Section II – Création et suppression des services publics
1400.- Exigence d’un acte formel.- La création ou la suppression d’un service public résulte nécessairement d’un acte formel d’une autorité publique.
De façon tout à fait exceptionnelle, il est cependant admis que l’administration a la possibilité de transformer des activités privées d’intérêt général en activités de service public. En application de la théorie des services publics virtuels, une autorisation unilatérale donnée à une personne privée pour exercer une activité d’intérêt général sur le domaine public peut ainsi être subordonnée à l’accomplissement de véritables obligations de service public, alors même qu’aucune décision de création expresse n’a été prise (V. à propos des services publics portuaires, CE Sect., 5 mai 1944, requête numéro 66679, Compagnie Maritime de l’Afrique orientale : Rec. p.129 ; D. 1944, jurispr., p. 164, note Chenot ; RDP 1944, p. 236, note Jèze).
Toutefois, cette catégorie de services publics a perdu de son actualité, notamment au regard du droit de l’Union européenne qui, comme on l’a vu, tend à limiter les interventions des pouvoirs publics en la matière. Il faut donc considérer qu’un acte formel est nécessaire pour créer mais aussi pour supprimer un service public. Il convient dès lors de déterminer l’autorité compétente pour prendre un tel acte et les conditions selon lesquelles cette compétence peut être exercée.
§I – Autorité compétente
1401.- Etat et collectivités territoriales.- Les règles applicables en la matière varient selon que l’on envisage les services publics au niveau de l’Etat ou au niveau des collectivités territoriales.
I – Autorité compétente au niveau de l’Etat
1402.- Création du service public.- Avant 1958, la compétence pour créer un service public de caractère national appartenait exclusivement au législateur. Or, désormais, l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne vise pas expressément, parmi les matières réservées au Parlement, la création des services publics nationaux.
Cependant, la compétence législative en cette matière résulte indirectement de certaines dispositions constitutionnelles du même article, lorsque celles-ci sont en cause.
Tout d’abord, le législateur est compétent pour fixer les règles concernant « la création de catégories d’établissements publics ». Il ressort de la jurisprudence que relèvent d’une même catégorie d’établissements publics, et ne constituent donc pas deux catégories distinctes, les établissements publics qui ont un même rattachement territorial et qui exercent une mission analogue.
Exemples :
– CC, 25 juillet 1979, numéro 79-108 DC, Nature juridique des dispositions des articles L. 330-1 à L. 330-9 du Code du travail relatifs à l’Agence nationale pour l’emploi (Rec. CC p.45) : l’ANPE entre dans une catégorie déjà représentée par l’Office national d’immigration (ONI actuellement dénommé Office des migrations internationales). En effet, ces deux établissements publics sont rattachés à l’Etat et ont pour mission d’agir sur le marché de l’emploi. Par conséquent, c’est au pouvoir règlementaire qu’il appartient de décider de la création de l’ANPE.
– CE, 29 juillet 1994, requête numéro 130503, CAMIF : eu égard à son objet, à la nature de ses activités et aux règles de tutelle auxquelles cet établissement est soumis, l’Union de groupement des achats publics (UGAP) est comparable à l’Economat des armées, établissement public industriel et commercial créé par la loi n°59-869 du 22 juillet 1959 et chargé, sous la tutelle de l’Etat, de l’approvisionnement en denrées et fournitures des corps de troupe. Ne constituant pas à elle seule une catégorie d’établissements publics, l’UGAP pouvait être créée par le décret n°85-801 du 30 juillet 1985.
Il résulte également de l’article 34 de la Constitution que la loi fixe les règles concernant « les nationalisations d’entreprises ».
Enfin, toujours en application du même article, la loi détermine les principes fondamentaux de « l’organisation générale de la défense nationale », de « l’enseignement » et de « la sécurité sociale ». On peut en déduire que la création de services publics relevant de ces trois domaines relève du législateur.
1403.- Organisation du service public.- Une fois que le service public a été créé par le législateur, celui-ci est également compétent pour en déterminer les modalités d’organisation. Toutefois, le pouvoir règlementaire dispose d’une certaine marge de manœuvre en la matière.
En effet, d’une part, le législateur peut laisser au pouvoir règlementaire le soin de définir des règles d’organisation du service, à condition toutefois qu’il ne soit pas porté atteinte à « des règles de nature législative » (CE, 17 décembre 1997, requête numéro 181611, Ordre des avocats à la Cour de Paris, préc.).
D’autre part, en vertu de la jurisprudence Jamart, les chefs de service disposent d’un pouvoir règlementaire autonome qui leur permet de prendre des mesures d’organisation des services dont ils ont la charge (CE Sect., 7 février 1936, requête numéro 43321, préc.).
Enfin, en application de la règle de parallélisme des compétences, l’autorité qui a pris la décision de créer un service public peut également le supprimer, si elle respecte un certain nombre de conditions que l’on verra plus loin.
II – Autorité compétente au niveau des collectivités territoriales
1404.- Clause générale de compétence.- Les assemblées délibérantes des collectivités territoriales sont compétentes pour créer les services publics propres à satisfaire, dans la limite des compétences attribuées à ces collectivités, les besoins de la population. Rappelons simplement que depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe n°2015-991 du 7 août 2015, les départements et les régions, à la différence des communes, ne disposent plus d’une clause générale de compétence. Les départements et les régions ont une compétence d’attribution déterminée par les textes, ce qui ne doit toutefois pas conduire à considérer, particulièrement pour les régions, que cette évolution marque un reflux de leurs compétences. En outre, si les communes bénéficient bien d’une clause de compétence générale, la portée de cette clause est triplement limitée : par le législateur qui peut réserver l’exercice de certaines compétences à d’autres niveaux de collectivités territoriales, par les moyens financiers plus ou moins importants dont dispose la commune, mais également par le fait que de nombreuses compétences qui lui appartenait à l’origine ont été transférées à l’EPCI à fiscalité directe dont elle est membre.
§II – Droit à la création et au maintien des services publics
1405.- Caractère obligatoire ou facultatif du service public.- Des règles différentes s’appliquent selon que le service public considéré présente un caractère obligatoire ou seulement facultatif.
I – Services publics obligatoires
1406.- Droit à la création et au maintien des services publics obligatoires.- Les administrés ont le droit à la création ou au maintien des services publics dont l’existence est prévue par un texte.
C’est le cas, en particulier, pour les services publics visés par les lois de décentralisation. Ainsi, notamment, la loi n°2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a transféré de nombreux services publics autrefois à la charge de l’Etat, aux régions, aux départements et aux communes.
Exemples :
– Les départements ont en charge le service public de la construction et de l’entretien de la voirie départementale (Code général des collectivités territoriales, art. L. 3321-1, 16°).
– Les régions ont pour mission de créer et d’assurer le fonctionnement des lycées et des établissements d’éducation spécialisée (Code de l’éducation, art. L. 214-6).
1407.- Services publics constitutionnels.- De même, comme l’a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision des 25-26 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, « la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle » (numéro 86-207 DC : Rec. CC, p. 61 ; JO 27 juin 1986, p. 7978 ; AJDA 1986, p.575, note Rivero).
Il en résulte que le législateur ne peut porter atteinte à l’existence de ces services publics constitutionnels.
Exemples :
– L’existence des services de police et de gendarmerie peut être reliée aux dispositions de l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen selon lequel « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique ».
– L’existence d’un enseignement public trouve son fondement à l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 qui prévoit que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».
1408.- Autres services publics nationaux obligatoires.- A côté des services publics constitutionnels, il existe un certain nombre de services publics nationaux dont l’existence « est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité règlementaire selon les cas » (CC., 25-26 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, préc.). Il en résulte que « le fait qu’une activité ait été érigée en service public par le législateur sans que la Constitution l’ait exigé ne fait pas obstacle à ce que cette activité fasse, comme l’entreprise qui en est chargée, l’objet d’un transfert au secteur privé » (Ibid.). Toutefois, les dispositions de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 qui imposent que « tout bien ou toute entreprise dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national … doit devenir la propriété de la collectivité », impliquent que les services publics nationaux ne peuvent être transférés au secteur privé qu’après qu’il leur a été enlevé leurs caractéristiques de service public national.
Il est à noter toutefois que la notion de service public national est appréciée de façon assez stricte par la jurisprudence. Ainsi, dans un arrêt de Section du 27 septembre 2006, Bayrou et Association des usagers des autoroutes publiques de France et a. (requête numéro 290716 : AJDA 2006, p. 2056, chron. Landais et Lenica ; Contrats-marchés publ. 2006, comm. 303, note Eckert ; Dr. adm. 2006, p. 22, note Glaser ; RFDA 2006, p. 1147, concl. Glaser et note de Bellescize, p. 1163), le Conseil d’Etat a considéré que « l’exploitation d’une entreprise ne peut avoir les caractères d’un service public national … que si elle est exercée à l’échelon national ». Or, aucune des sociétés chargées de la construction et de l’exploitation de réseaux autoroutiers ne s’est vue attribuer de concession, à l’échelon national, pour l’ensemble des autoroutes (et cela alors même que le réseau d’autoroute innerve l’ensemble du territoire national). Il en résulte que l’exploitation des concessions autoroutières n’est pas un service public national.
Une solution similaire a été récemment retenue par le Conseil constitutionnel à propos de la société Aéroports de Paris (CC, 16 mai 2019, numéro 2019-781 DC : Rev. CMP 2019, comm. 243, obs. Eckert). En effet, si cette société « est chargée, à titre exclusif, d’exploiter plusieurs aérodromes civils situés en Île-de-France, parmi lesquels les deux principaux aérodromes du pays, il existe sur le territoire français d’autres aérodromes d’intérêt national ou international ». Au demeurant, « si Aéroports de Paris domine largement le secteur aéroportuaire français, cette société est en situation de concurrence croissante avec les principaux aéroports régionaux, y compris en matière de dessertes internationales, ainsi d’ailleurs qu’avec les grandes plateformes européennes de correspondance aéroportuaire ». Enfin, « le marché du transport sur lequel s’exerce l’activité d’Aéroports de Paris inclut des liaisons pour lesquelles plusieurs modes de transport sont substituables. Aéroports de Paris se trouve ainsi, sur certains trajets, en concurrence avec le transport par la route et le transport ferroviaire, en particulier pour ce dernier du fait du développement des lignes à grande vitesse ». Il en résulte que la société Aéroports de Paris ne peut être regardée comme une entreprise dont l’exploitation constitue un monopole de fait au sens du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.
II – Services publics facultatifs
1409.- Création et suppression.- On envisagera la question de la création des services publics facultatifs avant d’évoquer celle de leur suppression.
A – Création des services publics facultatifs
1410.- Clause générale de compétence.- L’Etat, ainsi que les collectivités territoriales, peuvent créer un service public doit l’existence n’est rendue obligatoire ni par des dispositions constitutionnelles ni par des dispositions législatives. Cette création est toutefois remise en cause pour les régions et les départements par la suppression de la clause générale opérée par la loi NOTRe du 7 août 2015.
La création de ces services publics facultatifs résulte donc, essentiellement, d’un choix politique dont l’exercice est cependant entouré d’un certain nombre de garanties.
1411.- Exigence d’un acte formel.- Comme on l’a déjà souligné, la création de ces services publics doit d’abord donner lieu à un acte formel, qu’il s’agisse d’une loi ou d’un acte administratif.
1412.- Conciliation avec la liberté d’entreprendre.- Il résulte ensuite de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que « s’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, (c’est à) condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi » (CC, 16 janvier 2001, numéro 2000-439 DC, Loi relative à l’archéologie préventive : Rec. CC, p. 42 ; JO 18 janvier 2001, p. 931 ; AJDA 2001, p. 182, note Frier ; LPA 12 février 2001, p. 18, note Schoettl ; RDP 2001 p. 947, note Rueda). Cette formule tranche de façon assez nette avec la jurisprudence antérieure qui était moins protectrice de la liberté d’entreprendre.
1413.- Respect du principe de liberté du commerce et de l’industrie.- Lorsqu’est en cause un acte administratif qui porte création d’un service public facultatif, les juges vérifient que cette création ne porte pas atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie.
Il est toutefois admis que « la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’Etat (ou une collectivité territoriale) satisfasse, par ses propres moyens, aux besoins de ses services » (CE, 29 avril 1970, requête numéro 77935, Unipain : RDP 1970, p. 1423, note Waline.- CE Ass., 26 octobre 2011, requête numéro 317827, Association pour la promotion de l’image : Rec., p. 506, concl. Boucher ; AJDA 2012, p. 35, chron. Guyomar et Domino ; Dr. adm. 2012, comm. 1, note Tchen). Dans l’affaire « Unipain », le Conseil d’Etat décide qu’est légale l’extension de la fourniture de pain par une boulangerie militaire à des établissements pénitentiaires, cette décision, motivée par des raisons d’économie, étant conforme à l’intérêt général. Cette solution est désormais consacrée par l’article L 1 du Code de la commande publique qui précise que « les acheteurs et les autorités concédantes choisissent librement, pour répondre à leurs besoins, d’utiliser leurs propres moyens ou d’avoir recours à un contrat de la commande publique ».
De même, ces collectivités peuvent prendre en charge des activités qui constituent le complément normal d’un service public administratif.
Exemple :
– CE Sect., 17 octobre 1997, requête numéro 181611, Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris (préc.) : le pouvoir règlementaire est compétent pour organiser un service public de diffusion des données publiques en complément de son action de production de ces données.
Ces exceptions mises à part, les personnes publiques n’ont pas la possibilité d’instituer des services publics à vocation industrielle et commerciale susceptibles de concurrencer des entreprises privées.
Ainsi, il résulte des règles définies par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt de Section du 30 mai 1930 Chambre syndicale du commerce de Nevers (requête numéro 06781 : Rec., p. 583 ; RDP 1930, p. 530, concl. Josse ; S. 1931, III, p. 73, concl. Josse, note Alibert), que l’intervention des collectivités publiques est possible si deux conditions cumulatives sont réunies : il est nécessaire que soit constatée une carence de l’initiative privée et que l’intervention de la collectivité publique présente un intérêt général.
Si les conditions posées par cet arrêt sont aujourd’hui appréciées de façon plutôt favorable à l’action des collectivités territoriales, la mise en œuvre de ces principes donne lieu à une jurisprudence contrastée.
Exemples :
– CE, 4 juillet 1984, requête numéro 20046, Département de la Meuse c. Poilera (RFDA 1985, p. 58, obs. Douence ; RDP 1985, p. 199, note de Soto) : les circonstances locales ne justifient pas, en l’espèce, la création, par un conseil général, d’une caisse départementale des incendies.
– CAA Nancy, 17 mai 2001, requête numéro 96NC03097, Fédération départementale de l’industrie hôtelière des Vosges : est légale, compte tenu de la carence de l’initiative privée, la délibération d’un conseil municipal décidant de l’exploitation en régie d’une cafétéria située dans un centre de loisirs communal.
1414.- Une intervention plus largement admise dans le secteur concurrentiel.- Par ailleurs, sous l’influence directe du droit de l’Union européenne, qui ignore largement la notion de « service public à la française », la nature des restrictions à l’activité économique des personnes morales de droit public a évolué. A l’époque de l’arrêt Chambre syndicale du commerce de Nevers, Raphael Alibert pouvait évoquer le principe « d’inactivité commerciale » des collectivités territoriales, assortie d’exceptions qui se sont par la suite multipliées. Aujourd’hui, si l’exigence d’un intérêt public est toujours requise, les autorités publiques et notamment les collectivités territoriales peuvent agir plus largement sur le terrain des activités industrielles et commerciales, mais en respectant les principes du droit de la concurrence, et notamment le principe d’égalité.
Cette évolution est précisément exposée par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’Assemblée du 31 mai 2006, Ordre des avocats du barreau de Paris (requête numéro 275531 : JCP A 2006, comm. 1133, note Linditch ; Contrats-Marchés publ. 2006, comm. 2002, note Eckert ; AJDA 2006, p. 1592, chron. Landais et Lenica ; Dr. adm. 2006, comm. 129, note Bazex ; Concurrences 2006, p. 167, obs. du Marais ; BJCP 2006, p. 295, note Casas ; JCP E 2006, comm. 2127 ; JCP G 2006, act. 277 et IV, comm. 2390) : « pour intervenir sur un marché (les collectivités publiques) doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d’un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l’initiative privée ; qu’une fois admise dans son principe, une telle intervention ne doit pas se réaliser suivant des modalités telles qu’en raison de la situation particulière dans laquelle se trouverait cette personne publique par rapport aux autres opérateurs agissant sur le même marché, elle fausserait le libre jeu de la concurrence sur celui-ci ». Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt. Tout d’abord, l’initiative des collectivités territoriales en matière d’activités industrielles et commerciales est toujours bridée par l’existence d’un intérêt public local, même si celui-ci est assez largement conçu. Ensuite, la carence de l’initiative privée – qui était une condition de cette intervention dans la jurisprudence Chambre syndicale du commerce de Nevers – n’est plus envisagée que comme un élément, parmi d’autres, de l’intérêt public.
Ainsi, l’existence d’un « intérêt public » suffit à lui seul à justifier l’intervention de la collectivité, que cet intérêt réside ou non d’une réponse à la carence de l’initiative privée, mais à condition de respecter le droit de la concurrence.
Exemples :
– CE, 18 mai 2005, requête numéro 254199, Territoire de la Polynésie française (AJDA 2005, p. 2130, note Nicinski ; RLCT 2006, n°6, p. 50, obs. Clamour) : l’intérêt public justifiant l’intervention économique d’une collectivité publique peut s’apprécier au regard des besoins futurs de développement de cette collectivité. En l’espèce, la bonne desserte aérienne de la Polynésie française, indispensable à ses relations avec le reste du monde et à son développement, constitue un intérêt public local qui peut s’apprécier au regard des besoins futurs du développement touristique du territoire.
– CE, 3 mars 2010, requête numéro 306911, Département de la Corrèze (AJDA 2010, p. 957, concl. Boulouis et p. 1251, note Glaser ; Dr. adm. 2010, comm. 73) : le service de téléassistance aux personnes âgées et handicapées créé par un département dans le cadre de son action en matière d’aide sociale, a pour objet de permettre à toutes les personnes âgées ou dépendantes du département, indépendamment de leurs ressources, de pouvoir bénéficier d’une téléassistance pour faciliter leur maintien à domicile. Même si des sociétés privées offrent des prestations de téléassistance, la création de ce service, ouvert à toutes les personnes âgées ou dépendantes du département, indépendamment de leurs ressources, satisfait aux besoins de la population et répond à un intérêt public local. Par suite, cette création n’a pas porté une atteinte illégale au principe de liberté du commerce et de l’industrie.
Par ailleurs, dans un arrêt Province des îles de Loyauté du 20 octobre 2010 (requête numéro 300347 : JCP A 2011, comm. 2037, note Markus), le Conseil d’Etat a considéré qu’un intérêt public pouvait être reconnu alors même que la collectivité territoriale en cause exerce une partie essentielle d’une activité de fret maritime en dehors de son territoire. Plus précisément, dans la même approche libérale que celle de l’arrêt Ordre des avocats du barreau de Paris, le Conseil d’Etat a considéré que « la circonstance que les moyens par lesquels l’activité sera assurée soient également utilisés en dehors du territoire de la collectivité, que l’équilibre financier de l’activité résulte de ressources provenant de cet usage extérieur au territoire de la collectivité, ou que des activités similaires soient déjà assurées par des entreprises privées, mais dans des conditions ne permettant pas la satisfaction du besoin local tel qu’il revient à la collectivité de l’apprécier, ne peuvent priver d’intérêt local une telle décision ».
B – Suppression des services publics facultatifs
1415.- Pouvoir discrétionnaire des collectivités publiques.- Comme en matière de création des services publics facultatifs, les collectivités publiques disposent en la matière d’un pouvoir discrétionnaire. Les usagers n’ont par conséquent aucun droit acquis au maintien de ces services publics (CE Sect., 18 mars 1977, requête numéro 97939, requête numéro 97940, requête numéro 97941, Chambre de commerce et d’industrie de la Rochelle et a. : Rec., p. 153, concl. Massot).
L’absence d’utilité d’un service public, mais également une rentabilité insuffisante, peuvent ainsi justifier la décision portant suppression de ce service public.
Exemple :
– CAA Lyon, 22 novembre 1994, requête numéro 93LY00730, SARL Etablissement Dessert (Quinzaine jur. 1995, n°58, p. 2) : une collectivité publique peut décider de supprimer un abattoir public qui n’est plus rentable.
1416.- Parallélisme des compétences.- En vertu de la règle du parallélisme des compétences, la décision de supprimer un service public facultatif appartient à l’autorité qui l’a créé. Les juges n’exercent qu’un contrôle restreint sur les décisions de suppression d’un service public, qui est limité au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 16 janvier 1991, requête numéro 116212, requête numéro 116224, Fédération nationale des associations d’usagers des transports : Rec., p. 14 ; CJEG 1991, p. 279, note Lachaume).
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