[Note de l’auteur : La période du Vormärz s’étend de 1815 et le Congrès de Vienne au mouvement révolutionnaire qui se propage dans les États allemands en 1848/1849].
La Charte française du 4 juin 1814 proclame que « (…) bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne du Roi, nos prédécesseurs n’avaient point hésité à en modifier l’exercice (…) »1. Le préambule de la Charte semble « remarquablement ignorer les événements de l’espace temporel 1789-1814 » : le roi revient « après une longue absence » afin d’octroyer, par sa libre volonté royale et en suivant les vœux de ses sujets, une constitution qui restaure le rôle premier du monarque en tant que détenteur de l’intégralité du pouvoir d’État, mais garantit en même temps la participation du peuple à son exercice2.
Les formulations de la Charte de 1814 sont d’abord un point d’inspiration important pour les constitutions des pays du Sud allemand avant que le « principe monarchique »3 ne soit proclamé par l’article 57 de l’Acte final du Congrès de Vienne de 1820, dont l’objectif est de créer un système constitutionnel fédéral homogène et de sauvegarder l’unité du pouvoir d’État détenu par le monarque en limitant la participation des assemblées d’états à l’exercice du pouvoir (§ 1).
En apparence, le principe de séparation des pouvoirs est incompatible avec le schéma constitutionnel allemand. Il est perçu par la doctrine majoritaire comme un danger pour la stabilité de l’État et son éventuelle introduction est souvent dessinée comme l’application d’un principe de destruction qui n’a pas d’autre finalité que le morcellement définitif du pouvoir étatique. Cette image de principe nourrit le rapport antagonique avec le principe monarchique présenté comme la « contre-théorie » de la séparation des pouvoirs (§ 2).
§ 1. Le principe monarchique comme moyen de sauvegarder l’unité du pouvoir d’État.
Le principe monarchique n’est rien d’autre qu’une nouvelle manière d’affirmer la souveraineté monarchique4 afin de la préserver de la création de véritables représentations populaires et de l’immuniser contre le principe démocratique. Il n’y a pas de place pour le principe de la séparation des pouvoirs là, où le monarque détient l’intégralité du pouvoir et gouverne de manière effective (A). L’interprétation restrictive de la notion de « constitution prévoyant des assemblées d’états » (landständische Verfassung) livrée par le chancelier Metternich et le conservateur Friedrich von Gentz ne permettent pas de penser un véritable partage dans l’exercice du pouvoir (B).
A. Le monarque détient l’intégralité du pouvoir d’État.
Le principe monarchique est le point commun entre le courant constitutionnel dans les pays de l’Allemagne du Sud et le modèle de la Charte française de 18145. La Constitution de Bavière de 1818, puis les Constitutions de Bade de la même année, de Wurtemberg de 1819, de Hesse-Darmstadt de 1820 et, enfin, l’article 57 de l’Acte final de la conférence de Vienne de 1820 formulent le principe selon lequel le « pouvoir d’État tout entier doit rester réuni dans le chef de l’État et le souverain monarchique ne saurait être soumis par la Constitution landständisch à la participation des états que pour l’exercice de certains droits »6. Il y a pourtant une différence entre les constitutions de la première vague du constitutionnalisme sud-allemand et l’Acte final : si les premières s’inspirent du modèle de la Charte de 1814 en réservant au monarque une place de premier ordre, tout en essayant d’ouvrir la voie à l’existence d’assemblées élues représentant le peuple pris dans son ensemble, l’article 57 est entendu de manière restrictive et au détriment des assemblées, qui ne doivent être appelées que dans certains cas et qui ne disposent pas de véritables compétences face au monarque. Il ne s’agit pas d’organes accomplissant une mission de représentation populaire. L’objectif de l’article 57 fut d’éradiquer toute concurrence de légitimités, et donc prétention à l’exercice du pouvoir, entre monarque et assemblées.
Dans les premières décennies du XIXe siècle, il n’est pas question de laisser s’infiltrer dans les pays allemands les idées dangereuses de la Révolution française. Le principe de souveraineté nationale, le principe représentatif ou le principe de séparation des pouvoirs hantent les esprits des hommes politiques allemands, car ils sont identifiés à l’impossibilité d’avoir un gouvernement stable et efficace, et ont comme conséquence la destruction de l’État tout entier. Le principe monarchique, qui permet de sauvegarder le pouvoir d’État, sert de remède théorique contre la nouvelle conception de la société et de l’État qui se propage en Allemagne et en Europe.
En vertu de la « formule vide »7 du principe monarchique, le roi règne, mais il n’est plus illimité dans l’exercice du pouvoir. L’étau constitutionnel se resserre autour des princes allemands, qui acceptent d’être limités par un texte constitutionnel octroyé ou résultant d’un pacte. Suivant la lecture libérale de l’acte constituant, dans les deux cas de figure, le monarque ne peut plus arbitrairement décider du sort de la constitution, que celle-ci soit le résultat de l’acte unilatéral qu’est l’octroi ou bien qu’elle prenne la forme d’un acte bilatéral, le pacte8, car « même si elle est octroyée », la constitution « est garantie par le monarque et son engagement à la maintenir, en tant que promesse, n’est pas moins grand que si cet engagement résultait d’un pacte »9. « La structure logique du pouvoir constituant du monarque est dialogique », car, dans l’esprit des libéraux, l’acte constituant fait naître « un engagement » du monarque à l’égard de ses sujets10.
Le régime de la monarchie « konstitutionell »11 allemande doit limiter le monarque qui, cependant, ne peut guère être affaibli. Le principe directeur de ce « type » monarchique allemand est le principe monarchique12. En vertu de ce dernier, le prince détient l’intégralité du pouvoir d’État malgré la limitation que lui impose l’acte constituant auquel il a lui-même consenti13. La constitutionnalisation auto-limitative du pouvoir du roi est la première étape décisive du processus d’effondrement du modèle monarchique ancien. Afin de tenter de résister à ce mouvement tentaculaire, qui envahit l’Europe, la monarchie allemande montre sa totale défiance avant tout envers le principe de la souveraineté populaire, mais en prenant pour cible le principe de séparation ou division des pouvoirs. Le nouveau rôle des assemblées d’états tend à mettre fin à l’ancienne conception d’une société d’ordres particuliers et à les transformer en véritables chambres représentatives du peuple pris dans son ensemble. Ce changement annonce l’apparition d’un nouveau sujet institutionnel, basé sur le principe représentatif, capable de s’opposer à la volonté monarchique et susceptible de constituer un organe politique participant non plus par sa simple fonction consultative au gouvernement de l’État, mais disposant de compétences effectives. Ces assemblées d’états de nouveau type incarnent, dans l’imaginaire des conservateurs, la menace immanente pour l’ordre politique et social établi. Elles sont le moyen le plus simple d’introduire le principe de séparation des pouvoirs sur le sol allemand.
Après le Congrès de Vienne, la « constitution représentative », celle, qui prévoit la participation des assemblées d’états (élues ou non) aux affaires de l’État, se transforme en une « notion idéologique » (Kampfbegriff)14. « La question centrale de tous les débats sur la “constitution” au XIXe siècle fut celle de la place des représentations populaires. »15.
B. L’interprétation restrictive des constitutions « landständisch » et l’identification de la séparation des pouvoirs au principe de souveraineté populaire.
Le parallèle avec la Charte de Louis XVIII n’est plus possible après 1820. En France, l’affirmation de l’unité du pouvoir d’État n’exclut pas le rôle croissant des chambres, qui ne sont pas dotées de simples compétences consultatives, mais peuvent effectivement empêcher le cours normal de la procédure législative. Ce n’est pas le cas du système constitutionnel allemand, qui n’admet pas la « marginalisation »16 du monarque au profit des assemblées d’états. L’appui textuel de l’existence des assemblées: l’article 13 de l’Acte de la Confédération germanique du 8 juin 1815 dispose que « dans tous les États confédérés, il y aura une constitution prévoyant des assemblées d’états » (landständische Verfassung)17. L’Acte de la Confédération n’impose pas un délai maximal pour la transposition de cette exigence au niveau des États confédérés18 et ne précise pas davantage la signification de la notion d’« assemblées d’états »19. Quelques années plus tard, sous l’influence du chancelier autrichien Metternich, l’article 57 de l’Acte final de 1820 crée une « réserve constitutionnelle générale » au profit du monarque20. En l’absence de texte précis et en cas de doute sur les compétences respectives du monarque et des assemblées, il convient d’adopter une interprétation favorable au roi. L’article 57 minimise ainsi l’avancée marquée par l’article 13 de l’Acte de la Confédération germanique.
Au refus de doter les assemblées de véritables compétences constitutionnelles s’ajoute l’incertitude quant à leur teneur institutionnelle. En effet, deux interprétations sont possibles. Les assemblées d’états sont les héritières des anciennes assemblées réunissant les ordres (Stände) au sein du Saint-Empire romain germanique. Il s’agit ainsi d’une représentation par ordres. L’ultra conservateur Friedrich von Gentz, collaborateur de Metternich, croit livrer « la véritable interprétation de l’article 13 »21 et de l’expression « landständische Verfassung » dans le mémorandum préparatoire au Congrès de Karlsbad. Elle implique un droit de participation à la législation de l’État en général ou, s’agissant des branches particulières de celle-ci, « un droit de conseil, d’approbation, de contre-proposition ou de toute autre forme de participation conforme à la constitution exercée par les membres ou députés des ordres existants »22.
Ces deux lectures diamétralement opposées reflètent les différences profondes entre deux modèles concurrents: le modèle ancien, celui de la souveraineté monarchique et de l’unité du pouvoir d’État, dans lequel le peuple, composé de sujets répartis en différents ordres particuliers, n’a pas d’existence juridique autre que celle que lui reconnaît le monarque, et le modèle nouveau, portant le souffle démocratique de la Révolution française, qui fait des représentations populaires une force à part entière apte à s’opposer au monarque.
L’apparition des représentations populaires, en Angleterre, ensuite en France, est perçue par les auteurs conservateurs comme Gentz comme la conséquence des mouvements de la société civile qui causent la destruction de l’État. Dans les États, où ces mouvements néfastes ne voient pas le jour, la seule possibilité de créer des représentations populaires est la volonté arbitraire du prince23. Pour les conservateurs, l’assemblée d’états-représentation populaire a un autre défaut impardonnable : elle suppose l’application du « soi-disant principe de division des pouvoirs » (Theilung der Gewalten)24. Ce dernier est la pièce maîtresse de « la théorie du système représentatif ». Le constat de Gentz ne laisse aucun doute : le principe de division des pouvoirs mène, « partout et toujours, à l’anéantissement total de toute puissance, et par conséquent à un état de complète anarchie »25. Dans les discours des conservateurs du Vormärz, le principe de séparation des pouvoirs, identifié à la souveraineté populaire, ne peut que faire l’objet d’un rejet catégorique.
L’ « interprétation traditionnelle du rôle et des droits constitutionnels des assemblées représentatives » oppose les juristes libéraux aux auteurs conservateurs26. Dans la discorde, un point est commun à ces deux camps politiques : le principe de séparation des pouvoirs doit être rejeté car il est le cheval de Troie de la souveraineté nationale et du gouvernement représentatif, et finit immanquablement par détruire l’appareil étatique.
§ 2. Le principe monarchique comme « contre-théorie »27 du principe de séparation des pouvoirs ?
En vertu de l’article 57 de l’Acte final, base normative du principe monarchique, le monarque, « en tant que chef de l’État, réunit en lui le pouvoir d’État dans son ensemble ». Les publicistes conservateurs et libéraux sont d’accord sur le principe du caractère unitaire du pouvoir. Même si les modalités d’exercice de ce pouvoir unitaire peuvent donner lieu à des controverses doctrinales et à différentes interprétations de la part du camp conservateur ou de celui des libéraux, les deux s’accordent sur l’exclusion du principe de séparation ou de division des pouvoirs du système constitutionnel allemand. La volonté de démontrer l’incompatibilité entre unité du pouvoir d’État et principe de séparation est plus nette chez les auteurs conservateurs monarchistes que chez les juristes de tendance libérale (A). Toutefois, il convient de modérer cette position, car le principe de séparation n’entraîne pas nécessairement, contrairement à ce que croit la majorité de la doctrine publiciste du Vormärz, la dislocation du pouvoir d’État (B).
A. L’incompatibilité entre l’unité du pouvoir d’État et le principe de séparation des pouvoirs.
La modération du pouvoir n’est pas la conséquence d’une séparation ou d’une division de celui-ci. Pour les publicistes allemands, la modération est le résultat non pas d’une division du pouvoir, mais de la place que prennent les assemblées d’états dans l’architecture constitutionnelle du Vormärz. L’idée d’ « une division du pouvoir d’État » est « incompatible avec le droit public des États unis au sein de la Confédération germanique »28. L’accord de conservateurs et libéraux29 n’est que « négatif » : « le système “konstitutionell” allemand ne repose pas sur le dogme de la séparation des pouvoirs » ((Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne (1815-1860) », art. précit., p. 272. )). Le point de divergence majeur des deux camps doctrinaux, déjà mentionné ci-dessus, se trouve dans le rôle des assemblées d’états.
Selon le libéral modéré Johann Christoph von Aretin (1773-1824)30, « la division unitaire (Eintheilung) des pouvoirs n’est pas, en soi, d’une aussi grande importance, elle ne le devient que si de la répartition on déduit la nécessité d’une séparation (Trennung) ». Les notions de division unitaire et de séparation sont, dans le vocabulaire de Aretin, deux réalités distinctes.
Le pouvoir ne peut pas être divisé, car le pouvoir suppose la volonté liée à la puissance. Aucun des deux éléments ne peut manquer quand un pouvoir doit exister. (…) Il n’existe par là qu’un seul pouvoir étatique qui ne peut être divisé, qui ne peut être contrebalancé par un autre pouvoir, mais qui peut être limité, à l’instar de l’océan qui ne peut être contrebalancé par un autre océan, mais qui peut être limité par la terre ferme31.
Le terme choisi met en exergue toute la difficulté qui consiste dans le mouvement de division qui doit cependant rester unitaire : « Eintheilung ». Il ne s’agit guère d’une simple « Theilung » (division ou partage), mais d’une répartition dans l’unité32. Le terme de « Eintheilung » est souvent utilisé par les publicistes allemands. Il porte en soi à la fois l’idée d’unité (Ein) et de division (Theilung). Avec « Eintheilung », il devient possible de penser la division sans toucher au caractère unitaire du pouvoir. La division n’exige pas forcément la séparation des pouvoirs. La question centrale est de savoir si, au sein même de l’État, il existe plusieurs pouvoirs. Si la réponse était négative, dans ce cas « la théorie de la répartition des pouvoirs perdrait tout intérêt pratique » ((Johann Christoph Freiherr von Aretin (1773-1824), Staatsrecht der konstitutionellen Monarchie. Ein Handbuch für Geschäftsmänner, studierende Jünglinge, und gebildete Bürger, vol. 1, 1e édition, Altenburg, 1824, p.172 : « Die Eintheilung der Gewalten ist nicht an sich selbst von so großer Wichtigkeit, sir erlangte dieselbe erst dadurch, daß man aus jener Eintheilung eine Nothwendigkeit der Trennung folgerte (…) Zeigt es sich, daß diese Frage verneint werden muß, so verliert die Theorie der Gewalteneintheilung von selbst alles praktische Interesse». )). L’argumentaire de Aretin en faveur de l’unité du pouvoir d’État comporte deux étapes. Premièrement, il définit « le pouvoir d’État » comme « le pouvoir qui garantit le règne de la loi » et qui est préalablement transféré par le peuple au monarque. Deuxièmement, il explique que le peuple n’a sauvegardé aucun pourvoir afin de l’exercer lui-même, car le transfert concerne l’intégralité du pouvoir exercé désormais par le monarque. Il ne peut y avoir qu’un seul pouvoir d’État, car si on acceptait l’existence de plusieurs pouvoirs, il faudrait qu’ils soient tous sur le même pied d’égalité, ou bien qu’un seul soit érigé en pouvoir supérieur aux autres. La première proposition signifierait un état de tension et source de conflits entre les différents pouvoirs, qui pourrait « ébranler » (erschüttern) l’État tout entier jusqu’au moment de « la victoire de l’un d’entre eux », tandis que la seconde ne pourrait se traduire que par le constat de l’unité du pouvoir33. Le principe de division des pouvoirs n’a donc pas d’intérêt pratique. Il n’est qu’un artifice qui nie l’unité en prétendant qu’il existerait trois pouvoirs distincts : la législation, la justice et l’exécution. Johann Christoph von Aretin nomme d’ailleurs la suite du paragraphe consacré à l’unité du pouvoir d’État (Einheit der Staatsgewalt) : « Examen détaillé des soi-disant pouvoirs d’État » (Beleuchtung der einzelnen sogennanten Staatsgewalten)34.
Dans le même sens, Karl Pölitz (1772-1838), un libéral qui n’est « partisan ni de la souveraineté du peuple, ni du partage des pouvoirs » ((Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), Dalloz, 2014, p. 203 et suiv. )), explique que le pouvoir unitaire comporte des sub-divisions ou différentes parties formant un tout qui ne saurait être divisé. La « raison » (Vernunft) ne peut point concevoir l’existence de plusieurs pouvoirs : le pouvoir d’État ne peut être qu’un seul pouvoir caractérisé par son unité35. Ce « pouvoir suprême de l’État » comporte cependant deux parties (Theilen) distinctes : le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, le pouvoir juridictionnel « appartenant à l’administration de l’État ». Pour Pölitz, « il n’y a aucune trias politica, contrairement à ce qu’affirme un grand nombre de Britanniques, Français ou Allemands (…) »36. La « division » (Theilung) du pouvoir « ne signifie cependant jamais une séparation (Trennung) des parties qui composent celui-ci »37. Le principe de division ne constitue par conséquent aucune menace pour l’unité du pouvoir.
Selon cette grille de lecture, la séparation des pouvoirs est synonyme de « dislocation du pouvoir »38. Ainsi, selon le conservateur monarchiste Friedrich Julius Stahl (1802-1861)39, le pouvoir d’État est, « d’après sa nature », « indivisible »40. Comme Aretin, il emploie le même substitut terminologique, susceptible de traduire l’idée unitaire du pouvoir : « Einteilung der Staatsgewalt », « répartition, organisation unitaire, sub-division de la puissance de l’État, l’accent étant mis sur l’unité »41. Mais Stahl saisit la difficulté du concept de l’unité du pouvoir d’État exclusif de toute division. Il convient alors d’imaginer une notion, qui répond à la fois à l’exigence de l’unité, et qui ne permet pas l’introduction, trop dangereuse, du principe de séparation des pouvoirs. Il faut réussir à rendre possible une répartition dans le cadre unitaire imposé par le principe monarchique :
Le pouvoir d’État est, d’après sa nature, un et indivisible, tout comme la personnalité ou la volonté. Il ne peut pas être divisé (zertheilt) en plusieurs pouvoirs ou parties, mais doit former un tout indivisible, une seule personne (il peut ainsi s’agir d’un prince ou d’une assemblée, ou bien des deux pris en tant qu’un ensemble indivisible). Dans cette unité, le pouvoir d’État signifie la souveraineté (…). Cependant, l’exercice de la souveraineté est conditionné et suppose l’existence de divers organes soumis au souverain dont ils sont plus ou moins indépendants (…). C’est précisément le pouvoir d’État qui modifie ou adopte une loi (législation), ou bien qui gouverne en vertu de la loi et conformément à la loi (gouvernement), ou encore qui s’immisce dans la sphère privée de l’individu afin de mettre fin à la violation de la loi (justice). Sur cela est fondée la répartition unitaire de la puissance de l’État (Eintheilung der Staatsgewalt)42.
Les « soi-disant » pouvoirs, ils n’existent pas vraiment, ou, en tout cas, ils ne pourraient pas exister dans l’imaginaire d’auteurs d’obédiences politiques aussi différentes que Gentz ou Aretin. Ces derniers regardent le principe de division des pouvoirs à travers le prisme du principe monarchique. Pour les conservateurs, admettre l’existence de plusieurs pouvoirs équivaudrait à une reconnaissance des assemblées représentatives en tant qu’organes détenant et exerçant, à côté du monarque, une partie du pouvoir d’État. C’est cette reconnaissance qui leur est impossible : elle signifie la fin du régime de la monarchie limitée. Admettre le partage du pouvoir causerait la perte de la toute-puissance du monarque, car ce dernier ne disposerait plus de pouvoirs seulement limité par l’acte constitutionnel auquel il a lui-même consenti. Son pouvoir ne serait par conséquent plus limité, mais partagé avec les assemblées représentatives. Pour les libéraux, le partage du pouvoir est la finalité de la reconnaissance du caractère représentatif global des assemblées. Pas de séparation, mais un partage du pouvoir tout en sauvegardant son unité.
B. Le rejet du principe de séparation des pouvoirs : un malentendu conceptuel ?
L’impossibilité de dépasser l’idée de l’identification du principe de séparation des pouvoirs à la souveraineté populaire est la raison du refus catégorique du principe. Pour les monarchistes, la volonté de créer une représentation de type moderne est nécessairement appuyée par une revendication des assemblées de posséder une parcelle du pouvoir d’État. Les théoriciens libéraux, eux, ne voient pas l’utilité d’introduire le principe de division afin de garantir la modération du pouvoir. Les assemblées d’états peuvent modérer le pouvoir du prince. L’absence théorique de division ne peut cependant pas cacher l’existence réelle d’une multitude de fonctions étatiques. La difficulté consiste alors à concilier l’unité du pouvoir et l’existence de ces différentes fonctions. Les critiques massives sont adressées au principe de séparation des pouvoirs, car il est inconcevable qu’il existe, dans la monarchie limitée, des pouvoirs agissant de manière complètement autonome, voire contre la volonté du monarque. Penser les différentes fonctions sans porter atteinte à l’unité du pouvoir devient le pari de la doctrine publiciste allemande.
Ainsi, Romeo Maurenbrecher (1803-1843)43, dans son ouvrage Grundsätze des heutigen deutschen Staatsrechts (Principes du droit public actuel), qui fait par ailleurs l’objet de vives critiques à cause de sa conception patrimoniale de l’État44, insiste sur le caractère unitaire du pouvoir45, mais avec davantage de modération. Il ne nie pas l’existence d’une trias politica, même s’il en modifie légèrement le contenu traditionnel : à côté des pouvoirs législatif et exécutif, on trouve le pouvoir « d’inspection ». Maurenbrecher distingue « trois fonctions » (drei Functionen) auxquelles correspondent trois pouvoirs (Hoheitsrechte, Gewlten). Ces trois fonctions représentent les directions que prend l’action de l’État afin d’accomplir les missions qui lui sont assignées46.
La répartition, qui réussit à maintenir l’unité du pouvoir, n’est pas le résultat d’une division de la substance du pouvoir lui-même. Elle n’est que la conséquence logique de la diversité des missions exercées au sein de l’État. La législation, le gouvernement ou la justice sont en effet les missions d’un « seul et même pouvoir ». La répartition existe, mais elle n’a pas comme finalité de nier le caractère unitaire du pouvoir. Selon Stahl, les différentes fonctions ou missions de l’État ne peuvent aucunement être qualifiées de « pouvoirs propres » (eigne Gewalten)47.
Même si l’exercice de l’intégralité des fonctions n’est pas assuré de manière exclusive par le monarque, il n’est point question d’une séparation, mais d’une sub-division de l’unité de la puissance. Ainsi, grâce à son habileté sémantique, Stahl croit préserver le caractère unitaire du pouvoir et son unique détenteur, le monarque, tout en rendant possible une participation des assemblées à l’exercice du pouvoir. En réalité, c’est toujours contre le principe de la souveraineté populaire et son « importation » sur le sol allemand que luttent les monarchistes allemands. L’adversaire immédiat et redoutable du principe monarchique, et, par conséquent, de l’unité du pouvoir d’État, n’est pas le principe de séparation des pouvoirs. Cet ennemi, qui peut ronger la monarchie, c’est le principe de la souveraineté populaire, dont l’affirmation ouvre la voie au régime parlementaire. L’identification du principe de séparation des pouvoirs à la souveraineté populaire est la conséquence d’une lecture confuse de ces deux principes. Ce que Gentz, Aretin ou Stahl refusent ou ne réussissent pas à comprendre, c’est que le principe de la séparation des pouvoirs ne signifie pas la fin de la stabilité monarchique. Certes, principe monarchique et souveraineté populaire sont antagoniques, mais le refus de la séparation des pouvoirs ne peut être la conséquence directe de cette opposition entre deux modèles de gouvernement. L’affirmation de l’un ou de l’autre de ces principes ne renseigne guère sur « les modalités de répartition des fonctions ou sur les moyens de limiter les compétences de la puissance publique ». Le « lien » entre « souveraineté populaire et séparation des pouvoirs » existant dans le débat publiciste allemand fut un « malentendu »48.
Il s’agit d’un puissant malentendu, qui enflamme tant les auteurs conservateurs que les publicistes de tendance libérale, qui s’accordent pour dire que le principe de séparation des pouvoirs constitue une menace directe pour le pouvoir unitaire de l’État.
La lutte idéologique qui oppose l’unité à la division du pouvoir d’État, ne serait-elle, finalement, une affaire de malentendus conceptuels ? Le principe de séparation (Trennung) ou de division (Teilung)49 des pouvoirs est instrumentalisé avec un succès relatif à des fins différentes. Pas de séparation des pouvoirs chez les conservateurs car elle permet d’associer le peuple à l’exercice effectif du pouvoir. Chez les libéraux, on observe également une réticence sérieuse à l’idée d’admettre l’application du principe de séparation des pouvoirs dans les monarchies allemandes, car le caractère représentatif global des assemblées permet un équilibre entre le monarque et le peuple en modérant l’exercice de la puissance publique. Le terme « division unitaire » (Einteilung) sert à masquer le malentendu conceptuel qui règne dans les deux camps conservateur et libéral. La division des pouvoirs n’est en effet rien d’autre qu’un système d’équilibre, de freins et de contrepoids, à l’intérieur duquel se meuvent les différents acteurs exerçant le pouvoir d’État.
- Stéphane Rials (éd.), Textes constitutionnels français, PUF, collection Que sais-je ?, 2009, p. 39. [↩]
- Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre, 3e édition, 1914, p. 469-470. Pour Jellinek, la Restauration française s’inspire des traditions de l’Ancien régime et de la monarchie britannique qui résiste à la vague révolutionnaire : « Unter dem Einflusse alter vom ancien régime überkommener Traditionen sowie der aus England, das von der Revolution unberührt geblieben war, herüberwirkenden toryistischen Anschauungen wird von Beugnot der Eingang zur Charte Louis XVIII improvisiert, in der mit bewunderswerter Ignorierung des ganzen Zeitraumes von 1789 bis 1814 der Gedanke durchgeführt wird, daß der König, “après une longue absence” dem Wunsche der Untertanen nachgebend, dem Volke eine Verfassung aus freier königlicher Machtvollkommenheit verleihe, wonach die ganze öffentliche Gewalt Frankreichs in der Person des Königs ihren Sitz habe, an ihrer Ausübung jedoch dem Volke einen Anteil gewähre ». La position de Jellinek doit cependant être nuancée, car la Charte de 1814 ne fait pas disparaître l’héritage de 1789. Elle tend plutôt à la restauration timide de la souveraineté monarchique et à l’aménagement de l’exercice du pouvoir d’État. [↩]
- Selon Hans Boldt, Deutsche Staatslehre im Vormärz, Droste Verlag, Düsseldorf, 1975, p. 15, il est difficile de dater avec exactitude le premier emploi de l’expression « principe monarchique » (monarchisches Prinzip). C’est Charles-Henri Dambray, chancelier de Louis XVIII, qui en fait usage en 1814, mais encore avant lui, Friedrich Schlegel l’utilise dans ses cours de philosophie de 1804-1806 en insistant sur l’impossibilté de consuire un gouvernement républicain satisfaisant et durable sur la base du principe monarchique (« In der reinen republikanischen Form […] die durch kein monarchisches Prinzip beharrlich und dauerhaft gemacht wird […] », cité par Boldt, Deutsche Staatslehre im Vormärz, p. 15). [↩]
- Hans Boldt, Deutsche Staatslehre im Vormärz, op.cit., p. 17 : « Monarchisches Prinzip : Das war ein neues Wort für monarchische Souveränität (…) ». [↩]
- Otto Brunner, « Vom Gottesgnadentum zum monarchischen Prinzip », in du même, Neue Wege der Verfassungs- und Sozialgeschichte, 2e édition, Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen, 1968, p. 182 : « Das “monarchische Prinzip” bestimmte die französische “Charte” von 1814 und die süddeutschen Verfassungen dieser Zeit ». En langue française : Aurore Gaillet, L’individu contre l’État. Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du XIXe siècle, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque des thèses, 2012, p. 49 : « La Charte constitutionnelle octroyée par le roi Louis XVIII le 4 juin 1814 est un modèle pour les premières constitutions allemandes ». La thèse, selon laquelle le courant constitutionnel allemand est influencé par la Charte de 1814, n’obtient pas une approbation unanime. Voir, par exemple, Heinrich Meisner, Die Lehre vom monarchischen Prinzip in der französischen und deutschen Verfassungsgeschichte, dissertation (Friedrich-Wilhelms-Universität), Berlin, 1913, p. 4 et suiv. [↩]
- Article 57 de l’Acte final : « Da der deutsche Bund, mit Ausnahme der freien Städte, aus souverainen Fürsten besteht, so muß dem hierdurch gegebenen Grundbegriffe zufolge die gesamte Staatsgewalt in dem Oberhaupte des Staates vereinigt bleiben, und der Souverain kann durch eine landständische Verfassung nur in der Ausübung bestimmter Rechte an die Mitwirkung der Stände gebunden werden » (Ernst-Rudolf Huber, Dokumente zur deutschen Verfassungsgeschichte, vol. 1, Kohlhammer, Stuttgart, 1961, p. 88). [↩]
- « Formule vide », dont « le caractère idéologique est évident », selon Hans Boldt, Deutsche Staatslehre im Vormärz, Droste, Düsseldorf, 1975, p.33, car permettant de justifier ou défendre toute position juridique: « (…) eine inhaltslose Regel, aufgrund deren sich jede rechtliche Position beanspruchen und verteidigen läßt (…). Der ideologischer Charakter solcher Leerformel ist offensichtlich ». [↩]
- Sur la question de la forme que prend le pacte : Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Der deutsche Typ der konstitutionellen Monarchie im 19. Jahrhundert », in Ernst-Wolfgang Böckenförde/Rainer Wahl (dir.), Moderne deutsche Verfassungsgeschichte (1815-1914), Verlagsgruppe Athenäum, Königstein, 2e édition, 1981, p. 150 : « Damit wurde die Frage : gewährte oder vereinbarte Verfassung, von untergeordneter Bedeutung ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne », in Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l’État de droit : le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, PUS, 2001, p. 269. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne », in Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l’État de droit : le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, op.cit., p. 269. Cette structure dialogique diffère de « la structure monologique » que suppose le pouvoir constituant du peuple. Au moment où il se donne une constitution, le peuple ne s’engage envers personne d’autre si ce n’est envers lui-même, et peut donc librement défaire son oeuvre constituante. [↩]
- Sur la difficulté de traduire l’adjectif « konstitutionell », v. la note d’Olivier Jouanjan dans Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Naissance et développement de la notion d’État de droit », in du même, Le droit, l’État et la Constitution démocratique, Bruylant/LGDJ, 2000, p. 128 : « L’adjectif concentre sur lui toutes les ambiguïtés du “constitutionnalisme” allemand du XIXe siècle. Parfois de tonalité libérale, surout avant 1848, désignant un “progrès” dans la modernisation constitutionnelle de l’Allemagne, il devient plutôt l’expression, à partir de 1850, de l’immobilisme constitutionnel auquel Bismarck contraindra les États puis l’Empire, empêchant toute parlementarisation de la monarchie “konstitutionell”, monarchie seulement (auto ?) limitée, qui en reste pratiquement au schéma de la Charte française de 1814. Pour Conrad Bornhak, la monarchie constitutionnelle « repose sur les fondements de la monarchie absolue dont elle est l’héritère directe ». Il s’agit d’une « forme étatique propre à l’Allemagne » (Conrad Bornhak, Allgemeine Staatslehre, 2e édition, Berlin, 1909, p. 38 et suiv.). [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Der deutsche Typ der konstitutionellen Monarchie im 19. Jahrhundert », in Ernst-Wolfgang Böckenförde/Rainer Wahl (dir.), Moderne deutsche Verfassungsgeschichte (1815-1914), op.cit., p. 148 : « Das erste und immer wieder als Krieterium ins Feld geführte Kennzeichen der deutschen konstitutionellen Monarchie war das sogenannte monarchische Prinzip. (…) daß Träger der Staatsgewalt (sei) der König allein ». [↩]
- Stéphane Rials, « Essai sur le concept de monarchie limitée (autour de la charte de 1814) », in du même, Révolution et contre-révolution au XIXe siècle, Diffusion Université Culture/Albatros, Paris, 1987 : « La puissance royale qui avait octroyé la Charte du fait d’une puissance antérieure ne pouvait se trouver constituée par elle. Elle se trouvait simplement réglementée dans son exercice selon l’adage patere legem quam fecisti » ; Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Der deutsche Typ der konstitutionellen Monarchie im 19. Jahrhundert », in Ernst-Wolfgang Böckenförde/Rainer Wahl (dir.), Moderne deutsche Verfassungsgeschichte (1815-1914), op.cit., p. 148 : « Die Verfassung stellt sich dar als eine – allerdings verbindliche – Selbstbeschränkung der monarchischen Gewalt, sie ist Begrenzung, nicht Grundlage der monarchischen Herrschaft ». [↩]
- Christoph Schönberger, Das Parlament im Anstaltsstaat : zur Theorie parlamentarischer Repräsentation in der Staatsrechtslehre des Kaiserreichs (1871-1918), Vittorio Klostermann, Frankfurt am Main, 1997, p. 9 : « Verfassungen, die (überwiegend) gewählten Landständen in irgendeiner Weise Einfluß auf die Staatsgeschäfte einräumten, hießen “Repräsentativverfassungen”. Der Begriff war von Anfang an ein Kampfbegriff ». [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 119, avec références bibliographiques supplémentaires. [↩]
- Aurore Gaillet, L’individu contre l’État : essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du XIXe siècle, op.cit., p. 51. [↩]
- « In allen Bundesstaaten wird eine landständische Verfassung stattfinden. » [↩]
- L’Autriche et la Prusse sont les exemples flagrants du non-respect de l’article 13 de l’Acte de la Confédération germanique, puis de l’article 54 de l’Acte final du Congrès de Vienne. Ernst-Rudolf Huber Deutsche Verfassungsgeschichte seit 1789, vol. 1 : Reform und Restauration 1789 bis 1830, Kohlhammer Verlag, Stuttgart, 1961, p. 646-647 : « (…) kein Wunder, da Österreich und Preußen an der Spitze derer standen, die sich ihrer Verfassungspflicht entzogen ». [↩]
- L’article 54 de l’Acte final de 1820 pose l’obligation pour gouvernements des États confédérés d’adopter une constitution prévoyant l’existene d’assemblées d’états. Cette disposition reste cependant sans effet jusqu’en 1829. [↩]
- Ernst-Rudolf Huber, Deutsche Verfassungsgeschichte seit 1789, vol. 1 : Reform und Restauration 1789 bis 1830, op.cit., p.653 : « Er (Metternich) schuf mit dem Art. 57 vielmehr einen verfassungspolitischen General-Vorbehalt, der auch in landständischen Verfassungen dem Staatsoberhauptden Besitz der “gesamten Staatsgewalt” sicherte » (souligné dans le texte). [↩]
- Friedrich von Gentz (1764-1832), « Ueber den Unterscheid zwischen den landständischen und Repräsentativ-Verfassungen », in Johann Ludwig Klüber/Theodor Welcker (éd.), Wichtige Urkunden für den Rechtszustand der deutschen Nation, Mannheim, 1884, p. 220 et suiv. [↩]
- Friedrich von Gentz, « Ueber den Unterscheid zwischen den landständischen und Repräsentativ-Verfassungen », in Johann Ludwig Klüber/Theodor Welcker (éd.), Wichtige Urkunden für den Rechtszustand der deutschen Nation, op.cit., p. 221 : « Landständische Verfassungen sind die, in welchen Mitglieder oder Abgeordnete durch sich selbst bestehender Körperschaften ein Recht der Theilnahme an der Staatsgesetzgebung überhaupt, oder einzelnen Zweigen derselben, die Mitberathung, Zustimmung, Gegenvorstellung, oder in irgend einer andern verfassungsmäßig bestimmten Form ausüben ». Cette interprétation restrictive de la « lanständische Verfassung » obtient l’approbation des auteurs conservateurs comme Karl Luwig von Haller ou Friedrich Ancillon. [↩]
- Friedrich von Gentz, « Ueber den Unterscheid zwischen den landständischen und Repräsentativ-Verfassungen », in Johann Ludwig Klüber/Theodor Welcker (éd.), Wichtige Urkunden für den Rechtszustand der deutschen Nation, op.cit., p. 222, 224: « Auf dem ersten Wege entstanden die Repräsentativ-Verffasungen von England und Frankreich. Der Staat war durch eine lange Reihe bürgerlicher Kriege oder rechtszerstörender Usurpationen vollständig aufgelöst. (…) Da, wo Repräsentativ-Verfassungen nicht das Werk gebieterischer Umstände sind, können sie nur aus der Willkühr entspringen ». [↩]
- Le mot « Theilung » singifie à la fois division et partage. Comme dans les propos de Gentz la coloration négative portée à ce vocable ne peut guère être ignorée, il convient, en français, d’opter pour « division ». V. §2 de cette section. [↩]
- Friedrich von Gentz, « Ueber den Unterscheid zwischen den landständischen und Repräsentativ-Verfassungen », in Johann Ludwig Klüber/Theodor Welcker (éd.), Wichtige Urkunden für den Rechtszustand der deutschen Nation, Mannheim, 1884, p. 225 : « In der Theorie des Repräsentativ-Systems steht der angebliche Grundsatz der Theilung der Gewalten oben an ; ein Grundsatz, der sich selbst überlassen, immer und überall zur gänzlichen Vernichtung aller Macht, mithin zur reinen Anarchie führen muß (…) » [↩]
- Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle allemand de la monarchie limitée, PUF, coll. Léviathan, 2002, p. 79. [↩]
- Ernst-Rudolf Huber, Deutsche Verfassungsgeschichte seit 1789, vol. 1: Reform und Restauration 1789 bis 1830, Kohlhammer Verlag, Stuttgart, 1961, p. 653 : « Das monarchische Prinzip war die Gegenlehre gegen das Gewaltenteilungsprinzip ». [↩]
- La conclusion sur l’incompatibilité entre le principe de division du pouvoir d’État et le droit public des États de la Confédération germanique se trouve dans les « Soixante articles » de la Résolution secrète de Vienne du 12 juin 1834 (cité par Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne [1815-1860] », in du même (dir), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, Presses universitaires de Strasbourg, 2001, p. 272). [↩]
- Sur les différentes aspects du libéralisme allemand du Vormärz: Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), Dalloz, 2014, p. 188-231. Ou encore : Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle allemand de la monarchie limitée, PUF, coll. Léviathan, 2002, p. 140 et suiv., et du même, « Convergences et discordances des discours libéraux allemand et français », Revue française d’Histoire des idées politiques, n°24, 2006, p. 233-253. [↩]
- Sur Aretin, voir Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), Dalloz, 2014, p.193 et 200. [↩]
- Johann Christoph Freiherr von Aretin, Staatsrecht der konstitutionellen Monarchie. Ein Handbuch für Geschäftsmänner, studierende Jünglinge, und gebildete Bürger, 2e édition, Volckmar, Leipzig, 1838, p. 86 : « Gewalt kann nicht getrennt werden, denn Gewalt heißt Wille, verbunden mit Macht. Keins von diesen beiden Elementen darf fehlen, wenn eine Gewalt existieren soll. (…) Daher giebt es nur eine Staats gewalt, die nicht getheilt, nicht durch eine andere Gewalt im Gleichgewicht erhalten, wohl aber beschränkt werden kann, so wie der Ocean nicht von einem andern Ocean im Gleichgewicht erhalten, sondern vom Ufer beschränkt wird ». [↩]
- Parmi les auteurs qui emploient « Eintheilung » dans un contexte différent de celui de la division du pouvoir : Karl Pölitz, Die Staatswissenschaften im Lichte unsrer Zeit, Leipzig, 1823, p. 193 et 196 : « Eintheilung des Staatsgebietes », afin de désigner la constutution composite des citoyens (Verschiedenheit der Staatsbürger, und deren Eintheilung) et afin d’expliquer la division territoriale en provinces, régions, etc., tout en soulignant l’aspect territorial unitaire (Eintheilung des Staatsgebietes). [↩]
- Johann Christoph Freiherr von Aretin, Staatsrecht der konstitutionellen Monarchie. Ein Handbuch für Geschäftsmänner, studierende Jünglinge, und gebildete Bürger, op.cit., p. 173 : « Es kann nur eine Staatsgewalt geben, denn sobald es zwei oder mehrer solche Gewalten gäbe, so müßten dieselben entweder einander gleich, oder eine davon müßte die stärkere sein. Im letzten Falle wäre diese die eigentliche und bald auch die einzige Staatsgewalt, im ersten Falle aber würde durch das Nebeneinandersein gleicher Gewalten, deren jede, um fest zu stehen, auch wieder ihre besondern Garantien haben müßte, nothwendig ein Kampf entstehen, der den Staat erschüttern und so lange fortwähren würde, bis eine der bestehenden Gewalten den Sieg über die andern erhalten hätte ». Ici, Aretin fait appel à un auteur inattendu: Sieyès. D’après Aretin, Sieyès refuse toute idée d’unité ou de division : « unité toute seule est la despotisme, division toute seule (« Trennung der Gewalt » chez Aretin) est anarchie », car il ne faut pas donner « plusieurs têtes à un même corps, mais diviser, à l’intérieur du même corps, les différentes fonctions en les laissant cependant agir dans une seule direction ». En effet, Aretin semble ignorer que la description faite par Siyès rejoint la sienne : il n’est pas question de détruire l’unité du pouvoir, mais de penser la division des différentes missions en évitant leur concentration dans les mains d’un seul. « Les pouvoirs publics doivent être divisés, limités, organisés, en un mot constitués pour remplir leur destination. Si un Corps pouvait se constituer lui-même ou toucher à sa constitution, bientôt il changerait de nature, il se rendrait propre à tout envahir, et à dévorer ses créateurs », ou encore : « les grands pouvoirs constitués doivent aussi être séparés ; mais on ne sent pas assez le besoin de rendre l’exercice de leurs différentes fonctions incompatibles dans la même personne », écrit Sieyès (« Bases de l’ordre social ou série raisonnée de quelques idées fondamentales de l’état social et politique », §§12 et 13). [↩]
- Johann Christoph Freiherr von Aretin, Staatsrecht der konstitutionellen Monarchie. Ein Handbuch für Geschäftsmänner, studierende Jünglinge, und gebildete Bürger, op. cit., p. 174. [↩]
- Karl Pölitz, Die Staatswissenschaften im Lichte unsrer Zeit, Leipzig, 1823, p. 178: « Sie (die höchste Gewalt im Staate) kann, nach der Idee der Vernunft, nur Eine sein (…) ». [↩]
- Karl Pölitz, Die Staatswissenschaften im Lichte unsrer Zeit, Leipzig, 1823, p. 179, note (*): « Die richterliche Gewalt gehört, nach ihrer Eigenthümlichkeit und Selbstständigkeit, zur Verwaltung im Staate (…). Es gibt keine trias politica, wiewohl sie von vielen Britten, Franzosen und Teutschen, selbst von Kant behauptet worden ist ». [↩]
- Karl Pölitz, Die Staatswissenschaften im Lichte unsrer Zeit, Leipzig, 1823, p. 178-179: « Allein die höchste Gewalt wird im Begriffe unterschieden nach ihren beiden wesentlichen Theilen als gesetzgebende und vollziehende Gewalt. Daraus folgt, daß die Vernunft zwar im Staate eine Theilung der höchsten Gewalt, nie aber eine Trennung dieser Theile gutheißen kann ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne (1815-1860) », art. précit., p. 273 (souligné dans le texte). [↩]
- Stahl est un grand défenseur du principe monarchique: Friedrich Julius Stahl, Das monarchische Prinzip. Eine staatsrechtlich-politische Abhandlung, Heidelberg, 1845. « Pour les libéraux et démocrates, pour les révolutionnaires de 1848, il sera (…) celui qui, de sa hache, cherche à abattre l’arbre de la liberté » (Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne [1800-1914], PUF, coll. Léviathan, 2005, p. 64). Sur la position que prend Stahl contre le principe parlementaire, incompatible avec la monarchie, v. Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle allemand de la monarchie limitée, PUF, coll. Léviathan, 2002, p.163 et suiv. Voir également Erich Kaufmann, « Friedrich Julius Stahl als Rechtsphilosph des monarchischen Prinzips », in du même, Gesammelte Schriften, t. 3 : Rechtsidee und Recht, Verlag Otto Schwarz, Göttingen, 1960, p. 1-45. [↩]
- Friedrich Julius Stahl, Die Philosophie des Rechts, vol. 2, 2e édition, Mohr, Heidelberg, 1846, p. 163. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne (1815-1860) », art. précit., p. 273. [↩]
- Friedrich Julius Stahl, Die Philosophie des Rechts, p. 163-164: « Die Staatsgewalt ist ihrem Wesen nach untheilbar Eine, wie jede Persönlichkeit, jeder Wille. Sie kann nicht zertheilt werden in mehrere Gewalten und an mehrere Subjekte, sondern sie muß Ein Subjekt, Eine Persönlichkeit sein (Fürst oder organisiert Versammlung, oder beide zusammen als Ein Subjekt). In dieser Einheit ist sie die Souveränität (…). Aber ihrer Ausübung nach unterliegt sue verschiedenen Bedingungen und hat verschiedene Organe unter dem Souverän, mehr oder weniger selbständig gegen ihn. (…) Nämlich die Staatsgewalt ändert oder erläßt das Gesetz – Gesetzgebung, oder sie herrscht nach dem Gesetze und (…) innerhalb des Gesetzes – Regierung, oder sie greift in den Rechtskreis des Individuums zur Wiederherstellung des verletzten Gesetzes – Gericht. Hierauf gründet sich die Eintheilung der Staatsgewalt ». [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), Dalloz, 2014, p. 90 et suiv. [↩]
- V. la recension de Wilhelm Eduard Albrecht, publiée dans les Gottingische gelehrte Anzeigen, 1837, p.1489 et suiv., dont les idées principales, notamment celle de l’État comme personne juridique, sont reprises quelques années plus tard par son élève Carl Friedrich Gerber. Maurenbrecher, Die deutschen regierenden Fürsten und die Souveränität, Frankfurt am Main, 1839, répondit aux critiques d’Albrecht en qualifiant la théorie de l’État comme personne juridique de « fiction constitutionnelle insensée » (unsinnige staatsrechtliche Fiktion). Sur l’influence de cet écrit de Albrecht dans la doctrine post-révolutionnaire, et surtout sur l’oeuvre de Carl Friedrich von Gerber, infra, cette partie, chapitre 3, section 1, §2. [↩]
- Romeo Maurenbrecher, Grundsätze des heutigen deutschen Staatsrechts, 2e édition, Frankfurt am Main, 1843, p. 53, dans l’extrait intitulé « De la division des droits de souveraineté » (Von der Theilung der Hoheitsrechte) : « Unter Theilung der Hoheitsrechte (Gewalten) versteht der neueste publicistische Sprachgebrauch eine Trennung der einzelnen in der Souverainität erhaltenen Gewalten, nicht bloss der Idee, sonder der Wirklichkeit nach, also dass für jede Gewalt ein besonderes Subjekt möglich oder wirklich sein soll. Besonders hat man diese Trennung auf die gesetzgebende und vollziehende Gewalt angewendet, so dass gleichsam zwei sich gegenseitig ausschliessende Souveraine in jedem Staat entstehn sollen, der eine für diese, der andre für jene Gewalt. Allein eine solche Theilung ist gegen die Natur der Sache, denn 1) es ist die Staatsgewalt, als höchste Gewalt, etwas untheilbares; 2) es lässt sich keine einzige Gewalt unabhängig von der andern denken (…) ». [↩]
- Romeo Maurenbrecher, Grundsätze des heutigen deutschen Staatsrechts, 2e édition, Frankfurt am Main, 1843, p. 50 : « Am natürlichsten theilt man die einzelnen wesentlichen Hoheitsrechte nach den verschiednen Richtungen ein, in welchen die Staatsgewalt thätig sich zeigen muss, damit der Staatszweck erreicht werde. Man findet aber auf diesem Wege drei Functionen, in welche alle übrigen zurückgehn. Diese, oder vielmehr die ihnen entsprechenden drei Hoheitsrechte (Gewalten) (die trias politica) sind : 1) die gesetzgebende Gewalt (potestas legislatoria, pouvoir législatif) (…) ; 2) die vollziehende Gewalt (potestas rectoria, pouvoir exécutif) (…) ; die oberaufsehende Gewalt (jus surpremae inspectionis) (…) ». [↩]
- Friedrich Julius Stahl, Die Philosophie des Rechts, op.cit., p. 164 : « Doch sind dies immer nur Verrichtungen einer und derselben Staatsgewalt, die im Souverän ihren Sitz hat, und es ist unangemessen, sie als eigne Gewalten zu behandeln ». [↩]
- Stefan Korioth, « “Monarchisches Prinzip” und Gewaltenteilung – unvereinbar ? Zur Wirkungsgeschichte der Gewaltenteilungslehre Montesquieus im deutschen Frühkonstitutionalismus », Der Staat, n°1, 1998, p. 44-45 : « Da aber das monarchische Prinzip – bei aller Unklarheit im übrigen – jedenfalls die Volkssouveränitätslehre verwarf, wonach sie alle Staatsgewalt vom Volk ausgeht, schien mit der Vorherrschaft des monarchischen Prinzips vornherein kein Raum für die Gewaltenteilungslehre zu bestehen. (…) sie übersahen aber die unterschiedliche ideengeschichtliche Herkunft beider Prinzipien. (…) der Gegensatz von Monarchen- und Volkssouveränität zwar unterschiedliche Legitimationen und Zurechnungspunkte staatlicher Herrschaft bezeichnet, aber noch nichts darüber aussagt, wie staatliche Funktionen verteilt und einzelne Machtbefugnisse verschränkt sind. (…) Die zwingende Verbindung von Volkssouveränität und Gewaltenteilung in der deutschen Diskussion war ein Mißverständnis ». [↩]
- La distinction entre séparation et division (ou distinction) des pouvoirs n’est pas nouvelle. On peut déjà lire chez Friedrich Ancillon, Über Souveränität und Staatsverfassungen. Ein Versuch zur Berechtigung einiger politischer Grundbegriffe, 2e édition, Duncker & Humblot, Berlin, 1816, p. 38 : « Car, tout d’abord, les pouvoirs ne sont pas séparés et opposés les uns aux autres, mais divisés et différenciés ; ne sont pas mêlés mais liés entre eux » (« Dann erst werden die politische Gewalten nicht getrennt und entgegengesetzt, sondern getheilt und verschieden, nicht vermischt, sondern verbunden sein »). [↩]
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