Le début du XIXe siècle fut marqué par les vives discussions autour de la notion de « constitution » en reflétant la profonde transformation de l’État monarchique dictée par le mouvement révolutionnaire français. Même si la Révolution de 1789 n’eut pas les mêmes effets spectaculaires outre-Rhin1, ces événements suffirent à instaurer un climat de méfiance du pouvoir envers la société civile émergente. Les concessions accordées par le pouvoir ne modifient pas brusquement la physionomie de l’ordre établi et continuent de maintenir l’unité monarchique. Le constitutionnalisme de « type allemand » n’a pas, du moins au début, « un accent révolutionnaire » ou « démocratique »2.
Le déclin du Saint-Empire romain germanique, accéléré par les guerres napoléoniennes, ainsi que l’impossibilité de former une structure étatique suffisamment solide pour résister aux tensions politiques internes n’empêchent pas l’Allemagne de présenter le visage d’ « une nation culturellement et intellectuellement épanouie, mais politiquement éclatée et dépourvue d’une réelle capacité d’action, celui d’un grand pays aisé au cœur de l’Europe, mais sans accès au commerce mondial, et sous la coupe d’un ordre constitutionnel archaïque juridicisé jusqu’à l’absurde »3.
L’apparition du constitutionnalisme dans les États de l’Allemagne du Sud ne change pas de manière radicale les modalités d’exercice du pouvoir. Le principe de séparation des pouvoirs, proclamé par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 17894, est entendu par les publicistes allemands comme une menace pour l’unité du pouvoir d’État. Il est inconcevable de maintenir une structure étatique solide, si le pouvoir est séparé en plusieurs parties agissant de manière autonome.
Dès les premières années du XIXe siècle, on préfère affirmer le principe monarchique, certes d’inspiration française, mais qui, dans l’interprétation allemande, prend une autre teneur et signale la volonté de maintenir l’unité du pouvoir monarchique tout en faisant place à la participation des états (Stände) à l’exercice du pouvoir (Section 1). Malgré l’attachement au principe monarchique, dont témoigne la doctrine publiciste, on observe une modération, surtout dans le camp des juristes d’obédience libérale, qui mène progressivement à une réception limitée du principe de la séparation des pouvoirs par la doctrine publiciste (Section 2). L’échec de la Constitution de l’Église Saint-Paul scelle le sort du principe de la séparation des pouvoirs : l’époque est désormais celle de la politique réactionnaire (Section 3).
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), trad. fr. Marie-Ange Maillet et Marie Ange Roy, coll. Rivages du droit, Dalloz, 2014, p. 18 : « La Révolution française influença et changea l’Allemagne de bien des manières, mais le pays ne connut pas de révolution propre. Il eut fallu pour cela qu’une masse critique soit atteinte, ce qui ne fut pas le cas ». [↩]
- Ernst-Wolfgang Böckenförde, « Verfassungsprobleme und Verfassungsbewegung des 19. Jahrhunderts », in Ernst-Wolfgang Böckenförde/Rainer Wahl (dir.), Moderne deutsche Verfassungsgeschichte (1815-1914), 2e édition, 1981, Verlagsgruppe Athenäum, Königstein, p. 17 : « (…) hatte in Deutschland (…) keinen revolutionären und auch keinen entschieden demokratischen Akzent ». En 1788, Ernst Ferdinand Klein, représentant de l’Aufklärung, les Lumières allemandes, remarque, à juste titre, que celui, qui vit dans une monarchie soucieuse d’assurer la « liberté du citoyen » (bürgerliche Freiheit), ne manifestera aucun désir de devenir républicain : « Wer in einer Monarchie lebe, worin die bürgerliche Freiheit gehandhabt werde, werde kein Verlangen tragen, ein Republikaner zu werden. Sei die ausübende Gewalt durch keine Gesetze beschränkt, handle es sic hum eine Despotie. In der Monarchie aber, wenn sie auch uneingeschränkt ist, existieren Gesetze, welche der Gewalt Grenzen Verzeichnen ». [↩]
- Michael Stolleis, Histoire du droit public en Allemagne (1800-1914), op.cit., p. 19. [↩]
- « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » [↩]