Il convient de souligner la difficile conciliation entre l’expression « principe de séparation » ou « division des pouvoirs » (Gewaltenteilungsprinzip), employée par le juge constitutionnel allemand, et la réalité de ce que ce principe désigne : l’équilibre des trois pouvoirs dont les finalités sont la modération du pouvoir d’État et la protection de la liberté individuelle. La construction jurisprudentielle de la définition générale du principe reflète les errements terminologiques de la Cour et ne réussit pas à contourner l’écueil que cache l’emploi de l’expression « séparation (ou division) des pouvoirs » qui n’apparaît pas de manière expresse dans le texte de la Loi fondamentale. Ce principe ne veut certainement pas dire séparer les pouvoirs pour s’assurer qu’une décision arbitraire n’est plus possible ou qu’un des pouvoirs ne peut s’accaparer des compétences constitutionnellement attribuées à un autre pouvoir. Il n’y a pas de séparation étanche, il s’agit, selon la Cour, d’une collaboration et d’une interpénétration réciproques qui sont tolérables jusqu’à un point précis : là, où le juge considère que le noyau de compétences exclusif d’un des pouvoirs est touché, une atteinte au principe doit être caractérisée. Mais cette théorie du noyau de compétences exclusif plonge le lecteur dans une nouvelle difficulté, car il est, pour l’instant, impossible de délimiter les noyaux respectifs des trois pouvoirs pour que l’ingérence d’un des pouvoirs, qui serait trop poussée, dans cette sphère qui doit rester hermétiquement fermée aux autres, soit qualifiée d’atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. La technique, dont se sert la Cour, loin d’éclairer la définition de ce « principe organisationnel porteur » de la Loi fondamentale, semble approfondir le problème de manière abyssale. Derrière la terminologie ne se cache guère un « principe de séparation », mais plutôt un système de freins et de contrepoids qui rappelle le système des « checks and balances ». Le juge insiste sur l’expression « principe de séparation (ou division) des pouvoirs » comme si elle contenait une symbolique particulière qui sortirait du cadre du droit positif, comme si sa seule mention suffisait à justifier une décision, comme s’il y avait besoin de lire « séparation des pouvoirs » plutôt que de se référer à un système de freins et de contrepoids, à un ordre organisationnel concret, même si l’interprétation de la norme de l’article 20, alinéa 2 LF correspond parfaitement à un équilibre entre les pouvoirs obtenu par l’utilisation des instruments constitutionnels mis à leur disposition, utilisation qui leur interdit de se placer en position dominante, de priver un pouvoir de ses missions constitutionnelles. Le principe de séparation des pouvoirs n’est pas autre chose qu’un système d’actions et de réactions qui rend possible la marche de l’appareil de l’Etat. Cette « thérapie » terminologique n’est pas la réponse à toutes les interrogations qu’il convient de poser lorsqu’on est confronté aux mécanismes qui lient les trois pouvoirs, au jeu difficile auquel ils doivent se livrer afin de sauvegarder l’unité de l’ensemble constitutionnel. Bien au contraire, la facilité terminologique soulève la question de savoir de quoi le principe de séparation des pouvoirs est-il le nom dans la jurisprudence constitutionnelle ? S’agit-il d’une technique élaborée par le juge pour désigner chaque pouvoir comme accomplissant une fonction spécifique protégée face aux ingérences des deux autres ? Ou bien est-il constitutif d’une volonté du juge de coordonner les rapports entre les pouvoirs en se laissant une latitude confortable quant à la détermination du contenu des fonctions ? Dans ce dernier cas, le principe de la justice fonctionnelle semble complètement exécuter la tâche : l’interprétation est toujours ouverte, car il n’y a pas de critères fixes qui permettent de savoir avec une relative certitude quel organe est « le mieux placé » pour intervenir de manière décisionnelle dans un domaine particulier.
La définition jurisprudentielle est incomplète. Cependant, avec ces développements incomplets, le juge constitutionnel arrive à élaborer un système de la séparation des pouvoirs fonctionnant de manière satisfaisante. Il est question d’une technique dotée d’un contenu normatif propre qui tend à maintenir l’équilibre fragile entre les différentes forces qui agissent au sein de l’appareil étatique. Dans la pratique, les différents éléments de définition que nous avons pu aborder dans ce chapitre peuvent constituer une source de difficultés majeures quant à l’application concrète du principe. Cette instabilité de l’interprétation de la norme contenue dans l’article 20, alinéa 2 LF donne lieu à une jurisprudence riche, parfois critiquée, parfois contradictoire, mais qui permet, au bout du compte, d’arriver à mieux cerner ce principe dit de la séparation des pouvoirs – garant de la liberté de l’individu. La définition générale du principe de la séparation des pouvoirs est approfondie par la théorie de la décision substantielle qui reflète les rapports complexes du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Le critère substantiel d’une décision permet de tracer une ligne divisant les compétences de ces deux pouvoirs « politiques ».