Section IV – Modes de gestion de services publics
1485.- Principe de libre choix du mode de gestion des services publics.- Dans le silence de la loi, les collectivités publiques sont libres de déterminer le mode de gestion des services publics qu’elles ont en charge. Elles peuvent soit assurer elles-mêmes « en régie » la gestion de ces services soit les confier à une autre personne publique ou à une personne privée.
§I – Gestion en régie
1486.- Régie simple.- La gestion en régie recouvre deux hypothèses distinctes.
Il s’agit tout d’abord de celle de la régie simple. Dans cette hypothèse, rien ne distingue le service géré en régie de la collectivité qui l’assure. Il n’y a aucune individualisation du service en régie parmi les autres activités exercées par la collectivité. Ainsi, s’il s’agit d’un service communal, c’est le budget général de la commune qui finance le service, ce sont les agents de la commune qui l’assurent, et ce sont le maire et le conseil municipal qui prennent les décisions relatives à sa gestion et à son fonctionnement.
1487.– Régie dotée de la seule autonomie financière.- Il s’agit ensuite de la régie dotée de la seule autonomie financière : dans cette hypothèse, les services concernés sont individualisés, puisqu’un conseil d’exploitation est institué. Les comptes de ces régies sont retracés dans un budget annexe, ce qui va permettre l’affectation de ressources. Toutefois, le conseil d’exploitation et son directeur n’exercent qu’un rôle secondaire, puisque les principales décisions relatives au fonctionnement et à l’organisation de la régie continuent de relever des organes délibérant et exécutif de la collectivité concernée. En cas de gestion en régie, et à défaut de la création d’une régie personnalisée, c’est ce mode de gestion qui est imposé pour les services publics industriels et commerciaux locaux. Il s’agit ainsi d’assurer le contrôle de l’équilibre financier de ces activités. Le recours à ce type de gestion en régie est cependant également possible pour les services publics administratifs.
La régie – et plus précisément encore la régie simple – constitue le mode de gestion des services publics le plus répandu.
1488.- Distinction avec d’autres modes de gestion des services publics.- Il faut nettement distinguer cette hypothèse de celle de la régie personnalisée, qui consiste à confier le service à une personne publique distincte placée sous le contrôle de la collectivité et qui constitue en réalité une catégorie particulière d’établissement public, et la régie intéressée qui constitue l’une des modalités de délégation d’un service public par une personne privée.
§II – Gestion par une institution spécialisée
1489.- Institution publique ou privée.- Plutôt que de prendre en charge elles-mêmes une activité de service public, l’Etat ou les collectivités territoriales peuvent la confier à une institution spécialisée publique – qui sera généralement comme on l’a vu un établissement public – ou privée, en ayant recours soit à une habilitation unilatérale soit à la voie contractuelle.
I – Habilitation unilatérale d’une personne privée
1490.- Origine.- A l’occasion de l’arrêt du 13 mai 1938, Caisse primaire aide et protection (requête numéro 57302, préc.), le Conseil d’Etat a admis que des personnes privées peuvent être habilitées unilatéralement à gérer un service public.
Ce mode de gestion des services publics s’est depuis considérablement développé, aussi bien pour les services publics administratifs que pour les services publics industriels et commerciaux.
1491.- Conditions et modalités de l’habilitation.- Comme l’a précisé le Conseil d’Etat, une personne publique ne peut attribuer la gestion d’un service public par un acte unilatéral que lorsque cela est « prévu par un texte » (CE, avis, 9 mars 1995, requête numéro 356931 : EDCE 1995, n°47, p. 399. – CE, avis, 28 septembre 1995, requête numéro 357262 et requête numéro 357263 : EDCE 1995, n°47, p. 402).
Cette habilitation peut résulter d’un texte de loi comme celle du 2 décembre 1940 qui crée les ordres professionnels ou encore l’article L. 301-14 du Code du sport qui prévoit que pour chaque discipline sportive, une seule fédération peut recevoir délégation pour organiser des compétitions sportives. Elle peut également résulter d’un acte règlementaire ou d’un acte individuel lorsqu’un texte le prévoit.
Exemple :
– L’article L. 2223-23 du Code général des collectivités territoriales précise que le préfet peut habiliter une entreprise ou une association dans le cadre du service public de pompes funèbres.
1492.- Hypothèse de création spontanée d’une activité d’intérêt général.- Il existe enfin des hypothèses où, contrairement à l’ordre normal des choses, la création spontanée d’une activité d’intérêt général par une personne privée précède la transformation de cette activité en service public. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt de Section Commune d’Aix-en-Provence du 6 avril 2007 (requête numéro 284736, préc.), le Conseil d’Etat considère qu’une activité peut « se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu’elle n’a fait l’objet d’aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l’intérêt général qui s’y attache et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu’aucune règle ni aucun principe n’y font obstacle, des financements ».
Exemples :
– A l’occasion de l’arrêt du 6 avril 2007, le Conseil d’Etat relève que l’Association pour le festival international d’art lyrique et l’Académie européenne de musique d’Aix-en-Provence a pour objet statutaire exclusif la programmation et l’organisation de ce festival et de cette académie. Elle se compose de trois représentants de l’Etat, de quatre représentants des collectivités territoriales et de cinq personnalités qualifiées, dont une est nommée par le maire d’Aix-en-Provence et trois par le ministre chargé de la culture, ainsi que, le cas échéant, de membres actifs ou bienfaiteurs ou encore d’entreprises, dont la demande d’adhésion doit être agréée par le bureau et qui ne disposent pas de voix délibérative au sein de l’association. Son conseil d’administration est composé de quinze membres, dont onze sont désignés par les collectivités publiques. Les subventions versées par les collectivités publiques représentent environ la moitié des ressources de l’association qui bénéficie en outre, de la part de la commune, de différentes aides, comme la mise à disposition de locaux dans lesquels se déroule le festival et des garanties d’emprunt. L’Etat, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le département des Bouches-du-Rhône et la commune d’Aix-en-Provence ont ainsi décidé, sans méconnaître aucun principe, de faire du festival international d’Aix-en-Provence un service public culturel.
– CE, 15 février 2016, requête numéro 384228, Société Cathédrale d’Images (Contrats Marchés publ. 2016, comm. 108, obs. Eckert et Chron. 1, obs. Eckert ; ibid. mars 2017, chron. Llorens et Soler-Couteaux ; Dr. adm. 2016, comm. 29, note Brenet ; JCPA 2016, comm. 2183, note Pauliat ; RD imm. 2016. 472, obs. Foulquier) : la commune ne fait preuve d’aucune implication dans l’organisation des spectacles ou la tarification des manifestations données par une société. En conséquence l’activité, qui présente pourtant un intérêt général, ne peut être qualifiée de service public.
II – Habilitations contractuelles
1493.- Contrat portant sur l’exécution du service public.- L’Etat, une collectivité territoriale, ou même une personne publique spécialisée, peuvent confier par voie contractuelle l’exécution d’un service public, généralement à une personne privée.
1494.- Cas de l’habilitation contractuelle de personnes morales de droit public.- Il peut s’agir également de personnes publiques, et notamment d’établissements publics de coopération intercommunale, dès lors qu’elles agissent dans des conditions d’égale concurrence envers les autres opérateurs (CE, avis, 8 novembre 2000, requête numéro 222208, Société Jean-Louis Bernard consultant, préc.- V. également CE Ass., 30 décembre 2014, requête numéro 355563, Société Armor SNC, préc.- CE, 14 juin 2019, requête numéro 411444, Société Vinci construction maritime et fluvial : AJDA 2019, p. 1923, obs. Glaser ; AJDA 2019, p. 1946, obs. Hul ; BJCP 2019, p. 317, concl. Le Corre ; Contrats-Marchés publ. 2019, comm. 254, obs. Eckert). Il résulte ainsi de l’arrêt Société Armor SNC que « aucun principe ni aucun texte ne fait obstacle à ce que ces collectivités ou leurs établissements publics de coopération se portent candidats à l’attribution d’un contrat de commande publique pour répondre aux besoins d’une autre personne publique ». Toutefois « ils ne peuvent légalement présenter une telle candidature que si elle répond à un tel intérêt public » et plus précisément un intérêt public local. Plus précisément, cela impose que la candidature publique « constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge, dans le but notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier, et sous réserve qu’elle ne compromette pas l’exercice de cette mission ».
1495.- Autres modalités de prise en charge des services publics.- Doivent également être mentionnées – en dehors des habilitations contractuelles – certaines formes juridiques visées par le Code général des collectivités territoriales. Il s’agit des sociétés d’économie mixte locales (SEML.- V. ode général des collectivités territoriales, art. L. 1521-1 s.) ainsi que des sociétés publiques locales (SPL.- V. ode général des collectivités territoriales, art. L. 1531-1) créées par la loi n°2010-559 du 28 mai 2010 qui se caractérisent, à la différence des premières, par un actionnariat entièrement public.
Une difficulté est née en raison du fait que de nombres collectivités territoriales ont créé une SPL ou une SEML avec un objet social assez large ne recoupant que partiellement la compétence de la collectivité à l’origine de leur création. Il pouvait s’agir, par exemple, pour une collectivité disposant de la compétence eau potable, mais pas de la compétence déchets, de venir actionnaire d’une SPL dont l’objet social porte sur ces deux compétences. Le Conseil d’Etat a mis à frein à cette tendance en jugeant que « la participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société » (CE, 14 novembre 2018, requête numéro 405628, Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles). Cette jurisprudence, qui aurait pu conduire au démembrement en plusieurs entités de SPL ou SEM entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales, a toutefois été contrecarrée par la loi n°2019-463 du 17 mai 2019 tendant à sécuriser l’actionnariat des entreprises publiques locales (V. faisant application des dispositions modifiées de l’articles L. 1531-1 du Code général des collectivités territoriales : CAA Lyon, 15 janvier 2020, requête numéro 18LY04475, Préfète du Puy-de-Dôme : JCP A 2020, comm. 2038, note Devès.- comp. CAA Lyon, 15 janvier 2020, requête numéro 18LY0459, SMADC).
Notons aussi que la loi « 3DS » n°2022-217 du 21 février 2022 a complété les dispositions de l’article L. 1531-1 du Code général des collectivités territtoriales en prévoyant la possibilité, pour des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements de participer au capital de sociétés publiques locales. Ils ne peuvent toutefois détenir, ensemble ou séparément, plus de la moitié du capital ou des droits de vote dans les organes délibérants.
La loi n°2014-774 du 2 juillet 2014 a également créé les sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP.- V. ode général des collectivités territoriales, art. L. 1541-1 s.) qui ont vocation à n’exécuter que le seul objet du contrat qui leur est attribué par une collectivité publique, lequel peut porter sur l’exécution d’un service public.
1496.- Publicité et mise en concurrence.- Quelle que soit la nature juridique du délégataire, des règles de publicité et de mise en concurrence préalable doivent être respectées. Une exception est toutefois prévue pour les sociétés publiques locales qui exercent leurs activités pour le compte de leurs actionnaires (V. CAA Lyon, 16 mars 2017, requête numéro 16LY02652, SEMERAP : AJCT 2017, p. 213, obs. Devès ; RTD eur. 2017, p. 810, obs. Muller) et sur le territoire des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales qui en sont membres (Code général des collectivités territoriales, art. L. 1531-1). Ces sociétés ont en effet vocation à intervenir pour le compte de leurs actionnaires dans le cadre de prestations intégrées, ce qui renvoie aux notions de « quasi-régie » ou de gestion « in house ».
Cependant, le Conseil d’Etat a précisé que cette solution ne s’applique pas vis-à-vis de personnes publiques qui ne sont que des actionnaires minoritaires de la société et qui ne participent pas à ses organes de direction (CE, 6 novembre 2013, requête numéro 365079, Commune de Marsannay-la-Côte : Rec., p. 261 ; AJDA 2014, p. 60, note Clamour ; BJCP 2014, p. 3, concl. Dacosta ; Constr.-Urb. 2013, comm. 164, note Santoni ; Contrats-Marchés publ. 2014, comm. 19, note Amilhat ; Dr. adm. 2014, comm. 4, note Brenet ; JCP A 2013, act. 884, obs. Erstein ; JCP A 2014, comm. 215, obs. Linditch ; RJEP 2014, comm. 14, concl. Dacosta.- V. également CAA Marseille, 6 juillet 2015, requête numéro 13MA03152 : Constr.-Urb. 2016, 2, note Santoni). Les sociétés publiques locales ne doivent donc pas être considérées comme des structures « in house » à l’égard de cette catégorie d’actionnaires et elles doivent donc s’astreindre, dans les relations qu’elles entretiennent avec celles-ci, aux règles de publicité et de mise en concurrence exigées par le droit de la commande publique. Relevons également que pour ce qui concerne les sociétés d’économie mixte à opération unique, la mise en concurrence est organisée non pas pour l’attribution du contrat mais pour le choix de l’actionnaire privé de la structure en voie de constitution.
Notons aussi que la notion de « in house » n’est pas réservée aux seules sociétés publiques locales et sociétés d’économie mixte à opération unique.
Exemple :
– Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cérema) est un établissement public de l’Etat à caractère administratif créé par la loi n°2013-431 du 28 mai 2013. La loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale a redéfini son objet et ses missions en permettant aux collectivités territoriales d’y adhérer dans le but de bénéficier de ses activités de conseil, d’assistance, d’étude, de contrôle, d’innovation, d’expertise, d’essais, de recherche, de formation et d’intervention. L’aticle 45 modifié de la loi du 28 mai 2013 précise que les personnes publiques adhérentes peuvent faire appel au Cérema « dans le cadre des articles L. 2511-1 à L. 2511-5 du Code de la commande publique », c’est-à-dire dans le cadre d’une relation in house en raison du fait que l’essentiel des activités du Cérema sont assurées à la demande de l’Etat et des collectivités territoriales ou de leurs groupements adhérents qui ont en conséquence une influence décisive sur la définition des objectifs stratégiques et des décisions importantes de l’établissement.
1497.- Concessions, concessions de service et délégations de service public.- Il faut aussi rappeler que depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, les délégations de service public ne sont plus qu’un sous-ensemble au sein de cette nouvelle catégorie. Ces règles ont été reprises par le Code de la commande publique entré en vigueur le 1er avril 2019. Selon l’article L. 1121-1 de ce code : « un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ». Le code, dans son article L. 1121-3, opère ensuite une distinction entre les concessions de travaux et les concessions de service qui « ont pour objet la gestion d’un service (et qui) peuvent consister à concéder la gestion d’un service public ». Le même article précise que « le concessionnaire peut être chargé de construire un ouvrage ou d’acquérir des biens nécessaires au service ». L’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales énonce ainsi que « les collectivités territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics peuvent confier la gestion d’un service public dont elles ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques par une convention de délégation de service public définie à l’article L. 1121-3 du Code de la commande publique préparée, passée et exécutée conformément à la troisième partie de ce code ».
Les nouvelles règles visées par le Code de la commande publique n’ont toutefois pas remis en cause l’existence de trois grandes catégories de contrats de délégation de service public : la concession (non pas au sens européen mais au sens restreint résultant de la jurisprudence du Conseil d’Etat), l’affermage et – ce qui est beaucoup moins évident – la régie intéressée.
A – Concession
1498.- Définition.- Historiquement, c’est le premier type de contrat de délégation de service public qui est apparu dès le début du XIX° siècle. Selon la définition de M. Guglielmi et Mme. Koubi : « c’est un mode de gestion par lequel une personne publique dite concédante confie par contrat la gestion opérationnelle d’un service public à une personne physique ou morale, publique ou privée, dite concessionnaire, qu’elle a librement choisi » (Droit du service public, ouv. précité). Il s’agit donc d’un type particulier de concession au sens de l’ordonnance du 29 janvier 2016, qui ne se confond pas avec la notion plus large utilisée par ce texte, lequel emploie une terminologie directement empruntée au droit de l’Union européenne.
1499.- Régime juridique.- Ce contrat est d’abord apparu dans la pratique, avant d’être identifié et de voir son régime juridique défini par le juge administratif. Plus précisément, c’est le commissaire du gouvernement Chardenet qui a défini dans l’arrêt Compagnie générale d’électricité de Bordeaux du 30 mars 1916 les trois éléments caractéristiques du contrat de concession (requête numéro 59928, préc. ) : le concessionnaire gère le service public à ses frais et risques, ce principe connaissant toutefois une exception lorsque s’applique la théorie de l’imprévision ; il est tenu de respecter le cahier des charges qui lui est imposé ; il se rémunère principalement par des redevances perçues sur les usagers.
On rappellera toutefois que conformément à l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016, le critère du prix a été remplacé par celui de risque d’exploitation et que cette évolution a été confirmée par le Code de la commande publique. Il ainsi logiquement été jugé par le conseil d’Etat qu’un contrat dénommé « concession provisoire de service public » qui ne fait en réalité peser qu’un risque économique mineur sur le délégataire constitue non pas un contrat de concession mais un marché public (CE, 24 mai 2017, requête numéro 407213, Société Régal des îles : AJCT 2017, p. 513 ; AJDA 2017, p. 1957, note Martin ; BJCP 2017, p. 279, concl. Pellissier : Contrats-Marchés publ. 2017, comm. 182, note Eckert).
1500.- Concession d’un service public et concession de travaux.- Très souvent, la concession d’un service public s’accompagne d’une concession de travaux publics. En d’autres termes, le concessionnaire est généralement tenu de supporter les frais de premier établissement des ouvrages publics nécessaires à l’exploitation du service qu’il est chargé d’assurer. Ceci explique pourquoi les contrats de concession sont conclus pour une durée qui est généralement longue, bien qu’elle soit aujourd’hui limitée comme pour l’ensemble des délégations de service public (V. Code de la commande publique, art. L. 3114-7) : il s’agit de permettre au concessionnaire de couvrir ses frais et de tirer un bénéfice de son exploitation.
S’agissant des ouvrages qui sont construits une distinction est faite entre différents types de biens. Cette distinction qui est d’origine jurisprudentielle (CE Ass., 21 décembre 2012, requête numéro 342788, Commune de Douai : Rec., p. 477, concl. Dacosta ; AJCT 2013, p. 91, note Didriche ; AJDA 2013, p. 457, chron. Domino et Bretonneau et p. 724, note Fatôme et Terneyre ; BJCP 2013, p. 136, concl. Dacosta ; Contrats-marchés publ. 2013, comm. 2, note Llorens et Soler-Couteaux et comm. 41, note Eckert ; Dr. adm. 2013, comm. 20, note Eveillard ; JCP A 2013, comm. 2044, note Boda et Guellier ; RFDA 2013, p. 513, note Janicot et Lafaix) a été reprise et précisée par l’article L. 3132-4 du Code de la commande publique. Selon cet article il convient de distinguer trois catégories de biens. Les biens de retour, tout d’abord, « qui résultent d’investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public ». Dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Les biens de reprise, ensuite « qui ne sont pas remis au concessionnaire par l’autorité concédante de droit public et qui ne sont pas indispensables au fonctionnement du service public ». Ils sont la propriété du concessionnaire, sauf stipulation contraire prévue par le contrat de concession. Enfin, les biens propres sont ceux qui « ne sont ni des biens de retour, ni des biens de reprise ». Ils sont et demeurent la propriété du concessionnaire.
B – Affermage
1501.- Définition.- Ce contrat est très proche de la concession, mais il s’en éloigne toutefois sur certains points. Selon la définition de M. Guglielmi et de Mme. Koubi « c’est un contrat par lequel la personne publique responsable du service charge un tiers, appelé fermier, de gérer le service public, éventuellement grâce à des ouvrages qu’elle lui remet, moyennant le versement à cette personne publique d’une rémunération prélevée sur les redevances versées par les usagers » (Droit du service public, ouv. précité).
1502.- Différences avec le contrat de concession.- Il existe ainsi deux différences majeures entre le contrat d’affermage et le contrat de concession.
Tout d’abord, le fermier ne supporte pas les frais de premier établissement des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public qu’il a en charge. Cette caractéristique explique que les contrats d’affermage sont conclus pour des durées généralement moins longues que les contrats de concession. Néanmoins, le fermier peut faire l’avance d’un fond de roulement financier (CE, 3 juin 1987, requête numéro 56733, Société nîmoise de tauromachie : LPA 15 juin 1988, note Poujade) et il peut également financer des installations à condition qu’elles ne présentent qu’un caractère accessoire.
La seconde différence porte sur le mode de rémunération : il est déduit de la rémunération du fermier une redevance, généralement appelée surtaxe, qui est reversée à la personne publique délégante. Il s’agit ainsi de permettre à cette personne publique de compenser les charges liées à la mise à disposition des ouvrages publics nécessaires à l’exploitation du service. Dans tous les cas, cependant, le montant de la surtaxe ne saurait excéder le montant des frais exposés par l’administration pour la construction des ouvrages ainsi que pour l’amortissement du renouvellement de ces ouvrages.
La distinction entre affermage et concession a également des conséquences en matière de responsabilité. En effet, lorsque la délégation est limitée à la seule exploitation de l’ouvrage, comme c’est le cas en matière d’affermage, la responsabilité des dommages imputables à l’existence, à la nature et au dimensionnement d’un ouvrage incombent à la personne publique délégante. C’est uniquement « en cas de concession de service public, c’est-à-dire d’une délégation de sa construction et de son fonctionnement, que peut être réclamée par des tiers la seule responsabilité du concessionnaire, sauf insolvabilité de ce dernier, en cas de dommages imputables à l’existence ou au fonctionnement de cet ouvrage » (CE, 26 novembre 2007, requête numéro 279302, Migliore : AJDA 2008, p. 210, note Dreyfus.- V. également CAA Douai, 7 août 2013, requête numéro 12DA01374, Veolia Eau – Compagnie générale des eaux : Contrats-Marchés publ. 2013, comm. 292, obs. Devillers).
1503.- Requalification possible du contrat.- Dans un arrêt Commune d’Elancourt du 29 avril 1987 (requête numéro 51022 : Rec., p.152 ; AJDA 1987, p. 543, obs. Prétot ; RFDA 1987, p.525, concl. Robineau) le Conseil d’Etat requalifie ainsi un contrat dénommé par les parties « traité de concession » en contrat d’affermage dans la mesure où « si l’article 1er du contrat stipule que la concession a pour objet le captage, l’adduction, le traitement et la distribution d’eau potable dans les communes du syndicat, il est constant que les ouvrages de service étaient déjà établis à la date de passation du contrat et ont été remis par le syndicat intercommunal à la société S., laquelle s’engageait à lui verser une redevance en contrepartie de cette remise ».
C – Régie intéressée
1504.- Définition.- Selon la définition de M. Guglielmi et de Mme. Koubi « c’est un contrat de transfert de la gestion opérationnelle des services publics, dans lequel une personne publique responsable du service en confie la gestion à un tiers, appelé régisseur, qui agit pour le compte de la personne publique et reçoit d’elle une rémunération indexée sur les résultats financiers du service » (Droit du service public, ouv. précité). Ainsi, l’adjectif intéressé doit être compris dans le sens où le régisseur est intéressé aux bénéfices réalisés par le service. Pour le reste, ce mode de gestion des services publics se rapproche à la fois de la régie et de la concession.
D’une part, à la différence du concessionnaire qui agit pour son propre compte, le régisseur intéressé agit pour le compte de la collectivité publique contractante qui assure la direction de l’exploitation.
D’autre part, cependant, le régisseur bénéficie d’une autonomie de gestion qui rapproche ce type de contrat de la concession et le différencie de la régie. Cependant, il existe deux différences essentielles entre la situation du concessionnaire et celle du régisseur intéressé. Tout d’abord, les modes de rémunération du concessionnaire et du régisseur intéressé diffèrent. En effet, la rémunération du régisseur intéressé est assurée par un intéressement versé par la personne publique. Plus précisément, le régisseur intéressé touche une prime fixée en pourcentage du chiffre d’affaire, complétée d’une prime variable calculée en fonction des résultats de l’exploitation et éventuellement par une part des bénéfices. Ensuite, le régisseur intéressé n’est pas normalement tenu de supporter les frais de premier établissement, ni les pertes du service.
1505.- Remise en cause du classement des contrats de régie intéressé dans la catégorie des délégations de service public.- Manifestement, les contrats de régie intéressée correspondaient aux deux critères de définition du contrat de délégation de service public tels qu’ils résultaient de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 : la prise en charge d’un service public ; une rémunération substantiellement liée aux résultats de l’exploitation. Cette solution a été expressément admise par le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Syndicat mixte du traitement des ordures ménagères centre ouest Seine-et-marnais (SMITOM) du 30 juin 1999 (requête numéro 198147, préc. – V. également, CAA Douai, 29 janvier 2004, requête numéro 01DA01060, Commune d’Amiens c/ Société d’exploitation de la gare d’Amiens).
Toutefois, un contrat de régie intéressé qui prévoirait certes un intéressement aux résultats d’exploitation, mais dans une proportion qui ne pourrait être considérée comme « substantielle », serait qualifié de marché public par la jurisprudence. Ceci étant, le lien entre rémunération et résultat de l’exploitation devant être seulement « substantiel », il est admis que la rémunération liée à l’exploitation connaisse des modalités variées et puisse ne pas être majoritaire : tel est le cas dans l’affaire « SMITOM », où la part des recettes autres que celles correspondant au prix payé était d’environ 30 %.
Cependant, la jurisprudence Département de la Vendée (CE, 7 novembre 2008, requête numéro 291794, préc.) puis l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016, en privilégiant le critère du risque d’exploitation, devait nécessairement aboutir à une remise en cause de cette analyse. Au cas d’espèce, les juges ont estimé « (qu’une) part significative du risque d’exploitation demeurant à la charge (du) cocontractant, sa rémunération doit être regardée comme substantiellement liée aux résultats de l’exploitation ». Cette nouvelle approche doit aboutir plus facilement à qualifier de marchés publics les contrats de régie intéressée, ces contrats étant conçus généralement pour effacer tout risque de perte pour le cocontractant de l’administration. C’est d’ailleurs ce qui avait été retenu dans une ordonnance déjà ancienne du juge des référés du tribunal administratif de Besançon, qui retient la qualification de marché public dans un cas où « le mode d’intéressement du cocontractant de l’administration ne fait dépendre qu’à la marge sa rémunération de l’efficacité de sa gestion et des résultats qu’il aura obtenus » (TA Besançon, ord. réf., 26 novembre 2001, Société Gesclub : BJCP 2002, p. 154, obs. Schwartz). Ce n’est que dans les cas où, d’après les clauses du contrat de régie intéressé, le cocontractant assume une part signification du risque d’exploitation que la qualification de délégation de service public devrait être retenue.
Pour aller plus loin :
– Bligh (G.), De la grève comme d’un conflit civil : l’évolution du pouvoir de réquisition des grévistes en droit administratif : RFDA 2017, p.958.
– Bui-Xuan (O.), les ambiguïtés de l’étude du Conseil d’Etat relative à la neutralité religieuse dans les services publics : AJDA 2014, p. 249.
– Chenot (B.), La notion de service public dans la jurisprudence économique du Conseil d’Etat : EDCE, 1950, p. 77.
– Chevallier (J.), Les transformations du statut d’établissement public : JCP 1972, 2496.
– Degoffe (M.), A propos du service public virtuel : CJEG 1993, p. 535.
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