L’article 92, alinéa 1er LF dispose que « le pouvoir de rendre la justice (rechtsprechende Gewalt) est confié aux juges ; il est exercé par la Cour constitutionnelle fédérale, par les cours fédérales prévues par la présente Loi fondamentale et par les tribunaux des Länder ». L’article 92 LF confirme, en précisant l’article 20, alinéa 2 LF, que la fonction juridictionnelle accomplie par les juges constitue un des éléments intégrants du pouvoir d’État1. Ainsi, le pouvoir judiciaire ou le pouvoir de rendre la justice est expressément identifié aux juges qui l’exercent dans le cadre des tribunaux de la Fédération ou des Länder. En ce qui concerne le pouvoir judiciaire, la fonction (rendre la justice) et l’organe coïncident parfaitement. Contrairement au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif, pour lesquels la Loi fondamentale ne fait que mentionner, à l’article 20, alinéa 2 LF, qu’ils sont exercés par des organes spéciaux sans désigner de manière expresse les organes, le « troisième pouvoir » se voit attribué aux juges. Les éléments de définition du pouvoir de rendre la justice démocratiquement légitimé (§1) ont été remis en cause par la décision de la Cour du 15 décembre 1970 dite des Écoutes téléphoniques (§2).
§1. Les éléments de définition du pouvoir de rendre la justice démocratiquement légitimé.
Le juge est démocratiquement légitimé (article 20, alinéa 2 LF) en tant que pouvoir indépendant des deux autres (article 92, alinéa 1er LF), même s’il est lié par la loi (article 20, alinéa 3 LF et article 97, alinéa 1er LF) (A) et la fonction qui lui est constitutionnellement confiée doit être entendue au sens matériel (B).
A. Le pouvoir de rendre la justice est démocratiquement légitimé.
En vertu de l’article 92 LF, le pouvoir de rendre la justice est exclusivement confié à la Cour constitutionnelle fédérale, aux tribunaux de la Fédération et aux tribunaux des Länder, ce qui interdit formellement l’immixtion des organes du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif2. Il s’agit d’un élément essentiel de la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs3. Certes, le pouvoir de rendre la justice est confié à des organes spéciaux, les tribunaux, mais il n’est point défini dans le texte de la Loi fondamentale. Il ne fait par conséquent pas figure d’exception : ni le pouvoir législatif, ni le pouvoir exécutif ne trouvent une définition dans les dispositions constitutionnelles. Le pouvoir de rendre la justice est une notion présupposée, une notion « pré-constitutionnelle ». C’est la raison pour laquelle, selon Helmuth Schulze-Fielitz, « il n’y a eu, jusqu’à présent, aucune définition dominante du “pouvoir de rendre la justice” »4. Une définition possible représente la démarcation des deux autres pouvoirs : « L’exercice du pouvoir de rendre la justice suppose une procédure décisionelle particlièrement imprégnée des règles juridiques, établit des faits relatifs à un cas précis, juge ces faits en tenant compte d’un droit incertain, car contesté ou violé, et agit en dernière instance en appliquant le droit en vigueur par le biais d’un organe neutre et indépendant qui n’est pas partie au litige »5. Ces éléments ne font que donner une définition sommaire ou négative du pouvoir de rendre la justice en le distinguant d’une part du pouvoir législatif6, qui édicte des règles générales et abstraites, qui, en principe, ne servent pas à la résolution d’un différend, et sont concrétisées par le juge, et d’autre part du pouvoir exécutif, qui peut régler des conflits, mais peut ne pas agir en dernière instance : ses décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge7.
En vertu de l’article 20, alinéa 2 LF, le pouvoir judiciaire bénéficie de la même légitimité démocratique que le pouvoir législatif ou le pouvoir exécutif8. Cette légitimation démocratique se compose de plusieurs éléments : la légitmation fonctionnelle et institutionnelle, la légitimation personnelle et organisationnelle, et, enfin, la légitimation matérielle. En ce qui concerne la première, il s’agit de « la formation constitutionnelle des pouvoirs législatif, exécutif ou judiciaire en tant que pouvoirs d’État autonomes démocratiquement légitimés »9. Ce pouvoir démocratiquement légitimé est exclusivement confié aux juges aux termes de l’article 92 LF. Ainsi, l’article 20, alinéa 2 et l’article 92 LF constituent le socle normatif de la légitimation fonctionnelle et institutionnelle du pouvoir de rendre la justice. Cet élément de la composition de la légitimation démocratique n’est pas suffisant : il est possible que « le lien de légitimation avec le peuple » soit rompu10. Le deuxième type de légitimation démocratique du juge, la légitimation personnelle et organisationelle touche aux différents modes de désignation des juges, à la garantie de leur indépendance et à la relation entre les juridictions ordinaires et les ministères. La légitimation personnelle des juges résulte de leur mode de désignation : ils peuvent être nommés par des membres du pouvoir exécutif ou, le cas échéant, par une commission parlementaire spécialement formée, ou être élus par une commission composée de représentants des pouvoirs législatif, exécutif, de juges et d’autres personnalités. Les modes de désignation des juges sont strictement encadrés par la Cour de Karlsruhe11. La désignation des juges par des membres du pouvoir exécutif fut toujours critiquée à raison de sa prétendue incompatibilité avec le principe démocratique, le pincipe de l’indépendance des juges et le principe de séparation des pouvoirs. Cependant, ce mode de nomination des juges n’est contraire à aucun de ces trois principes. La légitimation démocratique est toujours présente, même en l’absence d’une élection. La nomination ne veut pas dire que le juge nommé par le pouvoir exécutif se trouve dans une situation de dépendance personnelle et fonctionnelle. L’emprise du pouvoir exécutif s’épuise dans l’acte de nomination : au-delà, l’article 97 LF assure l’indépendance du juge qui ne peut pas être remise en cause par ce mode de désignation. L’acte de nomination ne porte pas atteinte à l’indépendance du « troisième pouvoir », son noyau de compétences exclusif (Kernbereich) est intact. Il ne peut donc pas y avoir d’atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Selon l’affirmation très claire de l’article 20, alinéa 3 LF, le pouvoir de rendre la justice n’est lié que par la loi et le droit12. Cette disposition est complétée par l’article 97, alinéa 1er LF, deuxième partie de la phrase (« les juges […] n’obéissent qu’à la loi »), qui ne fait que concrétiser l’article 20, alinéa 3 LF. Le même constat vaut dans l’hypothèse où il n’existe pas un ministère de la justice autonme : le principe de l’indépendance des juges ne peut pas être violé « car les moyens d’influence du pouvoir exécutif sont limités »13 et ne peuvent point constituer une menace ou une contrainte pour le libre exercice de l’activité du juge.
La légitimation démocratique objective-matérielle du pouvoir de rendre la justice consiste avant tout en l’obligation du juge de respecter et d’appliquer la loi14. Bien sûr, il n’est nullement question d’une application mécanique de la loi. L’article 20, alinéa 3 LF et l’article 97 ont une autre signification : le juge est lié par le droit et la loi en vigueur, mais cette obligation n’exclut pas une marge de manœuvre quant à l’interprétation et à l’application de ces règles. La légitimation matérielle veut aussi dire que le juge ne reçoit d’ordre ou de directives de personne. « Elle est prioritairement destinée à parer l’iinfluence du pouvoir exéctuif, mais, au bout du compte, elle assure également une protection contre les tentatives d’influence du pouvoir législatif en dehors de la loi. »15 C’est à ce niveau de légitimation matérielle que réside le paradoxe du principe selon lequel le juge n’est lié que par la loi. Si le juge est nécessairement lié par la loi, la manière dont il l’applique, l’interpète, bref, dont il concrétise son contenu n’est soumise à aucun contrôle externe16. Un tel contrôle n’est guère possible car il signifierait une emprise du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif sur l’activité du juge et équivaudrait à une soumission totale de celui-ci en sonnant ainsi la fin de son indépendance.
Le pouvoir de rendre la justice peut être entendu au sens formel et au sens matériel17. Au sens formel, le pouvoir de rendre la justice est lié à une procédure spécifique dans le cadre delaquelle le juge est amené à résoudre un différend et prononcer une décision. Il s’agit de l’ensemble des procédures et missions qui sont confiées par la loi aux tribunaux18. Cette conception purement formelle, organique du pouvoir de rendre la justice ne permet pas d’en voir la teneur. Or, afin de tracer une ligne de démarcation, qui ne doit pas être franchie par les deux autres pouvoirs, il convient de tenter de savoir quelles sont les missions matérielles accomplies par le juge. Il est difficile d’arrêter une définition précise rendant compte de ce qui devrait être la « matière » du pouvoir judiciaire. Aux termes de l’article 20, alinéa 3 LF, lu en combinaison avec l’article 92 LF ce pouvoir est exercé de manière exclusive par des organes spéciaux. Ces organes spéciaux sont les tribunaux. Il y a par conséquent une identification parfaite entre le pouvoir et l’organe, ce qui signifie que seuls les tribunaux sont habilités à excercer le pouvoir de rendre la justice. Ce sont les organes chargés de protéger l’individu contre les actes de la puissance publique au sens de l’article 19, alinéa 4 LF19.
B. La définition matérielle du pouvoir de rendre la justice.
La notion du pouvoir de rendre la justice n’est pas définie par la Loi fondamentale. Il n’y a que des éléments de définition matérielle et fonctionelle20, dont le juge constitutionnel se sert, afin de poser des limites censées protéger le domaine du pouvoir de rendre la justice face aux pouvoirs législatif et exécutif. Il est généralement admis que le noyau de compétences exclusif du « troisième pouvoir » est composé des missions constitutionnellement attribuées au juge ou encore des décisions rendues par le juge en matière civile et pénale21. Ce noyau exclusif est en règle générale inaccessible pour le législateur et il ne peut pas en disposer librement en le vidant de son contenu22. Le législateur est lié par la notion matérielle du pouvoir judiciaire telle qu’elle est interprétée par le juge constitutionnel, mais dispose cependant d’une certaine marge de liberté quant à l’étendue des missions du pouvoir judiciaire23.
Les éléments de définition du pouvoir de rendre la justice donnés par le juge constitutionnel tendent à dépasser la conception formelle, dominante sous l’empire de la Constitution de Weimar de 191924. Sans en donner une définition complète, la Cour constitutionnelle fédérale, dans une jurisprudence constante, cherche à construire une notion matérielle du «troisième pouvoir ». Ainsi, les litiges de nature civile ou criminelle en font partie25. L’article 92 LF, qui représente une concrétisation du principe normatif de la séparation des pouvoirs ancré dans l’article 20, alinéa 2 LF, livre des détails de caractère organisationnel et matériel :
Conformément à l’art. 92 LF la notion du pouvoir de rendre la justice ne peut être entendue que d’un point de vue matériel. (…) [A]rt. 92 est certes une norme organisationelle, mais contient surtout une signification matérielle dans la mesure où elle accomplit l’attribution de missions determinées au pouvoir de rendre la justice. Lui sont ainsi attribuées celles des missions que la Constitution, à d’autres endroits, confie aux tribunaux (…)26.
Dans cette décision de principe du 6 juin 1967, la Cour scelle la conception matérielle du pouvoir juridictionnel en s’appuyant sur la norme contenue dans l’article 92 LF. L’énoncé laconique de cette disposition constitutionnelle permet en effet de faire le lien avec d’autres articles relatifs au pouvoir de rendre la justice. Ainsi, à chaque fois que la Loi fondamentale mentionne les termes de « juge », « tribunal », « cour », il faut en déduire qu’on est en présence de compétences expressément attribuées au « troisième pouvoir » qui ne peuvent aucunement être accomplies par les organes investis des pouvoirs législatif ou exécutif. De telles dispositions constitutionnelles sont, à titre d’exemple, les articles 13, alinéa 227, 14, alinéa 328, ou encore 19, alinéa 429, 9330 LF. Les articles n’épuisent pas les compétences du pouvoir de rendre la justice, ils ne font que compléter la définition matérielle livrée par la Cour31.
L’un des éléments du noyau matériel, la justice pénale, permet de tracer la ligne de démarcation des deux autres pouvoirs législatif et exécutif, particulièrement en ce qui concerne l’administration. En effet, dans certaines hypothèses, le législateur peut être tenté de confier d’importants pouvoirs de sanction à l’administration s’apparentant à de véritables peines de nature pénale. Or, selon le juge constitutionnel, prononcer des sentences pénales est une compétence du pouvoir de rendre la justice et non pas celle de l’administration. Doter cette dernière de compétences en matière pénale aboutirait à priver les citoyens de leur droit à un juge légal protégé par l’article 101, alinéa 1er LF32. Il est exclu que des compétences attribuées par la Constitution au pouvoir juridictionnel soient transférées par le législateur aux autorités exécutives33. Le pouvoir législatif n’est pas assimilé à la « puissance publique » dont les mesures peuvent être attaquées par le biais d’un recours juridictionnel garanti par l’article 19, alinéa 4 LF34. Le « recours juridictionnel », garanti à toute personne lésée par un acte de la puissance publique est destiné à contrebalancer « la posture autoritaire du pouvoir exécutif »35
Le contrôle exercé par le juge sur les actes du pouvoir exécutif, mais aussi sur tous les actes de la puissance publique, dont la conformité à la Constitution peut être examinée par la juridiction constitutionnelle, sont des éléments de l’État de droit et font ainsi partie du système d’équilibre entre les pouvoirs36. Le droit à un recours juridictionnel contre les actes du pouvoir exécutif est garanti par l’article 19, alinéa 4 LF. Néanmmoins, dans une décision du 15 décembre 197037 dite Écoutes téléphoniques, la Cour décide que ce droit peut être également garanti par un autre type de recours ouvert devant des institutions formées par le Parlement avec le concours du gouvernement.
§2. La décision dite des Écoutes téléphoniques du 15 décembre 1970.
La décision de la Deuxième chambre de la Cour constitutionnelle datée du 15 décembre 1970 relative à la révision de l’article 10, alinéa 2 LF entre en contradiction avec la jurisprudence antérieure concernant le droit à un juge légal qui fait partie des compétences traditionnelles du pouvoir de rendre la justice (A). La solution est accompagnée de l’opinion dissidente des juges Geller, von Schlabrendorff et Rupp, et fait l’objet de vives critiques doctrinales (B).
A. Le droit à un recours juridictionnel ne fait pas partie du noyau de compétences exclusif du pouvoir de rendre la justice.
La dix-septième loi portant révision de la Loi fondamentale du 24 juin 196838 apporte une modification substantielle à l’article 10 LF39. Il est désormais possible, en cas de danger pour « l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou l’existence ou la sécurité de la Fédération ou d’un Land », d’apporter, en vertu d’une loi, des restrictions au secret de la correspondance, de la poste et des télécommunications sans que la personne visée en soit informée. Jusqu’ici, la révision de l’article 10 LF ne choque guère. La loi modifiant le texte constitutionnel fut adoptée dans la période trouble de la fin des années 1960 et fait partie de ce qu’il est admis d’appeler « la constitution d’urgence » (Nostandsverfassung)40. Il est possible de restreindre le droit fondamental en cause sans fournir un renseignement préalable à l’intéressé dans l’objectif de garantir la protection de l’ordre constitutionnel de la Loi fondamenale, l’existence ou la sécurité de la Fédération ou d’un Land. Mais la phrase qui suit pose le véritable problème : dans le cas de figure mentionné, « le recours jurdictionnel sera remplacé par le contrôle d’organes et d’organes auxiliaires désignés par la représentation du peuple ». L’ajout de cette nouvelle technique de contrôle des mesures, prises par la puissance publique, impose une modification de l’article 19, alinéa 4 LF aux termes duquel « quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d’un recours juridictionnel ». Ainsi, une dernière phrase complète l’alinéa 4 qui dispose que l’article 10, alinéa 2, deuxième phrase n’est pas « affecté ».
Interrogée sur la conformité de la loi complétant l’article 10, alinéa 2 LF avec la « clause d’éternité » de l’article 79, alinéa 3 LF en combinaison avec les articles 1er et 20 LF, la majorité des juges composant la Deuxième chambre de la Cour déclare la disposition conforme à la Loi fondamentale41. Selon les cinq juges-auteurs de la décision, le principe de séparation des pouvoirs, contenu dans l’article 20, alinéa 2 LF et protégé par l’article 79, alinéa 3 LF42, n’équivaut pas à une interdiction absolue de remplacer, dans certains cas particuliers, la voie de recours juridictionnelle ouverte au justiciable par le recours formé contre une mesure du pouvoir exécutif formé devant un organe émis par le Parlement. Plus encore, l’institution ainsi créée par la révision constitutionnelle, même si elle bénéficie de la garantie de l’indépendance dans l’accomplissement de cette mission, agit « à l’intérieur du domaine de compétences du pouvori exécutif »43. Les circonstances exceptionnelles, dans lesquelles sont déclenchées les écoutes et surveillance da la personne visée, justifient par conséquent la suppression du recours juridictionnel. La protection juridictionnelle contre un acte de la puissance publique qui léserait les droits d’une personne ne fait pas partie du noyau de compétences exclusif du pouvoir de rendre la justice. La garantie du recours devant un juge de l’article 19, alinéa 4 LF n’entre pas, selon la Cour, dans le champ d’application de la « clause d’éternité » et se trouve par conséquent à la disposition du législateur qui modifie le texte constitutionnel.
Le principe de séparation des pouvoirs doit rester intact, mais les modalités de sa mise en œuvre peuvent faire sans problème l’objet d’une modification. Dans ce cas, la théorie du noyau de compétences exclusif développée dans la jurisprudence constitutionnelle se trouve mise en difficulté. La décision prise par le pouvoir exécutif de mettre sur écoute un individu constitue une intrusion dans la sphère privée individuelle et une atteinte portée au droit fondamental de l’article 10 LF. Ici, après avoir évacué la possibilité d’une non-conformité avec l’article 20 ou 79, alinéa 3 LF, le juge étaie un argumentaire démontrant que l’hypothèse d’une menace sécuritaire, ayant pour objet l’ordre constitutionnel pris dans son intégralité ou bien la Fédération ou un Land en particulier, dicte la solution adoptée selon laquelle le contrôle d’un organe hybride n’appartenant pas au « troisième pouvoir » doit se substituer au recours juridictionnel. En effet, si l’intéressé devait pouvoir exercer un recours « normal », il faudrait que les autorités publiques l’informent de la décision de le mettre sur écoute, ce qui viderait de tout son sens la mesure prise.
La solution majoritaire ne convainc pas les trois juges dissidents Geller, Schlabrendorff et Rupp, qui critiquent tant les arguments avancés que le résultat obtenu.
B. Opinion dissidente et critique doctrinale.
Selon Peter Häberle, la décision du 15 décembre 1970 ne tient pas compte du principe de séparation des pouvoirs et ceci dans ses deux composantes, objetctive et subjective. D’un point de vue objectif, la création d’une procédure ersatz remplaçant le recours juridictionnel porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs entendu comme un système de contrôle et de limitation de la puissance publique. Le contrôle exercé par l’organe créé par la représentation populaire ne dispose pas des moyens du juge. D’un point de vue subjectif, la division des pouvoirs accomplit la mission de garantir la liberté de l’indvidu contre les actes de la puissance publique. Le pouvoir de rendre la justice est celui qui joue le rôle central dans la protection de la sphère des libertés de l’individu. L’impossibilité de saisir un juge légal conduit à la violation du noyau de compétences exclusif du juge. En l’espèce, le raisonnement relatif à ce noyau exclusif n’est pas appliqué au « troisième pouvoir ». Article 10, alinéa 2 LF constitue une « ingérence » dans la sphère pivée à « l’intensité inconnue et la portée difficilement prévisible » est par conséquent une atteinte à la fonction juridictionnelle44. L’analyse de la majorité des juges semble ici entrer en conflit avec la jurisprudence antérieure de la Cour selon laquelle le pouvoir de rendre la justice représente « en vertu de l’article 19, alinéa 4 LF un contrôle répressif des actes d’ingérence de la puissance publique » qui se trouve « exclusivement confié aux tribunaux »45.
Contrairement à l’analyse majoritaire, l’opinion minoritaire constate l’incompatibilité de l’article 10, alinéa 2 LF avec l’article 20, alinéa 2 LF, protégé par l’article 79, alinéa 3 LF. Le principe normatif de la division contient l’interdiction de remettre en cause les compétences exclusives de chacun des trois pouvoirs. Le support textuel du principe, l’article 20, alinéa 2 LF, contient, selon les trois juges, l’idée de la protection juridictionnelle de l’individu concrétisée par l’article 19, alinéa 4 LF :
Dans le système de séparation des pouvoirs, la garantie d’une protection juridictionnelle individuelle est la fonction de la justice, car elle sert à protéger l’individu contre les ingérences des deux autres pouvoirs. Les organes de protection juridictionnelle appartiennent par conséquent au domaine fonctionnel de la justice. (…) Il n’est plus besoin d’insister sur le fait que la procédure secrète, telle qu’elle est autorisée par l’article 10, alinéa 2, deuxième phrase LF, une procédure, dans laquelle l’individu concerné n’a pas la possibilité d’être entendu et de se défendre, n’offre aucune protection juridictionnelle46.
Le lien fait entre ces deux dispositions constitutionnelles et l’affirmation que le principe de séparation des pouvoirs se trouve concrétisé par le droit à un recours juridictionnel contre les actes de la puissance publique paraît problématique. Car, en mettant en exergue la qualité de norme concrétisante de l’article 19, alinéa 4 LF, les juges minoritaires ne font que confirmer le raisonnement de la majorité de la Chambre. S’il s’agissait ici d’une simple mise en œuvre, d’une concrétisation du principe de l’article 20, alinéa 2 LF, alors, la protection de la « clause d’éternité » ne pourrait guère s’appliquer. Si, au contraire, les articles mettant en œuvre le principe normatif de la séparation des pouvoirs tombaient sous cette protection et échappaient ainsi à toute possibilité de révision constitutionnelle, dans ce cas de figure, une grande partie du texte de la Loi fondamentale se trouverait figée et hors la portée du législateur chargé de modifier le texte initial. La distinction opérée entre le principe lui-même et les différentes modalités d’application sert à éviter une telle compréhension rigide et paralysante de l’article 79, alinéa 3 LF. Certes, le résultat est critiquable : la personne visée par un acte du pouvoir exécutif est mise sur écoute, le droit fondamental au secret de sa correspondance se trouve excessivement restreint, sans qu’il y ait la moindre possibilité de contester la mesure devant un juge dans les formes d’une procédure juridictionnelle. Cependant, il est impossible d’arriver à la conclusion selon laquelle le droit à recours juridictionnel, en tant que concrétisation du principe normatif de la séparation des pouvoirs, ne peut être modifié ou aménagé47.
La décision du 15 décembre 1970 ne présage-t-elle les mesures exceptionnelles prises dans les années 2000 en vue de combattre le terrorisme ? Les lois « anti-terroristes », adoptées en Allemagne à la suite du Patriote Act états-unien de 2001, ne constituent-elles pas la dernière étape de la destruction progressive de certains droits fondamentaux, notamment ceux garantissant le secret de la correspodence, au nom d’une politique sécuritaire performante ? Sous couvert de la volonté étatique de mieux protéger les individus, cette obsession sécuritaire ne conduit-elle vers un contrôle accru et vers la dépossession progressive des moyens mis à disposition du juge afin de garantir le cœur de la sphère privée des individus inaccessible à la puissance publique ? Si le droit à un recours juridictionnel est constitutionnellement garanti (par l’article 19, alinéa 4 LF) et représente un des éléments composant le domaine de compétences du pouvoir de rendre la justice, n’est-il pas problématique que la Cour constitutionnelle, dès 1970, accepte, même s’il s’agit d’une hypothèse extrêmement grave, celle d’une menace pesant sur l’ordre démocratique et libéral, la création d’une procédure ersatz de contrôle des actes de la puissance publique privant la personne mise sur écoute de la possibilité de former un recours devant le juge compétent. Dans le cas de l’article 10, alinéa 2 et des organes institués par la représentation populaire qui remplacent le juge comme organe de contrôle, n’est-il pas question d’une sorte d’ « ersatz »-« tribunal » exceptionnel ?
- Karl-August Bettermann, « Die rechtsprechende Gewalt », in Josef Isensee/Paul Kirchhof (dir.), Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik Deutschland, vol. 3 (Das Handeln des Staates), 1e édition, C.F.Müller, Heidelberg, 1988, p. 776-777 : « Er bestätigt die schon in Art. 20 Abs. 2 vorgenommene Qualifikation der Rechtsprechung als Staatsgewalt und erinnert daran, daß die “Gewalten” der Teilungslehre nicht bloß Funktionen, sondern über die Kompetenzen auch Machtbefugnisse bezeichnen, denen Träger – bei der Rechtsprechung nach Art. 92 die Richter – nicht bloß Funktionäre, auch nicht nur Kompetenzträger, sondern Macht(in)haber, Gewalt(in)haber sind. (…) Für die “dritte”, die “rechsprechende Gewalt”, normiert das Grundgesetz keine vergleichbaren Kombinationen. Im Gegenteil beschränkt es die “Sonderung” des Art. 20 Abs. 2 S. 2 durch Art. 92 HS 1, wo es “die rechsprechende Gewalt den Richtern anvertraut”. Allgemein wird dies dahin verstanden, daß die Staatsfunktion Rechsprechung nur durch Gerichte und innerhalb der Gerichte nur durch Richter, ausgeübt werden darf. Art. 92 begründet ein Rechsprechungsmonopol der Richter und Gerichte. Die Rechtsprechung steht unter Richtervorbehalt ». [↩]
- Helmuth Schulze-Fielitz, « Artikel 92 », in Horst Dreier (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, Mohr Siebeck, 2000, p. 361 : « Nach Art. 92 (…) obliegt die Staatsaufgabe Rechtsprechung ausschließlkich staatlichen Gerichten und ihren Richtern ; er verbietet den Organen der gesetzgebenden und vollziehenden Gewalt, rechtsprechende Gewalt auszuüben ». [↩]
- Reinhold Zippelius/Thomas Würtenberger, Deutsches Staatsrecht, 32e édition, C.H. Beck, München, 2008, p. 437 : « Darin verwirklicht sich eine wesentliche Seite der Gewaltenteilung (…) ». Dans le même sens, Werner Heun, Die Verfassungsordnung der Bundesrepublik Deutschland, Mohr Siebeck, Tübingen, 2012, p. 185 : « Das Gewaltenteilungsprinzip wird durch die Festellung in Art. 92 GG, dass die Rechtsprechung den Richtern übertragen ist und durch verschiedene Gerichte ausgeübt wird, weiter konkretisiert und akzentuiert ». [↩]
- Helmuth Schulze-Fielitz, « Artikel 92 », in Horst Dreier (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, Mohr Siebeck, 2000, p. 364: « (…) wird als vorkonstitutionneller Begriff vorausgesetzt. (…) hat sich bislang keine Definition der “rechtsprechenden Gewalt” als dominierend durchgesetzt».Werner Heun, Die Verfassungsordnung…, p. 185, souligne la difficulté inhérente à l’affirmation de l’article 92 LF confiant le pouvoir de rendre la justice aux tribunaux. À la lecture de cette disposition, « la question extrêmement difficile qui se pose de manière immédiate est de savoir ce qui doit être entendu par la notion de pouvoir de rendre la justice » (« […] wirft damit unmittelbar die ungemein schwierige Frage auf, was unter Rechtsprechung zu verstehen ist »). [↩]
- Helmuth Schulze-Fielitz, « Artikel 92 », art. précit., p. 366 : « Die Ausübung der rechtsprechenden Gewalt setzt (1) ein besonderes rechtlich geregeltes Entscheidungsverfahren voraus, stellt (2) einzelfallbezogen einen konkreten Sachverhalt fest, beurteilt (3) diesen vor dem Hintergrund ungewissen, weil umstrittenen oder verletzten Rechts und handelt (4) letzverbindlich und rechtskräftig streitentscheidend allein in Anwendung des geltenden Rechts durch (5) ein unabhängiges und am Ausgangskonflikt unbeteiligtes (neutrales) Staatsorgan (…) ». [↩]
- Christian Starck, « Die Bindung an Gesetz und Verfassung », VVDStRL, n°34, De Gruyter, Berlin/New York, 1976, p. 65, et les références citées : « Die Funktion der Rechtsprechung wird häufig in Abgrenzung zur Gesetzgebung mit griffigen Formeln gekennzeichnet wie : der Gesetzgeber gestalte, der Richter bewahre ; der Gesetzgeber entscheide politisch, der Richter rechtlich ; der Gesetzgeber setze Recht, der Richter wende Recht an. (…) Diese Umschreibungen treffen nur Aspekte der richterlichen Tätigkeit. Auch der Gesetzgeber bewahrt, der Richter gestaltet ; auch der Gesetzgeber entscheidet Streit im weiteren Sinne und behebt Rechtsungewißheit usw. ». [↩]
- Helmuth Schulze-Fielitz, « Artikel 92 », in Horst Dreier (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, Mohr Siebeck, 2000, p. 366. [↩]
- Gerd Roellecke, « Die Bindung an Gesetz und Verfassung », VVDStRL, n°34, De Gruyter, Berlin/New York, 1976, p. 31 : « Da alle Staatsgewalt vom Volke ausgeht und da Rechtsprechung Ausübung von Staatsgewalt ist (Art. 20 Abs. 2 GG), muß der Richter das Recht vom Volke nehmen ». [↩]
- Andreas Voßkuhle/Gernot Sydow, « Die demokratische Legitimation des Richters », JZ, 2002, p.676 : « Funktionnell-institutionelle Legitimation bezeichnet die verfassungsrechtliche Konstituierung von Legislative, Exekutive und Judikative als eigenständige, je für sich demokratisch legitimierte Staatsgewalten ». [↩]
- Andreas Voßkuhle/Gernot Sydow, « Die demokratische Legitimation des Richters », art.précit., p. 676. [↩]
- Andreas Voßkuhle/Gernot Sydow, « Die demokratische Legitimation des Richters », art. précit., p. 676, et les références aux décisions de la Cour. S’agissant de l’élection des juges à la Cour constitutionnelle fédérale, le mode d’élection mis en œuvre par le Bundestag a fait l’objet d’un recours constitutionnel. En effet, au lieu d’être élus par l’ensemble des députés, huit juges constitutionnels sont élus par les membres d’une commission parlementaire spéciale, contrairement à la procédure d’élection par le Bundesrat où les juges sont élus par l’assemblée tout entière. Sur ce point, voir infra, section 2. [↩]
- « (…) le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire sont liés par le droit et la loi ». Comme le remarque Gerd Roellecke, « Die Bindung des Richters an Gesetz und Verfassung », VVDStRL, n°34, De Gruyter, Berlin/New York, 1976, p. 8 : « (…) Klarer als das Grundgesetz scheint eine Verfassung das Verhältnis zwischen Richter und Gesetz kaumm bestimmen zu können ». [↩]
- Andreas Voßkuhle/Gernot Sydow, « Die demokratische Legitimation des Richters », art. précit., p. 678 : « Daß die richterliche Unabhängigkeit verletzt ist, falls die Justiz nicht in einem eigenständigen Justizministerium ressortiert, wird man angesichts der beschränkten Einflußmöglichkeiten der Exekutive wohl letztlich nicht annehmen können ». [↩]
- Gerd Roellecke, « Die Bindung an Gesetz und Verfassung », VVDStRL, n°34, De Gruyter, Berlin/New York, 1976, p. 31: « Also habe der Gesetzgeber die höhere demokratische Legitimation. Und deshalb sei der Richter an das Gesetz gebunden ». Voir également Christian Starck, « Die Bindung an Gesetz und Verfassung », VVDStRL, n°34, De Gruyter, Berlin/New York, 1976, p. 48 qui souligne la double liaison du juge: « Die von der Verfassung postulierte Bindung des Richters ist eine doppelte: Der Instanzrichter ist an das Gesetz gebunden, aber nur, soweit dieses der Verfassung entspricht. (…) Die doppelte Bindung an Gesetz und Verfassung gebietet – soweit möglich – verfassungskonforme Auslegung von Gesetzen und verlangt ferner, die in der Verfassung zum Ausdruck gebrachten Rechtsgedanken in die Auslegung und Anwendung offener und unbestimmter Gesetzen einfließen zu lassen » (souligné dans le texte). [↩]
- Andreas Voßkuhle/Gernot Sydow, « Die demokratische Legitimation des Richters », art. précit., p. 679. [↩]
- Andreas Voßkuhle/Gernot Sydow, « Die demokratische Legitimation des Richters », art.précit., p. 679 : (…) anderseits bleibt die Art und Weise der Aufgabenwahrnehmung im Kern unkontrolliert ». Selon Voßkuhle et Sydow, ce paradoxe du principe selon lequel le juge n’est lié que par la loi et l’impossibilité de contrôle la manière dont la loi est concrétisée représente une « faille » dans la chaîne de légitimation démocratique (Legitimationslücke). [↩]
- Peter Badura, Staatsrecht : Systematische Erläuterung des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland, 2e édition, C.H. Beck, 1996, p. 570. [↩]
- Peter Badura, Staatsrecht : Systematische Erläuterung des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland, op. cit., p. 570 : « In einem formellen (…) Sinn, kann man als “Rechtsprechung” alle Verfahren und Entscheidungsaufgaben bezeichnen, die das Gesetz den Gerichten zugewiesen hat ». [↩]
- « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d’un recours juridictionnel. Lorsqu’aucune autre juridiction n’est compétente, le recours est porté devant la juridiction ordinaire (…) ». [↩]
- Schmidt-Bleibtreu/Hopfauf, in Schmidt-Bleibtreu/Klein, Grundgesetz Kommentar, 10e édition, Luchterhand, München, 2004, p. 1686 : « Das BVerfG betont vielmehr, dass der rechtsprechenden Gewalt durch Verfassungsrechtsprechung nicht abschließend geklärt ist, und stellt maßgeblich auf materielle und funktionelle Kriterien ab » ; Karl-August Bettermann, « Die rechtsprechende Gewalt », in Josef Isensee/Paul Kirchhof (dir.), Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik Deutschland, t. 3 (Das Handeln des Staates), 1e édition, C.F.Müller, Heidelberg, 1988, p. 784 : « Wenn Art. 92 GG der Rechtsprechung den Richtern vorbehält, also alle anderen Staatsorgane von der Staatsfunktion Rechtsprechung ausschließt, setzt er einen materiellen oder funktionellen Begriff der Rechtsprechung voraus ». [↩]
- Schmidt-Bleibtreu/Hopfauf, in Schmidt-Bleibtreu/Klein, Grundgesetz Kommentar, 10e édition, Luchterhand, München, 2004, p. 1686. Dans le même sens, Peter Badura, Staatsrecht : Systematische Erläuterung des Grundgesetzes für die Bundesrepublik Deutschland, op.cit., p.570 : « Dem Gegenstand nach, “materiell” gehören die Entscheidung bürgerlicher Rechtsstreitigkeiten, die Ausübung der Strafgerichtsbarkeit und der gerichtliche Rechtschutz gegenüber der öffentlicher Verwaltung zur Rechtsprechung, wie sie die Verfassung voraussetzt ». Selon Peter Badura, la protection juridictionnelle contre des actes de l’administration (Verwaltung) appartient aux missions matérielles du juge qui sont inaccessibles au législateur. Cependant, cette manière de voir fut contestée par la décision sur les Écoutes téléphoniques (BVerfGE 30, 1), voir infra. De plus, la protection juridictionnelle n’est pas uniquement destinée contre les actes de l’administration, mais, de manière plus générale, contre les actes du pouvoir exécutif (des actes de l’exécutif, mais aussi des actes des juridictions etc.). Badura lui-même parle non plus de l’administration, mais du pouvoir exécutif (Exekutive) quelques pages plus loin (p. 586). [↩]
- Helmuth Schulze-Fielitz, « Artikel 92 », in Horst Dreier (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, Mohr Siebeck, 2000, p. 368 : « (…) entscheidet Art. 92 GG auch konstitutiv, daß die traditionellen Kernbereiche der Rechtsprechung, namentlich die Entscheidungen der bürgerlichen und strafrechtlichen Gerichtsbarkeit, materiell zur rechtsprechenden Gewalt i.S. von Art. 92 GG zu zählen sind, auch wenn sie im Text des Grundgesetzes nicht ausdrücklich hervorgehoben werden. Diese Kernaufgaben können der Rechtsprechung auch durch Gesetz nicht entzogen werden. Zu den Kernbereichen der Strafgerichtsbarkeit gehören die Verhängung von Kriminalstrafen einschließlich Geldstrafen (…). Zum Kernbereich der bürgerlichen Gerichtsbarkeit gehören etwa Rechtsstreitigkeiten vermögensrechtlicher Art, aber nur ein Teil der Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit. Zum Kernbereich der Verwaltungsgerichtbarkeit gehören alle von Art. 19 IV GG garantierten Rechtsschutzmöglichkeiten gegen den Bürger belastende, d.h. potentiell in seinen Rechten verletzende Handlungen der Verwaltung, etwa auch die Eintscheidung über streitge Statusfragen (im Staatsangehörigkeitsrecht) ». [↩]
- Helmuth Schulze-Fielitz, « Artikel 92 », in Horst Dreier (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, Mohr Siebeck, 2000, p. 369-370. [↩]
- Voir le commentaire de Gerhard Anschütz, Die Verfassung des Deutschen Reiches, 14e édition, 1933, Hermann Gentner Verlag, réimpression 1960, p. 479 et suiv., de l’article 103 de la Constitution de 1919 qui dispose que la « justice ordinaire est exercée par le Tribunal de l’Empire et par les tribunaux des Länder » (« [die] ordentliche Gerichtsbarkeit wird durch das Reichsgericht und durch die Gerichte der Länder ausgeübt »). Pour Anschütz « la justice ordinaire est la sphère d’action des tribunaux ordinaires dont l’organisation et procédures sont réglées par les lois fédérales sur la justice, avant d’être établies par la loi constitutionnelle portant sur les tribunaux et les règlements de procédure » (« Ordentliche Gerichtsbarkeit ist der Wirkungskreis der in ihrer Einrichtung und ihrem Verfahren durh die Reichsjustizgesetze, vorab durch das GVG [Gerichtsverfassungsgesetz] und die Prozeßordnungen geregelten ordentlichen Gerichte »). [↩]
- BVerfGE 27, 18 « Ordnungswidrigkeiten » du 16 juillet 1969, p. 28 : « (…) les traditionnels domaines de compétences exclusifs de la justice, en particulier les affaires civiles et la justice pénale, sont confiés par l’art.92 LF aux juges » (« […] werden durch Art. 92 GG die traditionellen Kernbereiche der Rechtsprechung – insbesondere die bürgerliche Rechtspflege und die Strafgerichtsbarkeit – den Richtern anvertraut ») ; ou encore BVerfGE 8, 197 « Bußgeldverfahren » du 14 octobre 1958, p. 207 : « (…) l’exercice de la justice pénale fait partie des fonctions de ce pouvoir [de rendre la justice] » (« […] gehört die Ausübung der Strafgerichtsbarkeit zu den Funktionen dieser Gewalt ») ; BVerfGE 22, 49 « Verwaltungsstrafverfahren » du 6 juin 1967, p. 74 : « (…) elle [la Cour] a cependant désigné avec certitude les litiges de nature pénale comme appartenant aux fonctions du troisième pouvoir » (« […] es hat jedoch die Ausübung der Strafgerichtsbarkeit als sicher zu den Funktionen der Dritten Gewalt gehörend bezeichnet »). [↩]
- BVerfGE 22, 49 « Verwaltungsstrafverfahren » du 6 juin 1967, p. 73 et 76-77 : « Nur ein materielles Verständnis des Rechtsprechungsbegriffs wird dem Sinn des Art. 92 GG gerecht. (…) ist Art. 92 zwar auch Organisationsnorm, hat aber vor allem materielle Bedeutung in dem Sinn, daß damit bereits eine Zuweisung bestimmter Aufgaben an die rechsprechende Gewalt vollzogen ist. Ihr sind durch Art. 92 alle diejenigen Aufgaben zugewiesen, die die Verfassung selbst an anderer Stelle den Gerichten überträgt (…) ». [↩]
- « Des perquisitions ne peuvent être ordonnées que par le juge ainsi que, s’il y a péril en la demeure, par les autres organes prévus par les lois ; elles ne peuvent être effectuées que dans la forme y prescrite ». [↩]
- « L’expropriation n’est permise qu’en vue du bien de la collectivité. (…) En cas de litige portant sur le montant de l’indemnité, les tribunaux ordinaires sont compétents ». [↩]
- « Quiconque est lésé dans ses droits par la puissance publique dispose d’un recours juridictionnel. Lorsqu’aucune autre juridiction n’est compétence, le recours est porté devant la juridiction ordinaire. L’article 10, al. 2, 2e phrase n’est pas affecté ». Cet article 19, alinéa 4 LF est au centre de la polémique déclenchée de la révision constitutionnelle ayant abouti à la restriction du droit fondamental au secret de la correspondance de l’article 10 validée par la Cour constitutionnelle dans la décision vivement critiquée dite des Écoutes téléphoniques du 15 décembre 1970 (sur ce point, voir infra, ce §, B). [↩]
- Article 93 énumère les compétences de la Cour constitutionnelle fédérale. [↩]
- BVerfGE 22, 49 « Verwaltungsstrafverfahren » du 6 juin 1967, p. 75 : « Elles représentent une partie essentielle de l’activité des tribunaux » (« Sie machen bereits einen sehr wesentlichen Teil der Tätigkeit der Gerichte aus »). [↩]
- Article 101 LF interdit les tribunaux d’exception : « Les tribunaux d’exception sont interdits. Nul ne doit être soustrait à son juge légal » (alinéa 2, deuxième phrase). [↩]
- BVerfGE 6, 45, p. 50 ; BVerfGE 9, 223, p. 226 ; BVerfGE 10, 200, p. 213. [↩]
- BVerfGE 24 33 « AKU-Beschluß » du 25 juin 1968, p.49 : « Le pouvoir législatif n’appartient pas au “pouvoir public” au sens de l’art. 19, al. 4 LF » (« Die Gesetzgebung gehört nicht zur “öffentlichen Gewalt” im Sinne von Art. 19 Abs. 4 GG »). [↩]
- Eberhard Schmidt-Aßmann, « Art. 19 Abs. 4 », in Theodor Maunz/Günter Dürig (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, 71e complèment d’édition, C.H. Beck, München, 2014, n°1 : « Seine Aufgabe, der “Selbstherrlichkeit der Exekutive” entgegenzuwirken, hat er erfüllt. (…) Die Gerichte dürfen die Respektierung des ihnen in einer gerichtsgeprägten Gewaltenteilung zukommenden Ranges bei Haushaltsgesetzgebern und Justizverwaltungen einfordern. Aber sie werden auch nicht darum herumkommen, mehr als bisher eigene Rationalisierungsmöglichkeiten zu nutzen. Im System der Gewaltenteilung sind die Gerichte Glieder eines Kontrollverbundes ». [↩]
- Konrad Hesse, Grundzüge des Verfassungsrechts der Bundesrepublik Deutschland, op.cit., p. 214 : « Ein Element rechtsstaatlicher Gewaltenbalancierung ist die richterliche Kontrolle der vollziehenden Gewalt (Art. 19 Abs. 4 GG), namentlich aber die Kontrolle aller staatlichen Gewalten durch die im Grundgesetz mit umfassenden Zuständigkeiten ausgestattete Verfassungsgerichtsbarkeit ». [↩]
- BVerfGE 30, 1 « Abhörurteil ». [↩]
- Siebzehnte Gesetz zur Ergänzung des Grundgesetzes. [↩]
- Alinéa 1er : « Le secret de la correspondance ainsi que le secret de la poste et des télécommunications sont inviolavles », alinéa 2 (après la révision constitutionnelle) : « Des restrictions ne peuvent y être apportées qu’en vertu d’une loi. Si la restriction est destinée à défendre l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou l’existence ou la sécurité de la Fédération ou d’un Land, la loi peut disposer que l’intéressé n’en sera pas informé et que le recours juridictionnel est remplacé par le contrôle d’organes auxiliaires désignés par la représentations du peuple ». C’est cette dernière partie qui posait problème. [↩]
- Sur les dispositions constitutionnelles prévues par la Loi fondamentale en cas de circonstances exceptionnelles et les révisions constitutionnelles des années 1960, voir infra, cette partie, titre 2, chapitre 1. [↩]
- Eberhard Schmidt-Aßmann, « Art. 19 Abs. 4 », in Theodor Maunz/Günter Dürig (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, 71e complèment d’édition, C.H. Beck, München, 2014, n°30 : « Der Individualrechtsschutz gegen Akte öffentlicher Gewalt als solcher kann selbst durch verfassungsänderndes Gesetz nicht ausgeschlossen werden. Streitig ist dagegen, ob einzelne Materien ausnahmsweise durch Verfassungsänderung von der Gerichtsschutzgarantie ausgenommen werden dürfen. Für die Zulässigkeit einer solchen Ausnahme kann immerhin aufgeführt werden, daß Art. 19 Abs. 4 in Art. 79 Abs. 3 nicht ausdrücklich genannt un ein entsprechender Aufnahmeantrag im Parlamentarischen Rat zudem abgelehnt worden ist (…). Die darauf gestützte Gesetzgebung muß freilich (erneut) den Art. 19 Abs. 4 in den Blick nehmen und darf Einschränkungen oder Erschwerungen eines Folgerechtsschutzes nicht in größerem Umfang als unbedingt erforderlich festlegen. Dem einfachen Gesetzgeber ist es dagegen verwehrt, einen vollständigen Ausschluß einzelner Typen von Streitfällen vom Rechtsweg zu verfügen ». [↩]
- Sur le problème posé par la compatibilité de la révision constitutionnelle de 1968 avec l’article 79, alinéa 3 LF, voir supra, première partie, titre second, chapitre 3, section 3. [↩]
- Peter Häberle, « Die Abhörentscheidung des Bundesverfassungsgerichts vom 15. 12. 1970 : Analyse und Kritik des Urteils sowie des Minderheitsvotums vom 4. Januar 1971 », JZ, 1971, p. 153 : « Nach dem BVerfG erlaubt das Prinzip der Gewaltenteilung auch, daß Rechtsschutz gegenüber Maßnahmen der Exekutive ausnahmsweise nicht durch Gerichte, sondern durch vom Parlament bestellte oder gebildete unabhängige Institutionen innerhalb des Funktionsbereichs der Exekutive gewährt wird ». [↩]
- Peter Häberle, « Die Abhörentscheidung des Bundesverfassungsgerichts vom 15. 12. 1970 : Analyse und Kritik des Urteils sowie des Minderheitsvotums vom 4. Januar 1971 », JZ, 1971, p. 153 : « (…) Einbruch in die bürgerliche Freiheitssphäre von nicht gekannter Intensität und unübersehbarem Ausmaß und zugleich einen Einbruch in den Kern der die bürgerliche Freiheit schützende Rechtsprechungsfunktion ». [↩]
- BVerfGE 22, 49, p. 77. [↩]
- BVerfGE 30, 1 « Abhörurteil » du 15 décembre 1970, p.42-43 : « Die Gewährung eines individuellen Rechtsschutzes ist im System der Gewaltenteilung eine Funktion der Rechtsprechung, da sie dem Schutz gegen Eingriffe der beiden anderen Gewalten dient. Die Rechtsschutzorgane gehören daher in den Funktionsbereichs der Rechtsprechung. (…) Es sollte nicht mehr besonders betont werden müssen, daß ein Geheimverfahren, wie es in Art. 10 Abs. 2 Satz 2 GG zugelassen ist, also ein Verfahren, in dem der Betroffene nicht gehört und sich nicht verteidigen kann, keinen Rechtsschutz bietet ». [↩]
- Dans ce sens, Eberhard Schmidt-Aßmann, « Art. 19 Abs. 4 », in Theodor Maunz/Günter Dürig (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, 8e édition complétée, C.H. Beck, München, 2014, n°30 : « Unter den Gegengründen überzeugt die Bezugnahme auf die Gewaltenteilung nicht, weil sie als ein funktionales Prinzip am ehesten gewissen Modifikationen in den Verschränkungsbereichen der Gewalten zugänglich ist. (…) Gemessen an diesen Maßstäben ist der in Art. 19 Abs. 4 Satz 3 in Bezug genommene Ausschluß des Gerichtsschutzes in Art. 10 Abs. 2 Satz 2 verfassungsmäßig ». Voir les développements d’Eberhard Schmidt-Aßmann, « Art. 19 Abs. 4 », in Theodor Maunz/Günter Dürig (dir.), Grundgesetz Kommentar, vol. 3, 71e complèment d’édition, C.H. Beck, München, 2014, n°6 et suiv., selon lequel l’article 19, alinéa 4 ne transforme pas les tribunaux en une sorte d’instance universelle de protection. Il ne s’agit pas d’un « contrôle total » exercé sur les autres pouvoirs, mais d’un « contrôle conformément aux standards du droit » et l’article 19, alinéa 4 ne constitue pas une « réserve législative » (« Der durch das 17. Gesetz zur Ergänzung des Grundgesetzes vom 24.6.1968 (BGBL. I. S. 709) angefügte Satz 3 bringt einen klarstellenden Hunweis aud den in Art. 10 Abs. 2 Satz 2 vorgesehenen Ausschluß des Rechtswegs in Angelegenheiten der sog. Telefonüberwachung. Im übrigen ist dem Art. 19 Abs. 4 kein Gesetzesvorbehalt angefügt. Art. 19 Abs. 4 jene gerichtsgeprägte Gewaltenteilung, die ein Spezifikum des grundgesetzlichen Rechtssaatsbildes ist. Den Gerichten fällt eine zentrale Funktion bei der Kontrolle der Legislative, vor allem aber der Exekutive zu. Das ganze Gefüge der Staatsfunktionen wird gerade in der Institution der Justiz als einem Element der “Feintarierung” zu einem arbeitsteiligen Sustem von Verschränkungen, gegenseitigen Einflußnahmen und Ergänzungen. Um dieses System in der Balance zu halten, müssen allerdings die Besonderheiten des Art. 19 Abs. 4 im Blick bleiben. Im einzelnen gilt : Art. 19 Abs. 4 macht die Gerichte nicht zur universalen Kontrollinstanz. Die Rechtsweggarantie denkt vom subjektiven Recht her. (… Art. 19 Abs. 4 macht den Gerichten keine totale Kontrolle der anderen Gewalten zur Aufgabe, sondern eine Kontrolle am Maßstab und mit den Methoden des Rechts.(…) Das weist dem parlamentarischen Gesetz eine zentrale Rolle zu, ohne daß Exekutive und Justiz freilich auf den schlichten Nachvollzug gesetzlicher Eintscheidungen fixiert würden. Wie die juristische Methodenlehre zeigt, liegen die arbeitsteilig wahrzunehmenden Aufgaben der Staatsgewalten bei der Herausbildung des Rechts diffiziler. Sie umgreifen für die Justiz, auch die Rechtsentwicklung durch Gesetzesintegration, Lückenfüllung und Zielkonkretisierung, insbesondere bei gesetzlichen Finalprogrammen, wie umgekehrt der Exekutive im Rahmen normativ eingeräumter Ermessens- und Gestaltungsermächtigungen ihrerseuts ein eigenständiger Bereich der Rechtsentwicklung zufallen kann. (…) Verfassungsfest ist durch Art. 19 Abs. 4 nur ein Kernbestand fixiert » (en italique dans le texte). [↩]
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