La notion de réserve de loi (Gesetzesvorbehalt)1 apparaît avec les premières constitutions des monarchies « konstitutionell »2 allemandes. Il ne s’agit pas, dans la première moitié du XIXe siècle de penser un moyen de garantir la suprématie d’une représentation nationale, ni de soumettre le pouvoir exécutif du monarque aux décisions prises par un législateur démocratique. Il n’existe ni de parlements dans le sens moderne de ce mot, ni de législateur démocratique.
La monarchie limitée allemande est un modèle de gouvernement modéré qui ne sombre pas dans les dérives françaises post-révolutionnaires et qui n’est pas non plus une structure figée insusceptible de s’adapter aux nouvelles exigences politiques et sociales, ainsi aux revendications de la société bourgeoise émergente. Il est davantage question d’assurer aux assemblées des états (Landstände) un droit de participation au pouvoir législatif tout en sauvegardant l’unité du pouvoir d’État3. Ce droit de participation ne concerne alors qu’une sphère précise, celle de la liberté et de la propriété. La possibilité de participer au pouvoir législatif, ouverte aux assemblées d’états, est la conséquence de la conciliation entre le principe monarchique, notion centrale dans le système constitutionnel allemand du Vormärz et le refus de voir apparaître une représentation démocratique (§ 1). La réserve de loi est conçue comme un mécanisme de protection de la société face à l’État. La réserve de loi censée assurer la participation des assemblées d’état au pouvoir législatif se transforme en un concept, dont la signification dépasse le seul domaine de la liberté et de la propriété pour s’affirmer, dans l’État de droit démocratique et libéral, comme la garantie de la place centrale du parlement (§ 2).
§ 1. La notion de réserve de la loi : l’exercice du pouvoir législatif comme point de rencontre entre le monarque et les assemblées d’états (Landstände).
Le principe monarchique est le principe qui « règne » dans les États allemands dans la première moitié du XIXe siècle. Le monarque réunit en lui la totalité du pouvoir d’État, une division de celui-ci est perçue par une grande partie de la doctrine comme représentant l’anarchie et le chaos4. Il n’y a pas, avant la Révolution de 1848, de véritable concurrence entre le principe de légitimité monarchique et le principe de légitimité démocratique. Le principe même de la représentation nationale fait l’objet de vives critiques (A). Les assemblées d’états ne sont pas, à côté du monarque, des titulaires du pouvoir législatif, car l’interprétation du principe monarchique interdit la multiplicité des titulaires du pouvoir d’État. En revanche, la participation à l’exercice de certains droits n’est pas entendue comme contraire au principe d’unité du pouvoir d’État. Le monarque ne peut légiférer de manière autonome, sans le consentement des assemblées, dès lors que sont touchées la liberté et la propriété des citoyens (B).
A. Les assemblées d’états ne détiennent pas le pouvoir législatif.
Le monarque est le seul souverain, et il ne doit partager son pouvoir avec aucun autre organe, car la menace de voir le pouvoir d’État se disloquer est réelle. Dans ce climat de méfiance vis-à-vis des principes de souveraineté nationale et de division du pouvoir, il faut réfléchir à la place que doit occuper la société de plus en plus soucieuse de protéger ses droits contre la puissance publique. Pas de souveraineté nationale, mais une protection des intérêts de la société face à l’État. La société ne fait plus partie de l’État, elle ne se dissout pas dans le corps étatique, mais constitue désormais une force à part entière qui s’oppose et qui se défend contre les éventuelles ingérences du pouvoir dans la sphère de la liberté individuelle ou de la propriété. Les assemblées d’états doivent avoir un droit de participer à l’exercice du pouvoir5. Le « monarque et les chambres », les « deux organes immédiats de l’Etat » sont, dans leur activité, toujours à la recherche d’un accord » qui est souvent « le résultat de compromis »6.
Conformément à l’article 57 de l’Acte final de la conférence de Vienne de 1820, les assemblées d’états ne participent qu’à « l’exercice de certains droits » (in der Ausübung bestimmter Rechte)7. Les assemblées d’états n’exercent pas le pouvoir législatif, elles ne font que limiter le pouvoir exercé par le monarque. Cette limitation résulte de l’architecture des Constitutions instituant des monarchies « konstitutionnell ». Il n’est pas question de reproduire le schéma classique de la monarchie parlementaire, de type anglais, car les éléments qui la structurent ne peuvent guère rendre compte de la singularité du modèle allemand. Il s’agit davantage de garantir la participation des sujets à la prise de décisions étatiques qui les touchent de manière directe et sont susceptibles de porter atteinte à leurs droits.
L’acte, appelé loi, qui fait l’alliage entre le pouvoir du monarque et la participation des assemblées, n’est pas justifié par le principe démocratique. On n’attribue pas aux assemblées la prise de toute décision fondamentale en arguant de leur légitimité démocratique, car elle n’existe pas, elle est difficilement concevable dans un monde constitutionnel où le monarque réunit tout pouvoir, y compris le pouvoir constituant, même s’il accepte de s’autolimiter. Le pouvoir d’État n’est pas morcelé, il n’est pas réparti entre le monarque et les assemblées, car, comme le rappelle l’article 57 de l’Acte final, le « pouvoir d’État tout entier doit rester réuni dans le chef de l’État et le souverain ne saurait être soumis par la Constitution landständisch à la participation des états que pour l’exercice de certains droits »8. La participation des assemblées à l’exercice de « certains droits » n’est rendue possible que par la volonté du monarque-constituant. Il détient l’intégralité du pouvoir législatif dont seul l’exercice est partagé. Les assemblées ne peuvent point adopter une loi de manière autonome sans l’accord du monarque, elles ne font qu’exercer une compétence limitée dans le cadre du pouvoir législatif monarchique. Il s’agit par conséquent d’une concession de la part du monarque aux représentants de la société civile. Les assemblées n’ont pas la possibilité de substituer leur volonté à celle du monarque, elles ne peuvent qu’empêcher une réglementation qui empiète sur leur sphère protégée : celle de la liberté et de la propriété individuelles.
B. La réserve de loi comme moyen de participer à l’exercice du pouvoir législatif.
La réserve de loi, écrit Fritz Ossenbühl, concerne les matières et décisions qui sont exclues de « la compétence propre du pouvoir exécutif » et « sont réservées à la loi »9. La participation des assemblées ne touche, à l’origine, qu’à l’exercice des droits relatifs à la liberté et la propriété. La réserve de loi, qui traduit la « rivalité politique »10 entre le monarque et les assemblées, se trouve identifiée à la notion même de loi. Ainsi, plusieurs constitutions des États du Sud allemand, par exemple la Constitution bavaroise du 26 mai 1818, qui est la première à formuler le « principe de la réserve de loi »11, contiennent des articles qui rendent obligatoire la participation des assemblées à l’élaboration de toute loi qui concerne « la liberté de l’individu ou la propriété des citoyens », les deux « éléments qui forment la sphère privée de la société civile »12 :
Aucune loi générale nouvelle, qui touche (betrifft) à la liberté de l’individu (Freyheit der Person) ou à la propriété des citoyens (Eigenthum des Staats-Angehörigen), ne peut être adoptée sans l’avis et l’approbation des états du royaume (ohne den Beyrath und die Zustimmung der Stände des Königreichs) ; l’avis et l’approbation des états du royaume sont également requis lorsqu’il s’agit de modifier, d’interpréter de manière authentique ou d’abroger une loi existante qui touche à la liberté de l’individu ou à la propriété des sujets 13.
Le domaine de la législation n’est pas l’apanage d’un parlement démocratiquement élu disposant d’un « pouvoir démocratique », mais le point de rencontre du monarque exerçant la plénitude de son pouvoir et des assemblées représentant la société civile. Selon Jacky Hummel, « la théorie de la réserve de la loi (Gesetzesvorbehalt) participe d’un des traits caractéristiques du constitutionnalisme allemand du XIXe siècle selon lequel le domaine de la législation n’est en rien le domaine souverain d’un pouvoir législatif démocratique, mais le terrain de la rencontre et de la médiation entre l’État monarchique et la société civile »14.
La réserve de loi permet la coexistence du principe monarchique ancré dans les structures « konstitutionell » des États allemands et la société civile qui ne veut plus être un avec l’État, qui se détache de ce dernier et revendique une sphère libre d’État. Le domaine de la liberté et de la propriété individuelles n’est pas exclusif de toute ingérence de la puissance publique. L’atteinte portée devient supportable et acceptable si celui, qui en est l’objet, donne son accord préalable: il n’est plus uniquement l’objet de la puissance monarchique illimitée, telle qu’elle existait dans le cadre de la monarchie, mais devient un sujet participant à l’élaboration de la décision qui lui est appliquée. Cette participation est désormais constitutionnalisée, et la réaffirmation du principe monarchique par la conférence de Vienne de 1820 n’y change rien. Le pouvoir constituant monarchique a accepté, dès 1818, la limitation de l’exercice du pouvoir législatif. Il n’y a pas de principe de séparation des pouvoirs, car le monarque « réunit » tout le pouvoir d’État. En revanche, une répartition des compétences est opérée par l’exigence de la participation des assemblées d’états à l’élaboration de la loi. Les compétences en la matière sont partagées : ni le monarque (sans franchir les limites qu’il s’est lui-même imposées en octroyant ou en négociant la constitution), ni les assemblées ne détiennent la faculté de statuer en dernier lieu. La compétence des assemblées est complémentaire de celle dont dispose le monarque « auquel revient en propre » le pouvoir législatif15.
La réserve de la loi s’étend de manière progressive. Le consentement des assemblées est requis en matière d’impôts16, les ingérences dans la liberté et la propriété ne peuvent être le résultat que d’une loi17. La loi comme garantie des droits fondamentaux et, plus généralement, comme garantie de la participation de la société civile à l’exercice du pouvoir, fait ressortir les deux éléments présents dans la notion de réserve de loi : celui tiré du principe de l’État de droit (rechtsstaatlich) et l’élément démocratique. Ces deux composantes reflètent le rapport de tension, qui existe à l’époque de la monarchie limitée allemande, entre la légitimité du pouvoir monarchique et la légitimité démocratique que revendiquent les assemblées. Dans l’État de droit, la loi est le seul instrument légitime permettant l’ingérence dans la sphère des droits fondamentaux des citoyens. L’élément démocratique n’est pas celui que l’on connaît aujourd’hui. Dire que les assemblées réunissent les représentants de la société civile et garantissent la protection de ses droits face à l’État ne signifie pas que ces assemblées doivent être comprises comme de véritables parlements au sens actuel de ce terme.
La réserve de loi est, au XIXe siècle, une réaction au pouvoir monarchique qui n’est pas démocratiquement légitimé. Aujourd’hui, l’article 20, alinéa 2 LF pose le principe selon lequel « tout pouvoir d’État » émane du peuple. Le pouvoir législatif comme le pouvoir exécutif sont assis sur la même base : le principe démocratique. Il n’est plus question de vouloir encadrer un pouvoir qui s’exerce en dehors de la légitimité démocratique et qui doit être limité de manière artificielle. Les paramètres de la réserve de loi ont changé avec l’avènement du principe démocratique. Il n’y a plus de concurrence de légitimités, mais concurrence de compétences exercées par des organes démocratiquement élus ou formés. Afin de marquer la différence, qui existe entre la formule traditionnelle de la réserve de loi, identifiée à l’ingérence à la liberté et à la propriété, la Cour souhaite rompre avec l’image ancienne de la réserve de loi héritée de la monarchie « konstitutionell ».
§ 2. Le passage de la réserve de loi-droit de participation à la réserve de loi-décision du législateur démocratique.
Sous l’empire de la Loi fondamentale, la légitimité démocratique du pouvoir législatif (A) permet au juge constitutionnel de dépasser l’ancienne conception de la réserve de loi afin que celle-ci corresponde à la configuration institutionnelle actuelle (B).
A. La légitimité démocratique du pouvoir législatif.
L’article 20, alinéa 2 LF dispose que « tout pouvoir d’État émane du peuple » avant de préciser que le peuple « l’exerce [le pouvoir d’État] au moyen d’élection et de votations et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatifs, exécutif et judiciaire ». Dans le système constitutionnel de la Loi fondamentale il n’existe qu’une seule légitimité : la légitimité démocratique. Les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire se trouvent ainsi placés sur un même niveau. Dans le cadre démocratique, la loi n’est plus un moyen de contrôle et de réaction au pouvoir monarchique. Elle est un instrument de gouvernement politique qui détermine l’action des organes investis du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire ; elle met en œuvre les principes et valeurs de la démocratie et de l’État de droit18. L’article 20, alinéa 3 LF aux termes duquel « les pouvoirs exécutif et judiciaire par la loi et le droit »19 octroie à la loi une place prédominante qui ne doit cependant pas servir de prétexte afin de transformer le Parlement, législateur démocratique, en organe puissant qui s’impose de manière disproportionnée aux organes exécutifs et judiciaire. L’article 20, alinéa 3 LF pose le principe de légalité qui, selon la jurisprudence constitutionnelle, comporte deux volets : la primauté de la loi (Vorrang des Gesetzes) : « l’ensemble du domaine de l’administration » est soumis à la loi20, ce qui n’exclut pas une activité administrative libre21 ; et la réserve législative (Gesetzesvorbehalt) selon laquelle l’existence d’une loi conditionne l’action de l’administration22. Si l’existence du principe de primauté de la loi ne fait guère de doute à la lecture de cette disposition constitutionnelle, le principe de la réserve de loi est susceptible de soulever un grand nombre d’interrogations23.
La compétence normative appartient au législateur et, sous certaines conditions, au pouvoir exécutif. Il est difficile d’interpréter cette disposition constitutionnelle en déduisant, comme le fait la Cour, une réserve de loi générale cachée. Il est tout aussi difficile d’affirmer que la réserve de loi représente en effet une coutume constitutionnelle, ou bien de procéder à une interprétation extensive des réserves de loi particulières24, celles concernant les droits fondamentaux, afin de conclure que la Loi fondamentale suppose l’existence d’une réserve de loi générale. La loi dispose d’un domaine d’action étendu, où elle est complètement libre d’intervenir en respectant les limites posées par la Constitution. Mais la réserve de loi ne signifie pas seulement la liberté du législateur, elle comporte un élément de contrainte, elle l’oblige à agir, même quand il est défaillant et qu’il a manqué au respect de sa propre compétence.
Dans le cadre démocratique, la réserve de loi a une fonction de délimitation des compétences du pouvoir exécutif : dans certains domaines, si le législateur n’est pas intervenu, le pouvoir exécutif ne dispose pas de la faculté d’agir. La réserve de loi identique à une action d’ingérence dans les domaines de la liberté et de la propriété n’est plus adaptée à la position du parlement, qui n’est plus seulement l’organe constitutionnel investi du pouvoir législatif, mais participe, à côté du gouvernement, à la conduite politique de l’Etat.
Le juge constitutionnel a voulu abandonner la formule de l’ingérence dans le domaine de la liberté et de la propriété en interprétant la réserve de loi de manière extensive : désormais, il ne s’agit plus d’avoir une conception défensive de la réserve législative générale, mais d’élargir l’étendue de son application.
B. La volonté de la Cour de dépasser la formule traditionnelle d’ingérence dans la liberté et la propriété.
Le principe de séparation des pouvoirs représente aujourd’hui la stabilité institutionnelle et rend efficace l’exercice du pouvoir tout en construisant un système de freins et de contrepoids dont l’objectif est la modération de la puissance publique et la protection de la liberté individuelle. Le Bundestag est le seul à bénéficier de la légitimité démocratique directe. Il n’est plus seulement « le gardien des droits fondamentaux (Hüter der Grundrechte), mais un organe central de la formation de la volonté de l’État, appelé à mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles et à participer à la conduite politique de l’État ». « Il peut ainsi toucher à toutes les questions susceptibles de se prêter soit à une réglementation abstraite et générale, soit à une loi particulière (gesetzliche Einzelfallregelung) dont l’adoption est exceptionnellement autorisée.»25 La métamorphose de la représentation nationale n’est que la conséquence du changement de souverain : le peuple est souverain, et le législateur démocratique est son représentant immédiat. La réserve de loi ne peut plus avoir le rôle réducteur d’une arme défensive. La réserve de loi rend possible l’existence d’un domaine réservé en principe au législateur dans lequel il n’exerce pas uniquement un droit de participation, mais dispose de la faculté de décider de manière initiale et autonome.
Dès 1958, la Cour affranchit la réserve de loi de la formule dépassée :
Le contenu de cette réserve générale est traditionnellement défini par l’exigence d’une loi dans l’hypothèse où « des ingérences dans le domaine de la liberté et de la propriété » sont en cause. Il est douteux si cette formule de délimitation (qui se concrétise par les réserves législatives relatives aux droits fondamentaux) est suffisante encore aujourd’hui26.
Ou encore :
La formule traditionnelle, influencée par la conception démocratique et libérale de l’État du XIXe siècle, selon laquelle une loi est nécessaire uniquement dans le cas d’ « ingérence dans le domaine de la liberté ou de la propriété » (…) ne correspond plus complètement à l’état du droit constitutionnel positif (…). Dans le cadre du système démocratique et parlementaire de la Loi fondamentale, il est évident que la décision, portant sur des questions fondamentales qui concernent directement les citoyens, doit revêtir la forme d’une loi, et se détacher du critère traditionnel d’ « ingérence » couramment utilisé dans la pratique27.
Dans la pensée libérale du XIXe siècle, la réserve de loi fut entendue comme un moyen d’encadrer l’exercice de la puissance publique dans les rapports entre l’individu et l’État. Mais ce rapport fut un rapport général de puissance (allgemeine Gewaltverhältnis) et ne concerna que l’administration dans son action portant une ingérence dans la sphère de la liberté et de la propriété. Si la réserve de loi continuait à être comprise uniquement comme une garantie dans le domaine de la liberté et la propriété, alors le pouvoir exécutif aurait pu agir de manière autonome dans tous les cas de figure où une ingérence n’était pas en cause. La formule traditionnelle n’est par conséquent guère compatible avec la conception de la Loi fondamentale relative aux pouvoirs législatif et exécutif28.
Ce dernier, en dehors de la réserve de loi, pourrait se trouver complètement libre d’exercer son pouvoir réglementaire de manière autonome. Or, même si, aujourd’hui, l’absence d’un pouvoir réglementaire autonome est de plus en plus problématique et contestée par une partie de la doctrine, ni l’opinion majoritaire, ni la jurisprudence constitutionnelle ne sont arrivées au stade d’acceptation inconditionnelle. Dans certaines matières où il n’existait pas de lois conditionnant l’action administrative, l’administration se trouvait prise dans un double piège : elle n’était pas autorisée à exercer son pouvoir réglementaire, mais ses actes avaient la fonction matérielle de règlements29. Ainsi, les rapports spéciaux de puissance (besondere Gewaltverhältnisse)30, ceux qui liaient d’une manière spéciale l’individu à l’administrion, furent perçus comme relevant du domaine d’action libre de la administration31.
En 1972, la Cour constitutionnelle casse ce modèle restrictif de la réserve de loi et introduit l’exigence d’une intervention législative conditionnant l’action de l’administration dans les rapports spéciaux de puissance (besondere Gewaltverhältnisse). « Les dogmes traditionnels (…) n’étaient plus compatibles avec l’esprit de la Loi fondamentale. »32 Depuis la décision de principe du 14 mars 197233, la réserve de loi a une portée générale. Il est important de remarquer que le juge constitutionnel n’entend pas libérer de manière radicale la réserve de loi de son lien avec les droits fondamentaux. Il ne fait qu’abandonner la présomption de compétence qui existe en faveur de l’administration agissant dans un rapport spécial de puissance:
La loi fondamentale est un système de valeurs (eine wertgebundene Ordnung) qui reconnaît que le but ultime de toute réglementation est la protection de la liberté et de la dignité humaine (…). L’article 1er, alinéa 3 LF déclare que les droits fondamentaux sont du droit positif qui lie le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Cette soumission générale aux droits fondamentaux n’est pas respectée, si, dans le cas de l’application des peines, les droits fondamentaux peuvent être restreints de manière arbitraire ou discrétionnaire. (…) Les droits fondamentaux des détenus peuvent par conséquent être restreints uniquement par la loi ou sur la base d’une loi (nur durch oder aufgrund eines Gesetzes) (…)34.
Il n’est donc plus possible pour l’administration, dans le domaine des rapports spéciaux de puissance, de restreindre l’exercice des droits fondamentaux sans une intervention législative préalable. Cette solution n’est originale qu’en partie. Certes, elle reconnaît l’existence d’une réserve de loi dans un domaine nouveau, celui des rapports spéciaux de puissance. En revanche, elle ne crée pas une réserve de loi générale complétant les dispositions de la Loi fondamentale. Le juge introduit la réserve dans l’hypothèse d’une restriction de l’exercice d’un droit fondamental, en l’occurrence le secret de la correspondance protégé par l’article 10, alinéa 1er LF. Le juge ne « découvre » pas une nouvelle réserve de loi, il ne fait qu’appliquer l’exigence d’une restriction apportée « en vertu d’une loi » de l’article 10, alinéa 2 LF. Il n’y a pas de raison qu’un détenu ne puisse pas se prévaloir du secret de la correspondance. Sa « qualité » de prisonnier et son lien spécial avec l’administration pénitentiaire ne doivent pas servir d’écran et rendre ainsi possibles des restrictions à l’exercice de ses droits fondamentaux résultant de la seule administration.
Toujours en 1972, la Première chambre de la Cour confirme l’impulsion donnée par la « Gefangenenpostentscheidung » du 14 mars 1972, avec sa décision « Numerus clausus ». Cette fois, le juge emploie la notion de décision fondamentale qui lie le législateur :
Mais lorsque la réglementation porte atteinte au droit fondamental protégé par l’article 12, alinéa 1er LF (…), alors, dans ce cas, la réserve, existant dans une démocratie parlementaire qui respecte le principe de l’État de droit (rechtsstaatlich-parlamentarischen Demokratie), qui impose la loi ou l’action en vertu de la loi (durch ein Gesetz oder auf Grund eines Gesetzes) comme l’unique moyen susceptible de porter atteinte au domaine des droits fondamentaux, ne peut avoir de sens que si le législateur est seul responsable de la prise des décisions fondamentales (grundlegenden Entscheidungen) dans le domaine concerné35.
La jurisprudence relative à l’administration éducative confirme la solution de la « Gefangenenpostentscheidung ». Il s’agit encore une fois d’un rapport spécial de puissance qui se voit imposer la réserve législative. L’année 1972 finit pour la réserve de loi avec un certain succès, le 6 décembre 1972, la décision « Förderstufe » confirme la ligne jurisprudentielle tracée quelques mois plus tôt par « Gefangenenpostentscheidung » et « Numerus clausus » :
Le principe de l’État de droit exige que les dispositions législatives, dont l’objet est la création de classes préparatoires obligatoires, contiennent les caractères substantiels de cette forme scolaire. Cette exigence n’est pas seulement le résultat du principe de la clarté normative, mais, avant tout, du principe de légalité des actes de l’administration qui dans le domaine des droits fondamentaux, oblige le législateur à délimiter lui-même et à ne pas laisser à la discrétionnarité des autorités administratives, les sphères ouvertes à une réglementation par l’Etat36.
Les rapports qui lient les élèves à l’administration ne peuvent plus être soustraits à l’application du principe de légalité (Gesetzmäßigkeit). L’importance de la matière détermine l’intensité de l’implication législative. Si les règles en question touchent l’exercice des droits fondamentaux, le législateur est obligé d’intervenir. Ici, les décisions fondamentales sont celles qui relèvent de l’exercice des droits fondamentaux. L’abandon de la conception restrictive de la réserve législative et la volonté de la Cour de démontrer une « nouvelle » réserve générale déduite de l’article 20, alinéa 3 LF ne correspondent pas vraiment au sens donné par ces décisions. La réserve législative soi-disant générale est systématiquement ramenée à un article de la Loi fondamentale qui dispose que la limitation de l’exercice de tel ou tel droit fondamental n’est possible que par la loi ou en vertu de la loi.
Ce n’est pas la conception de la réserve de loi qui est nouvelle, ce sont les matières où celle-ci est désormais appliquée : dans les rapports entre administration pénitentiaire et détenus, ou bien dans le domaine de la politique scolaire. Il s’agit de sphères importantes de la vie sociale dont la réglementation nécessite les garanties de la loi. Il n’est plus question de sphères où l’administration s’exerce librement en n’étant soumise qu’au respect du principe de la primauté de la loi.
Le principe de l’État de droit et le principe démocratique de la Loi fondamentale obligent le législateur à prendre lui-même les décisions substantielles dans le domaine de la politique scolaire et à ne pas les déléguer à l’administration (….) Cela vaut en particulier en ce qui concerne les sphères de l’exercice des droits fondamentaux susceptibles de faire l’objet d’une réglementation étatique. Ce qui doit être entendu comme « substantiel » au sens de cette jurisprudence est une question controversée dans le milieu doctrinal et n’a pas fait l’objet d’une clarification définitive de la part des cours supérieures37.
Le critère substantiel de la décision à prendre permet de « détecter » l’exigence d’une réserve de loi, mais le juge le reconnaît lui-même, il n’y a pas d’accord sur ce qui doit être qualifié de substantiel38.
Le principe démocratique exige que les décisions relatives à la réglementation de sphères importantes de la vie sociale soient, au moins dans leurs lignes générales, prises par le législateur démocratiquement légitimé39.
Ce dernier n’est pas totalement libre dans la manière d’exercer sa compétence normative. Tout le travail du juge constitutionnel consiste à dépasser la formule traditionnelle afin de montrer que la réserve de loi remplit deux fonctions : d’une part, elle est protectrice des droits des citoyens, d’autre part, elle est protectrice de la compétence même du législateur démocratique. La loi n’est plus le reflet d’une participation de la représentation nationale à l’exercice du pouvoir législatif dans les cas d’ingérence dans le domaine de la liberté et de la propriété, elle est le résultat de l’activité du Parlement, organe démocratique titulaire du pouvoir législatif. La réserve législative dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle ne doit pas être comprise de manière restrictive. Elle ne signifie guère que seul le législateur a le droit d’intervenir dans certains domaines.
La réserve législative n’exclut aucunement l’intervention du pouvoir exécutif chargé de mettre en œuvre les dispositions législatives. En revanche, il convient de s’interroger sur l’intensité de la loi : le législateur peut-il décider d’autoriser le pouvoir exécutif à intervenir dans des « sphères réservées », et, dans cette hypothèse, quel serait le degré de liberté du pouvoir exécutif ? Il faut trouver un nouveau fondement de la réserve de loi qui permet de moduler l’intensité des règles législatives adoptées par le Parlement et sert de moyen de contrôle au juge constitutionnel dans les cas où le Parlement décide d’abandonner de manière massive sa compétence au profit du pouvoir réglementaire. Ce moyen de contrôler l’intensité de la décision prise par le législateur, la Cour l’a trouvé en élaborant la théorie de la décision substantielle (Wesentlichkeitstheorie).
- Selon Dieter Umbach, « Das Wesentliche an der Wesentlichkeitstheorie », in Wolfgang Zeidler/Theodor Maunz/Gerd Roellecke (éd.), Festschrift Hans Joachim Faller, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, München, 1984, p. 112, il convient de distinguer la réserve de la loi (Vorbehalt des Gesetzes) et la réserve législative (Gesetzesvorbehalt). Dans le premier cas, il s’agirait de cette notion, héritée de la monarchie limitée du XIXe siècle allemand, qui lie le principe de l’État de droit et l’élément démocratique, alors que dans le second cas, il serait question de règles de la Loi fondamentale (« grundgesetzliche Regelungen ») désignant l’instrument normatif en vertu duquel la limitation d’un droit fondamental est rendue possible. Dans l’état du droit positif actuel, il n’existe plus de concurrence de légitmités monarchique et démocratique qui justifieraient la distinction faite par Umbach. Aujourd’hui, les deux expressions sont employées par le juge constitutionnel. Fritz Ossenbühl, «Vorrang und Vorbehalt des Gesetzes », in Josef Isensee/Paul Kirchhof (dir.), Handbuch des Staatsrechts…, vol. 5, op.cit., p. 191, après avoir souligné la différence entre les deux termes, les emploie comme synonymes. Dans le même sens : Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt, Schriften zum Öffentlichen Recht, vol. 1, Duncker & Humblot, Berlin, 1e édition, 1958, p. 321-322, ou encore Gunter Kisker, « Neue Aspekte im Streit um den Vorbehalt des Gesetzes », NJW, 1977, p. 1313. [↩]
- Sur l’adjectif « konstitutionell », voir cette partie, titre 1er, chapitre 2, section 1. [↩]
- Sur ces points, Dietrich Jesch, Gesetz und Verwaltung. Eine Problemstudie zum Wandel des Gesetzmäßigkeitsbegriffs, Mohr Siebeck, Tübingen, 1961, p. 108 et suiv. [↩]
- Sur les problèmes soulevés par la prétendue incompatibilité du principe monarchique et la séparation des pouvoirs : v. cette partie, titre 1er, chapitre 2. [↩]
- Hans Boldt, Deutsche Staatslehre im Vormärz, Droste, Düsseldorf, 1975, p. 91 et suiv. [↩]
- Georg Jellinek, Gesetz und Verordnung, op.cit., p. 283 : « In der Idee beruht diese Staatsform auf der stetigen zusammenstimmenden Thätigkeit der beiden unmittelbaren Staatsorgane, des Monarchen und der Kammern. In der Wirklichkeit des politischen Lebens wird diese Zusammenstimmen in vielen Fällen allerdings das Resultat von Compromissen sein (…) ». Pour une présentation concise : Ulrich Karpen, « Verfassungsgeschichtliche Entwicklung es Gesetzesbegriffs in Deutschland », in Gedächtnisschrift für Wolfgang Mertens, 1987, p. 137-152, spécialement p.142. [↩]
- « (…) und der Souverain kann durch eine landständische Verfassung nur in der Ausübung bestimmter Rechte an die Mitwirkung der Stände gebunden werden ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « Le contrôle incident des normes et les contradictions de l’État monarchique en Allemagne », in du même (dir.), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, op. cit., p. 268, note n°23. Voir également, Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Der Verfassungstyp der deutschen konstitutionnellen Monarchie », in Ernst-Wolfgang Böckenförde/Rainer Wahl, Moderne deutsche Verfassungsgeschichte (1815-1914), 2e édition, Verlag Anton Hain Meisenheim, 1981, p. 148 : « Was bedeutet diese sigenannte monarchische Prinzip ? Verfassungsrechtlich besagte es, daß Träger der Staatsgewalt nicht die souveräne Nation, auch nicht König und Volk gemeinschaftlich seien, sondern der König allein ». [↩]
- Fritz Ossenbühl, « Der Vorbehalt des Gesetzes und seine Grenzen », in Volkmar Götz/Hans Hugo Klein/Christian Starck (dir.), Die öffentliche Verwaltung zwischen Gesetzgebung und richterlicher Kontrolle, C.H. Beck’sche Verlagbuchhandlung, München, 1985, p. 14 : « (…) werden jene Sachbereiche und Sachentscheidungen umrissen, die einer Regelung der Exekutive aus eigener Kompetenz verschlossen und einer Regelung “durch Gesetz” vorbehalten sind ». [↩]
- Fritz Ossenbühl, « Der Vorbehalt des Gesetzes und seine Grenzen », in Volkmar Götz/Hans Hugo Klein/Christian Starck (dir.), Die öffentliche Verwaltung zwischen Gesetzgebung und richterlicher Kontrolle, C.H. Beck’sche Verlagbuchhandlung, München, 1985, p. 15. [↩]
- Jacky Hummel, « État de droit, libéralisme et constitutionnalisme durant le Vormärz », in Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, op.cit., p. 145, note n°65. [↩]
- Fritz Ossenbühl, « Der Vorbehalt des Gesetzes und seine Grenzen », in Volkmar Götz/Hans Hugo Klein/Christian Starck (dir.), Die öffentliche Verwaltung zwischen Gesetzgebung und richterlicher Kontrolle, C.H. Beck’sche Verlagbuchhandlung, München, 1985, p. 15. [↩]
- Ernst-Rudolf Huber, Dokumente zur deutschen Verfassungsgeschichte, vol. 1, 3e édition, Verlag Kohlhammer, Stuttgart, 1978, p. 156 et suiv. Le § 2 du Deuxième titre de la Constitution bavaroise « Ohne den Beyrath und die Zustimmung der Stände des Königreichs kann kein allgemeines neues Gesetz, welches Freyheit der Person oder das Eigenthum des Staats-Angehörigen betrifft, erlassen, noch ein bestehendes abändert, authentisch erläutert oder aufgehoben werden ». La formulation de l’article 65 de la Constitution badoise est plus radicale car elle exige non seulement l’approbation des états, mais impose, pour l’adoption, la modification, l’interprétation ou l’abrogation de la loi touchant à la liberté ou à la propriété, la majorité absolue des deux chambres : « Zu allen anderen, dir Freyheit der Personen oder das Eigenthum der Staatsangehörigen betreffenden allgemeinen neunen Landesgesetzen, oder zur Abänderung oder authentischen Erklärung der bestehenden, ist die Zustimmung der absoluten Mehrheit einer jeden der beyden Kammern erforderlich ». [↩]
- Jacky Hummel, « État de droit, libéralisme et constitutionnalisme durant le Vormärz », in Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l’État de droit. Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, op.cit., p. 147. [↩]
- Jacky Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : le modèle de la monarchie limitée, PUF, collection Léviathan, 2002, p. 77. [↩]
- Christian Seiler, Der einheitliche Parlamentsvorbehalt, Schriften zum Öffentlichen Recht, vol.825, Duncker & Humblot, Berlin, 2000, p. 47 et suiv. [↩]
- Otto Mayer, Deutsches Verwaltungsrecht, vol. 1, 3e édition, Duncker & Humblot, München und Leipzig, 1924, p. 70 : « Dieser Vorbehalt wird in den Verfassungsurkunden auf verschiedene Weise wiedergegeben. Die klassische Form ist die Aufstellung sogennanter Grundrechte oder Freiheitsrechte, wonach den Bürgern persönliche Freiheit, Unverletzlichkeit des Eigentums und sonstiger Rechte gewährleistet werden mit ausdrücklichem oder stillschweigendem Vorbehalt der durch das Gesetz oder auf Grund eines Gesetzes auch in diese Dinge zu machende Eingriffe ». Pour Mayer, l’origine de la réserve de la loi dans les constitutions allemandes est la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui entend limiter le pouvoir exécutif : « (…) Was dadurch beschränkt wird, ist lediglich das Königtum, die vollziehende Gewalt ». [↩]
- Fritz Ossenbühl, « Gesetz und Recht – Die Rechtsquellen », in Josef Isensee/Paul Kirchhof (dir.), Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik Deutschland, vol. 5, 3e édition, 2007, p. 144: « Im Gesetz verwirklichen sich die wesentlichen Grundsätze und Werte der Demokratie und des Rechtsstaates ». [↩]
- « (…) die vollziehende Gewalt und die Rechtsprechung sind an Gesetz und Recht gebunden ». Sur la formule « la loi et le droit » et les difficultés d’application qu’elle peut poser : Eberhard Schmidt-Aßmann, « Gefährdungen der Rechts- und Gesetzesbindung der Exekutive », in Joachim Burmeister (dir.), Verfassungsstaatlichkeit. Festschrift für Klaus Stern zum 65. Geburtstag, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, München, 1997, p. 746 : « Die Bindungsanspruch des Art. 20 Abs. 3 GG selbst ist alles andere als eine leicht handhabbare Formel. “Gesetz und Recht” sind weder ein zufällig gebrauchtes Synonym, noch soll hier leichtin einer Addition oder Summierung diverser Bindungsmaßstäbe das Wort geredet werden ». La formule « par la loi et le droit » signifie toutes les règles existantes, l’ordre juridique tout entier, dont nous attendons, dans le cas idéal, la représentation d’une unité, d’une homogénéité, mais qui, en réalité, est « un réseau complexe que nous pouvons difficilement embrasser » (ein schwer überschaubares Geflecht). Selon Friedrich Müller, Discours de la méthode juridique, trad. fr. Olivier Jouanjan, PUF, collection Léviathan, 1996, p. 127 : « L’article 20, al. 3 LF dispose que les juridictions sont liées par “la loi et le droit”. Cette règle vise simplement, à côté du droit écrit, le droit coutumier ». [↩]
- Hartmut Maurer, Droit administratif allemand, trad. fr. Michel Fromont, 1994, LGDJ, Paris, p. 107. [↩]
- Pour Christoph Degenhart, Staatsrecht I : Staatsorganisationsrecht, 28e édition, 2012, C.F. Müller, Heidelberg, p.122, la primauté de la loi ne signifie rien d’autre que l’obligation pour l’administration de respecter le droit en vigueur qui suppose l’obligation d’appliquer la loi : « Vorrang des Gesetzes bedeutet zunächst nichts anderes als Bindung der Verwaltung an das geltende Recht : Die Verwaltung darf bei ihrem Handeln nicht gegen Rechtsnormen verstoßen ; dies besagt der klare Wortlaut des Art. 20 Abs. 3 GG ». Degenhart déduit de l’article 20, alinéa 3 LF l’obligation de l’exécutif d’appliquer la loi : « (…) folgt auch, dass die Exekutive geltende Gesetze anwenden muss ». [↩]
- Par exemple, BVerfGE 40, 237 « Justizverwaltungsakt » du 28 octobre 1975, p. 248 : « Der Grundsatz des Vorbehalts des (allgemeinen) Gesetzes wird im Grundgesetz nicht expressis verbis erwähnt. Seine Geltung ergibt sich jedoch aus Art. 20 Abs. 3 GG ». [↩]
- Hans-Heinrich Rupp, « Verwaltungsnorm und Verwaltungsverhältnis », in du même, Grundfragen der heutigen Verwaltungsrechtslehre, Mohr Siebeck, Tübingen, 1965, p. 113 et suiv. [↩]
- Gunter Kisker, « Neue Aspekte im Streit um den Vorbehalt des Gesetzes », NJW, 1977, p. 1313: « Streitig ist jedoch, woraus sie herzuleiten sind : Aus Art. 20 III GG (allein oder i. V. mit Art. 80 I GG), aus Verfassungsgewohnheitsrecht, aus den den Grundrechten beigefügten Einzelvorbehalten etc. ? ». [↩]
- Christian Seiler, Der einheitliche Parlamentsvorbehalt, op.cit., p. 64 : « Nicht zuletzt infolge des geänderten Gesetzesbegriffs war die Volksvertretung nicht mehr nur Hüter der Grundrechte, sondern zur politischen Staatsleitung und zur Umsetzung der materiellen Vorgaben der Verfassung berufenes Zentralorgan staatlicher Willensbildung, das alle Fragen an sich ziehen kann, soweit diese einer abstrakt-generellen Regelung zugänglich sind oder soweit eine gesetzliche Einzellfallregelung ausnahmsweise zulässig ist ». [↩]
- BVerfGE 8, 155 « Lastenausgleich » du 6 mai 1958, p. 167 : « Der Inhalt dieses Allgemeinvorbehalts wird herkömmlich mit der Formel umschreiben, daß ein Gesetz dort erforderlich ist, wo “Eingriffe in Freiheit und Eigentum” in Frage stehen. Ob diese Abgrenzungsformel (die sich durch die Gesetzesvorbehalte der Grundrechtsbestimmungen konkretisieren läßt) heute noch ausreichend ist, kann zweifelhaft erscheinen ». En l’espèce, la Cour conlut que la réserve de loi doit être appliquée à l’administration prestataire de services qui dont les actes ne correspondent pas à des actes d’ingérence, et, pourtant, nécessitent un fondement législatif. [↩]
- BVerfGE 40, 237 « Justizverwaktungsakt » du 28 octobre 1975, p. 249 : « Die von der konstitutionellen, bürgerlich-liberalen Staatsauffassung des 19. Jahrhunderts geprägte Formel, ein Gesetz sei nur dort erforderlich, wo “Eingriffe in Freiheit und Eigentum” in Rede stehen, wird dem heutigen Verfassungsverständnis nicht mehr voll gerecht (…). Im Rahmen einer demokratisch-parlamentarischen Staatsverfassung, wie sie das Grundgesetz ist, liegt es näher anzunehmen, daß die Entscheidung aller grundsätzlicher Fragen, die den Bürger unmittelbar betreffen, durch Gesetz erfolgen muß, und zwar losgelöst von dem in der Praxis fließenden Abgrenzungsmerkal des “Eingriffs” ». [↩]
- Hartmut Maurer, Droit administratif allemand, trad. fr. Michel Fromont, 1994, LGDJ, Paris, p. 111 : « La limitation du domaine réservé à la loi à l’administration génératrice d’ingérences dans les activités des individus et de la société apparaît aujourd’hui une idée dépassée ». [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt, 2e édition, 1981, p. 389-390 : « Außenrechtsregelungen, die keinen Eingriffscharakter haben, müssen nicht notwendig durch Gesetz erfolgen, weil sie dem Gesetzesvorbehalt nicht unterliegen, andererseits können sie von der Exekutive nicht originär als Rechtsverordnungen erlassen werden, weil dieser zu originärer, nicht an ein inchaltlich-regelndes Gesetz angelehnter Außenrechtsetzung die Kompetenz fehlt. Es bleibt die Innensteuerung des nach außen “gesetzesfreien” Verwaltungshandelns durch Verwaltungsordnungen. Diese haben nicht den formellen Rechtscharakter und die daraus abgeleitete Rechtswirkung von Rechtsverordnungen, erfüllen aber deren materielle Funktion ». Cette nouvelle réserve de loi étendue au domaine des rapports spéciaux de puissance a, selon Böckenförde, un effet incompatible avec le système dogmatique en vigueur : la reconnaissance d’une compétence normative du pouvoir exécutif, qui revêt la forme de dispositions administratives produisant des effets à l’extérieur de l’administration, en dehors du domaine réservé à la loi : « Was im geltenden dogmatischen System nicht sein darf, ist damit dennoch eingetreten : die Anerkennung einer selbstständigen außenwirksamen Normsetzungsbefugnis der Exekutive außerhalb des Vorbehaltsbereichs in der Form außenwirksamer (interner) Verwaltungsvorschriften ». [↩]
- Pour une présentation des rapports général et spéciaux de puissance : Dietrich Jesch, Gesetz und Verwaltung. Eine Problemstudie zum Wandel des Gesetzmäßigkeitsbegriffs, Mohr Siebeck, Tübingen, 1961, p. 175 et suiv ; p. 206. Cette étude est désormais dépassée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. [↩]
- Christoph Degenhart, Staatsrecht I : Staatsorganisationsrecht, 28e édition, C.F. Müller, Heidelberg, 2012, p.129 : « Besondere Gewaltverhältnisse (…) sind Rechtsverhältnisse, in denen der Bürger in engener Beziehung zur Verwaltung steht als im allgemeinen Staat-Bürger-Verhältnis (…) ». [↩]
- Eberhard Schmidt-Aßmann, Das allgemeine Verwaltungsrecht als Ordnungsidee, 2e édition, Springer, 2004, p. 188 : « (…) ging es darum, tradierte Dogmen zu korrigieren, die mit den Vorstellungen des Grundgesetzes nicht mehr vereinbar waren ». Dans le même sens, Hartmut Maurer, Droit administratif allemand, trad. fr. Michel Fromont, LGDJ, 1994, p. 111 : « L’évolution vers la démocratie parlementaire, l’importance croissante prise par l’administration dispensatrice de prestations et la pénétration du droit constitutionnel dans tous les secteurs de l’activité étatique voulue par la Loi fondamentale exigent son extension [de la réserve de loi]». [↩]
- BVerfGE 33, 1 du 14 mars 1972 « Gefangenenpostentscheidung ». La décision concerne le rapport spécial qui lie l’administration pénitentiaire et les prisonniers. [↩]
- BVerfGE 33, 1 du 14 mars 1972 « Gefangenenpostentscheidung » : « Das Grundgesetz ist eine wertgebundene Ordnung, die den Schutz von Freiheit und Menschenwürde als den obersten Zweck allen Rechts erkennt (…). In Art. 1 Abs. 3 GG werden die Grundrechte für Gesetzgebung, vollziehende Gewalt und Rechtsprechung für unmittelbar verbindlich erklärt. Dieser umfassenden Bindung der staatlichen Gewalt widerspräche es, wenn im Strafvollzug die Grundrechte beliebig oder nach Ermessen eingeschränkt warden könnten. (…) Die Grundrechten von Strafgefangenen können also nur durch oder aufgrund eines Gesetzes eingeschränkt werden (…) » (p. 10-11). Sur cette décision de principe, voir, par exemple, Jürgen Staupe, Parlamentsvorbehalt und Delegationsbefugnis, Schriften zum Öffentlichen Recht, vol. 506, Duncker & Humblot, Berlin, 1986, p. 99 et suiv. Selon Staupe, la décision relative aux rapports entre l’administration pénitentiaire et les prisonniers préfigure la jurisprudence ultérieure sur les rapports entre l’administration éducative et les élèves. [↩]
- BVerfGE 33, 303 « Numerus clausus I » du 18 juillet 1972, p. 346. L’article 12, alinéa 1er LF dispose que « tous les Allemands ont le droit de choisir librement leur profession, leur emploi et leur établissement de formation. L’exercice de la profession peut être réglementé par la loi ou en vertu d’une loi ». La décision sanctionne le §17 de la loi relative à l’université de Hambourg du 25 avril 1969 au motif que le législateur devait prendre des mesures plus précises concernant la limitation du nombre d’étudiants ayant accès aux études supérieures de médecine. [↩]
- BVerfGE 34, 165 « Förderstufe » du 6 décembre 1972, p. 192 : « Es ist ein Gebot der Rechtsstaatlichkeit, daß die gesetzlichen Vorschriften, die die Einführung der obligatorischen Förderstufe zum Gegenstand haben, auch die wesentlichen Merkmale dieser Schulform festlegen. Das verlangt nicht nur der rechtsstaatliche Grundsatz der Normklarheit, sondern vor allem das Prinzip der Gesetzmäßigkeit der Verwaltung, das den Gesetzgeber verpflichtet, im Bereich der Grundrechtsausübung die der staatlichen Gestaltung offenliegende Rechtssphäre selbst abzugrenzen und nicht dem Ermessen der Verwaltungsbehörde zu überlassen ». [↩]
- BVerfGE 45, 400 « Oberstufenreform » du 22 juin 1977, p. 417-418 : « Das Rechtsstaatsprinzip und das Demokratieprinzip des Grundgesetzes verpflichten den Gesetzgeber, die wesentlichen Entscheidungen im Schulwesen selbst zu treffen und nicht der Schulverwaltung zu überlassen (….). Das gilt insbesondere für die der staatlichen Gestaltung offenliegende Rechtssphäre im Bereich der Grundrechtsausübung (…) Was im einzelnen im Sinne dieser Rechtsprechung als wesentlich angesehen werden muß, ist im Schrifttum umstritten und in der höchstrichterlichen Rechtsprechung noch nicht abschließend geklärt ». Dans le même sens, BVerfGE « Sexualkundenunterricht » du 21 décembre 1977, p.78. [↩]
- V. cette partie, section 2, § 1. [↩]
- BVerfGE 41, 251 « Speyer-Kolleg » du 27 janvier 1976, p. 260 : « Ebenso gebiete das demokratische Prinzip, daß die Ordnung wichtiger Lebensbereiche zumindest in ihren Grundzügen vom demokratisch legitimierten Gesetzgeber selbst verantwortet ». [↩]
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