« L’idée, selon laquelle la séparation des pouvoirs est toujours menacée d’être vidée de son sens ou simplement remplacée, correspond à une vieille conception. À l’origine de tels dangers peut être uniquement une application juridique faussée de la théorie de la séparation des pouvoirs ; ils résultent surtout de la redistribution du pouvoir entre les forces réelles qui configurent l’édifice constitutionnel. (…) Avant même que l’on déclare précipitamment, en se basant sur de telles conceptions, l’obsolescence de la séparation des pouvoirs, il faut réfléchir sur le fait que la Loi fondamentale n’entend pas le principe de manière abstraite, mais en tant qu’élément concret de la forme de gouvernement parlementaire qui accorde une place particulière aux partis politiques (…). »1
Le principe de séparation des pouvoirs traverse l’ordre constitutionnel tout entier en donnant homogénéité et unité aux différents organes, aux « réels facteurs de puissance » chargés de l’accomplissement des fonctions étatiques. Ce principe organisationnel « porteur » de la Loi fondamentale ne doit pas être identifié à un dogme intemporel imposé à l’ordre constitutionnel allemand par la force d’une certaine tradition constitutionnelle, qui ne peut guère prétendre à une véritable continuité, si ce n’est une continuité terminologique. Il s’agit ici d’un principe constitutionnel opérant mettant en œuvre les règles d’organisation du pouvoir d’État en permettant ainsi l’optimisation et la rationalisation du travail effectué par les organes investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le principe de séparation des pouvoirs vise à stabiliser l’organisation du pouvoir, mais il souffre lui-même d’un manque de stabilisation chronique dû à l’interprétation évolutive de la Cour constitutionnelle fédérale. Cependant, il est possible de voir la mise en place d’un système de freins et de contrepoids régissant les rapports entre les différents organes. Il n’est point question de schématiser l’organisation du pouvoir en postulant une spécialisation des organes. Un organe ne saurait être cantonné à l’accomplissement d’une seule fonction. Au contraire, le plus souvent, plusieurs organes participent de manière effective à la réalisation d’une fonction étatique. Toutefois, il convient de souligner que, s’il n’y a pas de véritable spécialisation, il existe une répartition fonctionnelle qui tend à faire d’un organe l’apanage, mais pas l’exclusivité d’une fonction déterminée. Le principe constitutionnel porteur de la Loi fondamentale représente par conséquent un système de freins et de contrepoids qui rend possible l’équilibre organique en modérant la puissance publique. Afin de tenter de comprendre les rouges qui meuvent la machine constitutionnelle, il convient de se pencher sur les cas concrets. Grâce à l’étude d’une situation réelle, il est possible de dépasser le cadre théorique et de se détacher de l’aspect « mythique » qui enveloppe la théorie de la séparation des pouvoirs. Le principe de la séparation des pouvoirs est, en tant que principe de la formation, de la rationalisation, de la stabilisation et de la limitation du pouvoir étatique, le principe d’organisation fondamental de la Constitution du 23 mai 1949. Mais son application connaît des limites qui peuvent résulter d’une situation exceptionnelle qui justifie sa modification temporaire, ou bien certains changements qui sont la conséquence de l’évolution de l’Union européenne et qui dépassent donc le cadre national.
Afin d’étudier les cas concrets qui offrent une illustration du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs ainsi que les limitations apportées à celui-ci, il convient de diviser cette partie en deux titres :
Titre premier : Le principe de séparation des pouvoirs comme système de freins et de contrepoids.
Titre second : Les limites apportées à l’application du principe de séparation des pouvoirs.
- Eberhard Schmidt-Aßmann, « Der Rechtsstaat », in Josef Isensee/Paul Kirchhof (dir.), Handbuch des Staatsrechts der Bundesrepublik Deutschland, vol. 2 (Verfassungsstaat), 3e édition, C.F. Müller, Heidelberg, 2004, p.578 : « Daß die Gewaltenteilung immer wieder in Gefähr steht, ausgehöhlt oder überspielt zu werden, entspricht einer alten Beobachtung. Solche Gefahren können aus der juristisch falschen Anwendung der Gewaltenteilungslehre entstehen; vor allem aber folgen sie aus Machtverschiebungen realer verfassungsgestaltender Kräfte. (…) Bevor man auf Grund dieser Beobachtungen die Gewaltenteilung jedoch vorschnell für obsolet erklärt, sollte bedacht werden, daß das Grundgesetz selbst Gewaltenteilung nicht abstrakt, sondern vor dem Hintergrund der parlamentarischen parteieinstaatlichen Regierungsform sieht (…) ». [↩]