Seules sont importantes les divisions qui pénètrent au cœur de l’État et ne s’en tiennent pas à l’extérieur. Mais aucune division ne saurait présenter le caractère d’une logique rigoureuse, parce qu’il s’agit d’embrasser la vie et non pas une matière morte.1
La séparation des pouvoirs est sans aucun doute l’une des pièces maîtresses du récit mythologique du droit constitutionnel. En tant qu’« objet de la théorie juridique, elle apparaît pleine d’attrait, mais aussitôt également comme un problème quasi-impossible à résoudre »2. Tenter de cerner les contours d’un mythe et d’en tirer les conséquences pratiques n’est pas tâche aisée pour celui qui décide de s’y atteler3. Le travail devient plus épineux encore lorsqu’il faut déclasser le mythe au rang d’une norme qui s’inscrit dans un cadre constitutionnel concret. Il est alors nécessaire d’évacuer tous les présupposés et de se libérer de l’idée selon laquelle il y aurait un principe de la séparation des pouvoirs, dont la vérité universelle jetterait sa lueur du haut de son piédestal sur les régimes constitutionnels contemporains, qui prônent son application et idolâtrent le concept absolu n’ayant peut-être jamais existé sous la forme que l’on a souhaité lui donner. Faire l’archéologie philosophique et politique générale du principe de la séparation des pouvoirs n’est pas l’objet de cette étude. Au début, ne seront esquissé que quelques étapes ayant laissé une trace indélébile sur la physionomie du principe allemand afin de se pencher ensuite sur sa signification et son application concrète.
Aristote, dans ses Politiques, expose l’idée de l’existence de plusieurs « constitutions » agissant de concert dans la cité. Il s’agit d’un type de gouvernement idéal partagé entre les éléments de régimes monarchiques, démocratiques ou aristocratiques. C’est le concept de constitution mixte qui apparaît dans ces grands essais de philosophie politique. Certes, la constitution mixte est liée au principe de séparation des pouvoirs, dans la mesure où elle porte l’idée de l’existence de trois entités distinctes accomplissant chacune une mission qui lui est propre. Cependant, il n’est pas facile de mettre un signe d’égalité entre les deux notions4.
Après les Deux traités sur le gouvernement civil de John Locke5, l’œuvre, qui reste indissolublement associée à la séparation des pouvoirs dans sa configuration moderne aux colorations libérales, est celle de Montesquieu6. L’ouvrage fut connu très tôt en Allemagne : la première traduction date de 1753, cinq années seulement après la parution en langue française7. Mais L’Esprit des lois est surtout exploré pour les informations précieuses qu’il contient concernant les conditions culturelles et historiques qui caractérisent l’attitude des peuples ainsi que leur législation ou les développements sur l’ancienne liberté germanique8. À cette époque, le fameux livre XI et son sixième chapitre n’occupent qu’une place secondaire dans les discussions allemandes. Si les développements de Montesquieu font l’objet de quelques débats, ses analyses sur la constitution de l’Angleterre, qui comportent les réflexions sur la séparation des pouvoirs, provoquent surtout la réaction d’une certaine hostilité allemande ou bien une saine indifférence quant à la qualité des idées exposées. Il y avait tout de même quelques exceptions : Johann Heinrich von Justi explique que c’est sur « l’organisation rationnelle et l’équilibre des branches du pouvoir suprême dans la loi fondamentale de l’État » que reposent « la prospérité de l’État et la liberté de ses citoyens »9. En choisissant le terme de « branches » (Zweige), il évite l’écueil consistant en la confrontation du principe de séparation avec la nature indivisible de la souveraineté.
Quelques années plus tard, c’est Immanuel Kant qui franchit le pas en décrivant les vertus d’une constitution basée sur la séparation des forces qui la meuvent. Dans l’esquisse Vers la paix perpétuelle, le philosophe de Königsberg plaide en faveur de la constitution républicaine qui est, pour lui, la seule garantie de la liberté. Le « républicanisme » est le principe politique de la séparation du pouvoir exécutif (le gouvernement) et du pouvoir législatif. Le modèle républicain se trouve par conséquent aux antipodes du régime despotique dont la caractéristique principale est l’identité des pouvoirs législatif et exécutif : « l’État met à exécution de son propre chef les lois qu’il a lui-même faites, par suite c’est la volonté publique maniée par le chef de l’État comme si c’était sa volonté privée »10. Le principe se trouve réaffirmé et précisé dans la Doctrine du droit : « [t]out État contient en soi trois pouvoirs, c’est-à-dire la volonté générale unie en une triple personne (trias politica) : [L]e pouvoir souverain (souveraineté) qui réside dans le législateur, le pouvoir exécutif – dans le gouvernement (conformément à la loi) et le pouvoir judiciaire (qui attribue à chacun le sien suivant la loi) – dans le juge ». Les trois formes de l’action de la triple personne représentent ainsi « les trois propositions d’un raisonnement juridique pratique »11. Les fondements de la conception kantienne du principe de séparation des pouvoirs furent ainsi posés pour être repris, quelques décennies plus tard, par les auteurs libéraux du Vormärz allemand12. Hélas, la séparation des pouvoirs devient la cible de toutes les attaques, celles des conservateurs, pour qui il est inconcevable de séparer ou diviser le pouvoir monarchique ; celles des libéraux également qui placent au centre de leurs préoccupations politiques la garantie des droits des citoyens qui ne nécessite pas l’introduction du principe sur le sol allemand. Mais le rejet n’est que la conséquence de l’antagonisme insurmontable des deux légitimités qui doivent se faire face, celle du monarque et celle de la nation, de la société civile. L’absence de base de légitimité commune au gouvernement monarchique et aux assemblées parlementaires ne permet pas de réfléchir sur la fonction véritable du principe – la meilleure organisation de l’exercice du pouvoir étatique. Cependant, les apories causées par le rejet sont bien présentes : s’il n’y a pas de séparation, il faut inventer un moyen de classification des différentes formes que prend l’activité étatique.
S’en suit une période sombre. À partir de 1919 et l’affirmation tardive du principe démocratique en Allemagne, la séparation des pouvoirs commence une nouvelle vie assurée par la Constitution de Weimar. Certes, l’existence du système imaginé en 1919 est bien courte. Mais le régime weimarien sert d’outil de réflexion au constituant de 1949 et permet d’éviter certains pièges constitutionnels dont Weimar fut la victime.
Les querelles doctrinales qui se jouent autour de la notion de séparation des pouvoirs tout au long du XIXe siècle et à l’aube du XXe siècle allemands sont symptômatiques des « ambivalences ou paradoxes »13 de cet inextricable problème juridique. L’enquête doctrinale, qui suit à la trace les malentendus terminologiques et conceptuels, les oppositions idéologiques prenant en otage le principe de séparation des pouvoirs, ne doit pas induire en erreur. Elle ne doit pas être entendue comme un récit historique statique, mais comme une grille de lecture des liens, dissimulés ou apparents14, qu’entretient la théorie actuelle de la séparation des pouvoirs avec ce fond doctrinal.
En France, on constate un intérêt mitigé et quelques articles et contributions épars consacrés à la séparation des pouvoirs15, ainsi qu’une masse jurisprudentielle laconique. Contrairement au juge constitutionnel allemand, on ne remarque pas, en lisant les décisions du Conseil constitutionnel, de tentative de construire les débuts d’une une théorie générale de la séparation des pouvoirs. Il n’y a que des éléments, souvent superficiels, qui essaient de préciser, mais toujours de manière insuffisante et sans jamais la définir, la teneur du principe contenu à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Les précisions apportées par le Conseil constitutionnel donnent parfois l’impression que la justification et l’explication du principe de séparation des pouvoirs français résident dans sa seule existence et qu’il suffit d’y faire référence pour constater une « dérogation au principe » 16. Contrairement à la situation française, en Allemagne, ce « dogme » constitutionnel vit son heure de gloire doctrinale et jurisprudentielle17, alors que la doctrine française est encore sous l’emprise de la théorie de la séparation des pouvoirs employée comme moyen de classification des régimes politiques et s’attache, malgré les incohérences, à conserver les adjectifs « souple » et « rigide », alors même que la condition d’un « bon gouvernement, qui garantit tous les droits en donnant toutes les libertés » consiste en ce que « les deux pouvoirs agissent de concert, sont en constante harmonie, et ne vivent pas isolés l’un de l’autre »18. Ou l’on déclare simplement, sans autre forme de procès, que la séparation des pouvoirs est une « superstition juridique », « un sanctuaire vide »19. Au même moment, sans être à la recherche frénétique d’un prétendu contenu, d’une substance, la doctrine publiciste et le juge constitutionnel allemands élaborent une véritable théorie de la séparation des pouvoirs.
Cette étude ne peut guère prétendre à un exposé et à une explication exhaustifs du principe et de ses concrétisations dans la pratique constitutionnelle allemande. Mais elle pourrait, on l’espère, éveiller une certaine curiosité dans le champ publiciste français en contribuant à la systématisation du principe de séparation des pouvoirs conçu par la Constitution du 4 octobre 1958. Car, sur ce point, le juriste allemand se trouve déjà bien avancé sur le « chemin périlleux du droit public »20. Comme si, après le rejet peu ou prou injustifié de la séparation des pouvoirs, la doctrine allemande cherchait à se racheter, ou bien comme si, enfin, les juristes avaient compris sinon la signification, du moins une des significations de la séparation des pouvoirs en tant que norme produisant des effets juridiques concrets, détachée des théories politiques et philosophiques dominant son histoire.
Avec la jurisprudence très riche de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, le principe accède au droit positif et révèle son caractère fonctionnel21. Le principe de séparation des pouvoirs, en tant que principe directeur du système constitutionnel, peut ainsi être défini comme une forme de distribution des fonctions et d’organisation de l’exercice du pouvoir d’État qui vise à garantir la protection de la liberté individuelle.
Dans la Loi fondamentale du 23 mai 1949, l’assise textuelle actuelle du Gewaltenteilungsgrundsatz (principe de séparation ou division des pouvoirs) se trouve dans l’article 20, alinéa 2. On n’y lit point de mention expresse, seulement l’idée d’une répartition du pouvoir étatique selon le triptyque classique : pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Les failles weimariennes sont utilisées par le constituant de 1949 afin d’élaborer un véritable système de freins et de contrepoids permettant l’équilibre entre les pouvoirs et réalisant, en même temps, un jeu dynamique complexe des moyens constitutionnels, de véritables armes d’attaque ou de défense, mis à disposition des organes investis des trois pouvoirs constitutionnels. L’article 20, alinéa 2 LF représente une base normative, qui, complétée par d’autres dispositions constitutionnelles, sert au juge constitutionnel afin qu’il sanctionne les violations portées au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.
Il convient à présent d’esquisser les problèmes soulevés par le sens du principe de séparation des pouvoirs (§1) pour pouvoir exposer les limites du sujet et le plan adopté (§2).
§ 1. Problématique.
Si le principe de séparation des pouvoirs est défini en tant qu’un système de freins et de contrepoids permettant de réaliser un exercice modéré du pouvoir d’État afin de garantir de manière optimale la protection la liberté de l’individu, le sens de la norme constitutionnelle concrète doit être explicitée. La finalité du principe, la modération de la puissance publique, est le leitmotiv qui constitue le fil rouge reliant les doctrines et configurations constitutionnelles du début du XIXe siècle à la structure actuelle de la Loi fondamentale ainsi qu’aux solutions concrètes livrées par le juge constitutionnel allemand.
La teneur, les modalités d’articulation, d’organisation du pouvoir d’État n’est en revanche pas marquée par la même stabilité. En premier lieu, il faut voir si la séparation des pouvoirs signifie la séparation du pouvoir unitaire de l’État (A). La polysémie du mot « pouvoir » permet de penser à la fois la séparation fonctionnelle et organique tout en employant la même expression (B). Après le stade de division des fonctions attribuées aux différents organes, on constate que le principe ne s’épuise pas dans le mouvement de séparation ou de division, mais cache un système complexe de freins et de contrepoids (C). Enfin, la règle de l’attribution non-exclusive des compétences dans le domaine d’un pouvoir peut se révéler problématique au regard de la théorie du noyau de compétences exclusif, développée par le juge constitutionnel allemand (D).
A. La séparation « des » pouvoirs n’est pas la séparation « du » pouvoir indivisible de l’État.
Le syntagme « séparation des pouvoirs », « Gewaltenteilung » ou « Teilung der Gewalten »22, fait référence à une séparation ou une division en plusieurs éléments. Ainsi, dans sa version française, la « séparation » consiste en l’action de séparer une chose d’une autre et suppose l’idée d’un espace qui se forme entre les deux entités séparées. L’idée d’éloignement est ici bien présente, tandis que l’expression allemande réussit de manière déguisée à traduire le culte de l’unité du pouvoir de l’État tout en admettant une division de celui-ci en plusieurs éléments. Mais la « Teilung » n’est pas exactement la « séparation ». La division, la « Teilung », est limitée à l’intérieur même de l’ensemble unitaire qui ne se trouve pas disloqué. Elle ne signifie pas que les éléments divisés n’ont pas de point de rencontre. Au contraire, ils sont dans un rapport de proximité, car ils n’ont pas encore atteint le stade de la séparation, du détachement. L’histoire de la notion de la séparation des pouvoirs en langue allemande fut aussi l’histoire de la recherche permanente de l’expression la mieux adaptée à la réalité constitutionnelle. Friedrich Julius Stahl, conservateur monarchiste, très actif à l’époque du Vormärz, s’aventure ainsi sur le terrain de la « division unitaire », la « Einteilung », terme intraduisible en langue française, dont la construction est permise grâce à la richesse de la langue allemande. Sous l’empire du principe monarchique, derrière les « querelles de mots », se cache la question de savoir si le rapport antagonique des deux légitimités concurrentes – celle du monarque et celle de la représentation – peut provoquer une véritable scission du pouvoir. Johann Caspar Bluntschli parle d’« isolation », de « discrimination » des pouvoirs (Sonderung der Gewalten), alors que certains, comme Carl Schmitt, préfèrent le terme de distinction (Unterscheidung) permettant de renforcer davantage le sentiment que l’on est face à un seul pouvoir indivisible à l’intérieur duquel il est possible de distinguer les différentes formes que revêt son action23.
B. La polysémie du mot « pouvoir ».
L’origine étymologique du terme « Gewalt » est probablement « anglo-saxonne » (« geweald, -wald »), est recouvre, dans le langage courant, de multiples significations : « pouvoir, force, puissance, efficacité, empire, règle, domination, ministère, gouvernement, juridiction, gouvernement, protection, potestas, facultas… »24.
Le principe de séparation des pouvoirs comporte le triptyque fonction-organe-compétence, qui ne se déploie que lorsque l’on accède à son contenu. Les « pouvoirs » ne doivent pas être entendus comme trois parties distinctes les unes des autres. « Les pouvoirs ne peuvent être ni aliénés, ni délégués », car si l’on pouvait « déléguer les pouvoirs en détail, il s’en suivrait que la souveraineté pourrait être déléguée, puisque ces pouvoirs ne sont autre chose que les diverses parties essentielles et constitutives de la souveraineté. »25
La polysémie du mot révèle tout son sens dans l’expression devenue un lieu terminologique banal désignant plusieurs éléments : les pouvoirs peuvent être les fonctions de la puissance publique, les organes chargés de ces fonctions et, enfin, les compétences attribuées à ces organes afin d’accomplir leurs fonctions26. Le terme de « pouvoir » permet par conséquent de penser les différents aspects de la séparation (organique, fonctionnelle et la séparation des compétences). Au regard de l’utilité pratique de l’expression, on décide de maintenir son emploi. Toutefois, il convient de souligner que l’identité terminologique ne signifie aucunement qu’il existe « une » séparation des pouvoirs, héritée de la doctrine libérale. Au contraire, l’usage de la même expression ne saurait pas cacher les phases, les métamorphoses du principe. Ici, « séparation des pouvoirs » désigne les modalités de distribution des pouvoirs et l’organisation de leur exercice.
C. Le principe ne s’épuise pas dans le mouvement de division, mais implique un système de freins et de contrepoids.
On trouve, déjà, dans le Fédéraliste, sorti de la plume de Jay, Hamilton et Madison27 une véritable explication du fonctionnement du principe qui semble être présente dans le raisonnement du juge constitutionnel allemand. Il s’agit de dépasser la conception superficielle afin de regarder derrière l’image que les mots « séparation des pouvoirs » envoient. C’est le seul moyen qui permette de créer un principe fonctionnel. Tant la doctrine actuelle que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale œuvrent, depuis les années 1950, dans ce sens.
Au lieu de se contenter des présupposés et d’approximations faussement conceptuelles, le juge constitutionnel tente de déployer toute la signification pratique du principe déduit de l’article 20, alinéa 2 LF. Ainsi, il ne s’agit plus seulement de chercher une coordination entre les organes et les missions qui leur sont confiées, mais de créer un rapport dynamique qui tend à résorber la tension entre les différents « pouvoirs ». Ce rapport dynamique est rendu possible par le système de freins et de contrepoids, qui innerve le corps de la Loi fondamentale et qui, tel qu’il est interprété par le juge, complète la construction du principe.
Le système de freins et de contrepoids consiste en l’existence de mécanismes de protection et de contrôle prévus par la Constitution. Ces « outils » ont deux finalités : subjective et objective. D’un point de vue subjectif, les armes constitutionnelles garantissent aux trois pouvoirs une sécurité relative contre la violation de leur domaine d’action. Ensuite, d’un point de vue objectif, l’application des mécanismes de protection et de contrôle tendent à maintenir l’équilibre institutionnel créé par la Loi fondamentale. La mise en œuvre de ces mécanismes signifie que, dans des cas précis, un organe aura soit la faculté de statuer sur une question, soit la faculté d’empêcher la mise en œuvre de la décision prise par un autre organe, ou encore il pourra effectuer un contrôle sur l’action d’un autre sans pourtant s’y substituer. La faculté d’empêcher n’équivaut par conséquent pas à une intrusion, à un empiètement dans le domaine de compétences d’un autre « pouvoir ». Il ne s’agit que de l’illustration d’un des éléments composant le principe de la séparation des pouvoirs : le contrôle mutuel tendant à la modération de l’exercice du pouvoir.
Malgré le système protégeant le domaine d’action de chacun des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, l’affirmation selon laquelle il existerait un ordre d’attribution exclusive des trois fonctions est fallacieuse. Ici, la règle « un organe – une fonction » ne trouve pas d’application.
D. Le principe de la séparation des pouvoirs ne signifie pas l’attribution exclusive d’un pouvoir à un organe déterminé.
La définition générale du Gewaltenteilungsgrundsatz ne doit point être entendue comme l’attribution exclusive des trois fonctions à trois organes ou groupes d’organes28. En effet, la définition selon laquelle la séparation constitutionnelle n’est pas absolue, mais suppose l’interpénétration, la collaboration et le contrôle réciproque en vue de modérer la puissance publique et de garantir la liberté de l’individu, se trouve précisée et complétée par le juge constitutionnel. Ainsi, il n’y a pas d’exclusivité dans l’exercice d’une fonction, mais une distribution la plus juste possible conformément à la composition, à l’organisation, aux compétences d’un organe en cause.
En l’absence de dispositions précises, et en cas de doute face au problème concret, la Cour procède à une mise en balance des éléments qui permettent à un organe de prendre, dans des conditions optimales, la décision publique la plus adéquate. Cette mise en balance n’exclut cependant pas qu’il y ait une sphère d’action, dont dispose chaque pouvoir, qui doit rester inaccessible, fermé pour les deux autres. Ce n’est que dans l’hypothèse d’une atteinte au « noyau de compétences exclusif » d’un pouvoir que le principe de la séparation des pouvoirs est violé et la transgression – sanctionnée. L’application du principe de justice fonctionnelle présente toute de même quelques aspérités. Il est en effet des situations, où il n’y a pas de mise en balance possible et d’attribution de la décision à l’organe le mieux placé, car l’acte, que doit prendre la puissance publique, implique l’intervention du législateur démocratique, le parlement. Ce dernier est obligé à pleinement épuiser sa compétence et ne pas décharger sa responsabilité de manière massive en autorisant le pouvoir exécutif à se substituer à son intervention.
La théorie de la décision substantielle est le moyen pour la Cour de constater l’obligation d’agir du pouvoir législatif. Le principe de justice fonctionnelle trouve ici ses limites. Comparée aux solutions livrées par le Conseil constitutionnel français en la matière, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale est infiniment plus riche et mérite un regard attentif. Les parallèles tracés entre la qualité argumentative du Conseil constitutionnel et de la Cour peuvent ouvrir de nouvelles voies de réflexion au public français.
§ 2. Délimitation du sujet et plan.
L’objet de l’étude est la construction doctrinale et jurisprudentielle du principe de la séparation horizontale des pouvoirs constitutionnels et sa concrétisation dans la pratique constitutionnelle allemande (A). Le plan sera articulé en fonction des deux grands axes qui permettent de cerner la signification du principe, ainsi que son application aux cas concrets (B).
A. L’objet de l’étude : la signification et l’interprétation du principe de séparation horizontale des pouvoirs constitutionnels.
Le principe de séparation verticale des pouvoirs, c’est-à-dire le principe fédéral, qui exige une répartition verticale des pouvoirs entre la Fédération, le Bund, et les États fédérés, les Länder, ne sera abordé que sous le point de vue de la séparation horizontale des organes fédéraux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Si le principe fédéral présente un intérêt indéniable, il n’est guère possible de se focaliser sur les rapports entre Bund et Länder. Avec le principe fédéral, on sortirait du cadre normatif de l’article 20, alinéa 2, deuxième phrase LF, qui constitue déjà à lui seul un matériau de réflexion quantitativement et qualitativement important. Cependant, la séparation verticale ne sera pas totalement absente : par le biais de l’organe original qu’est le Conseil fédéral, le Bundesrat, elle apparaît dans les rapports horizontaux en garantissant le principe fédéral au niveau du Bund. Le Conseil fédéral présente certaines spécificités : bien que participant à la législation fédérale, il s’agit d’un organe de composition exécutive, qui, dès lors, peut troubler, au premier abord, le paysage de la séparation horizontale des pouvoirs. Mais, après réflexion, il devient clair que le Bundesrat ne porte pas atteinte à la séparation horizontale. Au contraire, dans certaines hypothèses, il permet de maintenir l’équilibre institutionnel.
Les « autorités de régulation indépendantes »29 et autres formes nouvelles d’exercice du pouvoir ne seront pas l’objet de la recherche. Elles complètent la mosaïque composée des pouvoirs « classiques », mais ne répondent pas au critère principal retenu afin de délimiter le sujet : la légitimation démocratique fonctionnelle et institutionnelle qui signifie que « la constitution elle-même (…) a constitué les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire en tant que fonctions et organes distincts et spécifiques à travers lesquels le peuple exerce le pouvoir d’État qui émane de lui ». Il s’agit d’une légitimation exclusivement centrée sur l’organe et la fonction. Les pouvoirs, qui figurent dans l’article 20, alinéa LF, sont « démocratiquement habilités » à exercer le pouvoir d’État. Les autres formes d’exercice du pouvoir, qui ne tombent pas dans le champ d’application de cette définition, ne correspondent pas au sujet traité ici30.
B. Plan.
Les deux grands axes de réflexion sont la signification, puis la concrétisation de la norme de l’article 20, alinéa 2 LF. Ce n’est qu’en essayant de percer le secret de la signification de la norme et sa réaction lors de la confrontation aux cas concrets que l’on peut commencer à comprendre son sens.
Ainsi, on recherchera la signification et la construction du principe à partir des données historiques, doctrinales et jurisprudentielles pertinentes pour sa compréhension afin d’en tirer le sens donné par l’interprétation actuelle du juge constitutionnel, ainsi que le rang que le principe occupe dans l’édifice constitutionnel. Viendra ensuite la concrétisation par laquelle on tentera d’extraire une série de solutions ou de méthodes livrées par la jurisprudence ou par la doctrine susceptibles de contribuer à la systématisation du principe normatif de la séparation des pouvoirs, mais également à sa stabilisation dans l’ordre constitutionnel de la Loi fondamentale allemande.
Le plan sera par conséquent composé de deux parties :
Première partie : La construction doctrinale et jurisprudentielle du principe de séparation des pouvoirs.
Seconde partie : La concrétisation du principe de séparation des pouvoirs dans la pratique constitutionnelle allemande.
- Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, tr.fr. Georges Fardis (1911), vol. 2, réimpression LDGJ Diffuseur, 2005, p. 313. [↩]
- Matthias Cornils, « §20 Gewaltenteilung », in Otto Depenheuer/Chrisoph Grabenwarter (dir.), Verfassungstheorie, Mohr Siebeck, 2010, p. 657 : « (…) als Gegenstand rechtstheoretischer Betrachtung erscheint voller Reiz, aber zugleich auch als kaum lösbare Aufgabe ». [↩]
- Selon Armel Le Divellec, « L’articulation des pouvoirs dans les démocraties parlementaires européennes : fusion et mitigation », Pouvoirs, n°143, 2012, p. 123 : « La “séparation des pouvoirs” constitue le plus formidable “casse-tête” intellectuel posé aux analystes de la chose constitutionnelle. Aucun thème n’est plus central que celui-ci dans l’étude du droit et des constitutions politiques. Aucun, pourtant, n’offre davantage d’incertitudes sur le plan des concepts, des théories et des discours. (…) [T]out concourt à obscurcir chaque propos sur la “séparation des pouvoirs” ». [↩]
- Aristote, Les politiques, tr.fr. Pierre Pellegrin, 2e édition, GF Flammarion, 1993, p. 413 (VI, 1, 1316-b) et suiv.: « Combien il y a de variétés, et lesquelles, de la partie délibérative et souveraine de la constitution, ainsi que de la partie concernant l’organisation des magistratures et de la partie judiciaire ; laquelle de ces variétés est adaptée à quelle constitution (…). De plus il faut examiner les assemblages de toutes les variétés de parties dont nous avons parlé, car leurs combinaisons se recoupent, de sorte qu’il existe des aristocraties oligarchiques et des gouvernements constitutionnels passablement démocratiques ». Pour un panorama historique de la « constitution mixte », en langue allemande : Alois Riklin, Machtteilung. Geschichte der Mischverfassung, Wissenschaftliche Buchgesellschft, Darmstadt, 2006, p. 364 et suiv. ; Wilfried Nippel, Mischverfassungstheorie und Verfassungsrealität in Antike und früher Neuzeit, Klett-Cotta, Stuttgart, 1980, p. 159 et suiv., pour une étude de la réception de la théorie de la « constitution mixte », ou, encore, en langue anglaise : Kurt von Fritz, The Theory of the Mixed Constitution in Antiquity, Columbia University Press, New York, 1958. [↩]
- John Locke, Two Treatises of Government (1690), nouvelle édition, 1824, livre 2, chapter XII Of the legislative, executive, and federative power of the commonwealth, p. 216-217: « The legislative power is that, which has a right to direct how the force of the commonwealth shall be employed for preserving the community and the membres of it (…) legislative and executive power come often to be separated (…) There is another power in every commonwealth (…) and may be called federative ». [↩]
- De l’Esprit des lois paraît en 1748. Charles Eisenmann, « L’“Esprit des lois” et la séparation des pouvoirs », Mélanges en l’honneur de Raymond Carré de Malberg, Sirey, Paris, 1933, p. 165, p. 179, p. 188, essaie de démontrer que la lecture attentive permet de comprendre qu’il n’y a, chez Montesquieu, « ni séparation fonctionnelle ni séparation matérielle des autorités étatiques (…) l’idée de séparer les autorités étatiques est complètement absente de l’Esprit des lois (…) », mais une coordination des différents « pouvoirs » qui permet la modération de la puissance en vue de protéger la liberté (« […] par là-même serait assuré le gouvernement modéré, l’exercice tempéré du pouvoir politique »). [↩]
- Hans Fenske, « Gewaltenteilung », in Otto Brunner/Werner Conze/Reinhart Koselleck (dir.), Historische Grundbegriffe. Historisches Lexikon zur politisch-sozialen Sprache in Deutschland, vol. 2, E. Klett Verlag, Stuttgart, 1975, p. 935 : « Montesquieus “Geist der Gesetze” wurde in Deutschland schnell bekannt und übersetzt, erstmals 1753, zwei weitere Übersetzungen folgten bis zum Ausbruch der Revolution (…) ». Il faut signaler que Montesquieu s’est inspiré d’un auteur anglais, Lord Bolingbroke et de certains de ses essais qui traitaient de la division des pouvoirs : voir « Dissertation upon Parties » et « The Idea of a Patriot King », in David Armitage (éd.), Bolingbroke, Political Writings, Cambrige University Press, 1997. Voir encore Max Imboden, Montesquieu und die Lehre der Gewaltenteilung. Vortrag gehalten vor der Berliner Juristischen Gesellschaft am 27. Mai 1959, Walter de Gruyter, Berlin, 1959. [↩]
- L’œuvre de Montesquieu n’est pas vraiment reçue en Allemagne, mais elle n’est pas davantage exploitée par les hommes français de 1789. Le principe annoncé à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est, selon Michel Troper, La théorie du droit, PUF, coll. Léviathan, 2001, p. 102 « purement négatif, qui interdit seulement de confier tous les pouvoirs à une même autorité, mais qui ne prescrit pas un mode de répartition ou un autre ». L’inspiration jaillit d’ailleurs : pour Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social (1762), Gallimard, 1964, livre II, chapitre II, p. 190-191, la souveraineté est « indivisible » et « inaliénable », elle ne peut être divisée « dans son principe ». En revanche, les « politiques », comparés aux « charlatans », « la divisent dans son objet » : « en puissance législative et en puissance exécutive ». Cette division artificielle qui cause la perte même du souverain tend à en faire « un être fantastique et formé de pièces rapportés ». [↩]
- Johann Heinrich Gottlob von Justi, « Anhandlung von der Anordnung und dem Gleichgewichte der Hautpzweige der obersten Gewalt, worauf die Glückseligkeit und Freiheit des Staats hauptsächlich ankommt », in du même, Neue Wahrheiten zum Vortheile der Naturkunde und des gesellschaftlichen Lebens der Menschen, Leipzig, 1758, p. 706 : « Die Glückseligkeit des Staats, und die Freiheit der Bürger, berhuet hauptsächlich auf der vernünftigen Anordnung und dem Gleichgewichte der Hauptzweige der obersten Gewalt in der Grundverfassung des Staats ». [↩]
- Immanuel Kant, Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières, tr.fr. Jean-François Poirier et Françoise Proust, 1991, GF Flammarion, p. 86-87 (Zum ewigen Frieden. Ein philosophischer Entwurf, Königsberg, 1795). En suivant ce raisonnement, Kant qualifie le véritable régime démocratique de despotique. [↩]
- Metaphysische Anfangsgründe der Rechtslehre, Königsberg, 1797, p. 165 : « Ein jeder Staat enthält drei Gewalten in sich, d.i. den allgemein vereingten Willen in dreifacher Person (trias politica) : die Herrschergewalt (Souveränität), in der gesetzegebers, die vollziehende Gewalt, in der des Regierers (zu Folge dem Gesetz) und die rechtsprechende Gewalt, (als Zuerkennung des Seinen eines jeden nach dem Gesetz) in der Person des Richters (potestas legislatoria, rectoria et judiciaria) gleich den drei Sätzen in einem practischen Vernunftschluß (…) ». Dans la traduction française (partiellement utilisée et modifiée ici) de la Doctrine du droit (Métaphysique des mœurs, 1ère partie, Librairie philosophique Vrin, 1971 p. 195), Alexandre Philonenko préfère rendre l’expression « dreifacher Person » par « trois personnes ». Cependant, « dreifacher Person » ne signifie pas « drei Personen ». Or, cette dernière variante signifierait qu’il y a trois personnes distinctes l’une de l’autre au sein du même État. La « triple personne », elle, garde son caractère unitaire en même temps qu’elle se divise en trois éléments distincts chargés chacun d’une fonction précise. [↩]
- P. ex. : la théorie de la division des pouvoirs de Carl von Rotteck, libéral d’obédience kantienne. [↩]
- Matthias Cornils, « §20 Gewaltenteilung », in Otto Depenheuer/Chrisoph Grabenwarter (dir.), Verfassungstheorie, Mohr Siebeck, 2010, p. 657. [↩]
- P.ex. la notion de réserve de loi ou la théorie de la décision substantielle, éléments de la séparation des pouvoirs conçue par la Loi fondamentale de Bonn du 23 mai 1949 puisent leurs origines dans le XIXe siècle. V. première partie, titre 1er, chapitre 1er et titre second, chapitre 2. [↩]
- La thèse de Michel Troper consacrée à La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française (LGDJ, Paris, 1973) commence à dater, même si elle a bénéficié d’une réédition (La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française, coll. Anthologie du droit, LGDJ, 2014). Plus récent, un numéro de la revue Pouvoirs porte sur la séparation des pouvoirs (n°143, 2012). On peut également se référer à la contribution de Mauro Barberis, « La séparation des pouvoirs », in Michel Troper/Dominique Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, t. 1 (Théorie de la Constitution), Dalloz, 2012, p. 705-732, qui continent un panorama de la théorie politique de la séparation des pouvoirs et sa réception dans les systèmes constitutionnels anglais, américain, allemand et français. Le deuxième tome du même Traité, toujours sous la direction de Michel Troper et Dominique Chagnollaud, est consacré à la distribution des pouvoirs (Dalloz, 2012). L’ouvrage de Julien Boudon, Le frein et la balance. Études de droit constitutionnel américain, coll. Droit et Science politique, Éditions Mare et Martin, 2010, centré sur le droit américain, présente des aspets intéressants et une « nouvelle » lecture du système « rigide » états-unien. Toutefois, ce matériau doctrinal est loin d’épuiser la réflexion actuelle sur le principe de la séparation des pouvoirs. Plus éloignés dans le temps : Antoine Saint-Girons, L’Essai sur la séparation des pouvoirs dans l’ordre politique, administratif et judiciaire, Larose, Paris, 1881 et l’article de Léon Duguit, « La séparation des pouvoirs et l’Asssemblée nationale de 1789 », Revue d’économie politique, t. 7, février, avril et juin 1893, p. 99-132, 336-372, 567-515. [↩]
- : C.const., décision 86-224 DC du 23 janvier 1987, Rec., p. 8, créant une réserve de compétence au profit du juge administratif « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs », C.const., décision n°2008-562 DC du 21 février 2008, Rec., p. 89 liant « le principe de la séparation des pouvoirs » et « l’indépendance de l’autorité judiciaire » ; C. const., décision n°89-268 DC du 8 juillet 1989, Rec., p. 48, une des décisions les plus déconcertantes où l’on lit, dans un considérant expéditif, qu’ « il est de l’essence même d’une mesure d’amnistie d’enlever pour l’avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles (…) que la dérogation ainsi apportée au principe de la séparation des pouvoirs trouve son fondement dans les dispositions de l’article 34 de la Constitution » (cons. n°8). [↩]
- À côté de la jurisprudence très riche, qui sera étudiée ici, la séparation des pouvoirs reçoit un réel intérêt doctrinal outre-Rhin : il faut ainsi mentionner, parmi tant d’autres, l’ouvrage-recueil d’articles édité par Heinz Rausch : Zur heutigen Problematik der Gewaltentrnnung, Wege der Forschung, Darmstadt, 1969 ; les thèses de Norbert Achterberg, Probleme der Funktionenlehre, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, 1970 et de Gerhard Zimmer, Funktion, Kompetenz, Legitimation : Gewaltenteilung in der Ordnung des Grundgesetzes. Staatsfunktionen als gegliederte Wirk- und Verantwortungsbereiche, Duncker & Humblot, 1979. Ces dernières années, Christoph Möllers en a fait son objet d’étude de prédilection : outre son ouvrage Gewaltengliederung– Legitimation und Dogmatik im nationalen und übernationalen Rechtsvergleich, Jus publicum 141, XXII, Mohr Siebeck, Tübingen, 2005, on a, toujours de Möllers, Die drei Gewalten. Legitimation der Gewaltengliederung in Verfassungsstaat, Europäischer Integration und Internationalisierung, Velbrück Wissenschaft, 2008, ainsi que The Three Branches. A Comparative Model of Separation of Powers, Oxford University Press, 2013. La contribution de Matthias Cornils, « §20 Gewaltenteilung », in Otto Depenheuer/Chrisoph Grabenwarter (dir.), Verfassungstheorie, Mohr Siebeck, 2010, p. 657-702 ouvre également des pistes de réflexion très riches. [↩]
- Antoine de Saint-Girons, Essai sur la séparation des pouvoirs dans le droit public français, Paris, Larose, 1881, p.297, qui introduit la distinction entre « séparation absolue » et « fusion des pouvoirs » en qualifiant de « bon gouvernment le régime anglais. Pour cet auteur, c’est « aux États-Unis que la séparation des pouvoirs a été appliquée », car « les pouvoirs vivent isolés l’un de l’autre » (p. 298). Aujourd’hui, la doctrine française majoritaire identifie le régime états-unien à un système de séparation « rigide » des pouvoirs. La source commune des analyses des publicistes français est l’ouvrage d’Adhémar Esmein, Éléments de droit constitutionnel, 1e éd., Larose, Paris, 1896. Pour Esmein, Éléments de droit constitutionnel, 6e éd., Sirey, 1914, p. 465, la Constitution de 1787 est une de « celles qui appliquent le plus rigoureusement le principe de la séparation des pouvoirs », ou encore « aussi strictement que possible ». Sur ce point, on se reportera à l’essai de Julien Boudon, « Le mauvais usage des spectres. La séparation “rigide” des pouvoirs », Revue française de droit constitutionnel, 2009, p. 247-267, qui fait l’inventaire des manuels français de droit constitutionnel pour constater que partout le principe de la séparation « souple » et « rigide » a pénétré ces ouvrages, qui, pour certains, ressentent un « malaise » lorsqu’ils emploient cette division, mais qui ne manifestent pas pour autant la volonté de sortir de l’aporie ; ou encore aux développements d’Élisabeth Zoller, Droit constitutionnel, 2e édition, 1999, p. 296 : « (…) contrairement aux lieux communs de la doctrine constitutionnelle française, il convient de parler non pas d’une séparation rigide, mais d’une collaboration des pouvoirs entre eux ». [↩]
- Carlos-Miguel Pimentel, « Le sanctuaire vide : la séparation des pouvoirs comme superstition juridique ? », Pouvoirs, n°102, 2002, p. 119 : « (…) il s’agit de voir si la séparation des pouvoirs (…) n’est pas tout simplement une notion vide de tout contenu ». [↩]
- « Auf der gefahrenvollen Straße des öffentlichen Rechts »: l’auteur de la phrase est Carl Schmitt. Il l’adressa à son ami Rudolf Smend. En 1938, ce dernier fut le dédicataire du Léviathan schmittien (Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes : Sinn und Fehlschlag eines politischen Symbols (1938), 5e éd., Klett-Cotta, 2015) : « À mon compagnon le plus fidèle sur le chemin périlleux du droit public» (Meinem besten Weggenossen auf der gefahrenvollen Straße des öffentlichen Rechts) (voir les remarques de Reinhard Mehring,“Auf der gefahrenvollen Straße des öffentlichen Rechts”. Briefwechsel Carl Schmitt – Rudolf Smend [1921-1961], 2e édition, Duncker & Humblot, 2012, p. 8). [↩]
- Pour une vue générale sur la notion fonctionnelle : Guillaume Tusseau, « Critique d’une métanotion fonctionnelle. La notion (trop) fonctionnelle de “notion fonctionnelle” », Revue française de droit administratif, 2009, p. 641 et suiv. : « Lato sensu, une notion dite “fonctionnelle” est une notion qui remplit, dans un contexte donné, une fonction. (…) Stricto sensu, l’expression est destinée à caractériser un type particulier de notion, dont la spécificité serait d’être, par opposition à d’autres types de caractéristiques, “fonctionnelle” ». Dans ce sens, la notion fonctionnelle se construit par opposition aux notions organiques. [↩]
- Christoph Möllers décide d’utiliser le terme encore plus nuancé de « Gewaltengliederung » qui signifie « organisation des pouvoirs » (Gewaltengliederung – Legitimation und Dogmatik im nationalen und übernationalen Rechtsvergleich Mohr Siebeck, Tübingen, 2005). [↩]
- Sur le rôle idéologique du principe de séparation des pouvoirs et l’opposition entre libéraux et conservateurs : v. première partie, titre 1er, chapitre 1er. [↩]
- Pour la signification du mot dans le langage courant, on renvoie à l’entrée « Gewalt » dans le Deutsches Wörterbuch von Jacob und Wilhelm Grimm, t. 4, vol. 6, Verlag von S. Hirzel, Leipzig, 1878. [↩]
- Maximilen de Robespierre, Archives parlementaires de 1787 à 1860, t. 29, p. 326, dont le plaidoyer pour l’indivisibilité des pouvoirs et la délégation des fonctions rappelle les théories du XIXe siècle allemand marqué par l’attachement au principe monarchique et au caractère indivisible de la souveraineté ; La Constitution française. Projet présenté à l’Assemblée Nationale par les Comités de Constitution et de Révision (annoté par Robespierre), Paris, 1791, p. 12 : « le pouvoir doit être bien distingué des fonctions, la nation délègue en effet les différentes fonctions publiques, mais le pouvoir ne peut être aliéné ou délégué ». [↩]
- Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, vol. 1 (1920), réimpression, Dalloz, 2004, p. 258, note n°1, met en garde : « Cette distinction si simple entre le pouvoir, ses fonctions, ses organes, se trouve malheureusement obscurcie par le langage usité en matière de pouvoir, langage qui est tout à fait vicieux. Dans la terminologie vulgaire, et jusque dans les traités de droit public, on emploie indistinctement le mot “pouvoir” pour désigner tour à tour, soit le pouvoir lui-même, soit ses fonctions, soit ses organes ». Il faut ici ajouter les compétences, car séparer les organes signifie également séparer leurs compétences respectives. V. également Constance Grewe/Hélène Ruiz-Fabri, Droits constitutionnels européens, PUF, 1995, p. 360 : « (…) la séparation des pouvoirs, ou ce qu’il est convenu d’appeler tel avec un certain abus de langage (on pourrait préférer le terme de distribution des pouvoirs qui est plus exact mais il n’est pas inutile de conserver le vocabulaire communément employé), va apparaître aux yeux des contemplateurs comme un moyen adéquat pour atteindre l’idéal politique défini par la réflexion philosophique de l’époque : garantir la liberté concrète des sujets ». [↩]
- Alexander Hamilton/John Jay/James Madison, Le Fédéraliste, tr.fr. Anne Amiel, Classiques Garnier, 2012. [↩]
- Dans le même sens, Charles Eisenmann, « L’“Esprit des lois” et la séparation des pouvoirs », in Mélanges en l’honneur de Raymond Carré de Malberg, Sirey, Paris, 1933, p. 171 : « Ainsi, aucune des trois autorités n’est à la fois attributive de l’intégralité d’une fonction, maîtresse de cette fonction et spécialisée dans cette seule fonction (…) ». [↩]
- Sur les modèles français et allemand des « autorités de régulation indépendantes » : Gérard Marcou/Johannes Masing (dir.), Le modèle des autorités de régulation indépendante en France et en Allemagne, Société de législation comparée, 2011. [↩]
- Sur les différentes formes de légitimation démocratique : Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Principes de la démocratie, forme politique et forme de gouvernement », in du même, Le droit, l’État et la Constitution démocratique. Essais de théorie juridique, politique et constitutionnelle, tr.fr. Olivier Jouanjan, Bruylant/LGDJ, 2000, p. 278-293, spécialement p. 280-283, où Böckenförde opère la distinction entre les différentes légitimités : institutionnelle et fonctionnelle, organisationnelle-personnelle, et objective-matérielle. [↩]
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