Les dispositions de la Loi fondamentale de Bonn de 1949 forment un ensemble cohérent, un système1. Cette cohérence interne suppose une démarche interprétative globale : les articles constitutionnels forment un tout et non pas des parties isolées sans connexion logique. La globalité ne signifie pas abstraction : il est toujours question d’une Constitution en particulier et non pas du concept abstrait de constitution qui fait davantage appel à l’histoire intellectuelle de l’État plutôt qu’à l’interprétation précise d’une constitution déterminée :
(…) on ne saurait partir de la Constitution en général, (…) mais seulement de la Constitution de cette communauté-ci, de la Loi fondamentale de Bonn. Puisque les questions de méthode sont des questions concrètes, les problèmes posés par une méthodologie qui doit être produite ici et maintenant ne peuvent être séparés des caractères propres à cette Loi fondamentale, de ses champs factuels ni du destin de cet ordre constitutionnel qui s’est accompli au cours de l’histoire de la République Fédérale d’Allemagne2.
Ainsi, le principe de séparation des pouvoirs, déduit par la Cour de l’article 20, alinéa 2 LF, ne doit aucunement être entendu comme un principe abstrait. Il s’agit d’une norme concrète qui tisse des liens étroits avec d’autres principes constitutionnels dans le cadre défini par la Loi fondamentale. Certes, le principe est doté d’une autonomie normative, mais celle-ci doit être insérée dans la logique interne du système. La signification du principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et des organes qui en sont investis, n’est accessible qu’à la lecture combinée avec d’autres principes : le principe démocratique, celui de l’État de droit ou bien le principe fédéral.
Du texte constitutionnel cohérent se dégage un certain nombre de décisions fondamentales structurant le corpus de la Loi fondamentale. Ces décisions fondamentales sont expressément protégées par l’article 79, alinéa 3 LF qui pose des limites au pouvoir de révision constitutionnelle. La cohérence et l’unicité de l’ensemble ne signifient pas qu’il n’existe aucun rapport hiérarchique entre les dispositions constitutionnelles. Bien au contraire, dès 1953, la Cour met en lien la conception unitaire de la Loi fondamentale et le rapport hiérarchique entre « certains principes et décisions fondamentales » et « les dispositions constitutionnelles particulières » :
Une disposition constitutionnelle ne peut être entendue de manière isolée et interprétée à partir d’elle-même. Elle forme un contexte de sens (Sinnzusammenhang) avec les autres dispositions de la Constitution, qui forment une unité interne (innere Einheit). À partir du contenu global de la Constitution ressortent certains principes et décisions fondamentales auxquels sont subordonnées les dispositions constitutionnelles particulières. La Loi fondamentale se base de manière évidente sur cette conception, comme le montre l’exemple particulier de l’article 79, alinéa 33.
Le principe de séparation des pouvoirs s’inscrit dans le « monde de valeurs »4 créé par la Loi fondamentale. Il fait sans aucun doute partie des principes fondamentaux auxquels se réfère le juge constitutionnel et constitue ainsi l’ossature de la Loi fondamentale. Afin de mieux comprendre la place qu’occupe la norme, déduite de l’article 20, alinéa 2 LF, au sein de cet ordre constitutionnel, il convient d’analyser le lien qu’elle entretient avec quelques principes constitutionnels (Section 1) pour ensuite tenter d’expliquer la teneur de la protection matérielle apportée par l’article 79, alinéa 3 LF (Section 2).
- Sur la question relative à l’unité de l’ensemble constitutionnel allemand et la conception holiste, voir Olivier Jouanjan, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, Economica, Paris 1992, p. 189 et suiv. avec des références à l’oeuvre de Friedrich Müller (Die Einheit der Verfassung, Duncker & Humblot, Berlin, 1979 et Juristische Methodik, 3ème édition, Duncker & Humblot, Berlin, 1989 [Discours de la méthode juridique, trad. fr. Olivier Jouanjan, PUF, coll. Léviathan, 1996]). [↩]
- Friedrich Müller, Discours de la méthode juridique, PUF, coll. Léviathan, 1996, p. 229. [↩]
- BVerfGE 1, 14 « Südweststaat » du 23 octobre 1953, p. 31 : « Eine einzelne Verfassungsbestimmung kann nicht isoliert betrachtet und allein aus sich heraus ausgelegt werden. Sie steht in einem Sinnzusammenhang mit den übrigen Vorschriften der Verfassung, die eine innere Einheit darstellt. Aus dem Gesamtinhalt der Verfassung ergeben sich gewisse verfassungsrechtliche Grundsätze und Grundentscheidungen, denen die einzelnen Verfassungsbestimmungen untergeordnet sind. Das Grundgesetz geht, wie sich insbesondere aus Art.79 Abs. 3 ergibt, ersichtlich von dieser Auffassung aus ». [↩]
- Hugo Hahn, « Über die Gewaltenteilung in der Wertwelt des Grundgesetzes », JöR, n°14, 1965, p.15-44. [↩]