Les paramètres du principe de séparation des pouvoirs changent en cas de crise grave menaçant la sécurité de l’État ou bien empêchant le fonctionnement normal des organes constitutionnels. Le système de freins et de contrepoids, principe organisationnel porteur de la Loi fondamentale, atteint ses limites lorsqu’il est confronté à un état d’exception qui suppose la prise de décisions rapides et des mesures qui, souvent, sont à la lisière du droit constitutionnel et qui ne peuvent pas être le résultat de la production législative et réglementaire noramale. Le moment charnière, qui permet de situer le point marquant la sortie du cadre « normal » pour passer du côté de la crise, de l’urgence, de l’exception, n’est pas aisément définissable. La tentation est grande de profiter de la présence de mesures destinées à maîtriser les crises avec seul but le rétablissement de l’ordre et du fonctionnement constitutionnels normaux. Si les pouvoirs exceptionnels confiés aux organes de l’État ne sont pas utilisés en vue de la normalisation rapide de la situation de crise, alors les dispositions constitutionnelles permettent de sortir de la sphère du droit à l’aide de ce même droit.
Aujourd’hui, l’activite « terroriste » donne l’occasion aux pouvoirs publics d’élaborer une pléiade de règles « exceptionnelles ». « L’état d’exception a même atteint (…) son plus large déploiement planétaire. »1 Depuis l’adoption du USA Patriot Act2 le 25 octobre 2001, l’obsession sécuritaire, qui saisit les États démocratiques, donne toute sa raison d’être à un état d’exception permanent dont la finalité ultime serait la protection tant des individus que de l’État lui-même. Dans la configuration actuelle, celle où plane une menace de moins en moins concrète ou clairement identifiable, mais de plus en plus présente dans les discours politiques, il n’est plus question de mettre en application des dispositions exceptionnelles afin de revenir le plus rapidement possible à la situation normale. Il n’y a pas de retour « à l’état de droit », car « ce sont les concepts mêmes d’“état” et de “droit” » qui sont remis en question3.
Le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs ne peut plus être entendu uniquement du point de vue du droit interne, car, aujourd’hui, l’État s’inscrit dans des constellations globales complexes qui déterminent, même s’agissant de la politique intérieure, les lignes directrices à suivre. La norme déduite de l’article 20, alinéa 2 LF vit sous la pression constante d’un pouvoir à la domination duquel l’État a consenti, mais qui finit par modifier l’organisation et la distribution des compétences des organes chargés des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
- Giorgio Agamben, État d’exception (Homo sacer II, 1), trad. fr. Joël Gayraud, Éditions du Seuil, 2003, p.146 : « L’aspect normatif du droit peut être ainsi impunément oblitéré et contredit par une violence gouvernementale qui, en ignorant à l’extérieur le droit international et en produisant à l’intérieur un état d’exception permanent, prétend cependant appliquer encore le droit ». [↩]
- L’abréviation réussit l’allusion au patriotisme, mais signifie Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act (Unir et renforcer l’Amérique en créant des mécanismes appropriés afin de déceler et empêcher l’activité terroriste). Certaines des dispositions du USA Patriot Act étaient temporellement limitées (par exemple à une durée de quatre ans), mais le Congrès prolongea l’application de cette loi « exeptionnelle » en 2006, puis de nouveau en 2011. Ainsi, la loi reste en vigueur jusqu’au mois de juin 2015. Il s’agit donc d’un état d’exception qui dure depuis plus de treize ans. [↩]
- Giorgio Agamben, État d’exception (Homo sacer II, 1), trad. fr. Joël Gayraud, Éditions du Seuil, 2003, p.146. [↩]