Le « congé » avec le XIXe siècle est long, mais devient une nécessité après la fin de la Grande guerre qui marque le début historique du XXe siècle. La « Révolution populaire de novembre 1918 fut (…) dirigée contre la constitution impériale antérieure »1.
1919 est l’année de changement du décor constitutionnel. Le régime est passé de la monarchie à l’Empire pour se retrouver enfin confronté à un ordre républicain institué par la Constitution du 11 août 19192. L’esprit allemand ne réussit pas à s’adapter aux transformations profondes et rapides du système constitutionnel. L’art. 1er proclamant que le « pouvoir d’État émane du peuple »3 signifie la fin du principe monarchique. Il est possible de parler, en Allemagne aussi, d’une parlementarisation du régime politique, car la responsabilité du chancelier et de ses ministres devant le parlement devient du droit positif4. Désormais, le gouvernement doit jouir de la confiance du Bundestag et dans l’hypothèse où ce dernier décide de la retirer d’un membre ou du gouvernement tout entier, l’article 54 de la Constitution prévoit une sanction immédiate : la démission5. L’élément troublant est la place qu’occupe le président du Reich, bénéficiant de la légitimité démocratique directe, car élu au suffrage universel direct, et disposant de la possibilité d’exercer, dans des circonstances exceptionnelles, des pouvoirs étendus prévus par l’article 48 du texte constitutionnel6. Si le passage de la monarchie à la république ne présente pas de difficultés majeures, le « parlementarisme démocratique » a du mal à s’adapter à la situation allemande à cause de la « domination centenaire des États particuliers autoritaires »7. La complexité de la structure de cette « Constitution sans décision »8 ne facilite pas la transition vers un véritable régime parlementaire. Le Reich républicain est un « État constitutionnel (Verfassungsstaat) au sens étroit et propre du terme » : le texte constitutionnel distingue « le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, lié par la loi et soumis à la critique du parlement (…) et le pouvoir de rendre la justice indépendant du pouvoir exécutif », et « répartit ces pouvoirs entre différents organes dans le cadre d’un régime républicain, démocratique et parlementaire »9. Mais les mécanismes théoriques prévus afin de garantir la stabilité politique et institutionnelle échouent à l’épreuve de la confrontation avec la réalité politique et la recherche incessante des acteurs institutionnels de dominer la scène politique.
La société allemande entre dans une période d’insécurité qui bat son plein à la fin des années 1920. Le mouvement de « brutalisation »10 des masses populaires est irréversible au moment où une crise politique et économique envahit la machine weimarienne et l’empêche de fonctionner. Le « séisme économique d’octobre 1929 » rend « sa pleine actualité à l’acte d’accusation dressé contre le “système Weimar” », car à « l’explosion du chômage s’ajoute le blocage des institutions politiques »11. La mort brutale de la monarchie limitée et la dégradation de la situation économique plongent la société allemande dans un état velléitaire dont le danger latent ne se révèle complètement que dans les années 1930. « Fille de la défaite, la République a signé le traité de Versailles » ; le régime démocratique est vu comme le résultat « d’une sombre conspiration, celle des communistes et autres révolutionnaires ligués pour poignarder l’armée allemande dans le dos »12. C’est le climat dans lequel évoluent les juristes : ceux, formés à l’ « ancien » droit public, celui de l’État bureaucratique et autoritaire qu’était l’Empire, et ceux, issus de la nouvelle génération pour lesquels la monarchie n’est qu’un chapitre de l’histoire dont la fin est écrite par les vainqueurs de 1918. Tous seront témoins ou acteurs de la folie méthodique du national-socialisme dans laquelle sombre la République de Weimar.
La crise, qui ronge « Weimar », n’est pas seulement politique, économique et sociale. Dans le domaine de la science du droit public, la « querelle des méthodes » (Richtung- und Methodenstreit)13 fait des ravages après la publication, en 1925, de la Théorie générale de l’État de Hans Kelsen, le chantre d’une méthode positiviste normativiste qui rompt, selon ses propres affirmations, avec la tradition labandienne. L’opposition doctrinale « ne portait pas seulement sur des problèmes de méthode, mais (…) approfondissait aussi la question des oppositions entre libéralisme et collectivisme, conceptions de l’État autoritaire et démocratique, orientations “de gauche” et “de droite” »14.
Pour Kelsen, la « doctrine de l’État de Laband est en réalité une idéologie du principe monarchique qu’il a étudié d’une façon complètement inadmissible et en opposition du droit positif ». C’est à Gerber que la théorie pure du droit doit être identifiée, elle « s’inscrit (…) dans le prolongement d’une tradition qui, en Allemagne, commença avec Gerber ». L’accusation de « labandisme » est aux yeux du maître viennois « dépourvue de sens », car Laband n’a jamais réussi, malgré la prétention affichée, à séparer le droit positif de la politique »15. Adolf Merkl est le théoricien de la formation du droit par degrés, qui devient à son tour un des éléments du raisonnement kelsénien, et un des piliers de sa dynamique juridique dans laquelle le principe de séparation des pouvoirs prend la forme d’une chaîne normative ininterrompue dans laquelle chaque maillon présente deux visages, celui de la création et celui de l’application du droit (§1). Chez Gerhard Anschütz et Richard Thoma, deux positivistes « modérés », le principe de séparation des pouvoirs est compris comme un principe d’organisation politique fondamental (§2). C’est en tant que composante de l’État de droit libéral et bourgeois que Carl Schmitt expose le principe de la distinction des pouvoirs dont la mort est annoncée par la fin de la République de Weimar (§3).
§ 1. Le principe de séparation des pouvoirs dans la théorie de la formation du droit par degrés.
D’origine autrichienne, Merkl et Kelsen doivent être considérés comme faisant partie de l’évolution de la doctrine publiciste dans l’espace germanophone. S’agissant de la théorie de l’État et de ses fonctions, leur réflexion marque une rupture avec les traditions doctrinales de l’État monarchique16. Merkl, le théoricien des deux visages de la norme juridique, pose les « prolégomènes de la formation du droit par degrés » (A). Kelsen intègre les idées de son « élève »17 dans la conception dynamique de sa théorie pure du droit, ce qui lui permet repenser le principe traditionnel de la séparation des pouvoirs18 (B).
A. Les deux visages de la norme juridique dans la théorie de la formation du droit par degrés d’Adolf Merkl.
Pour Adolf Merkl et Hans Kelsen, le droit est compris uniquement comme système de normes juridiques qui sont l’expression d’un devoir-être (Sollen) opposé à la loi de nature, au factuel, qui est un être (Sein). Merkl, « prenant pour point de départ les principes essentiels de la doctrine normativiste formulée par Kelsen [avait été le premier à] construire une conception rigoureuse de l’ordre juridique »19. L’ordre juridique est défini comme un système de normes générales et individuelles, abstraites et concrètes, liées entre elles selon « le principe d’autocréation du droit »20. Le point de départ dans le système de Merkl est le principe de formation du droit par degrés en vertu duquel chaque norme est engendrée par une norme de degré supérieur. La conséquence logique de ce processus de création normative ininterrompue est qu’à chaque étape « les actes qui établissent les normes doivent être considérées comme étant à la fois des actes d’exécution et de création du droit ». Dans cette théorie, où les normes sont dans uns structure graduée qui permet de penser un rapport de conformité hiérarchique21 des différents « étages », la théorie de la distinction des fonctions fait l’objet d’une transformation. « En effet, dans une pure théorie juridique de l’État, les fonctions de l’État ne peuvent être considérées que comme fonction de formation du droit. »22 Il n’est plus possible d’identifier les fonctions étatiques par leur contenu supposé. La législation n’est pas uniquement production du droit, comme l’exécution ne peut plus être qualifiée de simple application de la loi. Chez Merkl, chaque norme, à chaque degré de la structure pyramidale de l’ordre juridique comporte la production ou activité créatrice du droit d’une part, et l’application ou l’exécution de la norme supérieure, d’autre part. La théorie de Merkl permet de regarder ce qui se passe au-delà d’une classification superficielle des fonctions de l’État. La Stufenbaulehre rompt avec le schéma banal, qui veut que les normes soient divisées en normes de création (les lois) et normes d’exécution (actes émanant du pouvoir exécutif). Toute norme, même les actes administratifs possèdent un « caractère créateur de droit » (Rechtsetzungscharakter)23. Les normes diffèrent les unes des autres uniquement par la « dose » de création ou d’exécution qu’elles comportent. Cette double qualité production/application Merkl qualifie de « double visage du droit » (doppelter Rechtsantlitz) des normes juridiques ou encore « Janusköpfigkeit », à l’image du dieu Janus, représenté dans la mythologie romaine par une tête à deux visages24.
Le droit, dont on a dit qu’il comporte nécessairement deux degrés – un degré de production absolue et un degré d’application absolue (…), nous montre au moins deux visages (doppeltes Antlitz).25
Merkl imagine une chaîne de production et d’application du droit dont le début est représenté par une norme créatrice du droit et la fin – une norme de pure application26. Entre les deux se placent les normes qui contiennent à fois une part de création et une part d’application, c’est-à-dire les normes qui représentent une concrétisation ou individualisation, qui transposent la « norme idéale à un contenu réel »27. Cette nouvelle hiérarchie des normes suppose une nouvelle classification des fonctions. Ainsi, les fonctions se divisent en fonction constituante, qui porte application de la norme originaire (Ursprungsnorm), fonction législative mettant en œuvre les normes constitutionnelles et, enfin, les fonctions administrative et juridictionnelle, qui sont l’exécution immédiate de la loi. Pour Merkl la division est bipartite, car en isolant la fonction constituante, on arrive à deux volets qui lui sont subordonnés, la législation et l’exécution. Cette dernière englobe l’administration et la justice, car les deux comportent un degré élevé d’application normative. L’administration et la justice, deux « fonctions-sœurs » (Schwesterfunktionen) entretiennent ainsi un rapport de « mère-fille » (Tochterfunktionen) avec la fonction législative28. La dose de création du droit est l’élément qui permet d’opérer la distinction entre les différentes normes juridiques et constitue par conséquent le critère distinctif des fonctions étatiques. L’application n’est pas le simple geste machinal d’appliquer la norme au cas d’espèce. C’est le processus de concrétisation qui crée une nouvelle norme.
La concrétisation « qu’exige le cas posé s’exécute en tant qu’application du droit à une situation de fait »29. La dose de production normative est fonction de l’étage de la pyramide où l’on se situe. Aux étages supérieurs, la latitude discrétionnaire dans l’application normative est plus conséquente qu’en bas de la structure. Ainsi, plus on avance dans la chaîne normative, plus la latitude discrétionnaire dans l’application diminue, jusqu’à ce que l’on arrive au dernier maillon, celui qui n’est caractérisé que par une pure application du droit et qui ne comporte aucune part de création normative30. Merkl reconnaît, comme Alfred Verdroß ou Kelsen, que les organes chargés de la production et application normatives sont dotés d’une volonté propre qui rend possiblel’acte de concrétisation. Il n’y a point d’organe31 privé de tout pouvoir discrétionnaire32. Dans ce schéma, le pouvoir discrétionnaire joue un rôle important car un acte, qui détermine la création d’un autre acte, ne peut que fournir des éléments de procédure et laisser place à l’appréciation discrétionnaire de l’agent chargé de sa concrétisation33. L’acte de concrétisation englobe ainsi une déterminante objective et une part de libre appréciation qui constitue sa déterminante subjective autonome34. Hans Kelsen s’appuie sur les idées de son élève Merkl afin de parachever sa conception positiviste de l’ordre juridique composé de normes placées dans un rapport de conformité graduelle35.
B. Le principe de séparation des pouvoirs dans la dynamique juridique de Hans Kelsen.
Pour Hans Kelsen36, l’État est un ordre juridique. Cette identité entre l’État et son droit permet « l’anéantissement radical et absolu d’une des plus efficaces idéologies de légitimité »37. Après la destruction théorique des doctrines traditionnelles nourries de mysticisme et de métaphysique38, il est possible de repenser les notions juridiques fondamentales dans une perspective véritablement scientifique. La théorie pure du droit « entend définitivement purifier la théorie du droit et de l’État de tous ces produits de contrebande psycho-sociologiques et politico-axiologiques que celle-ci traîne encore illégitimement avec elle »39. La souveraineté n’est plus une « puissance d’action illimitée et prétendument irrésistible », mais devient la « prétention à la validité du droit, pris en tant que système normatif »40. L’ordre juridique (l’État) n’est plus « substance ». Avec la conception dynamique du droit, « la seule voie possible pour penser la systématicité du droit puisqu’une vision (purement et exclusivement) statique est incapable de rendre compte et d’expliquer la différenciation dans l’ordonnancement juridique » ((La conception dynamique de l’ordre juridique « est au coeur même de la théorie ». La « seule voie » qui puisse dépasser la perspective portant sur le seul contenu de la norme. Elle permet d’expliquer l’existence, « dans un système juridique, des normes qui, bien que n’étant pas conformes au contenu des normes supérieures, soient malgré tout valides (et donc obligatoires, applicables, opposables) » (Olivier Jouanjan, « Présentation. Formalisme juridique, dynamique du droit et théorie de la démocratie : la problématique de Hans Kelsen », in du même [coord.], Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, op.cit., p. 24).)), l’État devient une « fonction »41. Conformément à cette conception nouvelle de l’ordre juridique et de l’État, le pouvoir d’État doit être compris uniquement comme une validité de l’ordre juridique42 en tant qu’un « ordre du devoir-être » (Sollordnung). La « division de la validité » est par conséquent inconcevable, elle est une « absurdité » (Ungedanke)43. L’indivisibilité est la condition même de l’existence et de la validité de la structure normative qu’est l’État. Le principe de la séparation des pouvoirs prend alors une dimension qui ne se rapproche que peu des idées traditionnelles de la division en trois « pouvoirs » ou « fonctions » distincts.
L’essai de Kelsen sur les trois pouvoirs ou fonctions de l’État, qui paraît en 192444, offre « une vue d’ensemble de sa théorie du droit ». La structure de cet écrit est loin d’être parfaitement ordonnée : Kelsen commence par « le thème annoncé » et, vers « la fin, carrément hors sujet, sont exposées certaines questions fondamentales du droit international public »45. La seule note de page est une référence à la théorie de la formation du droit par degré élaborée par Adolf Merkl. Le projet consiste en la formulation d’une nouvelle théorie de la séparation des pouvoirs en éliminant les conceptions doctrinales traditionnelles qu’il considère comme incompatibles avec le principe de la validité unitaire de l’ordre juridique46. « Envisagée sous l’angle juridique, la doctrine des trois pouvoirs de l’État concerne les étapes de la création et de l’application de l’ordre juridique étatique. »47
Kelsen commence par une remarque préliminaire dans laquelle on trouve sa définition de l’État en tant qu’ « ordre juridique (…) idéel du comportement humain », caractérisé par la contrainte48.
La conception traditionnelle selon laquelle le pouvoir d’ « État unitaire et indivisible » se trouve réparti entre les trois pouvoirs (ou fonctions, pour Kelsen le terme employé n’a que peu d’importance49) législatif, exécutif et judiciaire n’explique guère comment de cette « trinité se forme l’unité »50. « Du point de vue d’une théorie pure du droit (…), il y a seulement une répartition des fonctions, et encore, elle est toute relative. »51
Si le modèle traditionnel de séparation ne peut reconstituer une image fidèle du fonctionnement de l’ordre juridique, il a au moins le mérite, écrit Kelsen, « en opposant la fonction législative d’un côté, aux fonctions administratives et judiciaires, de mettre l’accent sur les traits caractéristiques qui permettent de distinguer ces deux groupes de fonctions ». La fonction législative représente une activité abstraite et générale, tandis que l’administration et la justice sont des activités concrètes. La démarche, qui consiste à procéder à la formation de deux blocs composés par la fonction législative et par les fonctions administrative ou exécutive et judiciaire, est claire. Il s’agit de séparer l’abstrait du concret, la production normative de l’application. Mais Kelsen ne réussit pas à définir de manière positive la fonction intermédiaire, la fonction exécutive ou administrative52.
Ce qui ne peut être classé comme activité législative ou activité judiciaire, doit être défini comme étant la fonction administrative. Cette dernière n’est ni production pure, ni application pure du droit. Certes, il reprend les motifs de la théorie de la formation du droit par degrés et du principe du double visage du droit, mais il introduit dans cette nouvelle construction imprégnée par l’esprit du positivisme normativiste, l’ancienne approche, qui cherche à définir les trois fonctions d’un point de vue matériel en exposant les actes législatifs comme des actes abstraits et généraux, et les actes du pouvoir judiciaire comme des actes concrets. Bien sûr, dans ce cas de figure, l’administration ne peut être perçue, à cause de sa nature extrêmement éclectique, que comme la fonction qui regroupe des caractéristiques à la fois abstraites et concrètes, car ses actes ne sont pas uniquement signalés par la production ou l’application normative. Kelsen critique cette manière de séparer la fonction législative des deux autres fonctions, car elle repose sur l’erreur qui consiste à croire qu’il n’y a que les actes législatifs qui sont abstraits et généraux. « L’opposition entre législation et justice, respectivement entre production et application du droit, ne doit pas être entendue comme absolue, il faut, au contraire, la voir comme une opposition relative »53. L’acte de production du droit ne doit par conséquent pas être assimilé uniquement à la loi. Et la loi n’est pas le produit exclusif d’un organe déterminé54. Car « ces degrés », composant la pyramide normative, « sont, institutionnellement, sans visage »55. C’est d’ailleurs ces normes « sans visage » institutionnel qui paraissent problématiques aux yeux du français Carré de Malberg, mais qui, de manière étonnante, font écho aux idées de l’anti-germaniste Léon Duguit, selon lequel, « déterminer les diverses fonctions juridiques de l’État d’après l’organe qui accomplit telle ou telle fonction » serait une « erreur (…) très répandue »56.
La théorie de la formation du droit par degrés ne rencontre pas vraiment de succès en France. Même si elle « établit une homogénéité complète dans le droit », elle ne présente aucun intérêt pour le droit positif de la IIIe République, comme le remarque Roger Bonnard57. Cette manière de présenter les actes juridiques sans opérer une indentification organique (institutionnelle) se heurte à la critique de Raymond Carré de Malberg qui « fut l’un des premiers exégètes (…) de la Stufentheorie »58. Dans son ouvrage, La confrontation de la théorie du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation59, le Strasbourgeois « crédite » Kelsen et Merkl « d’avoir dénoncé trois erreurs »: « la séparation des pouvoirs conçus indépendants l’un de l’autre, l’assimilation du droit à la seule loi et le dualisme législatif/exécutif, l’un créant le droit et l’autre ne faisant que l’exécuter »60. Mais l’appréciation favorable s’arrête là. Pour Carré de Malberg, la théorie normative des fonctions qui exclut une hiérarchie organique est incompatible avec le droit positif et la culture juridiques français dans lesquels la loi, comme produit du parlement « souverain » est l’acte exprimant la volonté générale de la nation61. La hiérarchie des organes, au sommet de laquelle se situe l’organe qui « détient la réalité effective de la souveraineté », ne peut que rejeter la hiérarchie relative des normes juridiques. C’est la raison pour laquelle l’absence de différence essentielle entre « l’organe législatif et l’organe constituant » dans l’élaboration des lois constitutionnelles de 1875 « a eu pour résultat le nivellement de la Constitution et de la législation » malgré la différence dans degré de généralité de ces deux actes62.
Contrairement à la philosophie française du légicentrisme, pour Kelsen, la loi n’est qu’ « un cas particulier », « une forme particulière » de production normative63. Dans la conception dynamique de l’ordre juridique le mot d’ordre pourrait être la « relativisation relationnelle des formes juridiques »64. Chaque norme règle la production de la norme inférieure en imposant des procédures particulières. Ainsi, la pyramide kelsénienne n’est aucunement un édifice juridique figé, mais une structure dynamique en constant mouvement. Les deux moments-clef : la production du droit (legis latio) et l’application du droit (legis executio) sont les garants de l’unité de l’ordre juridique. Ils sont « l’épine dorsale de la théorie des fonctions »65. Au sommet se trouve la loi constitutionnelle, basée sur la norme fondamentale (Grundnorm), qui ne relève que d’une sphère hypothétique. Les dispositions constitutionnelles sont caractérisées par leur fort degré de généralité et contiennent les règles procédurales de la production législative. À la base de la pyramide, on trouve les actes individuels ou concrets qui ne sont qu’application du droit. Cette structure pyramidale, où chaque étage est lié à l’autre par un rapport de régularité et de conformité, est largement inspirée par l’œuvre d’Adolf Merkl. Il faut partir du sommet, de l’acte le plus abstrait et général afin d’arriver à l’acte qui n’est que concrétisation et rien d’autre : les voici les deux « maillons » placés aux extrémités de la chaîne normative ininterrompue de Merkl. Le voici le « double visage du droit » qui constitue «le fondement même de la théorie de la formation du droit par degrés66.
Adolf Merkl et Hans Kelsen posent un nouveau regard sur le principe de la séparation des pouvoirs. Ils quittent la zone confortable de la conception traditionnelle qui veut qu’il y ait trois fonctions étatiques dont l’exercice est confié à trois organes distincts produisant des actes au contenu défini une fois pour toutes. Cette manière de concevoir la théorie des trois pouvoirs ou fonctions de l’État ne fait que mettre en lumière des « moments de repos relatifs», certes « politiquement importants », mais purement statiques67, du processus de production du droit. Dans les écrits des deux positivistes normativistes, le principe de la séparation des pouvoirs prend la forme d’une structure à plusieurs niveaux occupés par des normes juridiques qui ne sont pas séparées en normes de production et normes d’application du droit. Plutôt que de parler d’une séparation des pouvoirs, il convient davantage de réfléchir sur les degrés de production et d’application que contient chaque norme et analyser les strates normatives. Ce n’est qu’à partir de cette réflexion que l’on peut tenter de comprendre le fonctionnement de l’État, et donc de l’ordre juridique. L’objectif traditionnellement assigné à la théorie de la séparation des pouvoirs, la protection de la liberté de l’individu par la modération de la puissance étatique, disparaît de la théorie normativiste des fonctions. Dans les rapports de conformité des normes juridiques composées à la fois de production et d’application du droit, il n’y a pas de place pour « un lien théorique entre la liberté politique (…) et la séparation des pouvoirs »68 : « le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas essentiellement démocratique »69.
Le cadre démocratique weimarien, dans lequel se réalise le principe de la séparation des pouvoirs, devient un élément important dans le raisonnement de deux juristes, Gerhard Anschütz et Richard Thoma, appartenant au courant positiviste, mais qui cherchent à s’en détacher afin d’adopter une approche intégrant les éléments politiques exclus de la méthode normativiste kelsénienne.
§ 2. Le principe de séparation des pouvoirs dans la doctrine du positivisme modéré de Gerhard Anschütz et Richard Thoma.
Liés par leur entreprise commune, le Handbuch des deutschen Staatsrechts (Dictionnaire du droit public allemand)70, Gerhard Anschütz (1867-1948) et Richard Thoma (1874-1957) prônent une méthode positiviste modérée71 en formulant une critique à la fois à l’encontre de l’ « école Gerber/Laband » et au normativisme kelsénien. Pour Anschütz, le principe de la séparation des pouvoirs n’est pas un concept universel valable pour tout système étatique, dont le rejet ou la réception peuvent résulter d’une opération machinale. Au contraire, il faut prendre en compte tous les éléments d’un droit constitutionnel déterminé, de la situation d’un État concret afin de se prononcer sur l’éventuelle adaptation de ce principe étranger (A). La réflexion de Thoma lie le principe de séparation au caractère unitaire du pouvoir d’État posé par la Constitution de Weimar. En effet, il ne s’agit plus, sous la République, de réfléchir sur les forces antagoniques, monarchique et démocratique, mais de voir dans quelle mesure le peuple, « dont émane tout pouvoir », l’exerce de manière effective (B).
A. L’adaptation du principe « étranger » de la séparation des pouvoirs à la situation constitutionnelle allemande.
Gerhard Anschütz72 se distingue du normativiste Hans Kelsen et des anti-positivistes, formant un groupe hétéroclite, Rudolf Smend, Hermann Heller ou Carl Schmitt, par sa méthode légaliste « basée sur une compréhension historique et génétique des normes »73. Si, dans un premier temps, il ne prend guère ses distances avec la méthode positiviste logiciste de Laband74, le « deuxième Anschütz » se démarque clairement de cette science positiviste exclusive de tout élément qualifié d’extra-juridique. En effet, la méthode scientifique employée par Laband n’arrive pas à présenter « une image complète et entière de l’État », car il ne faut guère se contenter d’une observation superficielle « des institutions étatiques, mais adopter une démarche davantage dynamique (…) permettant de comprendre les forces historico-politiques qui les animent »75. Plus qu’à une systématisation conceptuelle ou un renouvellement de la théorie constitutionnelle, il s’attèle à une explication du droit positif allemand. Malgré la critique qu’il adresse à la méthode positiviste de prédécesseurs, Anschütz n’arrive pas à complètement dépasser la doctrine de l’État de Gerber/Laband. Le pouvoir d’État est caractérisé par la puissance de volonté (Willensmacht)76, car l’« unité de la personnalité de l’État correspond à l’unité de la volonté étatique »77.
C’est grâce à la prise en compte du fond historique propre aux États allemands, que « la philosophie d’État étrangère », celle de la séparation des pouvoirs, porteuse d’ « exigences abstraites », fut vaincue par le « sain réalisme politique »78. Anschütz ne rejette aucunement le principe de la séparation des pouvoirs, mais insiste sur sa nécessaire adaptation à la situation allemande. Le principe n’est pas présenté ni expliqué en tant que simple division mécanique. La répartition tripartite est à la fois un principe d’organisation pratique et politique et une distinction théorique79. L’ « opération logique de la répartition n’efface pas l’unité de l’ensemble, bien au contraire, elle le renforce ». Ainsi, celui, qui qualifie la répartition des différentes fonctions à différents organes d’« intolérable », « celui-là doit croire que l’organisme vivant et la machine ne sont pas des entités unitaires, car composés d’un grand nombre d’organes ou de rouages »80. L’unité « signifie indivisibilité, ce qui ne veut pas dire impossibilité de répartition : l’unité du pouvoir d’État n’exclut pas que l’on procède à une classification des diverses directions et formes par lesquelles ce dernier agit »81. Parmi les différentes classifications, aucune ne peut « prétendre à la justesse absolue ». Il existe cependant une manière de répartir les fonctions de l’État qui l’emporte sur toutes les autres pas seulement grâce à « sa clarté et sa qualité scientifique », mais également grâce à sa « valeur politique ». La « répartition tripartite du pouvoir d’État en les fonctions fondamentales que sont la législation, la justice et l’administration a profondément influencé l’organisation réelle (wirkliche Gestaltung) des directions que prend l’activité de l’État »82. L’emploi du terme « pouvoir » (Gewalt) est impropre pour désigner la classification des fonctions étatiques, car il est question d’un « seul et même pouvoir d’État observé de trois côtés différents ». Il n’y a nullement « trois États dans l’État », qui seraient dotés d’une « volonté et d’un être autonomes »83, car « répartition organisationnelle des fonctions étatiques n’équivaut pas à un éclatement de l’État »84. Par conséquent, la séparation des pouvoirs « joue le rôle d’un principe fondamental qui porte la construction toute entière de l’ordre institutionnel »85. Sur ce point, Anschütz ne fait que reprendre le raisonnement de l’administrativiste Otto Mayer86, auquel il se réfère expressément. Car, pour le positiviste modéré Anschütz, Otto Mayer est celui qui « a élevé une voix solitaire, mais pleine de conviction contre le rejet général et obstiné (hartnäckig) du principe de la séparation des pouvoirs qui domine la doctrine publiciste allemande depuis longtemps »87. Ce rejet théorique est d’autant plus injustifié que le principe de séparation des pouvoirs, « indépendamment de toutes les réticences exprimées, est en vigueur chez nous »88. Le traditionnel amalgame entre la séparation des pouvoirs et la souveraineté nationale, formulé dès le Vormärz tant du côté conservateur et monarchiste que d’une partie du côté libéral de la doctrine, ne correspond point à la réalité : le principe de séparation des pouvoirs, tel qu’il est mis en œuvre dans les États allemands, « ne comporte pas la moindre concession à l’idée de la soi-disant “souveraineté nationale” »89.
Anschütz est un des rares à exposer clairement le principe de séparation des pouvoirs en tant que moyen de répartition du pouvoir unitaire et principe organisationnel porteur aux vertus à la fois pratiques et politiques. C’est Richard Thoma qui va réfléchir sur le lien qu’entretiennent le principe de la séparation des pouvoirs et le régime démocratique weimarien en s’interrogeant sur la réalité de l’affirmation selon laquelle le peuple constitue la source unitaire du pouvoir d’État.
B. Le principe de séparation des pouvoirs dans la démocratie weimarienne ou la question de l’exercice effectif de l’intégralité du pouvoir par le peuple.
Dans le Handbuch des deutschen Staatsrechts90, aucune entrée n’est consacrée au principe de la séparation des pouvoirs. Le principe apparaît de manière occasionnelle dans les développements généraux ou ceux relatifs à la notion de réserve de loi. On trouve, en revanche, un essai détaillé portant sur les fonctions du pouvoir d’État (Funktionen der Staatsgewalt)91 dû à la plume de Richard Thoma92. S’il s’agit, dans le cas de Thoma, le successeur de Jellinek à l’Université de Heidelberg93, d’un positiviste, alors il faut souligner son caractère atypique. Comme Gerhard Anschütz, Thoma n’est ni l’héritier de la méthode de Gerber/Laband, ni « le tenant » de la méthode kelsénienne. C’est un positiviste « modéré »94.
Thoma assimile l’unité du pouvoir d’État à l’existence d’une norme hypothétique, mais à la différence du Kelsen, il expose un raisonnement moins « pur » en affirmant que cette unité n’est jamais complètement réalisée, c’est-à-dire que l’ordre juridique et la norme fondamentale qui en est le soutien nécessaire ne réussissent pas complètement à dépasser les situations de tension nées d’une opposition entre le gouvernement de l’État et des « concurrents » ou « récalcitrants » (Renitenten).
L’unité du pouvoir d’État, à laquelle aspire le gouvernement (Regierung), mais qui n’est en réalité jamais complètement réalisée à cause du grand nombre de légitimes et illégitimes concurrents ou à cause de ceux qui refusent de suivre les ordres étatiques, se retrouve, dans le monde idéal de l’ordre juridique (…), dans la norme originelle supposée, encore appelée norme fondamentale, à partir de laquelle le pouvoir constituant tire sa compétence pour normer (normieren) la fonction législative et, grâce au législateur indirectement ou directement, la fonction exécutive (dont la fonction de rendre la justice fait partie).95
Il y a ici un lien avec la théorie de la norme fondamentale hypothétique de Kelsen. Thoma se presse d’affirmer que l’unité du pouvoir d’État basée sur la norme supposée n’est qu’une idée, elle n’a pas de réalité concrète, ce qui est prouvé par l’existence d’états conflictuels : le signe de l’existence de fissures dans l’édifice juridique prétendument unitaire. L’unité n’est donc, à l’image de l’hypothèse dont elle tire son fondement, qu’une idée. Il existe deux fonctions formant la prétendue unité de l’activité de l’État: la fonction législative et la fonction exécutive à laquelle appartiennent l’administration et la justice. Dans cette classification bipartite, l’administration constitue le cœur de l’activité de l’État. Mais il s’agit là uniquement d’une approche sociologique. D’un point de vue « strictement juridique », c’est la fonction législative qui est la fonction première96.
La distinction des fonctions s’inscrit dans la logique du régime politique weimarien. Pour Thoma, il s’agit d’un ordre républicain et démocratique « indirect », « représentatif » et donc « parlementaire ». Ce système pose l’assemblée représentative, le Reichstag, au centre de la construction organisationnelle du pouvoir. Mais il n’est pas question d’une structure déséquilibrée, car la démocratie weimarienne « opère une division des pouvoirs » (gewaltenteilende Demokratie)97 grâce aux « contrepoids » constitutionnellement prévus afin de contrer une éventuelle monopolisation du pouvoir par le parlement. Mais quelle est l’articulation entre cet ordre démocratique organisé d’après un système de freins et de contrepoids et la source unitaire du pouvoir d’État, le peuple ? L’article 1er, alinéa 1er de la Constitution de 1919 dispose que « le pouvoir d’État émane du peuple » en mettant ainsi fin au « règne » centenaire du principe monarchique. L’article 5 tempère cette phrase en disposant que le pouvoir est exercé, pour le domaine du Reich, par les organes fédéraux et dans les Länder – par les organes des États fédérés. Ne s’agit-il pas de l’introduction d’un « principe démocratique-plébiscitaire », « diamétralement opposé à l’ancien “principe monarchique” » ? Si la réponse à cette question était affirmative, alors la conséquence la plus importante concernerait sans doute la nature du référendum (Volksentscheid). La décision populaire réunirait « toutes les trois fonctions dans les mêmes mains », celles du peuple, qui deviendrait l’analogue démocratique du monarque des États constitutionnels, c’est-à-dire qu’il disposerait de l’intégralité du pouvoir non seulement « en principe », mais aussi en l’exerçant de manière effective.
Il est important de savoir si le principe démocratique permet à la « société active » d’exercer la plénitude du pouvoir, et donc les fonctions étatiques, ou bien elle se voit accorder uniquement la place de suppléant du législateur, une sorte de « doublure » (Duplizierung). Dans ce dernier cas de figure, les décisions prises par la « société active » ne peuvent aucunement franchir les limites de la compétence du Parlement98. La réponse de Thoma est négative. Selon lui, le peuple ne dispose pas de la plénitude du pouvoir99. « (…) [D]’après le droit constitutionnel en vigueur, la société civile active, qui se prononce par référendum, ne réunit pas en elle tous les droits du pouvoir d’État. »100
Le texte constitutionnel de 1919 comporte des handicaps de naissance et se révèle plus tard privé de toute possibilité de réagir contre sa destruction massive entreprise dès le début des années 1930. Ce régime paraît d’un point de vue statique savamment équilibré, mais d’un point de vue dynamique, le système ne présente pas les mêmes qualités. Les mécanismes qui doivent présider à une balance institutionnelle en évitant toute influence disproportionnée d’un organe ne sont pas viables et le régime se transforme en un « monisme parlementaire réunissant tous les pouvoirs» (gewaltenvereinigenden parlamentarischen Monismus)101.
Un monisme parlementaire qui n’a pas pour conséquence de garantir au Bundestag la domination du jeu politique. Au contraire, le parlement commence à se dessaisir progressivement de ses compétences en déléguant l’exécution des missions, qui lui incombent constitutionnellement, aux organes exécutifs. L’abus du pouvoir réglementaire est une des raisons qui pousse la République allemande dans le chaos politique total régnant à l’extrême fin des années 1920. L’heure de « la mort annoncée »102 du « système » de Weimar sonne dans une indifférence doctrinale qui présage les années sombres qui suivront le 30 janvier 1933, date à laquelle le président du Reich, Paul von Hindenburg, nomme Adolf Hitler au poste de chancelier fédéral. Cette date, écrit Ernst Rudolf Huber, marque « le point final de l’histoire constitutionnelle de l’époque de Weimar »103.
§ 3. Le principe de séparation des pouvoirs à la fin de Weimar : chronique de la mort annoncée d’un principe de l’ « État de droit bourgeois et libéral ».
Distinguer les pouvoirs afin de garantir l’exercice modéré de la puissance et les droits et libertés est un des traits caractéristiques de l’État de droit bourgeois et libéral, écrit Schmitt dans sa Théorie de la Constitution (A). Ce « dogme libéral », qui prône « l’équilibre des forces marqué du signe de la méfiance »104, est de toute évidence incompatible avec le nouvel ordre national-socialiste (B).
A. Le principe de distinction des pouvoirs dans la Théorie de la Constitution (Verfassungslehre) de Carl Schmitt.
Carl Schmitt est « un des brillants représentants de la nouvelle génération de juristes allemands » ; sa « notoriété est cependant loin d’atteindre celle des maîtres de l’époque »105. La Verfassungslehre (Théorie de la Constitution) lui permet enfin de jouir, à quarante ans, « de l’attention et de la reconnaissance » tant désirées106. L’opus, qui paraît en 1928, ne laisse pas de doute sur l’engagement théorique de Schmitt : « la préface (…) sonne comme un manifeste contre le positivisme juridique et en faveur d’une nouvelle théorie du droit public »107.
La « composante libérale » de la « constitution moderne de libertés bourgeoises »108 comporte deux principes : les droits fondamentaux et la séparation des pouvoirs. Les droits fondamentaux sont des « droits absolus » que « l’individu humain libre (…) possède envers l’État »109. Leur signification juridique consiste en le principe de répartition de l’État de droit bourgeois entre « une sphère de liberté individuelle illimitée » dont dispose l’individu d’une part, et une « capacité d’empiètement de l’État limitée, mesurable et contrôlable ». Si les droits fondamentaux énumérés dans la Constitution forment le socle de la répartition entre sphère de liberté illimitée et domaine de l’ingérence constitutionnellement autorisée de l’État, le principe de la séparation des pouvoirs représente pour Schmitt « le principe d’organisation »110 qui permet de « mesurer et de contrôler tous les pouvoirs étatiques »111.
Schmitt n’emploie pas l’expression de « séparation des pouvoirs » (Trennung der Gewalten) pour désigner l’organisation des trois pouvoirs. Il manifeste une prédilection pour la notion de « distinction » (Unterscheidung)112 en faisant remarquer la « grande diversité de vocabulaire et des perspectives pour le principe général d’organisation de la distinction des pouvoirs »113. La « distinction » (Unterscheidung) signifie l’action de distinguer les différentes parties composant le pouvoir unitaire de l’État114 sans qu’il y ait une séparation entre elles. Ce principe d’organisation de la distinction des trois pouvoirs commande toute « constitution libérale bourgeoise »115.
La distinction des pouvoirs s’épuise dans deux mouvements différents, deux « points de vue », qui permettent d’avoir une organisation des trois pouvoirs équilibrée et efficace. Tout d’abord, il convient de procéder à la séparation (Trennung) organique et des compétences constitutionnellement attribuées aux différents organes de l’État. Ce n’est qu’après avoir accompli ce mouvement négatif de séparation des organes et des compétences qu’il est possible d’envisager l’aspect positif du principe : les rapports entre les organes déjà séparés qui disposent de compétences propres, mais qui ne se trouvent pas dans une situation d’isolation totale. Le « lien » et l’« influence mutuelle » entre les organes représente le second point de vue sur l’objet appelé « séparation des pouvoirs ». Il s’agit d’un « balancement des droits » des « pouvoirs distincts ». Une séparation absolue n’est réalisée dans aucune constitution concrète, car il s’agit plutôt que d’un principe d’application rigoureuse, d’un « schéma théorique » aux contours lâches « dont l’élaboration éclaire le principe d’organisation ».
L’exemple de régime politique, qui applique les règles posées par ce schéma théorique aux contours lâches, est le régime parlementaire où les différents organes, en même tems qu’ils sont séparés, se trouvent dans des rapports étroits grâce aux mécanismes de freins et de contrepoids mis à leur disposition. Le parlementarisme porte un danger car l’engagement de la responsabilité politique du gouvernement peut amener le parlement à jouer le rôle d’une instance suprême soumettant tout autre organe à son commandement. Si cette totale dépendance se réalisait, et le gouvernement devenait l’agent d’exécution de la volonté parlementaire tributaire de la bonne volonté de l’assemblée, alors on ne parlerait pas d’un vrai « parlementarisme » appliquant le principe de la distinction des pouvoirs, car disparaîtrait l’équilibre entre les deux organes rendu possible par des « constructions de balances », qui, souligne Schmitt, sont « particulièrement importantes pour la Constitution de Weimar »116. Le modèle extrême, dans lequel le parlement s’accapare de vastes champs de compétences qui débordent le domaine de la législation afin de contrôler le gouvernement, tend à transformer le parlementarisme en un « absolutisme parlementaire » dans lequel le postulat de la distinction des pouvoirs serait « supprimé ». L’« exigence démocratique » consiste en une « dépendance du gouvernement envers la volonté de la représentation populaire, le gouvernement étant une pure délégation (Ausschuss) de la représentation populaire, donc du parlement qui lui-même est une pure délégation du peuple »117 :
Le système parlementaire n’est en effet pas une conséquence ou une application du principe démocratique d’identité, mais fait partie d’une constitution moderne libérale bourgeoise dont il est le véritable système de gouvernement (Regierungssystem). Il repose sur l’emploi et le mélange d’éléments politiques différents, voire contraires. Il utilise des structures monarchiques pour renforcer le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le gouvernement, et pour équilibrer ainsi le parlement ; il utilise l’idée aristocratique d’un corps représentatif, et aussi dans plusieurs pays celle du système bicaméral ; il utilise des idées démocratiques sur le pouvoir de décision du peuple (…). C’est un système qui emploie et mélange différentes formes gouvernementales et législatives au service d’un équilibre instable118.
Ici se cache un des rejets du système parlementaire et du principe de la distinction des pouvoirs qui le sous-tend. Le régime parlementaire n’est pas un régime d’identité, mais une démocratie biaisée qui doit sa fragile existence à un syncrétisme politique mêlant différentes formes de gouvernement. Les mécanismes de freins et de contrepoids, dont disposent les organes des pouvoirs législatif et exécutif, doivent servir à garantir la modération de la puissance et, par là, la protection des droits et libertés des individus. Les traits caractéristiques du régime parlementaire, tel qu’il est décrit par Schmitt, ne répondent évidemment pas à la nouvelle structure qui est en train de remplacer le corps malade de Weimar. C’est contre la République parlementaire prétendument démocratique que le national-socialisme « s’est dressé de toute sa force »119 en écrasant sa composante libérale à laquelle appartiennent le principe de la distinction des pouvoirs et les droits fondamentaux.
L’anti-libéral, anti-démocrate et anti-positiviste qu’est Schmitt ne peut qu’acclamer l’avènement du nouvel ordre national-socialiste qui est tout l’opposé de l’État de droit bourgeois et libéral, qu’il faut « neutraliser » et qui est la cible de ses âpres critiques120. Il se positionne dans le camp des juristes œuvrant en vue de légitimer l’État nazi. Après la nomination d’Hitler comme chancelier fédéral par le président Hindenburg le 31 janvier 1933, les digues constitutionnelles de Weimar cèdent massivement les unes après les autres121. La loi d’habilitation votée par le Bundestag le 23 mars 1933, qui octroie les pleins pouvoirs législatifs au nouveau chancelier pour une période initiale de quatre ans122, scelle définitivement le sort de Weimar123. La consultation populaire organisée le 19 août 1934 rendant possible la fusion des fonctions de président du Reich et de chancelier fédéral124 n’est qu’une banale formalité censée donner l’apparence d’une « véritable démocratie »125 au régime totalitaire déjà mis en place.
B. L’incompatibilité du principe libéral et bourgeois de séparation des pouvoirs avec le nouvel ordre national-socialiste.
Dans la Deutsche Juristen-Zeitung du 1er août 1934, paraissent deux articles dont la lecture révèle le rejet frénétique du principe de la séparation des pouvoirs par la « nouvelle » doctrine. Le premier, sorti de la plume de Schmitt, porte le titre parlant « Der Führer schützt das Recht » (Le Führer protège le droit), le deuxième, signé par le « disciple le plus proche, le plus indépendant et le plus important » de Schmitt, Ernst Rudolf Huber126, est consacré à l’unité du pouvoir d’État (Die Einheit der Staatsgewalt) et prend pour cible directe le principe « libéral » de la séparation des pouvoirs.
Dans le nouvel ordre national-socialiste la fusion totale entre la communauté du peuple et son Führer lève toutes les barrières posées par l’État de droit libéral et bourgeois. Ce dernier posait le principe d’une organisation du pouvoir dans le but de modérer l’exercice de la puissance publique en vue de garantir une protection suffisante de la liberté de l’individu, de sa sphère privée, libre de toute influence étatique (staatsfrei)127. Mais dans le cadre du régime hitlérien, il n’y a nul besoin de garantir une telle protection, car il n’existe aucun domaine de la vie susceptible d’échapper à l’emprise de l’État du Führer128. Pour celui, qui est en quête de justifications pour cette destruction de toute sorte de séparation, l’ordre national-socialiste est une démocratie parfaite rendue possible par l’état fusionnel dans lequel se trouvent le peuple et le guide suprême129. « La démocratie, la démocratie “véritable” devrait fonctionner à l’identité et à l’immédiateté. »130
Dans la situation apocalyptique, dans laquelle se trouve l’Allemagne, seul le Führer, écrit Schmitt, est la possibilité de salut ultime. Il est « le juge suprême » qui « protège le droit des pires abus »131. La justice ordinaire, simple élément de l’appareil étatique ne peut point répondre à une si haute vocation. Schmitt fait disparaître la garantie de la justice légale, neutre, indépendante et impartiale132. Cette justice-là est devenue « l’ennemi de l’État actuel ». Le Tribunal de l’Empire, qui voit dans l’indépendance de la justice « la protection des droits reconnus au citoyen par la loi contre d’éventuels actes d’un gouvernement enclin à user du pouvoir arbitraire », n’est que l’expression de la pensée « libérale et individualiste »133 qui n’a plus sa place dans le nouvel État allemand placé sous le signe de l’ordre concret et de la fusion du peuple134, de la communauté (Gemeinschaft)135 avec son guide, le Führer. Dans ce régime fusionnel, « toute séparation et répartition du pouvoir »136, ainsi que « le contrôle réciproque des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire », basé sur un rapport de « méfiance »137 sont incompatibles avec « la politique totale » menée par le gouvernement national-socialiste. La séparation des pouvoirs, cet héritage de « l’État de droit bourgeois », dont « la signification réside dans l’attribution des trois fonctions étatiques » à des « organes distincts, indépendants les uns des autres » et dans « l’effacement de l’unité du pouvoir au profit de la répartition tripartite des pouvoirs »138, doit disparaître. Les arguments, avancés par les théoriciens de l’« État de droit bourgeois », qui tendent à prouver que « la répartition des fonctions » ne détruit pas l’unité du pouvoir d’État, mais opère un « partage des compétences » conservant le caractère unitaire du pouvoir, n’est nullement convaincant aux yeux de Huber. Il s’agit, comme beaucoup d’autres théories libérales, d’une « simple idéologie ». La répartition des compétences n’exclut pas l’unité du pouvoir uniquement dans l’hypothèse où « les fonctions isolées peuvent être ramenées à un seul titulaire de volonté et d’action »139. Ce titulaire doit être celui qui détient et exerce effectivement l’intégralité pouvoir. « Volonté » et « action » doivent se retrouver dans la main d’un seul , ce qui signifie que celui qui peut vouloir, doit aussi pouvoir agir, c’est-à-dire pouvoir lui-même mettre en œuvre l’acte de volonté dont il est l’auteur. La concentration de la volonté et de l’agir exclut toute forme de représentation. Il est impossible d’avoir une organisation étatique qui opère une distance entre le sujet qui veut et le sujet qui agit pour accomplir la volonté du premier. Dans un régime démocratique, les organes chargés d’accomplir les différentes fonctions étatiques font office de corps intermédiaires, de représentants qui mettent en œuvre la volonté générale du peuple. « La volonté qui se forme dans le Führer n’est pas la volonté personnelle d’un individu, mais la volonté générale d’une communauté. Une telle volonté générale n’est pas une fiction, à la différence de la prétendue “volonté générale” de la démocratie, mais une réalité politique qui trouve son expression dans le Führer. »140 Le « Führer n’est pas “représentant” du peuple allemand ». Il « en est l’incarnation » et aucune « distance, aucune “forme” ne peut le séparer de la Volksgemeinschaft : il est elle et elle est lui ». Les « classifications séparatrices habituelles de la pensée constitutionnelle bourgeoise (législatif, exécutif, judiciaire) » ne correspondent pas à la réalité du pouvoir nazi141. Comme le remarque un observateur français avisé, le « pouvoir de Führung est et doit être unitaire », ce qui « exclut (…) cette répartition organique des trois fonctions étatiques qu’on appelle séparation des pouvoirs »142.
Vidé de son sens, le principe de séparation des pouvoirs n’a de toute évidence aucune utilité dans le régime hitlérien. Puisque toute forme de séparation disparaît, alors une distinction des fonctions, ou des pouvoirs, est inconcevable car susceptible de troubler l’état de fusion totale du chef suprême et de la communauté populaire. La finalité même du principe : la protection de la liberté de l’individu par la modération de la puissance publique, n’a plus de raison d’être. Il n’y a aucune sphère qui pourrait échapper à l’action publique, l’individu n’a pas besoin de se défendre contre l’État, d’être protégé d’un éventuel exercice arbitraire du pouvoir, car, grâce à la fiction de l’incarnation du peuple dans la personne du Führer, cet individu, qui n’est rien d’autre qu’un élément de la communauté, est le pouvoir. Et cette communauté qui est pouvoir dispose désormais d’un champ d’action illimité. La séparation des sphères privée et publique est tombée comme toute autre forme de séparation. Le pouvoir s’empare de la vie toute entière de la communauté, le droit devient l’« ordre de vie »143. Plutôt que de protéger la liberté de l’individu, la politique nazie « se propose de garantir la protection du “corps biologique de la nation”»144.
- Olivier Beaud, « Carl Schmitt ou le juriste engagé » (préface), in Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lyliane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p. 98 : « Dans les soubresauts d’une guerre finissante, elle fut déclenchée par les soldats et les ouvriers et déboucha sur la constitution d’un gouvernement provisoire mêlant libéraux, socialistes et socialistes révolutionnaires ». [↩]
- Michael Stolleis, « Dans le ventre du Léviathan. La science du droit constitutionnel sous le national-socialisme », Astérion, n°4, 2006, p. 99-100 : « La science du droit constitutionnel (Staatsrechtslehre) allemande a accompli dans la première moitié du XXe siècle la transition d’une monarchie constitutionnelle vers une république démocratique (…) ». Sur la réception de la nouvelle Constitution par la doctrine française : Carlos Miguel Herrera (dir.), La Constitution de Weimar et la pensée juridique française. Réceptions, métamorphoses, actualités, Éditions Kimé, 2011. [↩]
- « Die Staatsgewalt geht vom Volke aus (…)». [↩]
- Le 30 septembre 1918, l’Empereur Guillaume II fait une dernière tentative de sauver l’édifice impérial qui est en train de s’écrouler : il adresse une note au comte de Herling en déclarant instituer le régime parlementaire en Allemagne. Mais il est déjà trop tard. Sur l’échec de la parlementarisation du Reich : Christoph Gusy, Die Weimarer Reichsverfassung, Mohr Siebeck, Tübingen, 1997, p. 5 et suiv. [↩]
- L’article 54 introduit le principe de confiance qui lie le chancelier et les ministres du Reich au Parlement : ils « doivent, pour l’accomplissement de leurs fonctions, jouir de la confiance du Reichstag » (« bedürfen zu ihrer Anmtsführung des Vertrauens des Reichstags »). Cette disposition constitutionnelle prévoit également une sanction dans l’hypothèse où « la confiance est retirée par un vote exprès », le ministre visé ou le gouvernement tout entier « est obligé de démissionner » (« Jeder von ihnen muß zurücktreten, wenn ihm der Reichstag durch ausdrücklichen Beschluß sein Vertrauen entzieht »). [↩]
- Sur les pouvoirs du président prévus par l’article 48 de la Constitution weimarienne, voir, infra, Deuxième partie, second titre, chapitre 1er. La « constitution d’urgence » de la Loi fondamentale de 1949, qui contient une série de dispositions dont l’application est déclenchée dans des situations exceptionnelles et qui modifient le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, est une réaction à la « dictature » du pouvoir exécutif rendue possible par l’article 48 et ayant contribué à la fin rapide du régime weimarien. [↩]
- Hugo Preuss, qualifié souvent de « père de la Constitution de 1919 », « Zur Verabschiedung der neuen Reichsverfassung » (1919), in Detlef Lehnert/Christoph Müller (éd.), Gesammelte Schriften, vol. 4 (Politik und Verfassung der Weimarer Republik), Mohr Siebeck, Tübingen, 2008, p. 86 : « Der Übergang von der Monarchie zur Republik hat sich in Reich und Einzelstaaten dem äußeren Anschein nach erstaunlich leicht vollzogen, wenig leicht wird sich der demokratische Parlamentarismus (…). Diesem Geiste ist unser Volk durch die jahrhundertelange Herrschaft der obrigkeitlichen Kleinstaaterei mehr entfremdet als irgend ein anderes Volks unseres Kulturkreises ». [↩]
- Otto Kirchheimer, « Weimar und was dann ? Analyse einer Verfassung » (1930), in du même, Politik und Verfassung, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 1964, p. 52 : « (…) Verfassung ohne Entscheidung ». [↩]
- Rudolf Smend, Die Verfassung des Deutschen Reichs vom 11. August 1919, Sieben Stäbe- Verlags- u. Druckereigesellschaft, Berlin, 1929, p. XIV : « (…) ist das Rech ein Verfassungsstaat im engeren, eigentlichen Sinne. D.h. die Verfassung unterscheidet eine gesetzgebende Gewalt, eine an die Gesetze gebundene und der Kritik des Parlaments unterworfene vollziehende Gewalt (…) und eine von dieser unabhängige richterliche Gewalt – und sie verteilt diese Gewalten auf verschiedene Organe im Sinne der republikanisch-demokratisch-parlamentarischen Staatsform ». Smend, Verfassung und Verfassungsrecht, rejette le principe de séparation des pouvoirs compris comme un double mouvement de séparation puis de système de freins et de contrepoids, car « l’exigence de construire l’État comme un système artificiel de forces se contrebalançant mutuellement fut la première et naïve expression d’une pensée qui ne voulait pas tellement organiser l’État en tant que le jeu de forces se mouvant librement, mais cherchait plutôt et avant tout à comprendre ces mécanismes » (« Die Forderung, den Staat aufzubauen als ein künstliches System sich gegenseitig in freischwebendem Gleichgewicht haltender Kräfte, war die erste und naive Form eines Denkens, das den Staat als ein in sich freischwebendes Kräftespiel nicht so sehr einzurichten, als zunächst und vor allem zu verstehen suchte »). [↩]
- George Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, trad. fr. Edith Magyar, Hachette Littératures, 1999, spécialement p. 181 et suiv. sur « la brutalisation du champ politique allemand ». Ce phénomène de brutalisation, lié à la banalisation de la guerre et donc à une indifférence à l’égard de la mort de masse et à une déshumanisation de l’ennemi, peut être observé dans les autres États, parties au conflit de 1914-1918, mais dans les pays « victorieux » comme l’Angleterre ou la France, on a pu « maîtriser ce durcissement ». « L’Allemagne, écrit Mosse, n’eut pas cette chance et la violence envahit toute la scène politique ». [↩]
- Marcel Gauchet, L’avènement de la démocratie III : A l’épreuve des totalitarismes (1914-1974), Gallimard, 2010, p. 458 ; George Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, op.cit. p.199, p. 201. Déjà, pendant la Première guerre mondiale, la dégradation de la situation économique représente le terrain propice à l’exacerbation de l’antisémitisme latent et à la radicalisation politique de l’Allemagne : « La montée du racisme était surtout une réaction aux crises sociales, économiques et politiques ». [↩]
- Johann Chapoutot, Fascisme, nazisme et régimes autoritaires en Europe (1918-1945), PUF, coll. Quadrige, 2013, p. 101. [↩]
- Sur cette querelle doctrinale qui dure de 1925 à 1933: Manfred Friedrich, « Der Methoden- und Richtungsstreit. Zur Grundlagendiskussion der Weimarer Staatsrechtlehre », in AöR, vol. 111, 1977, p. 161-209 ; Michael Stolleis, Geschichte des öffentlichen Rechts in Deutschland, t.3 : Staats- und Verwaltungswissenschaft in Republik und Diktatur (1914-1945), C.H. Beck, München, 1999, p. 153 et suiv. ; Christoph Gusy, Die Weimarer Reichsverfassung, Mohr Siebeck, Tübingen, 1997, p. 421 et suiv. Voir, également, en langue française, Olivier Beaud, « Carl Schmitt ou le juriste engagé », in Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lilyane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p. 21 et suiv. Les protagonistes de ce schisme doctrinal sont, par exemple, Hans Kelsen, le représentant le plus important du positvisme normativiste, Carl Schmitt, Hermann Heller, Rudolf Smend, placés du côté des anti-positivistes, et Gerhard Anschütz et Richard Thoma qui prennent plutôt une position médiane entre le rejet total et l’acceptation aveugle. [↩]
- Michael Stolleis, « Droit naturel et théorie générale de l’État dans l’Allemagne du XIXe siècle », Le Débat, n°74, 1993, p. 72. [↩]
- Hans Kelsen, lettre adressée à son traducteur italien, Renato Treves, datée du 3 août 1933, dont la version française, due au destinataire, est publiée dans la revue Droit et société, n°7 (numéro spécial « Kelsen et le kantisme »), 1987, p. 326 et suiv. Il s’agit probablement de la dernière lettre « allemande » de Kelsen. On y trouve mentionné son renvoi de l’Université de Cologne. Sur son rejet du modèle labandien : Christoph Schönberger, « De l’État comme substance à l’État comme fonction », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, PUF, coll. Débats philosophiques, 2010, p. 53 et suiv. : « (…) le positivisme de Kelsen – un positivisme théorique, de théorie du droit – n’est pratiquement lié en rien, sur le fond, à la tradition positivste de Laband, qui est un positiviste de la volonté de l’État ». Pour Hermann Heller, La crise de la théorie de l’État (1926), Dalloz, coll. Tiré-à-part, 2012, p. 29 : « La théorie pure du droit est l’héritage trop tardif du positivisme juridique logiciste, l’accomplissement parfaitement conséquent du programme anti-sociologique et anti-axiologique du labandisme » ; p. 34 : « (…) Kelsen ne fait que mener à bien le programme du positivisme logiciste des Laband, Stammler et autres Binder, tous influencés par le néo-kantisme ». Cependant, il convient de s’interroger sur le bien-fondé de ce rejet de la méthode labandienne et de la position favorable que prend Kelsen envers Gerber, car entre Laband et Gerber, il n’y a pas vraiment de différence de méthode, mais une différence d’objet (voir, supra, ce chapitre, section 1, §2). [↩]
- Norbert Achterberg, Probleme der Funktionenlehre, C.H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung, München, 1970, p. 33. [↩]
- Sur les rapports entre le « maître » Kelsen et l’ « élève » Merkl : Martin Borowski, « Die Lehre vom Stufenbau des Rechts nach Adolf Julius Merkl », in Stanley L. Paulson/Michael Stolleis (dir.), Hans Kelsen : Staatsrechtslehrer und Rechtstheoretiker des 20. Jahrhunders, Mohr Siebeck, Tübingen, 2005, p. 156 et suiv. Il faut dire que Kelsen s’appuie largement sur les analyses de Merkl, qui innervent la théorie pure du droit, mais cite avec extrême parcimoine Merkl. Dès la deuxième édition des Hauptprobleme der Staatsrechtslehre, qui paraît en 1923, Kelsen qualifie la théorie de la formation du droit par degrés de « partie essentielle » (wesentliche Bestandteil) du système de la Théorie pure du droit (p. XVI) sans se réferer explicitement à son « élève ». Dans l’essai consacré à la séparation des pouvoirs, Adolf Merkl fait l’objet d’une seule référence de note de bas de page, alors que Kelsen construit tout son raisonnement sur les hypothèses avancées par Merkl quelques années plus tôt (voir infra, ce paragraphe, B). Il est difficile de conclure à une vanité intellectuelle qui aurait empêché Kelsen de se référer constamment à l’œuvre de Merkl. Comme le remarque Martin Borowski, dans la laudatio prononcée par Kelsen à l’occasion du 70e anniversaire de Merkl, le maître est plus qu’élogieux et désigne son disciple comme étant le « co-fondateur » (Mitbegründer) de la théorie pure du droit. [↩]
- Voir l’introduction de Stanley L. Paulson in Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État suivi de la doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, Bruylant/LGDJ, 1997, p. 6 et suiv. Sur l’importance de la formation du droit par degré pour la Théorie générale de l’État kelsénienne, on consultera Stanley L. Paulson, « Zur Stufenbaulehre Merkls in ihrer Bedeutung für die allgemeine Rechtslehre », in Robert Walter (dir.), Adolf J. Merkl. Werk und Wirksamkeit, Manz, Wien, 1990, p. 93 et suiv. [↩]
- Franz Weyr, « La doctrine de M. Adolph Merkl », Revue internationale de théorie du Droit, n°28, 1926, p. 215 et 219, ici cité par Denys de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit, Éditions Odile Jacob, 1997, p. 56. [↩]
- Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État suivi de la doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, Bruylant/LGDJ, 1997, p. 186-187. Dans l’esprit kelsenien, la création du droit est toujours l’application de celui-ci, car ces « deux concepts ne sont absolument pas opposés ; contrairement à ce que présume la théorie traditionnelle ». [↩]
- Ici s’impose une précision de l’emploi du terme « hiérarchie ». Il ne s’agit ni pour Merkl, ni pour Kelsen de construire des rapports hiérarchiques au sens d’une subordination, soumission de celui qui exécute la norme envers celui qui la produit : Hans Kelsen, « Aperçu d’une théorie générale de l’État », RDP, 1926, p. 534-535 : « En réalité, la subordination n’existe qu’entre celui qui applique la règle et la règle qu’il doit appliquer, et non entre lui et celui qui l’a établie. C’est à la règle qu’on doit se conformer, se soumettre, et non à l’individu qui, – soumis à son tour à d’autres règles –, l’a édictée. Il n’y a de subordination et de supériorité, de hiérarchie, dans le système de l’État, qu’en ce sens ». Sur ce point, François Ost/Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2002, p. 44 et suiv. [↩]
- Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’oeuvre d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 679. [↩]
- Adolf Merkl, « Prolegomena einer Theorie des rechtlichen Stufenbaues », Gesellschaft, Staat und Recht, Festschrift für Hans Kelsen, 1931, p. 252-294, réimpression dans Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, Europa Verlag, Wien, 1968, p. 1326 : « Es wird sich noch erweisen, daß der Rechtssetzung im Bereiche der Vollziehung nur eine unübersteigliche formale Schranke gezogen ist, so daß freilich die Rechtssetzung niemals die gesamte Vollziehung durchdringen kann ». [↩]
- Adolf Merkl, Die Lehre von der Rechtskraft, entwickelt aus dem Rechtsbegriff, Leipzig/Berlin, 1923, p.216 et du même, « Das doppelte Rechtsantlitz », Juristische Blätter, 1918, p. 425-427, 444-447, 463, 465, réimpression dans Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 1, op.cit., p. 1097. C’est cet écrit qui est décisif pour la théorie de la formation du droit par degrés. [↩]
- Adolf Merkl, « Das doppelte Rechtsantlitz », Juristische Blätter, 1918, p. 425-427, 444-447, 463, 465, réimpression dans Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 1, Europa Verlag, Wien, 1968, p. 1091-1113, p. 1097 pour la citation (« Das Recht, von dem gezeigt wurden daß es notwendig zwei Stufen aufweist – eine Stufe absoluter Rechtserzeugung und eine Stufe absoluter Rechtsanwendung (…), zeigt uns mindestens ein doppeltes Antlitz »). Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, suivi de la doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, Bruylant/LGDJ, 1997, p. 186-187, pour qui « les deux concepts ne sont absolument pas opposés, contrairement à ce que présume la théorie traditionnelle » émet donc la même hypothèse. Il n’est « pas tout à fait correct de classer les actes juridiques en actes de création du droit et en actes d’application du droit ; en effet, hormis deux cas extrêmes (…), tout acte est simultanément un acte de création et d’application du droit ». Critique : François Ost/Michel van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1987, p. 183 et suiv. [↩]
- Très critique et contre la théorie de la formation du droit par degrés de l’« École viennoise », l’anti-positiviste Rudolf Smend, Verfassung und Verfassungsrecht, Duncker & Humblot, München/Leipzig, 1928, p.106, dont la doctrine de l’intégration est l’opposé de la méthode de Merkl et Kelsen : « La signification et le lien entre les “étages de la production du droit” suit le sens selon lequel ces étages représentent des parties d’une réalité donnée et évolutive. Mais les parties d’une telle réalité doivent être comprises comme entretenant un lien uniquement d’un point de vue dialectique, et non pas comme les maillons d’une chaîne linéaire. Enfin, le dépouillement de l’État de tous ses caractères spécifiques, de tout élément politique exclut un éventuel regard sur la nature spécifique des composantes de l’État » (« Der Sinn und der Zusammenhang der Stufen der Rechtserzeugung” ist gegeben mit dem Sinn, den diese Stufen als Teile einer aufgegebenen und durchgeführten Lebenswirklichkeit haben. Teile solche Wirklichkeit sind aber im Verhältnis zueinander nur als dialektische Momente verständlich, nicht als Glieder einer linearen Kette. Und vollends die radikale Denaturierung des Staats von aller Eigennatur, allem politischen Charakter schließt natürlich auch jede Einseicht in den spezifischen Charakter seiner einzelnen Momente aus […] »). [↩]
- Adolf Merkl, « Das doppelte Rechtsantlitz », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 1 op.cit., p. 1109 : « Das Gesetz bedarf noch einer Konkretisierung oder Individualisierung durch den Rechtsanwender, der die ideale Norm an den realen Sachverhalt heranbringt ». [↩]
- Adolf Merkl, Die Lehre von der Rechtskraft entwickelt aus dem Rechtsbegriff, Leipzig/Wien, 1923, p. 20-21 : (…) einerseits die “Gesetzgebung” im Sinne eines Vollzuges der Verfassung ; anderseits die “Vollziehung” im Sinne eines Vollzuges der Gesetzgebung. (…) Die beiden Teilbereiche des kurz als Vollziheung bezeichneten Funktionskomplexes, die beiden Tochterfunktionen im Verhältnis zur Gesetzgebung, Schwesterfunktionen im gegenseitigen Verhältnis sind die Gerichtsbarkeit und die Verwaltung ». Dans le même sens, Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, Bruylant/ LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, p. 305 : « Il ne suffit pas de dire que les organes du pouvoir exécutif “exécutent” les normes pour distinguer le pouvoir judiciaire du pouvoir dit “exécutif”. A cet égard, la fonction des deux pouvoirs est identique ». [↩]
- Sur les différences entre l’application et la concrétisation de la norme juridique, voir Olivier Jouanjan/Friedrich Müller, Avant dire droit, Presses universitaires de Laval, 2007, p. 62 et suiv. [↩]
- Adolf Merkl, « Prolegomena einer Theorie des rechtlichen Stufenbaues », Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, Europa Verlag, Vienne, 1968, p. 1328 : « Nur die Grenzerscheinungen des Rechtsverfahrens müssen einerseits rein generell, andererseits rein individuell sein : die Verfassung ist notwendig generell, indem sie in nuce die Pflichten aller Rechtsunterworfenen, die aber erst durch Rechtsakt zu bezeichnen sind, in sich schließt, der Zwangsakt hingegen notwendig individuell, da die Tatsache des Zwanges nur an bestimmten, den dem einen Menschen gegen einen anderen Menschen gerichteten Handlungen in Erscheinung treten kann. Alle zwischen diesen beiden Endpunkten liegenden Akte des Rechtsverfahrens können aber sowohl generell als auch individuell und auch beides zugleich sein und es ist nur eine Frage der Zweckmäßigkeit, ob die Rechtsverfahrensordnung den einzelnen Stadien des Rechtsverfahrens generellen oder individuellen Charakter verleiht und in welchem Maße sie im einzelnen Rechtsatz generelle und individuelle Normierung dosiert ». [↩]
- Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et la “hiérarchie des normes” », in Olivier Beaud/Patrick Wachsmann (dir.), La science juridique allemande et la science juridique française (1870-1914), Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, nouvelle série n°1, PUS, 1997, p. 304 : « On appellera “organe” un ensemble d’habilitation d’édiction (au moins de participation à l’édiction) d’une forme normative. Une telle habilitation doit permettre la désignation du ou des titulaires qui pourront et/ou devront l’exercer. L’organe ne peut donc être opposé à la norme, il est une structure normative d’habilitation ». Il convient de distinguer cette structure d’habilitation de son titulaire. [↩]
- Adolf Merkl, « Das doppelte Rechtsantlitz », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 1, op.cit., p. 1109-1110, avec une référence à un autre membre du cercle viennois qui gravite autour de Kelsen, Alfred Verdroß : « Es war vor allem Alfred Verdroß, der in der Ausführung des schon von Kelsen vetretenen Gedankens, daß keine Staatsfunktion – und sei das Organ auch gebunden – ohne eine Spur von freiem Ermessen denkabr sei, dem freien Ermessen, das heißt dem Willen des Staatsorganes ganz beträchtliche Gebiete in der Rechtsanwendung geöffnet hat ». [↩]
- Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’oeuvre d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 686. [↩]
- Adolf Merkl, Allgemeines Verwaltungsrecht, Julius Springer, Wien/Berlin, 1927, p. 142. [↩]
- Hans Kelsen, Hauptprobleme der Staatsrechtslehre, 2e édition, Tübingen, 1923, p. XV et suiv. ; Allgemeine Staatslehre, Berlin, 1925, p. 233 et suiv. ; Théorie pure du droit, 2e édition (1969), trad. fr. Charles Eisenmann, réimpression, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1999, p. 310. Contre l’identité entre État et ordre juridique, voir, par exemple, Rudolf Smend, Verfassung und Verfassungsrecht, Duncker & Humblot, München/Leipzig, 1928, p. : « (…) l’État et le droit sont entendus comme deux sphères de l’esprit indissolublement liées » (« […] Staat und Recht versteht als zwei […] untrennbar verbundene […] Provinzen des geistigen Lebens »). [↩]
- Parmi les innombrables ouvrages consacrés à Hans Kelsen, on se reportera de manière générale aux travaux de Stanley L. Paulson et d’Otto Pfersmann, à la thèse de Carlos Miguel Herrera, Théorie juridique et politique chez Hans Kelsen, Editions Kimé, 1998, et du même, La philosophie du droit de Hans Kelsen, Les Presses de l’Université de Laval, 2004 ; voir encore Olivier Jouanjan « Présentation. Formalisme juridique, dynamique du droit et théorie de la démocratie : la problématique de Hans Kelsen », in du même (coord.), Hans Kelsen, Forme du droit et politique de l’autonomie, PUF, coll. Débats philosophiques, 2010, p. 11-47. Sur l’influence doctrinale de Kelsen aujourd’hui : Christoph Schönberger, « Kelsen-Renaissance ? Ein Versuch über die Bedingungen ihrer Möglichkeit im deutschen öffentlichen Recht der Gegenwart », in Matthias Jestaedt (dir.), Hans Kelsen und die deutsche Staatsrechtslehre ? Stationen eines wechselvollen Verhältnisses, Mohr Siebeck, Tübingen, 2013, p. 207-223. En Allemagne, Mathias Jestaedt a entrepris la réanimation de l’œuvre de Kelsen (cinq volumes ont été ainsi publiés chez Mohr Siebeck depuis 2007, à côté des deux nouvelles éditions de la Reine Rechtslehre [toujours chez Mohr Siebeck, 2008 et 2014]). Voir Matthias Jestaedt, « Der Staatsrechtslehrer Hans Kelsen – Provokateur aus Leidenschaft. Vier Schlaglichter auf ein Jahrhunder wechselvoller Beziehung », in du même Hans Kelsen und die deutsche Staatsrechtslehre ? Stationen eines wechselvollen Verhältnisses, Mohr Siebeck, Tübingen, 2013, p. 1-10. [↩]
- Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e édition, trad. fr. Charles Eisenmann, rééd. Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1999, p. 310. C’est cette force idéologique écrasante du dualisme de l’État et du droit qui explique « la résistance passionnée que la doctrine traditionnelle du droit oppose à la thèse de l’identité». [↩]
- Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 2e édition, trad. fr. Charles Eisenmann, rééd. Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1999, p. 281 : le nouveau fondement de la science juridique est « une connaissance de l’État exempte de toute idéologie et qui écarte par conséquent toute métaphysique et toute mystique ». [↩]
- Hermann Heller, La crise de la théorie de l’État (1926), tr. Fr. Olivier Jouanjan, Dalloz, coll. Tiré-à-part, 2012, p. 29 et suiv. La critique de Heller est sans appel : Kelsen construit sa « conception du monde juridique (…) à l’aide de pure logique et des coquilles vides des pures formes juridiques ». La Théorie pure du droit est un ouvrage au « titre positif », mais qui a « un contenu négatif », p. 49-50 : « (…) la théorie kelsénienne de l’État est sans État, son positivisme est sans positivité » ; « (…) l’État n’est pas un système idéel de normes, mais un groupement de domination et pour toutes ces raisons, la théorie pure du droit doit capituler et recourir au syncrétisme méthodologique, pour autant qu’elle ne veut pas être un positivisme sans positivité, une théorie de l’État sans l’État ni une science du droit sans droit ». [↩]
- Alexander Somek, « Dynamique juridique : une brève explication », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, PUF, coll. Débats philosophiques, 2010, p. 75. [↩]
- Christoph Schönberger, « De l’État comme substance à l’État comme fonction », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, op.cit., p. 56 : « L’État n’est pas une substance qui précéderait le droit, mais une fonction dont la société se sert pour mettre en oeuvre le droit », avec une référence à l’ouvrage d’Ernst Cassirer, Substanzbegriff und Funktionsbegriff. Unversuchungen über die Grundfragen der Erkenntniskritik, Berlin, 1910 (traduit en français en 1977 sous le titre Substance et fonction. Élements pour une théorie du concept, Éditions de Minuit, coll. Le sens commun), que Kelsen « ne connaissait pas encore » ; Matthias Jesaedt, « La science comme vision du monde : science du droit et conception de la démocratie chez Hans Kelsen », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, op.cit, p. 186-187 : « Les catégories fondamentales de la pensée juridique traditionnelle, qui sont à la fois réifiées et considérées comme existant par elles-mêmes préalablement au droit, telles que État et personne, volonté et validité, souffrent selon Kelsen de leur immuabilité, de leur substantialité ainsi que du fait qu’on les voit comme des données préexistantes. (…) Par conséquent, l’État et la personne n’existent pas juridiquement – contrairement à la vision traditionnelle, substantialiste et réificatrice, prisonnière d’une ontologue juridique – en tant que substances indépendantes, comme des “choses en soi”, mais seulement en tant que relation ou – mieux dans la relation, c’est-à-dire dans la dépendance des propositions de droit concrètes juridiquement constitutives de cette relation ». [↩]
- Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, op.cit., p. 304 : « Le pouvoir de l’État (ou puissance publique) auquel le peuple est soumis n’est pas autre chose que la validité et l’efficacité de l’ordre juridique (…) ». [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1626 : « Unter der Gewalt des Staates kann aber, sobald man diesen als eine Sollordnung auffaßt, nur die Geltung diese Ordnung (…) verstanden werden. Da der eigentliche Sinn dessen, was man üblicherweise als Staatsgewalt bezeichnet, Geltung einer Rechtsordnung und damit implicite Einheit dieser Geltung, der Gedanke einer Teilung dieser Geltung aber ein Ungedanke ist, so kann denn auch als eine Konsequenz aus dem Begriffe der Staatsgewalt deren Einheit und Unteilbarkeit gelehrt werden ». [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », Archiv für Rechts- und Wirtschaftsphilosophie, vol. 17, 1923-1924, p. 374-408, réimpression dans Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1625-1660. [↩]
- Alexander Somek, « Dynamique juridique : une brève explication », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, PUF, coll. Débats philosophiques, 2010, p. 71. [↩]
- L’idée kantienne selon laquelle les trois pouvoirs sont exercés par trois personnes morales distinctes est rejetée car incompatible avec le caractère unitaire de la validité de l’ordre étatique du devoir-être »[1]. Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », Archiv für Rechts- und Wirtschaftsphilosophie, vol. 17, 1923-1924, p. 374-408, réimpression dans Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1625-1626 : « (…) bei der Theorie von der drei Gewalen des Staates, die bei Kant bekanntlich zu drei voneinander verschiedenen moralischen Personen werden, was mit der Einheit der Geltung der staatlichen Sollordnung nur schwer zu vereinbaren ist ». [↩]
- Hans Kelsen, Théorie du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, p. 307. [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », Archiv für Rechts- und Wirtschaftsphilosophie, vol. 17, 1923-1924, p. 374-408, réimpression dans Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1625 : « Die folgenden Ausführungen gehen von der Voraussetzung aus, daß der Staat eine ideelle Ordnung menschlichen Verhaltens, daß er eine Zwangsordnung und sohin die Rechtsordnung ist. Demzufolge muß der Staat als ein System von Normen angesehen werden, und kann nicht – wie man gewöhnlich pflegt – als eine natürliche, kasualgesetzlich bestimmte Realität gelten ». La définition kantienne de l’État, entendu comme une « association d’hommes sous l’empire de règles de droit », est ainsi reprise et modifiée par Kelsen. Comme le souligne Rudolf Smend, « Verfassung und Verfassungsrecht », in du même, Staatsrechtliche Abhandlungen und andere Aufsätze, 3e édition, Duncker & Humblot, Berlin, 1994, p. 131 : « Der Staat ist keine “soziale Realität”, das ist die grundlegende negative These der Kelsenschen Staatstheorie ». [↩]
- Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, op.cit., p. 304 : « Quand (…) on évoque les trois pouvoirs de l’État, le pouvoir désigne une fonction de l’État, on établit alors une distinction entre les trois fonctions de l’État ». Selon Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et la “hiérarchie des normes” », in Olivier Beaud/Patrick Wachsmann (dir.), La science juridique allemande et la science juridique française (1870-1914), Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, nouvelle série n°1, PUS, 1997, p. 305-306, la « raison pour laquelle Kelsen utilise cette expression est purement critique. En effet, une théorie traditionnelle affirme l’existence de certains “pouvoirs” qu’il s’agirait de séparer. C’est une théorie politique et non une théorie explicative de la structure des systèmes juridiques qui par définition ne connaît pas de “pouvoirs”. (…) La “fonction” n’est rien d’autre que l’abréviation d’un ensemble de procédures ayant pour résultat une forme normative par là-même déterminée ». [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., 1968, p. 1627 : « Wie eigentlich diese Dreiheit eine Einheit bilde, bleibt im unkaren » ; du même, Théorie du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, p. 319 : «Le concept de “séparation des pouvoirs” renvoie à un principe d’organisaion politique. Il suppose que les trois prétendus pouvoirs puissent être définis comme trois fonctions de l’État distinctes et coordonnées, et qu’il soit possible de tracer des lignes de démarcation entre elles. Toutefois les faits ne confirment pas cette supposition. (…) les fonctions fondamentales de l’État ne sont pas au nombre de trois, mais de deux : la création et l’application (exécution) du droit (…). De plis, il n’est guère possible de tracer des lignes de démarcation entre ces fonctions, puisque la distinction entre la création et l’application du droit (…) ne revêt qu’un caractère relatif, la plupart des actes de l’État étant à la fois des actes de création et d’application du droit ». [↩]
- Carlos Miguel Herrera, La philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction, op.cit., p. 56. [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1628 : « Demgegenüber bedeutet die vielfach schon an ältere Versuche wieder anknüpfende Dreiteilung der modernen Staatstheorie einen entscheidenden Fortschritt. Und zwar darum, weil in ihr dem Gegensatz von Gesetzgebung einerseits, Rechtsprechung und Verwaltung anderseits, der für das vorliegende Problem tatsächlich entscheidende Unterschied zwischen Generellem und Individuellem, Abstraktem und Konkretem in den Vordergrund tritt. (…) Das Wesen der Gesetzgebung wird ganz allgemein dahin charakterisiert, daß der Staat in diesen seinen Funktionen generelle, anstrakte Regeln aufstelle, während er in Rechtsprechung und Verwaltung eine individualisierte Tätigkeit entfalte, konkrete Aufgaben unmittelbar löse. Dabei wird der Begriff der Gesetzgebung mit dem der Rechtserzeugung, Rechtsschöpfung, Rechtssetzung identifiziert. So daß die individualisierte Tätigkeit des Staates, sofern sie überhaupt als Rechtsakt begriffen wird, nur als Rechtsanwendung, oder Rechtsschutz bestimmt und so von vornherein in einen Wesensgegensatz zur Rechtsschöpfung oder Rechtsetzung gestellt wird. Indes bezieht sich diese letztere Bestimmung – wie schon die Terminologie zeigt – eigentlich nur auf die sogenannte Rechtsprechung oder richterliche Gewalt. (…) Die als Verwaltung oder vollziehende Gewalt bezeichnete Funktion wird (…) als jene Staatstätigkeit definiert, die übrig bleibt, wenn Gesetzgebung, das ist Rechtsetzung und Rechtsprechung, wegfällt ». [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1629-1630 : « Dann aber darf man den Gegensatz von Gesetzgebung und Rechtsprechung, bzw. Von Rechtsetzung und Rechtsanwendung nicht für absolut halten, sonder muß man ihn relativ erkennen ». [↩]
- Hans Kelsen, Théorie du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, p. 321 : « Même lorsque la constitution soutient expressément le principe de la séparation des pouvoirs, la fonction législative – expression recouvrant une seule fonction – est répartie entre plusieurs organes, dont l’un seul porte le nom d’“organe législatif” ». [↩]
- Alexander Somek, « Dynamique juridique : une brève explication », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, PUF, coll. Débats philosophiques, 2010, p. 78 : « Ainsi, ce qui, de la loi, fait la loi, c’est sa relation au jugement et non pas la qualité de l’organe par lequel elle est adoptée » ; Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’œuvre d’Adolf Merkl», RDP, 1928, p. 681 : « (…) il n’y a pas entre les organes pouvoir d’instruction et devoir d’obéissance. Les organes sont juxtaposés et non subordonnées ». [↩]
- Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2, 3e édition, E. de Boccard, Paris, 1928, p. 155 : « Procéder ainsi c’est, suivant une terminologie commode et de plus en plus répandue, se placer au point de vue formel. Sans doute, (…) il y a parfois intérêt à tenir compte de l’organe qui accomplit tel ou tel acte, notamment pour la recevabilité des recours dont un acte est susceptible et aussi pour la responsabilité qu’il peut entraîner. Mais alors, on ne détermine pas les diverses fonctions juridiques de l’État ; on décrit le fonctionnement de ces divers organes. Pour distinguer du point de vue juridique les diverses fonctions de l’État, il faut se placer exclusivement au point de vue matériel, c’est-à-dire considérer les actes accomplis dans leur nature interne, abstraction complète faite de l’organe, de l’agent qui est intervenu ». Le caractère décisif qui permet de distinguer les fonctions est dont la nature de l’acte juridique. Trois catégories existent : l’acte-règle qui correspond à la fonction législative, l’acte-condition identifiant la fonction administrative et enfin l’acte subjectif répondant à un problème de droit en décidant si une violation du droit subjectif ou du droit objectif pourrait être décidée et qui permet de détecter la fonction juridictionnelle (p. 153). Pour Maurice Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public, 10e édition, Sirey, Paris, 1921, p. 7, il n’y a pas d’identification de l’acte à l’organe, car plusieurs pouvoirs participent à l’élaboration d’un même acte. [↩]
- Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés dans l’oeuvre d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 668-696. [↩]
- Denys de Béchillon, Qu’est-ce que la règle de droit ?, Éditions Odile Jacob, 1997, p. 57, qui fait référence au « débat de haute volée », certes un peu tardif, ayant opposé Paul Amselek (« Réflexions critiques autour de la conception kelsénienne de l’ordre juridique ») et Michel Troper (« La pyramide est toujours debout ! Réponse à Paul Amselek ») dans la RDP, 1978, respectivement p. 5 et p.1523. [↩]
- Raymond Carré de Malberg, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, 1933, réimpression, Dalloz, 2007 (ici, on utilise l’édition de 1933). [↩]
- Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et la “hiérarchie des normes”», in Olivier Beaud/ Patrick Wachsmann (dir.), La science juridique française et la science juridique allemande de 1870 à 1918, Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, op.cit., p. 310. [↩]
- Raymond Carré de Malberg, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, op. cit., p. 35 : « Dans le système de normes établi depuis 1789 en l’État français, la distinction des règles, comme celle des actes, n’est point fondée sur la diversité des fonctions envisagées dans leur manière propre, mais elle est déterminée par la qualité de puissance des organes ». Pour une lecture critique des positions malbergiennes, Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et la “hiérarchie des normes” », art. précit., p. 316, qui relève une certaine contradiction dans la réflexion du publiciste français : « (…) la hiérarchie des organes ne peut, dans les termes mêmes de la théorie développée par Carré de Malberg, être opposée à une hiérarchie des normes. Quelle que soit la compétence du Parlement, elle ne sera jamais qu’une compétence et non quelque chose de stricto sensu initial et inconditionné ». Par ailleurs, l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne fait pas partie, en 1875, du droit positif français. Elle n’est que profondément enracinée « dans les systèmes de croyances politiques », ce qui « n’en fait pas pour autant une règle juridique » (p. 322). [↩]
- Comme le souligne Otto Pfersmann, « Carré de Malberg et la “hiérarchie des normes”», art. précit., p.319, l’affirmation de Carré de Malberg est inexacte, car il ne prend pas en compte le dédoublement de l’organe appelé « parlement » : « il existe bien (…) une véritable différence de procédure : un vote des deux membres s’ajoute à celui des Assemblées siégeant séparément ». C’est cette différence de procédure qui justifie la distinction entre loi constitutionnelle et loi ordinaire. Contra : Éric Maulin, « Le principe du contrôle de la constitutionnalité des lois dans la pensée de R. Carré de Malberg », Revue française de droit constitutionnel, 1995, p. 85. [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1630 : « (…) Gesetz im technischen Sinne des Wortes nur einen besonderen Fall, eine besondere Form des Rechts darstellt » ; du même, Théorie générale du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, p. 305 : « Le pouvoir législatif, ou législation, ne désigne pas l’intégralité de la fonction de création du droit mais un aspect particulier de cette fonction, la création des normes générales. (…) Ajoutons que la “législation” ne désigne pas la création de l’ensemble des normes générales mais seulement la création des normes générales par un organe spécifique ». Contra : Raymond Carré de Malberg, Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et les institutions consacrées par le droit positif français relativement à sa formation, 1933, op.cit., p. 161 : « Les règles édictées par le Parlement à titre de loi bénéficient de la souveraineté dont cet organe détient la réalité effective ; celles émanant d’autres autorités ne possèdent pas les forces qui sont propres aux actes du souverain. Dans tout cela, l’inégalité de valeur des normes est faite de l’inégalité de puissance des organes ». L’absence de différenciation des normes elles-mêmes fait place à une hiérarchisation et distinction des organes qui déterminent l’étage auquel se situe un acte juridique. [↩]
- Alexander Somek, « Dynamique juridique : une brève explication », in Olivier Jouanjan (coord.), Hans Kelsen. Forme du droit et politique de l’autonomie, PUF, coll. Débats philosophiques, 2010, p. 78-79 : « Dans la mesure où il [Kelsen] se débarrasse de la doctrine habituelle qui s’intéresse aux institutions, il perd nécessairement le point de départ traditionnel de la séparation. Tous les actes se trouvent définis de façon relationnelle, à travers leurs relations à d’autres actes ». [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1629 : « Dabei wird der theoretische Leitgedanke wieder verlassen, der allein das Rückgrat der Funktionentheorie bilden kann und auch seit jeher immer wieder aufgetaucht, wenn auch immer wieder zurückgedrängt worden ist : der Unterschied zwischen legis latio und legis executio ». [↩]
- La seule note de bas de page que comporte l’essai de Kelsen fait justement mention à la théorie de la formation du droit par degrés élaborée par Adolf Merkl (Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck [éd.], Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1631, note n°1). Kelsen y cite un écrit de 1917, Das Recht im Lichte seiner Anwendung, ainsi que Die Lehre von der Rechtskraft parue en 1923. [↩]
- Hans Kelsen, « Die Lehre von den drei Gewalten oder Funktionen des Staates », in Hans Klecatsky/René Marcic/Herbert Schambeck (éd.), Die Wiener Rechtstheoretische Schule. Ausgewählte Schriften von Hans Kelsen, Adolf Julius Merkl und Alfred Verdross, vol. 2, op.cit., p. 1650 : « Was die traditionelle Theorie als die drei Gewalten oder Funktionen des Staates hervorhebt, da sind (…) politische bedeutsame relative Ruhepunkte des Rechtserzeugungsprozesses ». [↩]
- Carlos Miguel Herrera, La philosophie du droit de Hans Kelsen. Une introduction, op. cit., p. 56 : « La “séparation” n’est pas non plus une garantie empêchant les abus du pouvoir contre les droits des individus. En effet, l’organe législatif pourra toujours dicter des normes générales dont le contenu intervient dans la sphère individuelle et restreint les droits, que le juge devra toujours appliquer comme un automate, selon ce schéma contestable ». Cependant, il faut douter de la présentation du juge comme automate, car le juge, comme n’importe quel autre organe de l’État, ne fait pas qu’appliquer les actes normatifs, il crée, lui aussi, de nouvelles normes. Contra la dissociation du principe de la séparation des pouvoirs et la garantie des droits : Hermann Heller, Staatslehre, 3e édition, Sijthoff, Leiden, 1963, p. 273, pour qui l’organisation du pouvoir basée sur la division conditionne l’existence et l’effectivité des droits et libertés des citoyens : « Par l’organisation de l’État basée sur la division des pouvoirs, dans laquelle la législation est le pouvoir suprême du peuple, l’exécutif appartient au chef de l’État et le pouvoir juridictionnel est indépendant des deux premiers, le pouvoir d’État doit être protégé d’un exercice arbitraire et être apte, d’un point de vue organisationnel, à prendre en compte la liberté et l’égalité des citoyens » (« Durch die gewaltenteilende Grundordnung, in welcher die Gesetzgebung als die höchste Gewalt vom Volk, die Exekutive vom Staatsoberhaupt organisiert wird und die richterliche Gewalt eine von beiden unabhängige Organisation darstellt, soll die Staatsgewalt gegen missbräuliche Ausübung gesichert und organisatorisch genötigt werden, auf die Freiheit und Gleichheit der Bürger Rücksicht zu nehmen »). [↩]
- Hans Kelsen, Théorie générale du droit et de l’État, Bruylant/LGDJ, Bruxelles/Paris, 1997, p. 331. Le principe démocratique signifie, selon Kelsen, que l’organe législatif remplit des fonctions législatives et exerce un contrôle sur les organes administratifs et judiciaires. [↩]
- Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.1 (1930) et t. 2 (1932), Mohr Siebeck, Tübingen. [↩]
- Sans qu’il y ait de véritable « programme » de ce positivisme modéré. Il n’y a que le texte, assez court, qui ouvre le premier volume du Handbuch des deutschen Staatsrechts : Richard Thoma, « Einleitung », p. 1-13, spécialement p. 6-7, où on peut lire que la « théorie pure du droit » mène, par peur d’abus, à une élimination de tous les problèmes réels et profonds du domaine de la science du droit » (« führt, aus Angst vor Mißbrauch, zur Eliminierung aller tieferen und lebendsnahen Probleme der Rechtswissenschaft »), « la diversité des normes positives ne se laisse que rarement élever sans aucune contradiction au rang de principes généraux supérieurs » (« die Mannigfaltigkeit der positiven Normen läßt sich nur selten widerspruchslos auf höhere Allgemeinbegriffe zurückführen »). Sur la « méthode » de Thoma : Olivier Jouanjan, « Un positiviste dans la crise : Richard Thoma », in Jean-François Kervégan (dir.), Crise et pensée de la crise en droit.Weimar, sa république et ses juristes, ENS Éditions, 2002, p. 23 et suiv. [↩]
- Walter Pauly, « Zu Leben und Werk von Gerhard Anschütz », in Gerhard Anschütz, Aus meinem Leben. Erinnerungen, p. I et suiv. Son commentaire, Die Verfassung des Deutschen Reichs vom 11. August 1919. Ein Kommentar für Wissenschaft und Praxis, 1e édition, Berlin, 1921, est une de ses grandes réussites : entre 1921 et 1933, l’ouvrage ne connaît pas moins de quatorze éditions. [↩]
- Walter Pauly, in Arthur J. Jacobson/Bernhard Schlink (dir.), Weimar : a jurisprudence of crisis, University of California Press, 2000, p. 128-129. [↩]
- Le « jeune Anschütz » ne manifeste aucune réticence quant à l’emploi de la stricte méthode du postivisme formel. Bien au contraire, comme le constate Ernst-Wolfgang Böckenförde, Gesetz und gesetzgebende Gewalt, 1e édition op.cit., p. 254, au début de sa carrière, Anschütz « se situe dans le sillage de Laband et Jellinek » (« stand Anschütz in der Nachfolge Labands und Jellineks »). L’exemple de cet engagement postiviste est la thèse d’habilitation d’Anschütz : Kritische Studien zur Lehre von Rechtssatz und materiellen Gesetz, Halle, 1891. Son écrit, Die gegenwärtigen Theorien über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt und den Umfang des königlichen Verordnungsrechts nach preussischem Staatsrecht, 1e édition, Tübingen, 1899, qualifié de « polémique » (Streitschrift) par Otto Mayer (recension in AöR, vol. 17, 1902, p. 464), marque la rupture avec la manière labandienne de manier les concepts juridiques. Rupture déjà annoncée par un article de 1893 (« Das Recht des Verwaltungszwanges in Preußen. Vornehmlich in seiner geschichtlichen Entwicklung dargestellt », Verwaltungsarchiv, n°1, 1893, p. 389 et suiv.). [↩]
- Gerhard Anschütz, « Paul Laband. Ein Gedenkblatt », Deutsche Juristen-Zeitung, 1918, p. 268-269 : « (…) ob sich mit einer so rein juristisch-konstruktiven Betrachtungsweise, wie Laband sie anwendet, ein volles und ganzes Bild des betrachteten Staatswesens (…) gewinnen läßt. (…) es bedarf einer mehr dynamischen Anschauungsweise (…) sondern bestrebt ist, die hinter ihnen stehenden, in ihnen wirkenden historisch-politischen Kräfte aufzuweisen » ; du même, « Das Recht des Verwaltungszwanges in Preußen, vornehmlich in seiner geschichtlichen Entwicklung dargestellt », Verwaltungsarchiv, n°1, 1893, p. 389, où il écrit que le pouvoir de commandement et la contrainte de l’État ne peuvent être que « historiquement expliqués et non pas logiquement exposés », car seule la méthode historique est susceptible de mener au point où il est question des particularités d’un droit positif donné » ( « sich nicht logisch erschließen, sondern nur historisch erklären […] nur historische Methode kann zum Ziel führen, wo es sich um eine individuelle Eigenart des postiven Rechts handelt »). [↩]
- Friedrich Carl von Gerber, Grundzüge des deutschen Staatsrechts, op. cit., p. 3 et suiv. et Georg Meyer/Gerhard Anschütz, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 7e édition, 1919, réimpression, Duncker & Humblot, Berlin, 2005, p. 17 et suiv. [↩]
- Gerhard Anschütz, « Verwaltungsrecht », in Rudolf Stammler et alii, Systematische Rechtswissenschaft, Teubner, Berlin/Leipzig, 1906, p. 336-337: « (…) der Einheit der Staatspersönlichkeit entspricht notwendig die Einheit ihres Willens ». [↩]
- Gerhard Anschütz, « Das Recht des Verwaltungszwanges in Preußen, vornehmlich in seiner geschichtlichen Entwicklung dargestellt », Verwaltungsarchiv, n°1, 1893, p. 390: « (…) bei uns ein gesunder politischer Realismus über die abstrakten Forderungen einer fremdländischen Staatsphilosophie den Sieg bewahrt hat ». [↩]
- Gerhard Anschütz, « Verwaltungsrecht », in Rudolf Stammler et alii, Systematische Rechtswissenschaft, Teubner, Berlin/Leipzig, 1906, p. 337-338 : « (…) hat (…) den Sinn einer theoretischen Distinktion (…). (…) ein praktisch-politisches Organisationsprinzip (…) ». S’en suit une représentation lacunaire de la Constitution prussienne de 1850 et de celle du Reich de 1871. [↩]
- Gerhard Anschütz, « Verwaltungsrecht », in Rudolf Stammler et alii, Systematische Rechtswissenschaft, Teubner, Berlin/Leipzig, 1906, p. 338 : « (…) die logische Operation des Einteilens hebt die Einheit des Ganzen nicht auf, bestätigt sie vielmehr. Und wer die Verteilung der Verschiedenen Funktionen an verschiedene Organe für unverträglich halten wollte mit der Idee der staatlichen Einheit, der müßte ungereimter Weise auch behaupten, daß Lebewesen und Maschine keine Einheiten seien, weil jenes viele Organe, diese viele Räder hat ». [↩]
- Gerhard Anschütz, « Verwaltungsrecht », in Rudolf Stammler et alii, Systematische Rechtswissenschaft, Teubner, Berlin/Leipzig, 1906, p. 336-337 : « Einheit bedeutet Unteilbarkeit, aber nicht Uneinteilbarkeit ; das heißt : die Einheit der Staatsgewalt schließt es nicht aus, daß man die mannigfachen Richtungen und Formen, in denen diese Gewalt tätig wird, gruppenweise ordnet ». [↩]
- Gerhard Anschütz, « Verwaltungsrecht », in Rudolf Stammler et alii, Systematische Rechtswissenschaft, Teubner, Berlin/Leipzig, 1906, p. 337 : « Die verschiedensten Einteilungen sind möglichn Anspruch auf Alleinrichtigkeit hat keine von ihnen. Doch hat eine von ihnen wegen ihrer Übersichtlichkeit und wegen ihres nicht nur wissenschaftlichen, sonder politischen Wertes seit langem eine besondere Beliebtheit in der Theorie und, was mehr ist, einen tiefgehenden Einfluß auf die wirkliche Gestaltung der Staatseinrichtungen zu verzeichnen : das ist die Dreiteilung der Staatsgewalt in die Grundfunktionen Gesetzgebung, Justiz, Verwaltung ». [↩]
- Gerhard Anschütz, « Verwaltungsrecht », in Rudolf Stammler et alii, Systematische Rechtswissenschaft, Teubner, Berlin/Leipzig, 1906, p. 337 : « Die Bezeichnung der drei Grundfunktionen als “Gewalten” (pouvoirs, puissances, powers) entstammt der dogmatischen Grundfestigung der Teilungslehre durch Montesquieu (…). Diese “Gewalten” sind (…) nicht selbständige Willen und Wesen, drei Staaten im Staat (…). Es handelt sich (…) um eine und dieselbe Staatsgewalt, von drei Seiten aus gesehen ». Dans le même sens, Georg Meyer/Gerhard Anschütz, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 7e édition, 1919, réimpression, Duncker & Humblot, Berlin, 2005, p. 31, note e) : « En tant que distinction théorique la doctrine de la séparation des pouvoirs répartit le pouvoir d’État et montre ses trois côtés différents ou trois parties (fonctions) » (« Als theoretische Unterscheidung will die Lehre die einheitliche Staatsgewalt einteilen, drei verschiedene Seiten oder Stücke [Funktionen] der Staatsgewalt aufzeigen »). [↩]
- Gerhard Anschütz, Die gegenwärtigen Theorieen über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt un den Umfang des königlichen Verordnungsrechts nach preussischem Staatsrecht, 2e édition, Mohr Siebeck, Tübingen/Leipzig, 1901, p. 10 , note°8 : « Organisatorische Verteilung der staatlichen Grundfunktionen ist nicht gleichbedeutend mit Zerreissung der Staatsgewalt ». [↩]
- Gerhard Anschütz, Die gegenwärtigen Theorieen über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt un den Umfang des königlichen Verordnungsrechts nach preussischem Staatsrecht, 2e édition, Mohr Siebeck, Tübingen/Leipzig, 1901, p. 10 : « (…) die Rolle eines Alles tragenden konstruktiven Grundprinzips spielt : das Prinzip der Gewaltenteilung ». [↩]
- Pour Otto Mayer, Das deutsche Verwaltungsrecht, t. 1, op.cit., p. 67-68, « la distinction des pouvoirs législatif et exécutif est le moyen d’exercer le pouvoir » conformément aux principes de l’État de droit (« Zum Wesen des Rechsstaates gehört es, daß die öffentliche Gewalt behufs ihrer Geltendmachung in eine gewisse Ordnung gebracht sei. Das geschieht durch die Unterscheidung einer gesetzgebenden und einer vollziehenden Gewalt »). La distinction ainsi opérée est la transposition du « principe français de la séparation des pouvoirs tant décrié » (« Es ist die vielverkannte Trennung der Gewalten der wir nach französischem Vorbild übernommen und aller Verwahrungen ungeachtet bei uns in thätsächlicher Geltung steht »). [↩]
- Gerhard Anschütz, Die gegenwärtigen Theorieen über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt un den Umfang des königlichen Verordnungsrechts nach preussischem Staatsrecht, 2e édition, Mohr Siebeck, Tübingen/Leipzig, 1901, p. 10, note n°8 : «Es ist ein grosses Verdienst Otto Mayer’s (…) gegen die seit langer Zeit in der deutschen Staatsrechtswissenschaft allgemein und hartnäckig herrschende Ablehnung des Prinzips der Trennung der Gewalten eine einsame, aber in ebenso eindrignlichen wie überzeugenden Worten redende Stimme erhoben zu haben ». [↩]
- Et les arguments tirés du caractère unitaire de l’État ou du principe monarchique n’y changent rien, continue dans le même sens Anschütz, Die gegenwärtigen Theorieen über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt und den Umfang des königlichen Verordnungsrechts nach preussischem Staatsrecht, 2e édition, op.cit., p. 10, note n°8 : « Und ferner ist hiergegen (…) weder im Interesse der Einheit der Staatsgewalt noch im Namen des monarchischen Prinzips etwas zu erinnern ». Selon Anschütz, Georg Meyer/Gerhard Anschütz, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 7e édition, 1919, réimpression, Duncker & Humblot, Berlin, 2005, p. 31, note e) : « Ces présomptions reposent sur une incompréhension de la théorie qu’elles visent à combattre et sur une méconnaissance de la réalité juridique » (« Diese Behautpungen beruhen auf einem Mißverständnis der von ihnen bekämpften Lehre und auf einer Verkennung der Rechtswirklichkeit ») ; « (…) il est faux que la séparation des pouvoir détruit le caractère unitaire de l’État » (« Es ist (…) nicht richtig, daß die Gewaltenteilung die Einheit des Staates vernichtet »). [↩]
- Gerhard Anschütz, Die gegenwärtigen Theorieen über den Begriff der gesetzgebenden Gewalt un den Umfang des königlichen Verordnungsrechts nach preussischem Staatsrecht, 2e édition, Mohr Siebeck, Tübingen/Leipzig, 1901, p. 10 , note n°8 : « (…) enthält nicht die mindeste Konzession an den Gedanken der sog. “Volkssouveränetät” » ; Otto Mayer, Das deutsche Verwaltungsrecht, t. 1, p. 69 ; Gerhard Anschütz/Georg Meyer, Lehrbuch des deutschen Staatsrechts, 7e édition, 1919, réimpression, Duncker & Humblot, Berlin, 2005, p. 31-32, note e). [↩]
- Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.1 (1930) et t. 2 (1932), Mohr Siebeck, Tübingen. [↩]
- Richard Thoma, « Die Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, Mohr Siebeck, Tübingen, 1932, p. 108-159. [↩]
- Sur le caractère atypique du postiviste Richard Thoma, voir Olivier Jouanjan, « Un postiviste dans la crise : Richard Thoma », in Jean François Kervégan (dir.), Crise et pensée de la crise en droit. Weimar, sa république et ses juristes, ENS Editions, 2002, p. 13-53 ; Peter C. Caldwell, in Arthur J. Jacobson/Bernhard Schlink (dir.), Weimar : a jurisprudence of crisis, University of California Press, 2000, p. 151-157 ; pour quelques éléments biographiques et intellectuels, voir l’introduction de Horst Dreier in du même (éd.), Richard Thoma, Rechtsstaat – Demokratie – Grundrechte. Ausgewählte Abhandlungen aus fünf Jahrzehnten, Mohr Siebeck, Tübingen, 2008, p. XIV et suiv. Voir encore, de manière générale, Hans-Dieter Rath, Positivismus und Demoratie. Richard Thoma (1874-1957), Duncker & Humblot, Berlin, 1981. [↩]
- Horst Dreier, « Einleitung », in du même (éd.), Richard Thoma, Rechtsstaat – Demokratie – Grundrechte. Ausgewählte Abhandlungen aus fünf Jahrzehnten, Mohr Siebeck, Tübingen, 2008, p. XXI. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Un postiviste dans la crise : Richard Thoma », in Jean François Kervégan (dir.), Crise et pensée de la crise en droit. Weimar, sa république et ses juristes, op.cit., p. 25 : « Il se fait (…) le tenant d’un juste milieu méthodologique qu’il est impossible de complètement assumer » ; p. 31 : « (…) il s’agit de trouver un juste milieu entre le dualisme de Jellinek et le monisme radical de Kelsen ». Sur sa condamnation du « labandisme », p. 27 : « Là encore, dit Thoma, le danger réside en ce que le constructeur de concepts risque d’introduire, sous le couvert de la majesté des formes logiques, volontairement ou non, son jugement de valeur politique, ses “prémisses cryptopolitiques” ». [↩]
- Richard Thoma, « Die Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, Mohr Siebeck, Tübingen, 1932, p. 111 : « Die Rechtsordnung aber setzt aller legitimen Verwaltung und Rechtsprechung die Rechtsgrundlagen, Formen und Grenzen. Die Einheit der Staatsgewalt, welche von der Regierung erstrebt, aber in der Realität gegenüber der Vielheit legitimer und illegitimer Konkurrenten und Renitenten niemals voll erreicht wird, ist in der Idealität der Rechtsordnung (…) in Gestalt einer vorauszusetzenden “Ursprungsform” oder “Grundnorm”, aus welcher der Verfassungsgeber die Kompetenz empfängt, die Gesetzgebund und – teils unmittelbar, teils mittelbar durch die Gesetzgebung – die Vollziehung (von der die Rechtsprechung ein Teil ist) zu normieren », avec des références à Walter Jellinek et Hans Kelsen. [↩]
- Richard Thoma, « Die Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, Mohr Siebeck, Tübingen, 1932, p. 110-111 : « La fonction vitale de l’État est l’administration. Le législateur pourrait se taire un instant, les portes des cours de justice pourraient rester fermées, et, pourtant, l’État pourrait déployer sa pleine existence dans la guerre ou dans la paix. (…) Il s’agit par suite d’une considération d’ordre sociologique. D’un point de vue strictement juridique, la fonction législative est la fonction fondamentale de l’État. Car elle donne forme à l’odre juridique, en partuclier au droit constitutionnel » (« Die lebensnotwendige Funktion des Staates ist die Verwaltung. Der Gesetzgeber könnte für eine Weile verstummen, die Pforten der Gerichtshöfe könnten verschlossen bleiben und dennoch vermöchte der Staat in Frieden oder Krieg kraftvollstes Leben zu entfalten. (…) Indes ist dies eine soziologische Betrachtung. Rein juristisch gesehen ist die Gesetzgebung die fundamentale Funktion des Staates. Denn sie gestaltet die Rechtsordnung, insbesondere auch das Verfassungsrecht »). [↩]
- Richard Thoma, « Das Reich als Demokratie », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t. 1, Mohr Siebeck, 1930, p. 194 : « Die deutsch Republik ist (…) eine überwiegend mittelbare und zwar repräsentative und zwar “parlamentarish” regierte Demokratie. Indes ist sie zugleich eine (…) gewaltenteilende Demokratie, welche dem Nationalparlament ein ganzes System von Gegengewichten gegenüberstellt ». Sur la conception de la démocratie de Thoma comme « émancipation politique des couches inférieures de la population » et « État où sont absents les privilèges » : Christoph Schönberger, « Elitenherrschaft für den sozialen Ausgleich : Richard Thomas “realistische” Demokratietheorie im Kontexte der Weimarer Diskussion », in Christoph Gusy (dir.), Demokratisches Denken in der Weimarer Republik, Nomos, Baden-Baden, 2000, p. 156-190, spécialement p. 163 et suiv. [↩]
- Richard Thoma, « Die Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, Mohr Siebeck, Tübingen, 1932, p. 113 : « Deshalb erhebt sich vorab die Frage, ob nicht im Volksentscheid ein, dem früheren “monarchischen Prinzip” (…) diametral entgegengesetztes “plebiszitärdemokratisches Prinzip” in dem Sinne zum Vorschein kommt, daß im Volksentscheid alle drei Funktionen in ener Hand vereinigt wären. Eine um so gewichtigere Frage, als im Falle ihrer Bejahung die im Volksentscheid beschließende Mehrheit der Aktivbürgerschaft die drei Funktionen nicht nur im “Prinzip” vereinigen würde (…), sondern auch in “Ausübung” (…).Es muß also zu allererst untersucht werden, ob im Volksentscheid die Aktivbürgerschaft als ein alle Gewalten in sich vereinigender “Souverän” hervortritt oder ob es sich nur um eine Duplizierung der Legastive handelt, deren Kompetenz diejenige des Parlaments grundsätzlich nicht überschreitet (…) ». [↩]
- Dans le même sens, Rudolf Smend, Die Verfassung des Deutschen Reichs vom 11. August 1919, Sieben Stäbe-Verlags- u. Druckereigesellschaft, Berlin, 1929, p. XIV-XV : « Deux éléments sont absents de la vie constitutionnelle du Reich. Tout d’abord, le peuple du Reich : sa participation directe à la formation de la volonté du Reich par le biais des initiatives populaires et du référendum (art. 73 et suiv.) apparaît plutôt comme un correctif à la procédure législative ordinaire » (« In der Reihe fehlen zwei Faktoren des Verfassungslebens im Reich. Einmal das Reichsvolk : seine unmittelbare Beteiligung an der Reichswillensbildung durch Volksbegehren und Volksentscheid [Art. 73 ff.] erscheint mehr nur als ein Korrektiv des gewöhnlichen Gesetzgebungsverfahrens »). Le deuxième « absent » est pour Smend le Conseil économique du Reich (Reichswirtschaftsrat). [↩]
- Richard Thoma, « Die Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, op.cit.,, p. 115 : « (…) nach geltendem Verfassungsrecht die abstimmende Aktivbürgerschaft des Reiches nicht alle Rechte der Staatsgewalt in sich vereinigt ». [↩]
- Richard Thoma, « Die Funktionen der Staatsgewalt », in Gerhard Anschütz/Richard Thoma (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, t.2, op.cit., p. 117 : « Als ruhendes System gesehen, d.h. statisch betrachtet, überrascht es in der Tat durch das scheinbare Übermaß von pluralistischen Funktionenverteilungen und Gewaltenhemmungen (…). (…) [D].h. dynamisch betrachtet, kennzeichnet sich das System durch die Entschiedenheit seines gewaltenvereinigenden parlamentarische Monismus ». [↩]
- Jean-François Kervégan, « Présentation », in du même (dir.), Crise et pensée de la crise en droit. Weimar, sa république et ses juristes, op.cit., p. 4. [↩]
- Ernst Rudolf Huber, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. 7 : Ausbau, Schutz und Untergang der Weimarer Republik, Kohlhammer, Stuttgart, 1984, p.1265-1266 « (…) der Endpunkt der Verfassungsgeschichte der Weimarer Zeit ». Cette « transmission du pouvoir à l’ennemi de la Constitution ne conduisit pas à un simple changement de la forme de gouvernement », mais a comme conséquence l’« anéantissement constitutionnel total» (« Die Machtübergabe an den Verfassungsfeind führte nicht zum bloßen Wechsel der Regierungsform. (…) [S]ondern zur totalen Verfassungsvernichtung »). [↩]
- Günther Küchenhoff, JR, 1934, p. 20 : « bedarf es im Aufbau unserer Staats- und Volksgemeinschaft nicht mehr der ängstlichen Ausbalancierung der Kräfte (…), cité par Horst Dreier, « Die deutsche Staatsrechtslehre in der Zeit des Nationalsozialismus », VVDStRL, n°60, De Gruyter, 2001, p. 26. [↩]
- Olivier Beaud, « Carl Schmitt ou le juriste engagé » (préface), in Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lilyane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p. 93. Les « maîtres de l’époque » sont « Anschütz Thoma, ou encore Triepel et Kauffmann ». Voir encore : du même, Les derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à l’avènement du nazisme, Descartes & Cie, Paris, 1997 ; Jacky Hummel, Carl Schmitt. L’irréductible réalité du politique, Éditions Michalon, coll. Le bien commun, 2005. [↩]
- Reinhard Mehring, Carl Schmitt. Aufstieg und Fall. Eine Biographie, C.H. Beck, München, 2009, spécialement p. 264 et suiv. : Schmitt lui-même « n’est jamais satisfait de sa résonance » auprès de ses collègues publicistes (« Mit seiner publizistischer Resonanz ist Schmitt eigentlich nie zufrieden ») ; « Mit der Verfassungslehre findet Schmitt (…) die breite Beachtung und fachliche Anerkennung, die er sucht ». [↩]
- Olivier Beaud, « Carl Schmitt ou le juriste engagé » (préface), in Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lilyane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p. 58. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lilyane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p.321. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lilyane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p.302 : « Les droits fondamentaux au sens propre du terme sont des droits de l’individu humain libre, et en fait des droits qu’il possède envers l’État ». Schmitt cite Richard Thoma, Festgabe für das preussische Oberverwaltungsgericht, 1925, p. 187, qui définit les droits fondamentaux en tant que « stations dans le procès éternellement fluctuant the man versus the state ». Plus loin, il développe son raisonnement (p. 302-303): « Ce sont des droits individuels, c’est-à-dire des droits de l’individu humain isolé. Les droits fondamentaux au sens propre ne sont donc que les droits de liberté individuelle, et pas des exigences sociales. (…) Tous les véritables droits fondamentaux sont des droits absolus, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas garantis “dans les conditions prévues par les lois”, leur contenu ne résulte pas de la loi, mais c’est l’empiètement légal qui apparaît comme une exception, et même comme une exception en principe mesurable et limitée par une réglementation générale. C’est l’un des traits du principe de répartition fondamental de l’État de droit bourgeois que la liberté individuelle soit présupposée et que la restriction imposée par l’État apparaisse comme une exception ». [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), trad. fr. Lyliane Deroche, PUF, coll. Quadrige, 2008, p.321 et suiv. Il y consacre un chapitre entier précédé de celui traitant des droits fondamentaux. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.321. Contre la division de ces deux principes, Hermann Heller, Staatslehre, 3e édition, Sijthoff, Leyde, 1963, p.273 : « Il s’agit de la méconnaissance fondamentale et dangeureuse de l’État de droit constitutionel lorsque, depuis peu, on entend la division des pouvoirs et les droits fondamentaux en tant que deux entités indépendantes l’une de l’autre » (« Es ist eine grundsätzliche und gefährliche Verkennung des konstitutionellen Rechtsstaates, wenn neuerdings Gewaltenteilung und Grundrechte als zwei voneinander unabhängige Einrichtungen aufgefasst werden »). [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.324 : « L’expression la plus générale et la plus large devrait être le terme de “distinction des pouvoirs” que nous proposons ici ». [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.324. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.321, note du traducteur et p. 324. Schmitt n’évacue pas complètement le terme de « séparation » (Trennung), mais il l’emploie dans l’hypothèse d’une séparation entre deux pouvoirs. La division (Teilung) trouve sa place dans le cas d’une division à l’intérieur même d’un seul pouvoir. « “Séparation” (Trennung) désigne un isolement complet qui ne peut être que le point de départ de la suite de l’organisation et qui par la suite – c’est-à-dire dans la suite de la reglémentation – autorise quand même de nouveaux contacts. Correctement, le terme de “division” (Teilung) désigne une distinction au sein de l’un des pouvoirs, par exemple la répartition du pouvoir législatif entre deux chambres, en gros un Sénat et une Chambtre des députés (…). » [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.324. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.333. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.451-452. [↩]
- Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op.cit., p.452. [↩]
- René Capitant, « L’État national-socialiste : aristocratie raciste et démocratie plébiscitaire » (1935), in du même, Face au nazisme, textes réunis par Olivier Beaud, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, p. 65 : « (…) et, après l’avoir renversée, il en a balayé les débris avec dégoût (…) ». [↩]
- Olivier Beaud, Les derniers jours de Weimar. Carl Schmitt face à l’avènement du nazisme, Descartes & Cie, Paris, 1997, p. 50 et suiv. [↩]
- Car la République que l’on prétend « sans défense » avait les moyens constitutionnels suffisants de (tenter de) se protéger contre les assauts de ses « adversaires ». La faillite du « système Weimar » est davantage le résultat de la combinaison de mauvais calculs politiques et de la force de ses adversaires qu’un prétendu handicap de naissance. Christoph Gusy, Weimar – die wehrlose Republik ? Verfassungsschutzrecht und Verfassungsschutz in der Weimarer Republik, Mohr Siebeck, Tübingen, 1991, p. 370 : « La république de Weimar n’a pas sombré parce que sa protection était trop faible, mais parce que ses adversaires étaient trop forts. (…) Mais il convient de s’interroger dans quelle mesure le droit est-il capable de protéger un ordre politique contre (…) sa propre destruction ? » (« Die Republik von Weimar ist nicht deshalb zugrunde gegangen, weil ihr Schutz zu schwach war ; sondern deshalb, weil ihre Gegner zu stark waren. (…) Und wieweit ist Recht überhaupt in der Lage, eine politische Ordnung gegen ihre eigene (…) Zerstörung zu sichern ? ». Dans ce sens, Olivier Jouanjan, « Un positiviste dans la crise », in Jean-François Kervégan (dir.), Crise et pensée de la crise en droit. Weimar, sa république et ses juristes, op.cit., p. 47, note n°4, qui ajoute que « les adversaires de Weimar furent trop forts parce que la puissance d’attraction de Weimar était, dans le contexte de l’époque, trop faible ». [↩]
- Cette durée de quatre ans ne fut évidemment jamais respectée. [↩]
- En 1932, déjà, la République de Weimar est victime d’un abomniable « meurtre » qui présage les événements de 1933. L’assassinat d’un ouvrier communiste dans la nuit du 9 au 10 août 1932 à Potempa, en Silésie, par cinq membres SA, constitue le début de la fin pour Weimar. Cette affaire criminelle et judiciaire ouvre la voie au discours nazi qui devient de plus en plus agressif et cherche de moins en moins à cacher son idéologie raciale (völkisch) et la volonté de détruire l’État weimarien. Sur le « meurtre de Potempa », voir Johann Chapoutot, Le meurtre de Weimar, PUF, coll. Perspectives critiques, 2010, p. 87-88. C’est le prétexte utilisé par les théoriciens national-socialistes, comme Alfred Rosenberg, pour « sape(r) les fondements théoriques de l’État weimarien » qui n’est rien d’autre qu’une « “coulisse” dépourvue de tout fondement politique », un État auquel « manque le soutien du peuple allemand ». La condamnation à la peine de mort des meurtriers de Potempa, prononcée par le Tribunal exceptionnel de Beuthen est commuée en prison à perpétuité sous la pression du NSDP par le gouvernement de Franz von Papen le 30 août 1932. Le 18 mars 1933 les cinq condamnés sont graciés et libérés par le gouvernement Hitler. Par ailleurs, cette affaire montre que le « discours » national-socialiste est élaboré et mis au point bien avant la prise effective du pouvoir par le parti national-socialiste. Ulrich Scheuner, « Considérations sur le livre “Le Droit et l’État dans la Doctrine national-socialiste” de M. Roger Bonnard, professeur à la faculté de droit de Bordeaux », RDP, vol. 54, 1937 p. 39 et suiv., remarque que le national-socialisme « en Allemagne avait élaboré une doctrine complète bien avant son avènement au pouvoir, c’est-à-dire au cours de sa lutte pour le pouvoir » et que celui « qui veut étudier les institutions allemandes, doit d’abord s’inspirer du livre du Führer “Mein Kampf” ». [↩]
- La possibilité de cette fusion est ouverte par la mort du président du Reich, Paul von Hindenburg, qui décède le 2 août 1934. [↩]
- Car l’État national-socialiste « fait une très large place à l’élément plébiscitaire » en s’appuyant « sur le consentement des masses, il est une dictature populaire utilisant pour son prestige et pour sa force le vaste mouvement d’opinion qui lui a permis de s’édifier et qu’il s’efforce d’entretenir » (René Capitant, « L’État national-socialiste : aristocratie raciste et démocratie plébiscitaire » [1935], in du même, Face au nazisme, textes réunis par Olivier Beaud, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, p. 66). [↩]
- Reinhard Mehring, Carl Schmitt. Aufstieg und Fall. Eine Biographie, C.H. Beck, München, 2009, p.264 : « Er ist (…) der engester, selbständiger und bedeutendster Schüler ». [↩]
- Sur le terme de « staatsfrei », sphère libre à l’égard de l’État, v. déjà, Georg Jellinek, System der subjektiven öffentlichen Rechte, Mohr (Siebeck), Freiburg im Breisgau, p. 80. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Justifier l’injustifiable », Astérion, n°4, 2006 : « (…) le nazisme avait effectivement aboli “l’ancienne séparation entre la politique et la vie privée”, utilisant, comme relais effroyablement efficaces de la puissance publique, des mécanismes subtils relevant à la fois de la psychologie individuelle et du contrôle social », avec une référence à l’ouvrage autobiografique de Sebastian Haffner, Histoire d’un Allemand. Souvenirs 1914-1933, trad. fr. B. Hébert, Actes Sud, coll. Babel, 2004. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Karl Larenz. Les errements de l’hégélianisme juridique », in Catherine Colliot-Thélène/Jean-François Kervégan (dir.), De la société à la sociologie, ENS Éditions, 2002, p. 200 : « Il n’y a pas de place, dans une théorie communautaire substantielle du droit et de l’État, pour une théorie de la représentation qui impliquerait une médiatisation formelle-procédurale (…) ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « État de droit, forme de gouvernement et représentation. À partir d’un passage de Kant », in du même (dir.), Études de droit théorique et pratique, Annales de la Faculté de droit de Strasbourg, nouvelle série n°2, Presses universitaires de Strasbourg, 1998, p. 298. [↩]
- Carl Schmitt, « Der Führer schützt das Recht », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 946 : « Der Führer schützt das Recht vor dem schlimmsten Mißbrauch, wenn er im Augenblick der Gefahr kraft seines Führertums als oberstes Gerichtsherr unmittelbar Recht schaft. Der wahre Führer ist immer auch Richter. Aus dem Führertum fließt das Richtertum ». [↩]
- Les juges ne doivent pas être « au-dessus de l’État », mais les juges de l’État, servir l’intérêt de l’État. Le juge ne peut plus être « un tiers », car cette « place l’exclurait de la communaité » (Olivier Jouanjan, « Justifier l’injustifiable », Astérion, n°4, 2006, p. 138-139). C’est l’ « interprétation sans limites » par les juges des « clauses générales » (Bernd Rhüters, Die unbegrenzte Auslegung. Zum Wandel der Privatrechtsordnung im Nationalsozialismus, 7e édition, Mohr Siebeck, Tübingen, 2012, p. 216 et suiv.), qui contribue à la fixation d’un corpus jurisprudentiel national-socialiste sans qu’il y ait un véritable changement des textes interprétés. Des notions comme « bonne foi » ou « bonnes mœurs » deviennent, dans la main du juge, des armes du droit nazi. [↩]
- Carl Schmitt, « Der Führer schützt das Recht », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 948 : « Wenn das Reichsgericht im Juni 1932 (…) den Sinn der richterlichen Unabhängigkeit darin sah, “den Staatsbürger in seinen gesetzlich anerkannten Rechten gegen mögliche Willkür einer ihm abgeneigten Regierung zu schützen”, so war das au seiner liberal-individualistischen Haltung gesprochen ». La justice indépendante et impartiale constitue, dans le cadre national-socialiste, une contradiction dans les termes. Mais, comme le remarque Johann Chapoutot, Le meurtre de Weimar, PUF, coll. Perspectives critiques, 2010, p. 97-98, ce changement est déjà annoncé par l’affaire de Potempa (voir supra), car en 1933, après la décision de gracier et libérer les cinq assassins SA, la « justice fondée sur les principes libéraux et humanistes de 1789 n’est plus », la « justice équitable a cessé d’être : elle a remisé sa balance et son bandeau et ne conserve, de ses attributs, qu’un glaive pour séparer les allogènes de la communauté nationale ». [↩]
- Ulrich Scheuner, « Considérations sur le livre “Le Droit et l’État dans la Doctrine national-socialiste” de M. Roger Bonnard, professeur à la faculté de droit de Bordeaux », RDP, 1937, vol. 54, p. 41 : « Le peuple, selon la doctrine national-socialiste, n’est ni l’ensemble des citoyens, ni une unité politique, mais une unité ethnique reposant sur la communauté du sang. L’État n’est plus que la forme politique qui sert l’organisation du peuple ». [↩]
- Olivier Jouanjan, « Qu’est-ce qu’un discours “juridique” nazi », Le Débat, n°178, 2014, p. 169, l’ « idée séminale de toute théorie du droit nazi (…) tient dans la notion de Gemeinschaft, de “communauté” » opposée à la « société ». Dans le discours nazi, la communauté, « fondé sur un principe de fidélité inconditionnelle », signifie « la fusion » du chef et de sa “troupe” qui ne tolère aucune distance, aucune séparation ou médiation ; du même, Justifier l’injustifiable. L’ordre du discours juridique nazi, PUF, coll. Léviathan, 2017. [↩]
- Ernst Rudolf Huber, « Die Einheit der Staatsgewalt », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 950 : « Jede Trennung und Aufteilung der staatlichen Gewalt ist mit dem nationalsozialistischen Staatsgedanken unvereinbar ». [↩]
- Carl Schmitt, « Der Führer schützt das Recht », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 948 : « In einem Führerstaat aber, in dem Gesetzgebung, Regierung und Justiz sich nicht, wie in einem liberalen Rechtsstaat, gegenseitig mißtrauisch kontrollieren (…) ». [↩]
- Ernst Rudolf Huber, « Die Einheit der Staatsgewalt », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 950 : « Das gilt (…) für die Gewaltenteilung des bürgerlichen Rechtsstaats, deren Sinn es war, die drei Staatsfunktionen Gesetzgebung, Rechsprechung und Verwaltung an drei verschiedene, voneinander unabhängige Staatsorgane zu verteilen und die Einheit der Staatsgewalt durch eine Dreiheit der Gewalten zu zersetzen. Auch diese funktionelle und organisatorische Dreiteilung der Staatsgewalt mußte von der politischen Totalität des Nationalsozialismus beseitigt werden ». [↩]
- Ernst Rudolf Huber, « Die Einheit der Staatsgewalt », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 950 : « Zwar ist von der Staatslehre des bürgerlichen Rechtsstaats immer wieder betont worden, daß die Dreiteilung der Staatsfunktionen die einheitliche (…) Staatsgewalt nicht aufhebe. (…) Aber diese Lehre blieb, wie vieles am Liberalismus, eine bloße Ideologie. Die Einheit der Staatsgewalt trotz geteilter Staatsfunktionen war nur in der Theorie, nicht in der Wirklichkeit vorhanden. Die Verteiligung von Zuständigkeiten an verschiedene Staatsorgane hebt nur dann die Einheit der Staatsgewalt nicht auf, wenn die einzelnen Kompetenzen letzlich auf einen einzigen Willens- und Handlungsträger zurückgehen ». Comme le remarque Ulrich Scheuner, « Considérations sur le livre “Le Droit et l’État dans la Doctrine national-socialiste” de M. Roger Bonnard, professeur à la faculté de droit de Bordeaux », RDP, 1937, vol. 54, p.41, s’il existe encore « une distinction entre les fonctions législatives, exécutives et judiciaires, c’est parce que ces fonctions se présentent comme une classification traditionelle de l’activité étatique et non parce que l’idée de pouvoirs politiques a survécu à la révolution de 1933 qui en a fait table rase ; René Capitant, « L’État national-socialiste : aristocratie raciste et démocratie plébiscitaire » (1935), in du même, Face au nazisme, textes réunis par Olivier Beaud, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, p. 84 constate également que ce régime oppose « au principe de la séparation, le principe de la concentration des pouvoirs ». [↩]
- Ernst Rudolf Huber, Verfassungsrecht des großdeutschen Reiches, 2e édition, 1939, p. 196, cité ici par Olivier Jouanjan, « Qu’est-ce qu’un discours “juridique” nazi », Le Débat, n°178, 2014, p. 173. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Qu’est-ce qu’un discours “juridique” nazi », Le Débat, n°178, 2014, p. 172-173 ; du même, « Justifier l’injustifiable », Astérion, n°4, 2006, p. 147-148 et « Remarques sur les doctrines national-socialistes de l’État », Politix, n°32, 1995, p. 97-118, spécialement p. 105-106. [↩]
- Roger Bonnard, Le droit et l’État dans la doctrine national-socialiste, 2e édition, LGDJ, Paris, 1939, p.117. L’ouvrage de Bonnard présente de manière plus que favorable le « nouveau » droit national-socialiste et il ne manque pas d’éloges de la part de juristes allemands. Voir, par exemple, la recension d’Ulrich Scheuner, « Considérations sur le livre “Le Droit et l’État dans la Doctrine national-socialiste” de M. Roger Bonnard, professeur à la faculté de droit de Bordeaux », RDP, vol. 54, 1937, p. 39 et suiv. [↩]
- Olivier Jouanjan, « Qu’est-ce qu’un discours “juridique” nazi », Le Débat, n°178, 2014, p. 176 : « (…) la norme nazie ne joue pas seulement comme la règle extérieure de notre conduite et de la série de nos actes, mais (…) s’empare de l’intégralité de notre vie pour en configurer l’intégrité. Seulement, lestée par le racisme biologique du vitalisme nazi, la vie est ici rapportée, ultima ratio, à ses conditions biologiques, génotypiques d’expression ». [↩]
- Giorgio Agamben, Homo sacer I : Le pouvoir souverain et la vie nue, trad. fr. Marilène Raiola, Seuil, 1997, p. 157-158, avec des références à Hans Reiter, un des médecins allemands pour qui les camps de concentration n’étaient qu’un vaste domaine de recherches et expériences scientifiques. Une fois toute la pensée séparatiste évacuée du champ politique nazi, la vie humaine ne devient qu’un objet du pouvoir. Le concept de biopolitique permet sinon de justifier, au moins de comprendre la conception globale du pouvoir propre à l’idéologie meurtrière de l’Empire hitlérien. « Les lois sur la discrimination des juifs ont monopolisé l’attention des historiens de la politique raciale du Troisième Reich ; pourtant, elles ne sont pleinement compréhensibles qu’une fois replacées dans le contexte général de la législation et de la praxis biopolitique du national-socialisme. (…) Ces événements décisifs de notre siècle ont leur fondement dans l’assomption inconditionnée d’une mission biopolitique, où la vie et la politique s’identifient » (p. 163). [↩]
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