu’il est présenté après la signature du contrat (CE Sect., 3 novembre 1995, requête numéro 157304, Chambre de commerce et d’industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Société Stentofon-Communications : Rec., p. 394, concl. Chantepy ; AJDA 1995, p. 888, chron. Stahl et Chauvaux ; CJEG 1996, p. 167, concl. Chantepy ; RFDA 1995, p. 1177, concl. Chantepy.- CE, 7 mars 2005, requête numéro 270778, Saco : Rec., p. 96).
Il avait été jugé que si le contrat est signé après la saisine du juge des référés, sans attendre sa décision, le juge ne peut que constater qu’il n’y a plus lieu de statuer, la demande ayant perdu son objet (CE, 28 mai 2003, requête numéro 251719, Société PK7-Certinomis : Rec., p. 916). Compte tenu de la « course à la signature » que favorisait cette jurisprudence, l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 a introduit dans le Code de justice administrative un nouvel article L. 551-4 qui précise désormais que « le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Cette solution n’exclut pas que l’administration signe le contrat en méconnaissance de cette obligation de suspension, ce qui provoquera un non-lieu à statuer. Toutefois, dans cette hypothèse le recours en contestation de validité du contrat et surtout le référé contractuel sont désormais ouverts pour contrer une telle manœuvre.
1308.- Subjectivisation du référé précontractuel.- Si cette évolution corrige un travers qui avait été dénoncé à de multiples reprises par la doctrine, une autre évolution, jurisprudentielle celle-ci, a voulu corriger un autre aspect critiquable de la procédure qui conduisait le juge à sanctionner systématiquement tout manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence préalable. Dans l’arrêt de Section SMIRGEOMES du 3 octobre 2008 (CE, 3 octobre 2008, requête numéro 305420 : Rec., p. 324, concl. Dacosta ; AJDA 2008, p. 855, 2161, chron. Geffray et Liéber et p. 2374, étude Cassia ; Contrats-Marchés publ. 2008, comm. 264, note Pietri ; Dr. adm. 2008, comm. 154, note Bonnet et Lalanne ; JCP A 2008, comm. 2262, note Linditch ; RD imm. 2008, p. 499, note Braconnier ; RFDA 2008, p. 1128, concl. Dacosta, note Delvolvé), le Conseil d’Etat a ainsi considéré que le requérant ne peut plus se prévaloir des manquements à ces règles que s’il a été lésé ou s’il risque d’être lésé par ces manquements. C’est donc une démarche sujective qui s’est ici substituée à l’ancienne démarche subjective.
1309.- Sanction des seuls manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence.- En outre, cette procédure ne vise qu’à sanctionner des manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence. Par exemple, il a été jugé qu’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de contrôler le respect par un établissement public de coopération intercommunale du principe de spécialité qui s’impose à lui (CE, 21 juin 2000, requête numéro 209319, Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île guérandaise : Rec., p. 283 ; BJCP 2000, p. 361, concl. Bergeal ; CJEG 2000, 362, concl. Bergeal ; RFDA 2000, p. 1031, concl. Bergeal), tout comme il ne lui appartient pas de contrôler les mérites respectifs des candidats ou des offres (CE, 29 juillet 1998, requête numéro 194412, Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise : Rec. tables, p. 1098). Toutefois, dans ce dernier cas, il lui appartient, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats (CE, 20 janvier 2016, requête numéro 394133, Communauté intercommunale des villes solidaires : Contrats-Marchés publ. 2016, comm. 85, note Devillers). Comme on va le voir, de tels vices peuvent en revanche être sanctionnés dans le cadre du recours en contestation de la validité du contrat.
II – Recours en contestation de la validité du contrat et référé contractuel
1310.- Recours exercés après la signature du contrat.- Classiquement, une fois le contrat signé, le juge du contrat n’était accessible qu’aux seuls cocontractants. Cette solution a toutefois été progressivement remise en cause, d’abord par le juge, qui a admis l’existence d’un recours en contestation de la validité du contrat qui a été progressivement ouvert, puis par le législateur qui a créé une nouvelle procédure de référé contractuel.
A – Le recours en contestation de la validité du contrat
1311.- Un recours initialement réservé aux concurrents évincés (jurisprudence Société Tropic travaux signalisation).- Le Conseil d’Etat a bouleversé des principes fermement établis en créant un nouveau recours à l’occasion de l’arrêt d’Assemblée Société Tropic travaux signalisation du 16 juillet 2007 (requête numéro 291545, préc.).
Cet arrêt a admis que certains tiers peuvent contester la validité d’un contrat administratif soumis à concurrence auprès du juge du plein contentieux qui dispose, en la matière, d’une grande variété de pouvoirs.
Il résulte de cet arrêt que tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former, devant le juge du contrat, un recours de plein contentieux accompagné d’une demande indemnitaire. Plus précisément, est concerné tout candidat évincé dans le cadre de la passation d’un contrat soumis à une mise en concurrence qui se plaindrait d’une violation des règles de concurrence et de publicité préalable. Ce recours ne peut être exercé que dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle la conclusion du contrat est rendue publique, par des mesures de publicité appropriées. Ce délai ne s’impose toutefois pas aux conclusions indemnitaires accessoires lesquelles obéissent aux règles du droit commun de la responsabilité et notamment à la règle de la décision préalable (CE, avis, 11 mai 2011, requête numéro 347002, Société Rebillon Schmit Prevot : AJDA 2011, p. 932 ; BJCP 2011, p. 226, concl. Boulouis, obs. Poitreau ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 220, note Pietri ; Dr. adm. 2011, comm. 66, note Brenet ; RD imm. 2011, p. 397, obs. Noguellou).
1312.- Elargissement du recours à d’autres tiers au contrat (jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne).- Le champ du recours en contestation de la validité du contrat a été ensuite étendu par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 4 avril 2014 Département du Tarn-et-Garonne (requête numéro 358994, préc.). Désormais, ce recours, pour les contrats de la commande publique, est ouvert à « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses ».
Le recours est donc plus largement ouvert, mais dans l’esprit de la jurisprudence SMIRGEOMES (préc.), seuls seront sanctionnés deux types de manquements. Il s’agit, tout d’abord, des « vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont se prévalent les requérants ».
Exemple :
– CE, 27 mars 2020, requête numéro 426291 (Contrats-Marchés publ. 2020, comm. 211, note Dietenhoeffer ; JCPA 2020, comm. 2124 note Hul ; JCPA 2021, comm. 2022, note Boda) : lorsque l’auteur du recours se prévaut de sa qualité de contribuable local, il lui revient d’établir que la convention ou les clauses dont il conteste la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité.
– CE, 9 novembre 2018, requête numéro 420654, Société Cerba, Caisse nationale d’assurance maladie (Rec., 407, concl. Pellissier ; AJDA 2019, p. 412, note Rottoulié ; BJCL 2019, p. 57, concl. Pellissier ; Dr. adm. 2019, comm. 14, note Hul) : si le concurrent évincé peut contester la décision par laquelle son offre a été écartée comme irrégulière, un candidat dont l’offre a été à bon droit écartée comme irrégulière ou inacceptable ne saurait en revanche soulever un moyen critiquant l’appréciation des autres offres.
– CE, 2 décembre 2022, requête numéro 454323 (Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 57, obs. Dietenhoeffer) : outre le préfet, seuls peuvent engager une action contre un contrat même sans se prévaloir d’un intérêt lésé les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné par le contrat. Ne peut, dès lors, être regardé comme disposant de cette faculté le membre du conseil d’administration d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel.
Le Conseil d’Etat a pu également considérer que les groupements professionnels n’étaient pas recevables à agir contre des contrats susceptibles de porter atteinte aux intérêts collectifs qu’ils défendent.
Exemples :
– CE, 3 juin 2020, requête numéro 426932, Département de Loire-Atlantique (BJCP 2020, p. 321, concl. Pellissier ; Contrats-Marchés publ. 2020, comm. 242, note Dietenhoeffer) : si, en vertu des dispositions de l’article 26 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, les conseils régionaux de l’ordre des architectes ont qualité pour agir en justice en vue notamment d’assurer le respect de l’obligation de recourir à un architecte, la seule passation, par une collectivité territoriale, d’un marché public confiant à un opérateur économique déterminé une mission portant à la fois sur l’établissement d’études et l’exécution de travaux ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont ils ont la charge.
– CE, 20 juillet 2021, requête numéro 443346 (Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 326, note Soler-Couteaux) : si, en vertu des dispositions de la loi du 31 décembre 1971, le Conseil national des barreaux a qualité pour agir en justice en vue notamment d’assurer le respect de l’obligation de recourir à un professionnel du droit, la seule attribution, par une collectivité territoriale, d’un marché à un opérateur économique déterminé ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge, alors même que le marché confie à cet opérateur une mission pouvant comporter la rédaction d’actes juridiques susceptibles d’entrer dans le champ des dispositions de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971.
Il s’agit, ensuite, des vices « d’une gravité telle » que le juge a l’obligation de les soulever d’office, ce qui peut viser le cas de l’incompétence du signataire du contrat, une clause illégal, ou un objet illicite.
Exemples :
– CE, 15 mars 2019, requête numéro 413584 : les vices entachant la convention litigieuse, tirés de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence, révèlent, en l’état de l’instruction, une volonté de la personne publique de favoriser un candidat et ont affecté gravement la légalité du choix du concessionnaire. Par leur particulière gravité et en l’absence de régularisation possible, ils impliquent que soit prononcée l’annulation de la concession d’aménagement litigieuse, dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, une telle mesure ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général. En l’espèce, était notamment en cause le concours prêté par l’attributaire lors de la négociation par un architecte précédemment intervenu pour la collectivité attributaire.
– CE, 25 novembre 2021, requête numéro 454466, Société Corsica Networks (Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 39, note Hoepffner ; Dr. adm. 2022, comm. 13, note Amilhat et Kerléo ; JCP G 2021, act. 1305, obs. Erstein ; RD imm. 2022, p. 165, obs. Noguellou ; RTD com. 2021, p. 785, obs. Lombard) : l’existence d’une situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure d’attribution d’un marché est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d’entacher la validité du contrat. Eu égard à sa nature, la méconnaissance du principe d’impartialité était par elle-même constitutive d’un vice d’une particulière gravité justifiant l’annulation du contrat à l’exclusion de toute autre mesure.
– CE, 18 mai 2021, requête numéro 443153, Communauté d’agglomération de Lens-Liévin (Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 234, obs. Eckert ; JCP A 2021, act. 344, obs. Erstein ; JCP A 2021, comm. 2194, obs. Linditch) : une concession d’aménagement est requalifiée de marché public par le juge. Or, les règles applicables aux marchés publics prohibent toute renonciation aux intérêts moratoires (L. n°94-679, 8 août 1994, art. 67 ; Code de la commande publique, art. L. 2192-14). En l’espèce, en fin d’opération, un protocole transactionnel était intervenu entre les parties, aux termes duquel le cocontractant abandonnait le droit de réclamer ces intérêts. Cette clause entache d’illégalité le contenu même du contrat de transaction, qui ne peut qu’être annulé pour ce motif.
– CE, 2 mars 2022, requête numéro 453440, Commune du Cap d’Ail (BJCP 2022, p. 175, concl. Victor ; Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 148, note Chamard-Heim ; JCP A 2022, act. 209, obs. Touzeil-Divina ; JCP A 2022, comm. 2168, note Roux) : si une clause contractuelle venant exclure la constitution d’un fonds de commerce sur le domaine public est illégale, elle n’est pas au nombre des irrégularités constituant un vice d’une particulière gravité, susceptible comme tel d’entraîner l’annulation partielle ou totale de la convention.
Par exception toutefois, le préfet, compte tenu des intérêts dont il a la charge, peut invoquer tout moyen à l’appui de son recours. Cette possibilité est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné.
On relevera ici que « eu égard à l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours », ce nouveau recours « ne pourra être exercé… qu’à l’encontre des contrats signés à compter de la lecture de la présente décision ». En d’autres termes, la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne n’a pas d’éffet rétroactif.
1313.- Fermeture aux tiers du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables préalables à la signature du contrat.- En raison du nouveau recours créé par le Conseil d’Etat, en vertu de l’exception de recours parallèle, le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat est désormais en principe fermé pour les tiers. Cette solution s’applique également à un avenant signé après l’ouverture aux tiers du recours en contestation de la validité des contrats, soit après le 4 avril 2014, quand bien même il modifie un contrat signé antérieurement à cette date (CE, 20 novembre 2020, requête numéro 428156, Association Trans’Cub : Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 62, note Eckert).
1314.- Cas particulier du préfet.- Une exception est toutefois faite pour le préfet, dans le cadre du contrôle de légalité. Il peut en effet, lui seul, demander l’annulation des actes détachables du contrat préalables à sa conclusion tant que celui-ci n’est pas signé. Il peut donc s’opposer à la conclusion du contrat.
1315.- Limites de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne.- Notons également que la solution issue de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne ne vaut que dans les hypothèses où le contrat litigieux est un contrat administratif. En revanche, la décision administrative constitutive d’un acte détachable d’un contrat de droit privé conclu par une collectivité publique peut toujours faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 27 octobre 2015, requête numéro 386595, Arrou : JCP A 2016, comm. 2247, note Martin). De même, ce recours n’est pas ouvert contre la convention passée entre une collectivité publique et le bénéficiaire d’une subvention. Ceci s’explique par le fait que la décision unilatérale accordant la subvention est détachable du contrat dont elle détermine le régime juridique, ce qui doit conduire à considérer qu’il ne s’agit pas réellement d’un acte contractuel (CE, avis, 29 mai 2019, requête numéro 428040, SAS Royal Cinéma et a. : Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 284, note Hoepffner ; JCP A 2019, act. 388, obs. Friedrich ; JCP A 2019, comm. 2236, note Pauliat).
En outre ce sont « la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer » qui ne peuvent être contestées dans le cadre d’un recours de plein contentieux. Cette liste est limitative. Ainsi, le recours pour excès de pouvoir demeure recevable contre une délibération se prononçant sur le principe de recourir à une délégation de service public ou encore contre l’acte d’approbation d’un contrat administratif (CE, 23 décembre 2016, requête numéro 392815, Association études et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon).
1316.- Procédure et issue du recours.- Le recours en contestation de validité du contrat doit être engagé dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement, par le pouvoir adjudicateur, des mesures de publicité appropriées. L’exercice d’un recours administratif préalable proroge le délai de recours contentieux (CE, 20 décembre 2019, requête numéro 419993, Communauté de communes de Sélestat). Cette solution s’applique a fortiori lorsque le recours gracieux est exercé par le préfet (CE, 28 juin 2019, requête numéro 420776, Société Plastic omnium systèmes urbain).
Il est à noter que la jurisprudence Czabaj, en vertu de laquelle une décision doit être contestée dans un délai raisonnable fixé, sauf circonstance particulière à un an a vocation à s’appliquer en la matière (CAA Marseille, 25 avril 2022, requête numéro 19MA05387, requête numéro 19MA05388, préc.). Dans cette affaire, l’avis d’attribution du contrat ne mentionnait pas ses modalités de consultation, ce qui fait que le délai de deux mois n’avait pas commencé à courir. La société avait toutefois attendu cinq ans avant de saisir le tribunal, ce qui fait que son recours était irrecevable. Dans le cadre du recours de plein contentieux, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant le contrat, le juge en tirera des conséquences, en prenant en compte l’ensemble des intérêts en présence.
Compte tenu de ces éléments, il peut soit décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat.
Exemple :
– CE, 20 juillet 2021, requête numéro 444715, Association Le comité d’aménagement du VII° arrondissement : un décret du 22 mai 2018 fixe des prescriptions spécialement applicables à la construction provisoire destinée à accueillir les activités du Grand Palais, régissant sa réalisation sous l’empire du régime dérogatoire prévu par l’article 10 de la loi du 26 mars 2018. La cour administrative d’appel de Paris, après avoir relevé que les stipulations du contrat litigieux prévoyaient la réalisation de cette construction provisoire sans respecter la limite de jauge alors prévue par le décret du 22 mai 2018, n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cette méconnaissance, portant sur une caractéristique essentielle de l’ouvrage à réaliser, rendait illicite l’objet du contrat en cause. En recherchant si ce vice était, en l’espèce, susceptible d’être couvert par une mesure de régularisation, qui doit pouvoir être prise dans le respect des règles de la commande publique, et en invitant les parties à régulariser le contrat, sauf à ce qu’elles préfèrent le résilier ou le résoudre, sans procéder à l’annulation totale ou partielle de celui-ci, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.
En présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat – c’est le cas si le formulaire de candidature « DC 1 » est incomplet et si la candidature n’est pas signée (CE, 28 mars 2022, requête numéro 454341, Commune de Ramatuelle et Société Tropezina Beach Development : BJCP 2022, p. 217, concl. Le Corre ; Contrats-Marchés publ. 2022, comm. 184 ; JCP A 2022, act. 262 ; JCP A 2022, comm. 2211, note Douteaud) – le juge prononcera, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge a l’obligation de relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.
Exemple :
– CE, 9 novembre 2018, requête numéro 420654, Société Cerba (Rec., p. 407 ; Dr. adm. 2019, comm. 14, note Hul ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 24, note Ubaud-Bergeron) : était en cause un marché public conclu par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés avec la société Cerba, relatif à la fourniture de kits de dépistage immunologique du cancer colorectal et à la gestion de la solution d’analyse des tests immunologiques quantitatifs de dépistage. Les juges du fond avaient estimé que, compte tenu de l’existence d’autres tests de dépistage aisément accessibles et de la circonstance que la campagne de prévention arrivait à son terme sans avoir obtenu les résultats escomptés, l’annulation du contrat ne pouvait être regardée comme portant une atteinte excessive à l’intérêt général et avait prononcé son annulation, avec effet différé au 1er août 2018. Le Conseil d’Etat relève toutefois, compte tenu de l’enjeu majeur de santé publique que représente le dépistage du cancer colorectal, qui est l’un des cancers les plus meurtriers en France, à l’objet du marché litigieux, qui s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme de santé publique, et aux conséquences de l’interruption du service sur l’efficacité du programme de dépistage, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que l’annulation du contrat litigieux ne portait pas une atteinte excessive à l’intérêt général.
Il peut également, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés.
Il faut enfin relever que la requête contestant la validité du contrat peut être accompagnée d’une demande tendant à la suspension de l’exécution du contrat, conformément aux dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative.
B – Référé contractuel
1317.- Un palliatif des insuffisances de référé précontractuel.- Les règles applicables au contentieux contractuel ont également évolué avec l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 qui crée un « référé contractuel », ouvert aux personnes ayant un « intérêt à conclure le contrat ». Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur après l’adoption du décret n°2009-1456 du 27 novembre 2009. Il s’agit de la transposition en France de la directive 2007/66/CE modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (directives « recours »).
Ce recours permet aux candidats évincés de faire sanctionner d’éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptibles de les avoir lésés.
Il pallie les insuffisances du référé précontractuel – qui concerne les mêmes contrats – liées à la brièveté du délai dans lequel il doit être mis en œuvre.
1318.- Pouvoirs du juge.- En matière de référé contractuel, lequel peut être exercé après la conclusion du contrat, le juge dispose d’une large gamme de pouvoirs, allant de l’annulation du contrat, la réduction de sa durée ou le prononcé d’une simple pénalité financière sans incidence sur le contrat lui-même.
La remise en cause du contrat s’impose toutefois pour les manquements les plus graves : passation du contrat sans aucune mesure de publicité préalable ou encore signature du contrat pendant la période qui, après l’attribution du contrat, doit permettre aux candidats non retenus de former un référé précontractuel (sur l’indemnisation du cocontractant de l’administration en cas d’annulation du contrat V. CE Sect., 10 avril 2008, requête numéro 244950, requête numéro 284439, requête numéro 284607, Société Jean-Claude Decaux, préc.- V. aussi CE, 6 octobre 2017, requête numéro 395268, Société CEGELEC Perpignan : AJDA 2017, p. 2189, chron. Roussel et Nicolas ; Contrats-Marchés pub. 2017, comm. 285, note Ubaud-Bergeron; JCP A 2017, comm. 2282, note Martin).
1319.- Distinction avec le recours en contestation de validité du contrat.- La procédure du référé contractuel est donc très proche du recours en contestation de la validité du contrat. Pour autant, elle s’en distingue sur plusieurs points.
Le premier point de différence porte sur les délais de recours. Alors que le délai est fixé à deux mois pour le recours en contestation de la validité du contrat, il est fixé à trente jours suivant la publication de l’avis d’attribution du contrat ou, en l’absence de publication, à six mois à compter de sa conclusion pour le référé contractuel. Il en résulte, de façon tout à fait paradoxale, que les « petits marchés » qui ne sont pas soumis à l’obligation de publication d’un avis d’attribution sont plus longtemps attaquables que les marchés d’un montant plus important. Pour éviter ce phénomène, le pouvoir adjudicateur peut décider de publier son intention de conclure le contrat et observer un délai de onze jours avant de le signer (Code de justice administrative, art. L. 551-15). Dans cette hypothèse, le référé contractuel ne pourra plus être exercé contre le contrat.
Il est à noter que si le demandeur a déjà fait usage du référé précontractuel, il ne pourra normalement pas agir dans le cadre du référé contractuel, sauf par exemple en cas de non-respect par l’autorité publique de la décision rendue par le premier juge (Code de justtice administrative, art. L. 551-14).
La seconde différence porte sur les pouvoirs du juge qui sont davantage encadrés et moins modulables avec, comme on l’a vu, l’obligation pour celui-ci de prononcer la nullité du contrat pour les vices les plus graves.
Enfin, la troisième différence porte sur les moyens susceptibles d’être développés, qui sont plus réduits. Il s’agit uniquement des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence là où tout moyen pouvait être soulevé dans le cadre du recours en contestation de la validité du contrat.
III – Recours de plein contentieux des parties au contrat
1320.- Ancienne action en nullité contre le contrat.- A l’origine, les parties contractantes étaient recevables à demander au juge de constater la nullité de tout ou partie du contrat (CE, 4 mai 1990, requête numéro 17707, Compagnie industrielle maritime : Rec., p. 113 ; RFDA 1990, p. 591, concl. de Guillenschmidt ; AJDA 1990, p. 735, obs. Auby. – CE, 1er juillet 2009, requête numéro 306756, Compagnie des transports de la Roche-sur-Yon : Contrats-Marchés publ. 2009, comm. 287, note Pietri). Elles pouvaient également soulever de tels moyens à l’occasion d’un litige relatif à l’exécution du contrat, afin d’obtenir que le juge en écarte l’application.
Les parties étaient ainsi autorisées à tout moment à porter atteinte à la pérennité du contrat en invoquant devant le juge une cause de nullité de celui-ci. Ces solutions étaient contestables du point de vue de la stabilité juridique puisqu’elles permettaient aux parties de se prévaloir de motifs entachant de nullité le contrat, alors que ces motifs ne constituaient pas un obstacle à la bonne exécution de ce contrat. Le juge se retrouvait contraint de constater la nullité du contrat alors que les parties avaient pourtant trouvé un accord pour l’appliquer. Elles permettaient à une partie de se délier à tout moment d’un contrat administratif en invoquant un vice dans sa conclusion, y compris lorsque ce vice lui était imputable. Tel était le cas, notamment, lorsque la délibération autorisant la conclusion d’un contrat n’était pas transmise au préalable au contrôle de légalité et que ce vice était invoqué par la collectivité publique contractante (CE, 10 juin 1996, avis numéro 176873, requête numéro 176874, requête numéro 176875, Préfet de la Côte d’Or, préc.).
1321.- Nouveau recours de plein contentieux.- L’arrêt Commune de Béziers du 28 décembre 2009 (requête numéro 304802, préc.) entend résoudre ces difficultés en plaçant au centre de son raisonnement le principe de l’exigence de loyauté contractuelle, ce qui renvoie directement à la notion civiliste de bonne foi. Le Conseil d’Etat procède à cette occasion à une véritable reconfiguration du plein contentieux contractuel ouvert aux parties en créant une nouvelle procédure de contestation de la validité du contrat en distinguant l’hypothèse où le juge est saisi dans le cadre d’une action de celle où il est saisi dans le cadre d’une exception.
1322.- Contestation du contrat par voie d’action.- Concernant le premier cas, le juge administratif doit d’abord vérifier si les parties soulèvent avec loyauté les vices entachant de nullité le contrat, ce qui a pour effet de cantonner les cas de nullité. En outre, il n’existe que deux hypothèses dans lesquelles la nullité doit être soulevée d’office : en cas de caractère illicite du contenu du contrat et en cas de vice d’une particulière gravité notamment relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. En revanche, le Conseil d’Etat a pu préciser que les vices affectant la procédure de publicité et de mise en concurrence d’un contrat ne font pas partie des vices justifiant l’annulation de celui-ci au sens de la jurisprudence Commune de Béziers (CE, 12 janvier 2011, requête numéro 338551, Manoukian : AJDA 2011, p. 665, chron. Lallet et Domino : Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 88, note Pietri et repère 3 ; Dr. adm. 2011, comm. 29, note Brenet).
En dehors des deux hypothèses susvisées, le Conseil d’Etat, qui s’inspire manifestement de la jurisprudence « Tropic » (préc.), offre au juge de la contestation de la validité du contrat une large palette de pouvoirs. En prenant en considération la nature de l’illégalité commise et en tenant compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles, il peut : décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties ; prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, la résiliation du contrat.
Le Conseil d’Etat a récemment précisé que l’action en contestation de la validité d’un contrat administratif est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d’exécution de celui-ci. Dans ce cas, elle n’est soumise à aucune règle de prescription et en particulier elle ne se voit pas opposer la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 du Code civil (CE Sect., 1er juillet 2019, requête numéro 412243, Association pour le musée des îles Saint-Pierre et Miquelon : AJDA 2019, p. 1750, chron. Malverti et Beaufils ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 326, note Eckert ; Dr. adm. 2019, comm. 52, note Brenet ; JCP A 2019, act. 487, obs. Tesson ; RD imm. 2019, p. 568, obs. Noguellou).
Il est à noter, enfin que ce recours conserve son objet après le terme du contrat, par exemple en cas de dol (CE, 10 juillet 2020, requête numéro 420045, Société Lacroix Signalisation : Rec., p. 276 ; JCP A 2020, act. 432 ; JCP A 2020, 2238, comm. Martin).
1323.- Contestation du contrat par voie d’exception.- Concernant l’exception de nullité soulevée à l’occasion d’un litige relatif à l’exécution du contrat, le Conseil d’Etat précise qu’il incombe au juge, eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Comme dans l’hypothèse de l’action en nullité, le contrat ne sera écarté que dans le cas où le juge constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d’office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Tel n’est pas le cas en l’espèce, le Conseil d’Etat estimant que le contrat n’est pas nul au seul motif que la délibération du conseil municipal n’avait pas été transmise au préfet avant la signature du contrat par le maire.
IV – Le rétrécissement de la catégorie des actes détachables préalables à la conclusion du contrat
1324.- Notion de détachabilité en matière contractuelle.- Les juges estiment que différents actes se détachent du contrat, lorsque leur existence ne repose pas sur un accord de volonté entre les parties, mais sur l’intervention unilatérale de la puissance publique. Par conséquent, ces actes détachables pourront, sous certaines conditions, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette exception ne fait que contourner le principe de l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les contrats, le juge considérant que des actes administratifs unilatéraux peuvent intervenir préalablement à la conclusion du contrat, ou dans le cadre de son exécution.
Toutefois, la catégorie des actes détachables préalables à la conclusion du contrat est quasiment éteinte.
Les actes détachables ici visés pouvaient consister, par exemple, en une délibération d’un conseil municipal autorisant son maire à conclure un contrat, ou encore en une décision d’un préfet ou d’un ministre portant approbation d’un contrat. Plus généralement, était « considéré comme acte détachable tout acte par lequel l’autorité administrative décide ou refuse de passer ou d’approuver le contrat » (M. Long, P. Weil ; G. Braibant ; P. Delvolvé ; B. Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz 13ème éd. 2001, p. 94)
Dans son arrêt Martin du 4 août 1905 (requête numéro 14220, préc.), le Conseil d’Etat avait jugé que sont recevables les recours pour excès de pouvoir dirigés contre de tels actes, que le requérant soit une partie au contrat, ou qu’il soit un tiers par rapport au contrat.
Si l’acte détachable est illégal, cet acte devait être annulé. En revanche – ce qui compliquait singulièrement les choses – cette annulation n’emportait pas l’annulation du contrat lui-même qui demeurait la loi des parties. Dans ses conclusions sur l’arrêt Martin, le commissaire du gouvernement Romieu expliquait que cette absence d’effet était liée à la distinction des contentieux en application de laquelle le pouvoir d’annuler le contrat appartient au seul juge du contrat et échappe au juge de l’excès de pouvoir.
1325.- Incertitudes concernant les conséquences de l’annulation d’un acte détachable préalable au contrat.- Les conséquences de l’annulation de l’acte détachable n’ont jamais fait pas l’objet de solutions jurisprudentielles simples, le requérant pouvant dans certains cas saisir trois juges, qui étaient souvent organiquement les mêmes :
– Le juge de l’excès de pouvoir qui pouvait annuler les actes détachables qu’il estimait illégaux ;
– Le juge de l’exécution des décisions d’annulation des actes détachables, qui pouvait enjoindre à l’administration, de procéder à la résiliation du contrat ou de saisir le juge du contrat ;
– Le juge du contrat qui pouvait constater la nullité du contrat.
Cependant, le juge de l’exécution de l’annulation de l’acte détachable n’allait pas nécessairement enjoindre à l’autorité compétente de mettre un terme au contrat, comme l’avait précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 février 2011, Société Ophrys et Communauté d’agglomération Clermont-Communauté (requête numéro 337349 : BJCP 2011, p. 133, concl. Dacosta, obs. Dourlens et de Moustier, obs. R.S. ; LPA 2011, n°127, p. 3, obs. Rouault ; Gaz. Pal. 2011, n°149-151, p. 12, obs. Seiller ; Gaz. Pal. 2011, n°140-141, p. 47, obs. Bain-Thouverez ; RD imm. 2011, p. 277, note Noguellou ; Procédures 2011, comm. 190, note Deygas ; Contrats-Marchés publ. 2011, comm. 123, note Pietri ; AJDA 2011, p. 356, obs. de Montecler). Cette évolution était manifestement liée à la place nouvelle qu’occupe « l’objectif de stabilité des relations contractuelles » dans la jurisprudence récente (CE Sect., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, requête numéro 304802, préc.).
Pour tenir compte de cet objectif, les pouvoirs du juge de l’exécution devaient en effet être modulés comme l’ont été ceux du juge saisi de ce qui était à l’origine un recours en annulation du contrat par une partie contractante (V. supra).
Dès lors, suite à l’annulation d’un acte détachable, le juge de l’exécution n’avait plus un choix limité entre deux solutions possibles, l’une consistant à ne pas prononcer d’injonction, l’autre consistant à enjoindre à l’autorité compétente de saisir le juge du contrat pour qu’il en prononce nécessairement la nullité. Comme le précise le Conseil d’Etat dans son arrêt du 21 février 2011 : « l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement la nullité dudit contrat … il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée ».
1326.- La quasi extinction de la catégorie des actes détachables préalables à la conclusion du contrat.- Le respect de l’orthodoxie contentieuse aboutissait donc à des solutions extrêmement complexes qui ont été heureusement simplifiées par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée Département du Tarn-et-Garonne du 4 avril 2014 (requête numéro 358994, préc.). Désormais, les tiers intéressés n’ont plus la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables préalables à la conclusion du contrat.
Ils bénéficient en revanche d’un recours de plein contentieux, plus efficace, qui leur permet d’attaquer directement le contrat.
Comme on l’a vu, seul le préfet, dans le cadre du contrôle de légalité, peut continuer à demander l’annulation des actes détachables du contrat préalables à sa conclusion tant que celui-ci n’est pas signé. La portée de cette exception devrait toutefois demeurer limitée. D’une part, en effet, les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet à la date de la signature du contrat. D’autre part, le préfet peut également, une fois que le contrat a été signé, exercer le recours en contestation de validité, lequel est par nature plus efficace que le recours pour excès de pouvoir.
En revanche, mais ce n’est pas une hypothèse expressément visée par l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne, la décision administrative constitutive d’un acte détachable d’un contrat de droit privé conclu par une collectivité publique peut toujours faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 27 octobre 2015, requête numéro 386595, Arrou, préc.). Le Conseil d’Etat a également admis la compétence du juge administratif pour connaître de la contestation par une personne privée des délibérations d’un conseil municipal ayant respectivement pour objet d’annuler une précédente délibération autorisant la vente de parcelles de son domaine privé à cette dernière et d’autoriser la vente de ces parcelles à une autre personne, dès lors que ces actes affectent le périmètre ou la consistance du domaine privé de la commune (CE, 15 mars 2017, requête numéro 393407, SARL Bowling du Hainaut, SARL Bowling de Saint-Amand-les-Eaux : Rec. tables, p. 523 ; AJDA 2017, p. 598, obs. Pastor ; BJCP 2017, p. 244, concl. Victor, obs. Schwartz ; Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 142, note Pietri ; JCP A 2017, act. 209, obs. Touzeil-Divina ; JCP A 2017, comm. 2132, note Hansen). Dans cette dernière hypothèse, toutefois, l’expression non équivoque de la volonté d’une commune de vendre l’un de ses biens – avec indication du prix et absence de conditions – suffit à l’engager dans une relation contractuelle avec l’acquéreur et donc à donner naissance à une vente parfaite au sens de l’article 1583 du Code civil, ce qui a pour effet de rendre illégale la décision de retrait de la délibération initiale de cession (Ibid.- V. aussi CAA Nantes, 11 juin 2021, requête numéro 20NT02617 : JCP A 2021, act. 423, obs. Chouquet).
De même, l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir ne concerne que « la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer » qui ne peuvent être contestées que dans le cadre d’un recours de plein contentieux. Cette liste étant, comme on l’a déjà évoqué, limitative, le recours pour excès de pouvoir demeure recevable contre une délibération se prononçant sur le principe de recourir à une délégation de service public ou encore contre l’acte d’approbation d’un contrat administratif (CE, 23 décembre 2016, requête numéro 392815, Association études et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon : Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 81, note Pietri ; JCP A 2017, comm. 2036, chron. Martin et Pellissier ; Dr. adm. 2017, comm. 14, note Bousquet) ou d’un avenant (CE, 27 janvier 2023, requête numéro 462752 : Contrats-Marchés publ. 2023, comm. 15, note Dietenhoeffer).
§II – Contentieux de l’exécution et de la fin des contrats
1327.- Une jurisprudence évolutive.- Sur ce point encore, la jurisprudence a défini des règles complexes qui pour certaines d’entre elles ont récemment évolué. Elle nécessite de distinguer le cas des tiers de celui des parties au contrat.
I – Le recours exercé par les tiers
1328.- L’ouverture intiale du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables intervenus dans le cadre de l’exécution du contrat.- Jusqu’à récemment, les tiers étaient admis à exercer un recours pour excès de pouvoir contre les actes administratifs unilatéraux intervenus dans le cadre de l’exécution du contrat. Sont principalement concernées des décisions acceptant ou refusant de résilier un contrat. Cette solution avait été admise par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt du 6 mai 1955, Société des grands travaux de Marseille (AJDA 1955, p. 327). Elle avait été exprimée de façon très générale dans un arrêt SA de livraisons industrielles et commerciales du 24 avril 1964, dont il ressort que la société requérante était « en sa qualité de tiers par rapport à ladite convention, recevable à déférer au juge de l’excès de pouvoir, en excipant de leur illégalité, tous les actes qui bien qu’ayant trait soit à la passation soit à l’exécution du contrat, peuvent néanmoins être regardés comme des actes détachables dudit contrat » (requête numéro 53518 : Rec., p. 239 ; AJDA 1964, p. 308, concl. Combarnous).
1329.- Nouveau recours de plein contentieux ouvert aux tiers.- Dans la logique de subjectivisation du contentieux contractuel et d’équilibre entre légalité et stabilité contractuelle qui est celle de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne (requête numéro 358994, préc.), le Conseil d’Etat a finalement substitué au recours pour excès de pouvoir un recours de plein contentieux ouvert aux tiers contre la décision refusant de mettre un terme à l’exécution du contrat à l’occasion d’un arrêt du 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (requête numéro 398445 : Rec., p. 209, concl. Pellissier ; AJDA 2017, p. 1669, chron. Odinet et Roussel ; BJCP 2017, p. 395, concl. Pellissier et p. 309, note Hoepffner ; Dr. adm. 2017, comm. 51, note Brenet ; JCP A 2017, comm. 2195, note Martin ; JCP G 2017, comm. 1032, note Hourson ; RFDA 2017, p. 937, concl. Pellissier – V. aussi CE, 12 avril 2021, requête numéro 436663, Société Île de Sein Energies : BJCP 2020, p. 333, concl. Pichon de Vendeuil ; Contrats-Marchés publ. 2021, comm. 192, note Eckert ; Dr. adm. 2021, comm. 33, note Boda ; JCP A 2021, act. 255 ; Procédures 2021, comm. 181, note Chifflot). Il était saisi, en l’espèce, d’un recours dirigé contre une décision de refus de résiliation d’un contrat.
Toutefois, les conditions d’accès au juge du contrat pour les tiers, telle qu’elles sont définies par cet arrêt, sont très restrictives. D’une part, en effet, le tiers doit être susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par le refus de résilier le contrat. Comme dans le cadre de la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne (préc.), ce recours est également ouvert aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au préfet. D’autre part, les moyens susceptibles d’être soulevés à l’appui de ce nouveau recours sont limitativement énumérés. Il s’agit des « moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à (l’exécution du contrat) du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général ». A ce titre, s’ils peuvent se prévaloir de l’inexécution d’obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l’intérêt général, ils ne peuvent en revanche se prévaloir d’aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. Compte tenu des moyens soulevés par le requérant, qui doivent être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers se prévaut, à moins qu’il ne s’agisse du préfet ou du membre de l’organe délibérant de la collectivité publique dont l’acte est contesté « il appartient au juge du contrat d’apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu’il y fasse droit et d’ordonner, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé ».
II – Le recours ouvert aux parties
1330.- Alternative au recours contentieux.- En matière d’exécution du contrat, le recours au juge par les parties demeure l’exception. Le recours à la conciliation, à l’arbitrage et à la transaction est en effet assez fréquent.
Il est à noter qu’une transaction est toujours, en principe, un contrat de nature civile et son homologation comme les litiges nés de son exécution relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, hormis le cas où elle a pour objet le règlement ou la prévention de différends pour le jugement desquels la juridiction administrative est principalement compétente (TC, 7 février 2022, requête numéro C4233, SARL Guyacom c/ Société publique locale pour l’aménagement numérique de la Guyane : AJDA 2022, p. 740, chron. Pradines et Janicot ; BJCP 2022, p. 160, concl. Chaumont ; Contrats-Marchés publ. 2022, chron. 5, obs. Dietenhoeffer ; Dr. adm. 2022, comm. 31, note Blaquière ; JCP A 2022, act. 131, obs. Youhnovski Sagon ; JCP A 2022, comm. 2269, note Martin).
1331.- Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les actes inrervenus dans le cadre de l’exécution du contrat.- Du point de vue de contentieux, le principe retenu était que le juge de l’excès de pouvoir n’avait pas la possibilité d’annuler les actes intervenus dans le cadre de l’exécution du contrat. En effet, ces actes se rattachent, du point de vue des parties, au cadre contractuel, et plus précisément à l’exécution du contrat : ils ne peuvent donc, dans un tel cas, qu’exercer un recours de plein contentieux en vue de l’obtention d’une indemnité (CE, 20 février 1868, Goguelat). Comme l’avait précisé le Conseil d’Etat dans un arrêt Centre hospitalier de Moutiers du 29 juin 1990, le juge du contrat n’a pas le pouvoir de prononcer, à la demande de l’une des parties, l’annulation de mesures prises par l’autre partie (requête numéro 68025) En d’autres termes, selon la formule du commissaire du gouvernement Kahn, ces actes « ont un caractère essentiellement bilatéral, qui tient tant à leur contexte qu’à leur objet, et ne dépend ni des moyens de la requête, ni de la qualité du requérant » (conclusions sur CE, 5 décembre 1958, Secrétaire d’Etat à l’Agriculture c. Union des pêcheurs à la ligne : AJDA 1959, II, p. 57).
1332.- Recours contre les décisions de résiliation.- Cette règle s’appliquait à l’ensemble des mesures d’exécution du contrat qu’il s’agisse d’ordres de service (CE, 17 février 1978, requête numéro 99193, Société compagnie française d’entreprises : Rec., p. 88), de mesures de modification du contrat (CE, Sect., 9 décembre 1983, requête numéro 34607, Société anonyme d’étude, de participation et de développement : Rec., p. 498 ; RFDA 1984, p. 39, concl. Genevois) ou une mesure de résiliation du contrat (CE Sect., 24 novembre 1972, requête numéro 84504, Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau).
S’agissant de cette dernière hypothèse, les règles applicables ont été modifiées par l’arrêt du Conseil d’Etat du 21 mars 2011 Ville de Béziers dit « Béziers II » (requête numéro 304806, préc.) : les juges admettent désormais la possibilité pour le cocontractant de l’administration de contester une décision de résiliation devant le juge du contrat, lequel peut décider la reprise des relations contractuelles, à compter d’une date qu’il fixe, le cas échéant en ajoutant une indemnité. Cette possibilité est toutefois exclue dans l’hypothèse où le contrat aurait pu faire l’objet d’une résiliation ou d’une annulation à l’occasion d’un recours en contestation de sa validité en application de la jurisprudence « Béziers I » (CE, 1er octobre 2013, requête numéro 349099, Société Espace Habitat Construction : AJDA 2013, p. 1943, obs. Poupeau ; Contrats-marchés publ. 2013, 322, note Devillers). De même ce recours n’est pas ouvert contre une décision de renouveler le contrat (CE, 13 juillet 2022, requête numéro 458488, Commune Sanary-sur-Mer : JCP A 2022, act. 481).
Ce recours peut être assorti d’un référé suspension, propre à garantir l’effectivité de cette voie de droit, dans la mesure où la demande de reprise des relations contractuelles perd son objet dès lors que le terme du contrat est dépassé (CE, 23 mai 2011, requête numéro 23468, Société d’aménagement d’Isola 2010.- CE, 17 juin 2015, requête numéro 388433, Commune d’Aix- en- Provence : Rec., p. 752 ; BJCP 2015, p. 381, concl. Pellissier ; RFDA 2015.929, concl. Pellissier, note Delvolvé).
Le champ de ce recours est toutefois limité. Il a ainsi été jugé qu’il n’est pas ouvert pour contester la non-reconduction (CE, 6 juin 2018, requête numéro 411053, Société Orange) ou le non-renouvellement d’un contrat (CE, 21 novembre 2018, requête numéro 419804, Société Fêtes Loisirs : JCP A 2018, act. 881 ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 67, obs. Muller). Le juge peut seulement rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité.
§III – Recours pour excès de pouvoir dirigé contre le contrat
1333.- Exceptions au principe d’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir.- Jusqu’à une époque récente, il n’existait aucune exception directe au principe de l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir directement exercé contre le contrat. Désormais, il existe deux exceptions de ce type dégagées par la jurisprudence. Toutefois, ces exceptions, qui concernent exclusivement des recours exercés par des tiers, ont vocation à s’appliquer dans des domaines restreints.
I – Recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires des contrats
1334.- Des clauses détachables des contrats administratifs.- Dans son arrêt d’Assemblée Cayzeele du 10 juillet 1996, le Conseil d’Etat a admis que le recours pour excès de pouvoir est recevable à l’encontre des clauses règlementaires des contrats (requête numéro 138536 : RFDA 1997, p. 89, note Delvolvé ; AJDA 1996, p. 732, chron. Chauvaux et Girardot ; CJEG 1996, p. 382, note Terneyre ; LPA, 18 décembre 1996, note Viviano). Cette solution prolonge la jurisprudence Croix-de-Seguey-Tivoli (requête numéro 19167, préc.), et elle s’applique spécifiquement aux contrats qui ont pour objet de confier au cocontractant de l’administration l’exécution d’un service public.
Ainsi, en l’espèce, les juges étaient saisis d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les clauses d’un contrat relatif à la collecte et à l’évacuation des ordures ménagères obligeant les usagers du service à faire l’acquisition de containers. L’idée est que ces clauses, qui sont relatives à l’organisation et au fonctionnement du service public, ne font pas que fixer les rapports entre l’administration et le cocontractant. Elles ont en effet un caractère règlementaire, puisqu’elles établissent des obligations et des droits, non seulement vis-à-vis du cocontractant, mais également vis-à-vis des administrés. Le recours pour excès de pouvoir est désormais recevable contre ces clauses qui sont considérées, en raison de leur caractère règlementaire, comme détachables du contrat. Il est à noter que dans son arrêt de Section Association Alcaly et a. du 8 avril 2009 (requête numéro 209604 : JCPA 2009, comm. 2215, note Guillemot), le Conseil d’Etat, mettant fin à une controverse entre certains juges du fond, a précisé que « les clauses règlementaires d’un contrat sont par nature divisibles de l’ensemble du contrat ».
1335.- Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les autres stipulations des contrats.- En revanche, les conclusions à fin d’annulation dirigées contre des stipulations contractuelles qui n’ont pas un caractère règlementaire restent hors de portée du recours pour excès de pouvoir (CE, 14 mars 1997, requête numéro 119055, Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne : RFDA 1997, p. 349.- CE, 31 mars 2014, requête numéro 360904, Union syndicale du Charvet et a.).
Il est à noter que cette jurisprudence n’a pas été remise en cause par l’arrêt Département du Tarn-et-Garonne en vertu duquel certains tiers sont désormais recevables à exercer un recours de plein contentieux contre un contrat administratif (CE, 9 février 2018, requête numéro 404982, Communauté d’agglomération Val d’Europe agglomération : Rec., p. 34, concl. Henrard).
II – Recours pour excès de pouvoir dirigé contre certains contrats
1336.- Contrats de recrutement des agents publics.- Cette hypothèse concerne des contrats qui ne comportent pas de clauses règlementaires, mais qui ont pour effet de placer le cocontractant privé dans une situation règlementaire. C’est le cas des contrats de recrutement des agents publics, l’idée étant que la situation de ces personnels n’est pas très différente de celle des fonctionnaires. En effet, comme les fonctionnaires, les agents contractuels sont astreints aux règles d’organisation et de fonctionnement du service, lesquelles présentent un caractère règlementaire. Le recours pour excès de pouvoir est donc recevable contre ces contrats, comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son arrêt de Section du 30 octobre 1998, Ville de Lisieux (requête numéro 149663 : Rec. p.375 ; AJDA 1998, p. 969 et 977, chron. Raynaud et Fombeur ; JCP G 1999, II, comm. 10445, note Haïm ; Dr. adm. 1998, comm. 374 ; RFDA 1999, p.128, concl. Stahl et note Pouyaud ; AJFP 1999/1, p. 4 ; LPA 1999, n°4, note Rouault ; RGCT 1999, p.171, note Bourdon ; Procédures 1999, comm. 52, note Deygas). En effet « eu égard à la nature particulière des liens qui s’établissent entre une collectivité publique et ses agents non titulaires, les contrats par lesquels il est procédé au recrutement de ces derniers sont au nombre des actes dont l’annulation peut être demandée au juge administratif par un tiers ». Cette solution n’a pas non plus été remise en cause par la jurisprudence Département du Tarn-et-Garonne (préc.- V. CE, 2 février 2015, requête numéro 373520, Commune d’Aix-en-Provence : Rec., p. 14).
Pour aller plus loin :
– Amilhat (M.), Le Code, les principes fondamentaux et la notion de commande publique : AJDA 2019, p. 793.
– Amselek (P.), Une méthode peu usuelle d’identification des contrats administratifs : l’identification directe : Rev. Adm. 1973, p. 633.
– Antoine (J.), La mutabilité contractuelle née de faits nouveaux extérieurs aux parties : RFDA 2004, p. 80.
– Benoit (F.-P), De l’inexistence d’un pouvoir de modification unilatérale dans les contrats administratifs : JCP G 1963, I, 1775.
– Brenet (F.), La théorie du contrat administratif. Evolutions récentes : AJDA 2003, p. 919.
– Canedo (M.), Le mandat administratif : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public 2001, t. 216.
– Clouzot (L.), La théorie de l’imprévision en droit des contrats administratifs : une improbable désuétude : RFDA 2010, p. 937.
– De Laubadère (A.), Du pouvoir de l’administration d’imposer unilatéralement des changements aux dispositions des contrats administratifs : RDP 1954, p. 36.
– Delvolvé (P.), Les nouveaux pouvoirs du juge administratif dans le contentieux des contrats, Mélanges Perrot : Dalloz, 1996, p. 83.
– Eckert (G.), Les pouvoirs de l’administration dans l’exécution du contrat et la théorie générale des contrats administratifs : Contrats-Marchés publ. 2010, étude 9.
– Elisabeth (A.), Raynaud (J.), Regards dubitatifs de juristes de droit privé sur la clause exorbitante : Mélanges – Guibal, Presses de la Faculté de Droit de Montpellier, 2006, t. 1, p. 783.
– Fardet (C.), La clause exorbitante et la réalisation de l’intérêt général : AJDA 2000, p. 115.
– Haïm (V.), Le choix du juge dans le contentieux des contrats administratifs : AJDA 1992, p. 315.
– Hoepffner (H.), La modification des contrats : D. 2016, p. 280.
– Lichère (F.), L’évolution du critère organique du contrat administratif : RFDA 2002, p. 341.
– Llorens (F.), Soler-Couteaux (P.), La théorie administrative de l’imprévision est-elle dépassée ?, Contrats-Marchés publ. 2018, repère 3.
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– Rassafi-Guibal (H.), L’imprévision n’est pas morte, mais elle est moribonde, note sur CE, 21 octobre 2019, requête numéro 419155, Société Alliance : Revue générale du droit on line, 2019, numéro 49745.
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